SEANCE DU 4 DECEMBRE 2000
M. le président.
« Art. 57. - I. - Le 1° de l'article L. 118-7 du code du travail est ainsi
rédigé :
« 1° D'une aide à l'embauche lorsque l'entreprise emploie au plus dix salariés
et que l'apprenti dispose d'un niveau de formation inférieur à un minimum
défini par décret ; ».
« II. - Le troisième alinéa de l'article 19 de la loi n° 92-675 du 17 juillet
1992 portant diverses dispositions relatives à l'apprentissage, à la formation
professionnelle et modifiant le code du travail est supprimé.
« III. - Les dispositions du présent article s'appliquent à compter du 1er
janvier 2001. »
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement II-23 est présenté par M. Ostermann, au nom de la commission des
finances.
L'amendement n° II-1 est déposé par Mme Bocandé, au nom de la commission des
affaires sociales.
L'amendement n° II-38 est présenté par MM. Cornu, Gournac, Murat, Mme Olin, M.
Martin et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous trois ont pour objet de supprimer cet article.
Par amendement n° II-4 rectifié, MM. Joly et Othily proposent :
I. - Dans le texte présenté par le I de l'article 57 pour le 1° de l'article
L. 118-7 du code du travail, de remplacer les mots : « dix salariés » par les
mots : « deux cent cinquante salariés ».
II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, de
compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« .. - La perte de recettes résultant du relèvement du seuil de l'aide à
l'embauche est compensée à due concurrence par la création d'une taxe
additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des
impôts. »
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour défendre l'amendement n°
II-23.
M. Gérard Braun,
rapporteur spécial.
Le présent article vise, une fois encore, à s'en
prendre au financement de l'apprentissage, en réservant l'aide à l'embauche aux
employeurs occupant au plus dix salariés. Cette mesure, comme celle qui a été
votée en 1999, n'a pas pour objet la réforme de la formation professionnelle,
souvent annoncée. Elle est motivée par la recherche d'économies d'un montant
assez modique, en l'occurrence 117 millions de francs en 2001.
Le Gouvernement estime que « cette aide ne paraît plus nécessaire, sauf pour
les très petites entreprises », arguant de la diminution du chômage des jeunes
résultant de la bonne tenue de la conjoncture économique.
Cet argument paraît un peu court, d'autant qu'il n'existe pas de lien
automatique entre la diminution du chômage des jeunes, qui reste, par ailleurs,
plus élevé que la moyenne, et les besoins de formation, comme le montre
l'apparition de pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs.
L'Assemblée nationale, dans un premier temps, avait supprimé l'article 57. Le
vote de l'Assemblée nationale, quasi unanime, reposait sur les arguments
développés par la commission des finances du Sénat : atteinte au financement de
l'apprentissage et message négatif envoyé aux petites entreprises, qui seront
confrontées à des difficultés suffisamment grandes lorsqu'elles devront passer
aux 35 heures.
Mais, au cours de la deuxième délibération, l'Assemblée nationale a finalement
adopté un amendement du Gouvernement rétablissant cet article, en prévoyant que
l'aide à l'embauche d'apprentis serait réservée aux entreprises employant au
plus vingt salariés.
La commission des finances, pour les raisons qu'elle a déjà développées quant
à l'atteinte portée au financement de l'apprentissage, propose de supprimer cet
article, même dans sa nouvelle rédaction.
M. le président.
La parole est à Mme Bocandé, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement
n° II-1.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis.
Cet amendement va dans le même sens que celui qui
vient d'être développé par notre collègue Gérard Braun, au nom de la commission
des finances.
En effet, la commission des affaires sociales ne comprend pas l'insistance du
Gouvernement à vouloir fragiliser, année après année, l'ensemble du dispositif
de l'apprentissage pour réaliser - pardonnez-moi cette expression - quelques
économies de bouts de chandelle.
Ces atteintes successives apparaissent en définitive comme autant de signaux
indiquant que les formations en alternance ne sont plus des priorités, alors
que, depuis quinze ans, tous les gouvernements avaient cherché à promouvoir
l'image de marque de l'apprentissage. Le bilan coût-avantage de cette nouvelle
mesure nous paraît donc très déséquilibré.
M. le président.
La parole est à M. Gournac, pour défendre l'amendement n° II-38.
M. Alain Gournac.
A mon tour, je veux défendre l'apprentissage.
Toute mesure budgétaire prise à l'encontre de l'apprentissage va encore
l'affaiblir, ce qu'il faut absolument éviter. Voilà pourquoi nous proprosons,
nous aussi, de supprimer l'article 57.
Ce n'est pas prendre en compte la réalité que de s'attaquer à l'apprentissage,
monsieur le secrétaire d'Etat. Allez sur le terrain, regardez ce qui s'y passe,
comme nous le faisons chaque jour ! Vous verrez que, dans quantité de secteurs,
il y a pénurie d'emplois.
Tout à l'heure, Mme le ministre a dit que cette pénurie affectait les métiers
de bouche et le BTP. Pas du tout ! Vous savez bien que l'on ne peut plus faire
installer une porte de garage, une porte blindée, faire réparer un ascenseur,
que, dans le commerce, dans l'habillement, on ne trouve pas de personnel ! Je
pourrais citer au moins vingt-sept ou vingt-huit secteurs qui sont ainsi
concernés.
Nous devons, aujourd'hui encore, adresser un message fort en faveur de
l'apprentissage, que nous voulons défendre, et c'est pourquoi il faut, je le
répète, supprimer l'article 57.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
L'amendement n° II-4 rectifié est-il soutenu ? ...
Quel est l'avis du Gouvernement sur les trois amendements identiques n°s
II-23, II-1 et II-38 ?
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
A l'Assemblée nationale, on l'a dit, il y a eu débat
sur ce sujet, et le Gouvernement, par amendement, a rétabli la barre de vingt
salariés. Or je note que 80 % des jeunes qui sont en apprentissage le sont dans
des entreprises de moins de vingt salariés.
On me dit ici que rétablir ce seuil, c'est ne pas tenir compte de la réalité.
Qu'il y ait des tensions dans certaines branches, c'est certain, mais ces
tensions sont peut-être parfois dues aussi aux conditions de salaire et de
travail que les branches en question offrent aux jeunes, et cela peut expliquer
également pour partie la pénurie.
Néanmoins, le nombre de jeunes en formation en alternance continue d'augmenter
dans ce pays. La mesure proposée, dès lors que, je l'ai dit, 80 % des jeunes en
apprentissage le sont dans des entreprises de moins de vingt salariés, permet
tout de même, pour l'essentiel, d'accompagner les démarches qui favorisent
l'intégration des jeunes.
Par ailleurs, si le chômage des jeunes est très élevé, il diminue beaucoup
plus vite que les autres.
M. Alain Gournac.
Il reste beaucoup de jeunes au chômage !
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Certes, mais leur nombre a baissé de 20 % en un an.
Par ailleurs, compte tenu de la situation économique, qui fait que les publics
les plus « employables », comme le sont les jeunes, vont être appelés très
vite, on peut penser qu'il fallait opérer un repli en ce domaine pour pouvoir
accompagner d'autres démarches.
Alors, je sais bien que certains voudraient que tout baisse, la dette, les
impôts, étant entendu qu'à leurs yeux aucun résultat n'est dû à la politique du
Gouvernement, que c'est le fait du hasard ou de phénomènes extérieurs !
Nous, nous essayons d'agir de manière raisonnée en recalant, année après
année, les dispositifs et les sommes qui y sont consacrées pour accompagner un
mouvement que nous voulons, par là même, continuer de nourrir afin que le
cercle vertueux ne s'arrête pas.
M. Alain Gournac.
Ne touchez pas à l'apprentissage !
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s II-23, II-1 et
II-38.
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'avoue que cet article me rend perplexe, même
si je ne partage pas, pour l'essentiel, l'argumentation de mes collègues de la
majorité sénatoriale.
Vous nous dites que 80 % des contrats d'apprentissage sont signés dans les
entreprises de moins de vingt salariés, et que l'essentiel est donc préservé.
Dont acte ! Voilà en effet qui est de nature à nous rassurer.
Il n'empêche que l'apprentissage est la voie qui permet aux fils et aux filles
- essentiellement aux fils, d'ailleurs ! - des classes populaires d'accéder à
un emploi.
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Gérard Delfau.
C'est une formule qui mérite d'être améliorée - j'y reviendrai dans un instant
- mais qui a une efficacité certaine. C'est un élément non négligeable de
l'élévation de la qualité du monde du travail.
Je ne ferai donc pas miennes les prophéties alarmistes de M. Gournac, selon
lequel il ne sera bientôt plus possible d'avoir la moindre intervention d'une
entreprise dans nombre de secteurs.
M. Alain Gournac.
C'est une constatation !
M. Gérard Delfau.
J'ajoute que, si certaines branches accordaient des rémunérations suffisantes
et des conditions de travail décentes, elles attireraient davantage de jeunes !
(M. Fischer applaudit.)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Bien sûr !
M. Jean Boyer.
Et la fiscalité !
M. Gérard Delfau.
Ayant fait cette mise au point que j'estimais nécessaire, je veux vous dire,
monsieur le secrétaire d'Etat, que, malgré le soutien enthousiaste, je l'ai dit
précédemment, que j'apporte au Gouvernement sur ce budget et sur les résultats
de sa politique, je m'abstiendrai
(Exclamations sur les travées du RPR),
parce que je pense que l'article 57 constitue un signal négatif et qu'il
convient, au contraire, de revoir la répartition entre l'apprentissage et les
contrats de qualification et le cursus de la formation des apprentis, pour
essayer de faire baisser le taux d'échec actuel, qui est considérable.
Je préférerais que le Gouvernement opte pour une politique beaucoup plus
offensive, comme il l'a fait dans les autres domaines, plutôt que de nous
proposer cette mesure d'équilibre budgétaire qui ne me paraît pas vraiment
opportune.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s II-23, II-1 et II-38,
repoussés par le Gouvernement.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Le groupe socialiste s'abstient.
M. Guy Fischer.
Le groupe communiste républicain et citoyen également.
M. Gérard Delfau.
Le groupe du RDSE s'abstient lui aussi.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, l'article 57 est supprimé.
Article 58