SEANCE DU 18 DECEMBRE 2000
LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2000
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances
rectificative pour 2000 (n° 130, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale.
[Rapport n° 149 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, monsieur le président
de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames,
messieurs les sénateurs, après le budget et le collectif de printemps, ce
collectif d'automne est le troisième temps du débat budgétaire de cette année
2000.
Cette nouvelle discussion constitue pour moi l'occasion de faire le point sur
les orientations économiques et budgétaires du Gouvernement.
En effet, ce collectif s'inscrit dans la continuité de la politique de
croissance menée depuis juin 1997, politique tout entière tournée vers
l'emploi. Sans triomphalisme, on peut affirmer qu'elle porte ses fruits
puisque, depuis lors, les entreprises ont créé plus d'un million d'emplois et
que le nombre de chômeurs a diminué de 900 000.
Ces résultats sont le fruit de la croissance : étant d'environ 3 % depuis
trois ans, elle sera égale ou supérieure à 3,2 % en 2000, alors que nous avions
retenu, vous vous en souvenez, un taux limité à 2,8 % pour préparer le
budget.
Cette vigueur repose sur une demande soutenue, notamment grâce aux mesures que
nous avons prises, et, cette année, grâce à des baisses d'impôts profitables au
pouvoir d'achat des ménages.
La baisse continue du déficit public en est aussi l'un des facteurs. En
présentant le budget, le Gouvernement prévoyait que le déficit des
administrations serait de 1,8 % du produit intérieur brut. Il devrait
finalement être ramené à 1,4 %, après que nous avons pourtant décidé 50
milliards de francs de baisses d'impôts supplémentaires.
J'ai déjà eu l'occasion de dire devant la Haute Assemblée que, pour le
Gouvernement, réduire les déficits, c'est favoriser la croissance, ne pas
alourdir la dette et les impôts futurs et se préparer à affronter au mieux un
ralentissement éventuel de conjoncture, qu'en l'espèce, je tiens à le préciser,
rien ne laisse présager à court terme.
De 3,5 % du PIB, le déficit des administrations publiques passera donc à 1 %
en 2001. Ce sera notre meilleur résultat depuis vingt ans, avec un taux
inférieur à celui de l'Allemagne qui nous replace dans la moyenne européenne.
C'est également un résultat en avance sur notre programme pluriannuel, qui
tablait sur un taux de 1,2 %.
Nous maintenons ce cap, et, pour rendre la croissance la plus durable
possible, nous avons amplifié, en 2000, le mouvement de baisse d'impôt engagé
en 1999.
Vous le savez, nous avons eu l'occasion d'en débattre, pour le Gouvernement,
la baisse d'impôt n'est pas un objectif en soi mais constitue une mesure
structurelle visant à mieux rémunérer le travail et à favoriser l'emploi. Les
baisses d'impôts devraient par ailleurs permettre, dès 2000, de réduire d'un
demi-point le taux des prélèvements obligatoires.
Dans le budget 2000, ces baisses d'impôts atteignaient 40 milliards de francs.
Au printemps, de nouveaux surplus de recettes ont permis une nouvelle baisse de
40 milliards de francs. Ce collectif tire les conséquences budgétaires des
mesures fiscales que nous avons examinées dans le cadre de la discussion du
projet de loi de finances pour 2001, mais qui ont une incidence dès l'année
2000.
Au total, en 2000, les baisses d'impôts représenteront près de 100 milliards
de francs ; nous mettrons en oeuvre, dès 2000, le plan triennal de baisse
d'impôt annoncé à la fin du mois d'août et dont nous avons débattu en première
lecture du projet de loi de finances.
Je ne serai pas complète si je ne rappelais pas que ces 100 milliards de
francs de baisse d'impôt s'ajoutent à la baisse des cotisations sociales qui
accompagne la réduction du temps de travail. Le financement de ce dispositif
est ajusté dans le cadre de ce collectif d'automne, puisqu'il est créé une taxe
sur les consommations d'énergie des entreprises dont le produit est affecté au
fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité
sociale, le FOREC.
Financer les baisses de cotisations sociales sur le travail non qualifié est
un enjeu important dans la lutte contre le chômage. De plus, cette mesure
s'inscrit dans un mouvement, général en Europe, qui vise à remplacer une partie
des cotisations assises sur les salaires par une taxation des énergies. Le
Gouvernement en avait annoncé le principe dès le mois de mai 1999, avant de
consulter tous les acteurs économiques à l'occasion d'un livre blanc et de
plusieurs groupes de travail ; Mme Dominique Voynet en a dévoilé les grandes
lignes le 3 octobre dernier.
Je sais à quel point cette question a suscité des interrogations. Le
Gouvernement est parvenu à trouver un accord avec l'Assemblée nationale, après
avoir entendu les arguments présentés et les modifications proposées par sa
commission des finances. Je sais aussi que votre commission ne les a pas
retenues, ce que je regrette très sincèrement.
Ne vous y trompez pas, derrière la technique, qui peut apparaître
complexe,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Il y a de la politique !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... il y a un principe fort, à savoir la mise en place
d'une fiscalité à vocation écologique.
Il s'agit aussi de respecter les engagements pris par la France à Kyoto et
confirmés à La Haye d'inciter fiscalement les entreprises à réduire leur
consommation d'énergie et leurs émissions de gaz carbonique. La France n'est
pas en mauvaise place dans ce domaine, mais il faut aller plus loin, c'est ce
que le Gouvernement vous propose dans ce texte.
Un des aspects les plus saillants de ce collectif réside dans le fait que nous
avons mené de front, en 2000, la baisse des impôts et la réduction du déficit.
Comment ?
Cela a d'abord été possible grâce à la croissance, qui a induit d'importants
surplus de recettes fiscales, puisqu'il s'agit, au total, de près de 75
milliards de francs.
Dès le printemps, 35 milliards de francs avaient été identifiés ; 40 milliards
de francs supplémentaires sont inscrits dans le présent collectif, dont 20
milliards de francs proviennent de la TVA et 12 milliards de francs de l'impôt
sur les sociétés.
Dans un souci de transparence, le Gouvernement vous a informés de ces surplus
dès qu'ils ont été confirmés. Les informations aujourd'hui disponibles ne
conduisent pas à attendre de nouveaux surplus de recettes au-delà des
évaluations présentées dans ce collectif.
Réduction des déficits et allégements d'impôts ont aussi été financés grâce au
respect de nos objectifs de dépenses. Le budget 2000 visait leur stabilité en
volume, c'est-à-dire le maintien des moyens d'actions des administrations de
l'Etat. Ce choix a été réaffirmé au printemps et, dans le même temps, ont été
prises en compte des dépenses exceptionnelles : nul n'a oublié la tempête de
décembre 1999.
Le présent collectif maintient cet objectif de stabilité en volume, et les 22
milliards de francs de crédits nouveaux qui vous sont proposés sont
intégralement gagés par des économies.
Près de la moitié des ouvertures de crédits concerne des dépenses à caractère
social prises en charge par l'Etat. Ainsi, 4 milliards de francs sont ouverts
pour financer diverses exonérations de cotisations sociales ; 1,7 milliard est
ouvert au titre de la contribution de l'Etat au financement du solde de la
majoration de l'allocation de rentrée scolaire ; 900 millions de francs
traduisent la prise en charge par l'Etat du Fonds d'action sociale en faveur
des travailleurs migrants et de leurs familles ; 1,1 milliard vient compléter
les crédits du RMI et de l'allocation aux adultes handicapés, tandis que 1,8
milliard abonde la subvention au budget annexe des prestations sociales
agricoles, le BAPSA.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le chômage baisse, et le RMI augmente !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Des ouvertures importantes permettent le règlement de
dettes internationales de l'Etat envers les instances européennes, pour 3
milliards de francs, et envers l'ONU, pour 900 millions de francs. Par
ailleurs, nous ouvrons 700 millions de francs pour la première tranche de la
contribution de l'Etat à la dotation de la fondation pour la mémoire de la
Shoah : cet engagement a été pris par le Premier ministre à la suite du rapport
Mattéoli sur les spoliations antisémites pendant l'Occupation.
Ces ouvertures sont donc gagées par des annulations de crédits de même
montant, soit 22 milliards de francs, dont 1,3 milliard de francs d'économies
sur le service de la dette.
Les redéploiements concernent d'abord le budget du ministère de l'emploi, pour
5,6 milliards de francs, afin de financer l'évolution du coût des exonérations
prises en charge par l'Etat.
Elles concernent aussi, pour 1,9 milliard de francs, le budget de
l'agriculture, qui bénéficie d'ouvertures en contrepartie, et le budget de la
santé et de la solidarité, pour 1 milliard de francs, compte tenu, notamment,
des besoins liés aux minima sociaux, qui ne résultent pas de l'effet volume,
mais de l'effet prix, monsieur le rapporteur général, puisqu'il s'agit de
financer le coût de la revalorisation intervenue au 1er janvier 2000.
Enfin, 3,9 milliards de francs sont annulés sur le titre V du budget de la
défense, en cohérence avec les niveaux de consommation prévus en 2000, qui
permettent, notamment, des redéploiements au profit des dépenses de
fonctionnement de ce ministère.
Je parlais tout à l'heure des économies que nous avions pu constater sur le
service de la dette. Cela ne signifie pas que la gestion de notre dette ne doit
pas encore être améliorée, car notre objectif est bien d'améliorer les
conditions générales du financement de l'économie.
Cela se traduit ici par la création, annoncée récemment, d'une agence de la
dette et par la création d'un compte de commerce pour une gestion encore plus
active.
Vous reconnaîtrez avec moi que le Gouvernement agit, par ce biais, en totale
transparence vis-à-vis du Parlement. C'est, d'ailleurs, ce souci de bonne
information qui nous a conduits à annoncer beaucoup plus en amont que les
années précédentes notre programme indicatif de financement pour l'année
prochaine.
Celui-ci s'établira à 78 milliards d'euros, couverts par des émissions nettes
d'obligations assimilables du Trésor, ou OAT, pour 42 milliards d'euros, et de
bons du Trésor à taux fixe et à intérêt annuel, ou BTAN, pour 36 milliards
d'euros.
Sur ces bases, nous tiendrons en 2000 notre objectif de stabilisation des
dépenses réelles de l'Etat : celles-ci, depuis 1997, auront progressé en
moyenne et en francs constants d'un quart de point par an, et je rappelle pour
mémoire que cette progression avait atteint 1,7 % par an lors d'une législature
précédente.
Pour 2000, nous respecterons l'objectif de stabilisation des dépenses en
volume, ce qui permet d'espérer un déficit de l'Etat inférieur à 200 milliards
de francs, prolongeant le mouvement de réduction des déficits. Mais nous en
reparlerons lorsque nous connaîtrons les résultats définitifs de l'exécution de
l'année 2000, sans doute à la fin du mois de janvier.
Enfin, si vous me le permettez, je dirai un mot sur les dispositions nouvelles
adoptées par l'Assemblée nationale.
Je vous indiquerai d'abord que, bien évidemment, elles améliorent le texte qui
vous est soumis,...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Elles l'alourdissent !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... mais que, d'une certaine manière, elles me
semblent aller au-delà. En effet, elles sont, pour la plupart, le résultat
d'interpellations des parlementaires, de l'Assemblée nationale comme du Sénat,
que le Gouvernement a entendues et auxquelles il a répondu positivement.
C'est le cas, par exemple, de l'incitation fiscale en matière de véhicules «
propres », défendue ici par Mme Pourtaud. C'est le cas aussi pour les
hébergements en établissement de long séjour des personnes âgées, qui ont fait
l'objet, je m'en souviens fort bien, d'interpellations sur toutes les travées
de cet hémicycle, notamment de MM. Dreyfus-Schmidt, Angels...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et aussi de M. Chérioux, il ne faudrait pas l'oublier
!
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... et de M. Chérioux, vous avez tout à fait raison,
monsieur le rapporteur général : j'allais y venir.
Je sais que votre commission considère l'accord donné par le Gouvernement
comme encourageant mais insuffisant.
Même si nous y reviendrons tout à l'heure, je souhaiterais que chacun ait en
tête que le Gouvernement travaille, pour les prochaines semaines, à un
dispositif d'ensemble sur la prestation dépendance et qu'il convient de
s'inscrire aussi dans ce calendrier, même si vos interventions déterminées
auront permis de montrer à nos concitoyens que le législateur se préoccupait
d'abord et avant tout de leur vie quotidienne et qu'il le faisait avec des
convictions et une expression fortes et sincères.
Au-delà des fortes divergences de fond qui séparent la majorité sénatoriale et
le Gouvernement sur la politique qu'il convient de mener pour améliorer la vie
de nos concitoyens, au-delà de la virulence du propos des uns ou des autres, il
y a aussi des sujets dont l'urgence et l'acuité commandent le consensus et le
travail en commun de tous.
Puisqu'il me revient d'introduire la discussion et qu'elle sera, je l'ai
compris à la lecture du rapport de M. Marini, à nouveau animée et sans
concession, ...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Elle sera argumentée !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... vous me permettrez de conclure mon intervention
sur ce symbole.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce collectif d'hiver, le second de
l'année, est un exercice d'ajustement obligé en cette période. Il est, à
certains égards, quelque peu surréaliste, madame le secrétaire d'Etat, mais
nous sommes habitués à ce surréalisme puisque, chaque année, le même exercice
se reproduit, dans des conditions que nous avons étudiées méthodiquement et
dans le détail au sein d'une commission d'enquête voilà seulement quelques
mois.
A cet égard, nous avons été très intéressés par l'examen de quelques pièces
internes de votre administration, qui montraient les distorsions qui existent
entre les informations véhiculées vis-à-vis, d'un côté, du Parlement pour
présenter le collectif budgétaire et, de l'autre, du ministre pour lui dire -
c'était du moins le cas en 1999 - ce que sera la prévision très vraisemblable
de clôture de l'exercice en cours. Il suffit, pour s'en convaincre, de se
reporter au rapport de notre commission d'enquête, qui établissait une
chronologie extrêmement factuelle et qui reproduisait les documents en
cause.
C'est donc sous le bénéfice de ces constatations que nous abordons l'examen du
collectif budgétaire de la fin de l'année 2000.
Mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de rappeler en un mot que,
dans la loi de finances rectificative du 13 juillet 2000, ont été tirées les
leçons de l'épisode de la « cagnotte ». Ces leçons sont encore partielles, mais
elles nous remettent en mémoire le « père Noël » de l'an dernier, qui n'était
autre que votre prédécesseur, M. Christian Sautter, alors ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie : ce dernier avait dû, en cours de
débat, à la mi-décembre 1999, convenir que nous avions certes extrapolé mais
que, nos extrapolations étant justes, il restait plus de 20 milliards de francs
qu'il fallait ajouter aux prévisions de recettes fiscales pour la gestion de
l'année 1999. Ensuite, l'apurement - au moins partiel - de ce phénomène
économique a donc été réalisé par la loi de finances rectificative du 13
juillet 2000.
Nous sommes donc ici en présence du second collectif budgétaire de l'année.
Mais, en vérité, madame le secrétaire d'Etat, il s'agit d'un collectif
faiblement budgétaire, car il est surtout fiscal en raison de la très grande
richesse d'articles fiscaux que nous allons avoir le plaisir d'examiner avec
vous.
En ce qui concerne les aspects budgétaires, l'incidence sur le solde de la loi
de finances est faible - c'est pourquoi je souligne le caractère faiblement
budgétaire de ce collectif - puisqu'il se limite à une baisse du déficit de 5,8
milliards de francs dans sa version initiale et de 5,5 milliards de francs dans
la version adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.
C'est sur le plan de la législation fiscale que notre attention trouvera sans
doute le plus à s'exercer, mes chers collègues, puisqu'aux trente-trois
articles que contenait à l'origine ce texte, l'Assemblée nationale a ajouté
vingt-sept articles, dont une moitié - treize articles - est le fruit
d'amendements du Gouvernement.
Il ne s'agit pas là d'ajustements mineurs, mes chers collègues, puisque ces
articles additionnels traitent, dans la plupart des cas, de sujets de fond tout
à fait substantiels. Mais ces sujets étaient prévisibles et nous nous
demandons, à cet égard, pourquoi la procédure législative normale, avec
consultation préalable du Conseil d'Etat, n'a pas été utilisée.
Nous aurons l'occasion, madame le secrétaire d'Etat, de le redire lorsque nous
examinerons ces différents articles, car ce sont là des procédés que nous
sommes contraints de dénoncer et que nous ne pouvons pas accepter, même si,
naturellement, l'urgence commande. Encore faut-il qu'il y ait urgence et que le
Sénat n'ait pas le sentiment que l'on utilise cette méthode de l'amendement
gouvernemental déposé en séance pour faire passer au forceps un certain nombre
de dispositions qui auraient pu suivre la voie parlementaire normale.
Enfin, madame le secrétaire d'Etat, ce collectif laisse présager des
difficultés supplémentaires pour les collectivités territoriales - nous y
reviendrons - qu'il s'agisse de la dotation générale de décentralisation ou de
la dotation générale d'équipement.
Le cadrage général de ce collectif, mes chers collègues, est un peu moins
sécurisant que celui de la loi de finances initiales pour 2000, puisque
certaines variables économiques ont quelque peu fluctué au cours des derniers
mois et que les certitudes en matière de taux de croissance se sont un peu
érodées.
Au début de l'année, une fourchette de 2,6 % à 3 % était évoquée pour le taux
de croissance national. Elle a été révisée à la hausse en juin, puis légèrement
à la baisse en septembre, et les dernières parutions de l'INSEE, qui datent
d'octobre dernier, conduisent à prévoir une marge de prudence supplémentaire.
Mais que l'on ne s'inquiète pas : nous restons à un niveau de 3,2 %, à comparer
à la fourchette initiale de 2,6 % à 3 %.
Dans ce domaine, madame le secrétaire d'Etat, la commission des finances du
Sénat ne saurait avoir pour fonction de jouer les Cassandre. Nous souhaitons,
bien sûr, que la croissance soit la plus élevée possible, mais nous sommes dans
notre rôle lorsque nous évoquons la montée des incertitudes, tant
internationales que nationales.
Je pense en particulier aux incertitudes liées à la renaissance de tensions
inflationnistes dans l'économie, qui nous semblent bien réelles : lorsque nous
lisons les publications de la Banque de France, qui s'inquiète du caractère
exagérément procyclique de la politique économique du Gouvernement - du
«
policy mix »
, comme disait Dominique Strauss-Kahn - ou lorsque nous lisons
certains travaux d'économistes missionnés par le Premier ministre au sein du
conseil d'analyse économique de Matignon - je pense à l'excellent rapport de M.
Pisani-Ferry - qui insistent sur la nécessité de rééquilibrer la politique en
faveur de l'offre nous ne pouvons que constater à quel point cela conforte nos
propres analyses relatives à une remontée des tensions inflationnistes dans
notre économie. Tout cela devrait, à notre avis, être mieux intégré dans les
raisonnements qui nous sont présentés pour qualifier le contexte économique des
lois de finances.
Ce collectif budgétaire part de 28,5 milliards de francs de recettes fiscales
nettes supplémentaires et, encore plus en amont, de près de 41 milliards de
francs de progression tendancielle des recettes fiscales. Cela montre que, en
2000 comme en 1999, la conjoncture économique a permis d'engranger de l'argent
supplémentaire, non prévu à l'origine, au titre aussi bien de l'impôt sur les
sociétés que de l'impôt sur le revenu ou de la TVA ; c'est à partir de ces
chiffres révisés de recettes fiscales que le collectif budgétaire se
construit.
Nous nous sommes attachés à examiner certes les recettes fiscales, mais aussi
et peut-être encore davantage les recettes non fiscales ; sur ce dernier point,
madame le secrétaire d'Etat, nous devons exprimer une très vive surprise,
...
M. Yves Fréville.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... presque de l'incrédulité : après les exercices
fouillés de notre commission d'enquête, le Gouvernement ose - je dis bien « ose
» - nous présenter des recettes non fiscales en baisse de 18,3 milliards de
francs, nous déclarant, avec une candeur absolument remarquable, ...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
A moins que ce ne soit du
cynisme !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le président de la commission, je suis par
nature bienveillant,...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... surtout vis-à-vis de Mme le secrétaire d'Etat, et
je préfère donc m'exprimer comme je l'ai fait.
Le Gouvernement déclare donc qu'il y a trop d'argent pour 2000 et qu'il
préfère, compte tenu des incertitudes liées à l'année 2001, reporter sur cette
dernière 15 milliards de francs.
M. Yves Fréville.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
D'ailleurs, lisant les déclarations politiques de ce
week-end, j'ai noté que M. Robert Hue - je ne sais pas si j'ai bien lu, mais je
parle sous le contrôle de Marie-Claude Beaudeau - a fait la même constatation
que moi.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Par conséquent, les chiffres, même si l'on n'en tire
pas les mêmes conséquences, ont au moins une certaine réalité intrinsèque que
l'on ne peut pas contourner.
Ce sont donc 15 milliards de francs de recettes non fiscales qui sont
arbitrairement reportés sur 2001. Bien entendu, madame le secrétaire d'Etat,
cela ne convient pas à la commission des finances, laquelle demandera au Sénat,
par un amendement de revalorisation des recettes du collectif budgétaire, de
constater ce qui doit l'être, c'est-à-dire le rattachement à l'année 2000 de
recettes dont le Gouvernement nous dit lui-même qu'elles appartiennent à
l'exercice 2000. A quoi bon avoir l'annualité budgétaire si c'est pour
l'enfreindre volontairement et de manière aussi caractérisée ?
A partir de ces différents phénomènes, un faible excédent de ressources se
dégage, qui tient compte à la fois des opérations temporaires, du prélèvement
européen et d'autres phénomènes. Mais, mes chers collègues, à ce stade de la
discussion générale, l'essentiel est de bien voir que les 41 milliards de
francs de progression tendancielle des recettes fiscales ne permettent qu'une
amélioration de 5,5 milliards de francs du solde global des finances
publiques.
Les dépenses supplémentaires y sont-elles pour quelque chose ? Non, je dois le
constater, les dépenses supplémentaires de 22,3 milliards de francs étant
gagées par des économies. Voilà la preuve, madame le secrétaire d'Etat, que le
Sénat n'a pas tort lorsqu'il estime que des économies sont possibles, puisque,
en fin d'année, on arrive bien à en faire ! Quand c'est nous qui les proposons,
on nous accuse d'être irresponsables : « mais où allez-vous faire porter le fer
? Où allez-vous laisser tomber la hache ? » Mais, en fin d'année, le
Gouvernement manie la hache, et même avec certaines ambiguïtés. Observant la
façon dont il utilise la variable d'ajustement de la défense et des crédits
d'investissements du titre V...
M. Yves Fréville.
Tout à fait !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... je ne peux manquer d'exprimer à nouveau mon
inquiétude, qui est d'ailleurs partagée par de nombreux collègues, en
particulier par le rapporteur spécial des investissements de la défense, M.
Maurice Blin, qui appelait notre attention sur ce point en commission des
finances, voilà quelques jours.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Bien sûr !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Que se passe-t-il ? Le Gouvernement annule près de 4
milliards de francs de plus sur le titre V de la défense, et il se paye le luxe
de dire qu'il lance la commande de nouveaux avions de transport en substitution
du Transall. Mais, mes chers collègues - là encore, candeur ou cynisme, je ne
sais - la vérité est que l'on nous propose simplement de financer en
autorisations de programmes 50 % de la commande que l'on dit ferme.
Sur le plan du simple respect des règles de l'ordonnance organique, il est
permis de se poser sérieusement des questions : on est certes en droit
d'acheter des avions à l'unité, mais, lorsque l'on affirme avoir un programme
d'achats, il me semble contestable, au regard de la norme de 1959, de ne pas «
budgéter » la totalité des crédits d'engagement correspondant au programme que
l'on dit vouloir réaliser. Si on ne le disait pas, les choses seraient
différentes. Mais dès lors qu'on le dit, le fait de n'en financer, en collectif
budgétaire, que la moitié en autorisations de programme me semble - je parle
sous le contrôle du professeur Fréville - constituer une certaine distorsion
par rapport aux règles de base de nos finances publiques.
Telles sont, mes chers collègues, les observations qu'appellent les aspects
généraux de l'équilibre de ce collectif budgétaire, lequel nous semble vraiment
pécher assez gravement sur un certain nombre de points.
S'agissant de la sincérité et de la transparence, même si, par bienveillance,
nous faisons crédit au Gouvernement de ses déclarations, nous ne voyons
vraiment pas la situation progresser comme elle le devrait et comme elle le
pourrait.
J'en viens au contexte fiscal.
J'ai commencé ce propos en vous disant, mes chers collègues, que ce collectif
était à la vérité plus fiscal que budgétaire. Cette caractéristique a été
sensiblement accentuée à l'Assemblée nationale, certaines initiatives des
députés ayant d'ailleurs été puisées à bonne source.
De plus, le Gouvernement a introduit des sujets lourds par voie d'amendements.
J'en citerai simplement quelques exemples, puisque nous les retrouverons tout
au long de l'examen des articles.
A l'article 5
ter
, le Gouvernement nous propose un dispositif nouveau
afin de rendre plus active la gestion de la dette publique.
Si nous applaudissons naturellement les objectifs, nous sommes à vrai dire
assez indignés s'agissant de la méthode. En effet, madame le secrétaire d'Etat,
chacun sait que, l'année prochaine, la révision de l'ordonnance organique
posant les règles de base des finances publiques va être entreprise ; chacun
sait que, en matière de comptabilisation de la dette publique, les choses sont
d'une clarté extrêmement relative et qu'une vraie réflexion de méthode, devant
aboutir à de nouvelles règles de droit, est nécessaire.
Faut-il en préjuger pour, aujourd'hui, sur un sujet partiel, hypothéquer des
décisions qui ne sont pas encore prises par la représentation nationale ?
Faut-il le faire dans ces conditions et alors que les mêmes initiatives
auraient pu être prises ou suggérées par le Gouvernement voilà six mois, un an,
deux ans, voire trois ans, puisque le sujet que vous évoquez là, c'est-à-dire
l'utilisation des instruments de marché les plus performants dans la gestion de
la dette, existe non pas depuis le 1er décembre 2000 mais depuis déjà un
certain nombre d'années, et aurait pu être traité méthodiquement et dans la
concertation avec le Parlement ?
Mon deuxième exemple a trait à l'article 38 sur l'Etablissement français du
sang. Cette mesure nous avait été proposée l'année dernière en urgence dans le
collectif budgétaire, à la toute dernière minute, sans examen possible par les
commissions. Logiquement, et par considération pour les victimes, nous l'avions
rejetée.
Pendant un an « silence radio complet », si je puis dire, du côté du
Gouvernement : rien n'a été fait, aucune initiative n'a été prise ! Et nous
voyons réitérée la méthode de législation que je qualifie de « furtive »
c'est-à-dire l'amendement gouvernemental qui tombe en urgence, exactement comme
l'année dernière, alors que, pendant un an, ce problème aurait pu être traité
normalement, calmement, dans la concertation ! Ce n'est pas convenable, madame
le secrétaire d'Etat !
Certes, tous les torts ne sont peut-être pas du côté du ministère du budget ;
mais, très sincèrement, ce dernier doit-il se prêter à ce genre de méthode
législative ?
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Telle est la question !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Est-ce ainsi que l'on valorise la loi et le rôle tant
du Gouvernement que du Parlement ? Très sincèrement, nous ne le pensons pas.
Le collectif budgétaire n'est pas une « serpillière législative »...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Voilà !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... qui serait là pour éponger en fin d'année toutes
les poches d'humidité législative qui subsisteraient ici ou là. Il faut
procéder autrement et normalement.
J'en viens à l'article 40... du collectif budgétaire, bien sûr
(Sourires),
qui concerne les frais de perception sur les impositions
sociales. En exagérant un peu, je dirai, madame le secrétaire d'Etat, que cela
ressemble presque à une mascarade ! L'Assemblée nationale s'est déjugée à cinq
reprises sur cette question et elle a encore supprimé les frais dont il s'agit
dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, voilà à
peine quelques semaines. Et elle vient les recréer ici ! Vraiment, n'est-ce pas
une caricature de nos institutions ? Ou l'on veut une chose, ou l'on veut son
contraire, mais on le dit clairement et on choisit.
L'article 41 traite de la réforme de la mutualité sociale agricole en Corse.
C'est un sujet important qui pourrait certainement être débattu dans le cadre
de l'évolution générale des dispositions concernant les deux beaux départements
de Corse. Mais faut-il vraiment que l'on délibère d'urgence en fin d'année sur
ce sujet dans le collectif budgétaire ?
Il y a encore d'autres points qui sont tout aussi critiquables et sur lesquels
je n'insisterai pas.
Il en est ainsi, par exemple, des textes que l'on modifie alors qu'ils
n'existent pas encore ! C'est intéressant ! Alors qu'un projet de loi est
encore en navette, le collectif budgétaire, par la méthode de la « serpillière
législative », en modifie des dispositions non encore promulguées !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ça, c'est du droit !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le cas, par exemple, de l'article 5
bis,
qui concerne la taxe spéciale de soutien au cinéma étendue aux forfaits
d'abonnement au cinéma à entrées illimitées. Nous sommes favorables aux
forfaits d'abonnement à entrées illimitées, du moins compte tenu des remarques
qui ont été formulées dans la discussion sur le projet de loi relatif aux
nouvelles régulations économiques. Mais cette loi ne sera promulguée
vraisemblablement qu'au mois de mai. Comment peut-on modifier dans le collectif
budgétaire une disposition qui ne sera promulguée qu'au mois de mai ? En effet,
les forfaits d'abonnement, si j'ai bien compris, ont été présentés à notre
ratification parce qu'ils n'étaient pas légaux.
Sinon, pourquoi, mes chers collègues, aurait-on demandé au Parlement de
délibérer ?
Le Parlement délibère, la navette opère, de surcroît en procédure d'urgence,
ce qui est une ironie s'agissant des nouvelles régulations économiques, et,
avant même que le texte soit promulgué, on le rectifie !
M. Yann Gaillard.
C'est de la législation prémonitoire !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est de l'innovation permanente !
M. Jean Chérioux.
Ce n'est surtout pas convenable !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le Parlement devient une espèce de laboratoire. C'est
intéressant.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Fécondation législative
in
vitro
!
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
S'agissant de l'article 27
bis
relatif à la
cotisation versée à la caisse de garantie du logement social, c'est de
l'improvisation : il modifie la loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbains, qui vient à peine d'être promulguée. Certes, des
problèmes de codification se posent, mais il ne semble pas responsable de
revenir dès maintenant sur une telle disposition.
Dernier avatar, le Gouvernement présente un amendement n° 74 visant à modifier
l'article 60
bis
du projet de loi de finances pour 2001, relatif au
versement transport dans le périmètre d'urbanisation des villes nouvelles. Nous
avons voté le projet de loi de finances pour 2001, et le Gouvernement nous
propose, quinze jours après, de le rectifier sur un point particulier. C'est,
là aussi, intéressant !
Je terminerai cette intervention trop longue, mes chers collègues, en évoquant
deux préoccupations relatives aux finances locales.
La première a trait à la dotation générale de décentralisation des
départements, qui fait l'objet d'une majoration de 173 millions de francs, dont
104 millions de francs sont destinés à un ajustement du montant des charges des
départements transférées à l'Etat pour la mise en oeuvre de la loi instaurant
la CMU. Il s'agit en fait de tirer les conséquences de cette loi sur les
finances des départements.
Mes chers collègues, nous ne comprenons pas plus que le rapporteur général de
la commission des finances de l'Assemblée nationale les raisons pour lesquelles
le chiffre accepté par le Gouvernement a été fixé à 104 millions de francs
alors que la direction générale des collectivités locales et les experts
compétents en ce domaine ont admis la nécessité d'un ajustement supérieur à 500
millions de francs.
M. Yves Fréville.
C'est exact !
M. Gérard Braun.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous voudrions comprendre la position de la
commission sur l'évaluation des charges de décentralisation, si elle a été
consultée, et nous souhaiterions que la décision en la matière soit prise de la
manière la plus équitable et rationnelle possible.
Ma seconde préoccupation en matière de finances locales est relative à la
dotation globale d'équipement des communes.
Mes chers collègues, vous vous souvenez des discussions qui ont eu lieu lors
de l'examen du texte visant à prendre en compte les résultats du recensement de
1999, et, sur l'initiative de notre excellent collègue Michel Mercier, des
échanges avec le ministre de l'intérieur de l'époque. Nous avions alors évoqué
la nécessité de « réveiller » en quelque sorte une partie des 1 200 millions de
francs correspondant à l'ancienne première part de la dotation globale
d'équipement des communes. Les spécialistes que vous êtes me comprennent
naturellement sans difficulté. Cette mesure aurait permis de réorienter les
moyens nécessaires vers les services départementaux d'incendie et de
secours.
Nous estimons que ce dossier doit être, à nouveau, ouvert et nous nous en
expliquerons le moment venu, madame le secrétaire d'Etat. Les propositions qui
nous sont faites dans ce collectif suscitent de notre part de très vives
craintes.
Mes chers collègues, au vu de ces divers éléments, que peut-on observer sans
préjuger en rien de nos débats et de l'examen des différents sujets très
variés, très intéressants de ce collectif, auquel nous allons nous livrer ?
Nous ne pouvons faire qu'une simple constatation à ce stade : la réforme des
pratiques budgétaires passe, certes, par l'écriture d'une nouvelle «
constitution » financière, et donc par la réforme de l'ordonnance organique de
1959, véritable « tarte à la crème » de nos discussions budgétaires. Mais si
nous sommes totalement convaincus de la nécessité de cette modernisation, nous
pensons aussi que les comportements doivent s'ajuster : les textes sont une
chose, la pratique en est une autre.
Oui, nous jouerons le jeu de la réécriture de l'ordonnance organique, mais
nous voudrions que, dans ce cadre, le Gouvernement joue le jeu de son côté en
ajustant, comme il est nécessaire, ses comportements et ceux de ses services.
Il faut en finir avec la culture du secret. Il faut en finir avec des procédés
qui aboutissent à minorer les droits du Parlement, notamment, par la technique
du collectif budgétaire « fourre-tout » de fin d'année. Les comportements
doivent s'ajuster, mes chers collègues, de telle sorte que les deux assemblées
parlementaires puissent jouer tout leur rôle. En tant qu'organe de
représentation de la souveraineté nationale, nous devons être respectés dans
notre travail de législateur, notamment de législateur financier.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, je me suis posé la question durant toute la fin de
semaine : comment traiter de ce collectif d'une façon convenable, selon la
tradition du Sénat, et si possible élégante ?
Madame la secrétaire d'Etat, franchement, le texte que vous nous présentez est
absolument exécrable. Le budget pour 2001, dont nous avons achevé l'examen la
semaine dernière, nous avait donné le sentiment que le Gouvernement avait
accompli des progrès, non pas sur la politique budgétaire que la commission des
finances estime toujours gravement déficiente en se dérobant devant toutes les
réformes de structures nécessaires à la préparation de l'avenir, mais des
progrès réels sur la forme : davantage de sincérité sur les chiffres,
argumentation plus respectueuse du Sénat.
Or, ce projet de collectif est désolant de recul, désolant de régression. Il
s'apparente - M. le rapporteur général l'a dit avec le vocabulaire modéré qui
est le sien - à une sorte de poubelle législative, à « une serpillière », je
dirai à une voiture-balai.
Ses conditions d'examen, madame la secrétaire d'Etat, sont dépourvues de tout
sens démocratique. Le Gouvernement a laissé presque doubler de volume le texte
à l'Assemblée nationale au moyen d'amendements portant sur des dispositifs très
lourds qui, mes chers collègues, n'ont souvent même pas pu être examinés par la
commission des finances de l'Assemblée nationale. C'est le cas de l'apurement
des dettes des agriculteurs corses à l'égard de la mutualité sociale agricole ;
c'est le cas de la création d'une filiale entre Thomson et la direction des
constructions navales.
Quand j'ajoute que ce texte nous a été transmis voilà dix jours à peine, alors
que nous étions en pleine discussion du budget pour 2001, vous voyez dans
quelles conditions nous travaillons !
Il est vrai que, depuis 1998, le ministre qui est chargé de présenter le
collectif n'est jamais le même, ce qui est sans doute utile pour lui donner
l'impression de se livrer à un mauvais exercice pour la première fois
seulement.
(Sourires.)
Mais si les gouvernements et les ministres
changent, les mauvaises habitudes demeurent !
C'est pourquoi, mes chers collègues, votre commission des finances vous
proposera - et ce vraiment sans aucun regret, sans aucun état d'âme - la
suppression d'un certain nombre d'articles qui auront en quelque sorte valeur
de motion de renvoi en commission..., je veux dire en commission des finances
de l'Assemblée nationale, qui n'a pas pu examiner ces dispositifs.
On est en démocratie ou on ne l'est pas, madame la secrétaire d'Etat ! Pour ma
part, je préfère que la majorité plurielle - qui a ses humeurs, je le reconnais
- se penche plutôt deux fois qu'une, je veux dire, au moins une fois, sur les
dispositifs que vous nous soumettez, sur les propositions du Gouvernement que
cette majorité soutient.
Je suis fondé à faire ce reproche au Gouvernement car, lorsqu'il était
président de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius souhaitait voir un dépôt
simultané du projet de loi de finances initiale, du projet de loi de règlement
et du collectif de fin d'année.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il avait de bonnes idées !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'étaient en effet d'excellentes
idées !
Le projet de loi de règlement de 1999 a bien été déposé avant le projet de loi
de finances. Mais que dire de ce collectif ?
La mission conduite par la commission des finances, avec les pouvoirs de
commission d'enquête, a établi que le projet de collectif de fin d'année était
fondé sur les hypothèses du projet de budget pour l'exercice suivant. Dans ces
conditions, la proposition de Laurent Fabius était parfaitement justifiée.
De deux choses l'une : ou bien le collectif se fonde sur des hypothèses
différentes du projet de loi de finances, et alors il est normal de l'examiner
plus tard ; ou il se fonde sur les mêmes hypothèses, et il n'y a aucune raison
de contraindre le Parlement à l'examiner à la sauvette en fin d'année.
L'état lamentable de ce collectif doit nous servir, mes chers collègues,
d'enseignement. Nous nous apprêtons - le rapporteur général le rappelait - à
réformer dans le consensus la loi organique. Je soumets donc à votre réflexion,
madame la secrétaire d'Etat, le principe suivant : le collectif de fin d'année
ne doit comporter que des dispositions relatives à l'exercice en cours.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Exactement !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Celles-ci doivent être de trois
types : la ratification des mouvements de crédits intervenus en cours d'année,
ainsi que l'approbation des mouvements associés au collectif, la prise en
compte des modifications dans les estimations de recettes et de dépenses liées
à des facteurs indépendants de la volonté du Gouvernement et les ajustements de
la politique budgétaire, afin, soit de modifier les moyens mis en oeuvre pour
atteindre les objectifs initialement fixés, soit, éventuellement, de modifier
ces objectifs.
En revanche, deux types de dispositions doivent être désormais proscrites.
Il s'agit, d'une part, de celles qui modifient l'exercice suivant. Il n'est
pas admissible que, l'encre de la loi de finances même pas sèche, on vienne
déjà modifier l'équilibre que le Parlement durant trois mois a cherché à
définir, comme c'est sa mission.
Il s'agit, d'autre part, des dispositions permanentes : elles n'ont rien à
faire dans un texte aussi contingent qu'un collectif. Celui dont nous allons
discuter à l'instant démontre, presque à chaque article, à quels excès mène un
tel laxisme.
Ces quelques remarques prospectives faites, je ne m'étendrai pas sur les
critiques de la politique budgétaire menée par le Gouvernement. Le rapporteur
général l'a fait excellemment. Je ne soulignerai que deux aspects : le déficit
et les recettes.
S'agissant du déficit, afficher un déficit pour 2000 supérieur à celui qui a
été exécuté en 1999 revient à se moquer non pas, comme on le dit parfois, du
Parlement mais bien des Français, dans la période de croissance qui est la
nôtre et avec un surplus de recettes de 40 milliards de francs. Mais que ferait
donc le Gouvernement, madame la secrétaire d'Etat, si la conjoncture devenait
moins bonne ?
S'agissant des reports de recettes non fiscales dont le montant s'élève à 15
milliards de francs pour la seconde année consécutive, il s'agit d'une pratique
inacceptable.
M. Jacques Chaumont.
Inacceptable, en effet !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Oui, monsieur Chaumont,
inacceptable, dites-le dans votre département de la Sarthe !
Refuser d'encaisser 15 milliards de francs revient à accroître la charge de la
dette d'environ un milliard de francs supplémentaire par an. Comment justifier
cela ?
Combien d'établissements pénitentiaires auraient pu être rénovés avec un
milliard de francs supplémentaire ? Combien de travaux de sécurité routière
auraient pu être engagés ? Les motifs d'affichage et de lissage que vous
évoquez, madame la secrétaire d'Etat, sont bien pauvres, j'allais dire
misérables parfois au regard de la perte que cette attitude entraîne pour le
bien-être et pour les intérêts des Français.
C'est pourquoi, mes chers collègues, une fois encore, la commission des
finances vous proposera une autre voie : la voie de la responsabilité qui fait
fi de cet affichage auquel on est désormais habitué, la voie de la
responsabilité qui s'appliquera à se soumettre aux principes de bonne et saine
gestion car il s'agit du fruit du travail des Français. Le respect que nous
leur devons est le pilier essentiel de notre démocratie.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me
félicite des efforts de transparence faits cette année par le Gouvernement
(M. le rapporteur général s'exclame)
puisque le collectif que nous
examinons aujourd'hui est le second de l'année. En effet, le collectif du
printemps a déjà permis d'éclairer fortement le Parlement sur la politique
budgétaire menée par votre ministère, soyez-en remerciée, madame la secrétaire
d'Etat.
Je me félicite également que la politique économique et budgétaire mise en
oeuvre par la gauche depuis 1997 continue à porter ses fruits !
Bien sûr, la hausse des prix du pétrole brut peut ne pas être sans conséquence
sur les recettes fiscales. Mais ces conséquences ne seront que modestes d'ici à
la fin de l'année et les prévisions de recettes devraient être confirmées en
exécution.
La hausse des recettes fiscales, qui résulte de la bonne marche de l'économie,
se poursuit, bien que l'incidence des baisses d'impôts prévues, tant dans la
loi de finances initiale que dans le collectif de printemps, soit réelle. Il
n'en reste pas moins que l'impôt sur le revenu devrait s'élever cette année à
346 milliards de francs, ce qui représente 2,5 % de plus que prévu.
Quant à l'impôt sur les sociétés, il devrait s'élever à 256 milliards de
francs, alors qu'il n'était prévu qu'à hauteur de 229 milliards de francs.
Compte tenu des bonnes rentrées fiscales, le Gouvernement a proposé de
reporter sur 2001 l'encaissement de 15 milliards de francs de recettes non
fiscales. C'est à mes yeux une bonne décision, parce que, d'une part, c'est
réalisable, et que, d'autre part, cela constitue une sage précaution pour parer
à toute éventualité. Là encore, nous ne pouvons que nous féliciter de la
transparence, madame la secrétaire d'Etat.
Il résulte de ces diverses mesures que les ressources nettes du budget général
devraient s'élever cette année à 1 491 milliards de francs, soit 1,9 % de plus
que dans la loi de finances initiale.
Les dépenses, quant à elles, continuent d'être maîtrisées, même si le
collectif de printemps avait dû tenir compte de certaines charges
exceptionnelles, notamment celles qui découlaient des intempéries de la fin de
l'année 1999. Ainsi, alors que la loi de finances initiale prévoyait la
stabilité complète, à volume et périmètre constants, des dépenses du budget
général, le collectif de printemps avait vu les crédits nets du budget général
s'accroître de 10 milliards de francs.
Pour faire face à des dépenses imprévues, 22 milliards de crédits nouveaux ont
dû être ouverts, dont 4 milliards de francs au titre de l'augmentation du coût
des allégements de charges sociales, en raison du dynamisme de l'emploi, et 4
milliards de francs pour certains remboursements de dettes de l'Etat. Mais ces
ouvertures de crédits sont compensées par un montant équivalent de gel de
dépenses.
Dans ce collectif d'automne, les crédits nets du budget général ne
s'accroissent que de 2,5 milliards de francs, ce qui traduit une progression
des plus modérées. De plus, les ouvertures de crédits complémentaires ne
représentent que 2,1 % des crédits initiaux, c'est d'ailleurs l'augmentation la
plus faible depuis 1997.
Le Gouvernement maîtrise donc bien les dépenses, ce qui n'était pas le cas
voilà quelques années !
M. Jean Chérioux.
C'est de l'humour noir !
M. Michel Sergent.
C'est la vérité, monsieur Chérioux.
Le déficit de 209,5 milliards de francs prévu dans ce collectif représente 6
milliards de moins que ce qui était prévu par le projet de loi de finances
initiale. La prévision d'exécution est bien meilleure, puisque le déficit
attendu devrait se situer en dessous de 200 milliards de francs, même s'il
reste quelques incertitudes sur le résultat final, en raison du possible
ralentissement de la progression des recettes fiscales de fin d'année,
notamment en raison de la prise en charge par l'Etat de la suppression de la
part régionale de la taxe d'habitation.
N'oublions pas que la tempête de décembre 1999, qui a induit une facture de 10
milliards de francs, le mini-choc pétrolier de septembre dû à la forte
augmentation du prix du pétrole brut, la réponse nécessaire à la situation dans
les hôpitaux publics ou le contentieux financier avec l'administration
européenne au sujet de la TVA autoroutière. Le Gouvernement n'avait pas le
droit de se dérober à la solidarité nationale. Il ne l'a d'ailleurs pas fait
!
Par ailleurs, les surplus de recettes fiscales, évalués à 75 milliards de
francs en 2000, ont été, au printemps, affectés à des allégements fiscaux,
notamment à la baisse de la TVA, de la taxe d'habitation et des deux premières
tranches de l'impôt sur le revenu. Ces affectations se sont conjuguées avec les
allégements décidés dans le cadre de la loi de finances pour 2001, mais
effectifs dès cette année, comme la suppression de la vignette et les mesures
de correction de la fiscalité pétrolière.
Le déficit budgétaire de cette année doit donc être mesuré à l'aune, d'une
part, des dépenses d'urgence et, d'autre part, des diminutions d'impôts qui
auront été, en 2000, particulièrement importantes. Vous avez d'ailleurs
rappelé, madame la secrétaire d'Etat, qu'elles s'élevaient à près de 100
milliards de francs.
Même en ne tenant pas compte des mesures fiscales figurant dans le présent
collectif, abaisser les impôts de 40 milliards de francs en cours d'année,
après avoir déjà inscrit 40 milliards de francs dans la loi de finances
initiale pour 2000 ne peut pas être sans conséquences pour l'équilibre des
finances publiques ! Mais, si ces mesures volontaristes sont le résultat de
choix clairs, au service de la justice sociale, de la consommation, de la
croissance et de l'emploi, pourquoi n'en assumerions-nous pas les conséquences
sans état d'âme et sans timidité vis-à-vis des chantres du libéralisme ? Qui
veut la fin s'en donne les moyens !
Et ceux qui n'ont pas de mots assez durs pour critiquer ce collectif seraient
plus crédibles s'ils avaient, en leur temps, avant 1997, tenu les mêmes propos
pour condamner des pratiques autrement plus répréhensibles.
M. Claude Estier.
Absolument !
M. Michel Sergent.
C'est pourquoi, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, le projet de la loi de finances rectificative dont nous venons
d'entamer la discussion a tout mon soutien ainsi que celui du groupe
socialiste.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
première vue, le dernier collectif budgétaire de ce second millénaire ne
présente pas de différence fondamentale avec ceux dont nous avons débattu en
1998 et 1999. En effet, comme pour ces deux collectifs, la croissance a permis
de dégager suffisamment de ressources fiscales nouvelles pour ne pas
contraindre le Gouvernement, comme nous l'avions vu si souvent entre 1993 et
1997, à procéder à l'utilisation intensive de la méthode du prélèvement
autoritaire, des pseudocotisations spontanées des grandes entreprises publiques
pour boucler le budget en cours.
Une analyse plus approfondie fait émerger quelques interrogations nouvelles
que je vais tenter de mettre en évidence.
La première question porte sur la réalité des différences entre la loi de
finances initiale, la loi de finances rectificative et la loi de règlement, qui
est l'ultime recours.
S'agissant de la loi de finances initiale, on notera que, pour les années qui
viennent de s'écouler, et quoi qu'en disent les sénateurs de la majorité
sénatoriale qui n'ont pas trouvé l'effort suffisamment important, la tendance à
la réduction du déficit est nettement marquée. Mais à quel prix ? devrais-je
ajouter.
Nous sommes particulièrement loin de ces lois de finances présentées
simplement pour l'affichage, avec des prévisions irréalistes et des déficits
qui flirtaient avec les 300 milliards de francs tandis que le solde budgétaire
primaire était déjà déficitaire.
Ce n'est plus le cas aujourd'hui, puisque le service de la dette est supérieur
- et encore trop élevé -, au déficit inscrit. Ainsi, dans la loi de finances
pour 2001, le déficit prévisionnel est de 186 milliards de francs pour un
service de la dette de 250 milliards de francs. Cela signifie que le solde
primaire sera désormais excédentaire de plus de 70 milliards de francs.
La réduction du déficit est donc sensible et les recettes fiscales augmentent
en raison du développement de l'activité économique, des créations d'emplois.
Pour autant, tout est loin d'être résolu.
Nous avons suffisamment dit dans le passé que la création d'emplois était dans
notre pays le facteur essentiel de l'amélioration de l'équilibre des comptes
publics pour que nous ne relevions pas cette évolution, qui n'est pas
contestable.
Cette situation ne nous satisfait pas. Nous pensons qu'il reste beaucoup à
faire pour relancer la consommation populaire, l'investissement des
entreprises, la réduction négociée du temps de travail et améliorer la qualité
des emplois.
La part des salaires dans la valeur ajoutée n'a pas connu de véritable
augmentation. Nous en sommes restés à la situation des années soixante-dix. Il
est grand temps que la précarité recule grâce à la dépense publique pour
l'emploi et pour le soutien aux entreprises.
Nous pensons qu'il faut, madame la secrétaire d'Etat, recentrer clairement la
dépense publique vers l'allégement des contraintes de financement qui pèsent
sur la recherche et le développement, sur l'investissement, sur la formation
des salariés, sur la reconnaissance de leurs qualifications et de leurs
compétences.
C'est en développant ces potentiels que notre pays pourra, dans le plus proche
avenir, à la fois améliorer la situation sociale, conforter la croissance et
rétablir une situation plus saine des finances publiques.
Il reste trop de blessures ouvertes, trop de vies amputées, trop de
souffrances et de misère pour que nous relâchions, au nom de je ne sais quelle
orthodoxie financière ou budgétaire, l'effort, la mobilisation de la dépense
publique pour répondre aux besoins collectifs.
Nous souhaitons également que vous partagiez notre conviction que la précarité
a de multiples effets. Elle bride la croissance, elle limite la progression de
la richesse nationale et, par voie de conséquence, celle des ressources
publiques. Elle brise les hommes et les femmes qui en sont victimes et, pour
les entreprises, elle n'a que peu de portée, puisque celles-ci doivent se
contenter de profits de court terme.
La précarité est devenue la source essentielle du déficit public et le motif
des plus importants des dépenses d'intervention. Elle est l'obstacle à la
réduction et à la réforme des prélèvements obligatoires.
La précarité rend injuste toute réforme fiscale, dès lors que celle-ci
tournerait le dos à l'exigence d'efficacité économique et sociale, concuremment
aux exigences de redistribution et d'égalité devant l'impôt.
Madame la secrétaire d'Etat, rien dans la politique publique ne doit
encourager, de près ou de loin, la précarité. C'est pourquoi nous dénonçons la
politique d'allégement des cotisations sociales, aujourd'hui centralisée dans
le FOREC, qui encourage la pratique des bas salaires, non pas pour les salariés
les moins qualifiés, mais pour les salariés dont la qualification n'est pas
reconnue à sa juste valeur.
Cette question récurrente, nous la posons encore en prenant en compte les
récentes évolutions depuis la mise en place de la nouvelle majorité en 1997.
Nous observons cependant encore ici que le décalage entre loi de finances
initiale et loi de finances rectificative est sensible, en termes tant de
recettes que de dépenses. Il n'y a rien de fatal. L'imprécision demeure encore
trop importante.
Nous ne sommes pas, avec ce collectif, en présence d'un projet de loi
suffisamment précis dans la mesure exacte des recettes et des dépenses.
Deux impôts au moins continuent cette année de connaître une progression plus
importante que celle qui est prévue.
Ainsi, au 31 octobre, selon les données fournies par vos services, madame la
secrétaire d'Etat, la progression des recettes de l'impôt sur le revenu était
déjà de 19 milliards de francs sur l'exercice 1999, alors même que le collectif
qui nous est présenté ne prévoit qu'une hausse de 13 milliards de francs.
On notera d'ailleurs que ce phénomène se produit alors même que le collectif
de printemps a corrigé le montant de l'impôt pour l'ensemble des contribuables
dans des proportions non négligeables.
Pour l'impôt sur les sociétés, le phénomène spectaculaire enregistré en 1999
semble encore se prolonger, quand bien même disparaîtrait la surtaxe instituée
en 1997.
Au 31 octobre, les recettes de cet impôt s'élevaient à 189,8 milliards de
francs, soit une hausse de 27,5 milliards de francs sur 1999, alors que le
projet de collectif n'envisage qu'une hausse de 26 milliards de francs.
Le processus entamé est en voie de consolidation puisque nous étions, à la fin
du mois de septembre 2000, parvenus à des chiffres identiques, à quelques
centaines de millions près.
Dès lors se pose la question suivante : le projet de collectif est-il trop
modeste et timide dans la détermination de son équilibre ou bien devrons-nous
constater, une fois de plus, que les prévisions les plus optimistes ont été
dépassées et que la loi de règlement du budget 2000 sera moins déficitaire que
le présent collectif ?
Cela pose au demeurant en même temps la question de savoir si la politique
budgétaire de l'Etat parvient plus facilement à atteindre l'objectif de
réduction des déficits que celui d'optimisation de la dépense publique et de
réduction des impôts.
A ce sujet, on notera que, si des décisions non négligeables ont été
effectivement prises, elles n'ont cependant pas d'impact réel sur les recettes
fiscales.
Ainsi, la réduction des taux des deux premières tranches de l'impôt sur le
revenu semble avoir été compensée par l'évolution spontanée du produit de
l'impôt, tandis que la baisse du taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée
semble avoir, pour l'essentiel, été absorbée par l'évolution positive de la
consommation intérieure.
Quels sont donc les facteurs qui ont conduit à cette situation ? Est-elle due
à la progression de la masse salariale en volume plus qu'en valeur unitaire ?
Est-elle due au dynamisme particulier des revenus de capitaux mobiliers ?
Nous devons être éclairés sur ces points, même s'il faut être prudent pour
tirer des conclusions de situations temporaires d'exécution budgétaire.
En revenant au projet de la loi de finances rectificative proprement dit, je
note que l'article d'équilibre fixe le niveau du déficit pour 2000 à 209,5
milliards de francs. Certains esprits chagrins diront que cette somme est
légèrement supérieure à celle qui figure dans le projet de loi de règlement
pour 1999, où le solde s'établit à 206 milliards de francs.
C'est peut-être oublier un peu vite que, la poursuite de la croissance aidant,
la dégradation des comptes n'est qu'apparente d'autant que, dans le même temps,
tant les administrations de sécurité sociale que les collectivités
territoriales éprouvent moins de difficultés dans leur situation comptable.
Il n'est ni logique ni politique de prendre la situation des comptes publics
sous le seul angle de l'analyse froide et objective des données comptables,
sans prendre en compte la dynamique engendrée par la gestion, les choix et les
orientations politiques.
Attendu que le déficit inscrit est inférieur au service de la dette, nous
pensons qu'une place plus importante peut encore être laissée à la dépense
publique. Si cette dépense porte par exemple sur les minima sociaux, elle sera
immédiatement recyclée en activité économique supplémentaire. Madame la
secrétaire d'Etat, en même temps que l'affirmation d'une forte conviction c'est
une proposition que nous vous faisons. Dans le cas contraire, nous serions en
quelque sorte enfermés dans une logique de rentier qui ne convient
manifestement pas aux exigences du temps.
S'agissant des données chiffrées quant aux nouveaux engagements souscrits par
l'Etat, nous ferons quelques observations.
Les ouvertures de crédits des services civils atteignent 37,9 milliards de
francs, dont la plus grande part est au demeurant mobilisée par le budget des
charges communes, plus de 25,5 milliards de francs étant inscrits au
provisionnement des réductions d'impôts.
S'agissant des autres dépenses, ce sont les budgets de l'agriculture, avec
plus de 3,1 milliards de francs, ceux de l'emploi, avec plus de 4,1 milliards
de francs, et de la solidarité, avec près de 2,4 milliards de francs, qui
connaissent l'évolution la plus sensible.
L'essentiel de la dépense agricole est liée à la mise en circulation des aides
du fonds européen d'orientation et de garantie agricole, le FEOGA, tandis que
les sommes engagées au titre de l'emploi portent sur les exonérations de
cotisations sociales du chapitre 44-77 et que les crédits de la solidarité
portent sur le financement de l'allocation aux adultes handicapés, l'abondement
de la Caisse nationale d'allocations familiales pour le financement du fonds
d'action sociale des travailleurs immigrés et de leurs familles, le FASTIF, et
l'ajustement du niveau du RMI.
On ne peut cependant manquer d'observer que ces mesures procèdent pour
l'essentiel de dispositifs de rattrapage trop tardifs qui portent à
s'interroger sur la connaissance des mécanismes d'exécution par les services de
l'Etat et,
a fortiori,
par les parlementaires, et ce d'autant que, une
fois de plus, ce sont les mêmes chapitres qui sont alimentés, un peu en
catastrophe, en fin d'exercice.
On observe en outre que nombre des ouvertures sont contrebalancées par des
annulations de crédits non négligeables, qui atteignent cette année plus de
21,8 milliards de francs.
On notera que c'est le ministère de l'emploi et de la solidarité qui connaît
la plus sensible réduction de ses engagements, les mesures d'ouverture étant
l'équivalent, ou peu s'en faut, des mesures d'annulation.
Ainsi, les 6,5 milliards de francs d'ouverture évoqués ci-dessus sont
équilibrés par 6,6 milliards de francs d'annulation portant notamment sur les
emplois-jeunes, sur le financement des contrats aidés et
in fine
sur la
CMU.
Devrions-nous nous plaindre que la croissance économique créât suffisamment
d'emplois pour restreindre le recours aux dispositifs particuliers ? Ce ne
serait évidemment pas juste.
Pour autant, on ne peut se satisfaire d'une gestion budgétaire qui se contente
de respecter scrupuleusement les règles de la comptabilité au détriment d'une
réflexion plus audacieuse quant à une nouvelle allocation des ressources.
On ne peut non plus se contenter d'une annulation de près de 500 millions de
francs de crédits au titre du logement ou d'une amputation de 600 millions de
francs de la dotation globale d'équipement.
Nous devons, si l'on souhaite mener une politique efficace au service de notre
pays, sortir de cette logique infernale de gestion en soi, qui porte en germe
la remise en cause définitive du rôle du Parlement dans le suivi de l'exécution
et devient peu lisible pour nos compatriotes, madame la secrétaire d'Etat.
La baisse des crédits du logement réduit le chapitre concerné de près de 5 %,
tandis que l'amputation de la DGE représente plus de 10 % des crédits
initiaux.
Si les fonds publics ne peuvent être mobilisés sous les formes choisies et
selon les règles de cofinancement en vigueur, il convient alors de se demander
si le relèvement de l'engagement de l'Etat n'est pas préférable à l'annulation
de crédits.
Quand un programme de construction ou de réhabilitation de logements sociaux
ne peut voir le jour faute de financement équilibré, il nous semble dès lors
nécessaire, eu égard aux besoins, de majorer la proportion du financement
public.
L'économie comptable d'aujourd'hui est souvent à la source de la dépense de
demain, qui pourrait par exemple prendre la forme de la majoration des aides
personnelles au logement, celle de l'aide aux organismes bailleurs sociaux en
difficulté, celle de la prise en charge de leurs emprunts, celle de l'effet
frein du développement économique lié à la non-réalisation technique du
programme, etc.
Il faut choisir, et choisir non en fonction de l'intérêt comptable immédiat,
mais en fonction de la pertinence de l'engagement public.
Cessons donc de voir la dépense publique comme un coût et apprécions
clairement sa portée systémique, ses effets sur le développement de l'activité
économique, effets que nous constaterons en retour, le moment venu.
Par le biais de quelques amendements, nous nous efforçons d'améliorer - c'est
bien là le sens premier du mot « amender » - le texte. A l'issue des débats,
notre vote final dépendra des différents votes qui seront intervenus sur
chacun des points principaux que nous aurons soulevés.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun.
« Le présent projet de collectif établit le solde budgétaire à moins 209,5
milliards de francs, soit une amélioration de 5,8 milliards de francs par
rapport au collectif de printemps comme par rapport à la loi de finances
initiale pour 2000. Ce solde du collectif devrait s'accompagner ensuite d'un
déficit probable d'exécution inférieur à 200 milliards de francs. Les
opérations sont retracées avec un souci permanent de transparence. »
Chacun aura reconnu dans ces trois phrases le premier paragraphe de l'exposé
des motifs du projet de loi de finances rectificative pour 2000, dont nous
commençons l'examen.
Lorsque l'on analyse le contexte dans lequel s'inscrit ce collectif
budgétaire, on comprend bien que ce sont ces trois phrases qui sous-tendent le
débat sur la sincérité de ce projet de loi.
Malheureusement, nous n'avons pas le sentiment que le Gouvernement ait
correctement analysé et intégré les conclusions du rapport de la commission des
finances, dotée à cette occasion des pouvoirs d'une commission d'enquête,
relatif au fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets
de loi de finances et l'exécution de celles-ci Nous ne saurions trop en
conseiller à nouveau la lecture attentive.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bon conseil !
M. Gérard Braun.
Dans ce paragraphe de l'exposé des motifs, le Gouvernement fait passer trois
messages : le déficit budgétaire s'inscrit à 209,5 milliards de francs ; le
déficit probable d'exécution sera inférieur à 200 milliards de francs ; le
souci du Gouvernement est celui de la transparence.
Permettez-moi de commenter ces trois messages.
Tout d'abord, force est de constater que le montant du déficit budgétaire
figurant dans ce collectif est supérieur de 3 milliards de francs au déficit de
1999. Nous savons que Mme la secrétaire d'Etat au budget considère qu'il n'est
pas pertinent de tirer des conclusions d'une comparaison entre le déficit de
1999 et le déficit inscrit dans ce collectif pour 2000.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Tout à fait !
M. Gérard Braun.
Souffrez que nous ne partagions pas ce point de vue. Pour le Gouvernement, la
pertinence d'une analyse doit se mesurer à l'aune des lauriers qu'elle tresse à
la gloire du Gouvernement. Dans ces conditions, je crains que la pertinence de
la mienne ne lui échappe.
Ensuite, le déficit budgétaire affiché ne prend pas en compte les 15 milliards
de francs de recettes non fiscales reportées par le Gouvernement de 1999 à 2000
et que ce collectif propose de reporter sur 2001. Ne sont pas non plus pris en
compte les 11 milliards de francs de charges que la Cour des comptes a
mentionnés dans son rapport. Pour être sincère, ce collectif devrait donc
présenter un solde négatif de 235,5 milliards de francs.
Le ministère de l'économie, des finances et du budget nous annonce un déficit
en exécution probablement inférieur à 200 milliards de francs. Nous avons tous
noté la précaution de langage utilisée par le Gouvernement pour ne pas froisser
tous ces parlementaires si attentifs - trop, au goût de certains - à leur
prérogatives de contrôle de l'utilisation des deniers publics. Ce déficit
d'exécution inférieur à 200 milliards de francs n'a qu'un caractère de
probabilité, et pourtant à plusieurs reprises les ministres en charge de
l'économie et du budget n'ont pas pris ces précautions oratoires !
Ainsi, le Gouvernement est persuadé que l'exécution du budget 2000
s'effectuera en dessous de 200 milliards de francs. Il en est si sûr qu'il
fonde même la défense de ce collectif sur cette assertion. Une telle
affirmation ne signifie rien d'autre que le solde inscrit dans ce projet de loi
est inexact. Ce collectif ne respecte donc pas les règles de sincérité.
Enfin, le Gouvernement assure que ce collectif a été élaboré avec un souci
permanent de transparence. Nous venons de démontrer qu'il n'en était rien sur
le montant du déficit.
La réduction du déficit n'est à l'évidence plus une priorité pour le
Gouvernement. Ce dernier peut remercier les collectivités locales et la
sécurité sociale, hors branche maladie, dont les efforts lui permettent, tout
en s'exonérant lui-même de tout effort sur la gestion de l'Etat, de respecter
le critère de 3 % du PIB, fixé par le traité de Maastricht.
Dans le volet recettes de ce projet de loi de finances rectificative pour
2000, il y a à l'évidence une sous-évaluation des recettes de certains
impôts.
En ce qui concerne l'impôt sur le revenu, la variation des recettes entre
octobre 1999 et octobre 2000 est de 6,4 %. Il est exact que ce pourcentage est
inférieur à celui qui a été constaté l'an dernier en pleine « affaire » des
plus-values fiscales supplémentaires résultant de la croissance, mais, appliqué
aux recettes de l'impôt sur le revenu de 1999, il représente 355 milliards de
francs alors que seulement 346 milliards de francs sont inscrits au collectif.
Il y a donc une sous-évaluation des recettes de l'impôt sur le revenu estimée
entre 5 milliards et 10 milliards de francs, compte tenu des évolutions
attendues au niveau des encaissements d'ici à la fin de l'année.
S'agissant de l'impôt sur les sociétés, la sous-évaluation des recettes est
encore plus patente. La variation des recettes entre octobre 1999 et octobre
2000 est de 16,9 %. Appliqué aux recettes de 1999, cela représente 268
milliards de francs, alors que 255 milliards de francs seulement sont inscrits
au collectif. On peut situer cette sous-évaluation entre 10 milliards et 15
milliards de francs.
Nous finirons donc l'année avec un décalage entre le niveau réel des recettes
et celui qui figure dans les documents communiqués au Parlement : entre 15
milliards et 20 milliards de francs pour les seuls impôt sur le revenu et impôt
sur les sociétés.
Tout cela prouve, hélas ! que le Gouvernement n'a tiré aucun profit de ce qui
s'est passé à la fin de l'année dernière et qui avait justifié la dénonciation,
à la fois par notre commission des finances et par la Cour des comptes, des
manoeuvres budgétaires auxquelles il se livrait.
Sur ces évidentes sous-évaluations, la réponse que vous avez faite à
l'Assemblée nationale, madame le secrétaire d'Etat, n'était guère convaincante.
Il est difficile de croire qu'un projet de loi déposé au Parlement le 15
novembre 2000 se fonde sur des estimations révisées des évaluations faites à la
fin du mois de juillet pour la préparation du projet de budget pour 2001, alors
que le niveau des recettes de la fin du mois de septembre était connu.
Il convient, par ailleurs, de ne pas oublier les 16,6 millards de francs de
recettes issues des cessions de titres des sociétés GAN, CIC et UIC. En dépit
des remarques de la Cour des comptes sur la nécessité de faire figurer, sauf à
malmener les principes d'universalité et d'unité budgétaire, ces recettes au
budget, elles n'apparaissent pas dans ce collectif, et c'est autant qui échappe
au contrôle du Parlement.
Pourtant, le Gouvernement devra s'expliquer devant le Parlement sur ce
décalage entre les chiffres du collectif et la réalité des comptes de l'Etat à
la fin du mois d'octobre.
Pour ce qui concerne les prélèvements obligatoires, l'année 2000 ressemble à
l'année dernière. En 1999, le Gouvernement avait annoncé une baisse de 0,2
point et l'année s'était achevée sur une hausse de 0,8 point. Au début de
l'année 2000, une baisse de un point était annoncée. Au moment de l'examen du
budget pour 2001, le Gouvernement n'évoquait plus qu'une baisse de 0,5 point,
puis de 0,4 point.
A la fin de l'année, la baisse devrait se situer entre 0,2 et 0,3 point.
Ici aussi, le Premier ministre a mis des nuances puisque, dans son plan pour
les finances publiques 2002-2004, il n'est plus question que d'une baisse de un
point sur la période, et à condition que la croissance soit forte.
S'agissant des dépenses, la maîtrise, pourtant revendiquée par le
Gouvernement, est malheureusement tout à fait absente. Certes, nous en donnons
acte au Gouvernement, dans le collectif, il y a une compensation entre dépenses
nouvelles et économies. Mais un tiers de ces économies concerne les dépenses
d'investissement, dont le niveau est déjà assez faible pour ne pas avoir à
supporter de nouvelles coupes.
Il convient de rappeler ici qu'au printemps dernier ce sont quelque 10
milliards de francs de dépenses qui n'avaient pas été compensés. Si l'on ajoute
à cela les dépenses à caractère social et les conséquences des allégements de
cotisations sociales renvoyées dans la loi de financement de la sécurité
sociale, on voit bien que l'on sort des « clous » fixés dans le programme
d'évolution des dépenses publiques communiqué par le Gouvernement aux autorités
communautaires.
Pour mieux se persuader de cette absence de maîtrise, il suffit d'analyser la
programmation des finances publiques pour 2002-2004 qui va être communiquée à
la Commission européenne. Le Premier ministre a bien conscience que les
pressions conjugées, et souvent contradictoires, des composantes de sa majorité
plurielle ainsi que la proximité de certaines échéances le forcent à « donner
un peu de mou » à la dépense publique. Les chiffres communiqués sont donc en
progression, sur la période de trois ans, de 4,3 % à 4,5 %, au lieu des 4 %
initialement prévus.
J'en viens aux principales dispositions de ce collectif budgétaire
d'automne.
L'extension de l'assiette de la TGAP, la taxe générale sur les activités
polluantes, aux consommations intermédiaires d'énergie n'est pas satisfaisante.
En premier lieu, elle ne répond en rien aux objectifs que le Gouvernement a
assigné à cette taxe puisqu'elle n'intègre pas dans son assiette l'ensemble des
activités émettant des gaz à effet de serre. En second lieu, chacun le sait,
cette extension permet au Gouvernement de financer une partie du coût de la
réduction uniforme et obligatoire du temps de travail par l'affectation des
recettes au FOREC.
Il s'agit donc bien d'un dévoiement de la fiscalité écologique, et nous nous y
opposerons.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Gérard Braun.
Les élus départementaux ne peuvent accepter l'attitude du ministère des
finances, qui refuse de compenser, au titre de la DGD - dotation générale de
décentralisation - l'ensemble des charges résultant de la mise en place de la
couverture maladie universelle pesant sur les départements.
La direction générale des collectivités locales et les représentants des
assemblées départementales se sont accordés sur la nécessité d'un ajustement
des crédits à hauteur de 513 millions de francs. Or le collectif budgétaire ne
prévoit que 104 millions de francs à ce titre. Le compte n'y est pas, et mes
collègues présidents et vice-présidents de conseils généraux lanceront un appel
au Gouvernement afin que les crédits nécessaires soient alloués à la DGD de
manière qu'aucune charge ne pèse sur les départements.
Avant de conclure, je tiens à remercier et à féliciter vivement le président
et le rapporteur général de la commission des finances, nos collègues Alain
Lambert et Philippe Marini, dont les travaux de grande qualité permettront au
Sénat d'examiner ce projet de collectif budgétaire en disposant de tous les
éléments nécessaires à la réflexion.
Le groupe du Rassemblement pour la République votera ce projet de loi de
finances rectificative pour 2000 dans le texte qui résultera de nos travaux,
tout en restant attentif au sort qui sera réservé à ses amendements.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste. - M. le président de la commission des finances et M. le
rapporteur général applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
ainsi, l'adage
bis repetita placent
ne sera pas vérifié : M. Hue n'aura
pas la « cagnotte » de Noël qu'il espérait hier, les 17 à 22 milliards de
francs de recettes fiscales annoncées !
(Sourires.)
Mais le présent projet de loi de finances rectificative n'est cependant pas le
collectif d'ajustement et d'adaptation que nous aurions pu attendre, surtout
lorsqu'on se souvient qu'une première et profonde révision de la loi de
finances initiale a été faite au début de l'été.
Comment ne pas s'étonner, avec le rapporteur général, qu'un collectif de fin
d'année serve de support à la mise en place d'une autorisation de programme
exceptionnelle de 20 milliards de francs pour la reconstitution du parc
d'avions de transport militaire, quand cela ne représente que la moitié du
total nécessaire et est, de surcroît, obtenu par annulation de 5 milliards de
francs d'autorisations de programme sur d'autres lignes ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Incroyable !
M. Yves Fréville.
Sans doute - mais nous n'en savons rien - ces annulations ont-elles porté sur
de petits programmes. Toutefois, pour peu spectaculaires qu'elles soient, ces
dépenses sont certainement fort utiles au regard de la capacité opérationnelle
des forces.
Décidément, le budget initial de l'année n'est plus qu'un budget virtuel !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances,
et Philippe Marini,
rapporteur général.
Exactement !
M. Yves Fréville.
Comment ne pas s'étonner encore qu'environ 15 milliards de francs de recettes
non fiscales apparaissent en juillet - puisque la loi de finances initiale n'en
faisait pas mention - fassent un petit détour pendant six mois dans les comptes
et disparaissent aussi prestement en fin d'année ?
Comment ne pas s'étonner surtout qu'une progression tendancielle de près de 80
milliards de francs de recettes fiscales n'aboutisse qu'à une réduction
symbolique, cosmétique, de 6 milliards de francs du déficit budgétaire ?
Ce collectif semble en effet conclure une année d'occasions perdues, et je
voudrais à cet égard, madame le secrétaire d'Etat, poser deux questions d'ordre
général.
Ma première question concerne la progression des recettes fiscales nettes en
2000.
Vous avez bénéficié en 2000 d'une incroyable marge de manoeuvre - je n'ai pas
le souvenir qu'il y en ait eu de telle au cours des quinze dernières années -
puisque la progression tendancielle des recettes fiscales a été de 75 milliards
de francs : 35 milliards de francs dans le collectif de printemps et 40
milliards de francs en cette fin d'automne.
Cela révèle une énorme erreur de prévision, de l'ordre de 5 % des estimations
initiales. Elle est d'autant plus surprenante qu'elle n'est pas la conséquence
d'une erreur de prévision économique. La croissance 3,2 % est légèrement
supérieure à ce qui avait été annoncé, même si l'on a enregistré un certain
ralentissement avant l'automne.
Comment, dès lors, expliquer cette énorme erreur de prévision ? Certains
pourraient dire que c'est un calcul politique, qu'en distillant de façon
fractionnée les informations sur les plus-values fiscales auprès des
différentes composantes de votre majorité plurielle, vous évitez le débat entre
ceux qui veulent plus de dépenses au nom de l'urgence sociale et ceux - il y en
a ! - qui comprennent la nécessité de réduire le déficit pendant les années de
vaches grasses.
J'avancerai, pour ma part, une autre raison, peut-être moins politique mais
sans doute plus pernicieuse à long terme. Je crois que Bercy et nous-mêmes
sous-estimons la progressivité de notre système fiscal. On commet de graves
erreurs de prévision depuis une quinzaine d'années parce qu'on ne prend pas en
compte la sur-réaction de notre système fiscal aux variations du taux de
croissance, à la hausse comme à la baisse. Quand le revenu national varie d'un
point, cela a été dit dans le rapport économique et financier, l'impôt tend à
augmenter de 1,4 point. Car l'impôt sur le revenu n'est pas le seul à être
progressif ; c'est aussi le cas de la TVA, du fait d'un trop grand écart entre
le taux réduit et le taux normal : si la consommation se déplace vers les
produits taxés au taux normal, les recettes de TVA augmentent plus que
proportionnellement. Et c'est encore plus vrai, bien entendu, de l'impôt sur
les sociétés lorsqu'une entreprise déficitaire devient imposable.
La vraie réforme de l'impôt dans notre pays passe donc, me semble-t-il, par
une réduction de cette progressivité générale qui pénalise l'effort, la prise
de risques et l'épargne, et cela va bien au-delà de la seule réforme de l'impôt
sur le revenu.
Ma deuxième observation concerne l'étonnant tour de force que j'évoquais tout
à l'heure : avec une centaine de milliards de francs de ressources potentielles
supplémentaires, on a abouti à un déficit en réduction de seulement 5 milliards
de francs.
En effet, par rapport à la loi de finances initiale, il y a non seulement
augmentation des recettes fiscales de 75 milliards de francs, mais aussi 15
milliards de francs de recettes non fiscales et réduction de 4 à 5 milliards de
francs du prélèvement de recettes pour l'Union européenne.
Je reconnais que vous avez rendu aux Français - c'est sympathique ! - la
moitié de cette manne en réduction d'impôts, pour l'essentiel au printemps, et
pour 7 ou 8 milliards de francs en fin d'année.
Je ferai simplement remarquer que, avec une telle masse de réductions
d'impôts, vous auriez pu simplifier et réformer notre système fiscal ; or c'est
le contraire que vous avez fait : vous l'avez encore compliqué ! Sans même
parler ici de la TGAP, le bazar hétéroclite de réductions en tout genre que
vous nous avez fait adopter ne débouche pas nécessairement, pour nos
concitoyens, sur une meilleure visibilité de la baisse des prélèvements
obligatoires, après le record calamiteux que leur niveau avait atteint en
1999.
Cependant, il vous reste encore la moitié de votre marge de manoeuvre, et vous
l'amputez brutalement de 15 milliards de francs en renonçant à 15 milliards de
recettes non fiscales dûment votées par le Parlement à votre demande en juin
dernier, soit 7 milliards de francs de reversements de la COFACE et 8 milliards
de rémunérations de la garantie de l'Etat par les caisses d'épargne.
Vous arguez de la « bonne tenue des recettes fiscales ». De deux choses l'une
: ou bien il s'agit d'un ajustement purement cosmétique, c'est-à-dire d'un
changement de date de perception - du 30 décembre 2000 au 2 janvier 2001 - et
donc d'un simple lissage du déficit budgétaire d'une année sur l'autre qui
n'aurait de conséquences ni pour la COFACE ni pour les caisses d'épargne, ou
bien il s'agit, comme le disait tout à l'heure M. le président de la commission
des finances, d'un véritable report de perception d'une année pleine, et cela
signifie alors une perte de 1 milliard de francs pour les contribuables. En
effet 15 milliards de francs à 5 % pendant neuf mois nous amènent à peu près à
ce chiffre. Il faut donc se rallier à la commission des finances, rétablir
cette recette et réduire d'autant le déficit budgétaire de l'exercice 2000.
Enfin, vous avez utilisé une partie de votre marge de manoeuvre pour accroître
les dépenses.
Certes, vous ne le faites pas dans le collectif de fin d'année. Je relèverai
au passage qu'il faudrait cependant inclure dans les dépenses les recettes
transférées au FOREC : les 3 ou 4 milliards de francs transférés au FOREC ne
sont, après tout, qu'une dépense supplémentaire, même si elle est engagée par
un établissement public.
Quoi qu'il en soit, dans le collectif de printemps, vous avez engagé une
dizaine de milliards de francs de dépenses supplémentaires que vous qualifiez
d'« exceptionnelles ». C'est de l'exceptionnel qui revient sous des formes
changeantes chaque année !
Pour ce qui est du présent collectif, j'observe le caractère récurrent des
économies sur les dépenses d'équipement des armées : plus de 6 milliards de
francs cette fois-ci.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Variable d'ajustement !
M. Yves Fréville.
Cela devient un classique des mensonges budgétaires ! On vote des crédits en
conformité avec les lois de programmation militaire, puis on en annule 6 % à 12
%, selon les années.
Il est procédé à de telles annulations à la demande, j'en conviens, de
gouvernements de droite comme de gauche, qui arguent du niveau des reports, de
l'optimisation de la gestion des flux, ou des grandes négociations en
cours...
Madame le secrétaire d'Etat - et il faudra penser à ce problème lors de la
réforme de l'ordonnance de 1959 portant loi organique. Il importe que la
question de la gestion et de la consommation des crédits d'équipement militaire
soit éclaircie avant l'adoption de la prochaine loi de programmation et qu'en
particulier, comme le demande la Cour des comptes et la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, nous mesurions mieux les
conséquences physiques de l'écart entre le niveau défini par la loi de
programmation actuelle et les crédits effectifs du titre V sur la période
1997-2001 : pratiquement 68 milliards de francs de crédits auront été ainsi
annulés.
Au total, je constate donc que le Gouvernement se refuse à énoncer clairement
ses objectifs en matière de réduction des déficits. Pourtant, le rapport
économique et financier le dit clairement : il faudrait 30 milliards de francs
de réduction du déficit par an pour réduire la part des intérêts de la dette
dans le budget de l'Etat. Vous auriez pu y parvenir en 2000 en défendant un
déficit à 195 milliards de francs : dans la loi de finances rectificative de
l'année dernière, il s'élevait à 225 milliards de francs ; en le diminuant de
30 milliards de francs, on parvenait à 195 milliards de francs. Vous ne l'avez
pas voulu, parce que vous vous saviez incapable de poursuivre cet effort en
2001.
Je terminerai, mes chers collègues, en fustigeant - tout à l'heure, M. le
rapporteur général évoquait cette grande serpillière ; dans le Nord, on dit une
wassingue - certains comportements d'un Etat qui peine à se moderniser même si
certains efforts, comme la création de l'Agence de la dette - sur ce point, je
ne suis pas tout à fait d'accord avec M. le rapporteur général - vont dans le
bon sens.
Madame le secrétaire d'Etat, ma première observation a trait au non-respect
par l'Etat de ses engagements en ce qui concerne la compensation des charges
des départements transférées par l'Etat au titre de la couverture maladie
universelle, la CMU. Comme cela a été dit, un écart de près de 800 millions de
francs a été constaté par les conseils généraux entre les charges reconnues par
l'Etat et celles qui étaient constatées par les départements. Après
concertation, la Direction générale des collectivités locales avait admis la
nécessité de procéder à un ajustement de 500 millions de francs - merci ! -
mais, dans le présent collectif, seuls 100 millions de francs sont pris en
compte.
Nous ne comprenons absolument pas que le principe de la comensation intégrale,
qui avait été fixé dans les lois de décentralisation de 1982-1983, ne soit pas
respecté dans ce cas, d'autant que le Gouvernement nous explique que, chaque
fois que l'on supprime une recette fiscale locale, la compensation est
intégrale. Pourquoi cette exception ?
Je note, comme M. le rapporteur général, que même s'il n'existe pas de lien
entre ces deux affaires, 600 millions de francs de DGE non consommés et non
réaffectés aux services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, ont
été purement et simplement annulés.
Ma seconde remarque concerne les procédures incorrectes dont vous usez pour
vous prévaloir, bien à tort, d'une majoration fictive des crédits
d'investissement. Je prendrai un sujet sensible pour montrer qu'une distinction
doit être opérée entre les décisions de principe et leur application dans les
faits.
Nous sommes tous d'accord dans cet hémicycle - il n'y a pas le moindre doute à
cet égard - pour voter les autorisations de programmes à hauteur de 1,4
milliard de francs destinés à la création de la fondation pour la mémoire de la
Shoah. Mais pourquoi inscrire 700 millions de francs de crédits de paiement
dans un collectif budgétaire alors que l'on sait très bien qu'il n'y a aucune
chance que cette somme soit versée puisque la fondation n'est pas encore créée
? Votons le 1,4 milliard de francs d'autorisations de programme, mais
respectons le principe budgétaire selon lequel on inscrit en crédits de
paiement uniquement ce qui peut être payé.
Dans le même ordre d'idées, pourquoi inscrire 1,3 milliard de francs de
crédits de paiement pour verser au Fonds européen de développement, le FED, le
solde des dettes STABEX, alors que nous savons que 1 milliard de francs de
crédits prévus n'est pas encore dépensé ?
Telles sont, madame le secrétaire d'Etat, les quelques observations que je
souhaitais formuler sur ce collectif budgétaire.
J'en viens - avant ma conclusion - à l'extraordinaire fleuron de ce collectif,
qui le fera certainement passer à la postérité comme le
summum
de ce que
peuvent produire le délire bureaucratique et la confusion des idées : je veux
parler de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, sur certaines
consommations intermédiaires d'énergie ; cela m'évitera sans doute d'y revenir
plus tard.
C'est un impôt imbécile, antiéconomique, antiécologique et coûteux.
C'est un impôt imbécile, nous le savons tous, puisqu'il repose sur une
contradiction interne. Il doit servir à « boucher les trous » du plan de
financement des 35 heures à hauteur de 4 milliards de francs, et, en même
temps, inciter à réduire sensiblement la consommation intermédiaire
d'énergie.
C'est un impôt antiéconomique puisqu'il va engendrer de multiples distorsions
de concurrence. Tout d'abord, si l'on veut taxer l'énergie, il faut imposer
toutes les formes de la consommation d'énergie, aussi bien finales
qu'intermédiaires, les ménages comme l'Etat en tant que consommateurs finals.
Donc, un tel impôt devrait être général. Mais un impôt général sur l'énergie
nous ramènerait aux vieilles controverses des années cinquante, avec les
propositions d'Eugène Schueller. Or, permettez-moi de le dire, c'est grâce à
l'énergie que l'on a réduit la durée du travail !
C'est un impôt antiécologique, bien évidemment : je ne vois pas quel effet de
serre peut créer la production d'énergie hydraulique, voire nucléaire !
Enfin, c'est un impôt extrêmement coûteux : il sera le meilleur impôt créateur
d'emplois de contrôleurs que l'on puisse imaginer, puisque son rendement
rapporté à son coût ne devrait pas dépasser le coefficient 4 : 25 % de son
produit seront absorbés par la paye des contrôleurs.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela mérite d'être dit, c'est important !
M. Yves Fréville.
Je le crois !
On invoque le coût de collecte trop élevé de certains impôts. Quand un impôt
coûte 25 % de son montant pour payer une armée de contrôleurs, il faut
peut-être s'interroger avant de le créer !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas un modèle de modernité !
M. Yves Fréville.
Certainement pas, monsieur le rapporteur général !
En conclusion, les deux collectifs de 2000, car il faut les lier, donnent une
impression de gâchis et d'occasions perdues. En effet, on ne disposera pas de
sitôt d'une masse de manoeuvre d'une centaine de milliards de francs.
A une vraie réforme fiscale, vous avez préféré faire plaisir aux diverses
composantes de votre majorité plurielle et aux diverses couches
socio-professionnelles. A une politique claire de réduction des intérêts de la
dette, vous avez préféré vous enliser dans le financement des 35 heures.
Il faudra toute la ténacité de la commission des finances pour redresser ce
qui peut l'être. C'est dans cet esprit que le groupe de l'Union centriste
épaulera ses efforts.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Dans vos interventions liminaires, monsieur le
rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, vous
avez vivement critiqué la forme de ce texte. Bien sûr, vous en avez aussi
critiqué le fond - je ne voudrais pas que l'on croie que vous puissiez être
d'accord avec le fond de ce texte - mais, ce qui m'a le plus frappée, c'est la
critique sur la forme. Vous l'avez formulée en des termes extrêmement imagés,
qui, au travers des préoccupations de propreté qu'ils reflètent, renvoient
aussi à l'écologie évoquée à l'instant par M. Fréville : serpillière,
wassingue, on peut dire aussi since, ou bien patte... Quelle tornade blanche !
Mais, au-delà de tous ces mots - et il y en a un que je ne cite pas, vous
l'aurez sans doute remarqué - ce qui m'intéresse, c'est qu'il s'agit d'un
projet de loi et que, en tant que tel, il est soumis à l'approbation du
Parlement : pour cette simple raison, il ne mérite pas de tels termes.
Revenons un instant sur le fond. Après un travail approfondi du Sénat, qui a
été mené sur le terrain de la sincérité budgétaire, ce collectif est marqué par
la franchise. Il ne me semble pas en manquer ! Il ne me semble pas non plus
manquer de transparence.
J'ai eu l'occasion de rappeler que les évaluations de recettes avaient été
opérées à deux reprises cette année : au printemps, puisque le collectif a
rectifié les évaluations de recettes fiscales de 35 milliards de francs ; à
l'automne, puisque, en ce moment même, nous examinons une réévaluation à
hauteur d'un peu plus de 40 milliards de francs. J'ai également rappelé à
plusieurs reprises que vous disposez des situations mensuelles sur l'exécution
du budget de l'Etat ainsi que d'informations régulières en ce domaine.
En ce qui concernait les recettes non fiscales, vous avez manifesté votre
surprise, monsieur le rapporteur général, de voir reporter ce prélèvement de 15
milliards de francs sur l'exercice 2001. Ce point avait déjà été très
clairement expliqué lors de la discussion sur le projet de loi de finances pour
2001. Je dirai même que, dès le début du mois d'octobre, lorsque vous avez eu
en main ce projet de loi de finances pour 2001, il était précisé que ces
recettes non fiscales seraient reportées sur l'exercice 2001. D'ailleurs, votre
rapport sur le projet de loi de finances rectificative le mentionne.
(M. le rapporteur général fait un signe de dénégation.)
Par conséquent,
je crois qu'il n'y a pas de surprise. Qu'il y ait un désaccord sur la procédure
retenue, je peux le concevoir, mais qu'il y ait un effet de surprise à votre
égard, les termes mêmes de votre rapport le démentent.
M. Lambert a proposé un certain nombre de règles de conduite auxquelles il
conviendrait de se tenir pour l'avenir. Il a notamment souhaité que l'on
n'inscrive plus dans des collectifs de fin d'année des dispositions qui
auraient pour conséquence de modifier les exercices suivants.
En matière de crédits, j'entends ce souhait comme étant un appel au débat sur
la question plus générale des reports. Nous aurons certainement l'occasion
d'avoir ce débat très approfondi lors de nos discussions sur la réforme de
l'ordonnance de 1959 portant loi organique. Je puis d'ores et déjà vous dire
que cette question des reports suscite un débat intense au sein de l'exécutif
et que différents points de vue s'expriment dans les ministères gestionnaires.
On ne peut donc pas dire qu'une doctrine soit encore bien arrêtée. Je conçois
tout à fait que ce sujet soit primordial pour le Sénat et nous aurons
l'occasion, je le répète, d'en reparler de manière très approfondie.
Vous nous avez également proposé d'autres règles de conduite, auxquelles nous
aurions pu souhaiter que les majorités précédentes se tiennent. En ce qui
concerne les mesures permanentes, vous souhaiteriez qu'elles ne figurent plus,
désormais, dans les collectifs de fin d'année. Il me semble que pareille
restriction aurait pour conséquence directe de limiter l'exercice légitime du
droit d'amendement. Ces propositions me paraissent donc devoir être examinées
de manière attentive avant d'y donner nécessairement suite.
Monsieur le président de la commission des finances, vous avez feint, je
crois, de confondre le déficit du projet de loi de finances rectificative et le
déficit de l'exécution. Sachant votre connaissance très approndie de la matière
budgétaire, je ne peux imaginer une seule seconde qu'il s'agisse d'une
véritable confusion. C'est plutôt une conclusion un peu hâtive. Mais j'ai
compris que le sens de la nuance n'imprégnait pas nécessairement nos débats de
ce matin. En tout cas, j'espère ne pas contribuer à les caricaturer par mes
propos.
(M. Alain Lambert, président de la commission des finances, s'exclame.)
M. le rapporteur général a remarqué, à juste titre, que ce collectif
contenait de nombreux articles fiscaux. A vrai dire, je ne vois pas où est le
problème ; c'est un peu le cas de tous les collectifs de fin d'année, vous me
le concéderez bien volontiers. Pour ce qui est de la procédure, il n'est pas
anormal qu'un article de caractère fiscal puisse figurer dans une loi de
finances, qu'elle fût rectificative ou non : un article de caractère fiscal
peut figurer dans n'importe quelle loi et le fait qu'il figure dans un
collectif de fin d'année n'est nullement illégitime.
Vous avez insisté sur un autre point qui vous paraissait important :
l'introduction d'amendements dans ce collectif budgétaire, vous auriez souhaité
que ces amendements aient pu faire l'objet d'articles soumis à l'examen
préalable de la commission des finances dans des délais plus acceptables.
A propos de la dette, il y s'agit simplement d'en améliorer la gestion. Si je
vous ai bien compris, c'est la procédure, et non pas les objectifs, qui suscite
votre indignation. La procédure manquerait de clarté. Peut-être nous
reprochez-vous aussi le moment que nous avons choisi pour introduire cette
disposition ? A vrai dire, le Gouvernement a tout simplement attendu, pour
légiférer, d'être prêt sur cette réforme de la gestion de la dette et sur la
création d'une agence de la dette.
L'amendement en question reflète, au fond, l'impatience du Gouvernement qui
était désireux de soumettre au Parlement les dispositions à caractère
législatif attachées à cette réforme.
Sur la taxe spéciale de soutien au cinéma, j'avoue ma perplexité. Il y a,
selon moi, cohérence et non pas discordance entre le projet de loi sur les
nouvelles régulations économiques, en cours de discussion, et l'amendement du
Gouvernement dont est issu l'article 5
bis
. Certes, et je vous en donne
acte, on aurait pu conduire les deux exercices simultanément. Nous avons
toutefois dû attendre que la concertation entre le Centre national du cinéma et
les professionnels aboutisse, ce qui n'était pas le cas lors de la discussion
du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques. Il était en outre
nécessaire, et vous l'avez reconnu, que la nouvelle assiette soit fixée dès le
1er janvier 2001. Or, le seul moyen d'y parvenir était de faire en sorte que
cette disposition soit adoptée dans le cadre de ce projet de loi de finances
rectificative.
M. Sergent a souligné, et je lui en suis reconnaissante, que l'on éclaire
mieux, que l'on informe mieux, et que l'on est donc davantage responsable
devant le Parlement lorsque l'on a deux fois l'occasion de s'exprimer devant
lui. Autrement dit, deux projets de loi de finances rectificative valent mieux
qu'un !
Certaines des mesures importantes que vous nous avez rappelées à juste titre
nous ont été imposées par la conjoncture mondiale ou par des décisions
extérieures. Nous avons ainsi tiré les conséquences budgétaires des mesures
fiscales prises pour faire face, dès l'automne 2000, à la crise pétrolière, qui
a désorienté au plus haut point nos concitoyens.
Vous avez également rappelé les suites de la décision prise, en septembre
dernier, par la Cour de justice des Communautés européennes sur les péages
d'autoroute, décision qui nous a conduits à définir les modalités futures
d'assujettissement à la TVA des sociétés concernées.
Le litige est donc désormais tranché, ce qui est une bonne chose, car nous
passons ainsi d'une période d'incertitude à une période que nous souhaitons
être de certitude.
Vous avez également souligné les efforts de transparence du Gouvernement,
ainsi que sa volonté sans faille de maîtriser la dépense.
Vous avez raison, un déficit budgétaire se mesure aussi à l'aune des dépenses
exceptionnelles auxquelles le pays doit faire face, comme ce fut le cas au
début 2000, ainsi qu'à l'aune des allégements d'impôts, et ceux qui ont été
proposés sont importants.
Vous avez apporté votre soutien au Gouvernement, sans timidité, avez-vous dit.
De cela, je vous remercie, monsieur le sénateur.
Mme Beaudeau a rappelé longuement que l'emploi était au coeur de notre
politique, je la remercie d'insister sur ce point, mais pour ajouter que les
efforts du Gouvernement lui paraissaient encore insuffisants.
Permettez-moi de rappeler, madame le sénateur, qu'après une longue période
d'érosion la part des salaires dans la valeur ajoutée a commencé à se redresser
à partir de 1999, notamment du fait des bons résultats enregistrés sur le
terrain de la lutte pour l'emploi. On ne peut que s'en réjouir, même si j'ai
bien entendu les remarques, les critiques et les aspirations que vous
formuliez.
Vous avez notamment souligné la difficulté à trouver l'équilibre entre la
réduction des déficits et la satisfaction des demandes qui sont adressées à
l'Etat par nos concitoyens. L'exercice est effectivement difficile, mais le
Gouvernement est toujours soucieux de cet équilibre.
Vous avez regretté les annulations dont fait l'objet le budget de l'emploi. En
réalité, je tiens à vous le rappeler, ce sont les mesures sociales qui
constituent le premier chef d'ouverture de crédits au sein de ce collectif,
puisque plus de 11 milliards de francs leur sont consacrés, tous chapitres
budgétaires confondus.
M. Braun a eu l'amabilité de relire le début de l'exposé des motifs du présent
projet loi. Croyez bien, monsieur le sénateur, que nous en avons mûrement pesé
chaque terme et que nous en avons considéré chaque aspect, comme nous l'avons
fait, d'ailleurs, du rapport de votre commission. On ne peut pas travailler
sérieusement si l'on procède par approximations.
Sur les évaluations de recettes fiscales, malheureusement, nous ne pouvons pas
procéder en utilisant des règles de trois. Il est clair que, lorsque l'on
photographie, à un instant donné, en l'occurrence, en octobre 2000, les
encaissements de recettes tels qu'on les connaît alors, on ne peut pas
mécaniquement en déduire des tendances valables jusqu'à la fin de l'année.
Néanmoins, si nous n'avons pas cru nécessaire de revoir les évaluations de
recettes présentées entre la fin du mois de septembre et le 15 novembre, date à
laquelle ce projet de loi de finances rectificative a été déposé, c'est que les
encaissements réalisés depuis l'arrêt de nos évaluations, à la fin du mois de
septembre, se sont révélés en ligne par rapport à nos prévisions. Donc, nous
n'avions nullement d'indice nous permettant de corriger cette précision, qui,
d'ailleurs, avait elle-même fait l'objet d'une première correction très
substantielle au printemps.
Il va sans dire que, dans toute prévision, il y a un aléa, et le Gouvernement
ne saurait nier la difficulté d'une prévision de recettes fiscales. Reste que
nous ne disposons pas aujourd'hui d'éléments qui puissent nous laisser présager
que notre prévision de la fin du mois de septembre serait caduque.
Vous avez également insisté sur le manque de pertinence de l'analyse du
Gouvernement quant à la prévision du déficit qui figure dans ce collectif de
fin d'année, disant qu'il était supérieur à celui de 1999. Permettez-moi, une
fois de plus, de vous dire que je ne partage pas votre analyse. Le collectif
budgétaire n'est qu'une étape dans une exécution budgétaire. Je vous donne
rendez-vous au mois de janvier, lorsque nous disposerons des résultats
définitifs de l'exécution de l'année 2000.
Je me réjouis comme vous du fait que les collectivités locales et la sécurité
sociale produisent des excédents, mais je ne peux pas vous laisser dire, à
l'inverse, que le déficit de l'Etat serait durablement maintenu à un niveau
supérieur ou égal à 3 % du PIB. Selon vous, sans la sécurité sociale ou les
collectivités locales, le déficit des administrations publiques serait
supérieur aux critères d'éligibilité à l'euro. Or tel n'est pas le cas. L'Etat
reste déficitaire, c'est un fait. Nous nous employons à réduire ce déficit qui,
en 2000, sera de 2,3 %. C'est encore certainement trop, mais notre
programmation à moyen terme planifie la « décrue » du déficit de l'Etat. Voilà
pourquoi on ne peut pas dire que le déficit de l'Etat est égal à 3 %.
Monsieur Fréville, vous prétendez que nous avons souhaité éviter des débats
difficiles sur la répartition des plus-values de recettes fiscales. Mais, si
nous avions réellement souhaité éviter des débats difficiles, nous n'aurions
peut-être pas présenté deux projets de loi de finances rectificative au cours
d'un seul exercice budgétaire, car ce sont à chaque fois des débats publics
difficiles auxquels le Gouvernement s'expose, surtout devant la Haute Assemblée
!
C'est vrai, la progression des recettes fiscales en 2000 est sans doute sans
précédent ; elle résulte de la reprise très vive de la croissance et de
l'emploi. Nous ne pouvons que nous en réjouir. J'ajouterai simplement aux
propos que j'ai tenus en réponse à M. Braun que les recettes 2000 sont aussi
très tributaires de la croissance de 1999, puisque quasiment la moitié de ces
recettes sont assises sur les revenus de 1999 et qu'au moment où cette
prévision a été réalisée, c'est-à-dire à la fin de 1999, nous étions en train
de sortir du trou d'air sans trop le savoir. Je n'allongerai pas les débats,
mais je vous renvoie à des discussions que nous avons déjà eues.
Je suis tout à fait d'accord pour souligner le caractère particulièrement
élevé de l'élasticité à la croissance des impôts, notamment de l'impôt sur les
sociétés. C'était vrai en 1999 ; ce le sera encore en 2000. Cependant,
j'indique qu'il faut voir là non pas principalement l'effet « progressivité »,
mais bien le résultat d'une dynamique, la dynamique de l'emploi, qui a permis
les baisses d'impôts que nous constatons en 2000.
S'agissant de la taxe générale sur les activités polluantes, j'estime,
contrairement à tous les qualificatifs qui lui sont réservés et auxquels je ne
souscris pas, que c'est un impôt extrêmement novateur. En effet, il est
novateur parce qu'il est incitatif dans la mesure où il prévoit une négociation
avec les entreprises sur des objectifs de réduction des émissions de gaz
carbonique ou de la consommation d'énergie en contrepartie de ces engagements,
des allégements de taxes sont concédés, du moins, bien entendu, si les
engagements sont tenus.
Je pense sincèrement que ce dispositif, qui introduit dans notre fiscalité des
principes assez novateurs, est tout à fait judicieux, surtout après qu'il a été
substantiellement amélioré par la commission des finances de l'Assemblée
nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
J'indique aux membres de la
commission des finances que nous nous réunissons à quatorze heures quinze, pour
examiner les amendements déposés sur ce projet de loi.
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