SEANCE DU 6 FEVRIER 2001
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 983, adressée à M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, en juin 1999, lors de la discussion du projet
de loi portant sur la réforme des caisses d'épargne, sur proposition des
députés communistes, le Gouvernement a pris des engagements en faveur de la
création d'un pôle public financier. Ma question vise à apprécier la mise en
application de ces engagements.
Le Haut Conseil du secteur financier public et semi-public a été installé par
M. Fabius, le 4 octobre dernier. Dans son discours d'ouverture, il apparaît que
M. le ministre de l'économie et des finances, au nom du Gouvernement, substitue
à la mission d'intérêt général du pôle public une conception privée,
financière, avec pour objectif premier le profit immédiat, dans le droit-fil
d'une conception ultralibérale.
M. Fabius affirme que la Caisse des dépôts et consignations conservera un rôle
important dans la protection de l'épargne, des dépôts, dans la politique de la
ville, la lutte contre l'exclusion bancaire, le développement durable et le
soutien aux petites et moyennes entreprises. Or aucune mesure ne va dans ce
sens.
La Caisse des dépôts et consignations IXIS est née et, déjà, des alliances
capitalistiques se nouent. Je citerai l'exemple de NEXITY, premier opérateur
complet spécialisé dans l'immobilier, que ce soit en entreprises ou en
bureaux.
Le premier actionnaire est la Caisse des dépôts et consignations Equity
capital - groupe Caisse des dépôts - avec 33,5 %, le reste du capital étant
détenu par une banque américaine et par des investisseurs.
Pour avoir les moyens de mener une telle politique et des capitaux disponibles
immédiatement pour l'immobilier, la Caisse des dépôts et consignations cherche
des liquidités. Pour cela, monsieur le secrétaire d'Etat, elle n'hésite pas à
démanteler le patrimoine de la SCIC : 14 000 appartements sont un cours de
déconventionnement et seront mis en vente.
N'est-on pas en train de substituer à la logique de la mission de service
public du logement, la logique actionnariale d'un système d'investissements
privés dans l'immobilier : bureaux et entreprises !
Nous nous éloignons de ce qui semblait devoir se faire avec la loi de juin
1999, c'est-à-dire « un pôle financier structuré autour de la Caisse des dépôts
et consignations ». Le Gouvernement va mettre l'expérience de la CDC, les
hautes qualifications en matière financière de ses personnels, son savoir-faire
et ses capitaux au service d'une finance privée, antithèse absolue d'une
finance publique d'intérêt général.
Comment situez-vous la place des caisses d'épargne dans ce pôle ? Le
Gouvernement n'est-il pas en train de constituer, entre les caisses d'épargne
et la CDC, un ensemble orientant ses activités vers la finance internationale
?
Les caisses d'épargne s'éloignent de leur statut coopératif d'origine pour
emprunter les chemins de la rentabilité, les conduisant à un véritable
reniement de fonction.
Les caisses d'épargne ont racheté le Crédit foncier. Une puissance nouvelle
pouvait naître et favoriser l'accès à la propriété, souhaité par nombre de nos
concitoyens. Il s'agit bien là d'un intérêt général.
Illusion ? Impuissance ? Non ! L'absence de volonté et de décision du
Gouvernement a conduit à la baisse de moitié du produit net bancaire du Crédit
foncier de France et, aujourd'hui, les caisses d'épargne, tuant dans l'oeuf la
naissance d'un secteur nouveau d'intérêt public, annoncent un nouveau plan
social. Le choix des caisses d'épargne est totalement trahi.
En effet, le maintien des effectifs du Crédit foncier de France était l'une
des conditions de la reprise de cet établissement. Je vous rappelle les termes
des engagements pris : « Les caisses d'épargne s'engagent à garantir l'emploi
de tous les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée au
jour de l'acquisition et pour une durée de cinq ans. Les caisses d'épargne
s'engagent à garantir pour une durée de trois ans le volume de l'emploi du
Crédit foncier de France sur la base de 2 391 équivalents temps plein en
situation au 30 juin 1999. »
Monsieur le secrétaire d'Etat, les engagements pris ne sont pas tenus. Cela ne
risque-t-il pas d'entraîner un véritable affaiblissement du pôle public ? En
sera-t-il de même de l'engagement pris selon lequel il n'y aura pas, dans les
cinq ans, de cession du capital du Crédit foncier de France à d'éventuels
postulants tels que le groupe Bass, la GMAC ou le Crédit commercial de France
?
Je voudrais également, monsieur le secrétaire d'Etat - mais cela, vous le
savez -, vous rappeler que des petites et moyennes entreprises ont d'énormes
besoins pour leur développement et leur équipement. Pour 2001, elles espèrent
maintenir leur rythme de croissance et leur effort d'équipement.
De l'avis de la Banque du développement des PME, les PME prévoient cependant
un maintien de leurs intentions d'investissement en 2001. Mais des aides de la
puissance publique sont nécessaires pour atteindre cet objectif. Je pense en
particulier au commerce de détail et de gros, aux prestataires de services aux
entreprises. Là est bien le rôle d'un pôle public. Monsieur le secrétaire
d'Etat, qu'envisage le Gouvernement pour traduire dans les faits l'engagement
de créer et de faire fonctionner un véritable pôle public financier, bien
au-delà des seuls secteurs importants que je viens de citer ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à
l'artisanat et à la consommation.
Comme vous le savez, ce gouvernement est
le premier à avoir reconnu et consacré, lors du débat sur la loi relative à
l'épargne et à la sécurité financière, l'existence et le rôle original du pôle
financier public.
Ce pôle financier public s'appuie sur deux grands réseaux populaires, La Poste
et les caisses d'épargne, sur des institutions à l'expertise reconnue, la
Caisse des dépôts et consignations, le Crédit foncier de France, la Caisse
nationale de prévoyance et la Banque du développement des petites et moyennes
entreprises, la BDPME, et désormais sur une grande banque d'investissement et
de financement, CDC-IXIS.
Ces institutions sont unies par des relations anciennes et une culture
commune. Leur action s'appuie sur une dynamique forte que le Gouvernement s'est
attaché à entretenir : des liens industriels et capitalistiques solides se sont
noués entre la Caisse des dépôts et consignations et les caisses d'épargne ;
ceux qui existaient entre la CNP, La Poste et les caisses d'épargne ont été
récemment renforcés ; le Crédit foncier a trouvé un partenaire solide avec les
caisses d'épargne ; celles-ci devraient entrer bientôt de manière significative
dans CDC-Finance ; la Caisse des dépôts et la BDPME vont renforcer leurs
relations à travers la mise en commun de certains moyens dans l'esprit d'une
grande agence de développement des PME. C'est en tout cas ce que nous
souhaitons faire pour faciliter les investissements dans la création des
PME.
Le Gouvernement veille par ailleurs à placer de manière toujours plus efficace
le pôle financier public au service de la croissance, de l'emploi et de la
solidarité, conformément à sa mission. Ainsi, les moyens au service de la
création d'entreprises ont été renforcés avec la mise en place du prêt à la
création d'entreprise distribué par la BDPME. Je me suis récemment rendu en
province pour en signer deux. La hausse du taux du livret A de juillet 2000 -
la première depuis dix-neuf ans ! - a permis de redresser la collecte et
d'affecter une enveloppe de 10 milliards de francs de nouveaux prêts de la
Caisse des dépôts à des emplois d'intérêt général dans les transports
collectifs, la sécurité ou l'environnement. Le rôle de protection de la Caisse
des dépôts et consignations a été renforcé avec l'institution à son profit du
monopole des dépôts des notaires et l'établissement public sera le point
d'appui du fonds de réserve pour les retraites.
Vous le voyez, le Gouvernement a, pour le pôle financier public, structuré
autour de la Caisse des dépôts et consignations, une véritable ambition :
développer une forme importante du service public de l'épargne et du crédit.
Bien entendu, dans le domaine financier pris au sens large, d'autres
institutions comme la Banque de France, l'Agence française de développement,
les organismes de soutien au commerce extérieur sont au coeur du service
public, même s'ils ne sont pas rattachés institutionnellement au pôle financier
public.
Le Haut Conseil du secteur financier public et semi-public, installé le 4
octobre dernier par Laurent Fabius, a vocation à la fois à représenter et à
dynamiser le pôle financier public.
Ses membres sont ceux du Haut Conseil du secteur public et des personnalités
représentatives des institutions, des missions et de la vocation du pôle
financier public. La Caisse des dépôts et consignations - puisque vous avez
soulevé ce point, madame la sénatrice - y est bien représentée, par Mme
Isabelle Bouillot, ancienne directrice générale de l'établissement public et
présidente de sa filiale CDC-IXIS, filiale qui, je le confirme, est et restera
publique, comme l'avait indiqué le Gouvernement lors du vote en première
lecture à l'Assemblée nationale de la loi relative aux nouvelles régulations
économiques, dite loi NRE.
Les thèmes de réflexion du Haut Conseil seront ceux qu'il se fixera. Je crois,
au vu des convictions de son président, le député Dominique Baert, et de la
personnalité de ses membres, qu'il aura à coeur de promouvoir la mission
originale du pôle financier public, de rechercher les moyens de renforcer son
efficacité dans l'exercice de sa mission de service public et de faire des
propositions en ce sens. C'est en tout cas dans cet esprit que le Gouvernement
a souhaité qu'il travaille et conçoive, comme vous, je le pense, sa mission.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau,
Monsieur le secrétaire d'Etat, après avoir entendu votre réponse, je voudrais
formuler plusieurs remarques.
Je persiste à affirmer qu'aucun représentant de la CDC ne siègera au Haut
Conseil. Vous avez raison d'affirmer qu'y siège un représentant, mais c'est
celui de la CDC-IXIS ! Ce simple fait démontre bien une intention et confirme
mon analyse.
De surcroît, vous n'avez rien répondu sur les licenciements. Je suis obligée
de vous rappeler que le comité central d'entreprise - alors que le Crédit
foncier de France s'était engagé à garantir le volume d'emploi à 2 391
équivalents temps plein - a annoncé, le 20 novembre dernier, la mise en place
d'un plan social sur trois ans prévoyant 187 suppressions de postes dès 2001 et
surtout 71 suppressions d'emplois.
Ces 187 suppressions de postes se traduiront, certes, par un redéploiement
interne avec 130 départs et 59 embauches, mais il y aura donc bien 71
suppressions d'emplois.
Dans de telles conditions, la Caisse nationale des caisses d'épargne et de
prévoyance ne va-t-elle se révéler incapable de maintenir la pérennité du
Crédit foncier, contrairement aux engagements qui ont été pris ?
Parmi les fonctions assignées par M. Fabius au Haut Conseil figure le
renforcement des services financiers de La Poste. Ne nous acheminons-nous pas
vers une transformation en société anonyme de La Poste, ou vers l'ouverture de
son capital ou encore vers une autre forme possible ? Dans les faits, monsieur
le secrétaire d'Etat, nous quittons le domaine public, qui va sortir encore
affaibli par les exigences des capitaux privés, pour aller vers une fonction de
rentabilité.
Votre réponse ne m'a donc pas convaincue. Au contraire, elle me conforte dans
mes inquiétudes, au même titre que les salariés des établissements financiers
que j'ai cités. Le secteur public financier est orienté de façon délibérée, je
le crois, vers le secteur privé !
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