SEANCE DU 29 MARS 2001
CRÉATION D'EUROJUST
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 235,
2000-2001) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de résolution de M. Hubert Haenel
(n° 53, 2000-2001) présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne,
en application de l'article 73
bis
du règlement, sur les propositions de
la République fédérale d'Allemagne, d'une part, et du Portugal, de la France,
de la Suède et de la Belgique, d'autre part, relatives à la création d'Eurojust
(E 1479 et E 1509).
Je rappelle au Sénat que cette discussion, comme celles qui suivront,
intervient dans le cadre de l'ordre du jour réservé.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous allons donc
débattre d'un problème qui, s'il peut paraître technique, est, en réalité, au
coeur de tous les problèmes concrets de notre société, à savoir le problème de
l'espace judiciaire européen et, plus précisément, de la lutte contre les
différentes formes de criminalité que l'on peut appeler européenne ou
transfrontalière.
Nous savons que les délinquants ou les criminels européens de toute espèce -
cette engeance ne cesse en effet de se diversifier - sont plus prompts à
profiter de l'Europe et de ses possibilités que les honnêtes gens, ceux-ci
construisant patiemment et laborieusement l'Union européenne, avec les
difficultés que nous savons, qui sont parfaitement compréhensibles, car
inhérentes à un projet profond et qui va très loin. Donc, tandis que les
honnêtes gens construisent l'Europe scrupuleusement et sérieusement, les autres
profitent de toutes les facilités issues de l'ouverture des frontières et, dans
quelque six mois, de l'instauration de la monnaie unique, qui est une autre
commodité, à quoi s'ajoutent encore les progrès des technologies modernes, pour
développer toutes les formes de criminalité transfrontalière - je m'en tiendrai
à cette formule dont tout le monde comprend la signification.
Cette criminalité comporte des formes traditionnelles, mais aussi des formes
nouvelles, qui ne cessent d'ailleurs de prendre de l'ampleur.
Au nombre des formes traditionnelles figure, hélas ! le terrorisme, qui n'est
en effet pas un phénomène récent. Le blanchiment d'argent sale est, lui aussi,
assez traditionnel, mais il ne cesse de progresser d'année en année. En outre,
s'agissant des trafics illicites,...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Eh oui !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... il serait peut-être temps de s'apercevoir que les
problèmes que nous connaissons aujourd'hui, notamment avec l'ESB, qui sont
terribles sur les plans humain et de la santé, et qui le seront également sur
le plan financier, ont tout de même à leur origine assez fréquemment des
trafics illicites d'animaux. J'allais oublier de mentionner les mafias au titre
des formes de criminalité qui sont assez traditionnelles.
Il est des formes plus neuves, et peut-être plus surprenantes, de criminalité
internationale transfrontalière, et d'abord le trafic des êtres humains, qui
prend des proportions épouvantables, fondé sur l'exploitation sexuelle des
enfants et des êtres humains en général, ainsi que sur l'exploitation de la
demande de travail.
Nous avons aussi cette forme nouvelle de fraude qu'est la fraude aux intérêts
de l'Union et au budget de l'Union, lequel se prête d'autant plus à de larges
fraudes qu'à raison de 90 % ou de 95 % c'est un budget d'intervention. Or qui
dit subvention dit naturellement possibilité de fraude.
Enfin, je dois citer tout ce qui relève de l'immigration clandestine et qui
est aussi une délinquance transfrontalière.
Il y a donc une prolifération des formes de criminalité, probablement, me
semble-t-il, une augmentation quantitative, encore qu'il est toujours difficile
de la mesurer, mais en général les observateurs considèrent que cela va plutôt
en augmentant, en tout cas pas en se réduisant, et ainsi une économie parallèle
se développe.
En ce qui concerne les seuls intérêts de l'Union, ce que l'on appelle la «
protection des intérêts financiers de l'Union », la PIF, les spécialistes des
services de Bruxelles estiment la fraude à 4 % ou 5 % du budget communautaire,
ce qui représente tout de même des sommes considérables.
Il est évident que l'Europe se doit d'y faire face, mais, madame la ministre,
pas seulement par des proclamations et des discours pour dire que, bien
entendu, on est opposé au crime - qui ne le serait pas ! -, elle se doit d'y
faire face en prenant des mesures effectives, concrètes et susceptibles d'avoir
des conséquences réelles. En effet, c'est un combat. Cette forme de
délinquance, qui, dans la plupart des cas, est une délinquance organisée, n'a
rien à voir avec la délinquance traditionnelle, celle du xixe siècle, la
délinquance de Balzac ou de Stendhal, qui est en quelque sorte artisanale. La
délinquance actuelle ressemble plus, en réalité, à des situations de guerre
qu'aux situations de délinquance telles qu'on les entendait
traditionnellement.
C'est ainsi donc que les autorités ont pris conscience de la nécessité d'agir
en ce domaine. En 1992, dans le traité de Maastricht apparaît, avec la création
du troisième pilier, la première affirmation que les questions intérieures, les
questions judiciaires, civiles ou pénales, font partie des intérêts de l'«
Union », vocable qui était d'ailleurs adopté par ce même traité. C'est alors
que l'on a commencé à mettre en place les magistrats de liaison, qui sont
extrêmement utiles là où ils sont placés. On a également commencé à mettre en
place ce réseau judiciaire qui permet au milieu judiciaire de trouver, dans les
différents Etats, ce que l'on appelle des points de contact, lesquels leur
facilitent les communications et rendent donc plus efficaces les procédures
pénales. Par définition, il est difficile de les rendre efficaces - je le dis
pour ne pas y revenir - puisque nous sommes dans un domaine où les libertés
publiques sont en cause et où la moindre irrégularité risque d'aboutir à
l'annulation d'une procédure. Nous sommes là, hélas ! dans un domaine
extrêmement délicat, et difficile à gérer pour cette raison.
En 1999, le Conseil européen de Tampere a porté d'une manière plus approfondie
sur ce problème de l'espace judiciaire européen, notamment en matière pénale,
en particulier en posant le principe d'une institution nouvelle et qui est
ainsi définie dans les conclusions du Conseil dont je parle : « Afin de
renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité organisée, le
Conseil européen a décidé la création d'une unité, Eurojust, composée de
procureurs, magistrats ou d'officiers de police ayant des compétences
équivalentes, détachés de chaque Etat membre conformément à son système
juridique. Eurojust aura pour mission de contribuer à une bonne coordination
entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son
concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée,
notamment sur la base de l'analyse effectuée par Europol ; cette unité devra
aussi coopérer étroitement avec le Réseau judiciaire européen afin, notamment,
de simplifier l'exécution des commissions rogatoires. Le Conseil européen
demande au Conseil d'adopter l'instrument juridique nécessaire avant la fin de
l'année 2001. » C'est donc cette échéance qui est à l'origine d'un certain
nombre de propositions et qui a conduit au débat que nous avons ce matin.
Je rappelle au passage que le traité de Nice a confirmé cette orientation en
insistant sur l'importance des enjeux : « Le Conseil encourage la coopération
par l'intermédiaire d'Eurojust en :
a)
permettant à Eurojust de
contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales des Etats
membres chargées des poursuites ;
b)
« favorisant le concours d'Eurojust
dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité transfrontalière grave,
en particulier lorsqu'elle est organisée, en tenant compte notamment des
analyses effectuées par Europol ; » - là, on entre dans ce que j'appellerai
l'opérationnel, puisque l'on participe à des enquêtes - «
c)
facilitant
une coopération étroite d'Eurojust avec le Réseau judiciaire européen afin,
notamment, de faciliter l'exécution des commissions rogatoires et la mise en
oeuvre des requêtes extraditionnelles. » Tels sont les termes du traité de
Nice. Cela conduit à la période où le Conseil doit préparer la décision,
puisqu'il s'agit d'une décision selon la terminologie du troisième pilier.
Le Conseil est saisi de propositions émanant l'une de l'Allemagne, l'autre
d'une sorte de troïka étendue, puisqu'elle comporte la présidence actuelle du
Conseil - la Suède - les présidences précédentes - le Portugal et la France -
ainsi que la présidence suivante - la Belgique - c'est-à-dire quatre
intervenants.
Je ne m'attarderai pas sur la proposition allemande qui, de manière
surprenante, se contente de proposer, dans Eurojust, une instance d'échange et
de rassemblement d'informations. Dans ce cas, la montagne accoucherait d'une
souris, car il n'est pas nécessaire de s'adonner à un tel cérémonial pour
échanger des informations. Cela est d'autant plus surprenant, nous faisait
observer notre collègue M. Türk, qui suit ces questions de très près, que,
s'agissant de l'action de la police, dans Europol, les Allemands s'étaient
montrés très en avant. En l'occurrence, ils sont très en retrait. C'est en
partie parce qu'en Allemagne la justice est très largement l'affaire des
Länder.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Effectivement !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il y a une résistance de la part des Länder, qui ne veulent
pas assister, à l'occasion d'une mise en commun des moyens de justice, à une
sorte de confiscation de leurs prérogatives propres. On m'a dit qu'il y avait
d'autres explications sans pouvoir me les fournir. Nous resterons donc sur
cette interrogation.
J'en viens à la proposition beaucoup plus substantielle des quatre pays que
j'ai cités tout à l'heure, proposition qui a le mérite de faire très
sérieusement le tour du problème.
Tout d'abord, Eurojust serait compétent pour les types de criminalités et
d'infractions pour lesquels Europol a compétence pour agir. Voilà qui facilite
la définition de la compétence, de manière assez large d'ailleurs, et c'est
souhaitable, car, en ce domaine comme dans les autres, s'enfermer dans des
formulations trop strictes et trop limitatives, c'est créer autant de cas
d'irrégularité ou de possibilités de discussion pour une catégorie
professionnelle que j'affectionne particulièrement, les avocats.
(Sourires.)
Leur imagination n'est jamais en peine pour trouver des
causes de nullité dans des textes.
Ensuite, Eurojust aurait plusieurs prérogatives. Eurojust pourrait demander à
un Etat membre d'entreprendre une enquête ou des poursuites - on entre là
vraiment dans l'opérationnel - sur des faits précis ou d'accepter qu'un autre
Etat membre puisse être mieux placé que lui pour ce faire. La demande n'aurait
pas de caractère contraignant, mais l'Etat membre refusant d'y donner suite
devrait informer Eurojust de sa décision et des raisons qui la motivent. Je
relève au passage que cette dernière obligation d'explication de l'Etat membre
qui refuse de donner suite aux suggestions d'Eurojust est en elle-même
contestée. Un certain nombre d'Etats membres, en effet, ne veulent pas avoir à
s'expliquer sur les raisons pour lesquelles ils n'ouvrent pas une enquête. Le
moins qu'on puisse dire, c'est que l'on s'interroge sur les mobiles profonds de
ce genre d'attitude. Quand on sait les multiples moyens de pénétration des
mafias et des réseaux délinquants de tous ordres, cela donne une coloration un
peu inquiétante à ce genre d'interrogation. Je n'en dirai pas plus car, comme
tout un chacun, je n'ai pas de réponse formelle à apporter à cette
interrogation, qui mérite, me semble-t-il, d'être formulée.
Par ailleurs, Eurojust assurerait l'information réciproque des autorités
compétentes des Etats membres sur les enquêtes et les poursuites en cours. Ce
type d'information est bien sûr très utile.
Eurojust pourrait apprécier l'opportunité d'une coordination des enquêtes et
des poursuites menées par plusieurs Etats membres.
Eurojust contribuerait à simplifier l'exécution des commissions rogatoires
internationales. Le mot « simplifier » est un bel euphémisme. Si on pouvait
obtenir que les quatre cinquièmes des commissions rogatoires internationales
soient suivies d'effet, ce serait peut-être mieux qu'actuellement. En effet, je
ne suis pas sûr que, à l'heure actuelle, la moitié des commissions rogatoires
ont vraiment la suite que l'on est en droit d'attendre.
Eurojust établirait une base documentaire et apporterait - formulation un peu
curieuse - son concours à Europol. En vérité, cette formulation est non
seulement curieuse, mais également choquante car, entre la police et la
justice, madame le garde des sceaux, nous serons d'accord pour penser qu'il est
préférable que ce soit la police qui apporte son concours à la justice plutôt
que l'inverse, si toutefois nous nous faisons la même idée de ce que l'on peut
appeler un Etat de droit, ce qui, je suppose, fait partie de notre dénominateur
commun à tous dans cet hémicycle.
J'en viens au fonctionnement d'Eurojust. Dans les propositions qui sont faites
il y a l'idée, parfaitement admise, que Eurojust est un collège qui comporte un
représentant par Etat, et que ce représentant est un magistrat, un procureur ou
un officier de police de niveau équivalent, selon les systèmes juridiques
concernés. On sait que ceux-ci sont très divers et qu'il s'agira en général
d'un magistrat du parquet. Les Anglais, par exemple, ont adopté récemment comme
système de poursuite le
crown persecution
, et ils en sont encore aux
débuts de la mise en oeuvre d'un ministère public au sens où nous l'entendons
depuis des siècles.
En outre, chaque Etat pourra désigner un correspondant national d'Eurojust,
étant entendu - là encore, on retrouve les prérogatives des Etats - que chaque
Etat définira la nature et l'étendue des pouvoirs qu'il accorde au membre
d'Eurojust qu'il désigne. Là encore, on s'interroge sur les arrière-pensées.
Eurojust aurait la personnalité juridique et serait dirigé par un président et
par deux vice-présidents.
Enfin, la proposition prévoit une « coopération étroite » - ce sont ces
formules qui ne coûtent rien, mais qui ne résolvent en elles-mêmes aucun
problème - entre Eurojust et Europol.
Elle prévoit aussi un dispositif pour la protection des données reçues par
Eurojust. Souhaitons d'abord que Eurojust reçoive beaucoup de données. Mais
j'ai l'impression, en lisant ce texte, que le souci de protéger les données est
plus efficient, plus dynamique que celui d'obtenir les données !
(Sourires.)
Je plaisante parce que le sujet est tellement grave,
tellement tragique, qu'il vaut mieux en parler en souriant.
S'ajoute à cela un élément nouveau, que je crois extrêmement appréciable, et
je suis très heureux d'en parler en présence de quelqu'un qui connaît fort bien
la question : nous avons mis sur pied, dès maintenant, une unité provisoire «
Pro-Eurojust », avec un commencement d'effectivité au début de ce mois, pour
préfigurer Eurojust et apporter une expérience concrète aux réflexions qui sont
en cours, auxquelles j'ai fait allusion et auxquelles la Commission a participé
en apportant son avis personnel, qui, lui-même, va assez loin.
Nous avons ainsi confié à un certain nombre de magistrats issus des Etats
membres les responsabilités d'explorer les voies et moyens d'Eurojust avec,
pour objectif, d'une part, d'améliorer la coopération entre les autorités
nationales compétentes relative aux investigations et aux poursuites en
relation avec la criminalité grave et, d'autre part, de stimuler et d'améliorer
la coordination des enquêtes et des poursuites entre les Etats membres.
J'ai pu rencontrer, à Bruxelles et à Paris, les personnes qui s'occupent de
ces différentes questions. Je dois dire que j'ai été très favorablement
impressionné par le fait que cette cellule Pro-Eurojust était composée d'abord
de gens de qualité, de gens ayant autorité dans le milieu judiciaire de leur
pays, ce qui est évidemment essentiel. Je ne nommerai pas la personnalité
française, pour respecter sa modestie, mais je citerai le procureur de Palerme,
pour l'Italie, et le responsable de la lutte contre le terrorisme, en Allemagne
comme en Espagne.
J'estime qu'il s'agit là d'une bonne nouvelle parce que M. Haenel et moi-même
éprouvions un certain scepticisme, voire une certaine déception. Mais j'ai été
amené à modifier le sens et le ton de mon rapport, car j'ai la conviction que
les hommes qui ont été choisis, en raison de leurs qualités, ne se seraient pas
rendus à Bruxelles, ce qui n'a jamais été considéré comme très gratifiant dans
une carrière de fonctionnaire, s'il n'avaient pas une forte motivation, s'ils
ne faisaient l'objet d'une véritable confiance de la part des autorités
nationales de leur pays et s'ils n'avaient pas une réelle aptitude à faire
avancer les choses.
Comme en toute matière, j'ai tendance à attacher plus d'importance aux faits,
à ce qui se passe sur le terrain, plutôt qu'aux textes que nous élaborons, et
dont l'efficacité est toujours relative. Je pense que nous partageons ce sens
du concret et de l'action réelle, madame le garde des sceaux. Je suis donc très
content de voir que cette cellule a été mise sur pied. Je souhaite seulement
qu'on lui fasse confiance, qu'on la laisse travailler et que, à la lumière des
conclusions qu'elle tirera de sa propre expérience, le Conseil des ministres
voie plus précisément ce qu'il convient d'inscrire dans les textes.
Tel est l'essentiel du propos que je tenais à exprimer ce matin.
La délégation du Sénat pour l'Union européenne, présidée par notre éminent et
excellent collègue M. Haenel, a engagé une réflexion sur les propositions
visant à créer Eurojust et a établi, sous la plume d'ailleurs de son président
lui-même, la proposition de résolution dont le Sénat est saisi et qui fait
l'objet du présent débat.
J'en viens à cette proposition de résolution. Je la parcours rapidement pour
ne pas allonger le débat, mais il faut respecter les textes tels qu'ils sont,
surtout lorsqu'ils émanent de la délégation du Sénat pour l'Union européenne,
dont le rôle est articulé de manière un peu compliquée et délicate avec celui
des commissions permanentes : dans l'état actuel de notre système, les
délégations n'ont pas les prérogatives des commissions. Par conséquent, la
délégation a élaboré la proposition de résolution qui relève du domaine
européen, seul domaine dans lequel le Parlement puisse voter des résolutions,
puis elle a transmis ce texte à la commission, qui a seule qualité pour
formaliser la procédure de transmission à l'assemblée et émettre un avis, ce
qui permet d'ouvrir un débat général, que nous avons ce matin. Il y a donc, en
quelque sorte, deux rapporteurs pour un même texte.
Je vous livre les termes de l'exposé des motifs de la proposition de
résolution relative à la création d'Eurojust qui vous sera commentée tout à
l'heure par M. Haenel.
« Le scénario minimal consisterait à voir dans Eurojust uniquement un centre
de documentation et d'échange d'informations (...). Cependant, cette vision ne
correspond ni aux attentes des citoyens ni aux nécessités ressenties par les
juges nationaux. » Ai-je besoin d'évoquer périodiquement les protestations d'un
certain nombre de juges - l'un entre eux est juge au tribunal de Blois, de
sorte que je suis particulièrement attentif à ce qu'il peut écrire - qui se
heurtent à de nombreuses difficultés pour conduire les poursuites
transfrontalières ?
« De plus, l'utilité même d'Eurojust serait alors discutable, puisqu'il existe
déjà des magistrats de liaison et un réseau judiciaire européen. (...) Il est
nécessaire, en particulier, de conférer à Eurojust des compétences en matière
de coordination des enquêtes et de simplification des commissions rogatoires. »
Il est bien évident que si l'on ne faisait d'Eurojust qu'une nouvelle
institution dotée des mêmes pouvoirs et des mêmes responsabilités que ceux que
l'on a déjà délégués au réseau judiciaire européen, on serait en situation de
redondance et de concurrence, ce qui ne pourrait engendrer que la stérilité.
Dans ces conditions, la proposition de résolution tend en particulier à
demander au Gouvernement : premièrement, d'affirmer le rôle d'Eurojust en tant
qu'unité juridique autonome et collégiale ; deuxièmement, de veiller à ce que
tous les membres nationaux d'Eurojust se voient accorder des compétences
équivalentes par les Etats qui les désignent, de manière qu'il y ait une bonne
harmonie et pas trop de divergences ; troisièmement, de voir reconnaître à
Eurojust un rôle opérationnel pour les investigations transfrontalières entrant
dans son champ de compétences.
Enfin, l'auteur de la proposition de résolution demande au Gouvernement de «
prendre des initiatives en vue de parvenir, pour les formes graves de
criminalité transfrontalière, à la constitution d'une autorité responsable des
poursuites » - il paraît qu'il ne faut pas parler de procureur européen ; soit,
à peine ai-je prononcé le mot que je l'oublie ; je me contenterai d'évoquer une
autorité responsable des poursuites, cela ne mange pas de pain, comme l'on dit
- « et à la définition commune des règles et procédures pénales nécessaires à
la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes ».
Là non plus, il ne faut surtout pas parler de code pénal européen ! On se
complique la vie autant que l'on peut, mais enfin, qu'est-ce que la définition
commune sinon l'adoption de normes communes et qui, une fois regroupées article
par article, constituent ce qu'il est convenu d'appeler un code ?
Quoi qu'il en soit, tel est, mes chers collègues, l'essentiel de la
proposition de résolution de la délégation. Je tiens à vous indiquer que,
globalement, la commission a suivi les propositions de la délégation, qu'elle a
trouvées pertinentes. Elles les a simplement complétées sur un point qui me
tiendra lieu de conclusion.
La commission a jugé tout à fait appréciables les décisions prises à
Maastricht, puis à Tampere, puis à Nice, et la mise en place d'Eurojust.
Europol est plus ancien : il a déjà acquis une certaine habitude de travail,
mais son rôle se réduit pratiquement à un échange d'informations.
Comme je le disais tout à l'heure, il est particulièrement positif que, sans
attendre que le Conseil JAI - justice et affaires intérieures - ait adopté la
décision sur Eurojust, on ait créé Pro-Eurojust, dont nous attendons un large
éclairage sur les questions dont nous parlons, car cette nouvelle structure
sera fondée sur des réalités et des expériences concrètes. Cela est tout à fait
positif et nous l'avons perçu comme tel.
Nous avons donc repris, pratiquement, la proposition de résolution élaborée
par M. Haenel.
Je dois dire que, personnellement, j'avais buté, dans le texte de cette
proposition, sur le passage selon lequel le Gouvernement devra « veiller à ce
que tous les membres nationaux d'Eurojust se voient accorder des "compétences
équivalentes" par les Etats qui les désignent ». Il s'agissait, non pas d'une
divergence de fond mais, en quelque sorte, d'une inquiétude tactique.
On m'avait fait observer que, lorsqu'on utilise une telle formulation, lors
des délibérations européennes, il se trouve toujours quelqu'un pour émettre des
réticences et pour demander ce qu'est une compétence équivalente. Cela provoque
des discussions, des chamailleries et des épluchages infinis de la part de ceux
qui n'ont pas envie que les choses avancent, et ils sont plus nombreux qu'on le
croit : il y en a un peu partout, mais bien sûr ils se cachent ; peut-être même
y en a-t-il dans cet hémicycle, le débat nous le montrera.
Le fait d'engager une discussion pour déterminer si les compétences sont
équivalentes peut finalement se révéler assez gênant. J'avais envisagé, cher
collègue Haenel, de proposer une formule plus souple, à savoir les «
compétences les plus étendues », ce qui ne signifie pas forcément «
équivalentes ».
Je dois dire que je n'ai pas su me faire comprendre par la commission, qui a
préféré - vous voyez dans quelle estime elle tient les propositions de la
délégation - maintenir votre rédaction, monsieur Haenel. Je suis heureux de
vous dire en toute modestie que, bien qu'absent, vous avez triomphé sur le
rapporteur présent, ce qui montre la distance qui existe entre votre autorité
et votre capacité de persuasion et les miennes.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Quel
rapporteur !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Nous en sommes donc restés aux « compétences équivalentes »,
en espérant que le danger signalé ne se manifestera pas trop.
Pour le reste, nous avons repris le texte de votre proposition, monsieur
Haenel, et nous y avons réintégré un ou deux paragraphes que j'envisageais de
supprimer. Il s'agit notamment des mesures sur la compétence et des
dispositions suivantes, que l'on retrouve d'ailleurs dans la dernière partie de
votre proposition de résolution : « de prendre des initiatives en vue de
parvenir, pour les formes graves de criminalité transfrontalière, à la
constitution d'une autorité responsable des poursuites et à la définition
commune des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre
efficace des poursuites et des enquêtes ; ».
Tout le problème est donc d'organiser un système de poursuites commun,
effectif - pratiquement, il s'agirait d'un procureur européen - et de définir,
dans les domaines concernés, qui englobent, naturellement, non pas l'ensemble
du droit pénal, mais simplement le droit pénal transfrontalier, lequel relève
de la compétence d'Europol, ce que les savants appellent un
corpus
juris
, c'est-à-dire un code commun.
En effet, comme le dit le président de la délégation, nous sommes persuadés,
notamment lorsqu'il s'agit de protéger les intérêts financiers de la Communauté
- ce que l'on appelle la PIF - que les textes pénaux que nous avons, qui sont
par définition des textes nationaux, n'ont pas prévu la fraude aux institutions
du système communautaire. Il y a donc là forcément une lacune et il faut
transposer ces textes pour les rendre applicables.
Par ailleurs, il nous a semblé assez évident que, pour être véritablement
efficace, il fallait unifier les poursuites et, au-delà de ce que Eurojust
pourra faire et de sa capacité de suggérer des enquêtes, peut-être faudra-t-il
parvenir un jour à ce que quelqu'un puisse non pas suggérer de procéder à une
enquête mais donner l'instruction pour qu'on ouvre une enquête.
C'est une perspective ! Ce n'est ni pour aujourd'hui, ni pour demain, mais il
est de notre devoir d'explorer de telles perspectives.
Puisque tel est le souhait de la délégation - et ce sera ma conclusion - nous
avons ajouté l'idée selon laquelle, pour pratiquer cette exploration, qui va
plus loin que ce qui est envisagé actuellement et se situe dans le prolongement
de ce qui se pratique, on pourrait imaginer une procédure qui permettrait
d'associer ce que l'on appelle les différentes légitimités européennes. Cette
procédure réunirait au sein d'une convention ou d'une enceinte - appelons cela
comme on le voudra - des délégués des parlements nationaux, du Parlement
européen, des ministères de la justice et de la Commission. Ces différentes
légitimités réunies pourraient « explorer » ensemble les questions - il s'agit
uniquement de cela, car elles n'ont pas de capacité décisionnelle ; la
procédure décisionnelle normale est celle du troisième pilier - et ainsi couper
court à la paralysie due au fait que ces domaines législatifs sur lesquels des
représentants du pouvoir exécutif sont invités à prendre des décisions relèvent
essentiellement des prérogatives de la souveraineté nationale.
Face à des directives ou à des décisions complètement préparées à leur insu et
qu'il ne leur est pratiquement plus possible d'amender avant de les ratifier,
car on ne peut pas remettre en route tout le processus, les parlementaires
nationaux éprouvent un sentiment de frustration. Cela engendre aussi un
sentiment de gêne de la part des responsables de l'exécutif.
Nous pensons que réunir ce genre de formation et l'inviter à délibérer sur ces
questions seraient en soi une bonne démarche. Cela permettrait d'éclairer tout
le monde et de voir si les désaccords sont fondamentaux et insurmontables ou
si, au contraire, il est possible de trouver un accord sur tel ou tel point.
Lorsque j'avais fait cette proposition en 1996 dans un rapport sur ce sujet,
elle avait été accueillie avec un certain scepticisme, mais il se trouve
qu'elle a été reprise l'année dernière à l'occasion de la préparation de la
Charte des droits fondamentaux. C'est exactement en effet cette méthode qui a
été employée.
Dès lors que cette méthode, qui a l'avantage d'être nouvelle dans le
processus européen et d'associer toutes les légitimités, a été employée sans
qu'aucun jugement n'ait été posé sur la question de savoir si c'était une bonne
idée de s'en servir pour l'élaboration d'une charte - je ne porte aucun
jugement de valeur, je ne parle que de la méthode - il nous paraît souhaitable
que le Gouvernement invite nos partenaires européens à renouveler l'expérience
dans le domaine dont je viens de parler un peu longuement, ce dont je vous prie
de m'excuser.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans un
rappel liminaire, d'indiquer que la proposition de résolution ne porte plus
tout à fait mon nom, puisqu'elle a été adoptée à l'unanimité lors du débat que
nous avons eu au sein de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Par ailleurs, je précise tout de suite, pour éviter d'avoir à y revenir, que
je souscris tout à fait à ce que vient de dire brillamment notre éminent
collègue Pierre Fauchon sur le sujet et que la présente proposition de
résolution me convient tout à fait.
Cela étant, malgré toutes les bonnes intentions des chefs d'Etat et de
gouvernement successifs, l'Europe de la justice reste le parent pauvre de la
construction européenne. Or cette absence d'un véritable espace judiciaire
européen qu'appelait déjà de ses voeux, voilà plus de vingt ans, le président
Giscard d'Estaing, n'est pas comprise par nos concitoyens. Les récents
résultats des élections municipales ont montré la place qu'occupe, dans les
préoccupations des Français, cette question de la sécurité. Nos compatriotes
constatent un développement des formes graves de criminalité transnationales,
telles que le trafic de drogue, le trafic des êtres humains, le terrorisme, ou
le développement des organisations criminelles.
Ces phénomènes préoccupants appellent une réponse européenne qui tarde à
venir. Pourtant, il y a urgence, je dirais même qu'il y a le feu, car nous
assistons à une contagion dans ce domaine qui devient de plus en plus
dangereuse.
Les citoyens sont directement concernés dans leur vie quotidienne par
l'absence d'une Europe de la justice. Je pense non pas simplement à l'aspect
pénal, mais aux problèmes posés par le droit de garde des enfants issus de
couples binationaux divorcés ou séparés, ou encore aux litiges commerciaux
transfrontaliers pour les chefs d'entreprise.
C'est dire si la déclaration de l'ancien garde des sceaux, Mme Elisabeth
Guigou, selon laquelle il faudrait encore vingt ans pour parvenir à cet espace
judiciaire européen que nous appelons pourtant tous de nos voeux, ne peut que
nous inquiéter.
L'Europe de la justice ne peut pas attendre ; il y a en effet une urgence
politique à ce que l'Union comble des lacunes si criantes. On peut dire aussi
qu'il en va de la légitimité même de la construction de l'Europe, qui restera
incomplète et fragile tant qu'elle ne sera pas véritablement synonyme de
liberté et de sécurité pour les citoyennes et les citoyens européens.
Comment pourrait-il y avoir une citoyenneté européenne et une réelle adhésion
à l'Europe si l'Union ne s'avère pas capable de mettre en place rapidement un
cadre protecteur qui réponde aux attentes légitimes de ses populations ?
Si, parfois, l'Europe en fait trop, dans ce domaine elle n'en fait vraiment
pas assez.
Par ailleurs, ne l'oublions pas, nous sommes à la veille de l'élargissement.
Il est donc indispensable de progresser rapidement en la matière. Les pays
candidats ne pourraient que tirer bénéfice d'un acquis qui consoliderait leur
propre système judiciaire. Il ne faut pas non plus sous-estimer les difficultés
à venir si les décisions devaient être prises par un nombre beaucoup plus
important d'Etats membres.
Pour toutes ces raisons, la délégation pour l'Union européenne a souhaité que
le Sénat engage une réflexion sur Eurojust, dialogue sur ce sujet avec le
Gouvernement - avec vous, madame la ministre - afin que celui-ci lui fasse
connaître son sentiment sur l'adoption d'une résolution. Je remercie à cet
égard la commission des lois et tout particulièrement le rapporteur, Pierre
Fauchon, éminent juriste et européen convaincu s'il en est, de la qualité de la
réflexion qui a été menée, et je ne peux que me déclarer, comme je l'ai dit
dans mes propos liminaires, en plein accord avec le texte qu'ils nous
proposent.
Certes, un consensus se dégage au sein des Etats membres pour progresser en
matière de coopération judiciaire. Mais constatons que les réalisations
pratiques se font attendre.
Le traité d'Amsterdam a renforcé les dispositions prévues par le traité de
Maastricht. Un autre progrès significatif a été le Conseil européen de Tampere
d'octobre 1999. Sur la base des conclusions de ce sommet, la Commission
européenne a élaboré, en mars 2000, un tableau de bord qui comprend un
échéancier précis des initiatives à prendre.
Or, malgré cette impulsion politique, les résultats tangibles restent malgré
tout décevants et la coopération judiciaire semble marquer le pas. Tout le
monde s'accorde sur le constat selon lequel les objectifs fixés à Tampere ainsi
que leurs échéances privées ne pourront pas être respectés.
Ainsi, l'esprit de Tampere ne semble pas souffler sur la coopération
judiciaire en matière civile, en particulier en ce qui concerne le droit de la
famille. Malgré la communautarisation de la convention de Bruxelles II, les
problèmes de droit de garde continuent de se poser et l'on assiste à une
persistance des phénomènes d'enlèvement d'enfants.
La présidence française a déposé, en juillet dernier, une proposition sur ce
sujet. Mais, devant la forte opposition de certains Etats, les négociations
piétinent depuis maintenant presque dix mois.
Par ailleurs, la recherche d'un titre exécutoire européen semblait un
processus de longue haleine, de trop longue haleine, et nous savons combien
c'est nécessaire.
En matière pénale, le constat n'est guère plus encourageant. Les juges
critiquent régulièrement, et à juste titre, la longueur des commissions
rogatoires et la lourdeur de la procédure d'extradition. Tout le monde a en
mémoire l'affaire Rezala ; qui a soulevé une grande émotion en France. Mais il
ne s'agissait là que de la pointe émergée de l'iceberg. Ainsi, la justice
française attend depuis près de cinq ans l'extradition d'une personne
soupçonnée d'avoir été l'un des organisateurs des attentats islamiques de 1995,
actuellement emprisonnée en Grande-Bretagne pays qui fait pourtant partie de
l'Union.
L'entraide judiciaire pénale souffre de nombreux dysfonctionnements : lenteurs
et complexités, abus de recours suspensifs à des fins dilatoires, persistance
dans certains Etats de l'intervention de l'exécutif. Tout cela a été mis en
évidence par le « groupe pluridisciplinaire sur la criminalité organisée » et
par un rapport adopté récemment par le Parlement européen.
Certes, une nouvelle convention sur l'amélioration de l'entraide judiciaire
doit entrer en vigueur, mais réglera-t-elle toutes les difficultés ? Rien n'est
moins sûr.
De même, l'institution des magistrats de liaison semble avoir été un progrès -
elle a été un progrès - mais elle ne concerne qu'un nombre limité de pays. Il
est tout de même regrettable de ne compter que sept magistrats étrangers en
France, sauf erreur de ma part, et cinq magistrats français à l'étranger.
Lorsque nous étions à Lisbonne - c'était l'époque de la présidence portugaise
de l'Union - il n'y avait aucun magistrat français sur place - je ne sais pas
s'il y en a aujourd'hui - pour assister l'ambassadeur de France, qui était
d'autant plus ennuyé qu'il fallait traiter alors l'affaire Rezala !
Madame la ministre, pourquoi ne pas développer ces échanges avec d'autres
Etats ? Dites-nous aujourd'hui que d'ici à la fin de l'année, dans tous les
Etats de l'Union et, en préfiguration, dans tous les Etats candidats à
l'intégration, il y aura enfin un magistrat français.
Comme l'a souligné notre collègue Pierre Fauchon, nous attendons beaucoup
d'Eurojust. Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse, car je ne voudrais pas
donner le sentiment qu'Eurojust est placé sous la coupe d'Europol. C'est
l'inverse qui devrait être. Nous nous devons d'être très clairs sur ce point.
Il faut concevoir de grandes ambitions pour Eurojust et doter cette unité de
moyens à la hauteur des défis à relever - ce ne sera pas très ruineux pour le
budget de l'Etat français - faute de quoi Eurojust ne sera qu'un « machin » de
plus, pour reprendre l'expression employée à l'époque !
Face à ce maigre bilan, les institutions communautaires et les gouvernements
nationaux avancent des arguments idéologiques peu convaincants. Ainsi, la
Commission européenne et le Parlement européen critiquent la méthode
intergouvernementale. Ils dénoncent la règle de l'unanimité au Conseil et le
partage du droit d'initiative entre la Commission et les Etats membres. Ils
manifestent parfois leur mauvaise humeur, comme l'illustre le rejet par le
Parlement européen de plusieurs propositions relatives à la lutte contre
l'immigration illégale, dont une française, visant à réprimer les passeurs, au
seul motif qu'elles résulteraient d'une initiative d'un Etat membre. De leur
côté, les Etats membres se cantonnent dans des déclarations stériles et
habituelles sur la réforme des méthodes de travail au sein du Conseil et la
nécessité d'assurer une continuité entre les présidences successives.
Or je crois que ces interminables débats institutionnels - s'ils peuvent
passionner le microcosme bruxellois - ne font pas progresser la coopération en
matière judiciaire. Que l'on retienne la méthode communautaire ou la méthode
intergouvernementale, ce qui importe, madame la ministre, c'est l'efficacité.
On le voit bien, puisque les matières communautarisées par le traité
d'Amsterdam n'ont pas plus progressé que les autres.
Il convient, en effet, de se montrer pragmatique afin de répondre aux attentes
légitimes et de plus en plus pressantes - convenons-en - des citoyens, ainsi
qu'aux nécessités concrètes ressenties par les magistrats. Je citerai, à cet
égard, plusieurs exemples.
De nombreux actes ou conventions, adoptés soit au sein du Conseil de l'Europe,
soit au niveau de l'Union européenne, ne sont pas encore entrés en vigueur
faute d'avoir été transposés ou ratifiés.
M. Daniel Hoeffel.
Très juste !
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Ainsi, deux
conventions sur l'extradition ont été adoptées dans le cadre de l'Union
européenne.
La première convention date du 10 mars 1995 et vise à simplifier la procédure
d'extradition lorsque l'intéressé y consent. La seconde convention, signée le
27 septembre 1996, définit plus largement les faits pouvant donner lieu à
extradition et limite les motifs qui permettent traditionnellement aux Etats de
la refuser. Or, ni l'une ni l'autre n'ont été ratifiées par tous les Etats
membres.
Malgré les nombreuses invitations en ce sens, plusieurs Etats doivent encore
les ratifier et, parmi ceux-ci, malheureusement, la France. C'est une situation
que l'on peut qualifier d'inadmissible. Il faut donc commencer par appliquer
cet acquis si difficilement atteint. Et qu'on ne vienne pas dire que la faute
en incombe au législateur, car les projets de loi n'ont toujours pas été
déposés. J'aimerais que vous disiez au Sénat, madame la ministre, pourquoi la
France tarde autant et quand vous comptez inscrire les projets de loi de
ratification à l'ordre du jour des assemblées.
Enfin, il semble que la France n'a pas encore pris la mesure de l'avancée que
pourraient représenter les coopérations renforcées en matière de justice et
d'affaires intérieures, qui pourtant ont été inaugurées par les accords de
Schengen.
L'Espagne et l'Italie ont négocié en quelques mois - c'est un bon exemple - et
signé un important traité afin de supprimer la procédure d'extradition entre
les deux pays pour les crimes les plus graves. Cela montre qu'avec un peu de
volonté on peut changer les choses. N'attendons pas d'être d'accord tous les
Quinze, avançons.
Sans doute s'agit-il là d'un exemple de coopération renforcée négociée sur une
base intergouvernementale et effectuée en dehors du cadre défini par l'Union
européenne. C'est vrai, mais peu importe ! Le futur espace européen de justice
et de police ne peut que tirer bénéfice de l'existence d'un réseau d'accords
comme celui-ci. D'ailleurs, l'Espagne et l'Allemagne ont lancé des discussions
en vue de conclure un accord similaire d'ici à mai prochain.
Les Espagnols ont également exprimé le souhait de mener une même réflexion
avec la France. Vous vous êtes rendue récemment, madame le garde des sceaux, à
Madrid. Pouvez-vous nous dire si le Gouvernement est favorable à la signature
d'un traité de même nature entre la France et l'Espagne dans de brefs délais ?
La question est de savoir si la France peut se tenir à l'écart de la dynamique
lancée par le gouvernement espagnol, alors même qu'elle se veut solidaire face
au terrorisme aveugle qui frappe le peuple espagnol.
Plus largement, pourquoi la France ne prendrait-elle pas des initiatives en la
matière ? Car, en définitive, ce qui compte, c'est le surcroît de sécurité pour
le citoyen. Il ne convient pas d'avoir un esprit de système, mais de recourir
au moyen le plus efficace dans l'instant.
Pour conclure, je souligne que les parlements nationaux ont un rôle important
à jouer, peut-être de plus en plus important, si nous voulons réconcilier
l'Europe avec la base. Ils doivent être pleinement associés à cette
construction de l'Europe de la justice, qui a besoin de la légitimité dont ils
sont dépositaires en matière de droit des personnes, de leur représentativité
et de leur expérience de législateur. Le protocole annexé au traité d'Amsterdam
leur a reconnu une place particulière.
Mais il faudrait aller beaucoup plus loin pour réveiller en quelque sorte « le
pacte démocratique » sur lequel repose la justice.
La réflexion sur le rôle des parlements nationaux, telle qu'elle a été
consacrée à Nice, devrait concerner aussi ces matières qui touchent directement
aux droits des citoyens. Ce sont des matières extrêmement sensibles qui
concernent, je le répète, les préoccupations quotidiennes de nos concitoyens et
pour lesquelles les parlementaires nationaux ont une expertise que nul ne peut
leur contester. Il est donc souhaitable que nous intervenions pas seulement au
stade de la ratification, mais dès le début de la réflexion, très en avant.
C'est pour cette raison que nous avions engagé ce débat aujourd'hui.
C'est en cela que l'idée d'une convention, comme l'a rappelé à l'instant notre
collègue M. Fauchon et comme le suggère le texte de la commission des lois, me
paraît particulièrement pertinente, à condition que l'on ne reproduise pas tel
quel le modèle utilisé pour la rédaction de la Charte mais qu'on s'en inspire
et qu'on adapte cette structure de sorte que les parlements nationaux soient
impliqués dès le début du processus sans être aucunement dessaisis.
Sous cette réserve, je crois qu'une structure inspirée de la Convention peut
être extrêmement utile pour conduire la réflexion dans le sens de l'unification
des droits pénaux pour les formes graves de la criminalité transfrontalière.
Soyons clairs : il ne s'agit pas d'élaborer un code pénal européen. Ce n'est
pas cela qui compte. Pour un certain nombre d'infractions, il faudrait
peut-être avoir un corpus juridique non pas identique, mais commun. En effet,
conformément au principe de subsidiarité, c'est en ce domaine que l'Europe a un
rôle à jouer.
La construction d'une Europe judiciaire, à la fois efficace, légitime et
responsable suppose donc du discernement et de la volonté pour combler les
lacunes et faire disparaître les verrous.
Je souhaite, pour ma part, que ce débat serve à relancer l'Europe de la
justice, à laquelle le Sénat est si fortement attaché, parce qu'elle traduit
les aspirations de nos concitoyens, et que vous preniez, madame le garde des
sceaux, un certain nombre d'engagements aujourd'hui devant le Sénat au nom du
Gouvernement.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je
souhaiterais présenter, au nom du groupe communiste républicain et citoyen,
quelques remarques sur la proposition de résolution relative à la création
d'Eurojust, et modifiée par la commission des lois.
Qu'est-ce qu'Eurojust ? Si l'on se réfère au Conseil européen de Tampere, il
s'agit d'une « entité composée de procureurs, de magistrats ou d'officiers de
police ayant des compétences ou d'officiers de police ayant des compétences
équivalentes détachés par chaque Etat membre ». Son rôle, plus particulièrement
défini par l'article 31 du traité de Nice, vise à renforcer la coopération des
Etats en matière pénale en assurant la coordination des poursuites et des
enquêtes et en facilitant l'exécution des commissions rogatoires.
C'est un sujet sensible donc puisqu'il s'agit de la création de l'Europe
judiciaire et il mériterait des discussions approfondies. Mais onn a un peu
l'impression d'intervenir de façon décalée par rapport aux débats en cours au
sein de l'Union européenne.
D'abord, nous discutons de la création d'une entité qui existe potentiellement
depuis l'entrée en vigueur, le 1er mars, de l'entité provisoire « pro-Eurojust
», sur laquelle le Parlement français n'a pas eu à se prononcer.
Ensuite, on peut se demander si la conception qui préside à Eurojust n'est pas
d'ores et déjà dépassée dès lors que les débats en cours au niveau européen
tournent autour de la création d'un ministère public européen. Et la volonté de
notre rapporteur d'intégrer cet aspect dans la proposition de résolution me
conforte dans l'idée que la question est déjà largement entamée, sinon
tranchée.
Dans ce contexte, il n'est pas sain que se perpétue le flou autour de la
question de l'Europe judiciaire : instrument de coopération judiciaire ou
ballon d'essai vers un espace judiciaire intégré. Cette question devra être
clairement tranchée.
La différence de conception qui préside aux deux propositions de décision
communautaire comme les termes employés par la proposition de résolution ne
sont pas de nature à lever les ambiguïtés.
Il faudrait encore que la représentation nationale puisse débattre réellement.
Nous sommes donc très favorables à la collaboration des parlements nationaux
avec les groupes de travail proposée par notre rapporteur bien qu'il ait
affirmé que nous n'avions « rien à faire de la criminalité », ce que je
considère comme quelque peu offensant.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Fauchon
ne peut pas avoir été offensant !
Mme Nicole Borvo.
Je suis donc d'accord pour que le Parlement soit associé à la réflexion sur le
fait de savoir comment amplifier les règles communes.
Ces incertitudes ne sont pas en tous cas de nature à dissiper nos inquiétudes
sur la façon dont se construit l'espace « de liberté, de sécurité et de justice
» voulu par le sommet de Tampere d'octobre 1999 et auquel le sommet de Nice a
donné une base juridique.
Qu'il faille intensifier la lutte contre les formes de criminalité grave,
c'est évident, monsieur le rapporteur. Que la disparité de nos règles de fond
et de procédures soit un handicap, nul ne le conteste.
Encore faut-il réfléchir sur les moyens de parvenir à un espace européen plus
uni et plus cohérent. La réflexion ne se limite d'ailleurs pas au champ du
pénal, comme cela a été dit, même si les initiatives en matière civile - je
pense notamment aux divorces des binationaux - et commerciale semblent plus
aisées.
Cet objectif nous semble passer prioritairement par une intensification et une
meilleure articulation des procédures de coopération et d'entraide pénale.
C'est ensuite sur une harmonisation de nos droits, qui respecterait également
les traditions juridiques de chaque Etat membre, préalable, nous semble-t-il,
nécessaire, qu'il s'agit de concentrer nos efforts avant même de réfléchir à la
définition d'un droit pénal communautaire, peu compatible avec le principe de
subsidiarité.
Par ailleurs, il nous semble absolument impossible d'aller plus loin dans la
communautarisation sans évoquer la nécessaire démocratisation des institutions
européennes pour permettre un contrôle citoyen réel.
Or, sur le terrain de l'Europe judiciaire, force est de constater que les
exemples ne sont guère probants. Je pense, en particulier, à la situation
d'Europol qui se développe sans contrôle effectif, ce qui n'empêche pas que
l'on envisage d'accroître largement ses compétences. J'ai en mémoire les
conclusions du conseil justice et affaires intérieures de septembre dernier.
Je sais que certains voient dans le développement d'Eurojust une garantie pour
les droits et libertés des individus, une sorte non pas de pendant, mais de «
contrepoids » ou d'« encadrement judiciaire » d'Europol. Telle est notamment la
position de Mme Mireille Delmas-Marty qui exprimait ses craintes en ces termes
: « On préfère, au nom de l'efficacité, privilégier le développement de la
police au niveau européen au travers d'Europol plutôt que celui de la justice
chargée de surveiller la police. »
Mais cet objectif présuppose une légitimité démocratique de l'organe de
contrôle. Or les modalités de désignation des membres d'Eurojust ne présentent
pas cette garantie, quand bien même il s'agirait d'une « entité juridique
autonome et collégiale », comme le prévoit le texte qui nous est soumis. Les
propositions actuellement en cours à la Commission européenne ne nous satisfont
pas non plus : sur ce point, nous partageons entièrement les réticences
exprimées par notre collègue M. Haenel sur la question de la responsabilité et
de la légitimité d'un nouvel organe communautaire.
Pour finir, c'est à la conception même de cet espace européen de liberté que
je souhaiterais me référer.
L'espace européen s'est construit et se construit toujours sur la base du
contrôle aux frontières, d'une fermeture aux extra-communautaires, d'ailleurs
largement inefficace à enrayer la criminalité transfrontière, qu'il s'agisse du
terrorisme, du trafic de drogues ou des filières d'immigration clandestine.
Cette politique des contrôles fondée sur des logiques contestables favorisant
les discours sécuritaires, les législations discriminatoires, les dérives
policières et les menaces pour le régime des libertés individuelles perdure.
Dans son bilan de la politique française de l'asile de ce mois, le
Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés rappelle que cette
politique est particulièrement mise à mal à la suite du renforcement des
mesures restreignant l'entrée sur le territoire décidées par les gouvernements
de l'Union européenne : présence policière renforcée aux frontières, contrôle
des compagnies aériennes et sanctions contre les transporteurs.
Selon moi, à défaut d'intégrer une autre logique, Eurojust risque, à terme, de
ne servir que de caution pseudo-démocratique à cette Europe sécuritaire que
nous continuerons toujours de refuser.
Au vu de ces remarques, nous choisirons de nous abstenir sur la proposition de
résolution modifiée par la commission des lois.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
C'est un pas
en avant !
M. le président.
La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, alors
que la libre circulation des personnes et des biens est sans cesse facilitée
sur le territoire européen et que les frontières européennes s'atténuent
largement dans tous les domaines avec le développement des nouvelles
technologies, des réseaux d'information et des réseaux financiers, la
criminalité organisée transfrontalière profite, elle, de ces facilités.
Aujourd'hui plus encore qu'auparavant il s'avère nécesaire d'empêcher le
développement de cette criminalité organisée multiforme et de combler les
failles entre les systèmes juridiques nationaux, car les organisations
criminelles les utilisent pour commettre leurs délits en toute impunité ou pour
échapper aux poursuites.
Nous devons adopter une stratégie radicalement nouvelle, consistant à
coordonner les efforts pour l'instant encore disparates et dispersés afin de
combattre et de prévenir la criminalité et le développement de ces
organisations criminelles sur l'ensemble du territoire des Etats membres.
Dans cet objectif, nous ne pouvons qu'être satisfaits de l'initiative prise
par le Sénat, à travers les propositions de résolutions de MM. Haenel et
Fauchon, de débattre de la création de l'unité Eurojust, qui devrait se
consacrer à renforcer la coopération judiciaire dans la lutte contre la
criminalité organisée.
La lutte contre la criminalité organisée est, en effet, un sujet essentiel
pour les citoyens européens.
D'abord, au-delà de ses conséquences sécuritaires et économiques, elle fait
courir des risques à la démocratie. Nous estimons que la construction d'un
espace judiciaire européen participe directement au renforcement de la
démocratie sur le territoire européen.
Ensuite, la décision des Etats membres de créer l'unité Eurojust répond à la
nécessité de donner des gages concrets de la volonté de l'Union européenne de
s'investir dans cette lutte et participe - c'est important - à la visibilité de
l'action de l'Union, tant exigée par ses citoyens.
La présidence française a d'ailleurs bien défini son action selon cette double
exigence. On ne peut que se féliciter de la détermination de la présidence
française, non seulement à dégager un accord sur la création d'Eurojust, mais
aussi à l'inscrire dans le traité de Nice, qui consacre l'importance de
l'entraide judiciaire pénale concernant les personnes, et à convaincre les
Etats membres de mettre au plus vite en place l'Unité provisoire avant
l'adoption de son instrument juridique définitif. C'est d'ailleurs chose faite
depuis le 1er mars.
Cette mise en place précoce permettra d'avoir, me semble-t-il, parallèlement à
la négociation de l'unité définitive qui devrait s'achever avant la fin de
l'année, une première idée des avantages du travail de cette unité, mais aussi
des problèmes et des obstacles que les magistrats qui y sont détachés
pourraient rencontrer dans leurs missions.
Il va sans dire que nous souhaitons donner le maximum de compétences à
Eurojust afin que l'action de cette unité soit cohérente et efficace et qu'elle
puisse devenir un véritable moteur de la lutte contre la criminalité
transnationale.
Nous estimons qu'Eurojust doit pouvoir contribuer à combattre la criminalité
organisée sous toutes ses formes : criminalité économique et financière, y
compris la fraude, falsification monétaire, mais aussi terrorisme, trafic de
drogue, traite des êtres humains, prostitution, exploitation sexuelle des
enfants, criminalité informatique, ainsi que criminalité environnementale.
Eurojust devra non seulement améliorer l'entraide judiciaire entre les Etats
membres, mais aussi apporter son concours dans les enquêtes et favoriser les
tâches de contrôle judiciaire dans les missions opérationnelles conjointes,
soutenues notamment par Europol.
Eurojust devrait essentiellement devenir un organe d'appui aux actions
transnationales, les autorités judiciaires nationales conservant la haute main
sur ces actions. En d'autres termes, ses missions viseront à mieux coordonner
les capacités humaines et matérielles mises à disposition par les Etats
membres.
Réduction des délais des procédures et renforcement des pouvoirs de
coopération et de coordination, ainsi que des relations directes entre les
juges, telle pourrait être la valeur ajoutée de cette unité.
Eurojust devrait faciliter la mise en oeuvre de la nouvelle convention
d'entraide en matière pénale, notamment en ce qui concerne la transmission
directe des demandes d'entraide et l'obtention des preuves.
Il ne faudrait pas oublier que la création d'Eurojust vient compléter les
efforts déjà engagés en matière d'entraide judiciaire pénale.
Eurojust sera le partenaire judiciaire d'Europol et un interlocuteur
judiciaire pour l'OLAF, l'Office de lutte anti-fraude.
Ses missions devraient, de façon notable, dynamiser le réseau judiciaire
européen et le travail des magistrats de liaison.
Parallèlement, il faudra, bien sûr, veiller à ce que le programme adopté sous
présidence française pour la reconnaissance mutuelle des décisions en matière
pénale soit appliqué, en particulier sur le plan de la reconnaissance et de
l'exécution de la décision prise par le tribunal de l'Etat demandeur, mais
aussi en matière de saisine des avoirs et d'obtention des preuves.
Il faudra également poursuivre nos efforts dans le rapprochement des
législations des Etats membres afin de réduire et éliminer progressivement les
différences entre les traditions et les cultures juridiques et judiciaires des
Etats membres qui peuvent faire obstacle à une coopération réellement
efficace.
Pour les Etats membres, il s'agit de créer non pas un parquet européen mais un
instrument de coopération qui sera le pendant judiciaire d'Europol. Eurojust
est d'abord une coopération renforcée, de type intergouvernemental.
L'institution d'un ministère public européen ne nous semble pas à l'heure
actuelle réalisable, même si nous estimons qu'il doit constituer une
perspective à long terme. Rien ne nous empêche aujourd'hui d'étudier
concrètement et précisément les conditions de réalisation d'un tel projet dans
des domaines limités.
Combien de temps, mes chers collègues, a-t-il fallu pour créer une force
européenne en matière de défense fondée sur les capacités nationales des Etats
membres ? Combien d'années faudra-t-il encore pour que les Etats acceptent de
constituer une défense commune ?
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour le Sénat pour l'Union européenne.
Quand
il y aura le feu !
M. Simon Sutour.
Le cheminement et les conséquences en termes de prérogatives nationales pour
la constitution d'un espace judiciaire commun sont du même ordre,
singulièrement similaires.
Nous serons attentifs à ce que pourrait devenir cet organe de coopération, qui
va permettre de passer d'une approche nationale à une approche européenne de la
coopération judiciaire en matière pénale. La présidence suédoise a justement
souligné que c'est uniquement par une interaction étroite entre les mesures
nationales et européennes qu'il sera possible d'instaurer un espace de liberté,
de sécurité et de justice.
Il est du devoir des Etats membres, aujourd'hui, de lever les obstacles qui
subsistent pour véritablement instituer la liberté de faire justice. Avec
Eurojust, nous faisons un pas supplémentaire vers la conception d'une
territorialité européenne en matière de justice pénale, mais d'un espace fondé
sur la coopération et la coordination.
Pour conclure, je dirai que nous concevons Eurojust comme un rouage essentiel
dans la coordination des actions des justices nationales de lutte contre la
criminalité organisée et comme la réponse à l'exigence d'un rééquilibrage entre
la coopération policière et la coopération judiciaire au sein de l'Union
européenne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Simon Sutour.
C'est selon cette conception et dans l'espoir qu'Eurojust réponde à ces
attentes que le groupe socialiste votera la proposition de résolution telle
qu'elle a été adoptée par la commission des lois sur la base de l'excellent
travail réalisé au sein de la délégation pour l'Union européenne.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne,
mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat intervient à un moment
particulièrement opportun. Je remercie M. Fauchon, M. Haenel, ainsi que toute
la délégation d'avoir initié ce débat et élaboré cette proposition de
résolution. Nous avons en effet souvent l'impression de travailler très
discrètement au niveau européen. Grâce à vous, ce dossier est aujourd'hui mis à
la connaissance de l'ensemble de nos concitoyens.
Voilà trois mois, la présidence française de l'Union européenne s'achevait par
le Conseil européen de Nice, deux semaines après le dernier conseil des
ministres de la justice et des affaires intérieures de l'Union, que j'ai eu
l'honneur de coprésider avec mon collègue Daniel Vaillant ; Eurojust, a alors -
enfin ! - intégré le traité.
Dans l'accomplissement de notre présidence dans le domaine de la justice, une
grande partie du travail avait bien entendu été effectuée avant mon arrivée à
la chancellerie, sous l'autorité d'Elisabeth Guigou, qui en avait lancé la
préparation dès 1998. En effet, elle l'avait fait cette année-là en présidant
un important séminaire sur l'espace judiciaire européen, dont les conclusions
ont été reprises, pour l'essentiel, comme priorités pour la présidence
française, après avoir été retenues par le Conseil européen de Tampere, en
octobre 1999.
Je crois donc pouvoir affirmer que la présidence française a marqué des
avancées décisives en matière de coopération judiciaire, et c'est à la
consécration de ces avancées que je me suis attachée.
C'est dire à quel point la proposition de résolution déposée par M. Haenel -
qui, par sa connaissance des questions judiciaires européennes, fait autorité -
proposition déposée, au nom de la délégation pour l'Union européenne du Sénat,
sur la création d'Eurojust est particulièrement bienvenue. Elle a été
remarquablement présentée par M. Fauchon, que je tiens à féliciter pour son
rapport, lequel, je le sais, a été nourri par de nombreux contacts avec des
praticiens. Il a d'ailleurs laissé volontairement ouverts un certain nombre de
chantiers, ce qui signifie que nous nous retrouverons très bientôt pour achever
le travail commencé aujourd'hui.
En ce moment, l'unité provisoire qui préfigure Eurojust depuis le 1er mars
dernier - l'unité Pro-Eurojust - commence à travailler ; je m'en suis rendue
compte moi-même en me rendant dans ses locaux, le 15 mars dernier. La
négociation de la décision qui instaurera l'unité définitive doit s'accélérer,
puisque le Conseil européen de Tampere a fixé la fin de 2001 comme date butoir
pour l'adoption de celle-ci.
Où en est-on précisément et que pouvons-nous attendre d'Eurojust ? Telles sont
les questions que nous devons aujourd'hui nous poser.
Où en est-on précisément ?
L'exposé des motifs de la proposition de résolution rappelle très
opportunément le déroulement récent de cette négociation. Aussi voudrais-je
partir d'un peu plus loin pour faire ressortir la cohérence du projet Eurojust
avec les positions prises par la France depuis sa précédente présidence de 1995
et les résultats qui ont été atteints.
Souvenons-nous de l'appel de Genève, qui, dès octobre 1996, affirmait la
nécessité d'un espace judiciaire européen dans le domaine pénal.
Ce texte, auquel devaient souscrire par la suite des centaines de magistrats
européens, réclamait notamment l'abolition du protectionnisme judiciaire et
policier et l'instauration d'un espace au sein duquel les magistrats
pourraient, sans limitations autres que celles de l'état de droit, rechercher
et échanger les informations utiles aux enquêtes en cours.
Depuis lors, la mise en oeuvre effective des accords de Schengen signés en
1985, utilement complétés par la convention d'application de 1990, qui a créé
l'espace Schengen, avec le mécanisme d'échange d'informations du système
d'information Schengen, le SIS, qui fait désormais partie - nous le savons,
nous, mais il est insuffisamment connu - de l'acquis de l'Union européenne,
facilite au maximum le circuit d'informations entre les systèmes judiciaires
nationaux. Le travail en direct entre les magistrats des pays relevant de
l'espace Schengen est devenu une réalité, qui s'amplifie encore avec sa mise en
oeuvre toute récente dans les pays nordiques.
Les ministres de la justice et des affaires intérieures ont ainsi fait leur la
demande des juges de pouvoir mieux travailler ensemble. C'est devenu un
objectif essentiel de la négociation au sein des conseils Justice et Affaires
intérieures de l'Union ; je peux en témoigner pour ce qui concerne le
dernier.
Le tissu conventionnel s'est étoffé, même si, comme on l'a souvent relevé dans
cette enceinte, il reste largement à appliquer. Je voudrais citer les
conventions d'extradition de 1995 et de 1996 et la nouvelle convention
d'entraide judiciaire pénale de 2000.
Cette dernière convention, en permettant l'exécution des demandes d'entraide
judiciaire selon le droit de l'Etat requis et en prévoyant la mise en place
d'équipes communes d'enquête, va bouleverser les pratiques de l'entraide
répressive et lui donner une efficacité et une fluidité bien supérieure.
Le projet Eurojust s'inscrit donc dans un mouvement qui vise à obtenir une
véritable coordination de l'action publique européenne, en permettant ainsi de
rendre plus cohérent et plus efficace le travail des magistrats en Europe.
L'unité provisoire Eurojust a déjà commencé à accomplir cette mission. Son
expérience doit contribuer à nourrir la négociation de l'unité définitive, qui
doit exister dès l'année prochaine.
C'est d'ailleurs ce que précise expressément la décision du conseil du 14
décembre 2000, qui institue l'unité provisoire de coopération judiciaire
Eurojust.
C'est pour cela que la présidence française a voulu qu'Eurojust soit inscrite
dans le traité sur l'Union européenne, comme instrument essentiel de cette
coopération judiciaire en Europe. C'est ce que nous avons obtenu avec une
grande satisfaction, car la coopération judiciaire est ainsi placée au niveau
juridique communautaire le plus haut et rattrape, sur ce plan, le retard pris
sur la coopération policière, l'Office européen de police, Europol, ayant été
inscrit dans le traité sur l'Union européenne dès Maastricht.
Désormais, la mention d'Eurojust figure aux articles 29 et 31 du traité sur
l'Union européenne, modifiés par le traité de Nice.
Je crois important de rappeler que les débats n'ont pas toujours été faciles.
Mais je pense que nous saurons ensemble tirer les leçons d'une négociation qui
nous a sûrement permis de mieux comprendre l'attitude de tel ou tel Etat, point
sur lequel M. Fauchon, notamment, a fait part tout à l'heure de ses
interrogations. Nous avons peut-être plus appris au cours de cette négociation
que jamais auparavant quant aux raisons profondes de l'opposition ou de la
réserve de certains pays.
Que pouvons-nous attendre d'Eurojust ?
Je ne pense pas que la négociation de l'instrument créant l'unité définitive
aboutisse à un parquet européen, ou à quelque chose qui puisse être considéré
comme un parquet européen.
En effet, ce nouvel organe s'inscrit en cohérence avec les mécanismes de
coopération déjà existants : les magistrats de liaison, dont vous avez rappelé
l'efficacité, et le réseau judiciaire européen.
Pour ce qui est des magistrats de liaison, il s'agit d'une idée française, que
nous avons mise en application dès 1993 avec l'Italie. L'expérience s'avéra si
fructueuse qu'elle s'est poursuivie avec les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Espagne,
la République tchèque, le Royaume-Uni, et qu'elle a fait l'objet d'un
instrument juridique européen : l'action commune du 22 avril 1996, qui donne un
cadre juridique auquel peut se référer désormais chacun des Etats de l'Union,
comme viennent de le faire l'Italie et l'Espagne en s'échangeant des magistrats
de liaison.
Les magistrats de liaison restent un cadre de coopération bilatérale, ce qui
n'est pas le cas du réseau judiciaire européen, cadre multilatéral mis en
oeuvre par un instrument du Conseil des ministres du 29 mai 2000.
Ce réseau, en fait, constitue un maillage de toute l'Europe judiciaire pénale,
en veille 24 heures sur 24, qui permet à chaque magistrat d'un pays de l'Union
d'avoir un interlocuteur direct, s'il le souhaite, par exemple chaque fois
qu'une commission rogatoire pose des problèmes ou qu'une procédure
d'extradition ne fonctionne pas.
Il s'agit d'un dialogue en direct, qui évite le cheminement par les autorités
centrales. Bientôt, le réseau sera appuyé par un système de communications
cryptées sur l'Internet. Déjà, il a édité sur cédérom toutes les informations
relatives aux procédures nationales nécessaires aux praticiens, ainsi qu'aux
compétences territoriales de toutes les autorités judiciaires européennes en
matière pénale.
L'esprit qui préside au fonctionnement du réseau judiciaire européen est une
volonté commune à tous ses membres de faire en sorte que les systèmes
judiciaires d'Europe travaillent ensemble. Dans notre pays, ce réseau compte un
représentant dans chaque cour d'appel et deux à l'administration centrale. La
tâche de ces représentants permanents est de faciliter la connexion entre la ou
les autorités judiciaires requérantes et les magistrats territorialement
compétents dans leur ressort.
Grâce au réseau, alors qu'auparavant nombre de commissions rogatoires
s'enlisaient dans l'inertie ou bien étaient retournées sans être exécutées, du
fait de difficultés juridiques inextricables liées à l'absence de dialogue
entre les justices d'Europe, des progrès très sensibles ont été accomplis. Il
en va de même dans le domaine des requêtes extraditionnelles.
J'ajoute que, pour créer, dès la période de formation des magistrats et tout
au long de leur carrière, cette culture judiciaire européenne commune et plus
de solidarité, la présidence française a conçu avec la Commission européenne
une mise en réseau de toutes les autorités ou institutions qui, comme notre
Ecole nationale de la magistrature, sont chargées de la formation des
magistrats en Europe.
L'unité Eurojust est définie par les conclusions du Conseil européen de
Tampere comme « une unité de procureurs, de magistrats ou d'officiers de police
ayant des compétences équivalentes, détachés par chaque Etat membre selon son
système juridique », comme vient de le rappeler Mme Borvo.
Deux missions lui sont assignées : contribuer à la coordination des poursuites
et apporter son concours aux enquêtes relatives aux affaires de criminalité
organisée.
Tampere indique aussi qu'Eurojust devra coopérer avec le réseau judiciaire
européen afin de simplifier l'exécution des commissions rogatoires et pourra
utiliser les analyses d'Europol.
C'est peu pour ceux qui restent sur leur faim du fait du refus opposé par les
Etats à la propositions de la Commission de créer un parquet européen, il est
vrai uniquement chargé de la lutte contre la fraude aux intérêts financiers des
Communautés - comme le souhaitait cette proposition en modifiant l'article 280
du traité sur les Communautés européennes et en créant un nouvel article 280
bis
- et non pas de la lutte contre la criminalité organisée
transnationale en général. Cette mauvaise ou insuffisante explication a quelque
peu dévié le débat par rapport à la réalité.
A ce sujet, je voudrais dire que le travail accompli depuis 1997 par les
auteurs du
corpus juris
ne doit pas occulter que la création d'un
parquet européen, même aux compétences limitées à la protection des intérêts
financiers des communautés, est une décision qui doit être prise par les chefs
d'Etat et de Gouvernement et que ceux-ci n'étaient manifestement pas prêts à
franchir ce pas à Nice.
Cela ne doit pas conduire à sous-estimer l'utilité d'une institution comme
Eurojust, qui reste un instrument de coopération, mais qui s'inscrit dans le
droit-fil de ce qui a déjà été commencé avec Schengen, les magistrats de
liaison et le réseau judiciaire européen, et qui est compétente pour toutes les
formes de criminalité organisée transnationale. Ce n'est pas du sensationnel,
cele ne fait pas les titres des journaux : c'est du concret.
Maintenant, il faut donner à Eurojust les moyens d'être efficace. Eurojust ne
doit pas être « une boîte aux lettres ». C'est pourquoi la présidence française
avait retenu comme base de travail un projet, dit « des quatre présidences » -
Portugal, France, Suède et Belgique - qui fait d'Eurojust un véritable
partenaire des autorités judiciaires pénales des pays de l'Union et des autres
structures de coopération, comme l'office Europol, l'OLAF, le réseau judiciaire
européen, les magistrats de liaison et, hors de l'Union, l'organisation
internationale de police criminelle Interpol et les offices étrangers comme la
DEA ou le FBI américains.
Pour cela, il est évident qu'Eurojust doit avoir une existence collégiale et
ne pas être une simple addition de membres. Il faut aussi qu'Eurojust ait des
moyens, des locaux. Il faut surtout qu'Eurojust ait les compétences les plus
larges possibles en matière de criminalité transnationale grave, notamment
lorsqu'elle est organisée, lorsqu'elle touche deux Etats de l'Union au moins,
particulièrement quand il s'agit de structures criminelles en réseau : le
terrorisme, le trafic de produits stupéfiants, le trafic d'êtres humains, le
blanchiment, la fraude au budget communautaire, la contrefaçon, la
cybercriminalité, par exemple, en matière de pédopornographie. Ce sont les
sujets cruciaux qui sont actuellement en cours de négociation dans le cadre du
futur instrument définitif. Ce sont aussi les sujets cruciaux que les citoyens
nous reprocheraient de ne pas traiter au niveau européen.
N'imposons pas une liste trop détaillée de missions à Eurojust : il faut lui
permettre d'être efficace contre toutes les formes de criminalité qui utilisent
la libre circulation des personnes et des biens. De toute façon,
l'établissement d'une liste crée nécessairement des exclusions.
Il faut qu'Eurojust puisse prendre des initiatives, faire des demandes aux
autorités judiciaires des Etats pour coordonner les enquêtes et améliorer la
coopération, et que celles-ci soient tenues - j'insiste sur ce terme - de lui
répondre.
Il faut qu'Eurojust permette aux autorités judiciaires nationales d'exercer un
contrôle effectif sur la coopération policière dans les Etats membres, y
compris lorsqu'elle met en oeuvre les compétences opérationnelles d'Europol. On
répondra ainsi à certaines craintes exprimées tout à l'heure.
Il faut que les magistrats nationaux siégeant à Eurojust aient des compétences
reconnues dans leurs Etats respectifs afin, notamment, de pouvoir recueillir
toutes les informations nécessaires à l'exercice de leur mission et solliciter
des actions de la part des autorités chargées de enquêtes et des poursuites :
par exemple, la participation à des équipes communes d'enquête, la définition
de stratégies d'action publique pour détruire tel ou tel réseau criminel.
Je n'ignore pas, en évoquant cette participation et cette définition de
stratégies, que nous avons, à cet égard, du travail à faire. D'ici à l'été, il
nous faudra essayer d'être encore plus convaincants que nous ne l'avons été
jusqu'à présent.
Eurojust est dans le traité de l'Union européenne : il conviendra donc de
réfléchir à sa présence dans notre code de procédure pénale.
Eurojust doit participer au dispositif d'évaluation des Etats sur leurs
capacités à accorder l'entraide judiciaire et l'extradition dans des conditions
satisfaisantes.
Au vu de son expérience pratique, Eurojust devra devenir un interlocuteur du
Conseil et de la Commission pour suggérer des améliorations du dispositif
européen de coopération pénale.
Eurojust devra également proposer des modifications des législations
nationales quand celles-ci présentent des lacunes préjudiciables à une lutte
efficace contre la criminalité organisée transnationale.
Ces derniers aspects pourraient prendre, par exemple, la forme d'une
communication annuelle au Conseil des ministres.
Je suis confiante dans le progrès que va permettre Eurojust, et je salue la
vision qui a permis la mise au travail, dans des délais inconnus jusqu'ici dans
le troisième pilier, de l'unité provisoire Eurojust, où j'ai rencontré des gens
qui n'auraient certainement pas délaissé des fonctions comme celles de chef du
parquet de Palerme, de procureur national en Belgique, de procureur général
antiterroriste en Allemagne, de procureur-chef du parquet financier de Suède,
de procureur à l'Audience nationale espagnole, de chef de service des affaires
européennes et internationales de mon ministère, pour être des « boîtes à
lettres » ou faire du « tourisme judiciaire », comme je l'ai lu quelque
part.
Ces gens-là méritent d'être pris au sérieux et d'être jugés sur pièce. Il faut
compter avec eux, travailler avec eux, les aider.
Lors de ma visite à l'unité provisoire, j'ai su que les membres de celle-ci
avaient déjà commencé à concevoir des initiatives et à traiter, dans les dix
jours de leur installation, près de vingt dossiers dans lesquels une
coordination s'imposait : une importante affaire de réseau terroriste, un vaste
trafic de subventions aux produits laitiers, un important trafic de cocaïne -
deux tonnes et demie, m'a-t-on dit - tous ces dossiers concernant directement
plusieurs Etats membres.
Ce n'est pas « l'Europe judiciaire à reculons », comme ont cru pouvoir titrer
deux journaux français. La presse des autres pays européens est, heureusement
plus positive ! Peut-être pourrait-on faire une résolution sur la traduction
obligatoire des articles de la presse européenne !
(Sourires.)
Je ne
suis pas sûre que nos journalistes aient même pris la peine d'aller rencontrer
les magistrats nationaux d'Eurojust... Je pense qu'une visite s'impose et
j'espère que nous pourrons rapidement l'organiser.
En vérité, le fait que tous ces gens-là se retrouvent plusieurs jours par
semaine avant de se retourner vers leurs collègues magistrats dans chaque Etat
est une grande avancée, le Gouvernement et votre assemblée doivent faire en
sorte qu'elle soit un progrès durable et un atout décisif dans la lutte contre
la criminalité organisée transnationale.
Ce progrès ne sera réalisé que si Europol, notamment, et l'OLAF aussi
d'ailleurs, acceptent de jouer le jeu, comme les chefs d'Etat et de
Gouvernement le leur ont demandé.
Et si, ayant épuisé toutes les possibilités de coopération, il apparaît qu'un
parquet est nécessaire, non seulement pour la protection des intérêts
financiers mais aussi pour la criminalité grave transnationale, alors, il
faudra rechercher une justice plus intégrée.
Mais surtout, ne faisons pas d'idéologie « européiste »
a priori
:
partons des réalités concrètes et utilisons les ressources de la construction
européenne !
La résolution qui vous est soumise, mesdames, messieurs les sénateurs,
constitue donc, aux yeux du Gouvernement, une contribution importante à la
prise de conscience, par l'ensemble des autorités concernées, non seulement de
l'utilité de faire fonctionner rapidement Eurojust, mais encore de doter cette
unité des moyens et des compétences nécessaires à l'exercice des missions que
lui a fixés le Conseil européen de Tampere.
J'ai noté et apprécié la volonté du président de votre délégation pour l'Union
européenne, M. Haenel, de voir la France installer des magistrats de liaison
dans tous les autres pays. Je m'y emploie et vais même au-delà, car je souhaite
voir aussi des magistrats de liaison de tous les Etats membres installés à
Paris. D'ailleurs, M. Jack Straw m'a annoncé l'installation, en mai, à Paris,
d'un magistrat britannique.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Bonne
nouvelle !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Chaque rencontre bilatérale
permet de faire le point sur l'installation ou la non-installation des
magistrats de liaison.
S'agissant des conventions sur l'extradition de 1995 et de 1996, mes services
ont achevé le texte portant sur la mise en oeuvre d'une procédure simplifiée et
rapide d'extradition. Ce texte est en cours d'examen interministériel. C'est un
moment à la fois important et délicat, mais j'espère qu'assez vite nous aurons
le plaisir de le voir en discussion.
J'ajouterai simplement, pour conclure, que votre débat de ce matin et surtout
le travail qui l'a précédé, ainsi que la qualité du rapport, vont faire avancer
ce dossier.
Je pense que, pour les jeunes de notre pays, l'Europe n'existera jamais
vraiment si le trafic des êtres humains, la criminalité organisée, les réseaux
terroristes font simplement l'objet d'une attentive observation. Il est grand
temps d'aller au-delà ! Nous devons être efficaces : nous n'avons pas le droit,
pour nos générations futures, pour notre pays, de perdre du temps.
L'Europe de la justice est une Europe essentielle : la justice est la garante
de la démocratie dans notre pays et la garante de la démocratie européenne. Le
Premier ministre a rappelé qu'un projet européen était nécessaire pour que tous
les discours sur la mondialisation trouvent une traduction concrète de nature à
apaiser l'inquiétude des citoyens : l'originalité européenne se bâtira si la
justice européenne devient enfin une réalité.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la proposition de résolution adoptée par la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.