SEANCE DU 6 FEVRIER 2001


M. le président. La parole est à M. Arnaud, auteur de la question n° 995, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Philippe Arnaud. J'ai souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur l'inquiétude grandissante, en ce début d'année, d'un nombre de magistrats et d'auxiliaires de justice. En fait, à travers cette question, ce sont les moyens de justice que j'évoque.
En refusant de se rendre aux audiences de rentrée, certains magistrats ont clairement manifesté leur légitime mécontentement ; d'autres en ont profité pour procéder à des réquisitions éloquentes sur les conditions inquiétantes dans lesquelles ils exercent leur charge.
Les récentes dispositions adoptées par le Parlement, qui constituent pour le justiciable de réelles et appréciables avancées sur le plan des libertés fondamentales, ont des répercussions majeures sur l'organisation et le travail de la justice. Or, il apparaît que ces dernières ont été insuffisamment prises en compte lors de la discussion du budget de la justice, ce qui a d'ailleurs motivé le rejet de celui-ci par la majorité sénatoriale.
Je me permettrai de rappeler que le budget de la justice pour 2001 est de l'ordre de 28 milliards de francs, ce qui ne représente qu'une progression de 3 % par rapport à 2000, alors qu'a été mise en oeuvre une profonde et lourde réforme.
En augmentant de façon significative le nombre de missions incombant aux personnels judiciaires, sans les accompagner des moyens financiers nécessaires à leur bonne exécution, le Gouvernement est venu aggraver une situation déjà fort préoccupante.
Chacun, en effet, depuis de nombreuses années déjà, s'accorde à souligner l'impuissance d'une justice, régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour dépassement de « délais raisonnables d'instance », qui s'épuise à remplir toutes ses tâches, acablée par le poids de celles-ci et perdue dans leur complexité.
En conséquence, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande de bien vouloir m'indiquer les mesures que le Gouvernement entend prendre pour pallier les insuffisances de moyens alloués à la justice afin qu'elle redevienne ce qu'elle a vocation à être, une grande priorité de l'Etat et, sur un plan plus particulier, je vous demande également si le Gouvernement entend accéder à la demande de création indispensable d'un poste de subs-titut du procureur au tribunal de grande instance d'Angoulême.
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, comprenant bien l'absence de Mme le garde des sceaux, qui doit préparer l'accueil de M. Sirven, je vous donne la parole.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Je vous remercie, monsieur le président, d'excuser Mme Lebranchu, mais, en fait, elle est actuellement retenue à l'Assemblée nationale. Vous pouvez le comprendre, vous qui y avez longtemps siégé et présidé un groupe important.
Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention de Mme le garde des sceaux sur les moyens alloués à la mise en oeuvre de la loi du 15 juin 2000.
Les questions posées par la mise en oeuvre de cette loi et les importants changements qu'elle comporte sur de nombreuses pratiques professionnelles ne doivent en aucun cas faire passer au deuxième plan les progrès que ce texte incarne, mais je vous remercie de les avoir soulignés.
En effet, cette loi étend les droits de la défense et le principe du contradictoire dans les procédures, et majore les droits essentiels des victimes, ce qui est important.
Les besoins ont été évalués et les décisions sont prises pour assurer l'application de ce texte important dans les meilleures conditions possible, même si des difficultés de mise en route ont pu être constatées ; le Gouvernement n'a d'ailleurs jamais minoré l'existence de ces difficultés. Une bonne programmation a été assurée pour les juges des libertés et de la détention et, sur les 108 postes prévus, 101 étaient pourvus au 31 décembre 2000.
Le greffe des juges des libertés et de la détention doit être assuré : 96 emplois ont été créés en 1999 et 2000 ; ils ont été pourvus.
S'agissant en deuxième lieu des effets de la juridictionnalisation de l'application des peines, la Chancellerie a évalué à soixante-dix-sept le nombre d'emplois de magistrat nécessaires et à quarante-quatre celui de greffier.
Pour permettre la pleine application de ce volet de la réforme en tenant compte des délais nécessaires à la prise de fonction de greffiers, le Gouvernement a proposé au Parlement des mesures d'adaptation temporaires devant rester en vigueur jusqu'au 16 juin 2001.
Cette décision a été prise à la suite de la remise des conclusions de l'inspection générale des services judiciaires et d'un dialogue avec les organisations syndicales et professionnelles de magistrats et de fonctionnaires, que Mme Lebranchu a rencontrées à plusieurs reprises depuis sa prise de fonctions, il y a maintenant trois mois.
Cette adpatation ne remet pas en cause l'essentiel de la réforme de l'application des peines résultant de la loi du 15 juin 2000, comme le Sénat l'a constaté les 21 novembre et 21 décembre 2000.
S'agissant enfin de la mise en oeuvre de l'appel en matière criminelle, les études d'impact de la chancellerie avaient évalué les besoins entre soixante et quatre-vingt-quatre emplois de magistrat et entre vingt-huit et trente-neuf emplois de greffier.
Enfin, quatre-vingt-cinq emplois de magistrat et cinquante-cinq emplois de greffier sont créés au titre de la loi de finances pour 2001 pour assurer le traitement des affaires dans des « délais raisonnables », au sens que donne à cette expression la Cour européenne des droits de l'homme.
Certes, nous le savons bien, un décalage existe entre postes créés et postes occupés, mais en avril, juillet et septembre 2001, les juridictions recevront, outre les cent quarante-quatre greffiers déjà évoqués, respectivement cent vingt et cent quarante greffiers, et ce compte tenu des éléments issus des accords conclus avec les organisations professionnelles.
Il s'y ajoutera deux cents magistrats qui quitteront l'Ecole nationale de la magistrature pour le terrain le 1er septembre 2001 et conforteront les moyens actuellement disponibles.
Les emplois créés sont localisés selon des critères qui tiennent compte au plus près de la réalité de la situation des juridictions à partir des données chiffrées disponibles des quatre dernières années et des tendances recensées par les chefs des cours d'appel.
Pour ce qui concerne la situation du tribunal de grande instance d'Angoulême, la charge individuelle de travail des cinq magistrats du parquet se situant en dessous de la moyenne nationale, la localisation d'un nouvel emploi dès 2001 n'apparaît pas absolument prioritaire.
La situation de ce parquet sera de nouveau étudiée avec la plus grande attention lors des prochaines localisations d'emplois de magistrat.
M. Philippe Arnaud. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne peux que difficilement me satisfaire de cette réponse, et je vous demanderai de bien vouloir transmettre à Mme le garde des sceaux les quelques réflexions que je vais formuler.
Je crois qu'il est de notoriété publique que les magistrats ont démontré leur extrême réserve et qu'ils ne sont pas habitués aux mouvements de rue et aux déclarations publiques. Or, en l'occurrence, leur cri d'alarme a été véritablement unanime : dans toutes les juridictions, les magistrats du siège et du parquet ont réagi.
Ils ont déclaré qu'ils sont aujourd'hui contraints à rendre une justice de priorité en fonction des moyens dont ils disposent et de renvoyer d'autres dossiers, d'autres affaires à des jours meilleurs.
L'amélioration de la situation du justiciable, qui découle des nouvelles dispositions qui ont été prises, est certes incontestable, je l'ai admis bien volontiers. Mais, si la justice connaît quelque dégradation dans son fonctionnement, c'est le justiciable qui en pâtit. Il est donc urgent d'intervenir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous prierai donc de rappeler à Mme le garde des sceaux que le budget de la justice, qui s'élève à 28 milliards de francs, n'est que peu de chose comparé aux 85 milliards de francs que le Gouvernement a trouvés facilement pour financer la mise en oeuvre des 35 heures et qu'il convient de trouver de toute urgence des ressources supplémentaires.
M. le président. L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Gérard Larcher, vice-président.)