SEANCE DU 14 DECEMBRE 2000
CONSEIL EUROPÉEN DE NICE
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 30 de
M. Hubert Haenel à M. le ministre des affaires étrangères, sur le Conseil
européen de Nice, suivante :
M. Hubert Haenel demande à M. le ministre des affaires étrangères d'exposer au
Sénat les résultats du Conseil européen réuni à Nice les 7 et 8 décembre
2000.
La parole est à M. Haenel, auteur de la question.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me garderai bien de
qualifier le sommet de Nice. Je me contenterai d'examiner le principal résultat
de ce Conseil sous présidence française à la lumière des résultats de ce qu'on
a appelé la Conférence intergouvernementale, la CIG, à savoir que la voie de
l'élargissement est désormais libre.
Rappelons tout d'abord que la nécessité d'une réforme institutionnelle en
préalable à l'élargissement était déjà reconnue avant la négociation
d'Amsterdam. Celle-ci n'ayant pas abouti sur ce point, la France, la Belgique
et l'Italie avaient rappelé, dans une déclaration annexée au traité, que
l'élargissement restait subordonné à une réforme institutionnelle. L'Assemblée
nationale et le Sénat avaient d'ailleurs tenu, chacun s'en souvient, à inscrire
cette exigence dans la loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam par
la France. Progressivement, les autres pays membres s'étaient ralliés à cette
démarche. C'est ainsi qu'a été lancée la Conférence intergouvernementale qui
vient de se conclure.
Il n'était pas acquis qu'un accord serait obtenu à Nice. Jusqu'à présent,
l'Europe n'avait jamais connu de négociation strictement limitée au
fonctionnement des institutions ; il y avait toujours une question de fond qui
entraînait à la suite les questions purement institutionnelles. Ce n'est que
pour réaliser l'achèvement du marché intérieur que l'on a obtenu le consensus
sur la prise de décision à la majorité qualifiée dans l'Acte unique. C'est
parce que la monnaie européenne était un objectif mobilisateur que l'on s'est
mis d'accord sur le traité de Maastricht. L'on fut bien heureux de mettre en
avant la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice pour
le traité d'Amsterdam. Cette fois-ci, la négociation se limitait à quatre
questions institutionnelles et avait pour seul objectif de revoir les règles du
jeu.
L'exercice était d'autant plus difficile que ces questions avaient déjà été
abordées, sans succès, lors de la négociation d'Amsterdam. Dès lors qu'il
s'agissait de définir, finalement, la place de chaque pays dans le processus de
décision, les gouvernements avaient une marge de manoeuvre très étroite.
Finalement, si un accord a pu être trouvé, c'est parce que aucun Etat membre
ne voulait endosser la responsabilité de donner un coup d'arrêt au processus
d'élargissement et de provoquer une crise qui aurait pu mettre en péril la
monnaie européenne.
Après l'accord de Nice, le préalable institutionnel se trouve donc levé.
Personne ne semble tout à fait sûr que le nouveau traité permettra aux
institutions de bien fonctionner après l'élargissement, mais, du moins, tout le
monde est d'accord pour ne plus revenir sur cette question. Nous savons donc
désormais quelle sera la physionomie de l'Union élargie.
Deux objectifs ont été mis en avant dans le débat qui a entouré les
négociations : conforter la légitimité des institutions et en améliorer
l'efficacité.
Considérons la légitimité, tout d'abord.
Le maintien des règles en vigueur aurait, à coup sûr, compromis la légitimité
du processus de décision. Pour des raisons historiques, la pondération des
votes au Conseil était très favorable aux Etats les moins peuplés. C'était
acceptable dans une Union à douze, qui comptait sept « petits » Etats et cinq «
grands » ; mais, déjà, l'équilibre avait commencé à se détériorer dans l'Europe
à quinze. Avec l'élargissement, qui va concerner dix « petits » Etats, un «
moyen », la Roumanie, et un seul « grand », la Pologne, on serait arrivé à un
déséquilibre flagrant. Il fallait donc modifier les règles pour retrouver un
équilibre raisonnable dans l'Union élargie.
A l'issue du traité de Nice, les institutions sont-elles plus légitimes ?
Pour ce qui est de la pondération des votes au Conseil, il y a un progrès,
mais un progrès relativement modeste.
Prenons un exemple qui nous concerne de près : la France représentera 12,5 %
de la population de l'Union élargie ; avec les anciennes règles, elle aurait eu
7,5 % des droits de vote ; avec les nouvelles règles, elle en aura 8,4 %. La
représentativité du Conseil est donc un peu améliorée, mais de là à voir dans
le nouveau système une sorte de directoire des « grands » Etats, il y a un pas
qu'on ne saurait franchir.
Et l'on ne doit pas oublier que les nouvelles règles restent favorables aux
Etats les moins peuplés, ce qui est d'ailleurs normal, finalement, dans une
union d'Etats comme l'Union européenne.
Il est vrai que, par ailleurs, le nouveau système de vote comporte un « filet
démographique ». Lorsque la majorité qualifiée aura été atteinte en nombre de
voix, il faudra s'assurer que ces voix représentent au moins 62 % de la
population de l'Union. A l'heure actuelle, la majorité qualifiée représente au
moins 58 % de la population de l'Union. En l'absence de réforme, le pourcentage
aurait été d'à peine 50 % dans l'Europe élargie. Le « filet démographique » est
donc un progrès pour la représentativité du Conseil.
On dira qu'il s'agit là d'une mesure très favorable aux grands Etats,
spécialement à l'Allemagne, qui représentera à elle seule 17,5 % de la
population de l'Europe élargie. Certes, mais les « petits » Etats ont obtenu en
contrepartie une clause stipulant que toute décision devra être approuvée par
une majorité d'Etats membres. Cela permettra, le cas échéant, à une coalition
de « petits » Etats représentant moins de 12 % de la population de bloquer une
décision ; l'hypopthèse est, bien entendu, un peu extrême, du moins on
l'espère, mais elle montre que le système n'écrase pas, loin de là, les Etats
les moins peuplés.
Dans l'ensemble, la légitimité du Conseil sort plutôt renforcée du nouveau
traité ; sa représentativité se trouve améliorée sans que les « petits » Etats
puissent se juger marginalisés.
Pour ce qui est du Parlement européen, la situation est plus étrange.
Les députés des « grands » Etats représenteront tous à peu près 800 000
habitants, mais ensuite la règle adoptée paraît moins claire. Par exemple, un
député néerlandais représentera 630 000 habitants et un député belge en
représentera 460 000 : on a peine à comprendre la légitimité d'un tel écart.
D'une manière générale, les écarts de représentation resteront considérables et
seront même plus accentués qu'aujourd'hui : un électeur luxembourgeois vaudra
onze électeurs français, un électeur chypriote en vaudra six et un électeur
danois en vaudra deux. En bref, la légitimité du Parlement européen ne sort pas
renforcée du traité de Nice.
J'ajouterai un mot, enfin, sur la Commission européenne.
Il n'y a pas lieu, en principe, de la considérer sous l'angle de la
représentativité. Son rôle n'est absolument pas de représenter les Etats ; il
est de prendre l'initiative de la législation communautaire, de favoriser un
accord sur les textes et de participer à leur exécution. Mais, dans les faits,
on a constaté que les Etats membres tenaient presque tous très fermement à
avoir « leur » commissaire. La solution à laquelle on est parvenu, un
commissaire par Etat membre, n'est pas inattendue. Le risque de cette solution
est que chaque Etat se sente en quelque sorte représenté par « son »
commissaire.
La Commission serait alors, dans le processus de décision, le seul lieu où les
Etats seraient représentés de manière égalitaire, ce qui est d'ordinaire, dans
un système fédéral, le rôle dévolu à la deuxième chambre et non à un organe
exécutif. Il reste à espérer que les nouveaux pouvoirs reconnus au président de
la Commission, qui sera désormais désigné par le Conseil à la majorité
qualifiée et qui disposera d'une autorité accrue sur son équipe, permettront
d'empêcher une telle évolution.
Venons-en maintenant au second critère permettant d'apprécier la réforme,
celui de l'efficacité.
Un élément va dans le sens du progrès, c'est l'augmentation du nombre des
domaines où le Conseil statuera à la majorité qualifiée. Certes, l'avancée
n'est pas aussi grande qu'on aurait pu l'espérer dans l'absolu, mais nombre de
progrès avaient déjà été réalisés par les traités précédents et l'on atteignait
une sorte de « noyau dur » de matières très sensibles pour tel ou tel Etat, y
compris le nôtre. Le gain de Nice n'est donc pas négligeable.
En revanche, la procédure de décision sera manifestement plus lourde
qu'auparavant. Les décisions du Conseil devront respecter trois critères : la
majorité des Etats membres, la majorité qualifiée en nombre de voix et la
majorité démographique de 62 %. Il faut ajouter que la majorité qualifiée sera
un peu plus difficile à obtenir puisqu'il faudra près de 75 % des voix pour
l'atteindre, au lieu de 71 % aujourd'hui.
Par ailleurs, la procédure de codécision avec le Parlement européen
s'appliquera à de nouveaux domaines, devenant pratiquement la procédure de
droit commun.
Tout laisse donc à penser que le processus de décision sera, dans l'ensemble,
plus lent qu'aujourd'hui.
Quant à la révision des traités, qui suppose l'unanimité, on peut juger
d'après les expériences d'Amsterdam ou de Nice qu'elle ne sera pas une mince
affaire dans une Union à vingt-sept.
Mais l'efficacité repose en grande partie sur un bon équilibre des
institutions. Depuis quelques années, cet équilibre est en évolution. Le rôle
du Conseil européen s'est beaucoup affirmé - peut-être trop, aux yeux de
certains - de même que celui du Parlement européen ; en revanche, le Conseil
des ministres et surtout la Commission se sont retrouvés plus en retrait. Qu'en
sera-t-il après Nice ?
Il est difficile de savoir si le Conseil européen, qui statue par consensus,
pourra pleinement jouer son rôle quand il comptera vingt-sept membres.
Pour ce qui est de la Commission, lorsqu'elle sera composée d'un commissaire
par Etat membre, aura-t-elle tendance à refléter les intérêts des Etats membres
ou saura-t-elle d'autant mieux en faire la synthèse ? Les deux hypothèses sont
envisageables.
Le Conseil risque, quant à lui, d'être affaibli par l'alourdissement du
processus de décision. Il lui sera difficile d'entretenir un dialogue équilibré
avec le Parlement européen, qui, pour sa part, ne subira pas de nouvelles
contraintes.
Finalement, on peut déjà dire que les nouvelles règles devraient permettre au
Parlement européen de poursuivre sa montée en puissance.
Cette évolution peut être positive pour la vie démocratique européenne.
Cependant, il ne serait pas souhaitable pour l'Union d'en venir,
insensiblement, aux « délices et poisons » du régime d'assemblée.
Le Parlement européen a longtemps exercé un rôle limité. Ce n'est plus vrai
aujourd'hui : ses pouvoirs sont, en pratique, plus importants que ceux dont
disposent les assemblées dans les régimes parlementaires nationaux, et je parle
non seulement du Sénat français mais aussi de l'Assemblée nationale.
Il ne serait pas anormal, il serait même urgent, à ce stade, d'encadrer un peu
mieux cette montée en puissance. Peut-être pourrait-on réfléchir, sur le plan
budgétaire, à une sorte d'« article 40 » européen qui favoriserait la maîtrise
des dépenses ; la mise en jeu de la responsabilité de la Commission européenne
pourrait, elle aussi, obéir à des règles plus précises ; surtout, une meilleure
distinction pourrait être opérée entre la législation européenne proprement
dite, entre ce qui relève de la loi, comme on dit chez nous, défini par
l'article 34 de notre Constitution, et les textes de caractère technique.
Le Parlement européen est amené aujourd'hui à se prononcer en codécision avec
le Conseil, par exemple, sur les normes applicables aux ascenseurs, les
dimensions des tracteurs ou encore la puissance des motos. Est-ce bien là le
rôle que doit jouer le Parlement d'une Union de près de 500 millions
d'habitants ? L'efficacité et la rapidité du processus de décision gagneraient
sans doute à une clarification dans ce domaine.
Au terme de cette rapide analyse, on est tenté de conclure que, après le
traité de Nice, le processus de décision sera certes un peu plus légitime, mais
ne sera sans doute guère plus efficace qu'aujourd'hui et que l'équilibre entre
les institutions sera très fragile.
Comme le préalable institutionnel est aujourd'hui levé, l'élargissement
apparaît plus que jamais comme un saut dans l'inconnu. Nous avons brûlé nos
vaisseaux : il nous faut maintenant réussir à nous orienter, alors que nous
entrons dans un territoire nouveau.
La première conséquence que nous devons tirer du traité de Nice, c'est la
nécessité de faire preuve de beaucoup de vigilance dans la négociation de
l'élargissement. L'adhésion doit se faire sur la base de règles précises et
raisonnables, car, une fois l'élargissement réalisé, il sera difficile
d'effectuer des ajustements.
Cette vigilance devra d'abord porter sur la question budgétaire. En effet, une
application immédiate et complète aux pays candidats des systèmes d'aide
européens sans les avoir revus, en particulier dans le domaine agricole,
entraînerait un emballement des dépenses. L'élargissement devra impérativement
s'accompagner d'une meilleure maîtrise de la dépense communautaire et d'une
adaptation des aides agricoles à la situation des différents pays candidats.
Ces aides ont été mises en place dans l'Union européenne actuelle pour
compenser la diminution des prix garantis : or, pour les agricultures des pays
candidats, l'adhésion entraînera plutôt, en règle générale, un relèvement de
ces prix, ou, au minimum, leur maintien. Il n'est donc pas nécessaire
d'appliquer sans discernement aux pays candidats les aides directes telles
qu'elles existent aujourd'hui.
La vigilance devra aussi porter tout particulièrement sur la capacité des pays
candidats à appliquer le droit communautaire et à respecter la discipline de
l'Union.
L'Europe est une tête sans corps : ce sont les Etats membres qui sont, pour
l'essentiel, chargés de mettre en oeuvre ses décisions et qui disposent des
moyens pour le faire. C'est sur la confiance mutuelle dans la volonté et la
capacité d'appliquer les décisions prises en commun que repose en grande partie
le fonctionnement de la Communauté.
Les administrations des pays candidats et leurs systèmes judiciaires sont-ils
en mesure de mener rapidement à bien l'immense effort nécessaire pour assurer
le respect effectif des règles communes ?
Cet aspect de l'élargissement devra faire l'objet de toute notre attention,
car, si l'Union cessait de pouvoir pleinement s'appuyer sur les Etats membres,
c'est tout son équilibre qui serait menacé. Quelle valeur conserveraient, dans
un marché unique, des règles qui seraient peu, mal ou pas appliquées par
certains ? On l'a bien vu récemment avec la transposition des directives par la
voie des ordonnances.
Pour asseoir sa légitimité, la construction européenne doit devenir synonyme
de sécurité accrue pour tous les citoyens. Quelles seraient les réactions de
l'opinion si, à la suite de l'élargissement, la lutte contre la délinquance
transnationale devenait encore plus difficile ou si la sécurité alimentaire
paraissait moins bien garantie ? C'est une question cruciale.
Après l'accord de Nice, l'élargissement est une perspective prochaine. Raison
de plus pour dire aux pays candidats que c'est le moment pour eux d'accentuer
leurs efforts de réforme, et non de les relâcher.
Mais soyons clairs : même en supposant, comme nous l'espérons tous, que
l'élargissement soit un succès complet, l'Union sera malheureusement, par la
force des choses, un ensemble moins cohérent, moins homogène qu'aujourd'hui.
Les progrès de l'intégration seront nécessairement plus lents.
Il faudra donc accepter d'avancer de manière plus différenciée qu'auparavant.
Les « coopérations renforcées » introduites par le traité d'Amsterdam, et dont
l'accord de Nice a assoupli le régime, peuvent apparaître comme l'instrument
d'une différenciation encadrée et maîtrisée. Parviendront-elles à jouer ce rôle
? Dans certains domaines, c'est possible et en tout cas souhaitable. Mais si
les coopérations réunissent certains pays dans tel domaine et d'autres pays
dans tel ou tel autre domaine, on risque de s'orienter vers une union « à la
carte » qui ne constituerait pas un véritable approfondissement de la
construction européenne.
L'Europe élargie aura plus que jamais besoin d'une force d'entraînement, d'un
« noyau dur » de pays décidés à aller de l'avant et prêts à participer à toutes
les coopérations renforcées. Cela veut dire que le couple franco-allemand reste
irremplaçable et a encore, en tout cas à mes yeux, un grand avenir.
On a beaucoup dit - peut-être trop - que ce couple serait désormais moins
équilibré qu'auparavant. C'est sans doute vrai. Par sa population, par son
économie, par sa place au coeur de l'Europe élargie, l'Allemagne se retrouve
désormais au premier rang. Mais l'histoire lui a enseigné qu'elle n'avait pas
intérêt à faire cavalier seul. Cette fameuse « voie particulière » allemande,
le
Sonderweg
, est un chemin qui ne mène nulle part.
Un renouveau du couple franco-allemand est dans l'intérêt des deux partenaires
et, plus généralement, dans l'intérêt de l'Europe. En effet, cette relance,
associant les autres pays fondateurs, permettrait de contrebalancer les
ferments de dispersion que comporte l'élargissement et surtout de conserver une
véritable ambition politique pour l'Union européenne.
Depuis l'accord de Nice, nous avons entendu beaucoup de critiques sur la
présidence française. Elles me paraissent injustes. Compte tenu de l'état
d'esprit qui régnait dans les délégations, pouvait-on obtenir un meilleur
résultat ? Au risque de paraître « ringard » aux yeux de beaucoup, je ne le
crois pas. Bien des gouvernements qui, aujourd'hui, font la moue devant
l'accord de Nice étaient parmi les plus intransigeants lors des négociations.
En réalité, au lieu de se demander comment rendre les institutions plus
efficaces, beaucoup de pays voulaient surtout s'assurer qu'ils pourraient
continuer à bloquer les décisions dans les domaines qui les intéressaient le
plus.
Il n'y avait pas de vision stratégique commune pour cimenter les quinze Etats
membres. Le souci d'affirmer l'identité européenne était loin d'être
prioritaire. J'en veux pour preuve, monsieur le ministre, la manière dont on a
proclamé la charte des droits fondamentaux, presque en catimini, comme si l'on
avait honte de ce texte. Nous savions bien qu'on ne pourrait l'intégrer dès
maintenant dans les traités, mais il le sera un jour, j'en prends le pari, et
peut-être plus vite qu'on ne le croit. En tout cas, ce n'était pas une raison
pour minimiser à ce point sa portée.
Finalement, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
le traité de Nice est un révélateur de l'état de l'Union, une Union qui a
tendance à perdre un peu l'élan sur lequel elle avait vécu jusqu'à maintenant.
Rien n'est perdu, mais nous savons bien qu'il faudra donner le plus vite
possible à l'Europe élargie un deuxième souffle.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, après un semestre d'une présidence française active, le Conseil
européen de Nice a permis d'aboutir à un traité. Il est le résultat d'un
compromis difficile sur des questions institutionnelles qui mettent aux prises,
d'un côté, les intérêts nationaux et, de l'autre, une logique communautaire
fondée sur leur dépassement librement consenti.
Les calendriers politiques de certaines capitales européennes ne sont pas sans
influence sur le résultat final : ils démontrent, et ce n'est pas le moins
préoccupant, que les opinions publiques sont loin d'être acquises à l'Europe.
On mesure le travail de rapprochement qui reste à faire entre l'Europe et ses
citoyens.
C'est dans ce contexte qu'il faut, à mon avis, porter une juste appréciation
sur notre présidence. Je suis de ceux qui lui rendent acte du travail
considérable réalisé en moins de six mois. J'ai de l'estime pour le Président
de la République et pour ceux qui, comme vous, monsieur le ministre, l'ont
accompagné. Critiquer après coup est facile ; obtenir des résultats, même
imparfaits, constituait un exercice beaucoup plus compliqué.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Je mentionnerai
brièvement les avancées que constituent la proclamation de la Charte des droits
fondamentaux, l'adoption d'un agenda social, l'attention portée aux intérêts
des consommateurs ou encore à la sécurité maritime. Le résultat obtenu sur le
plan des institutions, principal sujet de l'ordre du jour, me paraît
acceptable, même si, c'est vrai, il se situe en deçà des ambitions
initiales.
Nous avons eu, hier matin, au sein de la commission des affaires étrangères,
un débat particulièrement riche sur le résultat de ce Conseil européen. Il a
permis à chacun des membres présents, quelle que soit sa sensibilité,
d'exprimer son appréciation sur le sujet en débat aujourd'hui.
Un échec à Nice aurait signifié une rupture dans le processus d'élargissement
engagé depuis des années, alors que celui-ci s'inscrit dans l'ambition
originelle de la construction européenne. C'est dans cette perspective que
l'Union se devait d'aménager son système institutionnel.
La nouvelle grille de pondération des voix au Conseil est de nature à
rééquilibrer l'influence des Etats les plus peuplés dans une Union élargie,
dans cinq à dix ans, à une majorité de petits Etats. Le dispositif de décision
est cependant très complexe. Ne permettra-t-il pas davantage les minorités de
blocage qu'une véritable capacité à avancer sur les sujets relevant de la
majorité qualifiée ?
Le poids démographique spécifique de l'Allemagne a été pris en compte non pas
dans le cadre des pondérations des voix au Conseil mais dans celui des
effectifs de ce pays au Parlement européen et au travers d'une clause de
vérification démographique. Vous nous préciserez, monsieur le ministre, les
conditions de mise en oeuvre de cette disposition.
Sur les sujets soumis à la majorité qualifiée, des progrès ont été réalisés,
mais des domaines d'action essentiels relèveront, hélàs ! encore pour
longtemps, de l'unanimité. Presque chaque Etat, dont le nôtre, avait sa « ligne
rouge » qu'il entendait ne pas dépasser.
L'amélioration du mécanisme des coopérations renforcées est un point positif,
M. Haenel l'a dit. Nous étions nombreux, au sein de la commission, à en
regretter le caractère trop paralysant. Il semble qu'au-delà des premier et
troisième piliers des coopérations renforcées puissent être réalisées dans le
domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC. Je vous
serai reconnaissant, monsieur le ministre, de nous apporter des précisions sur
ce point.
Le plafonnement différé des effectifs de la Commission, avec, potentiellement,
un commissaire par Etat membre, ne me paraît guère conforme à la logique
profonde de ce collège. Je crains que la lourdeur ne menace cet organisme, qui
joue un rôle essentiel dans l'initiative et la gestion des domaines
communautaires. Vous nous direz si les nouveaux pouvoirs accordés au président
sont de nature à apaiser ces craintes.
Je souhaite, à présent, aborder ce qui me paraît être l'un des résultats les
plus positifs du Conseil européen de Nice : la mise en oeuvre, à quinze, d'une
politique de défense commune.
La réunion franco-britannique de Saint-Malo, les conseils de Cologne,
d'Helsinki et de Feira ont été les jalons de cette avancée concrète de l'Union,
que la présidence française a menée à bien jusqu'à la conférence d'engagement
des capacités du 20 novembre dernier et dont le Conseil européen de Nice a
entériné l'aspect tant institutionnel que capacitaire.
Je ne reviendrai pas ici sur le détail du contenu « militaire » de la force de
réaction rapide européenne, dont votre collègue Alain Richard, monsieur le
ministre, a eu l'occasion ici même de nous présenter le dispositif. Celui-ci,
crédible et ambitieux, mettra l'Union, à l'horizon 2003, à même d'intervenir
dans une crise régionale sur la base des trois types de missions dites de
Petersberg.
Ma première interrogation, monsieur le ministre, concernera la relation de
l'Union européenne et de l'OTAN.
Il a été entendu que, dans le domaine de la sécurité, ces deux organisations
entendaient non pas développer entre elles des relations de concurrence, mais
nouer des liens étroits de coopération et de concertation. L'ambition
européenne a d'ailleurs été finalement perçue positivement par nos alliés
américains, qui y ont vu le moyen le plus adapté au renforcement équilibré des
capacités militaires profitant à l'une comme à l'autre des deux
institutions.
Deux incertitudes persistent cependant quant à la réalité de l'autonomie
européenne par rapport à l'Alliance, sur lesquelles nous souhaiterions,
monsieur le ministre, obtenir quelques éclaircissements.
La première concerne la relation entre le conseil de l'Atlantique nord et le
comité politique et de sécurité, et le niveau d'autonomie de l'un par rapport à
l'autre, chacun de ces deux organes rassemblant, au niveau des ambassadeurs,
les représentants des Etats parties respectivement à l'Alliance atlantique et à
l'Union européenne.
Il semblerait que certains alliés, notamment américains, souhaitent que les
relations de travail entre les deux organisations se fassent à ce niveau le
plus souvent possible, dans un cadre conjoint dit « à 23 », à savoir les 19
pays de l'Alliance et les 4 membres de l'Union n'appartenant pas à l'Alliance
atlantique.
Une telle démarche risquerait sans doute, pour peu qu'elle devienne le mode
habituel de fonctionnement entre les deux instances, de diminuer le dégré
d'autonomie de l'Union, autonomie qui fonde pourtant l'action qu'elle a
entreprise.
Dans le même ordre d'idée, ma seconde interrogation concerne les relations
entre l'OTAN et l'Union quant aux capacités de planification militaire. Nombre
de nos alliés, y compris européens, souhaitent qu'elles restent l'apanage de
l'Organisation atlantique, quitte à en garantir l'accès, de droit, à l'Union
européenne.
Nous vous serions reconnaissants, monsieur le ministre, de nous préciser
l'état des négociations sur ces questions ou les décisions qui ont pu être
prises à Nice.
D'une façon générale - c'est ma deuxième observation - la capacité européenne
de gestion des crises se distingue de celle de l'OTAN en ce qu'elle se veut
globale, associant aux seuls aspects militaires des enjeux civils : action
humanitaire, restauration de l'état de droit ou encore forces de police, dont
la création a été décidée au Conseil européen de Feira. Un mécanisme spécifique
de gestion civile des crises a d'ailleurs parallèlement été décidé au printemps
dernier.
Il se trouve que, dans cette conception globale de la gestion des crises, une
certaine confusion institutionnelle risque de se faire jour entre les instances
communautaires, d'une part, et celles qui relèvent de l'autorité du Conseil,
d'autre part. Leurs compétences respectives peuvent se recouper et aboutir à
une dispersion des responsabilités et des moyens dont on imagine les effets en
termes d'efficacité. Un « cadre de référence » a été élaboré à Nice, destiné à
coordonner l'ensemble. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous en clarifier
la philosophie générale ?
Ma dernière observation quant à cette politique européenne commune de sécurité
et de défense a trait à la méthode qui a été utilisée pour lui permettre
d'aboutir dans le domaine la défense.
Dans cette méthode, trois éléments me paraissent devoir être relevés.
En premier lieu, il y avait, au départ, une ambition française, à laquelle
l'Allemagne s'est associée pour donner naissance à la brigade franco-allemande
puis au corps européen. Ensuite - quelle originalité ! - une implication
britannique, véritable déclencheur de la démarche européenne, a abouti au
dispositif à quinze.
En deuxième lieu, des progrès importants ont été réalisés lors des conseils
européens successifs, mais dans un cadre intergouvernemental strict, et en
marge des traités.
Enfin, en troisième lieu, et il s'agit sans doute là de l'ingrédient
principal, il faut la citer volonté politique dont l'expérience militaire au
Kosovo aura été le terreau fécond pour faire prendre conscience, aux opinions
comme aux gouvernements, de l'impérieuse nécessité d'agir ensemble.
L'appréciation que l'on peut porter sur cette méthode dépasse le cadre de la
seule défense européenne.
Elle démontre qu'un petit nombre de pays déterminés, animés d'une volonté
politique claire, peuvent initier un projet que les autres rejoignent ensuite
pour faire franchir à l'Union un pas considérable.
Ce succès a cependant un prix, en ce sens que l'on fait progresser l'Europe en
dehors de son cadre habituel, en une sorte de coopération renforcée de fait, un
peu comme le fut, au départ, la réflexion « Schengen » sur la libre circulation
des personnes.
Si je me suis permis, monsieur le ministre, de développer cet aspect de la
démarche qui fonde la défense européenne, c'est qu'elle est, d'une certaine
façon, un modèle et qu'elle n'est pas sans lien avec les idées émises cette
année, autour des termes d'« avant-garde », de « centre de gravité », d'« Etats
pionniers ».
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Tout à fait !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Ces propositions
devraient constituer la base d'une réflexion plus vaste sur l'organisation
future de l'Union européenne à laquelle notre pays, désormais affranchi des
contraintes de la présidence, se doit de prendre toute sa part dans la
perspective du prochain rendez-vous de 2004.
Un accord à Nice était nécessaire, mais le traité qui en résulte n'est pas
totalement suffisant pour une Europe ambitieuse. Les quatre années qui viennent
devront être l'occasion de préparer des réponses audacieuses aux attentes et
aux espoirs que les peuples de l'Europe réunie placent dans une véritable
refondation de l'Union.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
les travées socialistes et sur celles du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France
achèvera sa présidence de l'Union européenne le 31 décembre prochain.
Le bilan de la présidence française est tout a fait convenable. Contrairement
à ce qu'une certaine presse, assassine et partisane - et je pèse mes mots - a
bien voulu dire, le sommet de Nice est une réussite.
Pendant plus de six mois, il sera revenu à notre pays de présider aux
destinées d'une communauté de quinze pays européens représentant 375 millions
d'habitants et près de 20 % du produit national brut mondial.
Le défi, pour le Président de la République, Jacques Chirac, et pour les
autorités françaises, chargés d'insuffler une nouvelle dynamique au
fonctionnement de cet ensemble, notamment avec les dossiers de la révision des
institutions, de l'élargissement ou encore de l'agenda social, aura été
titanesque.
La France, fidèle à ses convictions, a rempli ses engagements, et ce parce
qu'elle a parlé d'une seule voix.
Les enjeux de cette présidence étaient considérables, et nous ne pouvons que
féliciter le Président de la République d'avoir fortement contribué à
l'obtention d'un accord qui avait été impossible à finaliser il y a trois
ans.
Notre pays a surmonté tous les pièges dans lesquels certains souhaitaient
qu'il tombât. Car enfin, la tâche n'était pas facile : il s'agissait de remplir
les engagements pris à Helsinki envers les pays candidats sans défaire l'Union
et de permettre à l'Europe des années 2000 de continuer à fonctionner avec
efficacité au service du citoyen.
Le premier succès est d'être parvenu à un accord. En effet, un échec de la
négociation aurait ouvert une crise sérieuse en Europe et, surtout, menacé le
processus d'élargissement. Les réactions très positives des pays candidats au
Conseil européen de Nice en témoignent.
C'est le meilleur accord possible compte tenu des enjeux considérables de la
négociation, des contraintes qui existaient, notamment le caractère inflexible
de certains Etats membres dans la défense de leurs intérêts nationaux. Je pense
plus spécialement à M. Blair, qui a bloqué toute possibilité d'extension, même
limitée, de la majorité qualifiée à la fiscalité ou aux affaires sociales.
Les amis socialistes du Gouvernement lui réservent quelquefois des surprises.
Enfin, c'est certainement ce que M. Jospin a dû penser !
Bien sûr, les eurosceptiques pourront dire que le traité de Nice ne répond pas
exactement à toutes les ambitions que nous avions affichées. Cependant,
l'accord qui découle de ce sommet répond à la première exigence de la nouvelle
construction européenne : doter l'Union européenne de la capacité de décider et
d'agir après que l'Europe aura procédé à un élargissement sans précédent.
Comme l'a dit le Président de la République : « Vous verrez, ce sommet restera
dans l'histoire de l'Europe comme un grand sommet par l'ampleur et la
complexité des problèmes réglés. »
L'équilibre entre représentativité et efficacité, qui avait tant manqué lors
du sommet d'Amsterdam, il y a trois ans, était présent à Nice, grâce à la bonne
volonté de tous les Etats et aux efforts qui ont été consentis par tous les
pays présents.
Encore une fois, contrairement à ce que nous avons pu entendre, il n'y a eu ni
vainqueur ni vaincu, à Nice. Comme l'a déclaré M. Michel Barnier dans
Le
Figaro
, du 12 décembre dernier : « Contrairement à ce qu'affirment certains
critiques, la France a fait les efforts qu'on peut attendre de la présidence.
»
Mon propos concernera plus particulièrement le volet social et toutes les
questions qui s'y rattachent.
La stratégie européenne de l'emploi, lancée par le traité d'Amsterdam et le
sommet de Luxembourg de novembre 1997, s'est vue consacrée au Conseil européen
de Nice avec l'adoption de l'agenda social.
Qu'est-ce que l'agenda social ?
Lors du sommet de Lisbonne, les 23 et 24 mars dernier, les Quinze ont défini
un plan pour contribuer à la mise en place d'une Europe de la croissance et de
l'emploi dans le cadre d'un développement durable.
La présidence française a tenté de poursuivre cette politique en encourageant
une meilleure coordination des politiques économiques et fiscales, en
renforçant le pacte européen pour l'emploi et en instaurant une véritable «
communauté de l'intelligence et du savoir ».
L'agenda social propose six points d'action : la promotion des emplois de
qualité ; l'instauration d'un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité
dans un environnement de travail en évolution ; la lutte contre la pauvreté,
l'exclusion et la discrimination et l'encouragement de l'intégration sociale ;
la modernisation des régimes de protection sociale ; la promotion de l'égalité
des chances entre hommes et femmes ; le renforcement de la dimension sociale de
l'élargissement et des relations extérieures de l'Union.
En effet, ces six derniers mois, l'Europe a progressé dans la voie de la
croissance et de l'emploi.
Ainsi, la présidence française a poursuivi l'approfondissement de l'Union
économique et monétaire, renforcé la coordination de nos politiques économiques
au sein de l'Eurogroupe et accéléré notre préparation commune à l'entrée de
l'euro dans la vie quotidienne des citoyens européens.
Ces dernières semaines, trois progrès considérables ont été réalisés.
D'abord, les anciennes et difficiles négociations sur le paquet fiscal, qui
englobe la fiscalité de l'épargne, ont été conclues.
Ensuite, l'agenda social européen a été adopté au terme d'un vaste processus
de consultation, notamment des partenaires sociaux.
L'Union s'est ainsi dotée d'un programme de travail fixant sur cinq ans
objectifs et rendez-vous dans les domaines du droit du travail, de la
protection sociale, de la mobilité, de la formation tout au long de la vie et
de la lutte contre les discriminations et l'exclusion.
Enfin, l'adoption, non sans peine, du volet social de la société anonyme
européenne est intervenue à Nice.
C'est l'aboutissement d'un projet vieux de trente ans et sur lequel Mme Guigou
avait échoué lors du Conseil « social-emploi », les 27 et 28 novembre dernier.
Je regrette de devoir le dire, mais c'est la vérité.
Cependant, grâce au Président de la République, Jacques Chirac, qui a su
arranger les choses avec son homologue espagnol, le dossier de la proposition
de directive sur la société anonyme européenne est réglé.
Vous me permettrez une petite digression sur la place que tient notre pays en
matière de politique sociale au sein de l'Union européenne.
En effet, il me semble opportun de rappeler au Gouvernement que l'Union
européenne a un peu montré du doigt la gestion de notre politique sociale, qui,
à bien des égards, lui semble mauvaise et tout à fait perfectible.
Le taux de taxation moyen du travail reste trop élevé. Le taux d'emploi est
passé de 59,9 % en 1998 à 60,4 % en 1999, ce qui traduit, certes, une
amélioration, mais il reste inférieur à la moyenne européenne.
Le taux de chômage a diminué - de 11,7 % en 1998, il est passé à 11,3 % en
1999 -, mais il reste cependant supérieur à la moyenne de l'Union
européenne.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Aujourd'hui, il est de 9 % !
M. Dominique Leclerc.
Le traitement précoce du chômage des jeunes et des adultes, avant six et douze
mois, n'a pas été à la hauteur des ambitions affichées par le Gouvernement.
En effet, les actions de « nouveau départ » en faveur des jeunes et des
adultes dans les six et douze premiers mois de chômage en 1999, qui
concernaient 69 000 jeunes et 154 000 adultes, n'ont pas atteint l'objectif
fixé. Le taux de non-respect est de 77 % pour les jeunes et de 74 % pour les
adultes.
La priorité a été donnée aux chômeurs de longue durée et aux personnes
menacées d'exclusion, qui constituent 73 % du total des bénéficiaires des
actions de « nouveau départ ».
Dans le cadre du programme « nouveaux services emplois-jeunes », le nombre
d'emplois créés est passé de 160 000 en 1998 à 223 000 en 1999, alors que le
Gouvernement avait annoncé plus de 250 000 emplois au titre du plan d'action
nationale.
De plus, se pose toujours le problème de la pérennité de ces emplois : que se
passera-t-il au-delà de la période subventionnée ?
M. Claude Estier.
On est loin du sommet de Nice !
M. Dominique Leclerc.
Pour remédiér à cette mauvaise politique, le Conseil avait fait au
gouvernement français des recommandations. Permettez-moi d'en citer
quelques-unes.
Il s'agirait, pour nous, de reconsidérer les régimes de prestations existants,
notamment ceux qui favorisent les départs en retraite anticipée, afin d'inciter
les travailleurs les plus âgés à rester plus longtemps dans la vie active.
Il s'agirait d'adopter et d'appliquer des stratégies cohérentes incluant des
mesures réglementaires, fiscales et d'autres types d'initiatives destinées à
réduire les charges administratives des entreprises, en vue d'exploiter le
potentiel de création d'emplois du secteur des services en s'appuyant sur les
récents efforts d'ouverture de nouvelles perspectives d'emploi pour les
jeunes.
Il s'agirait encore de poursuivre et d'évaluer les mesures destinées à réduire
la pression fiscale sur le travail, notamment le travail non qualifié et peu
rémunéré.
Il s'agirait aussi de renforcer le partenariat social en vue d'adopter une
approche globale en matière de modernisation de l'organisation du travail.
Je souhaiterais savoir si vous envisagez de tenir compte de ces
recommandations. Et si tel n'était pas le cas, pourriez vous nous expliquier ce
que vous envisagez de faire pour que la France ait un carnet de notes un peu
moins sévère la prochaine fois ?
Pour terminer, je ferai le même voeu que le président Jacques Chirac,
c'est-à-dire que « le traité de Nice soit ratifié le plus vite possible, dans
les dix-huit mois qui viennent ».
Le taux de taxation moyen du travail reste trop élevé. Le taux d'emploi est
passé de 59,9 %, en 1998, à 60,4 % en 1999, ce qui traduit, certes, une
amélioration, mais il reste inférieur à la moyenne européenne.
Notre ancien collègue M. Michel Barnier avait dit que ce sommet serait l'un
des plus difficiles de l'Union européenne, car tous les sujets abordés
touchaient au pouvoir, à la place et à l'influence de chaque Etat dans le
système institutionnel européen.
Effectivement, ce sommet a été long, les négociations compliquées et quelques
fois âpres, mais l'essentiel à retenir, c'est que la réussite de Nice permet
d'ouvrir la porte à un élargissement qui sera bénéfique à tous les pays
européens, car ainsi nous avons surmonté certaines divergences nationales pour
réformer les institutions européennes en les rendant plus efficaces, et donc
plus démocratiques.
En réussissant ce sommet, la présidence française a montré à nos concitoyens
français comme aux citoyens européens que l'Union est fondée sur des valeurs
chères à tous, des valeurs qui seront désormais inscrites dans la Charte des
droits fondamentaux, qui sera commune à toutes les femmes, à tous les hommes de
l'Union.
Le sommet de Nice a été celui du courage ; le courage de prendre des décisions
qui n'ont, certes, pas fait l'unanimité, mais qui étaient nécessaires pour
assurer l'avenir de l'Union.
Cette rencontre peut être considérée comme un véritable succès, dont le
président Jacques Chirac est à l'origine de par sa connaissance approfondie des
mécanismes de l'Union, de par son habitude de la négociation,...
M. Claude Estier.
C'est un peu trop !
M. Dominique Leclerc.
... de par l'écoute dont il a fait preuve à l'égard de l'ensemble des
positions et de par les liens qu'il a su établir depuis plusieurs années avec
l'ensemble des dirigeants européens.
La négociation qui s'est conclue à Nice avait pour objet de réformer la «
mécanique » de l'Union européenne. Elle n'avait pas pour vocation d'être «
visionnaire ».
La France a su prouver son aptitude à faire progresser la construction
européenne en proposant une réforme moderne de ses institutions, qui lui
permettra de rester ouverte aux mutations politiques qu'elle vivra dans les
années 2000, tout en restant à l'écoute des préoccupations quotidiennes, sans
oublier qu'elle doit d'abord agir dans l'intérêt général de l'Union et pour le
bien de tous.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toute
négociation européenne est difficile. Maastricht et Amsterdam n'ont pas échappé
à la règle hier, Nice non plus aujourd'hui.
M. Patrick Lassourd.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
Et plus l'Europe s'élargira, plus les accords à venir seront complexes...
M. Jacques Machet.
C'est logique !
M. Daniel Hoeffel.
... et plus la voie entre l'élargissement et l'approfondissement sera
étroite.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Comme tout accord, celui de Nice comporte des satisfactions et des regrets, et
peut-être surtout des leçons à tirer pour l'avenir.
Quelles que soient ses insuffisances, l'accord intervenu sous la présidence
française, marquée par l'unité de vues de l'exécutif de notre pays - et c'était
important -, doit être considéré comme un facteur positif.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Ni Maastricht ni Amsterdam n'avaient été salués comme des succès éclatants.
Demander, dans ces conditions, de ne pas ratifier Nice est aussi prématuré
qu'irréaliste, puisque ce traité existe aussi pour permettre aux nouvelles
démocraties de l'Est d'adhérer au processus d'intégration européenne.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Bien sûr, Nice inspire à juste titre des regrets en raison de l'écart
important que nous pouvons constater entre les aspirations des partisans d'une
Europe forte et les acquis modestes de l'accord intervenu. L'attachement
viscéral, mais à des degrés divers, des Etats membres à leurs intérêts
nationaux, en particulier la conception réductrice permanente de l'Union
européenne de tel grand pays, constitue un frein. Le fait pour la France de
privilégier une parité optique avec l'Allemagne à propos de la pondération des
voix au Conseil, avec, en contrepartie, des concessions de fond importantes,
peut apparaître comme un choix discutable. Mais tous ceux qui ont participé, à
un titre ou à un autre, à des négociations communautaires savent que la
nécessité d'aboutir à un accord entraîne, dans la dernière ligne droite,
quelques écarts par rapport à l'objectif fixé.
Nous devons, au-delà de ces regrets et de ces critiques, essayer de dégager
certaines leçons pour l'avenir.
Il apparaît, à travers les comptes rendus de la conférence de Nice, que deux
facteurs ont psychologiquement pesé sur les négociations : les tensions entre
les grands et les petits pays, d'une part, et certains dysfonctionnements dans
le tandem franco-allemand, d'autre part.
L'origine des difficultés entre grands et petits pays ne date pas de Nice.
Elle remonte probablement au moins au début de cette année lorsque, à travers
les sanctions infligées à tel partenaire de l'Union européenne, des petits pays
ont pu avoir, à tort ou à raison, le sentiment que les droits de l'homme
étaient analysés sur le continent européen selon une sélectivité fonction de la
taille des pays.
M. Paul Masson.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Nous devons veiller, à froid, à démontrer que telle n'est pas la volonté des
grands et qu'en Europe chacun des pays doit être considéré comme apportant à
l'Union un potentiel culturel, spirituel, une sensibilité, une philosophie, des
idées qui concourent au corps de valeurs sans lequel, rappelons-le, il ne
saurait y avoir d'Europe.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste et sur certaines travées du RDSE.)
Chaque pays le fait compte
tenu de ce qu'il représente aujourd'hui et de l'héritage dont il est porteur.
Sachons, en toute circonstance, les traiter tous en partenaires en nous
rappelant que l'on a parfois besoin de plus petit que soi.
(M. Jacques
Machet applaudit.)
Quant au couple franco-allemand, il a, rappelons-le, été déterminant depuis
l'origine dans le développement de l'Union européenne. Chaque fois que le
tandem fonctionnait, l'Europe avançait, notamment lorsque, au-delà des
sensibilités politiques, les têtes des deux exécutifs étaient sur la même
longueur d'onde.
La relation confiante et porteuse d'avenir ne dépend pas, loin de là,
uniquement de la stricte parité ou de considérations chiffrées quant au nombre
de sièges. Il faut qu'entre Paris et l'Allemagne de Berlin, qui n'est plus
celle de Bonn, on puisse retrouver les vertus d'un dialogue spontané et
entraînant pour nos partenaires, sans pour autant apparaître comme un
directoire dominateur suscitant la méfiance des autres.
M. Jacques Machet.
Ce n'est pas facile !
M. Daniel Hoeffel.
Le président de la commission des affaires européennes du Bundestag nous
rappelle à ce sujet que « les regards des pays d'Europe centrale et orientale
se tournent en ce moment à la fois vers la France et l'Allemagne, appelées à
jouer un rôle décisif dans l'unification de notre continent » et que « le
processus d'élargissement aura peut-être aussi la vertu de redresser le tandem
franco-allemand ».
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Sachons tirer profit de ce constat et de cet appel, car si la France a une
vocation méditerranéenne, elle ne saurait renoncer au rôle majeur qui lui
incombe historiquement et naturellement en Europe centrale et en Europe de
l'Est.
Les questions de répartition de sièges et de pondération de voix ayant suscité
d'âpres débats à Nice, ne serait-il pas opportun, monsieur le président, de
relancer l'idée d'un Sénat européen
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur quelques travées
du RPR. - M. Hubert Durand-Chastel applaudit également.)...
M. le président.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
... qui, à côté du Parlement européen, assurerait une représentation
différente des Etats, laquelle pourrait être soit totalement égalitaire, comme
aux Etats-Unis, soit ramenée à un écart allant de un à deux, comme en Allemagne
? Ainsi, la répartition démographique du Parlement serait rééquilibrée par une
représentation dans une deuxième assemblée respectant une certaine parité entre
les Etats, lissant les différences importantes entre les uns et les autres et
contribuant à créer les conditions d'un partenariat véritable et respectueux
entre les prétendus grands et les prétendus petits.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur quelques travées
du RPR et du RDSE.)
Les propos du Premier ministre luxembourgeois, M. Juncker, affirmant que les
futurs accords ne seront possibles que si l'Union européenne possède un
épicentre fort, évitant la fragilité de l'intégration européenne, sont tout à
fait significatifs, à cet égard. Aujourd'hui, nous avons besoin de conceptions
claires de nos ojectifs européens, et non d'une stratégie défensive qui aurait
pour unique objet de garder une apparence d'égalité, mais qui ne servirait
personne.
Les quinze Etats membres ont arrêté un calendrier pour un nouveau chantier
institutionnel qui devrait aboutir d'ici à 2004.
Quelle que soit notre appréciation sur Nice, l'après-Nice a donc déjà
commencé. Il s'agit de rassembler nos forces pour réussir cette prochaine
échéance, pour insuffler un nouvel élan européen aux quinze Etats membres et
pour rester, pour les candidats nouveaux, une Union incarnant, probablement
plus que pour nous, paix, sécurité, liberté et démocratie.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste.)
Mais, parallèlement, nous devons être conscients que l'opinion publique
européenne, qui, probablement, n'a pas saisi les subtilités des critères de
répartition de sièges et de voix, jugera l'Europe sur son aptitude à résoudre
mieux que les Etats membres les problèmes concrets concernant sa vie
quotidienne, tels que la sécurité maritime, la « vache folle » ou la lutte
contre la criminalité organisée, qui, elle, est déjà résolument
transnationale.
(M. Jacques Machet applaudit.)
Cette nécessité d'y faire face est de nature à estomper les différences entre
grands et petits Etats et entre pays du Sud et pays du Nord de l'Europe. Et il
y a urgence. Puisse l'esprit visionnaire des fondateurs d'une Europe alors en
ruine nous inspirer, balayer l'euroscepticisme et nous redonner la fierté
d'être européens ! Si Nice permet de nous faire prendre conscience de cela, à
travers ses acquis mais aussi ses grandes lacunes, il aura été, malgré tout,
une étape significative sur la voie de l'Europe.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains
et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
objectifs de Nice étaient ambitieux, car il s'agissait de résoudre une équation
complexe à trois variables : rendre l'élargissement viable à vingt-sept ou
vingt-huit pays, tout en accélérant le rythme de la construction européenne,
mais sans effacement des Etats-nations.
La réforme des institutions, en panne depuis Amsterdam, n'est que très
partiellement engagée. Trop de questions restent en suspens et l'Union donne
l'impression de patiner en repoussant à plus tard les décisions « douloureuses
».
Nice laissera avant tout l'image d'une confrontation acharnée entre les
intérêts nationaux et les égoïsmes des Etats membres, au détriment d'une vision
d'avenir pour l'Europe.
Que peut-on alors retenir de ce sommet européen ?
Je dirai que cette réforme en demi-teinte est tout de même une réforme, qui
permet d'aborder l'élargissement dans des conditions acceptables, tant pour les
Etats membres que pour les futurs adhérents.
N'était-ce pas là l'essentiel ? Car la construction européenne, fondée sur
l'union de peuples historiquement liés mais qui se distinguent par des
caractères spécifiques auxquels ils tiennent, est encore fragile et doit être
maniée avec prudence et patience.
Aussi, la suppression du droit de veto était illusoire, les grands pays tenant
à conserver la souveraineté sur leur noyau dur : l'exception culturelle pour la
France, la fiscalité et la politique sociale pour la Grande-Bretagne, la
politique des visas et l'immigration pour l'Allemagne,... et il faudra du temps
encore pour que s'instaure une véritable confiance réciproque entre les
différents partenaires.
Le passage à la majorité qualifiée pour 80 % des domaines de la politique
communautaire doit être considéré comme un progrès, obtenu cependant au prix
d'un système de calcul de voix si complexe que cette politique sera peu lisible
pour les citoyens européens.
La repondération des voix au sein du Conseil était délicate, car elle touchait
au poids démographique des pays mais assi à l'idée que chacun se fait de son
poids historique. A t-on pensé, par exemple, monsieur le ministre, au poids
futur de la Turquie - si elle est admise dans l'Union - sachant que ce pays
aura dans vingt ans la plus forte démographie de tout le continent européen
?
La réforme de la Commission n'a pu aboutir pour les mêmes raisons d'exigences
nationales, et le plafonnement à vingt-sept commissaires sans échéancier pour
en abaisser le nombre augure mal de l'efficacité après élargissement de
l'organe supranational européen.
La supériorité numérique accordée aux Allemands au Parlement de Strasbourg ne
modifie pas fondamentalement l'équilibre des pouvoirs ; le Parlement reste, en
effet, le maillon faible du processus de décision face à la Commission et au
Conseil, au détriment de la légitimité démocratique de l'Union.
Enfin, l'assouplissement du système des coopérations renforcées permettra à
des groupes de pays de mettre en oeuvre des politiques utiles, susceptiles de
rassembler ensuite un plus grand nombre de partenaires.
L'exemple de la monnaie unique européenne commune est une avancée
incontestable, de même que l'accord récent sur la fiscalité de l'épargne.
D'autres progrès sont à mettre à l'actif de la présidence française, comme la
signature de la Charte européenne des droits fondamentaux, base d'un engagement
moral pour les Etats membres et les futurs pays adhérents. Je citerai également
l'agenda social, le statut européen des sociétés, la création d'une agence de
sécurité alimentaire et les mesures nouvelles pour la sécurité des transports
maritimes.
Ainsi, l'Europe poursuit sa route, à petits pas, comme elle l'a fait depuis un
demi-siècle. Après les étapes récentes du marché unique et de la monnaie
commune, l'Union aborde son élargissement pour un changement d'échelle sans
précédent, qui en fera une puissance continentale de près d'un demi milliard
d'habitants.
La construction européenne est, plus qu'un choix, une nécessité. Le sommet de
Nice aura été une demi-étape. Il faut souhaiter maintenant que la France oeuvre
davantage pour relancer l'axe franco-allemand, qui a constitué jusqu'à présent
le véritable moteur de l'Union.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil
européen de Nice a marqué l'histoire de la construction européenne en levant le
dernier obstacle de principe qui subsistait pour la mise en oeuvre de
l'élargissement.
L'échéance qui est désormais devant nous, c'est le passage, en une décennie,
d'une Union relativement homogène de quinze membres à une Union de vingt-sept
membres, beaucoup plus hétérogène.
Beaucoup d'entre nous auraient souhaité que ce changement profond - on
pourrait presque dire cette révolution - soit préparé, encadré par un traité
qui donne à l'Union des règles de fonctionnement plus claires. Avec le traité
de Nice, nous en sommes loin ! L'Europe élargie reposera sur une mécanique
complexe, voire subtile, dans laquelle les citoyens auront bien du mal à se
retrouver.
Il y a là une raison de plus pour que tous ceux qui exercent des
responsabilités politiques se préoccupent en priorité de rapprocher l'Europe
des citoyens, c'est-à-dire de faire en sorte qu'elle réponde à leurs attentes
légitimes.
La présidence française avait d'ailleurs retenu cette orientation. Elle avait
souhaité que, durant ces six mois, l'Union s'attache à mieux répondre aux
préoccupations des citoyens lorsque l'Europe était l'échelon approprié pour
agir. Le bilan n'est d'ailleurs pas négligeable, même si, lors du Conseil
européen de Nice, la négociation du nouveau traité a presque complètement
éclipsé les autres questions.
Je veux revenir sur quelques-uns de ces points qui, pour beaucoup de nos
compatriotes, ont peut-être plus de signification que les méandres du nouveau
traité.
Tout d'abord, la Charte des droits fondamentaux qui a été proclamée à Nice
constitue une grande avancée, en même temps qu'elle comporte un risque. L'Union
dispose maintenant d'un document de référence qui recense les valeurs
fondamentales communes aux Européens. C'est un pas en avant dans l'affirmation
de l'identité européenne ; c'est aussi un message pour tous les pays qui
aspirent à l'entrée dans l'Union, car l'adhésion signifiera l'approbation sans
réserve de ces principes de base.
Cela étant, je crois que l'on a bien fait, à Nice, de ne pas se prononcer à la
hâte sur le statut juridique de cette charte. Nous avons élaboré, au sein du
Conseil de l'Europe, au cours d'un demi-siècle, un mécanisme de protection des
droits de l'homme qui s'applique à toute l'Europe. Il faut veiller à ne pas
l'affaiblir ! Nous devons donc, avant de définir la portée juridique de la
charte, veiller à ce que le nouveau texte s'intègre dans l'ordre juridique
européen sans perturber les mécanismes existants, qui ont fait leurs
preuves.
J'en viens à quelques-uns des thèmes qu'avait retenus la présidence française
pour rapprocher l'Europe des préoccupations des citoyens.
La sécurité alimentaire était une des priorités que nous avions retenues. A
cet égard, on peut se féliciter de l'adoption par le Conseil d'une résolution
sur le principe de précaution, ce qui aidera l'Union et les Etats membres à
bien prendre en compte ce principe.
En revanche, il est préoccupant de constater que la mise en place de
l'autorité alimentaire européenne se révèle si lente. Alors que tout le monde
convient de la nécessité de créer cet organisme, le Conseil européen de Nice en
est encore à « inviter le Conseil et le Parlement européen à accélérer leurs
travaux, de sorte que la future autorité alimentaire européenne devienne
opérationnelle dès le début de 2002 ». Voilà qui est bien long, alors que nous
voyons tous les jours la nécessité d'une unité de vues en Europe sur ces
questions ! Rapprocher l'Europe des citoyens, cela devrait être aussi se
montrer capable de décider et d'agir vite lorsque la situation le réclame.
On a le même sentiment en constatant que, un an presque jour pour jour après
le naufrage de l'
Erika
, le Conseil européen doit s'adresser au Parlement
européen et au Conseil pour leur demander « d'adopter dans les plus brefs
délais des dispositions sur le contrôle des navires par l'Etat du port et sur
les sociétés de classification, en prévoyant un dispositif de contrôles
renforcés pour les navires présentant le plus de risques ». Un an, était-ce
vraiment trop peu pour prendre une décision ?
Par ailleurs, les rebondissements dans la crise de la vache folle ont, hélas !
alimenté la chronique de la présidence française. Le Conseil européen a
souhaité que les mesures arrêtées par le Conseil - lancement d'un programme de
tests, suspension de l'utilisation des farines carnées, retrait des abats à
risque - soient appliquées « rapidement et avec rigueur ». J'espère que cette
formule traduit un consensus et que nous allons nous diriger rapidement vers
une interdiction générale et définitive des farines animales !
Cette mesure paraît en effet indispensable si nous voulons rétablir la
confiance des consommateurs dans les productions animales tout en respectant le
principe de libre circulation des marchandises.
Dans ces deux domaines, sécurité alimentaire et sécurité maritime,
pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur les progrès
qui pourraient intervenir à bref délai ?
Sur un autre sujet, le Conseil européen - et je m'en félicite - a exprimé sa
volonté d'intégrer effectivement la protection de l'environnement dans les
objectifs des politiques communes et de définir une « stratégie européenne de
développement durable », qui sera précisée sous présidence suédoise. Il a
réaffirmé, en outre, son engagement en faveur de la ratification du protocole
de Kyoto, avec l'objectif d'une entrée en vigueur en 2002, et a lancé un appel
pour une relance des négociations après l'échec de la conférence de La Haye.
J'ai noté que les conclusions du Conseil envisageaient également d'utiliser
davantage la fiscalité au service de l'environnement. Pouvez-vous, monsieur le
ministre, nous apporter des précisions sur ces points ?
Enfin, le Conseil européen a également adopté une importante déclaration
concernant le sport, qui servira de guide à l'action de la communauté dans ce
domaine.
Ce texte souligne le bien-fondé des organisations sportives et la nécessité de
respecter leur autonomie, dès lors qu'elle s'accompagne d'un fonctionnement
démocratique et transparent. Il reconnaît le rôle central des fédérations dans
la nécessaire solidarité entre les différents niveaux de pratique sportive,
tout en indiquant que c'est l'exercice effectif de ce rôle qui est le fondement
de leur compétence dans l'organisation des compétitions.
En d'autres termes, dès lors qu'elles exercent effectivement leur fonction de
promotion du sport à tous les échelons, les fédérations peuvent légitimement
prendre des mesures garantissant le respect de la spécificité sportive.
La déclaration précise, en particulier, que les fédérations sont fondées à
prendre les mesures nécessaires pour préserver la capacité de formation des
clubs sportifs, pour assurer la protection de la santé des jeunes sportifs et
pour réglementer la propriété de clubs multiples ; par ailleurs, sont
approuvées les initiatives en faveur de la mutualisation d'une partie du
produit de la vente des droits de retransmission télévisuelle.
Cette déclaration me paraît constituer une base valable pour la définition
d'un modèle sportif européen refusant la dérive vers une approche purement
économique et commerciale et soulignant, au contraire, les fonctions sociales,
éducatives et culturelles du sport.
Certaines questions restent cependant en suspens, et je souhaiterais, monsieur
le ministre, que vous nous apportiez des précisions à cet égard. Je pense à la
moralisation des transferts, l'affaire récente des faux passeports montrant une
fois de plus la nécessité d'agir en la matière ; je pense également à
l'articulation entre l'action communautaire et les différents échelons du
mouvement sportif, qui manque pour le moins de clarté ; je pense, enfin, à la
lutte contre le dopage, que le Conseil européen se propose d'intensifier dans
le cadre de l'agence mondiale antidopage.
Il était justifié que je termine mon propos sur le sport, puisque le Conseil
européen de Nice a été, paraît-il, celui de tous les records : par sa durée,
par le nombre et l'importance des sujets traités et par la quantité de café
absorbée par les participants.
(Sourires.)
Sur les thèmes que j'ai évoqués, j'hésiterai à dire que les résultats sont à
la mesure de tous ces records. Mais sans doute faut-il considérer la
construction européenne comme une épreuve d'endurance, comme une course de fond
où il ne faut pas brûler les étapes. C'est peut-être ce qu'ont oublié ceux qui
se montrent aujourd'hui si sévères sur la présidence française !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « L'union du
chacun pour soi », tel est le diagnostic de nos amis suisses, observateurs
neutres par excellence. Ils ont la dent dure, mais touchent juste, car cette
expression reflète l'esprit général, même s'il caricature un peu le résultat du
traité de Nice.
Tous les négociateurs sont rentrés dans leurs pays en dressant le bilan de ce
qu'ils avaient gagné, souvent en dissimulant ce qu'ils avaient concédé. Tous
ont déclaré qu'ils avaient réussi à défendre les intérêts nationaux, à arracher
telle ou telle parcelle de pouvoir supplémentaire au sein d'un équilibre
communautaire si délicat. Ils ont totalement oublié de mentionner si l'Europe
avait progressé.
Etait-il vraiment iconoclaste de s'interroger sur l'Europe à Nice ? La
présidence française l'a fait, sans doute. Sans doute, car notre pays voulait
achever dignement une présidence impartiale et difficile ; sans doute, car la
cohabitation, même si les deux têtes de l'exécutif n'ont laissé percer aucune
divergence, interdisait toute proposition originale, plus favorable à un grand
projet européen qu'à l'immédiat intérêt national.
Exception faite du traité fondateur de Rome, nous savons que les négociateurs
manifestent en général leur autosatisfaction et que les textes sont toujours
fortement critiqués. Même le traité de Maastricht, qui avait l'immense mérite
de fixer un objectif clair et des critères précis, a été vilipendé.
Heureusement que le référendum lui a donné l'onction du peuple !
Il ne s'agit pas ici de mettre en cause tel pays, petit ou grand, dont les
réactions étaient prévisibles tant elles correspondaient d'abord à ses
priorités nationales et à un comportement récurrent. L'exemple des domaines
pour lesquels le maintien du vote à l'unanimité a été défendu est éloquent : la
fiscalité et la sécurité sociale pour la Grande-Bretagne, l'aide aux régions
défavorisées pour l'Espagne, le droit d'asile et la politique d'immigration
pour l'Allemagne, l'audiovisuel pour la France. Il paraissait admis que
l'Europe était exclue des priorités de chacun...
Le clivage fondamental entre ceux qui souhaitent une Europe approfondie et
ceux qui l'envisagent comme une zone de libre-échange d'un nouveau type reste
pertinent. Il explique pour partie la difficulté de conclure un traité
ambitieux.
Je souhaitais donc, en préambule, insister sur l'esprit dans lequel s'est
déroulé ce sommet.
Vouloir réformer les institutions à quinze était une gageure. Le péché
originel date d'avant Amsterdam, de l'époque où nous n'étions que douze Etats
membres : ne pas avoir alors réformé les institutions, avant l'élargissement de
1995, explique les difficultés actuelles. Le coeur de ce Conseil européen
n'était-il pas le « reliquat d'Amsterdam » ? Dans le dilemme permanent -
faut-il approfondir ou élargir ? - nous avons choisi, une fois de plus, le plus
facile : élargir. Nous y avons été condamnés par les déclarations des exécutifs
de tous les Etats membres, y compris le nôtre - ou les nôtres - qui avaient
multiplié les promesses aux postulants.
Dans l'analyse des résultats du sommet de Nice, et alors que le Parlement
français ne dispose toujours pas du texte du traité, je crois indispensable de
faire l'effort de ne pas se cantonner à une vision franco-française des choses,
naturellement encline à une « autosatisfaction - bouclier » ou à une critique
fondamentaliste.
La présidence française est parvenue à un traité acceptable, car le contrat
est rempli dans un contexte difficile. Mais la France, pays fondateur, s'est
autocensurée, pour finalement faire le choix de l'élargissement au lieu de
l'approfondissement. « Pas de traité plutôt qu'un mauvais traité » : tel était
le postulat. La formule a été oubliée alors que, chacun en convient, la
mécanique européenne est à bout de souffle. Nous cherchons en vain un souffle
nouveau.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur
celles de l'Union centriste et du RPR.)
La France s'est fixé une obligation de résultat - si moyen soit-il - pour
justifier la possibilité d'adhésion offerte aux pays candidats. Ni elle ni les
quatorze autres Etats membres n'ont eu le courage de réaffirmer qu'une réussite
incontestable de la réforme des institutions était vitale avant que puisse être
envisagée l'intégration de nouveaux pays. La rencontre à vingt-neuf pays
organisée avant l'ouverture officielle du Conseil européen était significative
et créait une forme de pression.
Je voudrais cependant me réjouir que la présidence française n'ait pas
succombé au travers démagogique en ne fixant pas la date d'entrée des pays
candidats. Cela aurait été plus facile vis-à-vis des futurs Etats membres, mais
cela n'aurait correspondu à aucune réalité économique et administrative, et si
parfois le pragmatisme l'emporte, c'est grâce aux négociations techniques,
chapitre par chapitre, et aux progrès réalisés par le biais des jumelages
institutionnels.
Toutefois, notre pays a été confronté à un véritable problème de méthode. Il
n'a pas su définir, en début de présidence, les avancées que devait concrétiser
un projet européen. Le diable est dans les détails : le Gouvernement aurait dû
dresser à grand traits le portrait d'une Europe idéale. Un certain nombre de
parlementaires ici présents s'en étaient inquiétés lors du débat sur les
orientations de la présidence française en juin dernier, mais le Gouvernement
n'avait alors pas jugé nécessaire de présenter une vision. En a-t-il seulement
une, dans son hétérogénéité ?
Nous avons tous à l'esprit le pragmatisme de nos aînés, aussi faudrait-il
expliquer aux Français ce nouveau traité, qui modifie des équilibres sans
dessiner l'avenir.
L'ordre du jour du Conseil européen était chargé. La proclamation conjointe de
la Charte des droits fondamentaux fut un moment fort, car elle exprime les
valeurs auxquelles l'Europe se réfère, mais je m'attacherai uniquement au coeur
de ce sommet, à savoir la question de la réforme des institutions, préalable à
tout élargissement.
La France a peut-être permis un modeste « lissage » des prétentions
nationales, nécessaire pour parvenir à un compromis. Le contrat est rempli
a
minima
, mais interrogeons-nous sur quelques points.
Pour ce qui est de la Commission européenne, chaque pays sera représenté
jusqu'à un plafond de vingt-sept commissaires. Cela exprime, à mon sens, un
esprit vraiment européen, car les poids économique et démographique sont
oubliés, et une forme de subsidiarité, à laquelle sont très attachés les petits
pays, s'applique ainsi.
Pour ce qui est du Conseil, on peut s'interroger, mais la réponse, là aussi,
est difficile. Fallait-il défendre une trilogie des grands pays fondateurs, à
laquelle se serait joint le Royaume-Uni, ou accepter le décrochage par rapport
à l'Allemagne ? Quoi qu'il en soit, avoir accepté un écart de vingt-sept
eurodéputés au bénéfice des Allemands, alors que leur coordination au sein du
Parlement européen leur permet déjà de défendre beaucoup mieux que nous leurs
intérêts nationaux, est lourd de conséquences,...
M. Paul Masson.
Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou.
... d'autant plus qu'un grand nombre de pays candidats sont imprégnés de
culture allemande et partagent souvent les intérêts de l'Allemagne, de par
l'importance des investissements auxquels celle-ci procède chez eux.
(M.
Jacques Donnay applaudit.)
Le centre de gravité de l'Europe va se déplacer à Berlin, et l'importance de
l'Europe méditerranéenne sera minorée. Selon les projections, l'Allemagne
comptera 70 millions d'habitants dans trente ans ; si elles se vérifient,
serons-nous capables alors de revenir en arrière ? Parfois - l'histoire en
fournit de nombreux exemples - on se rassemble pour faire face à un danger
extérieur. Dans l'optique de la mondialisation, notre rivale est
l'hyperpuissance américaine. Seules des institutions fortes et claires peuvent
nous permettre d'exploiter notre potentiel économique dans cette compétition :
la baisse de l'euro intervenue lundi dernier en est une preuve alarmante. Les
Etats-Unis s'inquiètent d'ailleurs du renforcement et de l'élargissement de
l'Union dans un avenir à plus long terme. Ils ne se trompent pas, s'agissant
des zones stratégiques, comme l'a confirmé M. Brzezinski, puisqu'ils ont fait
de l'Ukraine le troisième pays bénéficiaire des aides américaines, après Israël
et l'Egypte.
Néanmoins, un signal positif a été donné à Nice, en ce qui concerne le
commerce, avec l'extension du recours au vote à la majorité qualifiée pour la
politique commerciale extérieure de l'Union, à l'exception des domaines
culturel et audiovisuel, ce qui est une garantie pour l'ensemble des cultures
européennes. A mesure que le nombre d'Etats membres augmente, nous devons
tendre vers une simplification du fonctionnement. Or le principe de base n'a
pas été respecté.
A cet égard, un signe inquiétant doit être relevé : malgré la très forte
médiatisation du sommet de Nice, on n'a pu percevoir de frémissement d'intérêt
dans l'opinion publique. On fait fréquemment référence au binôme « Europe et
citoyenneté » ; je crains que la complexité croissante des institutions
européennes ne rende tout à fait illisible une Europe qui s'éloigne de plus en
plus.
M. Paul Masson.
Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou.
Espérons que les dirigeants européens oublieront leurs querelles picrocholines
afin de redonner de l'enthousiasme à nos concitoyens pour une Europe qu'ils
comprendront, et donc qu'ils aimeront.
L'année 2004 sera le prochain rendez-vous européen. Le Conseil européen de
Nice a montré les limites d'un système qui est, je le répète, à bout de
souffle. Il nous faut travailler dès à présent à l'Europe que nous voulons,
d'autant qu'il s'agira de redéfinir les compétences entre l'Union, les Etats et
les régions. En clair, nous avons l'occasion de mettre en oeuvre le principe de
subsidiarité. La réussite du prochain rendez-vous institutionnel dépendra de la
capacité des Etats membres à accepter, et à faire accepter préalablement à
leurs opinions publiques, l'existence d'un intérêt commun européen qui doit,
ayons l'honnêteté de l'affirmer, transcender parfois nos intérêts nationaux.
Sinon, c'est tout l'esprit de la construction européenne qui sera galvaudé.
En conclusion, je regrette, comme les autres membres du Rassemblement
démocratique et social européen, que notre soif d'Europe, eu égard aux
résultats du Conseil européen de Nice, reste inassouvie.
(Applaudissements
sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Europe est
une belle idée de plus en plus partagée par les peuples européens. Leurs
aspirations, notamment celles de la jeunesse, sont de circuler, d'échanger plus
librement, de voir réduire les inégalités et de construire des solidarités.
La conscience existe que l'Europe peut jouer un rôle important pour équilibrer
l'hyperpuissance des Etats-Unis et constituer, ainsi, un ensemble attractif,
permettant d'éviter l'instauration d'un système unipolaire libéral. Cet
objectif est d'ailleurs partagé par un grand nombre de pays dans le monde, qui
luttent pour échapper à un rapport de force où le dominant a tous les pouvoirs
sur le dominé.
Au terme de la présidence française et à l'heure du bilan du sommet de Nice,
je ne sais ce qui l'emporte : l'amertume ou la perplexité. Certes, un accord
est préférable à un échec, et l'on peut comprendre que les Etats demandant à
adhérer à l'Union perçoivent comme satisfaisantes les réponses qui leur ont été
apportées.
Dans certains domaines s'ouvrent d'ailleurs des perspectives positives, qu'il
s'agisse de la sécurité alimentaire ou maritime, de la déclaration sur la
spécificité du sport ou encore du statut de la société européenne demandé par
les syndicats.
Pourtant, la déception semble l'emporter. Elle tient à des motifs divers, qui
ne peuvent être confondus : certains souhaitaient une intégration plus poussée
pour aboutir à une Europe supranationale et libérale, d'autres regrettent
l'absence d'objectifs clairs et de projets mobilisateurs pour une Europe plus
respectueuse des peuples et des nations.
Au-delà de discussions longues et laborieuses, le sommet de Nice a souligné
non seulement le déficit politique et social de la construction européenne,
mais aussi l'existence de contradictions institutionnelles lourdes à gérer. On
constate un profond décalage entre la demande d'Europe sociale et la logique
libérale et dominatrice : Nice le révèle encore plus clairement que
Biarritz.
Sur le plan institutionnel, dans la perspective de l'élargissement, les
attentes portaient sur la pondération des voix, l'attribution des sièges au
Parlement européen et les mécanismes de décision. Au final, n'est-il pas
douloureux de constater encore une fois qu'il est difficile de partager le
pouvoir entre pays, notamment avec les moins puissants ? Cela signifie-t-il
qu'une ligne de fracture entre « grands » et « petits » est déjà apparue ? Cela
signifie-t-il que nous sommes à la veille de l'émergence d'une Europe à deux,
voire à trois vitesses ?
Certes, le texte de l'accord permet finalement de porter, dans un premier
temps, à vingt-sept le nombre des commissaires, et le principe du vote à la
majorité qualifiée a été retenu, ce qui peut déboucher sur des avancées
positives.
Mais il faut souligner que l'Allemagne, première puissance économique
européenne, prend un poids suffisant pour emporter toute décision en s'alliant
avec seulement un ou deux autres pays. Elle seule voit son nombre de députés
augmenter de 87 à 99, alors que la représentation de la France, de la
Grande-Bretagne et de l'Italie est ramenée de 87 à 72 députés.
De plus, la toute puissance accordée au président de la Commission est loin, à
nos yeux, d'être représentative d'une Europe démocratique.
A ce rythme, les « petits » Etats de l'Union et
a fortiori
les nouveaux
adhérents risquent quelque peu d'être marginalisés. Ils auront du mal à
intégrer cette Europe qui partage difficilement les pouvoirs de décision et
qui, dans le même temps, met les politiques budgétaires, salariales et sociales
en concurrence pour mieux répondre aux contraintes de la Banque centrale
européenne dont l'autorité est renforcée.
Tous ces débats institutionnels, parfois très compliqués et fort éloignés des
attentes sociales et démocratiques, dénotent une réalité flagrante : tant que
l'Europe restera une union économique et monétaire vivant au rythme du marché
unique et soumise aux règles de l'OMC, elle ne pourra pas répondre aux
préoccupations politiques, sociales et culturelles des peuples de l'Europe,
dans le respect de leur diversité.
Après Nice, force est de constater que la majorité des problèmes demeurent, et
il devient banal d'évoquer une prochaine échéance en 2004. Le chantier reste
donc ouvert. La complexité de l'Europe est un fait. Nous le savions.
Ce qui se dessine distinctement, c'est la volonté d'une Europe qui se compose
de femmes et d'hommes capables de se rapprocher, de partager, pour échapper à
une mondialisation imposée par les grandes puissances économico-financières.
La Charte des droits fondamentaux pouvait être une étape dans la bonne
direction. Mais alors que le texte réaffirme en préambule la liberté de
circulation des biens et des capitaux, il reste imprécis sur des points
cruciaux comme le droit au logement, le droit au travail, les droits syndicaux,
les droits des femmes. L'avenir de la charte pourrait constituer un pilier pour
l'Union européenne, à condition qu'elle ait force de loi.
Par ailleurs, le développement et l'assouplissement de la procédure des
coopérations renforcées seront-ils suffisants pour permettre à l'Europe de
tirer vers le haut les vingt-sept Etats, aux besoins spécifiques et au
développement si différents ?
Dans le même temps où il faut se féliciter d'une Europe plus ouverte à l'Est,
on peut être inquiet de la faible place accordée aux pays méditerranéens. En
effet, l'Europe a tout intérêt à renforcer les coopérations avec les pays du
sud de la Méditerranée, avec lesquels elle partage un fond de culture commun et
qui sont en attente de partenariats mutuellement avantageux.
Quant à la décision de l'Union européenne de mettre en place une force
d'intervention rapide, celle-ci sera-t-elle indépendante de l'OTAN et lui
permettra-t-elle de peser dans la résolution de certains conflits, notamment,
aujourd'hui, au Proche-Orient ?
Mais ne désespérons pas ! Car Nice a également eu son lot de bonnes nouvelles.
D'une part, les forces progressistes de seize pays européens ont pu se
rencontrer pour construire des convergences réelles, porteuses d'avenir.
D'autre part, le mouvement social, très présent, est devenu aujourd'hui
incontournable. Près de 100 000 personnes avaient fait le déplacement pour
réclamer une Europe des droits sociaux et des droits de la personne. Ils
étaient ainsi porteurs d'alternatives et de projets afin de faire vivre une
Europe où la place de l'homme serait plus importante que celle des marchés.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de
l'examen du projet de budget des affaires étrangères, il y a quelques jours,
j'avais exprimé ma confiance dans la présidence française pour démentir les
pessimistes qui prédisaient l'échec du sommet de Nice.
Quoi qu'en disent aujourd'hui ceux qui préfèrent toujours voir la bouteille à
moitié vide plutôt qu'à moitié pleine, les conclusions de ce sommet doivent
être appréciées à leur juste mesure. Je note d'ailleurs avec satisfaction que
la grande majorité des orateurs qui m'ont précédé ce matin à cette tribune ont
porté une appréciation plus favorable, même si M. Leclerc a cru devoir y
ajouter quelques critiques à l'égard de la politique du Gouvernement qui ne
semblent pas avoir grand rapport avec le sommet de Nice.
M. Raymond Courrière.
C'est du sectarisme !
M. Claude Estier.
Chacun savait que les réformes institutionnelles qui conditionnent
l'élargissement de l'Union constituaient un terrain particulièrement difficile.
Faute du moindre accord, le traité d'Amsterdam les avait laissées en « reliquat
». Le fait que, sur plusieurs d'entre elles, des solutions aient pu être
trouvées, même incomplètes, même imparfaites, représente une avancée
appréciable qui permet en tout cas de poursuivre les négociations avec les pays
candidats, avec une perspective au moins d'une première série d'adhésions à
l'horizon 2003.
Permettez-moi de dire quelques mots d'abord sur chacune de ces questions
institutionnelles.
En ce qui concerne la composition de la Commission européenne, la France,
malheureusement, n'a pu faire prévaloir sa proposition d'un plafonnement à
vingt membres, du fait du refus de ceux que l'on appelle les « petits pays » de
renoncer à disposer d'un représentant national dans cet organisme, les grands
pays ayant pourtant accepté de ne plus avoir qu'un seul commissaire au lieu de
deux actuellement. Le plafonnement se trouve donc hélas ! différé de plusieurs
années.
La question de la pondération des voix au sein du Conseil, qui donnait lieu,
elle aussi, à des discussions sans fin a trouvé une réponse qui ne sera
effective qu'en 2005, mais qui permet un meilleur équilibre entre grands et
petits pays, même si elle aboutit à un système assez complexe sur lequel je
souhaiterais, moi aussi, monsieur le ministre, que vous nous apportiez quelques
explications complémentaires.
L'Allemagne a finalement accepté de ne pas avoir plus de voix au Conseil que
la France, la Grande-Bretagne et l'Italie, mais elle a obtenu une double
compensation avec la clause de vérification démographique et une nouvelle
répartition des sièges au Parlement européen.
Autre problème non résolu à Amsterdam : le vote à la majorité qualifiée a été
étendu à trente-cinq nouveaux domaines. Cependant, plusieurs pays ont tenu à
conserver leur droit de veto : la Grande-Bretagne sur la fiscalité, l'Allemagne
sur le droit d'asile et l'immigration, l'Espagne sur les aides régionales, et
n'oublions pas la France, qui préserve ainsi son « exception culturelle », ce
qui était pour nous tout à fait primordial. Mais le progrès est indéniable : 80
% à 90 % des décisions pourront être prises désormais à la majorité
qualifiée.
Plus important encore, à mes yeux, est l'assouplissement du système des
coopérations renforcées, qui figurait déjà dans le traité d'Amsterdam, mais qui
désormais va permettre à un nombre limité de pays d'avancer plus vite dans
certains domaines sans se heurter à un veto, chacun des autres pays membres
pouvant à tout moment rejoindre ceux qu'on pourrait qualifier d'éclaireurs,
comme ce fut le cas pour l'euro ou pour Schengen.
Outre ces progrès d'ordre institutionnel, la présidence française peut se
targuer d'avoir obtenu des avancées concrètes dans toute une série de domaines
qui intéressent directement les citoyens européens dans leur vie quotidienne,
comme la fiscalité de l'épargne, la sécurité alimentaire, la sécurité maritime,
la mobilité dans le domaine de l'éducation, la culture avec Media Plus, la
coopération judiciaire dans la lutte contre la criminalité, les dispositions
applicables dans les cinq ans à venir de l'agenda social européen, avec
l'accord réalisé sur le statut de la société européenne.
A cette liste non exhaustive, il faut encore ajouter, d'une part, la mise en
oeuvre d'une politique de sécurité commune qui fait apparaître pour la première
fois concrètement la défense européenne et, d'autre part, sur un autre plan, la
proclamation, il est vrai trop discrète à mes yeux, de la Charte des droits
fondamentaux, laquelle, certes, n'a pas pour l'instant de force contraignante,
mais dont on peut espérer qu'elle pourra l'acquérir dans l'avenir. C'est ce à
quoi la prochaine présidence suédoise entend, je crois, consacrer ses efforts,
et nous devons l'y aider.
Au total, le sommet de Nice, conduit par la présidence française, a bien droit
à une mention honorable et ne mérite en tout cas pas cet excès d'indignité dont
il a été immédiatement affublé par certains commentateurs et aussi, mardi, par
le Parlement européen, qui me paraît avoir été exagérément sévère.
Comme un vieil adage le dit, la critique est aisée mais l'art de la
construction européenne est, nous le savons tous depuis des années,
difficile.
Le fait que le sommet ait été aussi laborieux - vous serez d'accord avec moi
sur ce point, monsieur le ministre - doit nous conduire cependant à certaines
réflexions qui ne portent pas toutes à l'optimisme quant à l'avenir de la
construction européenne.
Celle-ci a avancé pendant des décennies grâce au moteur que représentait ce
qu'il était convenu d'appeler le « couple » franco-allemand. C'était vrai du
temps de de Gaulle et d'Adenauer comme du temps d'Helmut Kohl et de François
Mitterrand.
M. Aymeri de Monstesquiou.
N'oubliez pas Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt !
M. Claude Estier.
Mais il s'agissait de dirigeants allemands marqués par l'époque de la guerre
et soucieux de réinstaller leur pays dans le concert des nations démocratiques.
Pour cet objectif, l'appui de la France leur était précieux, je dirai même
indispensable.
Aujourd'hui, une nouvelle génération de dirigeants est au pouvoir à Berlin, à
la tête d'un pays parfaitement démocratique, qui est la première puissance
européenne à la fois au plan économique et, depuis la réunification, au plan
démographique. Ce pays entend donc jouer son rôle en fonction de cette
puissance et aussi de l'influence qu'il peut avoir auprès de plusieurs des
Etats candidats sortis de la domination soviétique. Du coup, le « couple »
franco-allemand se trouve déséquilibré et n'a plus cette force d'entraînement
qui a été si souvent décisive dans le passé.
A partir de là, et on l'a vu pendant quatre jours et quatre nuits à Nice -
vous l'avez vécu en direct, monsieur le ministre - les égoïsmes nationaux
reprennent le dessus, opposant les petits pays aux grands et même les petits
entre eux. On en est donc réduit à chercher les plus petits communs
dénominateurs. D'où le sentiment d'un accord a minima dont le Premier ministre
soulignait mardi, à l'Assemblée nationale, qu'il avait même risqué de ne pas
être atteint.
La présidence française se serait ainsi achevée par une crise grave. Et
qu'auraient dit alors nos impitoyables censeurs d'aujourd'hui ?
M. Daniel Hoeffel.
C'est vrai !
M. Claude Estier.
Il est donc urgent, à partir des résultats acquis à Nice, de redonner du
souffle à la construction européenne, d'inventer une nouvelle dynamique - le
développement des coopérations renforcées pourrait être une voie - et,
peut-être, d'imaginer de nouvelles méthodes de travail plus compréhensibles par
les peuples, afin de permettre à ceux-ci, dont tous les sondages nous montrent
qu'ils sont de plus en plus sceptiques, de se réapproprier cette grande idée
qu'est l'Europe, qui est seule capable, par son histoire, sa culture et sa
puissance économique et démographique, à condition toutefois d'être unie, de
faire contrepoids à la force aujourd'hui dominante des Etats-Unis et, demain,
peut-être, à celle de la Chine.
Je répète qu'il y a urgence, car, dans quelques années, l'Union passera de
quinze à vingt, vingt-cinq ou vingt-sept membres, et on peut se demander
comment ce qui fonctionne si difficilement à quinze pourra fonctionner à vingt,
vingt-cinq ou vingt-sept, avec donc une diversité encore plus grande et des
intérêts nationaux encore plus contradictoires.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
C'est vrai !
M. Claude Estier.
Il n'était sans doute pas souhaitable, avant d'avoir apporté une réponse aux
problèmes immédiats qui étaient sur la table, à Nice, d'engager une discussion
approfondie sur l'avenir institutionnel et politique de l'Europe. Désormais,
cette discussion s'impose et la France, qui a si souvent su montrer le
chemin,...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Tout à fait !
M. Claude Estier.
... doit être à l'initiative de ce grand rendez-vous.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le
président de la délégation pour l'Union européenne, mesdames, messieurs les
sénateurs, je veux d'abord remercier le Sénat de son initiative, cette question
orale me donnant l'occasion, au nom du Gouvernement, de faire avec vous le
bilan de la présidence française.
Je remercie plus particulièrement M. Hubert Haenel de sa question et de son
discours européen, celui d'un Européen lucide qui a su faire une analyse
profonde et précise.
Je remercie également M. de Villepin de son soutien à la présidence française
de l'Union européenne, car la tâche, en effet, n'était pas facile.
Je remercie aussi M. Claude Estier, notamment de l'estimation, me semble-t-il
juste, qu'il a faite des résultats de Nice.
D'une façon générale, je remercie, enfin, tous les orateurs d'avoir reconnu,
en exprimant, bien sûr, des sensibilités différentes, qu'un travail important
avait été accompli.
Je dirai simplement à M. Leclerc que, pendant ces quatre jours, j'ai été au
côté du Président de la République et du Premier ministre à Nice, et que nous
devons considérer que les résultats de cette présidence sont partagés. Si
chacun tente de s'attribuer le bénéfice de ce sommet en distinguant ce qu'il a
fait, nous n'irons pas très loin. C'est précisément, monsieur le sénateur, ce
qu'avec le Président de la République et les membres du Gouvernement nous avons
voulu éviter à tout prix. Imaginez ce qui se serait produit si, à un moment ou
à un autre au cours de ces quatre jours, nous avions parlé d'une voix
différente ! J'insiste donc sur ce point.
Je veux maintenant mettre l'accent sur le caractère exceptionnel de la
présidence française qui s'achève.
Elle est exceptionnelle par son ordre du jour sans précédent, tant les
problèmes à traiter étaient nombreux, par le niveau d'ambition que nous avions
à la fois pour nous, en tant que pays, et pour le nombre de sujets sur la table
et, enfin, par les attentes qu'elle a suscitées.
Cette présidence a effectivement donné lieu - l'expression de M. Bordas est
juste - à un sommet qui aura été celui de tous les records : records de durée,
de consommation de café, de nourriture et, sans aucun doute, de fatigue pour
les négociateurs !
Au total, nous avons su prendre nos responsabilités non seulement pour traiter
les problèmes qui se posent aujourd'hui au niveau européen, mais aussi pour
préparer l'avenir politique et institutionnel de l'Union. La tâche était
difficile, et je constate que le jugement immédiat est mitigé, mais je pense
qu'il deviendra différent avec le recul.
J'ai lu les critiques, mais j'essaie d'imaginer ce qui se serait produit si,
au lieu de revenir avec un accord, qui, certes, ne correspond pas à ce que nous
souhaitions, cette longue nuit de Nice avait abouti à un échec, comme ce fut le
cas voilà trois ans et demi à Amsterdam. Je vous laisse imaginer les effets
d'un tel échec sur l'euro, sur la confiance de nos concitoyens dans l'Europe -
confiance que nous devons, au contraire, tous veiller à conforter - et sur
l'élargissement, qui aurait été au moins retardé sinon compromis.
C'est aussi en fonction de cela que nous avons pris nos responsabilités et, si
j'ose dire, le premier mérite du traité de Nice est donc d'exister. Il fallait
sortir du sommet de Nice avec un accord, et j'essaierai de montrer, chemin
faisant, qu'il ne s'agit pas de l'accord au rabais que certains ont évoqué. Je
ferai volontiers mienne la formule de Claude Estier, que j'avais, moi aussi,
inscrite sur mes tablettes : « La critique est aisée, mais l'art est difficile.
»
Je n'aurai garde d'oublier, avant d'en venir au débat institutionnel qui a
fait l'essentiel de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, ce
qu'ont été les résultats de nos efforts pour donner une plus large part aux
préoccupations concrètes des citoyens, sur lesquelles ont insisté, avec des
sensibilités différentes, M. de Montesquiou et Mme Bidard-Reydet.
D'abord, je crois qu'on ne mettra jamais assez en relief l'importance de la
proclamation, à Nice, de la Charte européenne des droits fondamentaux : c'est
pour moi une avancée politique forte, qui rassemble, dans un texte accessible à
tous, les valeurs sur lesquelles se fonde le modèle européen de civilisation.
Nous avons utilisé une méthode originale, cela a été dit ici - il faudra
d'ailleurs réfléchir à la façon de l'exploiter dans le débat qui nous mène à
2004 - celle de la convention chargée d'élaborer le projet de charte. M. Hubert
Haenel et Mme Marie-Madeleine Dieulangard ont apporté leur pierre, au nom du
Sénat, à cet édifice, et je veux les saluer.
Certes, on peut regretter que ce texte fort, auquel je crois profondément,
n'ait pas reçu, à Nice, une portée juridique. Cela faisait aussi partie du
contrat et ceux qui participaient à la convention le savaient. Si nous n'avions
pas consenti à un gouvernement ami que ce texte ne serait pas immédiatement
contraignant, il n'y aurait pas eu de charte du tout. Les deux sénateurs ici
présents peuvent en porter témoignage.
Nous avons toutefois obtenu, dans le cadre de la déclaration de la CIG sur
l'après-Nice, sur laquelle je reviendrai, que soit retenue, parmi les questions
qui devront être abordées, celle du statut de cette charte. Si vous me
permettez cette formule, ce n'est donc qu'un début ; il va falloir continuer le
combat.
Contrairement à M. Haenel, je ne crois pas que cette charte ait été proclamée
en cantimini, car elle est tout de même été signée par les trois institutions !
C'est d'ailleurs à cette occasion que la photo de famille a été prise. C'est le
seul moment où les chefs d'Etat et de Gouvernement se sont retrouvés autour des
signataires de la charte. Il est vrai que le Président de la République a
préféré que ne soient pas alors tenus de long discours, mais il y avait deux
raisons à cela.
La première était liée à l'emploi du temps : nous ne voulions pas, en plus des
conseils ordinaires, instituer une nouvelle cérémonie, d'autant que se tenait
le matin même la Conférence européenne entre l'Union européenne et les pays
candidats à l'adhésion.
La seconde raison était liée au fait que nous ne voulions pas, sur cette
charte, faire apparaître des différences de sensibilité entre les trois
institutions. Je partage totalement le sentiment du Président de la République
sur ce point. Je le lui avais d'ailleurs conseillé. Il n'eût pas été bon de
retenir les souhaits des uns ou des autres. Il fallait reconnaître la charte
telle quelle était, c'est-à-dire une pierre sur le chemin de l'Europe. Mais il
ne s'agit que d'une étape ; il faudra continuer le combat pour lui donner la
place qu'elle mérite dans les textes européens.
J'en viens au renforcement du modèle social européen, pour lequel la
présidence française a obtenu des résultats extrêmement importants.
J'insisterai sur les initiatives que nous avons prises et qui sont cohérentes
par rapport aux efforts que nous avons faits, depuis plusieurs années, pour
introduire une dimension sociale forte dans les travaux de l'Union et
rééquilibrer ainsi le contenu même de la construction européenne. Quels sont
les résultats ?
Des textes majeurs, en discussion depuis longtemps, ont été adoptés.
Le premier concerne le volet social et l'ensemble du statut de la société
européenne, en souffrance depuis trente ans. Là encore, évitons les
exagérations ; ne faisons pas comme si, d'un côté, la ministre avait échoué au
sein de son Conseil et, de l'autre, le président avait arraché l'accord de José
Maria Aznar. Ayant été avec lui lors de sa tournée en Espagne, je sais que cela
fait partie d'un équilibre et que, si le travail n'avait pas été correctement
préparé par le Gouvernement et si ces mesures n'avaient pas fait partie du
paquet de négociations finales, le président Aznar n'aurait pas cédé. Je le dis
simplement pour la vérité de l'histoire, tout en remerciant M. Aznar d'avoir
réalisé cet effort que ses prédécesseurs se refusaient à faire depuis trente
ans.
Le second texte majeur porte sur la lutte contre les discriminations en
matière d'emploi. Des programmes importants sur la lutte contre l'exclusion
sociale et sur la promotion de l'égalité entre hommes et femmes ont également
été adoptés.
Un autre résultat obtenu concerne le lancement d'une grande initiative,
l'agenda social, programme de travail pour les cinq ans à venir, qui identifie
un certain nombre de domaines sur lesquels nous devons avancer, en liaison avec
les partenaires sociaux, pour renforcer le modèle social européen.
Madame Bidard-Reydet, pour ma part, j'ai trouvé positive la manifestation qui
s'est déroulée la veille du Conseil européen de Nice. En effet, il est
important que les forces sociales soient présentes pour faire entendre leur
voix, fût-elle différente de celle des responsables, et il faut arriver à nouer
davantage le dialogue avec le mouvement social au sujet de l'Europe.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Et les casseurs ?
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
En revanche, je considère comme profondément négatives
les manifestations qui ont eu lieu le matin du sommet et qui ont engendré des
violences absolument inacceptables.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Tout à fait d'accord !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Ne confondons pas les unes et les autres.
J'en reviens à l'agenda social. Les domaines sur lesquels porte ce programme
de travail sont la qualité de l'emploi, la lutte contre la pauvreté et la
modernisation de nos systèmes de protection sociale.
Enfin, s'agissant toujours des résultats obtenus, je mentionnerai brièvement
deux points.
Le premier concerne les services publics.
Par-delà nos diversités, nous partageons une conviction qui est profondément
française et qui devient européenne, à savoir que les services publics jouent
un rôle essentiel au maintien de la cohésion sociale et territoriale. Pour la
première fois, nous avons réussi à faire adopter une déclaration qui réaffirme
le rôle et les missions des « services d'intérêt général », un véritable corps
de doctrine qui nous permettra de mieux orienter les travaux à venir au sein de
l'Union. Cela contribuera à mieux équilibrer les dispositions de l'article 16
du traité, qui concernent ces services d'intérêt général, et celles de
l'article 86, qui sont relatives aux aides d'Etat, car il nous faut, en effet,
parvenir à faire vivre ensemble le service public et le marché intérieur.
Le second point concerne le « paquet fiscal » sur l'épargne, qui a été enfin
conclu, alors qu'il était sur la table non pas depuis trente ans, mais depuis
une bonne dizaine d'années déjà !
J'en viens maintenant, après le modèle social européen, à l'Europe du
quotidien, l'Europe des citoyens. Là encore, les résultats de la présidence
française sont significatifs.
Je commencerai par le plan d'action en quarante-deux mesures qui vise à
éliminer, dans les cinq ans qui viennent, tous les obstacles qui demeurent sur
notre continent, à la mobilité des étudiants et des enseignants. Le savoir
étant la matière première de demain et le fondement de notre économie, il faut,
dans ce domaine aussi, de la liberté de mouvement et des échanges, ce que le
plan permettra.
J'insisterai, ensuite, sur la mise en oeuvre de l'espace européen de liberté,
de sécurité et de justice, avec, notamment, l'adoption d'un paquet de mesures
destinées à lutter plus efficacement contre le blanchiment et la criminalité
financière.
J'en viens aux deux sujets sur lesquels m'a interrogé M. Bordas : la sécurité
maritime et la sécurité alimentaire.
Avant d'entrer dans le détail, je voudrais lui faire remarquer qu'il est rare,
y compris en matière législative, de prendre des décisions en une année. De ce
point de vue, il faut d'autant moins faire à l'Europe le procès d'avoir été
lente qu'en l'occurrence elle a été plus rapide que jamais ! Mais je donne mon
point de vue au Sénat.
S'agissant de la sécurité maritime, nous avons obtenu un premier paquet de
décisions sur l'élimination progressive des bateaux à simple coque, sur le
renforcement des inspections dans les ports et sur le contrôle des sociétés de
classification. Un second paquet de mesures suivra, que les ministres des
transports examineront les 20 et 21 décembre prochain. Nous avons obtenu que
ces paquets soient d'application immédiate, ce qui est tout à fait
important.
En matière de sécurité alimentaire, d'importants progrès ont été faits par les
Européens sous notre présidence. Je veux en citer trois : une résolution sur le
principe de précaution - la réflexion que nous devrons avoir à l'avenir sur ce
point devra reposer sur des principes - la création d'une autorité alimentaire
indépendante - le principe en a été affirmé dans les conclusions du Conseil
européen de Nice et elle doit être opérationnelle dès le début de 2002 - et,
enfin, la confirmation de l'interdiction des farines carnées en Europe.
Sur ce dernier point, nous avons eu un débat pour savoir s'il fallait
confirmer l'interdiction de six mois ou aller plus loin. Le sentiment général
est que, le moment venu, le renouvellement de l'interdiction ne posera pas de
problème, mais qu'il était nécessaire de prendre le temps, avec la Commission,
de mesurer davantage les implications de chacun des choix. Voilà pourquoi nous
en sommes restés là ; mais soyez certains que le cap politique sera tenu, ce
dont nous devons nous féliciter.
Souvenez-vous, voilà un mois, du scepticisme qui accueillit notre proposition
et des réponses que nous entendîmes - j'évoquerai tout à l'heure le couple
franco-allemand, qui est déterminant - ainsi que des déclarations du ministre
allemand, qui expliquait qu'il n'y avait pas lieu d'interdire les farines
carnées, alors que le chancelier, à Nice, en a souhaité l'interdiction
définitive ! Voilà qui prouve une prise de conscience dont je me réjouis tout à
fait.
Toujours en réponse à M. Bordas, j'en viens à la reconnaissance - il en a fort
bien parlé et je n'ai rien à ajouter - dans une déclaration annexée aux
conclusions de Nice, de la spécificité et des fonctions éducatives et sociales
du sport. C'était fondamental pour combattre les dérives et les excès du
marché, reconnaître le rôle des fédérations et admettre certaines limites au
pouvoir de l'argent dans le sport. Cela n'a d'ailleurs pas été simple à
obtenir.
Il faut également mettre l'accent sur le renforcement du modèle culturel
européen, d'une part, avec l'accroissement important de l'enveloppe budgétaire
du programme Media Plus - un accord est intervenu pour un budget de 400
millions d'euros - ce qui permettra à l'Europe d'affirmer la spécificité de son
industrie audiovisuelle face à l'industrie audiovisuelle d'une « hyperpuissance
», expression d'Hubert Védrine que vous avez reprise, monsieur de Montesquiou,
et qui est juste, et, d'autre part, avec nos efforts - couronnés de succès, j'y
reviendrai - pour préserver, dans le cadre de la CIG - notamment la négociation
sur l'article 133-5 du traité - la spécificité du secteur culturel et
audiovisuel dans les négociations internationales.
Enfin, je citerai brièvement deux derniers sujets. S'agissant de la protection
de l'environnement, nous avons eu raison de ne rien arrêter à la fin de la
conférence de La Haye sur la lutte contre le changement climatique et les
émissions de gaz à effet de serre. Il nous est, en effet, apparu indispensable
de nous donner un peu de temps pour conclure cette très importante négociation
dans de bonnes conditions et sur des bases saines plutôt qu'avec un accord au
rabais. Des initiatives vont être prises pour que les discussions
reprennent.
Enfin - je réponds là au président de Villepin - la sécurité des Européens est
l'un des progrès majeurs qui ont été enregistrés sous la présidence
française.
En effet, la défense européenne a franchi une étape très importante avec la
conférence d'engagement de capacités le 20 novembre et, à Nice, avec la
décision définitive de créer les structures politico-administratives
permanentes dont cette défense a besoin.
Certes, la question de l'autonomie du Conseil de l'Atlantique nord et du
comité politique et de sécurité est cruciale.
La présidence française a fait preuve d'une particulière vigilance quant au
respect du principe d'autonomie de décision - ne parlons pas d'indépendance -
de l'Union ! Il est vrai que certaines déclarations américaines semblent
vouloir privilégier, sous prétexte de coopération entre les deux organisations,
un format à « 23 » qui aurait abouti, en quelque sorte, à une « cogestion » -
je ne veux pas parler d'une « cotutelle » - de la politique européenne de
sécurité et de défense.
Telle n'est pas notre conception, et je crois que ce n'est pas celle de
l'Union. Les arrangements permanents envisagés entre l'Union et l'OTAN
prévoient des réunions entre les deux organisations, ce qui veut dire les
Quinze d'un côté, les dix-neuf de l'autre. Ces rencontres participent à la
transparence, à la consultation, et les spécialistes que vous êtes savent
qu'elles sont nécessaires à l'échange d'informations entre l'Union européenne
et l'OTAN ; mais elles n'ont pas, et ne doivent pas avoir, de caractère
décisionnel, ce qui serait juridiquement impossible et politiquement
inacceptable.
S'agissant toujours des relations entre l'Union et l'OTAN, la question des
capacités de planification est complexe, car elle recouvre plusieurs concepts
différents : la planification stratégique, la planification opérationnelle,
etc.
Mais, là encore, les choses sont claires : la planification opérationnelle est
effectuée par l'OTAN lorsque l'opération dirigée par l'Union européenne a
recours aux moyens et capacités de l'OTAN ; s'il s'agit d'une opération menée
sans recours aux capacités et moyens de l'OTAN, cette planification
opérationnelle n'est pas réalisée par l'état-major européen, qui n'en a pas les
capacités, mais par un état-major national de niveau stratégique.
Il faut enfin dire un mot de la planification de défense, à laquelle, compte
tenu de son histoire, la France ne participe pas au sein de l'OTAN.
L'Union a décidé de se doter d'un mécanisme d'évaluation et de suivi des
engagements pris par les Etats membres pour atteindre les objectifs de
capacités militaires. La présidence française a veillé à ce que l'autonomie de
décision de l'Union s'applique sur l'ensemble du processus, en particulier dans
la définition, l'évaluation, le contrôle et le suivi des objectifs de
capacités, tout en permettant l'échange d'informations nécessaires avec l'OTAN,
au niveau des experts, pour éviter toute duplication inutile.
Vous avez évoqué le « cadre de référence pour la gestion des crises »,
monsieur de Villepin, c'est un document présenté par le secrétaire général et
haut représentant pour la PESC, Javier Solana, dont le Conseil européen de Nice
a pris note. La philosophie en est simple : il s'agit d'une réflexion sur la
mise en synergie de l'ensemble des moyens, civils et militaires à la
disposition de l'Union et des Etats membres dans le cadre d'une opération de
gestion de crise. Pour assurer la cohérence de vision et d'action, le Conseil
pourra décider une action commune ; le secrétaire général asurera la mise en
oeuvre des aspects politiques et militaires de celle-ci, sur avis conforme du
comité politique et de sécurité.
Je crois avoir ainsi rapidement dressé le bilan de la présidence française «
hors CIG », que ce soit sur le plan social, que ce soit à travers la charte,
que ce soit sur les questions de société ou en matière de défense. Je ne vais
pas revenir sur tous les éléments de la politique étrangère et de sécurité,
mais je crois qu'ils sont très importants.
J'ai la faiblesse de penser que, s'il ne s'était pas agi d'une présidence
française, ces résultats auraient été plus favorablement reconnus. Je suis
ministre délégué chargé des affaires européennes depuis maintenant trois ans et
demi, et j'avoue ne pas avoir le souvenir d'un bilan aussi complet ni aussi
diversifié, mais nous sommes en France, pays qui a coutume d'évaluer sévèrement
sa propre action ! C'est, après tout, une bonne chose, même si l'on aimerait
parfois que cette action soit davantage reconnue !
J'en viens à la CIG, objet contesté et peut-être - je suis prêt à en discuter
- contestable.
D'abord, souvenons-nous qu'un accord était loin d'être acquis.
Les débats de Nice ont été très longs et très difficiles, à l'instar des
négociations préalables, qui furent elles aussi très longues et très
difficiles. Les services du Conseil et la représentation permanente ont compté
près de 400 heures de négociations préalables, qui, il faut le dire, n'ont pas
permis de conclure avant Nice. On a bien vu à Nice - les chefs d'Etat et de
gouvernement l'ont constaté eux-mêmes - que ce n'était pas chose simple.
Ces débats longs et difficiles ont confirmé que les sujets négociés touchaient
à des équilibres sensibles entre les institutions de l'Union européenne comme
entre les Etats membres eux-mêmes. Je rappelle que nous avions nous-mêmes reçu
du Parlement, dans l'article 2 de la ratification du traité d'Amsterdam, un
mandat très exigeant : régler les difficultés sur lesquelles, précisément,
cette négociation avait échoué à Amsterdam.
A la lumière de ces difficultés, comment interpréter les résultats de Nice
?
En première analyse, certes, ceux-ci peuvent apparaître un peu insuffisants.
J'admets qu'ils ne correspondent ni à ce qui eût été souhaitable ni à ce que
souhaitait la délégation française. Je vous renvoie à ce propos aux nombreux
échanges que nous avons eus sur cette question, puisque j'ai eu l'occasion de
venir assez fréquemment devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Il faut cependant aller au-delà de cette appréciation et mettre ces résultats
en perspective en se demandant si nous avons répondu aux questions centrales
que posait chacune de ces négociations, à savoir : les résultats de Nice
permettront-ils à la Commission de fonctionner dans le cadre d'une Union
élargie ? Faciliteront-ils la prise de décision au sein du Conseil ?
Globalement, ces résultats suffiront-ils à préparer l'élargissement de l'Union
européenne ?
Je vais évoquer chacun de ces sujets tour à tour.
S'agissant de la Commission d'abord, nos objectifs, vous vous en souvenez,
concernaient la réorganisation du collège et son plafonnement.
Un compromis était très difficile à atteindre, compte tenu des antagonismes
nationaux, mais aussi - il faut le rappeler - de l'attitude de la Commission
elle-même, qui, en pratique, a soutenu le principe d'un commissaire par Etat
membre. Il ne faut donc pas minimiser les résultats.
Ce qui importe, d'abord, c'est que nous avons obtenu, comme nous le
souhaitions, le principe d'un plafonnement, qui est inscrit dans le traité,
même si sa réalisation n'interviendra qu'à terme, c'est-à-dire quand l'Union
européenne comptera vingt-sept membres. Si ce principe n'avait pas été adopté,
cela aurait signifié qu'une union à trente-cinq, par exemple, aurait pu
comporter une Commission à quarante membres. Le gouvernement devenait alors
très difficile à maîtriser !
Ensuite, nous avons obtenu un considérable renforcement des pouvoirs du
président, au sein d'un collège qui sera lui-même mieux hiérarchisé,
l'augmentation du nombre de vice-présidents étant laissée à la discrétion du
président, celui-ci ayant toujours la possibilité de créer, d'attribuer et de
changer les portefeuilles des commissaires, y compris des portefeuilles de
coordination.
Enfin - et c'est une avancée très importante - ce président pourra être
désigné à la majorité qualifiée, ce qui limitera, à l'avenir, le risque que le
choix se porte sur une personnalité consensuelle mais pas nécessairement la
plus qualifiée pour exercer cette responsabilité.
J'en viens au vote à la majorité qualifiée.
Bien sûr, nous aurions souhaité aller plus loin et même beaucoup plus loin. Je
ne sais plus lequel d'entre vous parlait de « ligne rouge », mais la France n'a
pas eu pour sa part de ligne rouge dans cette négociation. Ce point constitue
sans doute l'une des principales déceptions de ce nouveau traité puisque
l'harmonisation fiscale, mais aussi une grande partie du domaine social
resteront pour de longues années encore soumis à la règle de l'unanimité.
M. Leclerc, de ce point de vue, a eu raison de souligner qu'il faut se méfier
de ses amis. Je crois que les uns et les autres nous souscrivons à cette grande
leçon de la vie politique. Il faut toujours se méfier de ses amis quels qu'ils
soient, socialistes ou non. Vous me permettrez d'ajouter que nous avons
peut-être, nous, moins de raisons de nous méfier de nos amis que d'autres !
M. Michel Caldaguès.
On élargit le débat !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Non, je répondais simplement à un intervenant, et je
termine ici cette parenthèse politique.
Nous connaissions les réticences de certains Etats membres. Nous avons, en
revanche, été plus surpris par les réserves, qui n'ont été soulevées qu'au
dernier moment par d'autres, en ce qui concerne la culture, l'asile ou les
droits des professions non salariées. Au demeurant, nous étions conscients que
nous touchions à des matières sensibles, qui sont au coeur de la souveraineté
des Etats, et que passer en force sur ces sujets aurait, sans nul doute,
compromis l'ensemble de la négociation.
J'insiste enfin sur le fait que nous avons préservé nos intérêts, en obtenant
notamment que, au sein de l'article 133-5 relatif à la politique commerciale,
le secteur culturel et audiovisuel, mais aussi la santé, l'éducation, les
services publics demeurent régis par la règle de l'unanimité, qui est, en
l'occurrence, essentielle pour préserver l'identité culturelle de l'Europe.
C'est pourquoi, sans être aussi ambitieux que nous l'aurions souhaité, le
nouveau traité consacre un certain nombre d'avancées sur une quarantaine de
dispositions, notamment sur l'Union économique et monétaire, sur la politique
industrielle, sur la circulation des ressortissants communautaires, sur la
plupart des nominations aux organes européens, de sorte que, désormais, 90 %
environ des décisions de l'Union seront prises à la majorité qualifiée ; et je
vous demande de retenir ce pourcentage, mesdames, messieurs les sénateurs.
Sur la repondération, enfin, il faut, là encore, mettre les résultats en
perspective, en partant de ce que nous souhaitions.
Je peux le dévoiler maintenant, nous voulions - c'était notre objectif
principal - éviter le système de la double majorité que la Commission avait
défendu et que notre partenaire allemand avait toujours privilégié au cours de
la discussion en ralliant plusieurs de nos partenaires à cette option.
Plus généralement, nous souhaitions que ne soit pas mise en cause la parité
entre l'Allemagne et la France, au nom d'un principe fondateur de la
construction européenne respecté depuis le début des années cinquante. Je vous
rappelle qu'il y a toujours eu une différence démographique entre nos deux
pays, mais que la parité politique, elle, a toujours existé. Nous avons fait
l'Europe pour cela, pour la réconciliation franco-allemande et nous y sommes
parvenus.
Nous voulions aussi une nouvelle repondération plus équitable, prenant mieux
en compte les différences objectives entre les différents Etats, en s'appuyant
sur le critère démographique, mais en prenant aussi en considération certains
équilibres politiques. Nous y sommes parvenus, puisque la nouvelle grille de
repondération s'étend désormais de trois voix à vingt-neuf voix au sein du
Conseil, au lieu de deux à dix.
Vous avez raison de dire, monsieur Haenel, que les dispositions qui complètent
la grille de pondération, loin d'être, par le biais de je ne sais quels
éléments de simplification, une façon habillée de parler de double ou de triple
majorité, constituent des garanties qui ne remettent pas en cause l'équilibre
général.
D'abord, le fameux « filet » de 62 % ne jouera que dans des cas limites, donc
très rarement, peut-être une fois sur cent ; ensuite, il constitue une
possibilité et non pas une clause automatique, ce n'est donc pas une double
majorité ; enfin, il pourra jouer pour l'Allemagne, mais aussi pour n'importe
quel autre Etat membre qui souhaiterait l'invoquer ; pourquoi pas nous ?
C'est précisément parce que ces dispositions constituent des garanties et non
des clauses obligatoires qu'elles ne remettront pas en cause, comme peut-être
vous le craignez, l'efficacité de la prise de décision.
Quant aux petits Etats membres, je n'aime pas beaucoup le mot « petits », que
j'évite d'utiliser...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Il faut le mettre
entre guillemets !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
C'est difficile de mettre des guillemets en parlant !
(Sourires.)
Je parlerai donc des Etats les moins peuplés.
Ces Etats, vous avez raison de dire qu'ils ne sont nullement écrasés puisqu'il
n'est pas possible à trois « grands » de bloquer, que, pour ce faire, ils
doivent s'allier à un autre Etat membre, que toute majorité qualifiée doit
réunir une majorité d'Etats, qu'enfin les vingt et un Etats membres les moins
peuplés, représentant 30 % de la population, auront 50,7 % des voix. Parler de
marginalisation des « petits » par les « grands » pays est donc absurde. Nous
avons simplement contribué à un rééquilibrage dans une Union européenne
élargie, et je crois que c'était nécessaire.
Dernier élément d'appréciation : cet accord répond-il à l'objectif global qui
est le nôtre de préparer l'Union à son élargissement ?
D'abord - c'est une évidence qu'il faut rappeler - une absence d'accord aurait
compliqué, retardé, sans nécessairement le stopper, le processus
d'élargissement.
Je voudrais, sur ce point, répondre à M. de Montesquiou. Il y a toujours une
dialectique entre élargissement et approfondissement. Nous ne croyons pas qu'en
engageant l'élargissement nous faisons un choix facile ; c'est un choix
historique. Ce choix répond à des engagements qui ont été pris au début des
années quatre-vingt-dix, au moment de la chute du mur de Berlin. Ce choix crée
des opportunités, des chances, il crée aussi des risques. Je préfère pour ma
part cette analyse, qui est un peu différente de la vôtre.
Le préalable institutionnel qui avait été posé par notre parlement était sans
ambiguïté, mais cette vision n'était pas nécessairement celle de nos
partenaires. Nice ouvre donc la voie à l'élargissement, en ce sens, notamment,
que, dans les nouveaux équilibres institutionnels arrêtés dans le traité, la
place des futurs adhérents est précisément définie.
M. Durand-Chastel m'a demandé ce qu'il en était de la Turquie.
La Turquie n'a pas le même statut que les autres candidats parce qu'elle n'est
pas entrée dans la phase de négociations. On n'allait pas la traiter comme les
autres ! Cela ne signifie pas que la candidature turque est écartée, bien au
contraire ! Vous savez que nous avons adopté, au cours de la présidence
française, le partenariat euro-turc, qui permet de continuer à travailler à
cette candidature avec exigence, mais aussi avec volonté.
S'agissant de l'élargissement, nous sommes donc parvenus à une issue heureuse,
qui nous vaudra au moins du crédit politique parmi les pays candidats, dont
certains ont longtemps considéré, à tort, que le préalable institutionnel
n'était qu'une manoeuvre pour « torpiller » l'élargissement.
Il nous faudra, auprès de ces pays, valoriser fortement cette issue politique
qui - je le répète - était loin d'être acquise et qui démontre notre volonté
d'aller de l'avant vers une Europe élargie, qui est une chance pour la France
comme pour l'Union européenne dans son ensemble. Je ne doute pas que le Sénat,
notamment sa délégation qui a beaucoup travaillé, y apportera sa contribution.
Il y a là une oeuvre de sensibilisation, je me permets de le suggérer à son
président, qui peut être utile et opportune.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Eh oui !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
On peut dire que l'accord de Nice est cohérent par
rapport aux efforts que nous avons accomplis au cours de notre présidence pour
maîtriser, mais aussi pour donner une nouvelle impulsion aux négociations
d'élargissement.
En effet, le Conseil européen de Nice a adopté sur notre initiative, grâce à
l'excellent travail de la Commission et du commissaire Verheugen, une vue
d'ensemble qui présente un état complet, clair et précis du processus
d'élargissement. En particulier, une « feuille de route » devrait permettre à
l'Union, conformément à l'engagement pris à Helsinki, d'accueillir les
candidats les mieux préparés à partir du 1er janvier 2003, ce qui reste notre
objectif. Elle identifie les difficultés qui demeurent avant de pouvoir
conclure les négociations, en proposant que chacune des prochaines présidences
s'attelle à les résoudre d'ici à 2002.
En revanche, il serait absurde de dire que nous avons conclu à Nice « pour ne
pas désespérer les candidats ». Je tiens à vous assurer que nous n'avons pas
oublié la formule : pas d'accord plutôt qu'un mauvais traité. Mon sentiment
sincère, c'est qu'il ne s'agit pas d'un mauvais traité.
Jusqu'à la dernière minute - on ne travaille pas jour et nuit pendant quatre
jours pour le plaisir - les autorités françaises - le Président de la
République, le Premier ministre, les ministres - se sont posé la question de
savoir s'il fallait conclure ou ne pas conclure, en fonction de l'avancée des
négociations. Et, dans l'évaluation qui était faite dimanche soir, avant le
dernier « round », ce sont sans doute les implications d'un échec sur l'euro
et, plus largement, sur l'ensemble de la construction européenne, ainsi que le
jugement que nous portions sur le traité auquel nous étions parvenus, davantage
que les préoccupations liées à l'élargissement, qui ont pesé.
Certes, tous les dysfonctionnements n'ont pas été éliminés à Nice, mais les
résultats que nous avons obtenus vont bien dans le sens, que nous souhaitions,
d'un rehaussement du triangle institutionnel : une Commission qui sera
plafonnée à terme ; un Conseil des ministres dans lequel le poids de chaque
Etat membre sera rééquilibré et qui verra sa capacité à décider facilitée par
l'extension du vote à la majorité qualifiée ; enfin, le rôle du Parlement
européen qui sera conforté par l'extension de la codécision - peut-être pas
autant que M. Haenel le voudrait, lui qui a tendance à en vouloir toujours un
peu plus !
Et puis, surtout - c'est une avancée majeure dans la perspective de
l'élargissement - le mécanisme des coopérations renforcées, dont parlait M. de
Villepin, a été, comme nous le souhaitions, fortement assoupli dans les premier
et troisième piliers et introduit dans le domaine de la politique étrangère
commune, à l'exclusion de la défense, pour laquelle cela a été impossible à
obtenir.
C'est aussi cela qu'il faut retenir, puisqu'il est évident qu'une Union
élargie à 20, à 27, à 30 ou à 35 Etats membres - car il faudra, un jour, penser
à l'avenir des Balkans - est synonyme d'une plus grande inertie. Il était donc
important que nous puissions rallier nos partenaires à un assouplissement de
ces règles, qui permettront à ceux qui le souhaitent d'aller de l'avant dans
l'intégration. C'est une excellente passerelle pour l'avenir. Je n'ai jamais
cessé de le dire et je suis content que nous y soyons parvenus.
S'agissant des nécessaires travaux politiques et institutionnels futurs, une
déclaration adoptée par le sommet de Nice lance une réflexion qui devrait
aboutir au plus tard en 2004 sur des sujets très importants et qui suscitent
des réflexions sur toutes les travées : la clarification des compétences entre
l'Union et les Etats membres - il s'agit de la fameuse question « qui fait quoi
? » ; la réorganisation des traités, c'est-à-dire leur réécriture et leur
simplification ; le statut de la Charte des droits fondamentaux, que nous avons
réussi à ne pas faire oublier, alors que certains auraient peut-être souhaité
qu'elle ne figure pas dans les conclusions ; enfin, le rôle des parlements
nationaux.
Nous devons donc organiser notre propre réflexion sur ces sujets, qui sont
complexes et qui feront l'objet de larges consultations tout au long de l'année
prochaine et d'un premier rendez-vous de méthode à Laeken, en décembre
prochain, sous la présidence belge. La déclaration annexée au traité de Nice
invite les parlements nationaux à prendre toute leur place dans ce grand
débat.
A cet égard, je soulignerai deux points. Le premier, c'est la nécessité d'une
relance du couple franco-allemand, sur lequel Hubert Haenel, Daniel Hoeffel,
avec beaucoup de force, et Claude Estier ont insisté. Il est vrai que la
relation franco-allemande - cela date de quelques années, d'ailleurs - a connu
des jours meilleurs. Elle reste toutefois irremplaçable. Il est vrai que nous
ne serions pas parvenus à un accord à Nice sans un dialogue franco-allemand.
Cela étant, nous devons réfléchir à des initiatives. L'Allemagne d'aujourd'hui
n'est pas la même que l'Allemagne d'hier ; mais la France d'aujourd'hui n'est
pas non plus la France d'hier.
Peut-être conviendrait-il de mener une stratégie globale, dans laquelle les
parlements pourraient d'ailleurs jouer leur rôle.
Les discussions se sont déroulées parfois dans un climat malsain et je vous en
parle en connaissance de cause pour avoir été absurdement accusé d'être
anti-Allemand. Comment un ministre chargé des affaires européennes pourrait-il
être anti-Allemand ? Une telle accusation dénote certaines arrières pensées,
certaines rancunes, certains sujets qui n'ont pas été complètement évacués
après la décision difficile qui a été prise l'année dernière au sujet de
l'agenda de Berlin.
Parlons-en au fond et réfléchissons à la façon de relancer cette relation
franco-allemande sans laquelle l'Europe est effectivement condamnée à une forme
d'inertie. C'est un beau et grand débat qui mérite notre attention. Il est
clair que nous, Français, y prendrons notre part.
Plusieurs orateurs ont demandé pourquoi la France n'avait pas donné une «
vision ». Peut-être, d'abord, y aurait-il eu plusieurs visions, et il n'aurait
pas été sain que l'on ait l'impression que les uns pensent ceci et les autres
cela, pendant la présidence française. M. de Villepin l'a reconnu : la
présidence est un exercice qui comporte des contraintes, qui oblige à se placer
au centre, avec des ambitions, à écouter beaucoup, à dialoguer, à débattre. On
nous aurait sans doute reproché davantage d'être arrogants ou soucieux de nos
intérêts si nous avions semblé dire : « Voilà quelle est la voie, suivez-nous.
»
Maintenant, nous sommes, en quelque sorte, libérés de ces contraintes de la
présidence. Pour ma part, je souhaite simplement que le débat européen soit au
centre des discussions que nous aurons à l'occasion des échéances nationales
qui nous attendent - législative et présidentielle - tant l'Europe est au coeur
de nos préoccupations de demain. Je désire que le débat démocratique s'articule
autour de cette problématique et que chacun s'y exprime avec force. Bien sûr,
chacun y contribuera.
Je terminerai avec une note peut-être plus personnelle. La présidence est un
exercice vraiment passionnant, mais un exercice ingrat, notamment pour des
Français, car, lorsqu'on est ambitieux, on est forcément arrogant. Ce sont les
stéréotypes nationaux : l'Espagnol est ombrageux, l'Italien rusé, l'Allemand
rigoureux et le Français ne saurait qu'être attaché à sa nation.
En revanche, quand on fait des compromis - ce qui fut le cas à Nice - que
n'entend-on pas : pas de souffle, pas de vision ! Cela prouve que, dans tous
les cas de figure, on suscite davantage l'insatisfaction que la satisfaction.
On vit avec, d'autant plus que - je parle là au nom de l'ensemble des membres
du Gouvernement, peut-être même des autorités françaises, mais le Président de
la République y fera allusion ce soir, j'en suis sûr - nous terminons cette
présidence fatigués mais tranquilles.
Si je devais résumer les choses, je dirais, d'abord, que la mission qui nous a
été confiée a été accomplie. Nous avons fait avancer les grands dossiers
européens et nous avons conclu un traité à Nice. Encore une fois, imaginons ce
qui se serait passé si tel n'avait pas été le cas !
Ensuite, le traité de Nice - et nous devons y réfléchir plutôt que de faire
des procès aux uns et aux autres, notamment à la présidence française - est le
meilleur traité possible compte tenu de l'état de l'Union. Nous devons donc
travailler à améliorer l'état de l'Union, faire en sorte qu'elle dépasse,
effectivement, les égoïsmes et qu'elle sache retrouver un souffle, une vision.
Cela passe encore par le couple franco-allemand !
L'histoire retiendra, me semble-t-il, que l'Europe a réussi à Nice là où elle
avait échoué à Amsterdam, c'est-à-dire sur un traité politique pour une Europe
qui peut s'élargir. Nous devons garder cela en mémoire, dans la perspective du
débat de ratification que nous aurons ultérieurement au Sénat.
Mon dernier mot sera pour remercier la commission des affaires étrangères, la
délégation pour l'Union européenne, leurs présidents et l'ensemble de leurs
membres pour les relations de travail très sérieuses et très cordiales que nous
avons eues.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Je vous remercie,
monsieur le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Celles-ci se sont déroulées dans un excellent climat.
Toutes vos réflexions ont été utiles, et j'ai eu un très grand plaisir à
pouvoir travailler avec vous, pendant ces six mois, d'une façon aussi étroite
et, je crois, aussi solide.
(Applaudissements.)
M. le président.
Mes chers collègues, je rappelle qu'en application de l'article 82 du
règlement chaque orateur inscrit dans le débat dispose de cinq minutes pour
répondre au Gouvernement.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Je tiens tout d'abord
à vous remercier, monsieur le président, et, à travers vous, la conférence des
présidents, qui a permis l'inscription de ce débat à l'ordre du jour de la
séance d'aujourd'hui.
Mes remerciements s'adressent également à vous-même, monsieur le ministre, et,
au-delà, à l'ensemble du Gouvernement, au binôme qui se trouve à la tête de
notre pays et qui a été à la hauteur de la tâche qui lui était confiée : il a
fait ce que l'on attendait de lui.
Toujours à travers vous, monsieur le ministre, je me dois de remercier
également tous ceux qui travaillent dans l'ombre des services, et qui ne sont
pas nécessairement au banc du Gouvernement.
Bien évidemment, j'ai une pensée particulière pour la représentation
permanente de la France auprès de l'Union européenne, notamment pour M. Vimon,
qui se trouve à sa tête, et que j'ai rencontré à plusieurs reprises. Ils ont
aussi beaucoup travaillé pour préparer, dans les meilleures conditions
possibles, la présidence française.
Enfin, mes remerciements s'adressent aussi, bien entendu, à vous tous, mes
chers collègues, qui avez permis justement que nous travaillions ensemble
pendant ces six mois non seulement au sein de la commission des affaires
étrangères et de la délégation pour l'Union européenne, mais également dans les
autres commissions, pour que nous soyons toujours au fait des questions qui se
posaient au moment de la présidence française.
Nous venons de prouver une fois de plus, s'il en était besoin, que le Sénat,
quand il le veut, est capable d'aborder, dans les meilleures conditions et avec
toute la hauteur de vue nécessaire, les questions de fond.
Bien des points abordés pourraient et devraient donner lieu, dans les mois à
venir - vous l'avez suggéré, monsieur le ministre - à des travaux au sein de la
délégation. Nous y reviendrons, si vous le voulez bien, mes chers collègues.
Permettez-moi cependant de faire de nouveau allusion à deux points qui ont été
abordés ce matin.
Tout d'abord, s'agissant du Conseil européen, ses réunions sont devenues les
temps forts de la vie de l'Union. Cela comporte, bien sûr, des avantages, dans
la mesure où ces réunions provoquent un débat dans l'Europe entière et mettent
les questions européennes au premier plan de l'actualité, notamment dans notre
pays, qui assurait la présidence de l'Union.
Tout le monde a remarqué l'importante manifestation - sans casse, celle-là -
sur l'Europe sociale qui s'est déroulée à Nice avec des participants de
nombreux pays. On voit bien qu'une conscience européenne émerge et trouve ici
une occasion de s'exprimer.
Dans le même temps, cette situation commence à peser sur le déroulement des
Conseils européens. Leur préparation absorbe beaucoup de temps et d'énergie,
mais, finalement, les débats restent difficiles à maîtriser. Dans ce type de
réunions, la pression sur les participants est très forte, chaque chef d'Etat
ou de gouvernement devenant une sorte de champion national qui doit ramener un
bon résultat dans son pays.
La vision collective européenne a donc tendance à passer au second plan.
Après le sommet de Nice, on a vu les commentateurs passer leur temps à établir
la liste des gagnants et des perdants, au lieu de considérer, comme nous
l'avons fait ce matin, le résultat global.
Tout cela amène à penser que la formule des Conseils européens devrait
évoluer. En particulier, comme l'a souligné Jacques Delors, beaucoup de sujets
sont mis à l'ordre du jour et, en pratique, les conclusions du Conseil européen
comportent de nombreux aspects que les chefs d'Etat et de gouvernement n'ont
abordé à aucun moment.
Pour que le Conseil fonctionne bien et puisse vraiment jouer son rôle
d'impulsion politique, il devrait se concentrer sur quelques grands sujets.
D'ailleurs, le Conseil européen de Lisbonne, qui portait sur le modèle social
européen, a été, me semble-t-il, un bon exemple de ce qu'il faut faire ; il
s'en est dégagé une conception qui inspirera durablement les travaux de
l'Union.
De même, il me paraît tout à fait judicieux d'avoir prévu à Nice que les
Conseils européens pourraient se dérouler de plus en plus souvent à Bruxelles,
ce qui facilitera l'organisation des réunions - peut-être même réaliserons-nous
des économies - tout en aidant à faire passer au second plan les questions de
fierté nationale.
Enfin, s'agissant des coopérations renforcées, nombreux sont ceux qui estiment
que, dans l'Europe élargie, tout le monde ne pourra pas participer à la même
vitesse aux progrès de l'intégration. Pour reprendre la formule du chancelier
Kohl, il n'y a pas de raison que le convoi s'aligne toujours sur le vaisseau le
plus lent. Il paraît alors inévitable que l'on s'oriente vers une certaine
différenciation au sein de l'Union, ce que nous connaissons déjà à l'heure
actuelle pour l'euro ou pour la libre circulation des personnes puisque des
dérogations existent pour certains Etats.
L'accord de Nice prévoit un nouveau rendez-vous institutionnel pour 2004,
autour de quatre thèmes. L'un de ces thèmes est le rôle des parlements
nationaux. Ce sujet me paraît, comme à vous tous sans doute, tout à fait
essentiel.
C'était l'un des sujets abordés à Rome, en septembre dernier, à l'occasion de
la réunion des présidents des parlements nationaux. C'était aussi l'un des
thèmes, souvenez-vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, abordés lors
de la COSAC, la conférence des organes spécialisés dans les affaires
communautaires, qui s'est tenue à Versailles, en octobre dernier.
Il me semble en effet nécessaire qu'il y ait une réflexion sur le rôle que
pourraient jouer collectivement les parlements nationaux dans les coopérations
renforcées, surtout dans le cadre des deuxième et troisième piliers de l'Union,
qui ont un caractère essentiellement gouvernemental.
J'aurais pu encore aborder toute la question de la gouvernance. Certes, elle
n'est pas directement liée au sommet de Nice, mais la délégation l'a abordée
hier et souhaite travailler dans ce cadre pour coopérer à la réflexion menée
actuellement à Bruxelles.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants, du RDSE et sur les travées socialistes.)
M. Dominique Leclerc.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le ministre, je ne voudrais pas qu'il y ait un malentendu entre nous,
étant donné la qualité du débat et, surtout, l'importance de l'enjeu de la
construction européenne et de la réussite de celle-ci.
Européen convaincu, je me suis évidemment réjoui de la réussite du sommet de
Nice, et je crois avoir pris soin de dire qu'il s'était agi d'un véritable défi
pour le Président de la République et pour les autorités françaises. Or, par «
autorités françaises », j'entends, bien sûr, le Premier ministre et vous-même,
monsieur le ministre.
M. Raymond Courrière.
Il fallait le dire !
M. Dominique Leclerc.
C'est vous, monsieur le ministre, qui êtes chargé, pour la France, de cette
construction européenne.
Je me suis félicité aussi que la France ait parlé d'une seule voix, ce qui a
permis cette réussite, que l'on peut relativiser, certes, et, de cela, je suis
désolé.
En revanche, quand notre collègue Claude Estier dit que mon propos est hors
sujet, c'est une censure que j'ai du mal à accepter. Car la question sociale
était bel et bien à l'ordre du jour, et j'en veux pour preuve le fameux agenda.
Il était donc, me semble-t-il, assez logique que je reprenne les
recommandations du Conseil européen au gouvernement français.
De même, il m'appartenait de mettre en avant la part prise par le Président de
la République dans les négociations ; je ne vous ai pas attendu pour le faire !
Nous l'avons tous vu, lui aussi, déployer, la semaine dernière, une énergie
folle pour la réussite du Conseil européen de Nice.
Peut-être n'ai-je pas compris ce que doit être un débat démocratique au sein
du Parlement, mais s'il faut vous dire que tout est parfait et vous
idolâtrer,...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Tel n'est pas le
propos !
M. Dominique Leclerc.
... n'attendez pas cela de ma part !
Des qualificatifs ont fusé tout à l'heure depuis les travées socialistes,
quand il était précisément question de sectarisme. A cette heure, vient de
s'achever une réunion de la commission des affaires sociales au cours de
laquelle un de mes collègues a présenté une proposition de loi permettant de
faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la
poursuite de la croissance économique. Là encore, bien que l'on soit dans
l'actualité et qu'il y ait un véritable débat pour notre pays, aucun de nos
collègues socialistes n'a assisté à cette réunion.
M. Claude Estier.
Ce n'est pas vrai ! Mme Dieulangard était présente.
M. Dominique Leclerc.
Je ne veux pas polémiquer, mais, de grâce, cessez de nous faire toujours la
morale !
Personnellement, je suis convaincu, d'une part, que le débat doit se faire
dans nos différences et dans le respect de ces différences, d'autre part, qu'il
nous faut tenir compte de la réalité telle qu'elle est vécue sur le terrain.
Nous sommes élus par nos concitoyens pour, justement, débattre de cette réalité
et faire progresser notre pays.
Monsieur le ministre, encore une fois, évitons tout malentendu entre nous !
Pour ma part, je me félicite de la construction européenne, de la qualité de ce
débat et de l'ardeur des uns et des autres à oeuvrer dans le bon sens.
(Applaudissements sur quelques travées du RPR.)
M. Aymeri de Montesquiou.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé qu'on avait obtenu à Nice un résultat
« le meilleur possible ». Vous reprenez à votre compte, et à juste titre, les
propos de M. le président de la République. Vous avez sans doute raison,
l'expression n'est pas loin de traduire la réalité.
Je crois que l'on peut se réjouir qu'il n'y ait pas eu d'affrontement dans
cette enceinte. Personne n'a osé dire que Nice était un désastre ; personne n'a
osé dire que c'était un triomphe. Nous avons oscillé autour d'appréciations
modérées - c'est assez bien - mais chacun admet qu'il y a eu un résultat
positif, même si certains ajoutent « a minima ».
Vous dites, monsieur le ministre, que le bilan hors CIG a été positif. Je vous
l'accorde, et avec plaisir, parce que ce bilan, nous le partageons tous, en
particulier s'agissant de la charte, de la sécurité alimentaire ou de la
navigation. Mais, hélas ! en France, nous avons un défaut, c'est que, lorsqu'on
obtient quelque chose, tout le monde trouve cela naturel sans prendre en compte
le travail accompli.
Tout à l'heure, je vous ai dit que j'étais préoccupé par ce décrochage
considérable entre la France et l'Allemagne, le Parlement européen comptant
désormais vingt-sept eurodéputés allemands de plus.
C'est préoccupant, compte tenu de la valeur intrinsèque de ce grand peuple,
pour reprendre la réflexion qu'avait faite le général de Gaulle aux portes de
Moscou, là où les Allemands ont été arrêtés. Il est évident qu'aujourd'hui il
n'est plus question de bellicisme, mais les valeurs des Allemands subsistent -
je pense ici à leur esprit industrieux et à leur volonté de conquérir des
marchés. A cet égard - ne voyez pas là une attaque, monsieur le ministre, c'est
simplement ma conviction -, je pense que les 35 heures ne nous aident pas
beaucoup dans cette compétition.
De la même façon, monsieur le ministre, vos attaques contre l'Autriche n'ont
pas forcément renforcé nos positions en Europe centrale. Elles ont même suscité
une certaine méfiance des candidats à l'Europe, qui les ont ressenties comme
une ingérence dans les affaires d'un autre pays.
Cela n'avait pas été le cas, en 1981, époque où les SS 20 soviétiques étaient
dirigés contre l'Europe : aucun pays ne s'était permis de relever que des
ministres communistes siégeaient dans notre gouvernement : cela ne regardait
personne. De la même façon, je pense que ce qui se passe à l'intérieur d'un
autre pays européen ne nous concerne pas.
M. Michel Caldaguès.
Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou.
Vous n'avez pas répondu à la question relative à la mise en place d'un Sénat
européen, monsieur le ministre. Peut-être avez-vous au moins un début de
réponse ? L'établissement d'un Sénat européen pourrait être un moyen de lisser
les différences de démographie et de potentiel économique qui existent entre
les divers pays.
Il y a aussi un point, hélas, monsieur le ministre, sur lequel nous sommes
tous d'accord : l'Europe manque de souffle. Certes, il est difficile de lui en
donner, ne serait-ce que parce que l'Europe est vraiment illisible pour le
citoyen. L'éloignement du citoyen de l'Europe se transforme parfois en
hostilité, d'autant que tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur
politique, ont souvent utilisé l'Europe comme un bouc émissaire.
Il me semble que la seule façon de commencer à restaurer l'enthousiasme
européen en faveur de l'Europe, enthousiasme que nous avons connu il y a une
quarantaine d'années, c'est de simplifier cette Europe et de la rendre plus
lisible.
M. Daniel Hoeffel.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le ministre, vous avez bien voulu rappeler tout à l'heure que le
prochain sommet européen pourrait se tenir à Bruxelles.
Permettez-moi, en cet instant, d'exprimer un voeu, et de l'exprimer ardemment.
Comprenant que, pour des raisons pratiques, de telles rencontres puissent avoir
lieu à Bruxelles, je souhaite, cependant, que cela ne soit pas le début d'une
dérive...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Ah oui !
M. Daniel Hoeffel.
... pouvant conduire l'ensemble des institutions européennes...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
A quitter Strasbourg
!
M. Daniel Hoeffel.
... à quitter d'autres lieux pour Bruxelles.
Je sais que nous pouvons compter sur vous pour défendre les intérêts, en
particulier de Strasbourg, à cet égard, car la multipolarité fait aussi partie
d'un certain équilibre que nous souhaitons pour l'Europe.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Permettez-moi, d'abord, de remercier M. Leclerc d'avoir
clarifié le débat et levé certains malentendus.
Pour ma part, et je suis sûr que telle était aussi l'intention de M. Claude
Estier, je voulais simplement souligner que, quand on partage, on partage tout,
les problèmes comme les succès.
M. Aymeri de Montesquiou.
Tout à fait !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
C'est ce souci qui nous a animés tout au long de la
présidence.
Nous avons des différences. Soyons certains d'ailleurs qu'elles vont reprendre
le pas maintenant dans le débat public national. Elles n'ont d'ailleurs jamais
disparu. Mais, sur ce sujet, nous avons vraiment tout fait ensemble et, je peux
le dire pour l'avoir vécu quotidiennement, au millimètre. Tel était simplement
le sens de mon observation.
Quant à M. de Montesquiou, pour ce qui concerne l'Autriche, nous avons aussi
tout partagé, et j'ai le souvenir de conversations extrêmement précises avec le
Président de la République alors que nous étions ensemble en Suède. Nous avons
donc, là encore, partagé.
Je vous dirai d'ailleurs, toujours sur ce sujet, qu'il faut se méfier des
amalgames un peu faciles et que le défenseur de la Charte des droits
fondamentaux que vous êtes, monsieur de Montesquiou, devrait peut-être être un
peu plus attentif à ce qui peut se produire quand il s'agit de l'extrême-droite
en Europe. Mais nous aurons ce débat.
M. Aymeri de Montesquiou.
L'extrême droite ? Elle m'a battu en 1997 !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Franchement, le parallèle que vous avez fait avec la
situation qu'a connue notre pays en 1981 n'était pas tout à fait heureux, il
était même très malheureux. L'expérience l'a prouvé. Ce qui se passe en
Autriche prouve également que la situation n'est pas la plus parfaite là-bas,
mais je ne veux pas relancer ce débat.
Monsieur le sénateur, vous m'avez interrogé sur le Parlement européen. Mon
propos avait déjà été très long et je n'avais pas souhaité entrer dans le
détail de toutes les questions, mais je vous réponds volontiers sur ce
point.
Autant, dans le cadre du conseil, il est logique qu'il y ait une parité
franco-allemande, parce que, encore une fois, c'est lié à notre histoire et
c'est l'essence même de l'expression des nations...
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est ce que j'ai dit !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
... autant, quand on parle d'un parlement, la logique
démographique s'impose. Les Allemands étaient déjà plus nombreux que nous. Le
rapport 99/72 reflète l'écart qui existe entre l'Allemagne et les autres en
termes de population.
La question est plutôt de savoir comment nous réagirons quand l'Allemagne
connaîtra, à son tour, un creux démographique. La logique, celle-là même qui
nous a conduits à accepter par deux fois d'avoir moins de députés européens que
les Allemands, voudrait que l'on réajuste, alors, le nombre des députés
européens. C'est, en tout cas, ma position, il faut que le mécanisme soit
réversible.
Quant au Sénat européen, je ne doute pas qu'il sera dans la discussion pour
2004. Quand certains parlent d'une constitution, ils évoquent la possibilité
d'une deuxième chambre, pas toujours avec les mêmes pensées ou arrière-pensées.
C'est un débat qui est ouvert.
Enfin, je veux assurer M. Hoeffel de la détermination totale des autorités
françaises et du Gouvernement de défendre Strasbourg comme siège du Parlement
européen. Je rappelle que les traités précédents l'ont consacré. Certes, il
nous faudra être vigilants, parce que l'installation du Conseil européen,
d'abord à mi-temps puis définitivement, à Bruxelles aura des conséquences. Mais
nous nous battrons, et tous ensemble parce qu'il y a là beaucoup plus qu'un
symbole.
Je terminerai sur la même tonalité que Hubert Haenel en remerciant tous ceux
qui ont travaillé avec nous, parce que, une présidence, ce n'est pas seulement
un groupe de quelques ministres qui travaillent ensemble. Ce sont des hommes et
des femmes qui ont le sens du service public, qui travaillent soit au cabinet
du Président de la République, soit au cabinet du Premier ministre, soit au
cabinet de Hubert Védrine, soit au mien ou auprès d'autres ministres encore ;
ce sont aussi des services, notamment les services du Quai d'Orsay, qui ont été
d'une disponibilité exceptionnelle ; c'est la représentation permanente à
Bruxelles, qui joue un rôle de coordination et de régulation. D'ailleurs, vous
avez eu raison de rappeler le talent personnel de Pierre Vimont, un homme
parfait, calme et d'une énorme puissance de travail, qui a donné à la fois
l'ambiance et le rythme de nos travaux.
Ce sont aussi les femmes et les hommes qui travaillent dans les autres
institutions de l'Union européenne, le secrétariat général du Conseil et la
Commission, qui a fourni un très gros travail. Pour ma part, je sais que ce que
nous avons fait, nous, les hommes politiques, n'était pas possible sans eux.
Ils n'ont ménagé ni leur temps ni leur énergie au service de l'engagement
européen, et je m'en serais voulu de ne pas l'avoir souligné après vous,
monsieur le sénateur, car c'est aussi le rôle du Gouvernement.
Nous ne pouvons pas avancer sans ceux qui sont les rouages quotidiens et
constants de la mécanique européenne, trop souvent qualifiés de « technocrates
», alors qu'ils sont, au contraire, les serviteurs d'une idée.
Voilà ce que je voulais ajouter, en vous redisant ma disponibilité pour
continuer à travailler avec vous tant que j'exercerai ces fonctions.
(Applaudissements.)
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
Mes chers collègues, permettez-moi, au nom de M. le président du Sénat, en
votre nom et en mon nom personnel, de remercier, d'abord, M. le ministre
d'avoir bien voulu nous consacrer, aujourd'hui, une part importante de son
temps, et ce cinq jours seulement après la fin du sommet de Nice.
M. le ministre a été à l'écoute des critiques, des suggestions, des
inquiétudes, des satisfactions des uns et des autres. Les réponses qu'il a
apportées ont sûrement apaisé les craintes de chacun. Mais le débat ne manquera
pas de se poursuivre.
Je veux, en outre, remercier notre collègue Hubert Haenel, président de la
délégation du Sénat pour l'Union européenne, dont chacun, ici, sait qu'il a les
convictions européennes chevillées au corps, d'avoir pris l'initiative de
soumettre la discussion de cette question orale avec débat à la conférence des
présidents. Chacun lui en sait gré, car le débat a été fort utile. J'espère que
nous aurons l'occasion, sur ces questions comme sur d'autres, d'avoir un
échange de même qualité entre nous.
Enfin, mes remerciements iront à tous ceux qui ont participé à ce débat.
Certes, les critiques ont fusé, ici ou là, mais il était bon, je crois, que
chacun s'exprime très librement.
Au-delà des inquiétudes que nous pouvons avoir sur ce qui n'a pas abouti à
Nice, nous ne devons pas oublier que la construction de l'Europe apporte, aux
uns et aux autres, un bien précieux : la paix.
Merci donc à chacun d'entre vous.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous
la présidence de M. Christian Poncelet.)