SEANCE DU 30 JANVIER 2001
DATE D'EXPIRATION
DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi
organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. About.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Nicolas About.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant
d'évoquer le fond du texte dont nous discutons aujourd'hui, j'aimerais relever
quelques singularités de notre débat.
Première singularité : l'attitude de nos collèguessocialistes,...
M. Philippe Marini.
Ils sont absents !
M. Louis de Broissia.
Il n'y en pas un seul !
M. Nicolas About,
Eh oui... qui ne sont pas parmi nous...
MM. Louis de Broissia et Hilaire Flandre.
Ils refusent le débat !
M. Nicolas About.
... sauf celui qui a accepté de rejoindre temporaiement le groupe
républicain,...
Mme Hélène Luc.
Il n'est pas socialiste !
M. Nicolas About.
... alors que, si l'on en croit leurs déclarations, ils seraient les plus
chauds défenseurs de la proposition de loi !
M. Philippe Marini.
Ils ne font rien pour la défendre !
M. Nicolas About.
Le plus étonnant est de constater que nos collègues ont quitté l'hémicycle non
pas après plusieurs jours de débat mais, et c'est là le plus triste, voire le
plus choquant, dès que le dernier orateur socialiste s'est exprimé,...
M. Louis de Broissia.
C'est une très bonne remarque ! Ils attendent la campagne municipale, monsieur
About !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et sur
certaines travées du RPR.)
M. Nicolas About.
... alors même que nous n'avions pas encore débattu aussi longtemps que
l'Assemblée nationale !
Deuxième singularité, monsieur le ministre : l'attitude de votre collègue du
Gouvernement à notre égard.
En effet, jeudi dernier, M. le ministre des relations avec le Parlement - bien
sûr, il fallait que ce soit le ministre des relations avec le Parlement pour
nous traiter comme cela !
(Sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) -
a
soudain pris la peine de répondre à notre excellent et estimé collègue M. le
doyen Gélard,...
M. Henri de Raincourt.
Très estimé !
M. Nicolas About.
... et à lui seul,...
M. Louis de Broissia.
C'est vexant pour les autres !
M. Nicolas About.
... comme si les autres intervenants, y compris le premier d'entre nous, notre
rapporteur, Christian Bonnet, n'avait rien dit qui vaille la peine que le
ministre y réponde.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Nous ne sommes pas doyens !
M. Nicolas About.
Effectivement, nous ne sommes pas doyens et, assurément, l'intervention de
notre collègue, M. Gélard, était de haut niveau, comme le sont, d'ailleurs,
toutes ses interventions.
M. Louis de Broissia.
Certes !
M. Nicolas About.
Mais cela ne justifie en aucun cas que le Gouvernement, à travers la personne
du ministre des relations avec le Parlement, méprise les arguments de ceux
d'entre nous qui ne sont pas agrégés de droit.
(Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
La troisième singularité de ce débat...
(M. le ministre s'entretient avec l'un de ses conseillers.)
... Monsieur le ministre, pardonnez-moi, je vais vous laisser le temps de
terminer votre conversation, je ne voudrais pas vous déranger. Voulez-vous que
je reprenne mon propos ?... La troisième singularité de ce débat, c'est la
volonté du Gouvernement de nous culpabiliser en nous reprochant de retarder
l'examen de textes importants, en particulier celui du projet de loi
d'orientation sur la forêt.
Mais, monsieur le ministre, nous sommes prêts ! Les rapports relatifs au
projet de loi sur la forêt sont imprimés, les amendements sont déposés et la
discussion peut commencer.
Je suis bien placé pour évoquer ce sujet car vous avez également reporté
l'examen de la proposition de loi sur les sectes, dont je suis le rapporteur.
Là encore, nous sommes prêts, le rapport est déposé, les amendements aussi,
nous avons beaucoup travaillé, procédé à des auditions : alors,
qu'attendons-nous ?
Je rappelle par ailleurs que cette proposition de loi sur les sectes a été
adoptée en décembre 1999 par le Sénat, qu'il a fallu six mois pour qu'elle soit
inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et encore six mois pour
qu'elle nous revienne. Par conséquent, il n'est pas fondé de dire que nous
retardons des textes importants.
M. Paul Loridant.
Mais non !
M. Nicolas About.
Vous souhaitez dire quelque chose ?
M. Henri de Raincourt.
Il faut laisser s'exprimer la gauche !
M. Paul Loridant.
Je disais : non, vous avez raison !
M. Nicolas About.
La vérité, monsieur le ministre, c'est que vous voulez faire passer en
priorité des textes qui ne sont pas importants ou qui ne sont importants que
pour vous, et là, nous avons, c'est vrai, quelque peine à vous suivre.
Venons-en maintenant au fond de l'affaire.
Le texte qui nous est soumis tend à reporter du premier mardi d'avril au
troisième mardi de juin - vous voyez que c'est grave ! - la date d'expiration
des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
En fait, tout le monde se moque de la date retenue,...
M. Philippe Marini.
Complètement !
M. Nicolas About.
... le seul objectif étant que l'élection présidentielle soit organisée avant
les élections législatives.
En octobre, pourtant, M. le Premier ministre et M. le ministre de l'intérieur
écartaient toute modification de la date des élections...
M. Philippe Marini.
Eh oui !
M. Nicolas About.
... en considérant qu'un large accord ou un consensus était nécessaire.
En novembre, le ton avait changé.
Et l'on ose nous dire aujourd'hui que le consensus exigé existe, puisque des
personnalités éminentes de l'opposition, M. le président Valéry Giscard
d'Estaing
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)
ou M. Raymond Barre soutiennent l'opération.
(Plusieurs membres du groupe communiste républicain et citoyen quittent
l'hémicycle.)
M. Nicolas About.
Vous partez, vous aussi ?
M. Robert Bret.
Ils se rendent en commission des finances. Mais moi je reste !
M. Nicolas About.
Ah ! si M. Bret est là, l'opposition est représentée !
Monsieur le ministre, c'est bien la première fois que vous vous ralliez sans
détour aux conceptions institutionnelles de M. Raymond Barre.
En 1986, ce dernier estimait que la cohabitation devait être refusée et qu'un
Président de la République désavoué lors d'élections législatives devait
partir.
M. Louis de Broissia.
Eh bien, oui !
M. Nicolas About.
M. François Mitterrand ne l'a pas écouté.
Voilà six mois, M. Barre s'est opposé au quinquennat.
MM. Louis de Broissia et Philippe Marini.
Il avait bien raison !
M. Nicolas About.
C'est vrai ! Cela ne vous a pas arrêté. Et revoilà qu'aujourd'hui, M. Raymond
Barre lui-même, dont les conceptions institutionnelles ont le mérite d'être
claires et cohérentes, est devenu, à lui tout seul - ou presque ! - le
consensus sur lequel vous vous appuyez. Vous lui faites, monsieur le ministre,
beaucoup d'honneur. Mais je ne suis pas certain qu'il soit dupe de l'hommage
que vous lui rendez.
Puisque M. Barre est une référence dans ce débat,...
M. Louis de Broissia.
Non, pas toujours !
M. Nicolas About.
... il convient toutefois, monsieur le ministre, de l'écouter jusqu'au
bout.
Plus modeste que le Gouvernement, il écrivait, en effet, dans l'exposé des
motifs de sa proposition de loi : « L'on peut être favorable ou hostile à cette
idée » - il parle de l'inversion du calendrier électoral - « et les deux
positions, même si notre préférence va plutôt à la première, sont
a priori
également dignes, respectables et peuvent se prévaloir de forts arguments.
»
M. Philippe Marini.
C'est vrai.
M. Nicolas About.
Ainsi, monsieur le ministre, M. Barre nous invite au débat alors que le
Gouvernement entend nous faire voter un texte dans la précipitation en évitant
surtout d'aller au fond.
M. Philippe Marini.
M. Barre a bien raison.
M. Nicolas About.
Cette attitude dénote, monsieur le ministre, une curieuse conception des
droits du Parlement !
Ce gouvernement ne manque pas une occasion de se vanter d'être plus
respectueux que ses prédécesseurs à l'égard du Parlement. Mais, monsieur le
ministre, il ne suffit pas de ne pas recourir à l'article 49-3 de la
Constitution pour pouvoir se targuer de respecter pleinement le Parlement ! En
effet, vous ne vous êtes pas privés d'utiliser le vote bloqué et vous êtes en
train de devenir les champions toutes catégories de l'examen en urgence des
projets de loi.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Ce gouvernement n'est d'ailleurs pas très à l'aise sur la question des droits
du Parlement. Il défend, en effet, l'inversion du calendrier électoral au nom
de la logique des institutions de la Ve République qui voudrait que le
Président de la République façonne une majorité parlementaire pour le
soutenir.
Mais, dans le même temps, face à ses partenaires qui s'opposent à cette
conception présidentialiste, le Gouvernement déclare que ce n'est pas le
calendrier électoral qui détermine la nature d'un régime.
Il faut choisir ! Soit nos institutions ne peuvent fonctionner qu'avec un
Président élu avant les députés, et cela signifie que le calendrier détermine
la nature de notre régime, qui est alors de nature présidentialiste. Soit tel
n'est pas le cas, et je me demande ce que nous faisons ici, à discuter de ce
texte !
Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais m'arrêter maintenant
sur les conséquences de la proposition de loi que nous examinons.
Monsieur le ministre, vous proposez que, désormais, les législatives
commencent vers le 20 juin. Permettez-moi de vous dire que c'est une mauvaise
date. En effet, la clôture de la session devra intervenir quelques jours
seulement après que celle-ci aura débuté.
M. Hilaire Flandre.
C'est juste !
M. Nicolas About.
Sauf à renouer avec ces sessions extraordinaires...
M. Henri de Raincourt.
Ah non !
M. Nicolas About.
... que la session unique devait nous éviter.
M. Jean-Claude Carle.
Absolument !
M. Nicolas About.
C'est une mauvaise date aussi parce que la procédure budgétaire est déjà
largement engagée et qu'en cas de changement de gouvernement il faudrait la
reprendre.
Vous me direz que c'est déjà arrivé... en 1981, en 1988, en 1997.
M. Philippe Marini.
Tristes précédents !
M. Henri de Raincourt.
Justement !
M. Nicolas About.
Oui mais, comme dirait Valéry Giscard d'Estaing
(Rires sur les travées du RPR),
si l'on peut accepter qu'une législature
débute à une date peu satisfaisante en cas de dissolution, il n'est pas bon de
faire de cette date du troisième mardi de juin un principe. La date actuelle
est bonne, car elle permet la formation du Gouvernement avant que ne débute
l'élaboration de la procédure budgétaire.
On s'apercevra très vite, j'en suis sûr, que ce que vous nous proposez,
monsieur le ministre, est une erreur.
M. Hilaire Flandre.
C'est de la bouillie pour les chats !
M. Nicolas About.
Malheureusement, si le texte est voté, nous ne pourrons plus revenir en
arrière. En effet, pour revenir à la date d'avril, il faudrait, cette fois,
raccourcir la durée du mandat ou l'allonger de plus d'un ans, ce qui n'est pas
concevable.
M. Philippe Marini.
Il suffirait d'une dissolution !
M. Nicolas About.
Pourquoi pas ? Nous verrons ! Il y aura peut-être une dissolution à la date
des élections telle qu'elle était prévue.
M. Philippe Marini.
Ce n'est pas à exclure !
M. Nicolas About.
En fait, si nous voulons à nouveau changer cette date dans l'avenir, nous ne
pourrons que l'avancer un peu plus loin dans l'année.
L'idée du début du mois d'octobre, avancée par notre excellent et éminent
collègue Patrice Gélard, est sans doute séduisante. Mais une assemblée qui
vient d'être élue pourrait-elle nommer tous ses organes et examiner
immédiatement le projet de budget que le Gouvernement, s'il a changé, voudra
peut-être remanier entièrement ?
Un début de législature en octobre poserait de graves problèmes pour
l'élaboration du budget de la France, sauf à changer également les règles
constitutionnelles relatives à la discussion du projet de loi de finances.
M. Philippe Marini.
Il faut d'abord réformer l'ordonnance organique !
M. Nicolas About.
Eh oui ! Nous percevons là, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'une
des difficultés fondamentales de cette discussion. Il ne faut pas croire que
l'on peut toucher un élément de notre système institutionnel sans que cela ait
des conséquences sur l'ensemble de l'édifice. C'était vrai pour le quinquennat
; c'est vrai pour le calendrier électoral.
M. François Gerbaud.
C'est ce que disait Georges Pompidou !
M. Nicolas About.
Cette modification ne sera pas neutre, soyez-en convaincu, monsieur le
ministre.
S'il faut revoir notre système institutionnel, revoyons l'ensemble
tranquillement, sereinement, afin de conserver une cohérence indispensable.
Ainsi, en ce qui concerne les dates des élections, admettons un instant, un
très court instant, que vous ayez raison et qu'il soit préférable d'élire le
Président de la République avant les députés ; n'est-ce pas alors la date de
l'élection présidentielle qui pose problème ?
Je vous rappelle que, au début de la Ve République, le Président était élu en
décembre, tandis que les députés devaient l'être en mars. Ce calendrier donnait
toutesatisfaction. La difficulté est venue du fait qu'on n'a pas prévu de date
fixe pour l'expiration des pouvoirs du Président de la République alors qu'on a
prévu une telle date fixe pour l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée
nationale. De ce fait, le départ du général de Gaulle, puis le décès du
Président Georges Pompidou ont décalé la date de l'élection présidentielle, non
pour une seule fois, mais pour toujours.
Le problème n'est-il pas là, monsieur le ministre ? Ne devrions-nous pas
prévoir une date fixe pour l'expiration des pouvoirs du Président de la
République ? Ainsi, nous réglerions de manière définitive le problème du
calendrier. Bien sûr, un Président pourrait mourir ou démissionner, ce qui
modifierait le calendrier. Mais le calendrier ne serait modifié qu'une fois, et
non définitivement. Tout rentrerait dans l'ordre lors des élections
suivantes.
Je suis persuadé que nous pourrions trouver un consensus - un vrai, celui-là -
autour d'un système de ce type. Mais la vérité, monsieur le ministre, est que,
dans ce dossier, l'avenir de notre système institutionnel n'est pas votre
préoccupation. La seule chose qui vous importe, c'est qu'en 2002 l'élection
présidentielle ait lieu avant les élections législatives. Pour le reste, vous
vous dites sans doute qu'il sera toujours temps de reprendre la question plus
tard.
Ce faisant, monsieur le ministre, vous préférez effectivement une manoeuvre à
une véritable réflexion institutionnelle.
Il n'y a aucun précédent au texte dont nous discutons. Bien sûr, nous avons
déjà prorogé des mandats locaux, mais les assemblées locales n'ont pas
elles-mêmes prorogé leur mandat.
Dans le cas qui nous occupe, le Sénat est opposé à ce texte. Or, comme il
s'agit d'une proposition de loi, elle ne peut être soumise au peuple par
référendum.
Permettez-moi de solliciter votre attention, monsieur le ministre, sur ce
point qui me paraît très important. Ecoutez au moins cela ! Vous savez, nous
aussi, au Sénat, nous avons besoin d'être aimés et d'être un peu plus
respectés.
(Sourires, exclamations et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants ainsi que sur celles du RPR.)
Je vous demande donc seulement quinze secondes de respect pendant mon
intervention, pas une de plus : le temps d'énoncer deux phrases. Me les
accordez-vous, monsieur le ministre ?
(M. le ministre manifeste qu'il est
prêt à écouter l'orateur.)
Vraiment, je ne sais comment remercier le
Gouvernement, et M. le ministre en particulier, de me prêter quinze secondes
d'attention !
Si le Sénat est hostile au texte, si le texte ne peut être soumis au
référendum, cela signifie qu'au bout du compte l'Assemblée nationale va voter
toute seule la prolongation de la durée de son mandat.
M. Henri de Raincourt.
C'est effrayant !
M. Nicolas About.
Je savais que les députés pouvaient voir leur mandat écourté par la volonté de
l'exécutif : j'en ai fait l'expérience en 1981. Je ne savais pas que le droit
de dissolution pouvait être compensé par la possibilité, pour l'Assemblée
nationale, de voter la prolongation de la durée de son mandat.
M. Serge Vinçon.
Cela ne ressemble plus tout à fait à la démocratie !
M. Nicolas About.
Vous pouvez reprendre vos occupations, monsieur le ministre...
(Sourires
sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Je tiens aussi à rappeler quelques souvenirs, qui ne sont d'ailleurs pas si
anciens.
En 1994, il a fallu reporter la date des élections municipales de 1995. Il y
avait, dans ce cas, une véritable raison pratique au report puisque, si nous ne
l'avions pas fait, les 36 000 maires de France n'auraient eu qu'une unique
journée pour apporter leur parrainage à un candidat à l'élection
présidentielle.
Lorsque ce texte est venu devant le Sénat, on pouvait penser qu'il
recueillerait le consensus. Tel ne fut pas le cas. Souvenez-vous, mes chers
collègues, des propos de notre estimé collègue le président Allouche. J'en cite
quelques-uns : « Dans la catégorie des manoeuvres politiciennes et partisanes,
ce projet de loi est un modèle du genre. »
Il devait penser, par anticipation, au texte qui nous est soumis aujourd'hui
!
M. Allouche ajoutait : « Il est encore plus grave de constater une fois encore
que, lorsque la droite est au pouvoir, notamment avec le RPR aux commandes,
elle se sert des institutions bien plus qu'elle ne les sert, que les lois sont
faites sur mesure, non dans l'intérêt supérieur du pays, mais pour servir des
ambitions personnelles. » Quelle prémonition !
(Rires et exclamations sur
les mêmes travées.)
M. Philippe Marini.
Quelle qualité d'analyse !
M. Christian de La Malène.
Quelle perspicacité !
M. Louis de Broissia.
Merci Allouche !
M. Nicolas About.
Malheureusement, l'éloquence du président Allouche me manque.
Je dois dire, monsieur le ministre, qu'il est audacieux de tenter de justifier
le texte dont nous débattons par des considérations d'intérêt général, alors
que vos amis s'opposaient avec violence à un texte qui, lui, devait permettre
de résoudre une simple difficulté pratique.
Je dois aussi rappeler, puiqu'on fait la leçon au Sénat, que les socialistes,
sur le projet de loi reportant la date des élections municipales de 1995, ont
déposé 4 201 amendements à l'Assemblée nationale pour tenter de retarder
l'adoption d'un texte de portée purement pratique.
M. Louis de Broissia.
Si ce n'est pas de l'obstruction, ça !
M. Nicolas About.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vois que
j'ai beaucoup parlé...
(Non ! Non ! sur les mêmes travées.)
M. Philippe Marini.
C'est très intéressant ! Nous apprenons beaucoup !
M. Louis de Broissia.
C'est limpide !
M. Nicolas About.
Si vous le souhaitez, je peux repréciser certains aspects de mon propos !
(Rires sur les mêmes travées.)
Je conclurai néanmoins en disant que nous n'avons aucun complexe à nous
opposer de toutes nos forces à ce que le Gouvernement veut nous imposer. Ce
n'est pas une réforme de société, ce n'est pas un grand texte social, ce n'est
pas un texte fondateur pour notre économie ou notre fiscalité. En bref, ce
n'est pas un texte important pour les citoyens ; il ne l'est que pour l'un
d'entre eux.
M. Jean-Claude Carle.
Un nom !
M. Nicolas About.
Monsieur le ministre, le Sénat de la République n'a pas l'habitude de
légiférer au bénéfice d'un seul des citoyens français, fût-il le Premier
ministre.
M. Hilaire Flandre.
Voilà qui est précis !
M. Nicolas About.
Nous nous opposerons donc sereinement, fermement et fièrement au texte qui
nous est soumis.
(Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte
dont l'examen nous réunit aujourd'hui nous est présenté comme essentiel au
regard du devenir de nos institutions. La modification technique qui en
constitue l'objet éviterait, paraît-il, de nombreux dysfonctionnements dans
l'avenir.
Ceux qui, hier, fustigeaient la dérive présidentielle du régime et se
faisaient les apôtres d'une lecture plus parlementaire de notre Constitution
ont soudainement, en vertu de considérations purement politiciennes et
électoralistes, procédé à un véritable revirement de position et invoquent
désormais l'« esprit de la Constitution ».
N'est-ce pas mettre à mal, bien entendu sans le dire ouvertement, la doctrine
gaulliste de la Ve République que de prétendre que des élections législatives
antérieures à l'élection présidentielle affaibliraient le rôle du Président
?
Notre collègue Alain Joyandet, s'exprimant il y a quelques mois au nom de
notre groupe en faveur de la réduction du mandat présidentiel à cinq ans, avait
expliqué que cette modification majeure de notre édifice constitutionnel
correspondait, selon lui, à une vraie modernisation de la vie politique. Il
avait également indiqué que, si des modifications s'avéraient ensuite
nécessaires, il faudrait avoir la volonté et le courage d'y procéder. C'est un
grand chantier qui exige du temps.
Or ce qui nous est proposé ici n'est qu'un ajustement conjoncturel demandé par
le Gouvernement.
Ne confondons surtout pas les enjeux et les objectifs.
Lorsque le Président de la République s'est prononcé en faveur d'un
quinquennat « sec », il a souhaité donner du temps à nos institutions afin
qu'elles puissent « digérer » cette profonde mutation institutionnelle. Nous
avons appuyé cette volonté en ne votant aucune autre modification
constitutionnelle et en reconnaissant le large consensus qui, pour la première
fois, était réuni autour d'un thème délicat.
Les mentalités étaient mûres pour un tel changement. En revanche, elles ne le
sont pas aujourd'hui pour aller plus loin et voter l'inversion du calendrier
électoral, ce qui reviendrait à valider la présidentialisation du régime.
Trois des arguments invoqués pour justifier l'inversion ont, à cet égard,
retenu mon attention, et je vous démontrerai dans les développements qui vont
suivre leurs faiblesses et leurs dangers.
Le premier argument avancé par le Gouvernement consiste à soutenir que
l'actuel calendrier électoral est contraire à l'esprit de la Ve République. La
majorité plurielle nous donnerait aujourd'hui des leçons de gaullisme en nous
indiquant la lecture convenable de la Constitution !
M. Philippe Marini.
Il ne manquerait plus que ça !
M. Dominique Leclerc.
Si le sujet n'était pas si grave, cela prêterait à rire. Mais, nous le savons
tous, de tels arguments sont tout simplement indécents et ne peuvent cacher la
réalité politicienne sous-jacente. M. Jospin se moque de l'interprétation et de
l'application de notre texte fondateur, qu'il n'invoque que lorsque cela sert
ses intérêts partisans. Ses revirements de position à ce sujet sont rélévateurs
de la cuisine politicienne qu'il essaie de nous faire avaler.
M. Philippe Marini.
Elle a mauvais goût !
M. Dominique Leclerc.
Elles est surtout indigeste, et c'est à nous de le souligner ! Etant donné le
contexte politique, quel risque les échéances électorales telles qu'elles sont
actuellement définies font-elles courir au parti socialiste ? C'est que les
différentes composantes de la majorité plurielle misent sur leur représentation
à l'Assemblée nationale et affaiblissent l'actuel Premier ministre dans son
rôle de
leader
incontesté de la gauche. Les élections législatives
d'avril 2002 pourraient ainsi révéler la stagnation du parti socialiste,...
M. Philippe Marini.
C'est un aveu de faiblesse !
M. Dominique Leclerc.
... ainsi que l'émergence d'autres courants qui disputeraient le
leadership
au chef du Gouvernement. Il est donc beaucoup plus confortable, pour le
Premier ministre, de proposer une inversion du calendrier, laquelle présente le
double avantage de contraindre les différentes composantes de sa majorité à
rester solidaires et de faire taire les velléités d'émancipation des uns et des
autres. Cela permet, par la même occasion, de jeter un pavé dans la mare de
l'opposition nationale en lançant, bien avant le début de la campagne
présidentielle, une guerre des clans et en tentant de marginaliser le mouvement
gaulliste.
Cette volonté de manipuler les échéances électorales de 2002 paraît encore
plus flagrante à la lecture d'une très sérieuse étude publiée dans la revue du
parti socialiste et selon laquelle les résultats de l'analyse des différents
scrutins depuis le début de la Ve République démontrent - c'est édifiant ! -
que le parti socialiste obtiendrait toujours lors des élections présidentielles
des scores meilleurs que lors des élections législatives. Pour preuve, les
différentes élections partielles qui se sont déroulées l'année dernière ont
permis de constater une certaine remontée de la droite, la gauche ayant, elle,
connu un recul manifeste. On peut citer, comme exemple parmi d'autres de la
remontée de la droite, la victoire de notre collègue député Jean-Marie Geveaux,
qui a été brillamment élu dans le département de la Sarthe, alors qu'il avait
perdu son siège en 1997.
M. Hilaire Flandre.
C'est un bon exemple !
M. Dominique Leclerc.
Tactique et stratégie, telles sont les motivations du Premier ministre, qui,
une fois encore, bafoue les droits du Parlement en tentant d'imposer une
réforme au forceps.
Le deuxième argument des partisans de l'inversion me semble, de prime abord,
plus fondé, mais ses effets, qui sont moins visibles, n'en sont pas moins
pernicieux : il s'agirait d'une répétition, car la question du calendrier
électoral se posera immanquablement en 2007 lors du renouvellement de
l'Assemblée nationale et de l'élection du successeur du Président de la
République qui sera élu en 2002 comme lors des renouvellements ultérieurs.
Inverser aujourd'hui le calendrier électoral, comme cela nous est proposé,
éviterait que la question ne se repose alors.
L'auteur de cet argument précise que le problème se reposera en termes
identiques à moins que le Président de la République n'ait procédé, dans
l'intervalle, à la dissolution d'une assemblée qui lui serait hostile. Or, on
le sait bien, lorsque les Français élisent un Président de la République, ils
lui accordent une majorité de soutien à l'Assemblée nationale quand ils sont
consultés dans les mois qui suivent. Tel a été le cas des dissolutions de 1981
et 1988 : elles ont apporté au Président Mitterrand la majorité dont il avait
besoin pour gouverner.
Cet argument est donc particulièrement pervers parce qu'il revient à envisager
que le Président de la République, disposant d'une majorité de soutien auprès
des députés, ne pourra pas prononcer la dissolution.
Or il me semble qu'il s'agit là d'une dérive vers un régime présidentiel :
cela revient à dénier au Président de la République son pouvoir propre de
dissolution tel qu'il est défini par l'article 12 de la Constitution, pouvoir
propre qu'il peut utiliser pour mettre fin à un conflit avec l'Assemblée
nationale comme ce fut le cas en 1962, pour s'assurer de sa légitimité
populaire comme ce fut le cas en 1968, ou pour tout autre raison dont il n'a
pas à justifier comme ce fut le cas en 1997.
En effet, si l'on reprend les définitions des régimes présidentiel et
parlementaire, le premier repose sur une séparation stricte des pouvoirs sans
moyen d'action réciproque et sans collaboration entre ces pouvoirs. Le
Président de la République est élu au suffrage universel direct ou indirect, le
Parlement aussi. Ils ont donc la même légitimité. Quant au régime
parlementaire, il repose sur une séparation souple des pouvoirs avec
collaboration des pouvoirs et moyens d'action réciproques : la responsabilité
gouvernementale et la dissolution.
Dénier au Président de la République son droit de dissolution tel qu'il est
défini par le texte fondateur de la Ve République reviendrait, d'une part, à
tendre vers un régime présidentiel sans donner, d'autre part, au Gouvernement
les garanties nécessaires à sa stabilité,...
M. Louis de Broissia.
Absolument !
M. Dominique Leclerc.
... une révision en profondeur n'étant pas envisagée.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Dominique Leclerc.
Dénier au président son droit de dissolution peut aussi nous faire tendre vers
un régime d'assemblée, comme ce fut le cas dans les débuts de la IIIe
République.
Devant l'hostilité de la chambre des députés, Mac-Mahon, qui disposait du
droit de dissolution, avait appelé les Français aux urnes en prononçant la
dissolution. Ce fut durant cette fameuse campagne électorale que Gambetta,
alors
leader
du camp républicain, déclara : « Il devra se soumettre ou
se démettre. »
M. Louis de Broissia.
Très juste !
M. Dominique Leclerc.
Il se soumit dans un premier temps puis se démit dans un second temps,
lorsqu'il fut à nouveau désavoué par les Français. En 1879, il fut remplacé par
Jules Grévy, qui déclara qu'il n'utiliserait plus l'arme de la dissolution,
laquelle tomba en désuétude. Ce fut la cause majeure de l'échec de la IIIe
République et de son instabilité chronique.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques-Richard Delong.
Grévy utilisait l'arme de la Légion d'honneur !
M. Dominique Leclerc.
Les constituants de 1958, forts de l'expérience du passé et de leur volonté de
restaurer l'exécutif, ont prévu des garde-fous pour éviter que le Président ne
perde ce droit indispensable.
Rien n'interdira ainsi au Président élu en 2002 de prononcer une dissolution
s'il le souhaite, et ce avant l'échéance de 2007. N'oublions pas, mes chers
collègues, que c'était l'objectif du « quinquennat sec » : ne pas dénaturer les
armes constitutionnelles à la disposition du Président et ne pas transformer
notre Constitution en régime présidentiel.
Rien n'interdit non plus au Président Chirac de prononcer une dissolution de
l'Assemblée nationale avant les prochaines échéances électorales.
M. Philippe Marini.
Très juste !
M. Dominique Leclerc.
Eh, oui ! Les jeux ne sont pas figés, et légiférer sur le calendrier électoral
pourrait se révéler complètement inutile.
M. Philippe Marini.
Nous perdons du temps !
M. Jacques-Richard Delong.
C'est tout à fait exact !
M. Dominique Leclerc.
le Président de la République reste le maître du jeu et l'entraîner dans une
cohabitation frontale pourrait se révéler dangereux pour l'actuel gouvernement
et la majorité qui le soutient.
MM. Louis de Broissia et Jacques-Richard Delong.
Absolument !
M. Serge Vinçon.
C'est le défaut de M. Jospin !
M. Dominique Leclerc.
Troisième argument qui a été avancé et qui lui aussi doit être démonté :
l'inversion du calendrier électoral permettrait d'éviter un risque de
cohabitation.
Certes, lorsqu'un président est nouvellement élu et qu'il prononce une
dissolution, les Français, on l'a vu, ont tendance à lui accorder une majorité
de soutien à l'Assemblée nationale, mais, à l'évidence, il ne s'agit en aucun
cas d'une obligation, et ce pour deux raisons qui me semblent essentielles.
M. Philippe Marini.
Qu'il faudrait étudier très attentivement !
M. Dominique Leclerc.
L'expérience de la Ve République nous donne la première. En 1988, lorsque
François Mitterrand, nouvellement réélu à la présidence de la République, a
prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale, entraînant de ce fait de
nouvelles élections législatives, les Français ont certes donné la majorité à
l'Assemblée nationale au parti socialiste, mais celui-ci ne détenait pas la
majorité absolue.
Les commentateurs politiques et les constitutionnalistes ont alors
diagnostiqué un affaiblissement du fait majoritaire, une érosion de la
bipolarisation telle que nous la connaissions depuis 1962 : la majorité
présidentielle ne disposait plus d'une majorité de soutien homogène et forte à
l'Assemblée nationale. C'est ce qui a conduit alors Michel Rocard, Premier
ministre, à faire entrer dans le Gouvernement des personnalités issues de
milieux non politiques. Pourtant, le scrutin majoritaire avait été réintroduit
en 1986 et avait toujours permis de dégager une majorité de soutien pour le
Président de la République.
Cet exemple illustre qu'en matière de résultats électoraux on ne peut présumer
de rien !
Au-delà de ce constat, il me semble - c'est la seconde raison - que l'élection
d'un député est souvent ressentie par l'électeur, ne l'oublions pas, comme une
élection de proximité. L'électeur vote pour un homme ou pour une femme dans
lequel ou dans laquelle il se reconnaît, parfois même en dehors des clivages
politiques. On ne peut donc pas garantir que l'élection présidentielle
conditionne l'élection législative, sauf à les organiser le même jour,...
M. François Gerbaud.
C'est ce que souhaite Valéry Giscard d'Estaing !
M. Dominique Leclerc.
... ce qui reviendrait
de facto
à courir le risque d'un glissement vers
un régime présidentiel.
L'électeur ne vote donc pas automatiquement pour le mouvement politique auquel
appartient le Président de la République. Ce sera d'autant plus vrai en 2002
que nous sortirons d'une période de cinq années de cohabitation et que les
Français, même s'ils sont conscients des limites de celle-ci, ne sont pas tout
à fait opposés à cette pratique institutionnelle.
M. Philippe Marini.
Il faut les éclairer !
M. Dominique Leclerc.
C'est ce que l'on essaie de faire.
Ce qui est vrai pour l'élection des députés est encore plus vrai pour celle du
Président de la République : du fait de son élection au suffrage universel
direct, il s'agit d'un choix personnel de l'électeur, qui se prononce souvent
en fonction de la personnalité du candidat et non pas toujours, on l'a bien vu,
en fonction de son appartenance politique. Cette situation est conforme à
l'esprit de nos institutions.
M. Philippe Marini.
Absolument !
M. Dominique Leclerc.
Le Président est au-dessus des partis et il doit veiller au bon fonctionnement
des institutions.
C'était aussi la portée de la révision que nous avons votée l'an dernier :
faire en sorte que la légitimité duprésident citoyen soit confirmée plus
souvent par ses concitoyens.
Il n'est donc pas improbable que le candidat élu à la présidence de la
République le soit parce que les Français lui reconnaissent la capacité d'être
le chef de l'exécutif. Quant à leur choix d'un représentant à l'Assemblée
nationale, il n'est pas non plus, bien évidemment, automatique. Je le répète,
il n'existe pas de recette miracle qui permette à coup sûr de présager l'issue
de telle ou de telle élection.
M. Jacques-Richard Delong.
Absolument !
M. Dominique Leclerc.
Gardons-nous de jouer les apprentis sorciers et de changer des règles dans la
dernière ligne droite. Le choix appartient toujours, fort heureusement, aux
Français. Il en va de notre crédibilité et de notre honneur.
Enfin, il est aussi possible qu'une fois le Président de la République élu,
les Français se détournent des urnes, persuadés que les jeux sont faits
d'avance. Les résultats pourraient ainsi être tronqués et ne pas être conformes
aux prévisions.
Aucun des arguments avancés par les partisans de l'inversion du calendrier
électoral ne me semble donc réellement recevable. Il ne s'agit en fait que
d'une manipulation de portée électorale.
M. Jacques-Richard Delong.
Hélas !
M. Louis de Broissia.
On y arrive !
M. Dominique Leclerc.
La cohérence réside dans la seule vérité : si l'on veut changer de régime -
après tout, pourquoi pas ? - il faut le dire clairement et engager une révision
constitutionnelle, ce qui aura le mérite de permettre la réflexion sur
l'évolution de nos institutions et, surtout, de donner lieu à un véritable
débat démocratique.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Cessons donc là l'hypocrisie ! Les socialistes qui, pendant plus de vingt
ans, ont combattu la Ve République en publiant des pamphlets tels que
Le
coup d'Etat permanent
, une fois arrivés au pouvoir, en ont utilisé toutes
les facettes et ont démontré leur capacité à se servir d'un texte qui leur a
permis de gouverner sans obstacle majeur.
M. Jospin a parfaitement compris les enseignements de la présidence de
François Mitterrand et, chaque fois qu'un obstacle surgit entre lui et le
pouvoir, il n'a de cesse de le supprimer. Telle est sa volonté à l'égard de
notre assemblée, qui a l'audace de ne pas défendre les mêmes opinions que lui -
quel crime ! - et de ne pas lui offrir la majorité docile que lui apportent les
députés de la gauche plurielle. La Constitution et les règles
constitutionnelles les plus élémentaires deviennent donc ses outils au service
de l'exercice de sa politique : en la circonstance il agit non pas en fonction
de l'intérêt général, mais par rapport à son intérêt propre. Il ne peut laisser
les choses suivre leur cours, il lui faut impérativement peser sur le
déroulement des événements afin de s'assurer une potentielle victoire.
C'est ainsi que le Sénat a été qualifié d'« anomalie démocratique ».
M. Louis de Broissia.
Oh !
M. Dominique Leclerc.
Même si, parfois, certains membres du Gouvernement essaient de gommer cette
expression lorsqu'ils sont dans l'intimité d'une salle de commission, le Sénat
a bien été qualifié d'« anomalie démocratique »...
M. Louis de Broissia.
Par qui déjà ?... Un nom !
(Sourires sur les travées du RPR.)
M. Dominique Leclerc.
... puisqu'il osait s'opposer à ses réformes et que le mode de désignation des
sénateurs a été remis en cause sans que soit prise en compte la volonté
réformatrice de notre institution qui, elle-même, proposait une adaptation de
son mode de scrutin afin de prendre simplement en compte les évolutions
démographiques.
Le Conseil constitutionnel n'a cependant pas été dupe et a censuré le texte de
M. Jospin concernant la désignation des grands électeurs tel qu'il avait été
voté grâce au soutien de l'Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel
apparaît donc comme le dernier garant du respect de la Constitution ; il
remplit ainsi complètement ce rôle et s'acquitte parfaitement de sa tâche. Dans
ce rôle impartial, il est aussi critiqué. A quand la proposition de supprimer
ce dernier rempart de constitutionnalité, ce dernier garant du droit et des
libertés, ce gardien de l'égalité de tous les citoyens devant la loi ?
M. Philippe Marini.
Cela viendra !
M. Dominique Leclerc.
Effectivement !
La question a donc été posée de savoir quelle serait l'attitude du gardien de
la Constitution qui sera automatiquement consulté sur cette proposition de loi
organique.
Selon le professeur Favoreu, que la commission des lois a auditionné, le
Conseil pourrait censurer cette inversion du calendrier. En effet, le doyen
Favoreu a précisé que le juge constitutionnel serait amené à exercer un
véritable contrôle des motifs de la modification proposée. Il a ainsi récusé
l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel aurait donné, par avance, une
justification à l'inversion du calendrier dans ses recommandations du 23
juillet 2000. Il a estimé que la seule préoccupation exprimée par le Conseil, à
savoir le respect de la date limite de présentation des candidats, pouvait
parfaitement être satisfaite par une fixation de la date des élections
législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations des
candidats pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection
présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai. Il a remarqué que, le 19 décembre
2000 à l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur l'avait reconnu
explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en
conséquence, pas de motif à l'inversion du calendrier, il a fait valoir que la
seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était plutôt floue, le
contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les interlocuteurs. Il
en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement de pouvoir ». Nous
sommes donc en présence d'une sorte de coup d'Etat puisque l'on ose changer
l'ordre des élections qui concernent le Président de la République contre son
avis.
M. Philippe Marini.
C'est le coup d'Etat permanent !
M. Dominique Leclerc.
Louis Favoreu a enfin démontré que cette réforme allait contre la
jurisprudence du Conseil constitutionnel fondée sur ses décisions de 1990, de
1994 et de 1996 qui concernaient la prorogation du mandat des membres
d'assemblées locales, qu'il s'agisse de conseils municipaux, de conseils
généraux ou d'une assemblée territoriale d'outre-mer. A ces occasions, la
position du Conseil constitutionnel avait été suffisamment claire : cette
prorogation n'était possible que dans la mesure où elle favorisait la
participation des électeurs, assurait la continuité de l'administration
départementale, évitait la concomitance des élections avec une réforme sur le
statut des élus ou permettait aux électeurs d'être mieux informés sur les
conséquences de leur choix.
En effet, si l'on reprend la définition de la loi organique, telle qu'elle est
présentée dans différents manuels de droit constitutionnel, on comprend vite
que le constituant de 1958, en prévoyant cette catégorie intermédiaire entre la
loi ordinaire et la loi constitutionnelle, a souhaité que son utilisation ne
soit pas uniquement dictée par des ajustements conjoncturels. La Constitution,
au sens étroit, ne peut régler tout ce qui concerne les pouvoirs publics. La
minutie des détails risquerait de compromettre la majestée du texte et sa
pérennité. On trouve donc, à côté de la Constitution, des lois qui la
complètent, la précisent, l'adaptent.
M. Louis de Broissia.
Très jolie formulation !
M. Dominique Leclerc.
Ce sont les lois organiques.
Les lois organiques prévues par la Constitution de 1958 fournissent une bonne
illustration de cette catégorie à part dans la hiérarchie des normes : elles
permettent, je le rappelle, mes chers collègues, de compléter la Constitution,
de développer les règles d'organisation et de fonctionnement des pouvoirs.
Elles sont soumises à une procédure particulière et à une saisine automatique
du Conseil constitutionnel afin d'éviter les tentations de dérapage qui
pourraient conduire à une révision détournée de la Constitution.
M. Jacques-Richard Delong.
Ce serait affreux !
M. Dominique Leclerc.
Eh oui ! Le Conseil constitutionnel doit donc veiller à ce que le texte
constitutionnel ne soit pas dénaturé, sous prétexte de compléter ou d'éclairer
le texte de la Constitution. Il ne saurait accepter qu'une loi organique soit
motivée par d'obscurs calculs politiques.
Dans le cas présent, aucune de ces justifications techniques ne s'applique ;
la seule explication que l'on peut retenir est un choix conjoncturel délibéré
du Gouvernement. Une telle attitude n'est pas acceptable de la part des plus
hautes sphères de l'Etat. Il s'agit d'une attitude irresponsable, que nous nous
devons de condamner, surtout lorsqu'elle est déclenchée à peine un an avant les
échéances concernées... Il s'agit bien là - et vous l'avez souligné, chers
collègues - de cuisine politicienne à laquelle nous ne saurions adhérer !
(M. Louis de Broissia applaudit.)
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Dominique Leclerc.
Tous ces éléments me laissent fort dubitatif et m'incitent à m'interroger sur
la pertinence des arguments et des calculs de M. Jospin.
Pertinence des arguments : j'ai déjà démontré que les arguments
constitutionnels ne tenaient pas ; la lecture de la Constitution est ce que
l'on souhaite qu'elle soit.
M. Jospin souhaite clairement rester au pouvoir et il lui semble, étant donné
l'érosion de sa majorité plurielle, que le meilleur moyen d'y parvenir est
d'apparaître comme le seul recours et de tenir ses alliés dans une main de fer
avec l'épée de Damoclès de l'élection présidentielle au-dessus de leurs
têtes.
Ces calculs sont-ils fondés ? Absolument pas !
Tout d'abord, parce que l'on ne peut pas dire, plus d'un an avant des
échéances majeures, dans quel contexte elles se dérouleront. Je l'ai déjà dit
et je tiens à le souligner à nouveau car, à mes yeux, c'est essentiel.
Ensuite, parce que, quel que soit l'ordre dans lequel les élections auront
lieu, le candidat élu à la présidence de la République le sera à partir d'un
projet, qui ne sera pas défini entre le mois d'avril et le mois de juin. Ce
projet sera décliné dans un programme par la coalition qui aura soutenu le
vainqueur. Les élections présidentielle et législatives, quel que soit l'ordre
de leur déroulement, seront donc étroitement mêlées.
Alors, que l'élection présidentielle ait lieu avant ou après les élections
législatives ne changera rien dans les faits,...
M. Philippe Marini.
Donc, nous perdons notre temps !
M. Dominique Leclerc.
En effet ! Cela ne changera rien, disais-je, sinon que M. Jospin prouve
aujourd'hui qu'en inversant le calendrier il renforce ses chances et celles
d'autres candidats nouveaux, tout en pénalisant le Président sortant.
Affaiblir ou penser affaiblir le Président sortant, voilà bien le seul but que
cherche à atteindre le promoteur de ce coup.
M. Jacques-Richard Delong.
Bien jugé !
M. Dominique Leclerc.
On n'hésite pas, en allant contre l'avis du Président de la République qui a
ouvertement manifesté son opposition à l'inversion du calendrier électoral, à
porter atteinte à la fonction présidentielle elle-même
(M. Louis de Broissia
opine)
en réalisant un coup de force contre celui qui représente l'unité
nationale. Pour servir leur propre ambition, ils n'hésitent pas à s'attaquer au
Président de la République en tentant de le marginaliser. Rien ne peut excuser
cette démarche !
M. Philippe Marini.
Certes !
M. Dominique Leclerc.
Qu'il y ait plusieurs candidats à droite, comme à gauche, pour la
présidentielle de 2002, c'est normal, c'est même sain, mais que ceux-ci soient
prêts à porter atteinte à la fonction à laquelle ils aspirent pour affaiblir
l'homme qui l'occupe actuellement, cela n'est pas normal. Alors cessons la
langue de bois etparlons clair : arrêtons de donner l'impression que l'on
défend « l'esprit » de la Ve République alors qu'il ne s'agit que de calculs
politiques à peine cachés.
Pour conclure, je voudrais dire que je suis particulièrement et sincèrement
choqué par les moments que nous vivons depuis l'annonce de cette opération.
Comme d'autres, j'ai développé un certain nombre d'arguments. Je me suis prêté
à cet exercice qui n'est pas toujours facile. Il est bien dommage que nous ne
prenions pas le temps d'un véritable débat à l'occasion duquel les arguments
sincères des gaullistes, des présidentialistes et des parlementaristes
pourraient être démocratiquement confrontés, au grand jour, pour aménager
l'éventuelle évolution de la Constitution, et ce sans précipitation. Voilà qui
serait sûrement plus intéressant et susciterait l'intérêt général.
Au lieu de cela, nous assistons à un « coup », dans un climat de langue de
bois et de mensonge, dans le plus grand mépris de nos institutions : Président
de la République et Parlement.
Alors, oui, le Sénat est entré en résistance. Quand on est en résistance, il
faut utiliser tous les moyens que l'on a à sa disposition.
M. Philippe Marini.
Tout à fait !
M. Louis de Broissia.
Mais ils ne sont pas nombreux !
M. Dominique Leclerc.
Sur ce sujet-là et dans ces circonstances-là, nous devons rester debout.
Etant réformateur par nature, y compris pour nos institutions, je n'arrive
cependant pas à accepter les conditions dans lesquelles tout cela se
déroule.
Quel spectacle donne-t-on ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Eh oui !
M. Dominique Leclerc.
Un Premier ministre de gauche qui monte une opération contre l'avis du
Président de la République avec une partie de la droite, contre une partie de
la gauche plurielle, qui négocie déjà les contreparties de son calme
relatif,...
M. Philippe Marini.
C'est pitoyable !
M. Dominique Leclerc.
... et tout cela dans l'urgence et le camouflage. Je ne crois pas qu'on puisse
en être très fier.
J'ai entendu parler de « roulette russe »,...
M. Louis de Broissia.
Absolument ! Je confirme !
M. Dominique Leclerc.
... de « tiercé » ; je vois pour ma part, dans tout cela, une regrettable
partie de poker menteur.
(M. de Broissia applaudit.)
Ce n'est pas dans ces conditions que nous moderniserons notre vie publique et
surtout, mes chers collègues, que nous ferons revenir aux urnes tous ceux qui
les ont fuies.
M. Joseph Ostermann.
C'est bien vrai !
M. Dominique Leclerc.
Le Sénat, sur ce sujet, ne doit pas avoir peur d'expliquer à l'opinion
publique pourquoi il insiste. Les arguments ne manquent pas. Ils sont sains et
modernes.
Ce combat est noble : c'est celui du rejet des ententes contre-nature, du
refus du poker menteur, de tout ce qui fonde le rejet de la politique par nos
concitoyens.
C'est aussi la réaffirmation de notre attachement à nos institutions - y
compris de la part de ceux qui ne sont pas hostiles à une certaine évolution,
et Dieu sait si nous l'avons dit - et à celui qui les incarne. La première de
nos institutions, c'est le Président de la République.
Pour rencontrer et vivre au milieu de nos concitoyens, je suis certain que ces
derniers seront nombreux à nous rejoindre dans notre démarche.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR. - M. de Cossé-Brissac applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Delong.
M. Jacques-Richard Delong.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que
nous examinons aujourd'hui me semble un texte en trompe-l'oeil dont l'objectif
essentiel est non pas de permettre à nos institutions de retrouver un rythme
électoral « normal », comme voudraient nous le laisser croire ses partisans,
mais bel et bien de procéder à une manipulation politicienne des suffrages et
de porter atteinte de façon tortueuse à l'autorité du Président de la
République.
N'ayons pas peur des mots, ne nous cachons pas, comme le fait le Gouvernement,
derrière de pseudo-contraintes électorales : le Premier ministre et ceux qui le
soutiennent dans cette démarche essaient tout simplement de « marquer des
points » contre le Président de la République. La stratégie est limpide, même
si elle s'agite en eaux troubles : il s'agit, dans un contexte de cohabitation
qui s'essoufle, de mettre à mal l'image du chef de l'Etat, et ce au mépris,
d'une part, de la fonction qu'il occupe et, d'autre part, de la volonté
exprimée par les Français qui l'ont élu à ce poste prééminent.
Une fois cette vérité mise en évidence, tous les arguments que peuvent avancer
les uns ou les autres me semblent fallacieux, et ce pour deux raisons
essentielles : la première tient aux déclarations contradictoires du Premier
ministre sur ce sujet, la seconde tient aux justifications avancées et aux
motivations réelles.
Voyons d'abord les déclarations contradictoires.
M. Jospin se fait aujourd'hui l'apôtre de l'inversion du calendrier électoral
ou, si vous préférez, de la prolongation du mandat des députés. A ce sujet, je
vous avoue mon étonnement. Au cours de ma relativement longue vie
parlementaire, j'ai toujours vu abréger le mandat des députés ; mais c'est bien
la première fois que, par un miracle rose, je le vois s'allonger ou, tout au
moins, proposer son allongement !
M. Philippe Marini.
Utile remarque !
M. Jacques-Richard Delong.
M. le Premier ministre aurait-il la mémoire courte ?
M. Philippe Marini.
Pourquoi ne pas prolonger le mandat des sénateurs ?
(Rires.)
M. Jacques-Richard Delong.
Aurait-il oublié les propos qu'il tenait le 19 octobre dernier ? Nous nous
sommes chargés de les lui rappeler à plusieurs occasions et, comme il continue
à persister et à signer dans sa volonté de manipulation électorale, je me
charge, après beaucoup d'autres, de lui rafraîchir encore une fois la mémoire :
« Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement
politique, voire politicienne. »
M. Louis de Broissia.
Eh oui !
M. Jacques-Richard Delong.
« Moi, j'en resterai là. Et il faudrait qu'un consensus s'esquisse pour que
des initiatives puissent être prises. » Lorsqu'ils ont été prononcés, ces
propos m'ont semblé édifiants.
Mais moins de deux mois plus tard, le même Premier ministre s'exprimait en ces
termes, devant l'Assemblée nationale : « J'espère que vous serez convaincus que
le rétablissement du calendrier électoral le plus logique, celui où l'élection
présidentielle précède l'élection législative, loin d'obéir à une problématique
partisane, est la condition pour que 2002 soit le moment démocratique de
responsabilité, de débat et de choix que nos concitoyens attendent. »
Il est évident que, à partir du moment où apparaissent, dans cette longue
citation, les expressions « problématique partisane », d'une part, et « moment
démocratique de responsabilité », d'autre part, chaque citoyen conscient
devrait être convaincu que la vérité, et la vérité seule, a été dite.
Les étudiants en droit constitutionnel ou en sciences politiques qui, je
l'espère, se pencheront, dans vingt ou trente ans, sur les travaux de nos
assemblées seront bien étonnés de constater l'inconstance des dirigeants de ce
début de millénaire, qui, en l'espace de deux mois, auront pu affirmer tout et
son contraire. N'avons-nous pas là l'exemple flagrant de l'usage de la langue
de bois en politique ?
M. Philippe Marini.
C'est pitoyable !
M. Jacques-Richard Delong.
Et encore, je serais bien en peine de vous dire de quelle nature se trouve
être le bois en question !
M. Philippe Marini.
C'est pourtant un spécialiste qui parle !
(Sourires.)
M. Jacques-Richard Delong.
Merci !
Cependant, me rétorquerez-vous, M. le Premier ministre avait bien précisé
qu'il ne prendrait pas d'initiative personnelle sur ce sujet, mais que, si un
consensus se dégageait, il réviserait sa position. Alors, de quel consensus
s'agit-il ? D'un consensus politique ou d'un consensus institutionnel ?
Peut-on parler de consensus politique ?
Le Premier ministre, en défenseur des droits du Parlement, aurait ainsi voulu
signifier qu'il laisserait les parlementaires faire leur choix en leur âme et
conscience et qu'il ne briderait pas leur volonté.
Or, plusieurs propositions de loi issues de la majorité et de son opposition
ont été déposées à l'Assemblée nationale sur ce thème. Il y aurait donc un réel
consensus, et M. Jospin, en défenseur des droits du Parlement, se sentirait
investi de la mission de donner une réponse rapide à cette attente qu'il sent
sourdre au sein des députés.
La question était effectivement vitale pour l'avenir de nos institutions, et
le Premier ministre, dont on connaît le profond attachement pour les
institutions de la Ve République en faveur desquelles il a toujours milité,
aurait couru à son secours afin de ne pas engendrer les dysfonctionnements
irrémédiables auxquels nous aurions à faire face dans les années à venir.
Effectivement, le calendrier électoral, tel qu'il est prévu, a des
conséquences. Il s'agit non pas seulement de remettre les élections dans le bon
ordre pour l'année 2002, mais aussi de résoudre ce problème qui se reposera
inéluctablement dans cinq ans, puisque le mandat du Président de la République
est désormais le quinquennat. Il est donc fort étonnant que le Premier
ministre, qui agit dans l'intérêt supérieur de la France, ait fait cette
annonce non pas devant le Parlement mais devant le congrès de son parti, le 26
novembre 2000 ! Et il veut nous faire croire qu'il ne s'agit pas de décisions
partisanes, que ses motivations ne sont pas électoralistes et que c'est devant
le très large consensus qui s'est dégagé qu'il a pris cette décision, en somme
presque contraint et forcé, puisque, jusqu'à présent, il n'a pas encore dit
qu'il était candidat !
Quel zèle, alors... Quel respect de l'initiative parlementaire... L'urgence
ayant été déclarée sur ce texte, il ne sera procédé qu'à une seule lecture par
nos deux assemblées. Et, pour qu'un vrai débat ait lieu, le Gouvernement a
organisé le 19 décembre dernier, la veille de l'examen du texte devant
l'Assemblée nationale, un débat sur l'avenir de nos institutions. Histoire sans
doute de respecter les droits du Parlement !
Rarement un texte d'origine parlementaire n'aura connu un tel soutien de la
part du Gouvernement ! La preuve en est que les différentes propositions de loi
ont été déposées entre le 3 octobre et le 28 novembre 2000 ; elles ont été
inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 20 décembre 2000 et à
celui du Sénat le 16 janvier 2001. C'est une véritable course contre la montre
que joue le Gouvernement pour satisfaire les parlementaires. Nous devrions donc
lui en être reconnaissants...
Il est vrai qu'un véritable consensus a permis cette initiative, consensus
auquel le Gouvernement ne pouvait que donner satisfaction.
Le vote des députés, le 20 décembre dernier, illustre bien cet état d'esprit :
le nombre des votes « pour » s'élevait à 300, et celui des votes « contre » à
245. Les votes « pour » se répartissaient comme suit : 255 votes socialistes,
23 PRG et MDC, 25 UDF, 1 PC et 2 RPF. Les votes « contre » regroupaient 131
RPR, 43 Démocratie libérale, 31 UDF, 34 PC, 2 Verts et 4 non-inscrits. On ne
peut dire qu'il y ait absolument eu unanimité !
Quand au vote du Sénat, peu importe, puisqu'il y a consensus et que le Sénat
est une « anomalie démocratique » qui n'a pas voix au chapitre.
M. Hilaire Flandre.
Et voilà !
M. Jacques-Richard Delong.
L'urgence déclarée permettra de passer outre son refus ! Le consensus, tel que
l'entend le Gouvernement, a donc une définition bien étroite : il s'agirait de
l'accord entre le parti socialiste et certains représentants de l'opposition
nationale. On est loin de la définition retenue par
Le Robert,
qui
définit ainsi ce terme : « Accord entre plusieurs personnes ; en politique :
accord et consentement du plus grand nombre, de l'opinion ». On est loin de
cette définition puisque le consentement du Sénat ne vous est pas acquis,
monsieur le ministre, et que le seul consentement dont vous disposez est celui
de l'Assemblée nationale. Il n'y a donc pas consensus ; il ne devrait donc pas
y avoir d'inversion du calendrier.
Vous me répondrez que, en l'état actuel des forces politiques, le Sénat fait
de l'obstruction législative, qu'il empêche le Gouvernement de mettre en oeuvre
sa politique et que c'est pour cette raison que celui-ci doit recourir à la
procédure d'urgence et forcer la main de la Haute Assemblée.
Pourtant, il me semble que, à de nombreuses occasions, sur des textes
réellement importants, la Haute Assemblée a fait preuve de beaucoup d'ouverture
et qu'un terrain d'entente avait pu être trouvé : proposition de loi relative à
la contraception d'urgence, proposition de loi tendant à permettre aux
conseillers d'arrondissement de siéger au conseil d'une communauté urbaine,
proposition de loi sur l'indemnisation des condamnés reconnus innocents. Si
l'on reprend le nombre des lois promulguées lors de la précédente session, on
constate que, sur les 53 textes adoptés, 37, soit un peu plus de 70 %, l'ont
été en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce résultat
ayant été obtenu par la navette pour 30 textes et à la suite de la réunion
d'une commission mixte paritaire pour 7 textes.
S'agissant du droit d'amendement du Sénat, j'indique que 5 556 amendements ont
été déposés, dont près de la moitié a été retenue par l'Assemblée nationale.
A propos de ces exemples, on peut parler de consensus. Mais tel n'est pas le
cas du texte qui nous intéresse aujourd'hui...
Le consensus n'existe donc pas sur ce thème, ni au sein de la classe politique
ni au sein des assemblées. C'est ce constat qui a conduit Alain Juppé, le 19
décembre dernier, à déclarer ceci : « Où a-t-on vu le consensus esquissé ?
L'opposition est très majoritairement hostile à cette inversion et votre propre
majorité, si j'ai bien compris, est fortement divisée ».
Vous n'avez pas convaincu votre propre majorité plurielle et vous souhaiteriez
nous convaincre que vous agissez pour l'intérêt général, alors que vous
n'agissez que pour vos propres intérêts... Personne n'est dupe, pas même vos
alliés communistes qui, par la voix de Robert Hue, ont fortement critiqué votre
manipulation électorale de dernière minute : « Je récuse l'idée que l'inversion
du calendrier serait commandée par des raisons de cohérence ou, plus
exactement, je récuse cette prétendue cohérence. J'ai même l'impression que nos
débats sont ressentis par l'opinion publique comme des faux-semblants. J'ajoute
qu'il est singulier de voir la question du calendrier devenir subitement
essentielle, primordiale, au point de nous appeler à trancher dans la
précipitation. »
Mais peut-être ai-je mal compris la portée du consensus tel que vous
l'entendez ! Peut-être y aurait-il consensus entre le Président de la
République et le Premier ministre, comme cela a été le cas pour le projet de
loi de révision constitutionnelle !
A entendre les déclarations du président Jacques Chirac, qui ne souhaite pas
que l'on change les règles du jeu dans la dernière ligne droite, je ne le pense
pas.
Il n'y a donc aucun consensus, et le texte que nous examinons aujourd'hui
n'est qu'une dérisoire manipulation : le Gouvernement et ceux qui sont
partisans de cette inversion se moquent des institutions de la Ve République et
les agrémentent à leur guise.
Cela m'amène à mon deuxième point, à savoir les justifications techniques de
cette inversion du calendrier.
En effet, nous l'avons vu, il n'existe aucune réelle demande en faveur de
l'inversion ; il ne s'agit que d'une agrégation d'intérêts particuliers plus ou
moins clairs. Alors peut-être existe-t-il de vraies justifications
institutionnelles !
Dans ce cas, il me semble très étonnant que, d'une part, le sujet n'ait pas
été abordé lors du débat constitutionnel qui nous a tous réunis voilà quelques
mois et que, d'autre part, cette modification « majeure » fasse l'objet d'un
texte adopté à la va-vite, sans réel débat constitutionnel et sans demander
l'approbation finale du peuple, détenteur du pouvoir constituant.
Car, en fait, le choix de la date des élections législatives n'est pas anodin
: il pourrait, selon certains constitutionnalistes, avoir des conséquences sur
notre équilibre institutionnel. Opter pour le calendrier législatif tel qu'il
est conçu aujourd'hui revient à ne pas influer sur cet équilibre ; l'inverser
pourrait avoir des conséquences que l'on ne mesure pas totalement.
Souvenons-nous des paroles de Michel Debré devant le Conseil d'Etat en 1958 :
« Ni régime d'assemblée, ni régime présidentiel, la voie devant nous est
étroite, celle du régime parlementaire ». Un régime parlementaire unique en son
genre, dans lequel, pour reprendre l'expression de Michel Debré, le Président
de la République est la clé de voûte des institutions. Un régime parlementaire
que d'aucuns qualifient de régime mixte, car alliant les bases de la
responsabilité gouvernementale devant le Parlement et des pouvoirs propres du
Président de la République.
Le président de la Ve République est un président fort, notre pratique
constitutionnelle l'a démontré : c'est un président fort en période de
concordance des majorités présidentielle et parlementaire, lorsque le fait
majoritaire fonctionne, mais c'est aussi un président fort en période de
cohabitation.
Cette place prééminente au sein des institutions avait conduit M. Valéry
Giscard d'Estaing, alors Président de la République, à indiquer, lors de son
discours prononcé en 1978 à Verdun-sur-le-Doubs, qu'il resterait Président de
la République quand bien même les électeurs éliraient une majorité hostile à
l'Assemblée nationale. Il avait ainsi esquissé les grands traits de la
cohabitation.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
C'est ce même président fort qui conduit François Mitterrand à définir son
rôle durant la nouvelle forme de coexistence institutionnelle qui apparaît en
1986, lorsqu'il dit « La Constitution, toute la Constitution, rien que la
Constitution ! »
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia.
Très bonne citation.
M. Jacques-Richard Delong.
Le fait de faire précéder son élection par les élections législatives ne
changera en rien l'importance de ses pouvoirs : il reste élu au suffrage
universel direct et ne peut être soumis au diktat des partis politiques. Il
aura toujours, en vertu de l'article 12 de la Constitution, le pouvoir de
prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale si des blocages venaient à
apparaître. Je reconnais, cependant, qu'il n'a pas le pouvoir de prolonger la
durée du mandat des députés.
Lors des auditions auxquelles notre commission des lois a procédé, nous avons
entendu d'éminents constitutionnalistes qui se sont prononcés sur ce problème
de l'ordre des élections et sur son influence sur le régime de la Ve
République.
M. Guy Carcassonne estime que, dans un schéma où le Président de la République
serait élu avant les députés, ceux-ci tireraient leur légitimité du Président
et que, dans le cas inverse, l'Assemblée nationale tirerait sa légitimité de sa
propre élection, indépendamment de celle du Président de la République et que,
naturellement, il risquerait d'y avoir des tensions après quelques années
d'exercice du pouvoir.
Cette analyse n'est pas une révolution en soi. On sait bien que, dans ses
premières années de pouvoir, le Président de la République a besoin d'un
Premier ministre qui le soutienne et qui lui rallie la majorité parlementaire
et que, après quelques années, une fois son autorité établie, il peut choisir
une personnalité plus proche et moins partisane. Tel a pratiquement toujours
été le cas sous la Ve République.
La question qui se pose est de savoir si le Président élu après l'Assemblée
nationale peut voir son rôle diminuer à cause de ce calendrier.
Personnellement, je ne le pense pas, dans la mesure où il dispose de l'arme
absolue de la dissolution. Le cas qui était évoqué par le professeurCarcassonne
était celui de l'Assemblée nationale élue en 1993. Il s'agit pourtant d'un cas
de figure unique dans l'histoire de la Ve République, car, sans revenir sur les
événements de l'époque, cette assemblée avait eu, pendant les deux années de
cohabitation, un vrai pouvoir d'assemblée en régime parlementaire, ce qui a pu
expliquer certaines tensions et certaines vélléités d'émancipation.
Dans le cas présent, on ne peut pas dire que l'Assemblée nationale élue en
mars aura une légitimité réelle par rapport à un Président élu en mai. Les deux
élections étant intimement liées, on ne pourra pas, dans les faits, les
dissocier.
Si l'ordre dans lequel les élections auront lieu était si déterminant pour
l'avenir de nos institutions, il est fort regrettable que ce sujet n'ait pas
été abordé avant et n'ait pas donné lieu à un vrai débat de fond.
La précipitation traduit donc la manipulation électorale. Les partisans de
l'inversion souhaitent, pour dissimuler leurs ambitions électorales, nous faire
croire qu'ils sont les derniers remparts entre l'esprit de la Constitution et
le galvaudage électoral.
M. Paul Blanc.
Très juste !
M. Jacques-Richard Delong.
Ils souhaitent nous donner des leçons de lecture constitutionnelle en
replaçant au centre de leurs préoccupations celui dont ils ont si longtemps
critiqué la fonction.
En 1958, lors des travaux préparatoires de la Constitution, des questions se
sont posées quant à l'éventuelle constitutionnalisation du mode de scrutin pour
l'élection des députés. Michel Debré, toujours lui, était tenté d'inscrire le
scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans le texte constitutionnel. Il
ne l'a pas fait,...
M. Hilaire Flandre.
Il aurait bien dû !
M. Jacques-Richard Delong.
... car il a jugé qu'il serait trop réducteur d'inscrire le mode de scrutin
dans la Constitution, que celui-ci devait conserver une utilisation
suffisamment souple qui permette à la majorité en place de le moduler.
C'est ce qu'a fait François Mitterrand, en 1985, en instaurant la
proportionnelle pour l'élection des députés. A moins d'un an des élections
législatives, il a préféré limiter les dégâts, limiter la défaite de son parti,
en recourant à ce subterfuge. Vous êtes donc, monsieur le ministre, des
habitués de la manipulation électorale.
(Voilà ! sur les travées du
RPR.)
En réalité, ce subterfuge ne lui a pas vraiment réussi, puisque c'est une
majorité de droite qui est sortie des urnes ! Il a seulement limité l'effet de
la volonté populaire en ne donnant à la majorité parlementaire qu'un siège de
majorité à l'Assemblée nationale. C'est l'arroseur arrosé !
Mais François Mitterrand avait le mérite de ne pas être revenu sur ses propos
: la représentation proportionnelle était une revendication ancienne du parti
socialiste, inscrite dans le programme des 110 propositions qui l'avait fait
élire.
Pour le Gouvernement actuel, l'antériorité de la demande ne peut être
invoquée. Je l'ai déjà dit, il ne peut s'agir que d'un revirement conjoncturel
de position.
On pourrait reprocher au Premier ministre d'adopter une politique de girouette
sur ce sujet,...
M. Louis de Broissia.
Mais non !
(Sourires sur les mêmes travées.)
M. Jacques-Richard Delong.
... comme, d'ailleurs, sur d'autres thèmes sur lesquels son action a été
marquée par une série de revirements.
M. Louis de Broissia.
Des exemples !
M. Jacques-Richard Delong.
Bien évidemment, sa réponse pourrait être celle d'Edgar Faure, qui avait
rétorqué, à ce sujet, que ce n'était pas la girouette qui tournait, que c'était
le vent qui la faisait tourner.
M. Louis de Broissia.
Voilà !
M. Jacques-Richard Delong.
Pour conclure
(Oh non ! sur les travées du RPR.)
car, malheureusement,
il faut conclure,...
M. Louis de Broissia.
Malheureusement pour nous !
M. Jacques-Richard Delong.
... je dirai que la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui
comme devant être une modification essentiellement technique est, en fait,
beaucoup plus pernicieuse qu'il n'y paraît.
Pernicieuse, d'abord, parce qu'elle révise indirectement nos institutions en
changeant les règles du jeu en cours de route, ce qui n'est pas une attitude
responsable.
Pernicieuse, ensuite, parce qu'elle met en lumière les appétits politiques de
certains, qui sont prêts à porter atteinte à la fonction présidentielle pour
assouvir leur faim.
Pernicieuse, enfin et surtout, parce qu'il s'agit d'une véritable atteinte à
la fonction présidentielle, le Premier ministre engageant une réforme
essentielle, constitutionnelle - dois-je le rappeler ? - sans l'accord du
Président de la République. C'est ce qu'on appelle, en langage sportif, un «
coup bas », qui laisse mal augurer de la façon dont va se dérouler cette
dernière année de cohabitation. Et c'est fort regrettable : le Premier ministre
agit en ne respectant pas les institutions et ne donne pas, par conséquent,
malgré ses dires, un exemple démocratique.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Flandre.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Hilaire Flandre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment de
prendre la parole à cette tribune, je dois vous faire un aveu : je n'avais pas
l'intention d'intervenir dans ce débat, qui se situe à des années-lumière des
préoccupations de nos concitoyens. Mais, à la réflexion, je me suis dit qu'il
était nécessaire d'exprimer le point de vue d'un homme simple.
Entendez-moi bien, mes chers collègues, j'ai dit « simple » au sens de « pas
compliqué », je n'ai pas dit « simplet » : ma corpulence m'interdirait
d'ailleurs de tenir le rôle d'un des petits compagnons de Blanche-Neige !
Je suis - chacun le sait ici - un paysan, c'est-à-dire que je fais partie de
ces gens dont Clemenceau disait : « Faites confiance au bon sens paysan, ces
gens-là n'ont pas reçu assez d'instruction pour pouvoir raisonner de travers.
»
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Hilaire Flandre.
C'est une parole sage, qui, d'abord, montre une grande clairvoyance et,
ensuite, manifeste déjà une certaine méfiance à l'égard des effets induits
d'une éducation insatisfaisante.
Je n'ai donc pas fait de longues études. Je n'ai pas pour autant de complexes
par rapport à ceux qui peuvent afficher des diplômes de grandes écoles ou des
baccalauréats + 6, + 8, voire davantage. Moi, voyez-vous, j'ai un CAP + 50 !
M. Louis de Broissia.
Bravo !
M. Hilaire Flandre.
Cinquante ans d'expérience, de réflexion, de méditation, d'affrontement aux
réalités de l'existence, ce qui procure une certaine philosophie, une aptitude
à écouter et surtout à entendre et comprendre nos concitoyens.
M. Joseph Ostermann.
Très bien !
M. Hilaire Flandre.
Cette aptitude, beaucoup de politiciens et de hauts fonctionnaires l'ont
malheureusement perdue, enfermés qu'ils sont dans leurs certitudes et, parfois,
seulement préoccupés de durer.
Cet état de fait laisse déjà entrevoir la nécessité de réformes pour y
remédier ; j'aurai l'occasion d'y revenir ultérieurement.
Concentrons-nous, pour l'instant, sur cette question : que pensent, que nous
disent nos concitoyens ?
Ils voudraient que le Gouvernement s'attèle à ce qui les préoccupe plutôt que
de les attrister par des manoeuvres politiciennes.
Parmi les sujets qui les préoccupent, j'en évoquerai quatre : la formation,
l'emploi, la sécurité et le devenir des retraites.
M. Jacques-Richard Delong.
Et voilà !
M. Joseph Ostermann.
Ça fait beaucoup !
M. Hilaire Flandre.
Je vous pose la question, mes chers collègues : malgré les discours
d'autosatisfaction du pouvoir et la tactique qui consiste à reporter à plus
tard - entendez : après 2002 - les problèmes difficiles, pensez-vous que « tout
baigne » ?
Plusieurs sénateurs du RPR.
Non !
M. Hilaire Flandre.
Pensez-vous qu'il soit normal que, au début du xxie siècle, des jeunes
puissent sortir du système scolaire sans maîtriser les savoirs de base,
c'est-à-dire sans pouvoir rédiger un
curriculum vitae,
sans pouvoir
répondre à une offre d'emploi, sans pouvoir remplir des formulaires - ils ne
sont pas d'une clarté exemplaire, je le concède - sans pouvoir établir un
budget prévisionnel ?
On prépare de nouvelles générations d'exclus, à un moment où la vie est de
plus en plus complexe.
Pour ma part, j'ai été formé à l'école du village, dans une école à classe
unique. Bien sûr, tous les élèves ne sortaient pas avec un diplôme, mais tous
savaient au moins lire, écrire et compter, et tous ont eu des parcours
professionnels respectables.
Nos instituteurs ne considéraient pas que leur mission se limitait à apprendre
à lire ou à compter ; ils savaient nous inculquer le respect des règles
nécessaires à la vie en société. La haute idée qu'ils avaient de leur mission
et la façon dont ils l'assumaient ne pouvaient que leur attirer le respect,
l'estime des parents et de l'ensemble de leurs concitoyens, ce qui leur
permettait, si nécessaire, de punir ou de sévir sans que personne n'y trouve à
redire.
J'évoquerai maintenant un deuxième sujet qui préoccupe les Français :
l'emploi.
Malgré l'embellie, que nul ne conteste, qui résulte, il faut bien le dire,
d'efforts d'assainissement entrepris avant même ce gouvernement, nous ne
pouvons nous satisfaire de la situation actuelle et d'un taux de chômage de
plus de 9 %.
Je rappelle au passage qu'en 1981 un certain candidat à l'élection
présidentielle avait proclamé haut et fort que la crête du million de chômeurs
ne serait pas atteinte !
M. Jacques-Richard Delong.
Elle n'a pas été atteinte, elle a été dépassée !
M. Hilaire Flandre.
« J'en prends l'engagement », avait-il dit. On sait ce qu'il en est advenu,
comme d'ailleurs de nombre d'engagements tout aussi péremptoires.
Ce qu'il nous faut constater, c'est l'inadaptation des chômeurs aux
possibilités d'emploi : problèmes de formation, de comportement, d'incitation à
chercher et reprendre un emploi.
Un chef d'entreprise me faisait part, ce week-end, de ses difficultés pour
répondre aux commandes dans les délais. Ses capacités de production sont
saturées - il est vrai qu'elles sont encadrées par les 35 heures et le quota
d'heures supplémentaires ! - et il ne trouve pas la main-d'oeuvre correspondant
aux emplois qu'il offre.
M. Louis de Broissia.
C'est hors sujet !
M. Hilaire Flandre.
Il se posait donc la question : m'autorisera-t-on à faire venir de la
main-d'oeuvre des pays d'Europe de l'Est ou de Turquie, ou devrai-je
délocaliser un atelier de production ? C'était une boutade, peut-être, mais le
problème est réel.
La question de l'emploi demeure le grand défi de ce début de siècle. On ne la
réglera ni par une législation tatillonne ni par des mesures en trompe-l'oeil
et provisoires. Il faudra libérer les capacités des entreprises, seules
véritables créatrices de richesses.
J'en viens au troisième sujet qui préoccupe nos concitoyens : la sécurité des
personnes et des biens.
Les colonnes des journaux regorgent de ces actes d'incivilité perpétrés par
des délinquants - des « sauvageons » - de plus en plus jeunes et quasiment
persuadés de leur impunité.
Cela n'arrive pas qu'aux autres ! Qu'on en juge : ma propre voiture a été
fracturée deux fois. On m'a volé, une fois, un téléphone portable, une fois, un
porte-documents, c'est-à-dire des vols minables je dirai même pitoyables.
M. Louis de Broissia.
Je crois savoir que le ministre lui-même en a été victime.
M. Hilaire Flandre.
Cela peut arriver même aux ministres !
M. Louis de Broissia.
De ce point de vue, nous sommes tous égaux !
M. Hilaire Flandre.
Il s'agit de vols pitoyables qui provoquent des dégâts bien plus importants
que le larcin.
Mon assistante parlementaire a été victime d'un vol à l'arraché à Marseille
qui s'est révélé plus ennuyeux par les tracasseries et les soucis qu'il a
entraînés que par son importance matérielle.
Mes enfants, qui ont une petite entreprise d'espaces verts en région
parisienne, se sont fait voler leur camion avec tout le matériel nécessaire à
leur activité - tondeuses, tailleuses de haie, etc. - dans leur propre cour,
pendant la pause de midi.
Qu'on ne vienne pas me dire que la délinquance régresse. Ces vols se sont
produits au cours des deux dernières années ! En vérité, le vol comme le racket
ou les trafics divers sont devenus des activités banales, ce qui illustre assez
bien la perte des valeurs et des repères sans lesquels il est vain de vouloir
bâtir une société en har-monie.
Mais le sujet qui inquiète le plus nos concitoyens est sans aucun doute le
devenir de nos régimes de retraite. Les manifestations du 25 janvier en sont
ladémonstration. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'honnêteté intellectuelle
de dirigeants syndicaux, arc-boutés sur des avantages acquis alors qu'au fond
d'eux-mêmes ils savent parfaitement que l'augmentation de la part consacrée aux
retraites dans le PIB ne pourra se faire, sous l'effet conjugué du nombre de
retraités et de la durée des retraites, qu'en rognant la part du PIB consacrée
aux actifs.
J'en reviens à ma propre expérience, puisque c'est la seule que je
connaisse.
Comme la plupart des gens de ma génération, j'ai travaillé dès l'âge de
quatorze ans. Il y avait déjà plusieurs années que je participais aux travaux
de l'exploitation agricole, pendant les vacances, les jeudis, ou parfois en
rentrant de l'école. Mais, dès quatorze ans, j'ai travaillé à plein temps, ce
qui ne semble pas avoir nui à ma santé...
M. Louis de Broissia.
Au contraire !
M. Hilaire Flandre.
A 60 ans, je totalisais quarante-six années d'activité, y compris les périodes
de service militaire, qui sont validées, soit 184 trimestres.
Il me semble donc quelque peu irresponsable de réclamer, comme certains le
font, la retraite pour tous à taux plein après trente-sept années et demie,
soit cent cinquante trimestres.
Faire de la politique à coup de slogans, sans référence ni formation aux
réalités de l'économie ne peut que préparer de tristes réveils car les faits
sont têtus et finissent toujours par s'imposer !
Je voudrais à cet instant dire deux mots des avantages acquis.
J'avais dans le verger, derrière ma maison, un vieux pommier aux fruits
délicieux. C'était mon grand-père qui l'avait planté et, comme on n'en
connaissait pas la variété, on l'appelait tout simplement : « les pommes de
Flandre ». L'âge et la tempête ont eu raison de l'arbre vénérable et je n'ai
pu, l'an passé, donner à mes petits-enfants ces pommes qu'ils appréciaient.
J'ai été obligé de leur avouer qu'il n'y aurait plus de pommes. Et leur réponse
m'a surpris : « Alors papi, et les avantages acquis ? »
(Sourires.)
Il en est de même dans la vie, il y a des avantages acquis sur lesquels on
s'arc-boute.
M. Louis de Broissia.
Ils ont reçu une bonne éducation !
M. Hilaire Flandre.
Se cristalliser sur les avantages acquis, c'est bloquer toute évolution.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce sont là les véritables
préoccupations de nos concitoyens.
Le Gouvernement n'en a cure. Pour les problèmes, on verra plus tard ; dans
l'immédiat, surtout pas de vagues ; il faut tenir jusqu'en 2002 et mettre
toutes les chances de son côté, même au prix de coups tordus.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Notre Haute Assemblée est en effet saisie d'une bien étrange proposition de
loi, dont l'intérêt aura probablement échappé à bon nombre de nos compatriotes
qui se débattent plutôt dans les problèmes quotidiens que la vie leur
impose.
Cependant, convenons que ce texte présente quand même quelque intérêt : un
intérêt intellectuel pour tous les constitutionnalistes et autres spécialistes
de nos institutions,...
M. Paul Blanc.
Ils se régalent !
M. Hilaire Flandre.
... qui trouvent là un excellent thème d'étude et de réflexion.
Naturellement, il présente un intérêt beaucoup moins élevé pour tous ceux qui
voient là un bon moyen de servir l'ambition personnelle de certains qui croient
se donner un avantage sur leurs adversaires potentiels ou assouvir, le cas
échéant, de vieilles rancunes que le temps, pourtant long, n'a pas encore
apaisées.
M. Louis de Broissia.
Des noms !
M. Hilaire Flandre.
En effet, que représente cette inversion de calendrier pour ses initiateurs,
si ce n'est un calcul politicien bien éloigné des intérêts supérieurs du pays ?
Les législatives avant les présidentielles... les présidentielles avant les
législatives : on peut certes se poser légitimement la question, et je ne
conteste absolument pas la démarche et les réflexions qu'elle entraîne sur le
fonctionnement de nos institutions.
Cependant, gardons-nous bien de minimiser les conséquences d'une modification
du calendrier électoral alors qu'aucune circonstance particulière ne
l'impose.
Sur la forme, permettez-moi tout d'abord de m'étonner - le mot est faible -
devant l'identité des personnalités qui ont conçu ou soutenu ce projet au nom
de la défense de la Constitution de la Ve République. En tant que sénateur
gaulliste, je suis bien sûr flatté d'observer ces ralliements massifs, bien que
tardifs, à notre texte fondamental. J'y vois la juste reconnaissance de
l'oeuvre institutionnelle du général de Gaulle, qui a tout de même permis à
notre pays de jouir pendant quarante-deux ans d'une stabilité politique que les
précédents régimes n'avaient pas su lui conférer.
Oubliés le « coup d'Etat permanent » et les combats rageurs de François
Mitterrand ! Oubliées les diatribes de la gauche contre nos institutions et
contre le fondateur de la Ve République ! La dérive monarchique, la tentation
du pouvoir personnel : ... Rien n'a été épargné au général de Gaulle en matière
de procès d'intention. C'est pourquoi ma satisfaction est grande, à la vue de
notre histoire récente, devant tant d'attachement à nos institutions.
M. Paul Blanc.
Il a raison !
M. Hilaire Flandre.
Face à ce quasi-plébiscite, force est d'admettre la validité des travaux des
constituants de 1959 et de constater que les objectifs fixés ont été atteints :
il fallait que la France redécouvre la stabilité politique, que l'autorité de
l'Etat soit restaurée et que s'installe une harmonie dans le fonctionnement des
pouvoirs publics.
Autant de thèmes forts qui devraient interpeller le Premier ministre, lequel
se veut aujourd'hui le défenseur de la Constitution et le promoteur de la
prééminence de la fonction présidentielle.
Il semblerait donc que le temps rende sage, puisque M. Jospin déclarait à qui
voulait l'entendre qu'il n'avait pas voté, lui, pour l'adoption de cette
Constitution !
Ou alors, peut-être n'est-ce pas la Constitution qui le préoccupe, mais bien
plutôt son propre avenir de futur candidat à l'élection présidentielle ! En
effet, ne dit-on pas que les élections législatives pourraient déboucher sur
des résultats incertains pour la majorité plurielle ?
M. Paul Blanc.
Cela se dit !
M. Hilaire Flandre.
Je n'oublie pas que l'actuelle majorité a été élue en 1997 dans des conditions
qui n'existent plus. Je veux, bien sûr, parler du Front national, car on passe
trop facilement sous silence...
M. Louis de Broissia.
Non, non...
M. Hilaire Flandre.
... le fait qu'une soixantaine de députés de gauche ont pu se faire élire
grâce aux triangulaires imposées par le Front national.
M. Louis de Broissia.
Moi, je l'ai dit, car j'en étais !
M. Hilaire Flandre.
Eh bien ! je le répète après vous, mon cher collègue.
M. Paul Blanc.
C'est la méthode Coué !
M. Hilaire Flandre.
Or, aujourd'hui et dans la même configuration, mais sans le Front national, la
majorité ne serait plus que plurielle et serait en tous les cas minoritaire
!
M. Louis de Broissia.
Merci de l'avoir rappelé, c'est un point important !
M. Hilaire Flandre.
L'inquiétude d'un éventuel revers à l'Assemblée nationale paraît être le seul
moteur qui ait poussé les têtes pensantes du parti socialiste à inciter le
Premier ministre à changer son fusil d'épaule sur le calendrier de 2002.
Le résultat en est une précipitation douteuse illustrée par la déclaration
d'urgence sur la présente propositionde loi.
Pratiquement, on constate, d'une part, un parfait mépris de la majorité pour
le Président de la République dont on tient l'avis pour quantité négligeable
et, d'autre part, une désinvolture, certes courante et à laquelle nous sommes
habitués, pour le Parlement à travers l'urgence.
« Une belle manoeuvre », aurait apprécié le Premier ministre récemment !
Au-delà de l'aveu même sur la finalité de ce texte, je ne serai pas aussi
satisfait de ce qui s'avère n'être qu'un petit coup politique assez
méprisable.
Sur le fond de cette affaire, les choses sont, j'en conviens, un peu plus
complexes et demandent certainement de prendre du recul par rapport à une
actualité électorale qui ne saurait justifier, à elle seule, n'importe quelle
manipulation du calendrier. En effet, nous sommes en démocratie, et la
Constitution de la Ve République fixe les règles du jeu démocratique. La durée
des mandats électifs fait partie des éléments d'exercice de notre démocratie et
nous serions bien inspirés de ne pas l'oublier.
La justification première de cette proposition de loi réside dans
l'affirmation de la prééminence de l'élection présidentielle sur l'élection
législative et, secondairement, sur le fait qu'il faut impérativement éviter
une nouvelle cohabitation. Je croyais d'ailleurs, monsieur le ministre, que le
quinquennat devait régler cette question. Il semblerait que l'on n'en soit plus
tout à fait sûr aujourd'hui, mais c'est un autre débat sur lequel je
reviendrai.
Il est vrai que la réforme constitutionnelle de 1962, instituant l'élection du
Président de la République au suffrage universel direct, a modifié profondément
le rôle et la perception du chef de l'Etat par la légitimité populaire qui lui
était ainsi conférée. Un lien nouveau se dessinait entre le Président et les
Français, un lien direct, un lien personnel, qui allait modifier la place du
Président dans le concert de nos institutions.
Il est parfaitement exact que le pouvoir exécutif s'en est trouvé sensiblement
renforcé et que le fonctionnement de nos institutions s'est désormais articulé
autour du pouvoir présidentiel. Cependant, à la lettre, les rapports entre les
pouvoirs publics ne s'en sont pas trouvés modifiés pour autant, subordonnant un
pouvoir à l'autre, et nous sommes là au coeur de notre débat.
La Constitution définit deux pouvoirs, le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif, et elle en organise la séparation. En conséquence, leur mode de
désignation n'est pas le même et leurs rôles respectifs sont parfaitement
décrits. Rien, dans la Constitution, ne laisse supposer que le Président de la
République doit être élu avant l'Assemblée nationale ou inversement. Or nous
touchons là à la logique institutionnelle, puisqu'il s'agit, d'un côté, d'élire
« la » tête de l'exécutif et, de l'autre, de désigner l'une des deux assemblées
législatives.
De plus, et jusqu'à plus ample informé, la Ve République est un régime
parlementaire et non présidentiel. Bien que nommé par le Président de la
République, le Gouvernement est l'émanation de la majorité de l'Assemblée
nationale qui lui accorde sa confiance ou la lui retire par le vote d'une
motion de censure. La prééminence que l'on veut donner à l'élection
présidentielle veut-elle dire que certains souhaitent une dérive
présidentialiste de notre République ? Veut-on amoindrir le rôle du Parlement
?
Certains diront que l'adoption du quinquennat était la première marche d'un
futur régime présidentiel puisque, à travers lui, on visait la concomitance des
élections présidentielles et législatives, liant ainsi le sort du Président et
celui de l'Assemblée nationale. On peut, bien sûr, défendre cette position,
mais ce n'est pas la mienne et ça n'est pas l'esprit de notre Constitution. Et
puis, si on veut le faire, encore faut-il le dire clairement !
M. Paul Blanc.
C'est sûr !
M. Hilaire Flandre.
Reste le problème de la cohérence politique de la France et les inconvénients
de la cohabitation qui, je vous l'accorde, commencent à inquiéter sérieusement
nos concitoyens. La cohabitation est, en effet, une conséquence de l'expression
du suffrage universel et non de la concomitance d'échéances électorales.
Imaginons que le dispositif qui nous est soumis aujourd'hui soit adopté - ce
qu'à Dieu ne plaise ! - et que les élections législatives soient repoussées
après la présidentielle. Compte tenu de l'observation du comportement électoral
de nos compatriotes, rien n'indique qu'ils enverront, à quelques semaines
d'intervalle, une majorité à l'Assemblée conforme au vote qu'ils auront émis
lors de la présidentielle. Or songez que, dans ce cas de figure, il sera alors
extrêmement difficile au Président d'user de son droit de dissolution sur une
assemblée nouvellement élue. Une cohabitation se profilera encore à l'horizon
!
En revanche, dans l'hypothèse inverse, le Président élu après l'Assemblée
pourrait toujours s'appuyer sur sa plus récente légitimité pour en appeler à la
raison du peuple. Je pense que nous devrions songer sérieusement à ces
hypothèses qui ne sont pas si invraisemblables que ça.
N'oublions jamais que la politique n'est pas une science exact et que ces
dernières années nous ont fournies maints exemples de prévisions démenties par
les faits. Les Français restent les maîtres de leur destin et, fort
heureusement, les sondages ne sont encore pas les élections.
Le sentiment de manipulation et de tripatouillage est très fort chez nos
compatriotes qui ne sont pas tous diplômés de sciences politiques,...
M. Paul Blanc.
Heureusement !
M. Hilaire Flandre.
... mais qui ont assurément un solide bon sens, lequel fait cruellement défaut
à certains de nos responsables.
M. Louis de Broissia.
Ils ne sont pas tous brillants !
M. Hilaire Flandre.
Croyez-moi, malgré toutes les explications, les Français croient à une
manoeuvre politicienne, une de plus, aggravant un peu plus le fossé entre les
préoccupations de la classe politique et les leurs.
D'ailleurs, pour parler clairement, il est intéressant de constater que, à
quelques exceptions près, les promoteurs de l'inversion du calendrier sont
tous, de près ou de loin, impliqués dans une écurie présidentielle.
(Ah ! sur les travées du RPR.)
Cela n'a d'ailleurs pas échappé aux
Français, qui, j'en suis persuadé, sauront en tirer les conséquences.
Autre élément curieux à mettre au dossier - je l'ai évoqué -, c'est le peu de
cas que l'on fait de l'avis du Président de la République. Nous avons, dans le
même temps, des gens qui invoquent la prééminence du Président sur tout le
reste et qui passent allégrement outre son opposition à l'inversion du
calendrier électoral. C'est ce que l'on appelle le raisonnement par l'absurde
!
Rappelons tout de même que le Président de la République est la clef de voûte
de nos institutions et qu'il en est le garant. On ne peut donc pas considérer
comme anodin son avis sur cette affaire de calendrier, avis qu'il a exposé
publiquement et à plusieurs reprises.
Cela étant, le Premier ministre est un converti de fraîche date, puisqu'il a
fallu attendre le dernier congrès du PS pour que, soudain, cette inversion
devienne une priorité nationale. Cependant, la cohabitation, contrairement à ce
que croit M. Jospin, ne confère pas au Premier ministre les prérogatives du
Président de la République, ni même et surtout son autorité en ce qui concerne
le respect des grands principes institutionnels.
Notre démocratie gagnerait probablement en crédibilité si l'autorité du
Président de la République n'était pas battue en brèche sur un sujet somme
toute secondaire, mais ô combien symbolique aux yeux des Français quant au
comportement de la classe politique.
Quoi qu'il en soit, on ne pourra pas passer par pertes et profits l'opposition
à ce projet du Président Chirac sans risquer, contrairement à ce qui est
affiché, d'affaiblir la fonction présidentielle.
Car le danger est grand de jouer avec le feu en cherchant à déstabiliser
Jacques Chirac. Il est bien évident qu'au travers de la personne c'est la
fonction présidentielle elle-même qui risque d'être atteinte par la
désinvolture avec laquelle le Président est traité par la majorité.
D'ailleurs, les Français ne vont pas s'y tromper et c'est bien ce qui semble
vous ennuyer puisque vous en êtes à imaginer des stratagèmes destinés à vous en
sortir au mieux.
Simplement, le respect des institutions et des échéances électorales est la
base d'une démocratie saine et moderne, loin des combinaisons des partis au
relent de IVe République.
Institution centrale de notre République, le Président ne tire pas son
autorité de la date de son élection par rapport à celle d'un autre scrutin.
C'est à croire que, depuis 1962, vous n'avez pas encore compris la spécificité
de cette élection que j'ai déjà abordée tout à l'heure.
J'insiste donc à nouveau sur ce lien privilégié qui unit le Président de la
République aux Français et qui fait abstraction de tout autre contexte
politique. N'ayez donc crainte de la confusion des genres, nos compatriotes
savent parfaitement ce qu'ils veulent et pour quelle élection ils votent.
Par la suite, l'autorité du Président élu en 2002 ne dépendra pas, vous
l'imaginez bien, du moment de son élection ; elle dépendra de la qualité de ce
lien qu'il aura su, ou non, tisser avec le peuple. En conséquence, le bon sens
veut que nous laissions les échéances se dérouler comme prévu. A moins que vous
n'ayez des doutes sur les capacités de votre probable candidat ! Enfin, pour
terminez,...
Plusieurs sénateurs du RPR.
Déjà ?
M. Hilaire Flandre.
Non, ne vous affolez pas !
... je voudrais insister sur le jeu naturel des institutions et de la
démocratie, car si les échéances électorales, en 2002, sont ce qu'elles sont,
la cause en est aux événements qui, depuis 1958, jalonnent notre vie
politique.
Ainsi que notre rapporteur l'a excellemment dit, il y a eu plusieurs
dissolutions de l'Assemblée nationale, le départ du général de Gaulle en 1969,
le décès du regretté Georges Pompidou en 1974, autant de faits politiques qui
ont bouleversé les échéances normales des élections législatives ou
présidentielles.
C'est le jeu de la démocratie et l'exercice normal de nos institutions. Il n'y
a donc aucune raison de vouloir brusquer les échéances et de chercher à les
inverser, au risque de paraître vouloir manipuler les scrutins. La France doit
enfin se comporter comme une démocratie moderne au sein de laquelle les règles
du jeu électoral ne sont pas susceptibles d'être modifiées à quelques mois des
scrutins, comme cela est arrivé trop souvent et comme cela nous est proposé
aujourd'hui. Les lois de circonstances ne sont plus acceptables en ce début de
xxie siècle et seul le parti socialiste semble encore penser que l'on peut se
comporter comme si rien n'avait changé et comme si les Français ne comprenaient
rien.
La politique ne se situe pas en dehors de la vie, elle en fait partie. Rien ne
dit que, d'ici à 2002, les choses doivent rester en l'état. Nul ne sait ce qui
peut intervenir, rendant peut-être cette proposition de loi sans objet. En
réalité, nous assistons là à un débat dont la France a le secret, un débat qui
divise au lieu de rassembler les Français, alors que rien n'obligeait le
Gouvernement à intervenir dans la précipitation sur cette matière.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre : je désapprouve ces pratiques et
les convenances personnelles qu'elles sous-tendent. Cependant, aucune manoeuvre
ne parviendra valablement à perturber les objectifs de reconquête qui sont les
nôtres, et c'est avec sérénité que nous aborderons les échéances de 2002.
Cependant, je ne saurais conclure sans faire référence à un point très
précis.
Nombre de mes collègues n'ont pas manqué de citer l'éminente revue de nos
collègues socialistes, dans laquelle figurait un argumentaire destiné à
convaincre les socialistes réticents à l'inversion du calendrier parce
qu'encore trop attachés au régime parlementaire.
L'article d'Eric Perraudeau est extrêmement enrichissant à plus d'un titre.
Néanmoins, beaucoup de mes collègues ont souhaité faire l'économie de le citer
in extenso.
C'est bien dommage, aussi vais-je m'empresser de corriger
cette erreur.
M. Louis de Broissia.
Nous ne l'avons pas lu !
M. Hilaire Flandre.
Il me semble en effet important de porter à la connaissance de mes collègues
les conclusions de cette intéressante et ô combien ! instructive
contribution.
Sans la replacer dans son contexte, elle ne manque pas de perdre une grande
partie de sa saveur. Comme nous avons un peu de temps aujourd'hui, je vais me
permettre de la citer et d'essayer d'en transmettre toute la substance.
« En remportant les élections législatives de 1997, les socialistes et la
gauche sont revenus de loin. Depuis le début des années quatre-vingt-dix,
chaque scrutin a constitué autant de marches d'une longue descente aux enfers
où la gauche perdait irrésistiblement du terrain : régionales de 1992,
législatives de 1993, européennes de 1994, trois échecs cuisants qui laissèrent
des blessures profondes à la gauche.
« Au contraire, les trois derniers scrutins électoraux en France -
législatives de 1997, régionales et cantonales de 1998, européennes de 1999 -
ont permis à la gauche de renouer durablement avec le succès électoral, y
compris lors des élections intermédiaires, traditionnellement défavorables au
pouvoir en place. En nombre de sièges, la progression de la gauche plurielle
est incontestable. Pourtant, à y regarder de plus près, cette progression ne
traduit pas une consolidation électorale de la gauche.
« Avec 310 députés contre 244 à la droite parlementaire, la gauche dispose
d'une avance confortable de 66 sièges. Sa progression fut spectaculaire » -
c'était en 1997 -, « à l'image des 112 circonscriptions où Jacques Chirac avait
été majoritaire en 1995, et que le parti socialiste est parvenu à reprendre en
1997.
« Pourtant, on oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne
s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. »
Plusieurs sénateurs du RPR.
Ah oui !
M. Philippe Marini.
Grâce à qui ?
M. Hilaire Flandre.
« Dans 34 circonscriptions où s'opposaient en duel un candidat socialiste et
un candidat de l'opposition, la victoire socialiste n'a été acquise que par un
score compris entre 50 % et 51,5 % des voix. Si ces 34 circonscriptions avaient
basculé à droite en 1997, le résultat final en aurait été inversé et la gauche
serait actuellement dans l'opposition. Il aurait suffi pour cela qu'à l'échelle
nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur comportement. »
Pour ne pas vous lasser, mes chers collègues, je passe sur les détails par
circonscriptions.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini.
C'est très intéressant !
M. Hilaire Flandre.
Je poursuis la lecture de l'article de M. Perraudeau.
« Plus inquiétant, la gauche plurielle recule de plus de cinq points en 1998
par rapport à son résultat de 1997. Alors que la gauche obtenait une majorité
absolue dans dix-huit départements en 1997, ce n'est plus le cas que dans sept
départements en 1998 : dans l'Aude, les Landes, le Lot, les Hautes-Pyrénées, la
Nièvre, l'Ariège et le Pas-de-Calais. Par rapport à 1997, la majorité recule
dans vingt-neuf départements et perd plus de six points dans cinq départements
: Jura, Calvados, Côtes-d'Armor, Sarthe et Ardèche.
« Le second enseignement des élections régionales est que la stratégie des
listes uniques n'est pas nécessairement celle qui se révèle la plus payante
d'un point de vue électoral. Ainsi, sur les cinquante et un départements où la
gauche plurielle s'est présentée sur une liste unitaire, elle recule dans
trente-trois départements et ne progresse que dans dix-huit par rapport à 1992.
La situation semble meilleure lorsque l'offre politique du premier tour est
plus large. Elle mobilise davantage, et les reports de voix au second tour
semblent légèrement meilleurs.
« Devant le sentiment d'impuissance des politiques, le balancier électoral se
retournait particulièrement vite ces dernières années. De plus en plus vite
même. Depuis 1981, pas un gouvernement sortant n'aura été reconduit. Tous
auront été sanctionnés par les électeurs. Lionel Jospin en a bien
conscience.
« Pour la première fois depuis vingt ans, un Premier ministre parviendra
peut-être à stopper cette spirale infernale et à démontrer que toute action
politique n'est pas vouée à l'échec. »
M. Louis de Broissia.
Est-ce toujours la citation ?
M. Hilaire Flandre.
Oui, mon cher collègue. Je ne suis pas converti !
M. Philippe Marini.
Mais vous êtes très objectif !
M. Hilaire Flandre.
Je cite à nouveau M. Perraudeau : « Malgré cela, la gauche doit garder à
l'esprit qu'elle n'a gagné que d'une courte avance les précédentes élections et
que le moindre grain de sable peut enrayer ce parcours. Si les sondages
s'inscrivent utilement au sein du principe du gouvernement représentatif, ils
n'ont jamais fait par avance une élection. »
Voilà pour la citation.
N'était-ce pas instructif ? Nous avons encore, mes chers collègues, beaucoup
de leçons de stratégie politicienne à prendre de nos confrères socialistes.
Lorsque nous, nous servons comme en ce jour nos institutions, eux s'en
servent. Je crois que, malheureusement, il n'y a rien d'autre à ajouter.
Mais, puisque Lionel Jospin paraît inquiet du fossé grandissant qui sépare la
classe politique de nos concitoyens et du désintérêt de ces derniers, qui se
traduit par un taux croissant d'abstention, et puisqu'il veut moderniser la vie
publique, je lui ferai quelques suggestions et je terminerai par un conseil.
Les Français ne se désintéressent pas de la politique lorsqu'on leur permet
d'exprimer totalement leurs choix ; il suffit de considérer les taux de
participation aux élections présidentielles, à celles des conseillers généraux
ou des députés. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils élisent alors un homme
ou une femme qu'ils estiment, connaissent et sentent proche d'eux.
En revanche, lorsqu'on leur propose une liste bloquée, sans possibilité de
panachage ou de préférence, lorsque c'est tout ou rien, leur désintérêt est
évident ; ils refusent de donner à un parti politique le soin de désigner à
leur place ceux qui seront élus.
Le scrutin majoritaire par circonscription devrait être la règle dans notre
démocratie ; il aurait l'avantage, en rapprochant l'élu du citoyen, de le
rendre attentif à ses préoccupations.
Faites l'expérience : demandez à un électeur de vous citer un seul élu
européen en dehors des têtes de listes. Faites la même expérience pour les
conseillers régionaux, pour les conseillers municipaux des grandes villes. Vous
serez édifiés.
(M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer remplace M. le
ministre de l'intérieur au banc du Gouvernement.)
M. Louis de Broissia.
Mais un nouveau ministre arrive...
M. Hilaire Flandre.
J'ai vu. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous salue.
Certes, on objectera que, dans le système de scrutin majoritaire que je
propose, les minorités ne seraient plus représentées. Et alors ? La règle de la
démocratie n'est-elle pas celle de la majorité ? Et quel crédit accorder à un
élu qui a rassemblé 5 % des suffrages, c'est-à-dire quelqu'un dont le programme
n'a pas été jugé prioritaire par 95 % des électeurs. Je crois qu'il est
nécessaire d'y réfléchir.
Deuxième suggestion de réforme : la classe politique apparaît comme une
catégorie à part et souvent soucieuse de durer et de faire carrière avec une
sur-représentation de certaines catégories ; je pense notamment aux
fonctionnaires qui ne prennent aucun risque à se présenter, puisqu'ils
retrouvent leur situation lorsqu'ils sont remerciés par l'électorat avec, au
passage, l'acquisition d'une ancienneté. Je ne critique pas le fait que les
fonctionnaires postulent à exercer un mandat électoral ; quelquefois, les
vizirs veulent devenir califes à la place du calife... Mais la démocratie
gagnerait à ce que chacun ait les mêmes chances et assume les mêmes risques
face aux incertitudes de l'élection.
Ne serait-il pas sage de faciliter le renouvellement de l'appareil politique
en limitant le nombre de mandats que l'on peut exercer dans une même fonction,
à l'exemple de ce qui existe aux Etats-Unis pour le Président ? Le turn-over
appliqué aux hommes politiques, comme d'ailleurs aux fonctionnaires dans
l'administration, serait source de dynamisme et permettrait une meilleure
compréhension des problèmes de terrain.
Sans doute trouvera-t-on assez difficilement des cosignataires pour de tels
projets de loi et peut-être encore plus difficilement une majorité pour les
voter ! Pourtant, elles entraîneraient une véritable rénovation de nos moeurs
politiques.
Notre monde politique est malade, mais n'est-il pas le reflet de notre société
? Quand, dans une société, on manifeste avec la même détermination et le même
enthousiame pour la liberté de l'avortement et contre la chasse aux oiseaux
migrateurs ou contre l'insécurité alimentaire et pour la dépénalisation de la
drogue, on peut s'interroger, tout comme nos concitoyens s'interrogent, sur ce
monde étrange ou tout au moins étrange à leurs préoccupations dans lequel
semblent se complaire les politiques. Et c'est dans ce contexte que Lionel
Jospin soutient une initiative parlementaire visant à prolonger le mandat des
députés pour remettre, paraît-il, à l'endroit un « calendrier dingo », avec
comme motivation avouée la prédominance présidentielle et le souci d'éviter le
retour d'une cohabitation.
Ainsi, par petites touches successives, il entend modifier notre Constitution
sans en prendre la voie normale ni bien sûr en supporter les risques.
Il me fait penser à ces bateleurs de foire chargés de revendre des montres
achetées au kilo. Chacun a pu en voir à l'oeuvre : après avoir attiré le badaud
et éveillé son attention, le bateleur propose à l'auditoire des montres dont il
vante les qualités et qu'il est prêt à sacrifier pour une somme très modique.
Mais, malheureusement, il n'en a que dix disponibles ; ce sont donc les dix
premiers qui lèveront la main qui pourront faire la bonne affaire. Qui donc
veut mettre 100 francs dans ce petit bijou ? Après quelques instants
d'hésitation, un doigt se lève, puis deux, puis cinq, puis dix. Qui voudrait
rater ce qui est devenue l'affaire du siècle ?
Les dix montres changent de mains ainsi que des billets et notre homme exhibe
alors, après un peu de suspense, une montre encore plus merveilleuse, mais qui
vaut bien sûr un peu plus chère que les précédentes - oh ! seulement 100 francs
de plus ; et déjà les premiers acheteurs commencent à regretter leur
acquisition.
Qu'à cela ne tienne, on est là pour faire des affaires n'est-ce pas ! Alors
qu'ils rendent la première montre, qu'ils ajoutent 100 francs et ils auront la
nouvelle merveille. Et le jeu continue...
C'est ainsi que j'ai pu voir dans une foire de province - dont je tairai le
nom - un brave homme repartir avec un chronomètre dont il n'avait que faire et
qu'il avait payé bien plus cher que chez le bijoutier du coin ; il était
cependant persuadé d'avoir fait une très bonne affaire.
Ainsi procède le Premier ministre.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Hilaire Flandre.
Tout d'abord, le quinquennat : rassurez-vous, braves gens, il n'y a que la
durée qui change ! Puis, l'inversion du calendrier : rassurez-vous, braves
gens, il s'agit d'une simple adaptation pour remettre les choses dans l'ordre !
Ensuite, la proportionnelle : ce n'est qu'un détail, pour que les minorités
soient représentées ! Et encore, le découpage électoral, la suppression des
cantons ruraux : c'est, bien sûr, pour prendre en compte la démographie ! Et je
pourrais continuer ainsi la liste...
M. Louis de Broissia.
On peut !
M. François Gerbaud.
Il a raison !
M. Hilaire Flandre.
Eh bien, non, monsieur le Premier ministre ! Nous ne sommes pas des « gogos »
et nous nous méfions des propos des bateleurs trop habiles.
J'en viens à ma dernière suggestion.
Le Premier ministre souhaite mettre un terme aux cohabitations. C'est, certes,
une louable intention mais, nous l'avons dit, rien n'empêcherait les citoyens
d'exprimer des choix différents pour une présidentielle et des législatives,
même si toutes avaient lieu le même jour.
Les Gaulois que nous sommes sont ainsi faits ; il leur arrive même de trouver
des avantages, voire des vertus à la cohabitation, qui leur permet, selon
l'adage, « de ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier ».
Ce qu'ils reprochent en fait à la cohabitation, c'est de devenir très vite
l'arène où s'affrontent deux candidats aux échéances présidentielles. A cela,
il y a un remède simple : c'est d'interdire à un Premier ministre d'être
candidat à la première élection présidentielle qui suivra.
M. Daniel Goulet.
Et voilà !
M. Hilaire Flandre.
Il pourrait ainsi se consacrer totalement à sa mission - gouverner - sans
crainte de déplaire et n'en serait que plus efficace.
J'ajouterai à l'intention du Premier ministre qu'aucun Premier ministre de
cohabitation n'a pu l'emporter jusqu'ici. Jacques Chirac, Premier ministre en
1986, a été battu en 1988. Edouard Balladur, Premier ministre en 1993, a été
battu en 1995.
M. Louis de Broissia.
Jamais deux sans trois !
M. Hilaire Flandre.
Alors, peut-être conviendrait-il d'y réfléchir avant de prendre le même
chemin, qui ne pourra qu'aboutir au même résultat : Lionel Jospin, Premier
ministre en 1997, sera battu en 2002.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, «
on a fait des confessionnaux, c'est pour tâcher de repousser le diable. Mais,
si le diable est dans le confessionnal, cela change tout ! » J'ai trouvé cette
citation du général de Gaulle particulièrement appropriée pour introduire mon
exposé sur les réflexions que m'inspire ce projet de loi.
C'est ainsi, en effet, que s'exprimait le général de Gaulle au cours d'une
allocution télévisée, le 15 décembre 1965, pour fustiger le retour du régime
des partis. Eh bien, monsieur le secrétaire d'Etat, par le texte que vous nous
soumettez aujourd'hui, vous réintroduisez le diable dans le confessionnal.
M. Paul Blanc.
Danger !
M. Bernard Plasait.
Cela n'a d'ailleurs rien de surprenant. Vous êtes coutumiers du fait ; vos
contradictions ne vous effraient pas.
M. Paul Blanc.
Récidivistes !
M. Bernard Plasait.
Et c'est normal, quoi que vous ayez pu dire : vous êtes les dignes successeurs
de François Mitterrand, votre maître à penser.
M. Louis Althapé.
C'est une référence !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
C'est trop d'honneur !
M. Bernard Plasait.
Il n'y a pas si longtemps, Lionel Jospin revendiquait haut et fort son droit
d'inventaire. Il voulait être ce notaire ouvrant les enveloppes testamentaires
du mitterrandisme.
L'intention était louable, d'autant plus louable que le labeur était
nécessaire. Mais aussitôt dit, aussi vite oublié !
Pourtant, qui pourrait encore de nos jours oublier les accommodements du
président Mitterrand avec nos institutions, celles de 1958, qu'il n'avait eu de
cesse de combattre. Brandissant le spectre du césarisme, il n'avait pas hésité
à parler du « coup d'Etat permanent ».
Néanmoins, c'est bien sous ses deux septennats que l'on parlera de « monarchie
républicaine » ; sa politique des grands travaux en fut la parfaite
illustration.
Mais, Machiavel de la politique française, il ne s'est pas arrêté là et, en
1985, devant la défaite prévisible de la gauche, proposa d'instiller une dose
de proportionnelle.
M. Joseph Ostermann.
Et alors !
M. Bernard Plasait.
Hélas, il eut la main lourde et c'est tout le flacon, en réalité, qui a été
vidé : nous avons eu la proportionnelle intégrale. Alors, en véritable apprenti
sorcier, le Président de la République devint le meilleur allié de l'extrême
droite, qu'il fit entrer au Palais-Bourbon.
M. Louis de Broissia.
Il faut le rappeler, ça !
M. Paul Blanc.
On ne le rappelle pas assez souvent.
M. Bernard Plasait.
C'est un fait incontestable que nous ne pouvons, en effet, pas oublier comme,
d'ailleurs, nous ne pouvons pas oublier que c'est à la faveur de 76
triangulaires, gagnées pour 47 d'entre elles, que la gauche a pu conquérir
cette courte majorité qui lui permet de gouverner depuis 1997. Et c'est
d'ailleurs le rappel de cette vérité - ô combien dérangeante - par l'un des
conseillers du ministre de la défense, dans la
Revue Socialiste
de
novembre 2000, qui vous a conduit à vous renier dans un laps de temps sans
pareil.
En effet, comme l'a justement rappelé M. le rapporteur, notre excellent
collègue Christian Bonnet, le Premier ministre déclarait le 19 octobre dernier
: « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement
politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là. » Oui, vous avez bien
entendu : « toute initiative de ma part serait interprétée de façon
politicienne, donc j'en resterai là » - c'est-à-dire au calendrier prévu - « et
il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives soient
prises. » Mais, le 24 novembre suivant, le Premier ministre changeait
radicalement d'orientation.
Etait-ce le résultat d'une large concertation sur l'avenir de nos
institutions, large concertation à laquelle auraient participé chacun des chefs
de partis, chacun des partis disposant d'un groupe à l'Assemblée nationale ou
au Sénat ? Hélas, trois fois hélas, il n'en était rien : c'était juste le seul
moyen sorti du chapeau pour permettre à Lionel Jospin de gagner l'élection
présidentielle.
A ce stade, il ne s'agit que d'une manoeuvre de circonstance ou de convenance
et rien de plus.
Alors, la manoeuvre est habile, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je le vous
dis sans détour : je la crois à la fois incertaine et incomplète.
Elle est incertaine, car l'expérience montre que jamais les Français n'ont
voté à quelques semaines d'intervalle dans des directions différentes. Par
conséquent, l'inversion du calendrier ne changera rien.
Elle est incomplète - et les conseillers de Lionel Jospin en ont apparemment
conscience - car l'expérience démontre que jamais, sous la Ve République, un
Premier ministre en exercice n'est devenu Président de la République. Dès lors,
inversion ou non, le Premier ministre serait contraint de quitter préalablement
Matignon pour se consacrer à la campagne prédidentielle ; il lui faudrait alors
préférer, à l'exemple de Mme Guigou, celui de Martine Aubry ; mais ce qui est
valable pour un membre du Gouvernement dans une perspective municipale ne l'est
certainement pas pour le premier des ministres cédant à une ambition
présidentielle, et je crains fort que la vacance du pouvoir, forcément
relative, qui en résulterait ne corresponde pas à l'idée de l'homme d'Etat que
se font une majorité de Français.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous comprendrez, bien sûr, que nous ne vous
aidions pas à résoudre cette équation qui, en toute hypothèse, ne saurait
masquer cette manoeuvre à laquelle vous vous livrez aujourd'hui.
La manoeuvre de 1985 a échoué ; celle-ci échouera aussi.
Une chose est certaine : les Français n'apprécient pas que l'on change les
règles du jeu juste avant le début de la partie, ou en cours de partie, si l'on
considère que celle-ci a déjà commencé.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Bernard Plasait.
Concernant l'inversion du calendrier, comment pourrais-je ne pas rappeler ce
qu'écrivait notre excellent collègue le président Claude Estier dans
L'Hebdo
des socialistes
du 8 décembre dernier ? Je regrette d'ailleurs de ne pas
pouvoir le féliciter directement de cette excellente intervention dans le
débat.
M. Paul Blanc.
Il aurait apprécié !
M. Bernard Plasait.
Voici donc ce qu'il écrivait : « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il ne
s'agit pas de changer notre Constitution ou de rééquilibrer les pouvoirs, même
si nous pouvons le souhaiter. Il serait difficile d'engager maintenant un débat
institutionnel de fond en période de cohabitation et à quatorze mois
d'échéances décisives. » On ne peut qu'applaudir : bel exemple de sagesse
sénatoriale !
M. Paul Blanc.
Absolument !
M. Bernard Plasait.
Quoi qu'il en soit, notre préoccupation majeure, c'est le déséquilibre des
pouvoirs qu'entraînera l'inversion du calendrier que vous nous proposez,
monsieur le secrétaire d'Etat. Faire en sorte que l'élection présidentielle
précède systématiquement les élections législatives, c'est, que vous le vouliez
ou non, ouvrir la voie à un changement de régime, je n'hésite pas à le dire.
Sans contrepouvoir du Parlement, c'est un pas vers l'avènement du régime
présidentiel.
La récente adoption du quinquennat doit d'ailleurs nous conduire à une vraie
réflexion sur la nature du régime qu'il suppose. Et là, nous sommes face à une
alternative : soit le régime présidentiel, soit le régime parlementaire
renforcé et modifié.
Le régime présidentiel, pour que cela soit clair dans l'esprit de nos
concitoyens, implique un seul exécutif - un président et un vice-président - et
une réelle séparation des pouvoirs, Eventuellement, à ce moment-là, l'élection
présidentielle peut précéder les élections législatives, à moins que les deux
scrutins ne soient concomitants.
Cela posé, nous devons nous demander si un tel régime serait praticable sous
nos latitudes. Est-ce applicable en France ? Très franchement, monsieur le
secrétaire d'Etat, je ne le crois pas !
Dans son discours du 27 août 1958 devant le Conseil d'Etat, Michel Debré
soulignait les qualités évidentes du régime américain, mais concluait déjà à
une adoption impossible.
Le 14 juillet 1998, Jacques Chirac confirmait cette vision française en se
disant « persuadé qu'un régime présidentiel irait très rapidement au blocage
complet des institutions entre des opinions différentes ».
En effet, ainsi que le démontre de manière très pertinente le professeur
Dominique Chagnollau, le régime américain repose tout entier sur l'art de
négocier.
Le Président des Etats-Unis n'a pas l'initiative des lois mais peut s'opposer
à leur vote grâce à son droit de veto, qui ne peut être levé par le Congrès
qu'à la majorité des deux tiers, chiffre difficile à atteindre. Il use aussi de
ce droit comme d'une arme de dissuasion : « Votre loi est inutile. Si vous ne
tenez pas compte de mon point de vue, négocions ! »
Cette négociation existe, qu'il y ait ou non concordance de majorité, car les
partis américains font plutôt preuve d'indiscipline et de localisme. C'est
ainsi que des programmes présidentiels peuvent être votés par un Congrès le
plus souvent démocrate, hostile à un président républicain. Mais, à l'inverse,
un Congrès favorable peut gêner son représentant à la Maison-Blanche, comme
sous Kennedy ou sous Carter.
Impraticable pour nous, le régime présidentiel l'est d'autant plus que notre
pays pense toujours en termes de majorité absolue. Cette considération explique
en grande partie l'hostilité de principe à la cohabitation, qui traduit une
vision de l'exercice du pouvoir fondée sur l'absence de dialogue et de
contrepoids, une vision qui choisit d'ignorer que la limitation du pouvoir est
consubstantielle à la démocratie.
La cohabitation pour cinq ans passe justement pour inefficace. Voilà le grand
argument, mais sans consistance réelle, qui justifie l'initiative que prend
aujourd'hui le Gouvernement.
Le gouvernement Jospin a-t-il été bloqué dans ses actions sur le plan
intérieur ? On cherche... et on trouve...
Les retraites ? Blocage prétendu, pour mieux dissimuler l'absence de courage
politique.
M. Paul Blanc.
C'est sûr !
M. Bernard Plasait.
Les révisions constitutionnelles ? Elles nécessitent de toute façon l'accord
des deux chambres. La cohabitation les a facilitées, de la parité à la Cour
pénale internationale en passant par le quin-quennat.
Quant au blocage de la réforme de la justice, pense-t-on sérieusement qu'il
serait moins fort en période de concordance des majorités ?
Les emplois-jeunes, les 35 heures, et j'en oublie...
Ce gouvernement aura pu appliquer son programme, que l'avenir jugera. Si cela
a été possible, c'est bien parce que notre régime est par nature hybride, ni
présidentiel ni parlementaire. Eh oui, telle est la singularité, mais peut-être
aussi la force de nos institutions.
On pourrait certes préférer, considérant que c'est conforme à l'esprit
français, s'en tenir au régime parlementaire et estimer que, dès lors, les
législatives doivent précéder l'élection présidentielle ou, en tout cas, en
être déconnectées. Le calendrier actuel, avec l'antériorité des élections
législatives, s'impose alors.
A partir du moment où nous avons fait le choix d'élire le Président de la
République au suffrage universel, où nous refusons l'omnipotence présidentielle
tout en considérant que le régime parlementaire condamne le Président à
l'impuissance, il nous faut trouver la voie d'un régime présidentiel équilibré,
à la française.
Dans cette perspective, il nous faut créer un nouvel équilibre dans les
relations entre le Parlement et le Gouvernement, assurer une justice
indépendante et impartiale, redistribuer les pouvoirs vers les collectivités
locales et les parlementaires sociaux.
Cet équilibre des pouvoirs est à l'opposé du présidentilisme que vous cherchez
aujourd'hui à restaurer, après l'avoir tant combattu.
Force est de constater, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette situation n'a
rien d'étonnant. Elle ne fait qu'illustrer votre absence de volonté politique
de régler les grandes questions auxquelles notre pays est confronté, dévoilant
par là même la propension de ce gouvernement à s'adonner tout entier à des
calculs politiciens et démagogiques.
Regardons les choses en face : l'inversion du calendrier électoral est-elle de
nature à répondre aux attentes profondes, aux attentes pressantes de nos
concitoyens ?
M. Hilaire Flandre.
Pas du tout !
M. Louis de Broissia.
Personne n'en parle !
M. Bernard Plasait.
Hélas ! les préoccupations essentielles de nos concitoyens ne sont pas la
préoccupation principale du Gouvernement, nous le savons tous. Les Français
sont inquiets pour leur avenir, plus encore pour l'avenir de leurs enfants. Ils
sont aux prises avec des difficultés grandissantes dans leur vie
quotidienne.
M. Louis de Broissia.
L'insécurité !
M. Bernard Plasait.
L'insécurité, bien sûr, mais aussi le chômage, le pouvoir d'achat,...
M. Louis de Broissia.
La formation professionnelle !
M. Bernard Plasait.
... la protection sociale. Je ne veux pas faire une liste exhaustive, car elle
serait trop longue.
De tout cela le Gouvernement n'a cure !
Il s'évertue à nous bercer d'illusions. Il communique, il communique même
beaucoup, il gère au quotidien, au coup par coup, il contourne les obstacles,
et avec beaucoup d'habileté, mais en aucun cas il n'engage les réformes de
fond, ces réformes qui sont pourtant indispensables pour l'avenir de notre
pays, alors même que la situation économique le permettrait.
Je crois qu'il faut insister sur ce point. Ainsi que le soulignait l'OCDE dans
une étude de juillet 2000, jamais depuis dix ans notre pays n'a connu une
situation économique aussi favorable.
La France a bénéficié d'un environnement international porteur, qui s'est
traduit par la hausse de ses exportations, et d'une reprise de la consommation
et de l'investissement.
Toutefois, des tensions commencent à apparaître dans certains secteurs :
difficultés à produire plus, à recruter des salariés qualifiés, notamment. La
question essentielle pour les autorités françaises est de savoir comment éviter
les mêmes écueils que ceux qui ont été observés lors du précédent cycle de
croissance, de 1987 à 1990, qui s'est achevé par des tensions sur les capacités
de production, par des difficultés de recrutement, par une dérive des salaires
et par une bulle financière dans l'immobilier.
Voilà les sujets dont nous devrions débattre ! Voilà les sujets de fond qui
engagent l'avenir de notre pays !
Or, au lieu d'anticiper un retournement de conjoncture, le Gouvernement se
laisse porter par la croissance. Il met en avant un bilan apparemment vertueux
: stabilisation des dépenses de l'Etat en volume, réduction des déficits
publics, stabilisation, puis diminution des prélèvements obligatoires...
En fait, depuis trois ans, vous ne cessez de réécrire l'histoire ! Vous
prétendez avoir qualifié la France pour l'euro, alors que vous n'avez fait
qu'achever la politique de réduction des déficits publics engagés par la
précédente majorité.
M. Paul Blanc.
Qui était nécessaire !
M. Bernard Plasait.
O combien !
Vous vous attribuez les mérites d'une reprise économique dont chacun sait
pourtant qu'elle a débuté avant votre arrivée au pouvoir et qu'elle se poursuit
aujourd'hui en grande partie grâce à une conjoncture économique internationale
très favorable.
Monsieur le secrétaire d'Etat, avant d'intervenir à cette tribune, j'ai voulu
savoir ce que nos concitoyens, les gens que l'on croise tous les jours dans la
rue, pensaient de ce qui fait l'objet de ce débat. Comme tous les orateurs qui
m'ont précédé, j'ai eu le souci de mesurer le degré d'intérêt qu'il suscitait
chez les Français. Je leur ai donc demandé s'ils préféraient élire leur député
avant d'élire un Président de la République ou bien élire un Président de la
République avant d'élire leur député. J'avoue que, dans le meilleur des cas, on
m'a regardé avec des yeux ronds...
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Bernard Plasait
... et que, dans le pire des cas - le plus fréquent, au demeurant -, on m'a «
renvoyé dans mes buts » en m'interpellant : « Croyez-vous que nous vous avons
élu pour cela ? Ne pensez-vous pas que vous devriez vous occuper davantage de
nos impôts, qui sont beaucoup trop lourds ?»
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis bien obligé de constater que votre
promesse de baisse des impôts n'a pas été tenue. Bien au contraire, et quoi que
vous puissiez dire, on note une absence totale de résultats en ce sens depuis
1997. La gauche plurielle a supprimé la réforme de l'impôt sur le revenu
décidée en 1996. En 1997, déjà, seuls certains pays nordiques atteignaient des
taux de prélèvements plus élevés qu'en France. Malgré quelques baisses très
ciblées, et très médiatisées, malgré les promesses successives, la pression
fiscale - c'est-à-dire, pour parler crûment, les impôts - a atteint un record
historique en 1999 : 45,3 % du PIB. On a peine à y croire !
Cette évolution est d'autant plus critiquable que de nombreux pays européens
ont commencé à réduire leur pression fiscale...
M. Louis de Broissia.
Y compris des pays gouvernés par des socialistes !
M. Bernard Plasait.
... et que notre pays est sérieusement menacé par la concurrence en la
matière. Le Gouvernement laisse ainsi passer la chance que lui offre une
conjoncture économique favorable. Pourtant, il pouvait saisir cette occasion
pour assainir les finances publiques et engager des réformes structurelles
profondes. Il ne le fait pas - au contraire, il continue à fonder sa politique
budgétaire sur la conjoncture et à maintenir un niveau très élevé de
prélèvements obligatoires - mais il nous appelle à débattre de la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale !
Monsieur le secrétaire d'Etat, vos calculs électoraux nous font perdre
beaucoup de temps parce qu'ils nous empêchent de traiter des sujets essentiels
qui préoccupent nos concitoyens. J'ai parlé de l'allergie fiscale des Français,
je devrais parler aussi de l'insécurité ! J'aurais d'ailleurs souhaité pouvoir
le faire devant le ministre de l'intérieur après les événements qui sont
survenus à La Défense. Avec une telle actualité, les Français ont vraiment
d'autres sujets de préoccupation que l'inversion du calendrierélectoral !
Ces bandes qui se sont affrontées à La Défense dans une espèce de guérilla
urbaine font monter l'inquiétude chez les honnêtes gens. Tous les sondages
montrent que l'insécurité est avec le chômage l'un des tout premiers sujets de
préoccupation des Français. Le Gouvernement devrait peut-être s'interroger sur
les raisons pour lesquelles le sujet de la sécurité s'impose avec une telle
force dans le débat politique en cette veille d'élections municipales : les
Français sentent tout simplement qu'il n'y a pas de réponse politique à leur
angoisse - car il s'agit d'une véritable angoisse - face à l'insécurité qui
pollue leur vie quotidienne et qu'il n'y a pas de véritable volonté
politique.
En réalité, la gauche n'a pas fait sa « révolution culturelle », elle n'a pas
compris qu'à côté de la prévention la sanction aussi était nécessaire. Il
existe toujours un fond idéologique - on en a de multiples preuves - qui
conduit le Gouvernement à ne pas vouloir punir.
M. Paul Blanc.
Tout à fait ! C'est du dogmatisme !
M. Bernard Plasait.
A cet égard, le choix des mots est éloquent. On ne dit pas les « voyous », on
dit les « jeunes »,...
M. Paul Blanc.
Voilà !
M. Bernard Plasait.
... alors qu'il faudrait dire les « jeunes voyous ».
M. Louis de Broissia.
Bien sûr !
M. Bernard Plasait.
On parle des « incivilités », on parle des « quartiers sensibles », quand la
vérité obligerait à dire « zones de non-droit » ! Ce choix des mots est la
manifestation d'une volonté de dédramatiser,...
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Bernard Plasait.
... de vider la réalité de son côté tragique,...
M. Paul Blanc.
... de minimiser !
M. Bernard Plasait.
Vous avez raison, mon cher collègue !
M. Louis de Broissia.
De travestir la vérité, disons-le !
M. Bernard Plasait.
Et pourquoi veut-on « minimiser » ? Tout simplement pour ne pas avoir à punir
!
Il y a d'ailleurs une autre manifestation de cette volonté de minimiser, je
veux parler de la façon dont sont présentés les chiffres, et nous sommes là au
coeur de l'actualité ! Ainsi, selon le Gouvernement, les faits de délinquance
auront augmenté de 5 % en l'an 2000, mais arrêtons-nous un instant sur la façon
dont les statistiques sont présentées. Le ministre de l'intérieur est une sorte
de magicien qui réussit là une espèce de miracle,...
M. Paul Blanc.
Très juste !
M. Bernard Plasait.
... une sorte d'escamoteur...
M. Hilaire Flandre.
C'est mieux !
M. Bernard Plasait.
... qui joue avec les chiffres comme l'on joue au bonneteau. Je veux dire
qu'il réussit à faire disparaître les mauvais chiffres pour faire apparaître
les bons.
La méthode est très simple : elle consiste à inventer - ah, l'imagination
statistique ! - un nouvel agrégat dans lequel on regroupe des faits, tels que
les cambriolages et les vols de voiture dont la fréquence a tendance à diminuer
grâce aux précautions qu'imposent les assurances et aux progrès de la
technologie, avec d'autres faits, tels que les vols avec violence ou les vols à
main armée qui sont eux de plus en plus fréquents et dont le nombre augmente de
façon considérable. Mais, grâce à ce nouvel agrégat, que l'on appelle la
délinquance de voie publique,...
M. Louis de Broissia.
C'est l'incivilité !
M. Bernard Plasait.
... on parvient à démontrer que les chiffres diminuent ou, quand on ne peut
pas faire autrement, qu'ils augmentent « légèrement ». C'est ainsi que l'on
parvient au taux de 5 %, hausse « minime » - excusez-moi du peu ! - qui
signifie tout de même plus de 100 000 faits de délinquance supplémentaires en
l'an 2000 par rapport à 1999. Et encore faut-il savoir que, pour les raisons
que je viens d'évoquer, ce taux de 5 % est lui-même un minimum par rapport à la
réalité.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Bernard Plasait.
Et que fait le Gouvernement devant cette montée de l'insécurité ?
M. Louis de Broissia.
Il nous soumet une proposition de loi organique !
M. Bernard Plasait.
Quasiment rien, et même rien s'agissant des réformes de fond qu'il faut mettre
en oeuvre, sa préoccupation étant de savoir qui du Président de la République
ou de l'Assemblée nationale sera élu en premier par les Français l'an prochain
!
On ne peut plus parler d'un décalage : c'est un abîme qui s'est creusé entre
l'opinion publique et le Gouvernement. Le mal qu'il faudrait traiter pour
résoudre des problèmes comme celui de l'insécurité, c'est la formidable panne
de l'Etat français : panne de la police, qui, trop souvent découragée, n'est
plus efficace, comme le montre le taux, tombé à 25 %, d'élucidation des
affaires ; panne de la justice, avec l'embouteillage des tribunaux, les délais
très longs et un taux de classement sans suite des plaintes qui atteint 85 %.
Une affaire sur cent seulement fait ainsi l'objet d'un jugement exécuté.
C'est donc cet embouteillage de la justice qu'il faut régler. Seulement voilà,
on se heurte là encore à la peur de punir et on ne fait pas le nécessaire pour
traiter la délinquance des mineurs et compléter notre arsenal juridique,
notamment en modifiant l'ordonnance de 1945.
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement peut faire de beaux
discours sur l'Etat de droit et l'égalité de tous devant la loi, mais les mots
ne trompent plus personne !
Avec la présente proposition de loi organique, nous perdons du temps, et c'est
grave. « Toute heure perdue pour la bataille est une heure gagnée pour le
malheur », dit un adage célèbre. Vous ne vous êtes pas donné les moyens d'une
politique de sécurité digne de ce nom, et ce sont les Français les plus
modestes qui en souffriront.
M. Paul Blanc.
Eh oui, hélas !
M. Bernard Plasait.
Je ne veux pas multiplier les exemples et égrener tous les sujets de grande
préoccupation des Français dont nous ne pouvons pas débattre à cause de la
manoeuvre politicienne à laquelle nous nous devons de répondre. Cependant,
monsieur le secrétaire d'Etat, je suis inquiet.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Moi aussi !
M. Bernard Plasait.
Je suis préoccupé. Tout cela ne peut qu'éloigner les Français de la politique
et nourrir l'abstention.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
C'est clair.
M. Bernard Plasait.
Pourtant, je crois que la politique n'a jamais été plus nécessaire
qu'aujourd'hui, car il s'agit en fait d'imaginer l'avenir, il s'agit de
préparer le cadre dans lequel nos enfants vivront, dans lequel ils pourront
exercer leurs talents, s'épanouir et réussir leur vie.
Bref, il s'agit d'entrer dans le troisième millénaire en étant déterminé à
travailler pour soi, pour sa famille, pour ses enfants, mais aussi à travailler
pour le bien commun.
Oui, la politique est indispensable - je devrais dire « le » politique - et il
faudrait que la politique ne soit pas le politicien,...
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Bernard Plasait.
... pour que nos concitoyens la ressentent comme quelque chose de noble et
d'indispensable.
Oui, la politique est noble, et il faut en donner le goût à nos enfants, mais
je crains que nous n'en prenions pas le chemin.
Oui, il faut redonner le goût de la politique à nos concitoyens qui trop
souvent l'ont perdu, les taux d'abstention qui augmentent sans cesse le
montrent.
Oui, il s'agit aussi d'inventer de nouvelles pratiques politiques, des
pratiques qui soient plus proches des citoyens et plus efficaces pour résoudre
les problèmes auxquels ils sont confrontés dans leur vie quotidienne.
Mais, imaginer l'avenir, entrer dans le troisième millénaire déterminés à
travailler pour le bien commun, inventer de nouvelles pratiques politiques,
nous en sommes très loin ! Ces objectifs imposent de faire oeuvre pédagogique
mais je crains que le Gouvernement ne s'y prenne très mal !
M. Hilaire Flandre.
C'est vrai !
M. Bernard Plasait.
Je crois même qu'il porte là un très mauvais coup à la vie civique. Il en sera
comptable devant l'opinion qui, j'en suis sûr, le juge, a sévèrement. Mais,
monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a-t-il vraiment le désir
d'éclairer l'opinion ? En réalité, ne veut-il pas tout simplement la
disparition du régimeétabli, il y a cinquante ans, par les pères fondateurs de
la Ve République ? Est-ce que ce n'est pas cela, votre objectif fondamental
?
On peut comprendre que certains veuillent une modification constitutionnelle,
voire un changement de régime ; c'est compréhensible, et même tout à fait
légitime. Mais, en démocratie, cela réclame un débat au grand jour, un vrai
débat dans lequel on se donne tous les moyens, dans lequel on se donne le temps
de peser le pour et le contre et d'entendre tous les arguments, un débat dans
lequel on prend le temps de la réflexion pour répondre aux arguments de ses
adversaires politiques et, éventuellement, pour en accepter certains, car on
sait bien que l'on ne détient jamais la vérité à soi tout seul.
Je crois donc qu'il est tout à fait utile d'avoir un débat, un large débat.
M. Louis de Broissia.
Un bon débat !
M. Hilaire Flandre.
Au grand jour !
M. Bernard Plasait.
En réalité, il n'est pas acceptable d'escamoter ce débat et, pour ne pas
heurter l'opinion, d'aller de façon insidieuse vers les objectifs que l'on
s'est fixés. Oui, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit, de la part de M.
Lionel Jospin, d'une manoeuvre politicienne !
M. Louis de Broissia.
... de bas étage !
M. Bernard Plasait.
Nous récusons, oui, nous récusons ce faux débat que l'on nous propose.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je veux conserver à nos institutions toute leur
cohérence. Aussi, je vous le dis nettement, mais je crois que vous l'avez
compris à travers mes propos, je ne voterai pas cette proposition de loi
organique. Mes amis du groupe des Républicains et Indépendants et moi-même
voterons pour le maintien du calendrier électoral.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - M. Louis Mercier
applaudit également.)
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