SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2000
RÉSORPTION DE L'EMPLOI PRÉCAIRE
DANS LA FONCTION PUBLIQUE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet
de loi (n° 20, 2000-2001) relatif à la résorption de l'emploi précaire et à la
modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de
travail dans la fonction publique territoriale. [Rapport n° 80 (2000-2001)].
Mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents, en
accord avec M. le ministre des relations avec le Parlement, a fixé le début de
notre discussion budgétaire à demain matin à onze heures, à quinze heures et,
éventuellement, le soir, dans le souci, notamment, de faire tenir la discussion
générale dans une seule journée.
Le respect de cet ordre du jour suppose que nous terminions nos travaux au
plus tard à deux heures.
Or je vous rappelle que, sur le projet de loi relatif à l'emploi précaire dans
la fonction publique, neuf orateurs, outre le ministre et le rapporteur,
interviendront dans la discussion générale et que nous aurons à examiner près
d'une centaine d'amendements.
Le rappel de toutes ces données me conduit à appeler chacun d'entre vous -
également vous-même, monsieur le ministre - à la plus grande concision, de
telle manière que nous soyons en mesure de respecter notre ordre du jour de
demain et, notamment, de commencer la discussion du budget à onze heures, dans
le respect des décisions prises.
Je n'insiste pas davantage, chacun ayant compris ce qu'il y avait lieu de
faire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m'efforcer de vous
présenter ce texte, que je crois important, de la manière la plus complète et
la plus rapide possible, en renvoyant à la discussion des articles mes
arguments relatifs aux amendements qui ont été déposés.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter ce soir n'est certes pas
le premier du genre, nombre d'entre nous le savent. Depuis une cinquantaine
d'années, l'Etat a été conduit sous des formes diverses à mettre en oeuvre une
quinzaine de plans de titularisation, selon des modalités diverses et sur des
champs plus ou moins larges. Le dernier en date, celui de la loi du 16 décembre
1996, mettait en place pour une durée de quatre ans des concours réservés pour
l'essentiel aux agents non titulaires, maîtres auxiliaires ou relevant du
premier corps de la catégorie C, pouvant justifier de leur présence au 14 mai
1996 et d'une ancienneté de quatre ans dans les huit années précédant cette
date.
Nous arrivons à la fin de ce dernier plan, et deux constats s'imposent.
Ce plan s'est traduit par des résultats substantiels en termes de
titularisation, puisque, au total, plus de 50 000 agents ont été reçus aux
concours et titularisés, ce qui représente la moitié des effectifs recensés en
début de plan. J'observe cependant que ces résultats sont inégaux selon que
l'on regarde la fonction publique de l'Etat ou la fonction publique
territoriale : pour l'Etat, nous devrions avoir titularisé sur les quatre ans
37 300 agents sur les 44 000 recensés en début de plan, soit 85 % des agents
concernés, alors que, pour la fonction publique territoriale, moins de 10 000
agents seront titularisés sur les 50 000 recensés, soit moins de 20 %. Pour la
fonction publique hospitalière, environ deux tiers des 5 600 agents recensés
auront été titularisés. Il y a donc bien une réalité spécifique à la fonction
publique territoriale, tant sur le plan de l'ampleur de l'emploi précaire que
sur les difficultés à le résorber, qui doit nous faire réfléchir.
J'observe également que, pour ce qui est de la fonction publique de l'Etat,
d'une part, le taux de titularisation est un peu supérieur pour les enseignants
à ce qu'il est pour les non-enseignants et, d'autre part, environ 57 % de ces
agents ont été titularisés par la voie de concours réservés prévus par la loi
du 16 décembre 1996, et 43 % par la voie de concours ordinaires.
Mais ce bilan, positif en termes de titularisation, est négatif en termes de
résorption de la précarité, puisque les indications que j'ai, comme vous, à ma
disposition, montrent qu'il y a au moins autant de précarité aujourd'hui que
voilà quatre ans.
Ce constat me conduit, avant que nous entrions dans la coeur du projet de loi,
à faire deux remarques qui me paraissent importantes, et même essentielles.
Si l'on regarde les effectifs des ministères civils depuis vingt ans, et que
l'on compare les évolutions des effectifs budgétaires et des effectifs réels,
on voit que les effectifs réels évoluent d'une manière relativement
indépendante des décisions budgétaires, et même dans les périodes où les
décisions budgétaires ont été les plus restrictives les progressions en
effectifs réels ont été très fortes : ainsi en 1993 et 1994 la loi de finances
ne prévoyait-elle que 1 045 et 2 475 créations nettes d'emplois alors qu'en
réalité les effectifs réels ont progressé en équivalents temps plein de 4 337
et 10 459.
Cela confirme et renforce la détermination du Gouvernement dans le choix
politique qui consiste à privilégier la transparence, la modernisation et la
gestion prévisionnelle, donc le renforcement de la démocratie par une
information plus complète du Parlement et par la mise à sa disposition d'outils
de décisions plus efficaces.
L'Observatoire de l'emploi public, créé par le décret du 13 juillet 2000,
installé le 18 septembre dernier et auquel participent deux parlementaires
dont, bien entendu, un sénateur, est l'un des outils de cette modernisation et
de cette gestion prévisionnelle à laquelle je suis, pour ma part, tout
particulièrement attaché. Cet observatoire est en train de préparer son
programme de travail, avec, en priorité, l'anticipation du bouleversement
démographique que va connaître la fonction publique dans les dix à quinze
prochaines années, mais également, à très court terme, l'analyse du recensement
exhaustif et précis des agents non titulaires actuellement conduit par les
services de l'Etat.
M. Jacques Mahéas.
Très bien !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
La seconde
remarque est tout aussi importante : nous ne devons plus mettre en place de
dispositif exceptionnel de titularisation des agents en situation de précarité
sans prévoir dans le même temps des réformes qui empêchent la reconstitution de
la précarité, c'est-à-dire le recrutement de nouveaux contractuels au lieu et
place de ceux que nous titularisons. Mon souhait est d'en finir avec le tonneau
des Danaïdes de la précarité. Je crois que ce projet de loi le permet.
Ce texte comporte, vous le savez, trois volets. Le premier porte sur la
résorption. Le deuxième, qui est en cohérence avec les choix du Gouvernement en
matière de gestion prévisionnelle, prévoit des dispositions propres à limiter
la précarité pour l'avenir. Enfin, le troisième concerne le temps de travail
dans la fonction publique territoriale, et je le commenterai de manière
séparée.
Le 10 juillet dernier, le Gouvernement a conclu un protocole d'accord avec six
des sept organisations syndicales représentatives des fonctionnaires. C'est ce
protocole d'accord que, très fidèlement, j'ai cherché à traduire dans le
présent projet de loi.
S'agissant du titre Ier sur la résorption de l'emploi précaire, de manière
plus large que le dispositif précédent, le Gouvernement propose d'organiser,
selon des modalités adaptées, des concours réservés, des examens professionnels
ou des titularisations sur titres au profit des agents recrutés à titre
temporaire par l'administration pour assurer des fonctions qui sont normalement
dévolues à des agents titulaires.
Il s'agit bien de résorber la précarité, c'est-à-dire des situations d'emploi
dont la continuité n'est pas assurée aux agents concernés. C'est pourquoi le
plan, qui est un plan sur cinq ans, ne concerne pas les agents recrutés en
contrat à durée indéterminée, dont la situation ne relève pas, à l'évidence,
d'une problématique de précarité.
Le Gouvernement a souhaité assouplir les conditions à remplir par les agents,
compte tenu des limites, voire parfois des difficultés rencontrées dans
l'application du dispositif précédent.
Sur la base d'un socle commun, le projet de loi contient des dispositions
spécifiques à chacune des trois fonctions publiques. Je vous renvoie à la fois
au texte du projet de loi et à l'excellent rapport de M. Hoeffel pour en
analyser les éléments les plus détaillés.
Les dispositions relatives à la modernisation du recrutement, qui font l'objet
du titre II, relèvent de trois approches convergentes vers le même objectif de
réduction de la précarité : compte tenu des considérations actuelles d'emploi
des titulaires, n'utiliser le recrutement de contractuels que lorsque l'emploi
de titulaires s'avère impossible ou inadapté, adapter les concours de manière à
en faciliter l'accès aux agents non titulaires et améliorer les processus
d'organisation des concours et de gestion prévisionnelle des effectifs.
Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais
immédiatement évoquer la disposition de l'article 13 du projet de loi relative
aux emplois à temps non complet des communes de moins de 2 000 habitants, que
la commission des lois du Sénat propose de supprimer.
Maires pour beaucoup d'entre nous, nous savons tous ce dont il s'agit : depuis
la loi du 13 juillet 1987, les communes de moins de 2 000 habitants peuvent
conclure des contrats à durée déterminée pour pourvoir des emplois permanents à
temps non complet de quotité inférieure au seuil de la CNRACL, la caisse
nationale de retraite des agents des collectivités locales. Cette disposition a
constitué une souplesse de gestion utile dans la mesure où, à l'époque, les
modes de recrutement et les conditions d'emploi des titulaires de la fonction
publique territoriale n'étaient pas encore totalement stabilisés.
Depuis cette loi, plusieurs lois ou règlements sont venus modifier cette
situation : il en est ainsi de dispositions de 1991 et de la loi du 27 décembre
1994, qui a autorisé le recrutement sans concours à l'échelle 2. Par ailleurs,
des dispositions, dont l'usage s'étend progressivement, favorisent la mise à
disposition en temps partagé d'agents titulaires recrutés par les centres de
gestion.
Il apparaît donc aujourd'hui au Gouvernement que les conditions de recrutement
et d'emploi des titulaires à temps non complet se sont considérablement
assouplies. Elles nous permettent ainsi de traiter de manière plus déterminée
la précarité à ce niveau.
J'ajoute - et en cela je confirme ce que j'avais déjà suggéré auprès de la
commission des lois - que, si des dispositions conduisant à assouplir les
règles de cumul sont présentées et peuvent rassurer totalement la
représentation nationale sur ce point, le Gouvernement est prêt à entrer dans
cette voie, étant entendu que de telles dispositions devraient, pour être
juridiquement incontestables, concerner l'ensemble des trois fonctions
publiques.
Je voudrais également insister sur les dispositions des articles 10, 13-IV et
14, qui sont largement communs aux trois fonctions publiques et qui concernent
la modernisation des concours.
L'administration doit s'adapter dans les dix prochaines années non seulement
parfois à de nouvelles missions, mais surtout, dans l'ensemble de ses
compétences, à une nouvelle approche de l'exercice de ses missions, plus proche
de l'usager et prenant en compte le développement des nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Les modes de vie évoluent, les carrières
sont de moins en moins linéaires, les jeunes ont totalement assimilé la
mobilité comme une composante de leur évolution de carrière. Dans le même
temps, vous le savez, 40 % à 50 % des fonctionnaires, selon les secteurs, vont
partir en retraite et vont devoir être remplacés.
Il nous faut donc revoir profondément les modes de recrutement et de gestion
des carrières des agents des administrations publiques. Les dispositions du
présent projet de loi constituent une première étape dans ce sens.
Le texte que je vous propose contient en effet l'extension des « troisièmes
concours » à l'ensemble des corps pour lesquels un tel mode de recrutement
s'avérerait pertinent. Cette voie, déjà mise en oeuvre dans les écoles
d'administration générale - l'Ecole nationale d'administration et les instituts
régionaux d'administration -, permettra le recrutement de personnes ayant de
fortes compétences de terrain, ce qui complétera heureusement les compétences
des lauréats des concours plus traditionnels.
Il s'agit également d'élargir la possibilité d'ouvrir des concours sur titres
et d'instaurer - cela répondra pleinement, je crois, à certaines des
préoccupations du Sénat - un principe de validation de l'expérience et des
acquis professionnels pour l'accès aux concours. Sur ce dernier aspect,
monsieur le rapporteur, je reprendrai volontiers l'un des amendements de la
commission des lois visant à étendre ce principe aux collectivités
territoriales.
Ces dispositions, complétées par une simplification des procédures et, pour la
fonction publique de l'Etat, par une nouvelle étape dans la déconcentration de
l'organisation des concours, permettront de rendre plus accessibles aux
contractuels que l'administration est, en tout état de cause, amenée à recruter
ponctuellement les voies ordinaires de recrutement et de titularisation, et
devraient donc, pour l'avenir, limiter le renouvellement de situations de
précarité.
Le projet de loi prévoit enfin, pour la fonction publique territoriale,
quelques dispositions pratiques permettant de progresser dans la gestion
prévisionnelle des effectifs, qui relève soit des centres de gestion pour les
collectivités qui y sont affiliées, soit des collectivités elles-mêmes.
Enfin, le Gouvernement entend mettre en oeuvre un autre moyen d'éviter la
reconstitution de la précarité, et il a commencé à le faire dans le cadre du
projet de loi de finances pour 2001 : il s'agit de transformer des crédits de
rémunération de contractuels en emplois budgétaires,...
M. Jacques Mahéas.
Très bien !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... de sorte
que les administrations n'aient pas la tentation de remplacer un contractuel
titularisé par un nouveau contractuel. Le projet de loi de finances pour 2001
prévoit environ 5 000 créations d'emploi répondant à cette seule logique, et le
programme pluriannuel pour l'éducation nationale prolonge sur trois ans cette
politique. Enfin, le titre III relatif aux dispositions du temps de travail me
paraît être un élément important du texte qui vous est soumis.
Aucun texte, ni législatif ni
a fortiori
réglementaire, n'établit
jusqu'ici de règles en matière de temps de travail dans la fonction publique
territoriale : c'est sur la jurisprudence que se fondent les normes en la
matière.
La réforme de l'aménagement et de la réduction du temps de travail, organisée
dans le cadre de la loi du 19 janvier 2000 pour les entreprises et dans le
cadre du décret du 25 août 2000 pour la fonction publique de l'Etat, est
l'occasion d'établir un cadre de principe homogène pour l'ensemble des
salariés, et plus particulièrement pour les agents de la fonction publique.
C'est l'esprit de l'article 15 proposé dans ce projet de loi, qui permet la
mise en cohérence de la fonction publique de l'Etat et de la fonction publique
territoriale. Cela signifie évidemment que ces évolutions réglementaires sont
étudiées, discutées et décidées selon des processus parallèles dans les deux
fonctions publiques : c'est ainsi que les dispositions que vous connaissez déjà
pour l'Etat ont, en réalité, été préparées simultanément pour l'ensemble de la
fonction publique. Les conseils supérieurs ont, par exemple, été réunis durant
la même période, et, si le décret intéressant la fonction publique de l'Etat
est déjà publié, ce n'est pas qu'il a été préparé avant, c'est simplement qu'il
ne s'appuie pas sur une disposition législative préalable.
Les dispositions qui seront ainsi reprises dans le décret d'application de la
présente loi sont donc la référence à l'horaire hebdomadaire de 35 heures sur
la base d'un total annuel de 1 600 heures, les limites quotidiennes et
hebdomadaires de l'amplitude horaire et les minima en matière de temps de
repos, dispositions quasiment identiques à celles qui ont été prévues par la
loi du 19 janvier 2000.
L'article de loi qui vous est soumis ainsi que le projet de décret prévu pour
son application respectent ainsi scrupuleusement le principe constitutionnel de
libre administration des collectivités territoriales, en ce qu'il leur confie
le soin de fixer toutes dérogations ou adaptations nécessaires.
J'ajoute que ce texte intéressant dans une large partie les collectivités
locales, il m'a semblé utile de le présenter en premier lieu devant le Sénat,
dont je connais l'attachement à tout ce qui les concerne.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Enfin,
s'agissant de la fonction publique hospitalière, une disposition semblable sera
également présentée au vote du Parlement. Les établissements publics de santé
et les établissements sociaux et médico-sociaux sont régis en la matière par
l'ordonnance du 26 mars 1982, qu'il conviendra donc d'abroger sur ce point. La
ministre de l'emploi et de la solidarité n'a pu réunir pour l'instant les
organisations syndicales représentatives sur ce sujet avant ce débat. Plutôt
donc que de précipiter l'introduction de dispositions en cours de procédure
parlementaire, le Gouvernement préfère introduire les dispositions relatives au
temps de travail dans la fonction publique hospitalière dans le projet de loi
sur la modernisation sociale qui vous sera présenté au début de l'année
2001.
S'agissant de la déclaration d'urgence, mesdames, messieurs les sénateurs,
dont je sais qu'elle peut apparaître comme une brusquerie, quand bien même le
texte est présenté en première lecture devant la Haute Assemblée, elle était
malheureusement nécessaire pour assurer la continuité entre la précédente loi
et le nouveau dispositif : toute solution de continuité risquait de faire de
2001 une année blanche pour la résorption de la précarité, et donc de léser les
agents concernés.
Je tiens enfin à saluer l'excellent travail du rapporteur de la commission des
lois, M. Hoeffel, qui, dans son rapport, a parfaitement su éclairer la Haute
Assemblée sur les différents enjeux du texte que j'ai l'honneur, après que vous
en aurez débattu, de vous demander d'adopter.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen).
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, répondant à votre appel, je m'en tiendrai, dans ce rapport oral, à
l'essentiel, et je vous renvoie donc, mes chers collègues, à mon rapport écrit,
qui est en distribution depuis quelques jours.
Vous avez choisi, monsieur le ministre, de déposer ce texte en premier lieu
sur le bureau du Sénat, initiative que nous apprécions ; vous avez recours à la
procédure de la déclaration d'urgence, ce que nous regrettons...
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Ah ça,
oui !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
... d'autant plus qu'il s'agit d'un texte important
concernant les trois fonctions publiques - la fonction publique d'Etat, la
fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière - et visant
un triple objectif : résorber l'emploi précaire, moderniser les procédures de
recrutement et encadrer la réduction et l'aménagement du temps de travail dans
la fonction publique territoriale.
Je ferai rapidement l'état de la situation au moment où ce texte vient en
discussion en rappelant que, s'agissant de la résorption de l'emploi précaire,
tous les contractuels ne se trouvent pas dans une situation précaire et qu'il
ne s'agit pas de condamner en soi le recours aux agents contractuels.
La loi du 16 décembre 1996, dite « loi Perben », a entrepris un effort en
direction de la résorption de l'emploi précaire ; mais force est de reconnaître
que, malgré la titularisation de 55 000 agents, le nombre d'agents non
titulaires de la fonction publique se maintient, d'où l'utilité de ce texte sur
la résorption de l'emploi précaire.
Nous devons aussi regretter l'absence de gestion prévisionnelle des emplois
publics, absence qui sera encore aggravée par la perspective des départs en
retraite dans la décennie à venir et par le problème lourd de l'intégration de
certains emplois-jeunes qui est devant nous. Il suffit de rappeler que
partiront à la retraite d'ici à 2020 les trois quarts des agents en poste
aujourd'hui dans la fonction publique d'Etat et les deux tiers des
fonctionnaires territoriaux.
En ce qui concerne le troisième volet, celui du temps de travail dans la
fonction publique territoriale, aucun texte législatif ou réglementaire
n'établit actuellement la durée hebdomadaire du travail, et la jurisprudence
administrative affirme qu'il appartient à l'autorité municipale de la fixer.
Monsieur le ministre, vous nous avez présenté de manière très complète ce
projet de loi, et je n'ai rien à ajouter à cet égard. J'en viens donc à la
position adoptée par la commission des lois sur ce texte. Je l'exposerai sous
le triple volet de la précarité, du recrutement et de la réduction de la durée
du travail.
La commission vous propose d'adopter le dispositif de résorption de l'emploi
précaire, mes chers collègues. Elle estime toutefois que la méconnaissance par
l'Etat employeur des effectifs concernés doit être dénoncée. Le problème - je
le reconnais, monsieur le ministre - ne date pas d'aujourd'hui. De même,
l'incidence financière du plan de résorption de l'emploi précaire mérite d'être
précisée.
J'ajouterai un certain nombre d'observations.
La première concerne la surrémunération des fonctionnaires dans les
départements d'outre-mer. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire un
peu plus sur ce sujet, dont je reconnais la complexité matérielle, certes, mais
aussi psychologique ?
Deuxième observation : la condition de présence de deux mois sur une période
de référence d'une année nous paraît insuffisante pour qualifier le lien
existant entre l'agent concerné et la collectivité. La commission des lois
proposera donc de porter la durée de cette présence de deux à quatre mois.
Enfin, dernière observation sur ce volet de la précarité, nous souhaitons
interroger le Gouvernement sur les aménagements prévus pour les administrations
parisiennes. Il convient de souligner, à ce propos, que le renvoi au pouvoir
réglementaire ne constitue pas un blanc-seing accordé au Gouvernement, qu'il
doit s'exercer sous le contrôle du législateur.
J'en viens au deuxième volet, la modernisation du recrutement. Il s'agit de
favoriser la souplesse de gestion. Cela nous paraît fondamental, en particulier
en ce qui concerne la fonction publique territoriale.
Il faut rappeler que le recrutement contractuel à temps non complet sur des
emplois permanents dans les petites communes et leurs groupements correspond à
un besoin réel.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Nous le vivons quotidiennement dans l'exercice de notre
métier de maire.
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Sa suppression priverait les petites communes, 32 000
communes de France sur 36 000 ont moins de 2 000 habitants ! - d'une souplesse
de gestion dont, aujourd'hui, elles peuvent faire usage.
Le quart des agents non titulaires occupant un emploi permanent sont des
agents contractuels recrutés pour un service inférieur à trente et une heures
trente par semaine.
S'agissant du cumul d'activités, nous souhaitons interroger le Gouvernement,
notamment, sur l'interdiction, pour les agents, de travailler pour le compte de
plusieurs employeurs publics ou privés alors qu'ils exercent, à temps parfois
très partiel, des fonctions d'exécution.
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Quelle suite envisage-t-il, par ailleurs, de donner aux
propositions législatives et réglementaires formulées à ce propos par le
Conseil d'Etat en 1999 ?
En tout état de cause et afin d'amorcer une réponse législative, la commission
des lois proposera que l'on permette aux agents qui occupent un emploi à temps
non complet dans les communes de moins de 2 000 habitants et dans leurs
groupements, pour une durée inférieure à la moitié d'un temps plein, d'exercer
une activité privée lucrative à titre professionnel dans des conditions fixées
par décret en Conseil d'Etat.
Nous souhaitons également interroger le Gouvernement sur les conditions de
rémunération des agents concernés.
Le problème se pose également de la prise en compte ou non de l'expérience
professionnelle pour l'admission à concourir en externe dans la fonction
publique territoriale. Cette expérience professionnelle est prise en compte
dans le projet pour la fonction publique d'Etat et la fonction publique
hospitalière, mais non pour la fonction publique territoriale.
M. Alain Vasselle.
C'est scandaleux !
M. Jacques Mahéas.
On va rectifier cela !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Or, actuellement - on peut, je crois, l'affirmer - une telle
injection de sang nouveau, une telle ouverture sur l'extérieur, apparaissent
utiles à la fonction publique territoriale.
J'en arrive au dernier volet, à savoir l'aménagement et la réduction du temps
de travail.
Nous souhaitons que cette réforme s'exerce dans le respect de la libre
administration des collectivités territoriales. Le passage aux 35 heures dans
le secteur privé a montré l'importance d'un débat national à ce sujet. Est-il
réaliste d'assimiler, à propos de l'aménagement et de la réduction du temps de
travail, l'Etat, employeur unique, aux 60 000 employeurs locaux, en ne tenant
pas compte de la très grande diversité de ces employeurs collectivités
territoriales et de la souplesse de gestion qui doit leur être reconnue ?
Le principe de la parité et celui de l'unité de la fonction publique ne
doivent pas conduire à méconnaître les spécificités de la fonction publique
territoriale.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Et puis, la commission des lois tient à réaffirmer clairement
la compétence de l'assemblée délibérante de la collectivité dans la
détermination du temps de travail de ses agents.
Afin d'affirmer son attachement à l'objectif de l'aménagement du temps de
travail - nous respectons le principe du 1er janvier 2002 - la commission des
lois proposera que les collectivités territoriales se déterminent par référence
aux conditions applicables aux agents de l'Etat, tout en tenant compte de la
spécificité de leurs missions. Car ce sont les collectivités territoriales qui
sont en mesure d'apprécier le coût financier du passage aux 35 heures, un
passage qui doit être proportionné à leurs ressources et à leurs besoins en
termes de services publics.
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois.
Très juste !
M. Paul Girod.
S'il n'y avait que les coûts financiers !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
orientations de la commission des lois sur un texte dont elle approuve, sur
l'essentiel, les principes, tout en affirmant la spécificité des collectivités.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Mes chers collègues, je vous invite, une fois encore, à faire preuve de
concision.
M. Alain Vasselle.
On n'examine pas un texte de cette importance en séance de nuit la veille de
la discussion du projet de loi de finances ! Ce sera du travail bâclé !
M. le président.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le ministre, les rapports de l'Etat avec ses fonctionnaires sont
vraiment d'actualité, avec les négociations salariales engagées il y a deux
jours !
Vous avez vous-même, il y a quelques mois, dans la presse, donné votre point
de vue sur un Etat plus transparent et plus efficace. J'en citerai deux courts
extraits.
D'abord : « Nous avons de nombreux atouts pour réussir : une administration
plus proche des citoyens, plus mobile, plus réactive ; nos fonctionnaires sont
profondément attachés au service public, bien formés et inventifs lorsqu'on
leur en donne la possibilité... »
Puis : « Le dialogue social ne saurait donc être une vaine incantation ; il
est la condition de la réussite des réformes... ».
Aussi, monsieur le ministre, l'Etat doit donner l'exemple et montrer
clairement que les salariés, en particulier les plus modestes d'entre eux,
doivent avoir leur part de la croissance revenue.
Nous formons donc le voeu ici que les négociations salariales débouchent
positivement et donnent confiance aux agents de la fonction publique. Car, bien
évidemment, la remise en chantier, au travers du projet de loi que nous
examinons, de la résorption de la précarité dans la fonction publique doit
aussi contribuer à donner confiance.
La précarité gangrène la fonction publique.
On connaît les chiffres : 13 % de personnels précaires dans la fonction
publique d'Etat ; 34 % dans la fonction publique territoriale ; 5 % dans la
fonction publique hospitalière selon l'INSEE, mais davantage selon les
organisations syndicales.
Tout le monde le sait, ces chiffres sont à manipuler avec prudence et, de ce
point de vue, la création d'un observatoire de l'emploi public, tel qu'il
résulte de l'accord signé le 10 juillet 2000, est évidemment très positif.
Il va sans dire que, dans ce contexte, le projet de loi que nous examinons est
attendu par un grand nombre de ceux qui ont fait le choix du service public et
qui attendent de celui-ci une légitime reconnaissance.
La multiplication des emplois précaires dans la fonction publique a deux
raisons principales.
La première, c'est le gel de l'emploi public érigé en dogme pendant des
années, au moment même où l'Etat et les collectivités territoriales devaient
faire face à une demande pressante de la part de nos concitoyens.
La seconde, c'est le retard pris depuis des années dans la modernisation des
emplois, notamment dans la fonction publique territoriale.
Aussi serons-nous très attentifs à l'évolution des missions des groupes de
travail mis en place par l'accord du 10 juillet dernier.
Dans la fonction publique territoriale, par exemple - mais ce n'est pas la
seule - des missions exercées par nombre d'agents ne trouvent pas de cadre
d'emploi statutaire. Ce phénomène est connu ; les informaticiens, les
responsables de la communication, les musiciens, pour les villes dotés
d'orchestre - les exemples sont, hélas ! très nombreux - ne peuvent et ne
pourront être titularisés du fait même de l'inexistence des filières dans
lesquelles ils exercent.
Le service public, pour se moderniser, doit intégrer de nouveaux métiers, de
nouvelles compétences, et être capable en permanence de créer les corps
nécessaires au plein accomplissement des missions d'un service public rénové.
Est-ce justice que des milliers de personnes soient privées de cadre d'emploi
du fait même de la lenteur de l'Etat et de ses administrations à se moderniser
?
Quant au gel de l'emploi public, il est battu en brèche - trop lentement, à
mon goût, mais tout de même ! - par la vie elle-même. Aujourd'hui, la
croissance que connaît notre pays, une redéfinition des missions des services
publics, mais aussi les attentes diverses de nos concitoyens en matière de
services publics rendent nécessaire le recrutement dans l'ensemble des trois
fonctions publiques d'agents de l'Etat.
A la seule appréciation des investissements réalisés aujourd'hui par l'Etat ou
les collectivités territoriales, investissements qui participent eux-mêmes à la
croissance et à l'emploi, le gel de l'emploi public est un non-sens.
En outre, quels que soient les secteurs observés, on assistera dans les toutes
prochaines années à de très nombreux départs à la retraite des agents en poste.
Les chiffres sont absolument phénoménaux : 50 %, voire 60 % pour la fonction
publique territoriale. Dans les secteurs de la santé, de la recherche, de
l'éducation et, de manière plus générale, dans l'ensemble des secteurs faisant
appel à du personnel d'encadrement, c'est par centaines de milliers que l'Etat
devra oeuvrer aux remplacements des départs en retraite. Dès lors, sauf à
éradiquer la notion même de service public, le gel de l'emploi public ne peut
perdurer. Ainsi, le texte qui nous est soumis constitue un premier pas
intéressant pour résorber l'emploi public, mais un premier pas seulement. Nous
sommes convaincus qu'il conviendra d'aller bien plus loin encore, conformément
à l'esprit qui animait l'ensemble des signataires de la déclaration du dernier
sommet de la majorité plurielle, le 7 novembre dernier.
Alors que cette déclaration prévoit de pénaliser par des mesures financières
le recours à l'emploi précaire, l'Etat et les collectivités territoriales, mais
également l'ensemble des établissements publics ou para-publics, se doivent, à
mon sens, de montrer l'exemple.
Cela m'amène à évoquer la situation de La Poste. Aujourd'hui, La Poste fait
appel à près de 80 000 contractuels, exclus du dispositif qui nous est proposé,
sur un total de plus de 300 000 agents. Pour autant, la loi du 2 juillet 1990
prévoyait des conditions restrictives au recrutement d'agents contractuels
puisqu'il était question « d'exigences particulières de l'organisation de
certains services ou de la spécificité de certaines fonctions... ». Dans les
faits, une très grande majorité de contractuels exercent les mêmes fonctions et
ont les mêmes obligations que les fonctionnaires avec les mêmes horaires. Dès
lors, et ce sera le sens de l'un des amendements que nous vous proposerons,
rien ne justifie l'exclusion de La Poste et de nombre d'établissements publics
du dispositif que nous examinons.
J'en viens à présent aux emplois-jeunes. Ce dispositif que nous avons soutenu,
mis en place pour répondre aux attentes de très nombreux jeunes exclus de
l'emploi, arrive bientôt à son terme. Conformément à la volonté, là aussi, de
l'ensemble des membres de la majorité plurielle, telle qu'elle s'exprime lors
de la déclaration commune du 7 novembre dernier, l'objectif est de parvenir à
garantir un débouché professionnel à chacun des jeunes inscrits recrutés selon
ces modalités. A cette fin, notre groupe présentera un certain nombre
d'amendements pour permettre aux titulaires d'emplois-jeunes, mais également à
l'ensemble des personnes recrutées dans le cadre de contrats dits aidés,
d'intégrer chaque fois que cela est possible et selon leur voeu les fonctions
publiques.
Certes, s'il ne s'agit pas d'offrir à chacun des jeunes un poste de titulaire
de la fonction publique, au moins s'agit-il de permettre à chacun de bénéficier
d'une égalité de traitement dans l'accès aux carrières de la fonction
publique.
Ainsi nous inscrivons-nous pleinement dans le dispositif proposé aujourd'hui
par le Gouvernement pour résorber l'emploi précaire. Il nous importe cependant
d'en indiquer les faiblesses, voire les limites, dans le but que ce plan
parvienne à une réelle résorption de la précarité dans l'emploi public, comme
vous l'avez vous-même proposé, monsieur le ministre.
On le sait, le dernier dispositif en date mis en oeuvre dans le cadre de la
loi Perben devrait à ce titre nous éclairer. Ainsi, dans la fonction publique
territoriale, comme cela a été rappelé par M. le rapporteur, sur les 50 000
agents recensés en début d'application de la loi Perben, seuls 8 522 ont pu
être titularisés. Dans la fonction publique d'Etat, sur près de 50 000
candidats potentiels, seuls 30 000 ont été intégrés.
Le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui est certes plus ambitieux, mais
mérite à mon sens d'être renforcé. Les organisations des personnels sont
porteuses d'un certain nombre de propositions qu'il nous faut entendre et que,
par manque de temps, je ne peux citer dans leur ensemble, mais la mutualisation
des moyens, la mise en place de brigades de renforts, l'instauration de formes
adaptées d'organisation du travail sont pour nous des pistes à exploiter, la
validation des acquis professionnels inscrite dans le texte étant à ce titre
une avancée, qui pourrait être poussée plus loin.
Nous attendons également beaucoup de la réduction du temps de travail dans la
fonction publique, et peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous
informer de l'état des négociations sur cette question.
Nous nous étonnons de l'absence de mesures financières adaptées aux visées de
ce projet de loi.
Bien souvent, en effet, la précarité dans la fonction publique territoriale
trouve son origine dans la faiblesse des crédits budgétaires. Une hausse
importante de la DGF permettrait de résorber bien des emplois précaires. Je
crois que l'on ne peut pas s'engager à résorber l'emploi précaire sans prendre
en considération la faiblesse des ressources des collectivités
territoriales.
En effet, combien de titulaires de contrat emploi-solidarité ou de contrat
emploi consolidé remplissent, du fait de la modestie des moyens financiers des
collectivités, des missions dévolues ordinairement à des fonctionnaires et
devraient être titularisés ?
En outre, la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique ne doit
pas se faire au détriment des procédures de promotion des agents titulaires, en
l'absence de moyens financiers adaptés et d'un dispositif « hors contingent ».
Ce risque est réel.
Bien des questions pourraient encore être évoquées mais mon temps de parole
est compté.
Pour nous, la question de l'emploi public n'est pas un dogme mais s'inscrit
pleinement dans le cadre d'une réforme de l'Etat au service du progrès et de la
justice. De la nation à l'Europe, un modèle de développement et de progrès
original peut voir le jour. Les services publics, nationaux - mais pourquoi pas
également européens ? - pourraient constituer dans ce cadre un laboratoire
original où prévalent d'autres choix que la concurrence économique, et ce pour
le bien de tous.
Les amendements que nous apporterons à ce texte participent de cette logique
et nous souhaitons vivement que certains fassent l'objet d'une attention
particulière du Gouvernement et des membres de notre assemblée.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qui nous réunit aujourd'hui affiche une ambition légitime : donner la
priorité à une meilleure gestion des ressources humaines dans la fonction
publique.
Cette ambition - condition inséparable d'une meilleure gestion publique - a
déjà présidé à la création de l'Observatoire de la fonction publique par décret
du 13 juillet 2000.
Dans un souci de transparence, cet organisme a pour mission de collecter,
d'exploiter et de diffuser l'information sur l'emploi dans les trois fonctions
publiques - ce qui fera de lui un interlocuteur privilégié pour le Parlement -
et de doter l'administration d'outils fiables et opérationnels de gestion
prévisionnelle de l'emploi et des compétences.
Le présent projet de loi s'appuie sur la détermination du Gouvernement à
lutter contre la précarité de l'emploi, tout en oeuvrant à la nécessaire
modernisation de l'Etat.
Dans cette logique, le 10 juillet dernier, le ministre de la fonction publique
et de la réforme de l'Etat a signé un accord avec six des sept fédérations de
fonctionnaires. Etape importante dans la poursuite d'un dialogue social de
qualité, cet accord prévoit un plan de résorption de l'emploi précaire dans les
trois fonctions publiques ; il est complété par un important volet visant à une
meilleure gestion de l'emploi public.
Le Gouvernement, qui s'était engagé auprès des syndicats signataires à prendre
les mesures législatives nécessaires à l'application de l'accord dès 2001, a
donc déclaré l'urgence sur ce texte, afin de relayer le dernier plan de
résorption en cours, dit plan Perben, qui arrive à échéance avec le siècle.
Urgence également, et surtout, parce que la lutte contre toute forme de
précarité constitue une priorité nationale. Urgence encore, parce que le départ
en retraite annoncé d'un grand nombre d'agents dans les dix années à venir
offre à la fonction publique l'occasion unique de reconsidérer ses moyens de
recrutement pour les rendre plus modernes, plus réactifs et, par conséquent,
plus efficaces. Urgence enfin, parce que l'application prochaine de
l'aménagement et de la réduction du temps de travail à la fonction publique
entraîne une réflexion sur l'organisation du travail qui fera bénéficier les
fonctionnaires d'une véritable « avancée sociale », tout en permettant
d'améliorer le service rendu au public. L'urgence est donc justifiée.
Le projet de loi se décline selon trois volets : résorption de l'emploi
précaire, modernisation du recrutement, aménagement et réduction du temps de
travail dans la fonction publique territoriale.
La fonction publique ne saurait tolérer un système de recrutement qui repose
en partie sur l'emploi précaire. Ce constat partagé a déjà donné lieu à des
mesures législatives, qui n'ont pas eu suffisamment les effets escomptés.
Le dispositif Perben du 16 décembre 1996 a abouti à la titularisation de près
de 55 000 agents. Bien que les derniers concours réservés ne soient pas encore
clos, le bilan semble malheureusement d'ores et déjà insuffisant, voire
décevant. Tous les agents en situation précaire n'ont pu être titularisés et la
précarité, loin de disparaître et même de diminuer, s'est reconstituée.
Pour la seule fonction publique territoriale, le bilan de la loi Perben a
montré les limites et l'insuffisance des concours réservés. En près de quatre
ans, moins de 10 000 agents - sur les 50 000 à 70 000 visés - auront pu
bénéficier de l'accès à ces concours, tandis qu'un nombre très important de
contractuels, dont l'ancienneté est supérieure à cinq ans, voire à dix ans,
demeure en fonction dans des conditions très incertaines. Ces chiffres disent
assez combien des mesures efficaces sont attendues pour réguler le recours au
travail précaire. A cette fin, le protocole du 10 juillet envisage un
dispositif à la fois plus ambitieux et plus généreux que le plan précédent.
Eliminons toutefois d'emblée un élément de confusion. Certains se demanderont
sans doute pourquoi les bénéficiaires d'un contrat emploi-solidarité, d'un
contrat emploi consolidé ou d'un emploi-jeune sont exclus du dispositif. Il
faudra alors leur rappeler que nous examinons ici la situation de contractuels
de droit public, alors que la plupart des emplois que je viens d'évoquer
relèvent du droit privé et que l'avenir professionnel de ces personnes n'est
pas nécessairement lié à l'administration. Cela ne signifie pas pour autant que
le Gouvernement néglige leur sort, qui sera, au contraire, discuté dans un
cadre plus large.
J'en viens à présent au plan de résorption qui s'étalera sur cinq ans. Il
concerne les agents en contrat à durée déterminée de droit public exerçant des
fonctions normalement dévolues à des fonctionnaires, qu'ils soient
contractuels, vacataires, temporaires ou auxiliaires. Son champ d'application
est élargi aux trois catégories, alors que les catégories A ou B étaient
écartées du précédent accord. Les conditions d'ancienneté sont également
grandement assouplies.
Je m'attacherai à mettre l'accent sur les « nouveautés » du texte qui nous est
proposé aujourd'hui.
Au-delà des concours réservés, certains non-titulaires pourront bénéficier
d'examens professionnels, notamment les maîtres auxiliaires, et même, dans la
fonction publique territoriale, d'une intégration directe sans changement
d'affectation, car la pratique exige de prendre en compte avec souplesse la
situation d'agents contractuels dont l'emploi s'est, de fait, pérennisé. Les
délais importants d'organisation des concours empêchent de combler rapidement
les vacances dans des emplois pourtant nécessaires au bon fonctionnement des
services, et il a trop souvent semblé plus facile de conserver des agents
connus et formés à l'emploi plutôt que de recruter des candidats issus des
concours.
Attention, toutefois ! Le concours, même spécifique, demeure la règle : il est
seul garant du principe constitutionnel d'égal accès aux emplois publics. Si
les personnels contractuels méritent une reconnaissance légitime, il faut
néanmoins mesurer les risques de dérive statutaire. Le projet de loi va
permettre l'intégration d'agents non titulaires qui ne subiront pas l'épreuve
d'un concours. Pourtant, des concours ordinaires ont été organisés, des
lauréats à des concours demeurent sur liste d'aptitude - les fameux «
reçus-collés » de la fonction publique territoriale - et des fonctionnaires
pris en charge, titulaires de leur grade, restent sans emploi.
L'objet essentiel de ce projet de loi est bien d'esquiver les écueils
précédemment mis à jour, et répondre à l'urgence n'exempte pas de créer des
dispositions pérennes pour éviter la reconstitution de l'emploi précaire, à
commencer, je vous en félicite, monsieur le ministre, par la transformation de
crédits de rémunération de contractuels ou de vacataires en emplois
budgétaires.
Il s'agit également de moderniser les procédures de concours et de mieux
encadrer l'emploi contractuel.
Une politique volontariste de diversification des modes d'accès à la fonction
publique conduit à reconnaître la validation de l'expérience professionnelle et
l'action des bénévoles pour présenter sa candidature à un concours ordinaire,
possibilité qu'il semblerait logique d'étendre à la fonction publique
territoriale, je pense que sur ce point nous sommes tous d'accord, puisqu'elle
est la seule à en être exclue ; c'est d'ailleurs ce que nous proposerons.
Dans certaines conditions, on permettra l'organisation de recrutements de type
troisième concours, autant de mesures qui s'inscrivent dans une perspective
d'ouverture de la fonction publique et de valorisation des compétences acquises
au cours d'un parcours professionnel varié au service ou à l'extérieur de
l'administration.
Quant à la pratique du concours sur titres ou sur « titres et travaux », sa
consécration législative permettra un recrutement rapide et adapté, notamment
pour les emplois à caractère technique ou scientifique, tout en contribuant à
la réduction d'emplois de non-titulaires.
La simplification de l'organisation des concours passe, pour la fonction
publique d'Etat, par une déconcentration : les ministres pourront accorder une
délégation de compétences aux préfets. De surcroît, pendant une durée de cinq
ans, le recrutement au premier niveau de la grille de la fonction publique de
l'Etat s'effectuera sans concours, comme c'est déjà le cas dans les fonctions
publiques territoriales et hospitalières.
En ce qui concerne la fonction publique territoriale, conformément au
protocole signé le 10 juillet 2000, les centres de gestion auront à jouer un
rôle accru quant à la gestion prévisionnelle des emplois.
Enfin, des mesures ont pour vocation d'encadrer le recours légal à l'emploi
précaire. Ainsi les conditions de recrutement des agents contractuels sur des
emplois à temps incomplet sont limitées à 70 % d'un temps complet dans la
fonction publique de l'Etat.
De même, le recours à des contractuels sur des emplois à temps incomplet dans
les collectivités de moins de 2 000 habitants est supprimé. Le Gouvernement
estime que, depuis l'introduction de ce recours en 1987, bien des rigidités ont
disparu et qu'il serait regrettable de maintenir la précarité là où la
souplesse existe. Nous en débattrons à l'appel de l'article 13 et de l'article
additionnel proposé par notre commission des lois qui, lui, conjugue la
question du cumul d'activités publiques et privées, question qui mérite un
ample débat. Dernier axe du projet de loi : son titre III transpose à la
fonction publique territoriale, à compter du 1er janvier 2002, le cadre établi
par le décret du 25 août 2000 pour la fonction publique de l'Etat en matière
d'aménagement et de réduction du temps de travail.
Comme l'avait établi clairement le rapport Roché, les pratiques sont très
diverses. Selon la direction générale des collectivités locales, environ 500
000 agents - soit près de 40 % - bénéficieraient d'ores et déjà de réductions
de temps de travail librement décidées par les collectivités territoriales,
qui, n'ayons pas peur de le dire, se montrent plutôt exemplaires dans ce
domaine.
Bien évidemment, la rédaction proposée veille légitimement à concilier le
principe de libre administration des collectivités territoriales et l'unité de
la fonction publique, donc le principe de parité dans les situations de travail
des agents.
Il importait qu'un cadre national strict permette un traitement égal de tous
les fonctionnaires.
En l'occurrence, il s'agit de définir les règles et garanties essentielles,
dans des termes semblables à ceux qui sont retenus pour les fonctionnaires
d'Etat par le décret du 25 août 2000.
Premier employeur de la nation, l'Etat se devait d'adopter des mesures
volontaristes pour protéger ses salariés contre la précarité, en réduisant
enfin de manière efficace le nombre d'employés hors statut dans les
administrations et les hôpitaux.
Nous devons donc nous réjouir que le Sénat ait la primeur d'un texte qui
permettra de sortir certains agents d'une situation préoccupante, de combattre
des habitudes préjudiciables de gestion des personnels, tout en améliorant non
seulement les conditions de travail des agents, mais également la qualité et
l'efficacité des services rendus par l'administration aux citoyens.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi dont nous sommes saisis comporte trois volets, dont le troisième, celui qui
est relatif à la durée et à l'aménagement du temps de travail, précise
seulement que le droit commun s'applique à la fonction publique territoriale
dans les mêmes conditions qu'à la fonction publique d'Etat, selon des modalités
déterminées par un décret en Conseil d'état.
Cette formulation lapidaire ne prête donc guère à débat, hormis par son
imprécision même et par le fait qu'elle ne fait pas mention de la fonction
publique hospitalière, au sein de laquelle la réduction du temps de travail
n'ira pas sans poser d'énormes problèmes de financement, d'organisation, de
charge de travail pour les personnels et ne sera pas - il faut le craindre -
sans conséquence sur l'attention portée aux patients hospitalisés.
Je m'attarderai donc davantage sur le problème de la résorption de l'emploi
précaire dans la fonction publique territoriale, ainsi que sur les dispositions
envisagées en termes d'assouplissement des recrutements.
Les mesures envisagées étaient nécessaires. Seront-elles suffisantes ? Les
mêmes causes ne finiront-elles pas par produire les mêmes effets ? On peut le
craindre car, pour l'essentiel, les rigidités et les manques de réactivité du
dispositif demeurent. J'y reviendrai dans un instant.
Mais je voudrais, d'abord, m'élever contre le ton souvent excessivement
accusateur qu'emploient les services préfectoraux à l'égard des responsables
des collectivités territoriales, s'agissant des salariés contractuels.
L'Etat est-il tellement plus vertueux dans ce domaine ? Employeur unique,
puisant dans un vivier unique, il devrait pourtant lui être plus facile de
répondre, dans le respect de la réglementation, à ses besoins en
fonctionnaires. On ne peut que s'inquiéter des intentions manifestées par
certains de porter devant la juridiction pénale des affaires de recrutement sur
le fondement de l'article L. 321 du code pénal.
Ce climat ne semble pas le meilleur pour tenter de régler dans la sérénité un
problème réel, conséquence de difficultés réelles pour lesquelles les réponses
appropriées n'ont pas été apportées à ce jour ou n'ont pas été mises en oeuvre
d'une manière suffisamment efficace.
Il convient de souligner également, me semble-t-il, que la précarité est, en
la circonstance, une notion très relative du point de vue des personnes
concernées.
Aucun maire n'engage de contractuel pour contrevenir à la loi. Aucun maire
n'engage de contractuel pour pénaliser l'intéressé. S'il le fait, c'est pour
répondre à un besoin qu'il n'est pas arrivé à satisfaire par ailleurs. Et il
assume le risque que représente le coût considérable des indemnités de chômage
à payer par la collectivité au terme du contrat ou à la suite d'un
licenciement, pour quelque cause que ce soit.
Il s'agit donc moins de protéger des salariés, en vérité fort peu menacés et,
le plus souvent, satisfaits de leur situation, que de se conformer à des
dispositions légales et réglementaires, ambition à laquelle on ne peut, sur le
plan des principes, qu'adhérer pleinement.
Or, il faut bien le reconnaître, les dispositions mises en oeuvre jusque-là ne
permettaient pas d'assumer dans les formes et dans les délais requis cette
ambition, leur efficacité concrète était trop souvent fort contestable et, en
tout état de cause, elle ne permettait pas de tendre vers l'excellence.
Comment, d'ailleurs, pourrait-il en être autrement alors que 50 000 employeurs
potentiels environ sont appelés à choisir dans un vivier unique le
collaborateur ou la collaboratrice qui correspond très exactement à leur besoin
du moment, ce vivier unique représentant de surcroît une part infime de la
population active du pays ? C'est donc, sans doute, plus d'une révolution dont
nous aurions besoin dans ce domaine que de modestes mesures
d'assouplissement.
Certains emplois très spécifiques doivent être obligatoirement occupés par des
personnels ayant suivi une formation de fonctionnaires. Ce sont ceux, surtout,
de la filière administrative.
En revanche, un ingénieur, un technicien, un dessinateur, un moniteur sportif,
un électricien, un conducteur d'énergie n'ont à avoir, dans une collectivité
territoriale, ni une autre formation ni une autre compétence que celle qui leur
serait demandée dans une entreprise de droit privé.
Le bon sens voudrait qu'à compétence professionnelle attestée les
collectivités territoriales puissent, dans cette situation-là, assurer
elles-mêmes un recrutement ouvert. Toutes les règles du management
commanderaient qu'il en soit ainsi.
Dans la pratique, c'est souvent vers des solutions alternatives, mais
insatisfaisantes, que l'on finit par s'orienter, et cela par défaut, alors même
que ces solutions peuvent pénaliser lourdement les agents concernés.
J'illustrerai mon propos par deux exemples très concrets que je connais bien
pour les avoir vécus ces deux derniers mois dans ma commune, mais qui
pourraient être multipliés à l'infini.
A la suite du départ inopiné de deux techniciens territoriaux - les départs ne
sont pas tous programmés, notamment en cette période de reprise économique, et
plus encore au voisinage immédiat de pays proches demandeurs de main-d'oeuvre -
j'ai été dans l'obligation de les remplacer rapidement, l'un pour la gestion du
patrimoine immobilier de la ville, l'autre pour la gestion de la voirie
communale.
Malgré des publications répétées, malgré les demandes formulées auprès des
différents centres de gestion, aucun candidat stagiaire ou titulaire ne s'est
manifesté. En revanche, une trentaine de postulants, titulaires pour le moins
d'un BTS, ont été recensés.
Nous en avons retenu deux. Pour ne pas encourir les foudres du contrôle de
légalité, nous les avons engagés dans les règles, avec le titre et la
rémunération d'agents d'entretien, soit 6 093 francs net par mois, en espérant
qu'ils réussiront, à la prochaine session, leur concours de techniciens
territoriaux.
Celui des deux qui est âgé de trente ans, qui a acquis dans des entreprises de
travaux publics une véritable expérience de terrain, débutera comme stagiaire,
puis atteindra le premier échelon de son grade..., après qu'il aura accompli
son année de formation initiale sur laquelle il y aurait également bien des
choses à dire.
De la même manière, il nous est arrivé tout récemment de devoir remplacer, à
la suite d'un décès, un électricien appelé à travailler d'une manière autonome
et à exercer des responsabilités importantes. Aucun candidat ne s'est présenté
dans le cadre réglementaire. En revanche se sont présentés d'assez nombreux
candidats externes, dont certains à la recherche d'un emploi à la suite de la
défaillance de leur entreprise.
Au grade d'agent d'entretien stagiaire, nous avons engagé un homme de
trente-cinq ans, titulaire d'un BTS et riche d'une longue expérience
professionnelle acquise dans les mines de potasse, qui ont avancé inopinément
la date de cessation de leur activité.
De telles situations ne sont pas compatibles avec la dignité à laquelle peut
prétendre un salarié.
Ce n'est pas de la sorte que l'on donnera à nos collectivités territoriales,
pour les décennies à venir, les moyens humains qui leur seront nécessaires pour
assurer, au service du public, les missions de plus en plus complexes qui sont
les leurs.
Il ne paraît pas normal que, dans une économie en pleine mutation comme l'est
la nôtre, rien ne soit prévu, notamment pour que la fonction publique participe
à la mobilité des compétences et accueille en son sein des hommes et des femmes
qui y trouveraient le prolongement de leur carrière antérieure, sans en perdre
le bénéfice, et qui enrichiraient la collectivité de leur savoir-faire et de
leur expérience.
On ne peut, bien entendu, qu'adhérer à chaque petit pas fait dans le sens d'un
assouplissement de règles qui apparaissent archaïques à bien des égards.
Mais, au point où nous en sommes, il est probable que, d'ici peu d'années, le
problème se reposera dans les mêmes termes, puisque subsisteront pour
l'essentiel la rareté des candidats dans certaines filières, la complexité et
la durée de mise en oeuvre des concours, la fréquente inadaptation des
épreuves, la modestie des traitements de début de carrière, l'impossibilité de
prendre en compte l'ancienneté de service hors fonction publique, la difficulté
de gestion des listes d'aptitude.
Il convient, me semble-t-il, de souligner ici le mérite des centres de gestion
qui, dans ce maquis d'une extraordinaire complexité, s'efforcent de mettre leur
compétence au service des collectivités et des agents territoriaux.
Echelons de proximité à la dimension irremplaçable du département, animés au
quotidien par des élus locaux, lieux de rencontre à travers les commissions
paritaires, ils ont toujours su s'adapter, au gré de l'évolution de la
réglementation, pour répondre à l'attente des collectivités dans les domaines
les plus divers concernant la gestion de leur personnel.
Ils savent également, pour l'organisation de certains concours, pour la
gestion prévisionnelle de l'emploi, pour la mise en oeuvre d'outils techniques,
s'organiser en réseaux de géométrie variable et mettre ainsi en synergie leurs
potentialités.
Leur fonctionnement constitue l'exemple même d'une décentralisation à laquelle
nous sommes fondamentalement attachés, chaque fois qu'elle permet de conjuguer
proximité et efficacité.
Aussi pensons-nous devoir mettre en garde contre toutes les tentations et
toutes les tentatives de centralisation qui ne pourraient conduire qu'à
l'extraordinaire alourdissement d'un fonctionnement déjà bien complexe, nous
l'avons vu, ainsi qu'au renforcement du pouvoir administratif au détriment de
celui des élus, qui tirent leur légitimité du suffrage de leurs concitoyens
d'abord, de leurs pairs ensuite.
La commission des lois, à travers son rapporteur, notre collègue Daniel
Hoeffel, orfèvre en la matière, nous propose, moyennant la prise en compte d'un
certain nombre d'amendements, d'adopter le projet de loi qui est soumis à notre
appréciation.
Je me rallierai, avec mes collègues du groupe du Rassemblement pour la
République, à cette position, tout en étant conscient que d'autres pas
significatifs resteront à faire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Garrec.
M. René Garrec.
Monsieur le ministre, je ne vais pas vous expliquer ce projet de loi, vous le
connaissez mieux que moi !
(Sourires.)
Je me contenterai de quelques remarques générales, M. le
président nous ayant demandé d'être brefs.
Depuis cinquante ans, l'Etat s'efforce périodiquement de mettre fin aux
recrutements d'agents non titulaires dans la fonction publique.
Le statut général des fonctionnaires dispose que : « les emplois permanents de
l'Etat, des départements, des communes et de leurs établissements publics à
caractère administratif sont occupés par des fonctionnaires ».
Mais il précise aussi que, par « des dérogations prévues par une disposition
législative », des non-titulaires peuvent être embauchés. Dans certains cas,
pour les assistantes maternelles par exemple, c'est même une obligation.
Ce dispositif permet donc une certaine souplesse dans la gestion du
personnel.
Je ne reviens pas, malgré la tentation, sur le nombre d'agents non titulaires
exerçant dans la fonction publique de l'Etat et dans la fonction publique
territoriale. Malgré les plans de résorption successifs, le nombre de
non-titulaires reste à peu près constant.
Il faut donc reconnaître que les plans précédents n'ont pas pu résoudre le
problème. Pourquoi ? Il y a une explication simple : trop timides, peut-être,
les plans ne concernaient que les catégories d'agents les moins élevés dans la
hiérarchie, les agents de catégorie C. Peut-être aurait-il fallu aller plus
loin, ce que vous faites aujourd'hui avec ce projet de loi, monsieur le
ministre.
Par ailleurs, on constate depuis quelque temps, une certaine désaffection pour
l'administration, en particulier pour la haute fonction publique. Ainsi, le
nombre de candidats à l'ENA a décru d'environ 30 %. Dans le même temps, le
phénomène du « pantouflage », pour reprendre le terme consacré, a pris de
l'ampleur, et l'on assiste à une fuite des cerveaux, qui s'explique sans doute
par la croissance et par les meilleures rémunérations offertes dans le secteur
privé, ainsi peut-être que par le fait que le secteur public apparaît moins
attractif qu'auparavant.
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une perte sèche pour l'administration, qui a
formé ces fonctionnaires, et le Sénat, qui en est bien conscient, a demandé la
mise en place d'une mission d'information sur ce sujet.
Enfin, je m'intéresserai davantage aux collectivités locales, en particulier
aux régions, que je connais mieux.
On rencontre souvent des difficultés pour créer un emploi qui n'entre pas dans
une catégorie connue. On ne sait pas comment le pourvoir, alors on engage un
contractuel et l'on attend l'autorisation du préfet. Ensuite, cette situation
perdure.
Je suis président de ma région depuis 1986 - ce qui est beaucoup trop,
penserez-vous peut-être, monsieur le ministre, vous qui l'avez été moins
longtemps - et je connais des contractuels qui sont employés depuis plus de dix
ans, qui ont les diplômes et les compétences nécessaires. Je trouve un peu
immoral et inique que l'on ne puisse pas les titulariser sur titres ou à la
suite d'un entretien avec un jury d'examen. Ils mériteraient cette
titularisation ; les maintenir dans un statut précaire, c'est leur dénier toute
considération.
Il s'agit bien de précarité, car rien ne dit que j'occuperai encore pendant
vingt ou trente ans la présidence de ma région - ce serait beaucoup ! - et rien
ne prouve non plus que mon successeur, qui ne sera peut-être pas de la même
tendance politique, n'estimera pas que ces personnes sont trop âgées, en tout
cas bonnes à mettre à la retraite, à déplacer ou à oublier dans un placard.
Il faut donc faire quelque chose pour ces fonctionnaires contractuels, dont la
précarité présente peut-être un caractère politique et que l'on devrait pouvoir
traiter de façon normale, comme doit l'être tout fonctionnaire, tout individu
qui a travaillé pour sa collectivité.
J'ai déposé un certain nombre d'amendements, avec un succès très mitigé en
commission, succès mitigé qui s'explique sans doute par la qualité
exceptionnelle du rapport de M. Hoeffel ou par la médiocrité de mes
propositions. En tout cas, il en est un parmi eux que je m'efforcerai de
défendre.
J'avais préparé quelques réflexions malicieuses sur la corrélation qu'il est
possible d'établir entre tous les textes qui paraissent actuellement sur la
fonction publique et les élections, mais le moment me paraît mal venu et, vous
connaissant, la critique mal adressée. Ce serait apparenter votre réflexion
politique à la conjonction des planètes, phénomène rare, ce qui prouve votre
bonne foi.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Cela dépend
de quelles planètes !
(Sourires.)
M. René Garrec.
La conjonction des planètes est toujours extrêmement rare.
Je ne retiendrai de ce projet de loi que son ambition, qui me paraît
intéressante. Mais, après le rapport excellent de notre rapporteur, M. Daniel
Hoeffel, rapport tout à fait remarquable, auquel mon groupe accorde toute la
considération qui lui est due, pour ma part, je regrette de ne pas avoir pris
le sujet plus en aval, ce que je ferai la prochaine fois.
(Applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est
soumis aujourd'hui comporte deux volets, consacrés l'un à la résorption de
l'emploi précaire et l'autre à l'application des 35 heures dans la fonction
publique territoriale.
La loi sur les 35 heures a été votée mais je veux réaffirmer que cette loi
imposée est contraire à la volonté de nombreux salariés du secteur privé qui
veulent améliorer leur situation et celle de leur famille par leur travail.
Elle est antisociale, car elle condamne ceux dont le salaire de base est
modeste à ne pas pouvoir faire progresser leur revenus. Cela étant dit, des
lors qu'elle a été votée, il est normal qu'elle s'applique au secteur public
comme au secteur privé et, bien sûr, dans les trois fonctions publiques.
Je m'attacherai donc, au nom du groupe du Rassemblement démocratique social
européen, à analyser le volet « emploi précaire » de ce projet de loi, avant de
proposer que cette mesure soit l'occasion de mettre en place une meilleure
répartition territoriale des agents de la fonction publique d'Etat.
Nul ne peut être défavorable à la résorption de l'emploi précaire et à la
volonté de moderniser le recrutement dans la fonction publique. Le bon sens,
comme la volonté de justice nous conduisent à soutenir ces mesures.
D'une part, le bon sens nous pousse à conduire cette réforme puisque, comme
toute démocratie moderne, la France a besoin de se doter d'une fonction
publique performante au moment où toute une génération va devoir être
remplacée.
D'autre part, l'aspect humain et social est primordial. A l'heure où la
société tente de développer des garde-fous contre l'exclusion et la précarité,
certains agents de la fonction publique vivent dans une incertitude
intolérable. Je recevais récemment à ma permanence une jeune femme recrutée
comme contractuelle voilà sept ans et dont les contrats à durée déterminée
étaient renouvelés tous les six mois ! Dans ces conditions, aucun projet
personnel ne lui était possible.
Je crains que cet exemple ne soit pas unique. L'Etat employeur devient
exploiteur, se trouve dans la complète illégalité et impose à son personnel ce
qu'il interdit aux employeurs du secteur privé.
Je me réjouis que l'intégration des contractuels soit favorisée. Leur valeur
ajoutée est forte : ils sont généralement bien formés, spécialisés et ont
accumulé des expériences professionnelles ainsi que des méthode du travail dont
la fonction publique bénéficiera.
Aussi, je comprends mal que certains agents non titulaires de catégorie A,
recrutés en raison de l'absence de lauréats aux concours organisés et capables
d'assumer des fonctions spécifiques ne puissent bénéficier d'une intégration.
Avec mes collègues Fernand Demilly et Bernard Joly, nous avons déposé un
amendement pour que ces contractuels, s'il le souhaitent, puissent bénéficier
d'un CDI.
Cependant, cette intégration ne signifie pas rigidité. Si la possibilité
d'intégration dans la fonction publique territoriale doit être ouverte aux
agents non titulaires, la possibilité de recourir à des contractuels doit être
maintenue pour le recrutement des personnels à temps non complet dans les
petites communes de moins de 2 000 habitants. Monsieur le ministre, la majorité
des 32 000 maires de ces petites communes vous le confirmeraient.
A l'occasion de l'examen de ce texte, je souhaite également vous interroger
sur le devenir des emplois-jeunes. Ils ne sont, bien sûr, pas concernés par le
protocole d'accord du 10 juillet 2000, puisque leurs contrats sont des contrats
de droit privé. Toutefois, comme ils sont financés à 80 % par l'Etat, les 276
000 jeunes recrutés au 1er septembre 2000 ont lieu de s'interroger. Les jeunes
adjoints de sécurité seront vraisemblablement intégrés par un concours
particulier, mais je pense notamment aux 22 % qui sont employés dans les
collectivités locales. Qu'est-il prévu à leur sortie du système ? Le
Gouvernement a raté sans doute l'occasion de conduire une réflexion sur des
jeunes qui, demain, pourraient être en situation de précarité d'emploi.
Je voudrais insister sur le régime exceptionnel et dérogatoire des mesures que
vous envisagez. Le concours doit rester le mode de recrutement par excellence
pour accéder à la fonction publique.
M. Claude Domeizel.
Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est sur cette base qu'a pu se constituer une fonction publique de qualité
fondée sur la méritocratie. L'ascenseur social fonctionne efficacement dans le
secteur public.
Enfin, je formulerai un espoir : que cette réforme permette une plus grande
déconcentration des ministères. Face à l'engorgement parisien et au besoin de
proximité des citoyens, vous avez le pouvoir et le devoir, monsieur le
ministre, de conduire cette réforme dans une logique d'aménagement du
territoire.
Vous pouvez, pour cela, vous appuyer sur une expérience : les agents du
ministère des affaires étrangère installés à Nantes ont certainement une
qualité de vie bien supérieure à nombre de leurs homologues parisiens. Vous
inspirerez-vous de cet exemple et des aspirations de la plupart des
fonctionnaires à une meilleure qualité de vie pour redessiner la carte de la
fonction publique de l'avenir ?
Le Gouvernement livre, avec ce projet de loi, un combat permanent et ancien,
puisque le premier plan de titularisation remonte à 1950. Ce rocher de Sisyphe
moderne a résisté à un changement de République et à de multiples
gouvernements, appartenant aux majorités les plus diverses.
Monsieur le ministre, nos attentes sont à la hauteur de l'enjeu. Les
injustices doivent tous nous mobiliser !
(Applaudissements sur les travées
du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Monsieur le ministre, je prends acte des propos que vous avez tenus sur
l'emploi précaire dans les services de l'Etat à l'étranger. C'est un engagement
ferme de réduire la précarité que connaissent les agents contractuels de l'Etat
français dans le monde que vous avez pris ainsi, et je vous en sais gré.
Mais il est certain que les difficultés que connaissent ces personnels
dépassent de beaucoup le cadre de ce projet de loi. Il faut rappeler que quatre
grandes catégories d'emplois sont précaires dans les services de l'Etat à
l'étranger. Le dénombrement que j'en ferai n'est pas exhaustif. En tout cas, 20
000 personnes sont concernées, dont 25 % de Français.
Les services du réseau diplomatique et consulaire emploient plus de 5 000
recrutés locaux sur des postes administratifs de fonctionnaires.
Le réseau culturel en emploie 5 200, dont 1 000 Français contractuels et
vacataires.
L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, en emploie 10 000,
dont 5 000 enseignants.
Quelques centaines d'assistants techniques contractuels, issus du secteur
privé, sont en fonction, sans garantie de réemploi en France à l'issue de leur
mission.
Il s'agit d'effectifs importants en pourcentage du total des agents de l'Etat
à l'étranger.
Dans le réseau diplomatique et consulaire, les recrutés locaux contractuels et
vacataires représentent 61 % du personnel total et 75 % de la catégorie C. Dans
le réseau culturel, les contractuels et les vacataires représentent au moins 90
% du personnel.
A l'AEFE, la moitié des enseignants sont recrutés locaux.
Un ministre qui a récemment quitté le Gouvernement se scandalisait que les
entreprises aient 10 % de personnels permanents en CDD. L'Etat fait bien pis à
l'étranger et il est généralement très mauvais employeur au niveau tant des
pratiques sociales que des salaires.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Par un télégramme du 13 novembre 1999, le ministre des affaires étrangères a
donné les grandes lignes d'un plan d'action pour le recrutement local qui
dessine, en creux, l'image de relations sociales dignes du XIXe siècle. Il est
ainsi recommandé de respecter enfin le droit local, ce qui signifie qu'il n'est
toujours pas respecté. Des instructions sont données pour l'information des
agents, pour la transparence des recrutements, pour l'élaboration de grilles de
salaires, pour l'assurance maladie des agents ; en pratique, tout cela est très
peu respecté.
Pour ma part, je peux témoigner que, en dépit de quelques exceptions heureuses
dues à la personnalité du chef de poste, ambassadeur ou consul, l'arbitraire
règne toujours en matière de recrutement, de licenciement et de salaires.
Ainsi, il sufffit de placer une assistante bilingue diplômée bac + 5 dans la
catégorie des agents de bureau et de ne pas lui communiquer la grille de
salaire en vigueur pour la payer une misère. Je dis « la » parce qu'il s'agit
généralement de femmes.
L'ambassadeur Amiot signale des pratiques de licenciement, souvent abusifs et
sans indemnités, pour l'année 1998 ; on en relève 180 dans les six premiers
mois de l'année pour le seul réseau diplomatique et consulaire. Ce n'est pas
peu !
Je reconnais que des progrès ont été faits pour l'assurance maladie des agents
français, mais ce n'est pas le cas pour les étrangers. Aux Etats-Unis, la
modicité de rémunération de nos agents contractuels américains ne leur permet
pas de disposer d'une assurance maladie.
Le recours à la vacation horaire est un moyen courant, surtout dans les
services culturels, pour éviter de respecter les droits sociaux.
En fin de contrat, aucune indemnité de licenciement ou de fin de contrat n'est
versée.
Pour conclure, je dirai que notre présence à l'étranger, dans les ambassades
et les consulats, au sein de notre réseau culturel, dans les écoles, dans
l'assistance technique, repose encore, en dépit des déclarations d'intention,
sur l'exploitation des personnels de recrutement local, qui, je le répète, sont
majoritairement des femmes.
Le ministère des affaires étrangères a vu son budget trop diminuer au cours
des 15 dernières années, le nombre de ses emplois trop baisser - il en a perdu
plus de 1 000 en dix ans - pour pouvoir faire fonctionner dignement, dans le
respect des droits de tous ses personnels, son réseau diplomatique, culturel,
scolaire et de coopération.
Je terminerai sur une métaphore : la présence officielle de la France à
l'étranger, c'est le XVIIIe siècle élégant au salon et le sombre XIXe siècle à
l'office. C'est une situation que, par cette loi ou par les mesures à venir,
conformément à vos engagements, monsieur le ministre, le gouvernement de Lionel
Jospin doit corriger au plus tôt.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre ans
après la loiPerben sur la résorption de l'emploi précaire dans la fonction
publique, il nous est aujourd'hui proposé de nous pencher à nouveau sur la
situation des effectifs de non-titulaires dans la fonction publique. Est-ce à
dire que la loi Perben n'a pas atteint son objectif ? Je ne le crois pas.
Pour illustrer mon propos, je prendrai comme exemple celui de la fonction
publique territoriale, que je connais de différents points de vue : en tant que
maire, comme président de la commision « fonction publique » à l'Association
des maires de France, l'AMF et aussi comme président d'un centre de gestion.
Le dispositif mis en place dans la loi de 1996 visait surtout à corriger les
effets induits par l'étalement de la construction statutaire sur presque dix
ans et, à ce titre, ce sont les non-titulaires des dernières filières publiées
qui ont été essentiellement concernés, dans la mesure où ceux-ci n'avaient pas
eu la possibilité de passer plusieurs fois le concours correspondant à leur
emploi.
Les secteurs concernés étaient, pour une part, ceux de la filière
médico-sociale, pour lesquels les concours réservés ont, dans l'ensemble, été
organisés de manière satisfaisante. En revanche, pour l'autre part relative aux
filières sportive et culturelle, et en particulier le secteur de l'enseignement
artistique, je regrette que la faiblesse du nombre de concours organisés ait
conduit à une restriction du champ d'application de la loi Perben. Mon collègue
Dominique Perben s'est ému à plusieurs reprises de cette inapplication
préjudiciable à de nombreux personnels, dont les professeurs de musique ; je
pense que cela ne vous a pas échappé, monsieur le ministre.
Par ailleurs, une part importante de non-titulaires, notamment ceux des
filières administratives et techniques, n'était pas touchée par ce
dispositif.
Les mesures proposées dans le premier volet du projet de loi qui nous est
soumis aujourd'hui apparaissent ainsi comme un complément et la continuation du
dispositif engagé en 1996. On ne peut donc qu'y être favorable, sous réserve,
monsieur le ministre, que les concours réservés soient effectivement organisés
et rapidement.
Mais, plus largement, il conviendra de s'interroger sur les dysfonctionnements
qui conduisent en partie à la reconstitution permanente des effectifs de
non-titulaires, notamment la pénurie dans certains cadres d'emplois tels que
celui des administrateurs ou les difficultés relatives à l'insuffisante
mutualisation de la prise en charge de la formation initiale des lauréats de
concours.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur les emplois-jeunes, et
souhaiterais connaître, monsieur le ministre, les types de concours qui leur
seront proposés pour mettre fin à la précarité de leur emploi, surtout - vous
le savez bien, mes chers collègues -, que nombre d'entre eux occupent des
emplois de l'administration.
S'agissant du deuxième volet relatif à la modernisation du recrutement,
l'objectif d'éviter la reconstitution des effectifs d'agents en situation
précaire est tout à fait louable. Bien entendu, c'est sur les moyens pour y
parvenir que portera la discussion.
A ce titre, je souhaite attirer votre attention sur la situation des 32 000
communes de moins de 2 000 habitants, comme l'a fait avec beaucoup de
pertinence notre rapporteur M. Daniel Hoeffel : la difficulté de recrutement de
personnel à temps non complet à laquelle nous nous heurtons depuis des années
nous avait conduits à demander à ce que soit expressément autorisé le
recrutement d'agents non titulaires, à défaut d'avoir trouvé un fonctionnaire.
Ce dispositif visait non pas à constituer des emplois précaires, mais bien à
permettre le bon fonctionnement des collectivités.
Je tiens à souligner que nous sommes nombreux à encourager ces agents à se
présenter aux concours. Par ailleurs, nous utilisons pleinement les services de
remplacement mis en place par les centres de gestion. C'est pourquoi nous
priver de cette possibilité qui permet d'assurer la continuité du service
public dans les zones rurales me paraît une erreur.
Dans le même ordre d'idée, je proposerai que soit simplifiée la procédure
d'embauche pour faire face aux besoins occasionnels.
Enfin, sur cette question de l'emploi dans les petites communes, je souhaite
vous rappeler la nécessité d'autoriser certains agents qui effectuent quelques
heures au service de l'administration à compléter leur activité professionnelle
dans le secteur privé - cela permettrait à ces agents d'avoir un revenu décent
et aux communes rurales d'assurer le service public - et ce par une disposition
législative, le renvoi à des décrets d'application, comme le prévoit la loi de
modernisation de l'agriculture ou celle qui est relative à l'organisation et la
promotion des activités sportives, s'étant révélé complètement inopérant.
A ce propos, je rappelle devant la Haute Assemblée que la loi du 1er février
1995 de modernisation de l'agriculture prévoit, à l'article 45, amendé par mes
soins à l'époque, les dispositions suivantes : « Un décret en Conseil d'Etat
fixe les conditions dans lesquelles une personne exerçant à titre principal une
activité professionnelle non salariée agricole peut occuper à titre accessoire
un emploi à temps non complet dans une collectivité locale. » Nous attendons
toujours le décret en Conseil d'Etat. Comme l'a souligné notre rapporteur,
c'était une première avancée. Je rappelle que, à l'époque, vous aviez vous-même
défendu devant la Haute Assemblée le texte qui porte aujourd'hui le nom de «
loi Hoeffel ». Pour ma part, j'avais déposé un amendement qui tendait à
permettre le cumul entre une activité publique et une activité privée. Cet
amendement avait été adopté par le Sénat et rejeté par l'Assemblée nationale.
Je l'avais déposé de nouveau devant la Haute Assemblée, et à l'époque, vous
m'aviez demandé, monsieur Hoeffel, de bien vouloir le retirer, au motif que le
Gouvernement procéderait à la mise en oeuvre de ce dispositif par des mesures
dérogatoires.
Aujourd'hui, je suis heureux de constater que l'initiative vient de celui qui
avait alors présenté le texte et qui est aujourd'hui le rapporteur du nouveau
texte. Cela me laisse à penser qu'un consensus pourra peut-être se dessiner sur
ce dossier au sein de la Haute Assemblée. En effet, j'ai également constaté des
avancées significatives sur les travées de gauche de cet hémicycle, ce qui
démontre que, en définitive, il ne faut jamais désespérer de quoi que ce soit.
Tout peut arriver !
Je suis persuadé, monsieur le ministre, que vous accepterez la disposition qui
vous est proposée par la commission des lois, disposition que nous soutiendrons
avec mon collège Daniel Eckenspieller.
S'agissant des améliorations de la gestion prévisionnelle des emplois et des
effectifs dans les collectivités, je me félicite de la reconnaissance du
travail accompli par les centres de gestion, qui sont au coeur de la gestion de
la fonction publique. Les missions de concertation dont ils auront la charge ne
peuvent que renforcer la gestion locale et favoriser la décentralisation de la
gestion.
En revanche, il est dommage que cette action des quatre-vingt-quinze centres
de gestion ne puisse être coordonnée et que les données sur les emplois et les
effectifs qu'ils détiennent ne puissent être mises en réseau, en disposant pour
cela d'un minimum de support logistique.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande de prolonger notre
démarche. Tel est l'objet des amendements que je proposerai sur ce point. Il
est souhaitable que soient incitées, voire créées, les conditions d'une réelle
prise en compte du réseau informatique mis en place par de nombreux centres de
gestion, dont l'intérêt pour les élus, et plus largement pour les usagers de
l'administration, est certain. Je me réjouis d'ailleurs qu'il figure sur le
portail « service-public.fr » dont vous êtes à l'origine et mis en oeuvre par
la Documentation française. Son utilité est une évidence.
Sur le troisième volet relatif à l'application des 35 heures dans les
collectivités territoriales, je serai beaucoup plus bref.
La disposition législative ne traite pas des mesures concrètes envisagées.
Toutefois, j'émets le souhait que les mesures relatives à l'aménagement du
temps de travail puissent enfin permettre une organisation du temps de travail
des agents à temps non complet sur un autre cycle que le seul cycle
hebdomadaire. Une telle mesure serait sûrement de nature à réduire le
recrutement de non-titulaires sur les emplois à temps non complet liés au
rythme scolaire et s'inscrirait bien dans le cadre de la résorption de l'emploi
précaire dans la fonction publique territoriale.
Permettez-moi de douter de l'efficacité de cette disposition, mais, surtout,
de relever les difficultés que ne manqueront pas de rencontrer les petites
communes rurales du fait de l'application de la loi sur les 35 heures.
Je suis maire d'une commune de 183 habitants. J'ai un secrétaire de mairie à
temps partiel, un employé de voirie et un emploi-jeune. Comme vous le voyez,
j'ai joué le jeu des emplois-jeunes dans ma petite collectivité !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Le tiers des
emplois !
M. Alain Vasselle.
Oui ! mais je ne pourrai pas pérenniser l'emploi-jeune, parce que mes moyens
ne me le permettront pas. En ce qui concerne l'agent de voirie, qui travaille
trente-neuf heures et prend les congés que la loi prévoit, l'application de la
loi sur les 35 heures priverait ma petite commune d'une partie du travail qu'il
fournit et je ne pourrai pas compenser cette perte par le recrutement d'un
autre agent : comment arriverai-je à trouver quelqu'un qui acceptera de ne
travailler que quinze ou vingt heures pour me permettre de respecter les 35
heures ? Un réel problème d'application de la loi se posera ; je me permets
d'attirer votre attention sur ce point.
Je crois savoir que des mesures dérogatoires pourraient être prises afin
d'apporter une certaine souplesse dans la mise en oeuvre de la loi sur les 35
heures. Je souhaite toutefois que vous puissiez nous en donner la confirmation,
monsieur le ministre, de manière à rassurer la majorité des maires des communes
rurales.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en octobre
1999, alors que M. Zuccarelli était ministre de la fonction publique, j'étais
intervenu sur les conséquences à tirer de la jurisprudence Berkani et pour
faire appel à une prise de conscience nécessaire sur la situation des recrutés
locaux à l'étranger.
Ces personnels sont en constante augmentation, car la faiblesse de son budget
ne permet pas au ministère des affaires étrangères de faire face, uniquement
avec des fonctionnaires, à toutes les missions qui lui incombent. Il est
flatteur de dire que nous avons le deuxième réseau diplomatique du monde, mais
il est inquiétant de voir que, sans les « supplétifs », comme ils se nomment
entre eux, les ambassades, consulats et autres établissements culturels ne
fonctionneraient pas.
J'avais souhaité, voilà un peu plus d'un an, que le Gouvernement s'engage à
étudier « rapidement », avais-je osé dire, cette question, pour corriger
l'image de notre Etat en la matière, qui est celle d'un mauvais employeur et
qui nuit, en fait, à notre action diplomatique.
M. Zuccarelli n'avait pas soutenu l'amendement que j'avais déposé, mais il
s'était engagé à organiser une réunion de travail, qui concerne quelques
milliers de personnes qui oeuvrent pour la France.
Le Gouvernement n'avait certes pas souhaité cela mais, après les navettes
entre les deux assemblées, la situation de nos compatriotes concernés s'est
trouvé aggravée.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit par ma collègue, Monique Cerisier -
ben Guiga. Vous trouverez la continuité de ma pensée dans le soutien que
j'apporte, notamment, aux deux amendements sur l'article 1er, déposés au nom du
groupe socialiste, en particulier sur l'initiative de Mme Cerisier - ben Guiga,
M. Biarnès, M. Debarge - en sa qualité d'ancien ministre de lacoopération, il
connaît bien ces problèmes - et Mme Pourtaud.
En conclusion, je résumerai mon propos en trois points.
Premièrement, les contractuels à l'étranger n'occupent-ils pas des emplois
précaires, monsieur le ministre ? Pourquoi n'ont-ils pas, comme leurs collègues
en France, les mêmes possibilités de recrutement dans la fonction publique ? De
la même façon qu'après le texte de M. Zuccarelli, j'espère qu'après l'adoption
du texte de Michel Sapin leur situation ne sera pas rendue plus difficile
encore.
Deuxièmement, s'agissant de la promesse faite par M. Zuccarelli, que vous avez
déclaré reprendre à votre compte en ce qui concerne le rapport d'étape,
pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, dans quels délais vous pensez
mettre en oeuvre cette mesure.
Troisièmement, nous savons que, pour la fonction territoriale, les situations
sont complexes, et elles le sont certainement beaucoup plus pour les personnels
à l'étranger, tant les responsabilités et les localisations géographiques où
elles sont exercées multiplient les cas d'espèces. Mais un texte généraliste
peut prévoir des dérogations.
Dans cet hémicycle, avec quelques collègues, nous sommes disposés à aider le
Gouvernement et à participer à toute séance de travail utile que vous voudrez
bien organiser, monsieur le ministre.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur
certaines travées du RDSE et sur les travées de l'Union centriste.)
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Je
n'interviendrai pas longuement, mais je souhaite vous remercier, les uns et les
autres, pour l'appréciation, résultant d'un travail approfondi, qui a été la
vôtre sur ce projet de loi. Le plus souvent, cette appréciation a été positive,
même si, selon les préoccupations des uns et des autres, elle a été plus ou
moins positive.
De nombreuses questions ont été posées au cours de cette discussion générale,
mais il me semble qu'elles trouveront leur traduction dans l'examen des
amendements qui va maintenant s'engager. C'est bien entendu à cette occasion
que j'apporterai des réponses plus concrètes aux problèmes soulevés, mais je
voulais d'ores et déjà vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la
qualité de vos interventions.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES À LA RÉSORPTION
DE L'EMPLOI PRÉCAIRE
Chapitre Ier
Dispositions concernant la fonction publique
de l'Etat
Article 1er