SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2000
GESTION DES CRISES
Discussion d'une question orale européenne avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec
débat suivante :
M. Hubert Haenel demande à M. le ministre de la défense quels ont été les
progrès réalisés en matière de politique européenne de sécurité et de défense
depuis que le Conseil européen d'Helsinki a décidé la constitution d'une force
européenne terrestre de 60 000 hommes, opérationnelle et projetable sur des
théâtres extérieurs, et que le Conseil européen de Feira s'est prononcé pour la
formation d'une force de police européenne de 5 000 policiers.
Il souhaite notamment connaître l'état de la mise en place des instruments
politiques et militaires nécessaires à la gestion des crises et recueillir le
sentiment du Gouvernement sur les chances de voir progresser, d'ici la fin de
la présidence française, cette construction ambitieuse. (n° QE 11.)
Mes chers collègues, compte tenu de l'heure - il est dix-huit heures
cinquante-huit - des temps de parole prévus pour les différents intervenants et
de la réponse de M. le ministre, il nous serait difficile de terminer l'examen
de cette question avant vingt et une heures quinze ou vingt et une heures
trente. Ce ne serait vraiment pas raisonnable, d'autant qu'il nous faut
respecter certaines règles vis-à-vis du personnel du Sénat.
Je vous proposerai par conséquent, monsieur le ministre, mes chers collègues,
d'interrompre l'examen de cette question vers vingt heures ou vingt heures
dix.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je suis, bien entendu, à la disposition du Sénat.
Je m'efforce toutefois de veiller à l'intérêt des sénateurs ; nombre d'entre
eux souhaitent certainement qu'il y ait une continuité dans le débat et que je
puisse répondre « dans la foulée ».
Puis-je vous proposer, monsieur le président, d'apprécier vous-même la
situation vers vingt heures quinze ? Si vous constatez alors que le temps de
parole des orateurs approche de sa fin, je m'engage à répondre en vingt
minutes. Si, au contraire, le temps de parole s'allongeait un peu - cela arrive
parfois, et c'est humain ! - vous opterez pour la solution que vous venez
d'envisager.
M. le président.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette suggestion, qui me paraît
effectivement très sage.
Cela étant, nous devrons impérativement interrompre nos travaux à vingt heures
trente.
Si chacun fait un effort, nous pourrons nous tenir à cet horaire et j'en sais
gré, par avance, aux uns et aux autres.
La parole est à l'auteur de la question.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la naissance, encore
toute récente, du concept de « politique européenne de sécurité et de défense
», ou PESD, a constitué pour les responsables politiques comme pour les
opinions publiques l'annonce, longtemps espérée, d'un vrai départ pour la
politique étrangère de l'Union.
Jusqu'à présent, celle-ci n'avait progressé que par petites touches, sur le
plan institutionnel surtout, grâce aux traités de Maastricht, puis d'Amsterdam.
Or la faiblesse véritable de la politique étrangère, portant directement
atteinte à sa crédibilité, tenait à l'absence de capacité militaire effective
de l'Union européenne, rendue manifeste par les conflits de Bosnie et, de
manière plus éclatante encore, du Kosovo.
Nous avons désormais, plus que l'espoir, la conviction d'aboutir demain à une
défense européenne à quinze, et cela, il faut le rappeler, parce que nos
partenaires, Britanniques et Allemands essentiellement, ont heureusement
rejoint une détermination française qui ne s'est jamais démentie.
La réflexion lancée lors du sommet européen de Cologne a voulu mettre l'Union
européenne en mesure de réagir face aux crises en lui donnant une capacité
d'action autonome, soutenue par des forces militaires crédibles. Elle s'est vue
traduite dans les faits avec une rapidité exemplaire, contredisant les
détracteurs d'une Europe réputée lente et exagérément procédurière.
Le rapport adopté au cours du sommet d'Helsinki, sous présidence finlandaise,
a fixé à l'Union un programme ambitieux : se doter d'une capacité terrestre
projetable équivalente à un corps d'armée, mobilisable en moins de deux mois et
apte à fonctionner de manière autonome pendant une année au minimum. Nous
étions partis sur l'idée d'un contingent de 60 000 hommes ; il est passé à 80
000, peut-être davantage : vous allez sans doute nous le préciser dans quelques
instants, monsieur le ministre.
Cette force doit en outre pouvoir disposer des moyens nécessaires à son
fonctionnement en termes de commandement, de contrôle, de renseignement et de
logistique et être confortée, renforcée, en tant que de besoin, par les
éléments aériens et navals adéquats.
Outre ces moyens d'action, les chefs d'Etat et de gouvernement ont également
souhaité, vous le savez, l'institution d'organes politiques et militaires
permanents, comportant trois éléments : un comité politique et de sécurité -
COPS - chargé du contrôle politique et de la direction stratégique des
opérations ; un comité militaire, réunissant les chefs d'état-major des armées
; un état-major, responsable de l'alerte rapide, de l'analyse de situation et
de la planification stratégique.
Nous nous sommes réjouis, notamment au sein de notre délégation pour l'Union
européenne, de ces initiatives constructives, et nous aimerions savoir,
monsieur le ministre, si la présidence française a pu faire progresser la
réflexion en cours autant qu'elle en avait affiché l'ambition. En effet, ces
trois « instruments » ont bien été mis en place le 1er mars dernier, mais à
titre intérimaire, dans l'attente du dispositif définitif. Qu'en est-il à ce
jour ? Peut-on s'attendre à la réalisation de progrès décisifs avant la fin de
cette année, ce qui constituerait une avancée essentielle à mettre au crédit de
la présidence française ? Pourriez-vous, notamment, nous rendre compte des
résultats - vous nous en réserveriez ainsi la primeur - de la Conférence
d'engagement des capacités, qui s'est tenue hier et aujourd'hui même à
Bruxelles et sur laquelle étaient fondés beaucoup d'espoirs ?
Par ailleurs, et c'est maintenant plus un sentiment de perplexité qu'une
réelle interrogation que je vais vous soumettre, nous aimerions savoir,
monsieur le ministre, comment est censée s'organiser la complémentarité entre
tous ces organes.
Je m'explique. Le traité d'Amsterdam avait déjà institué, sur initiative
française, un « haut représentant pour la PESC » ; en l'occurrence, c'est M.
Javier Solana, nommé secrétaire général du Conseil, qui est devenu ce «
Monsieur PESC » chargé d'être la voix et le visage de l'Europe. Le traité avait
également créé une unité de planification de la politique et d'alerte rapide,
sorte de cellule diplomatique et stratégique commune, placée sous l'autorité de
ce haut représentant. Enfin, je ne voudrais pas oublier de rappeler que, au
sein de la Commission européenne, c'est à M. Christopher Patten qu'il
appartient de traiter des relations extérieures de l'Union.
Comment concevez-vous l'articulation entre ces « outils PESC » et les nouveaux
« instruments PESD », dont on ne peut nier l'interpénétration ? Avons-nous tort
de voir dans cette multiplication d'institutions des risques de
dysfonctionnements, voire de rivalités, qui pénaliseraient le fonctionnement
entier du système ?
Enfin, nous avons noté que l'Union de l'Europe occidentale avait récemment
transféré à l'Union européenne ses fonctions et ses moyens ; c'est une
hypothèse qu'avait d'ailleurs envisagée le traité d'Amsterdam, mais pour une
date qu'il lui était alors difficile d'imaginer si proche. Ce rapprochement
semblait indispensable, car il faut bien admettre que l'UEO n'a jamais eu de
rôle véritablement opérationnel en la matière. Nous avions toutefois souhaité
que l'assemblée parlementaire de l'UEO continue néanmoins d'exister, en raison
de l'apport particulièrement utile de cette institution en matière de sécurité
et de défense ; c'est, semble-t-il, ce qui a été décidé. Vous aviez même
évoqué, monsieur le ministre, l'idée d'une organisation inspirée de celle de la
COSAC, la Conférence des organes spécialisés des assemblées de la Communauté.
Pourrez-vous nous indiquer de quelle manière pratique, à votre sens,
fonctionnera, dans l'avenir, cet organe de délibération collective ?
Mérite également d'être posée la question de l'articulation de tout cela avec
l'OTAN.
Après cette approche, que je qualifierai d'institutionnelle, de la défense
commune, j'aimerais ma placer sous un angle plus pragmatique et évoquer ce que
sera demain la réalité de l'engagement de cette force européenne.
L'histoire contemporaine, les nouvelles réalités géostratégiques, la fin du
bipolarisme, la construction communautaire, tous ces éléments nous donnent à
penser que c'est désormais sur des théâtres extérieurs au territoire de l'Union
européenne que les opérations devront être menées. Et si l'on en croit les
dramatiques expériences vécues en Bosnie et au Kosovo, il ne suffira plus de
ramener la paix dans des pays en guerre : il faudra aussi y reconstituer
ensuite les Etats eux-mêmes, détruits jusque dans leurs prérogatives et devoirs
fondamentaux.
Dans ce type d'opération de maintien et de rétablissement de la paix, les
forces armées interviennent souvent au coeur et au contact des populations
civiles.
C'est en fonction de cet objectif que, lors du sommet européen de Feira, sous
présidence portugaise, les chefs d'Etat et de gouvernement ont souhaité qu'une
seconde étape soit franchie. En complément du volet strictement militaire
arrêté à Helsinki, a ainsi été décidée la constitution d'un « réservoir » de 5
000 policiers permettant d'envoyer vers des théâtres extérieurs, en surplus des
forces armées classiques, 1 000 hommes directement opérationnels sur le
terrain.
C'est là une décision essentielle, qui rejoint l'une de mes préoccupations,
vous le savez, concernant la « sortie de crise », ce moment délicat où la phase
strictement militaire est passée, mais où la situation reste instable et où la
nécessité impose de reconstruire un Etat en déshérence, notamment dans ses
composantes essentielles que sont la police et la justice.
Nous sommes nombreux à nous interroger, ici comme dans d'autres enceintes, sur
la « mise en musique » de ce dispositif complémentaire ; ce fut le cas,
notamment, au colloque organisé sur ce thème voilà un mois, à Strasbourg et où
nous nous trouvions l'un et l'autre.
Il faut en effet trouver les personnels adéquats, formés, immédiatement
opérationnels et, de surcroît, maîtrisant la pratique de l'anglais puisque,
nous le savons bien, c'est essentiellement cette langue qui sert de vecteur de
communication dans ce cadre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Vous aggravez mon cas !
(Sourires.)
M. Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union européenne.
Les Etats membres
auront-ils les moyens de dégager ces personnels des effectifs dont ils ont
eux-mêmes besoin pour leur propre sécurité intérieure, qui plus est pour des
missions dont on sait qu'elles seront de longue durée ?
De surcroît, sait-on précisément désormais qui seront les personnels les plus
à même de faire face à des situations très dégradées, en contact avec des
populations civiles fragilisées, meurtries par des violences encore récentes et
qui réclament la sécurité à laquelle elles peuvent légitimement prétendre ?
Il ne faut pas sous-estimer, en outre, le fait que ces personnels auront à
affronter, au moins au début, un milieu de vie rude, pour ne pas dire hostile -
songez à l'exemple kosovar - et qu'ils devraient être logiquement amenés à ne
travailler que sous commandement militaire unique pour contribuer à
l'efficacité et la cohérence du dispositif.
Pour tous ces motifs, mon sentiment a toujours été que les personnels les
mieux préparés à cette tâche relevaient
a priori
des polices à statut
militaire, qui existent déjà dans cinq des Etats membres de l'Union : notre
gendarmerie nationale, les carabiniers italiens, la garde civile espagnole, la
garde nationale républicaine portugaise et, plus récement, la maréchaussée
néerlandaise.
J'ai relevé avec satisfaction dans le discours prononcé par M. le Premier
ministre devant l'Institut des hautes études de la défense nationale que la
France envisageait de faire participer plus spécifiquement à cet effort la
gendarmerie nationale, ce qui me paraît d'excellent augure. Pourriez-vous nous
en dire plus sur ce point, monsieur le ministre ?
J'aimerais maintenant élargir le débat à d'autres questions plus éloignées
mais qui demeurent intimement liées à notre dialogue de ce soir. Je pense, à
quelques heures de l'ouverture du débat budgétaire au Sénat, à l'effort
consenti dans le projet de loi de finances pour 2001 en faveur de la défense,
ainsi qu'à l'état d'avancement des réflexions sur la loi de programmation
militaire qui régira la matière pour la période 2003-2008.
Nous savons bien que certains de nos partenaires européens ont été amenés,
sous la pression des contraintes budgétaires, à effectuer des coupes claires
dans leurs crédits militaires. Certes, il semble que le Royaume-Uni poursuive
son effort militaire, en vue peut-être - pourquoi pas ? - d'occuper la première
place dans le dispositif de défense européen, mais la diminution des crédits
militaires dans certains Etats de l'Union ne laisse pas d'être inquiétante du
point de vue de la crédibilité de la défense européenne de demain.
Quels sont donc les objectifs du Gouvernement français en la matière, monsieur
le ministre ?
D'autre part, je voudrais attirer votre attention sur deux dossiers dont notre
délégation s'est récemment saisie et qui, l'un comme l'autre, l'ont fort
préoccupée.
Le premier d'entre eux se rapporte à la gestion non militaire des crises et
concerne une proposition de texte européen envisageant la création d'un «
dispositif civil de réaction rapide » commun, géré directement par la
Commission européenne et destiné à intervenir en urgence lors de la survenance
d'événements graves.
Il nous a semblé que le dispositif proposé péchait par sa complexité et par
son manque de rigueur juridique, et qu'il n'emportait pas, de surcroît, la
conviction quant à son efficacité réelle. C'est la raison pour laquelle nous
avons souhaité, par le biais du dépôt d'une proposition de résolution
actuellement à l'étude auprès de la commission des affaires étrangères du
Sénat, faire connaître notre perplexité et appeler le Gouvernement français à
la plus grande vigilance sur un texte dont nul ne conteste, au demeurant, le
bien-fondé quant à ses intentions.
Le second dossier se rapporte au problème particulier de l'accès du public aux
documents communautaires classés « secret-défense », problème auquel nous
venons de consacrer une communication. Nous avons eu connaissance de la
différence radicale d'approche de cette question entre le Conseil et le
Parlement européens.
En effet, voilà quelques mois, le Conseil, suivant en cela la décision de son
secrétaire général, haut représentant pour la PESC, avait décidé -
légitimement, me semble-t-il - d'exclure de la liste des documents européens
accessibles au public les informations classées « très secret/top secret », «
secret » et « confidentiel » en raison d'impératifs bien compréhensibles de
discrétion applicables à celles-ci.
A l'inverse, le Parlement européen a considéré qu'il était contraire au traité
d'Amsterdam de prévoir ce type de mesure générale et il a déféré cette décision
devant la Cour de justice européenne, avec le soutien de trois Etats membres du
nord de l'Europe - ce n'est pas un hasard ! - à savoir les Pays-Bas, la Suède
et la Finlande, ce qui a ajouté à notre inquiétude.
Si l'on devait considérer que les informations ayant trait à la défense de
l'Union européenne sont légitimement portées à la connaissance des citoyens
européens ou résidant sur le territoire de l'Union, on porterait peut-être
alors un coup fatal à la poursuite de la construction de la défense
européenne.
Comment peut-on imaginer que celle-ci conserve quelque crédibilité à l'égard
de ses partenaires - alliés de l'OTAN ou non - si certains des documents
transmis par ceux-ci sont communicables au public sans même obtenir au
préalable l'autorisation de leur auteur ? Comment maintenir la cohésion des
Quinze si certains documents, légalement protégés dans tel ou tel pays par le
droit national, deviennent librement accessibles au niveau des institutions
européennes ? Selon vous, monsieur le ministre, quelle solution rapide et
convaincante peut-on trouver à cette délicate affaire, solution qui devrait
permettre de ménager à la fois le principe de transparence et le principe de
confidentialité ?
Voyez dans ces interrogations et observations, monsieur le ministre, le signe
de notre profond intérêt pour une question qui me semble essentielle si l'on
veut obtenir l'adhésion de nos concitoyens à la poursuite de la construction
européenne.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monseiur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, l'Europe de la défense a franchi une étape très importante. A partir
d'aujourd'hui, en tout cas après Nice, l'Europe des Quinze sera supposée
disposer d'une volonté politique d'agir dans ce secteur, appuyée sur des
institutions spécifiques et des capacités opérationnelles crédibles.
La démarche prépare l'avenir puisque les pays candidats à l'Union européenne
sont et seront, selon des modalités précises, associés à cette ambition à
quinze. Ils ont dès aujourd'hui, avec vous, monsieur le ministre, à Bruxelles,
proposé d'apporter des capacités additionnelles à celles des membres de plein
exercice.
Pour répondre à l'appel de M. le président, j'irai à l'essentiel.
Les relations de l'Union européenne avec l'OTAN constitueront l'une des clés
de la crédibilité du dispositif. Sa crédibilité politique se mesurera à l'aune
de l'indépendance dont la politique européenne de sécurité et de défense, la
PESD, pourra faire preuve à l'égard de l'Organisation atlantique. Mais sa
crédibilité opérationnelle reposera quelque peu, au moins au début, sur la
capacité de disposer de certains moyens collectifs de l'OTAN. Celle-ci et nos
alliés américains ont toutefois désormais cessé de voir dans le projet européen
une menace pour l'Alliance. Les experts militaires de l'organisation ont
d'ailleurs contribué à la définition du catalogue de forces. L'élaboration du
document relatif aux arrangements permanents entre l'Union européenne et l'OTAN
sera l'instant de vérité.
En effet, nos alliés américains, toujours sensibles au risque de « duplication
», considèrent que si certaines d'entre elles sont souhaitables, quand elles
sont relatives à telle ou telle capacité collective, d'autres doivent être
résolument écartées, en particulier celles qui sont relatives aux capacités de
planification opérationnelle. L'OTAN, estiment-ils, a la capacité d'effectuer
ce travail de planification opérationnelle au profit de l'Union européenne,
sachant que celle-ci serait dotée de sa propre capacité de planification
statégique.
Quelle est, monsieur le ministre, la position de la France sur ce sujet eu
égard à la place spécifique que notre pays occupe au sein de l'OTAN et, en
l'occurrence, dans ses instances de planification ?
D'une façon plus générale, comment la démarche d'examen et d'identification
des capacités que vient d'effectuer l'Union européenne, mais qui est appelée à
se poursuivre, s'articule-t-elle avec l'initiative de capacités de défense
proposée par l'OTAN lors du sommet du cinquantenaire et dont l'objectif est
sensiblement le même ? S'agissant, par ailleurs, de l'articulation entre la
constitution de capacités militaires européennes et l'OTAN, je souhaite évoquer
la situation du Corps européen, qui s'est acquitté de la mission qui lui avait
été confiée au Kosovo avec une grande efficacité. Sa transformation en force de
réaction rapide paraît donc sur la bonne voie et devrait être validée à la fin
de l'année 2001.
Nous savons également que, outre l'
Allied rapid reaction corps
, l'ARRC,
et le corps européen, l'OTAN envisage de pouvoir disposer d'un troisième corps
de réaction rapide, plus spécialement destiné à intervenir dans le nord de la
Méditerranée.
Le 30 mai dernier, le Président de la République proposait d'apporter une
réponse européenne à cette question. Ne faut-il pas, en effet, saisir cette
occasion pour proposer, de préférence à une force intégrée aux structures de
l'Alliance dans laquelle la France serait marginalisée, une solution bâtie sur
les mêmes principes que le corps européen, à savoir une force disponible tant
pour l'OTAN que pour l'Union européenne ?
Pouvons-nous connaître, monsieur le ministre, la nature des propositions
qu'envisage la France ? Ce corps du « Sud » peut-il dériver de l'Eurofor, dont
il faudrait alors étoffer sensiblement l'armature ? Enfin, et surtout, cette
idée de création d'un second corps européen rencontre-t-elle un écho favorable
chez nos partenaires européens ?
Je souhaite évoquer maintenant, monsieur le ministre, la question de la zone
géographique d'intervention du futur dispositif européen de défense.
En effet, la multiplicité des capacités d'intervention futures de l'Union
européenne dans la gestion des crises, grâce à ses outils militaires mais
également civils, en fera un instrument privilégié de collaboration avec l'ONU,
singulièrement dans le cadre d'opérations de maintien de la paix, dont une
ambitieuse réforme est d'ailleurs en cours. Notre minsitre des affaires
étrangères a, devant l'assemblée générale des Nations unies, suggéré une plus
étroite collaboration entre l'Union européenne et l'ONU sur ce terrain. Nos
partenaires européens sont-ils également prêts à envisager, comme zone
d'intervention de notre outil de défense commun, non seulement l'Europe mais
potentiellement le monde ? En d'autres termes, et plus généralement, nous
sommes-nous mis d'accord à Quinze sur un concept stratégique précis pour
l'engagement de notre outil de défense ?
Pour conclure, monsieur le ministre, il me semble que certaines incertitudes
institutionnelles doivent être levées au sein de l'Union européenne pour donner
sa pleine mesure au dispositif européen de gestion des crises.
En premier lieu, il importe de simplifier le processus de décision. En effet,
selon le concept européen de gestion de crises, cumulant les actions militaires
et les actions civiles, il relève tantôt de la compétence communautaire, tantôt
du deuxième pilier. Dans la gestion d'une crise complexe, quels seront, par
exemple, les rôles respectifs du Haut Représentant, secrétaire général du
Conseil, et des services compétents de la Commission ?
En second lieu, je crois qu'une réforme ambitieuse de la procédure des
coopérations renforcées - notamment l'élargissement de leur champ d'application
à la politique européenne commune de sécurité et de défense - devrait être le
corollaire indispensable du dispositif européen de gestion de crises.
Cette réforme, tout comme le renforcement des efforts budgétaires de défense
et leur mise en cohérence, ainsi que la clarification des procédures de
décision dans la gestion des crises conditionneront la crédibilité des
ambitions que l'Union européenne s'est assignées à Helsinki ; elle vient de
commencer à les concrétiser, sous votre autorité, monsieur le ministre, à
Bruxelles, et le Conseil de Nice devrait les entériner.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Il y a un an, monsieur le ministre, vous déclariez devant la délégation pour
l'Union européenne : « Incontestablement, le paysage, à la fin de l'année 2000,
sera très différent de ce à quoi nous pouvions nous attendre voilà deux ou
trois ans. »
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
C'est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou.
Nous y sommes, et vous aviez en grande partie raison.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
On ne peut pas se tromper tout le temps !
(Sourires.)
M. Aymeri de Montesquiou.
Mais quelques interrogations demeurent.
La dynamique de la construction d'une Europe de la défense est évidente. Je me
réjouis que la politique étrangère soit progressivement complétée par une
politique de défense. La sémantique vient le rappeler avec l'appartion récente,
au sein de la PESC, de la politique européenne de sécurité et de « défense », -
la PESD : le terme, tellement tabou, donc occulté depuis 1954, est enfin
prononcé !
Au nom du groupe du Rassemblement démocratique social et européen, je souhaite
non pas développer ici une théorie de la défense, mais plutôt poser un certain
nombre de questions relatives aux liens avec l'OTAN et aux aspects
opérationnels et budgétaires de notre défense européenne.
Le continent européen a lontemps été imbriqué dans un filet d'alliances
diverses et difficilement lisible. Le traité d'Amsterdam prévoyait
l'intégration à terme de l'UEO à l'Union européenne. Les ministres des affaires
étrangères et de la défense de l'Union européenne viennent d'entériner la fin
de l'UEO le 13 novembre dernier, et c'est une bonne chose. Aujourd'hui, la
PESC, en termes d'alliance, se définit donc uniquement par rapport à l'Alliance
atlantique.
Le développement de la défense européenne soulage et inquiète nos amis
américains : d'un côté, ils se réjouissent que les Européens partagent le
fardeau financier, mais, de l'autre, ils voient l'Union européenne mettre en
place ses propres outils opérationnels, qui remettent en question leur
hégémonie sur le continent européen.
Même si poser les problèmes de manière binaire a un effet réducteur, cela
permet de les clarifier et d'obtenir des réponses nettes. Lors de votre
audition du 7 décembre 1999, vous aviez affirmé ceci, monsieur le ministre : «
L'Alliance atlantique demeure l'élément essentiel de la défense collective de
l'Europe. » Envisage-t-on une coopération égalitaire ou une coopération
complémentaire ? Le choix d'un « Monsieur PESC » au passé atlantiste n'a-t-il
pas brouillé le message ?
Notre capacité de projection est encore dérisoire : aujourd'hui, nous
demandons non seulement l'appui, mais encore - disons-le - l'aide des
Etats-Unis. Jusqu'à quand ? Dans ce domaine, monsieur le ministre, quels sont
les engagements pris quant à l'avion de transport européen ? Quel est le
calendrier retenu ? Quand disposerons-nous d'une flotte logistique suffisante
?
La collecte d'informations est une donnée essentielle. Le satellite
Hélios
est-il suffisant ou devra-t-on faire appel aux satellites américains ?
Ce manque de clarté quant aux capacités respectives et à la distribution des
rôles n'a pas empêché l'Europe de la défense de progresser, d'un point de vue
industriel comme d'un point de vue opérationnel.
Le pragmatisme a prévalu du point de vue des équipements - c'est un point
positif - et, depuis plus de deux ans, les industriels de la défense, appuyés
par les Etats qui sont les principaux clients, ont donné l'impulsion en matière
de coordination, voire de fusion.
Depuis le conseil européen d'Helsinki de décembre 1999, puis celui de Feira de
juin 2000, et la réunion d'hier à Bruxelles, la défense européenne s'est dotée
d'outils opérationnels, avec des objectifs précis et chiffrés pour 2003 :
d'abord, constituer à quinze une force terrestre de réaction rapide de cent
mille hommes déployable en soixante jours maximum, autosuffisante du point de
vue logistique, du contrôle, du commandement et du renseignement ; ensuite,
créer un réservoir de force de police européenne de cinq mille policiers
permettant le déploiement rapide, en un mois, de mille policiers. Je ne suis
pas sûr que le point de vue logistique sera respecté par le calendrier.
Ces décisions soulignent un réel progrès mais, monsieur le ministre, le
mécanisme de l'apport volontaire des forces vous paraît-il satisfaisant ? Ne
faut-il pas élaborer une règle qui soit la même pour tous ?
Les opérations sur les théâtres extérieurs, les OPEX, dans leurs trois phases
- militaire, de restauration de la sécurité publique et de reconstruction d'un
Etat de droit - apportent, certes, leur savoir-faire. Cependant, la mise en
place d'organes politiques et militaires appropriés soulève, d'une part, la
difficulté du respect du principe de la décision intergouvernementale, car la
défense demeure au coeur de la souveraineté étatique et, d'autre part,
l'exigence de rapidité de décision entre le COPS, le comité militaire, et
l'embryon d'état-major européen. Quels sont les résultats des simulations de
chaînes de décisions ? Avez-vous évalué leur durée de réaction ?
Quant au champ de notre action, à l'heure où les risques de conflits en Europe
sont devenus plus réduits, où la zone à conflits potentiels se concentre
surtout sur le pourtour méditerranéen, il s'agit aussi d'envisager une
orientation spécifique de nos forces pour des missions au Sud. Sommes-nous
prêts ?
J'aborderai, enfin, la question du financement de la défense européenne.
L'effort des Etats membres en matière de défense s'effectue, bien évidemment,
au détriment d'autres budgets. Il n'est justifié que par son efficacité. Or,
aujourd'hui, si l'effort budgétaire cumulé des Quinze reste important -
l'effort européen correspond à environ 60 % des dépenses américaines - la
puissance additionnée demeure beaucoup trop faible. Ainsi, on évalue notre
capacité de projection à 10 % de celle des Etats-Unis. Cette perte en ligne
considérable se traduit pour les citoyens en un sentiment d'inutilité de notre
effort financier national et européen.
Je m'interroge également sur l'inégalité des efforts des Etats membres, si
l'on compare la France ou le Royaume-Uni, qui consacrent de l'ordre de 3 % du
PIB à la défense, et d'autres pays qui atteignent péniblement la moitié de cet
engagement.
Lors de son audition du 22 juin, M. Solana avait indiqué que les méthodes de
comptabilisation des dépenses militaires différaient tellement d'un pays à
l'autre que la détermination de critères d'hamonisation en matière de défense
paraissait difficile. Pouvez-vous partager une telle analyse ? Elle est peu
convaincante et dénote une modeste détermination. Seule une volonté forte peut
parvenir à modifier ces comptabilisations inéquitables. Ces disparités
budgétaires nuisent sans aucun doute à la solidarité.
Pourquoi ne pas demander à chaque Etat membre un effort budgétaire équivalent
en pourcentage de son PIB ? Voilà un an, vous affirmiez que le moment n'était
pas venu de mettre en place un mécanisme de critères de convergence sur les
budgets « défense ». Pourquoi ? Cette décision vous paraît-elle davantage
possible aujourd'hui ? Vous admettrez que ce mécanisme permettrait d'éviter
les interruptions dans les alimentations de budgets, comme l'a fait
l'Allemagne.
De même, est-il normal que des Etats membres, souvent aux frontières de
l'Union, donc plus proches de zones instables, soient moins impliqués et
continuent, par exemple, à affirmer leur neutralité ? La neutralité qui se
justifiait soit par la volonté de n'appartenir à aucune des deux alliances,
pacte de Varsovie ou OTAN, comme la Suède, soit par un traité, comme
l'Autriche, doit être abandonnée par tous les membres de l'Union en vertu du
traité de Maastricht. L'équivoque d'une participation aux seules opérations
civiles tout en demeurant neutre n'est pas acceptable. La France, en tant
qu'elle exerce la présidence de l'Union, devrait l'exiger.
Enfin, quelles seront nos exigences budgétaires vis-à-vis des pays candidats
en matière de défense ?
Le développement de l'esprit de défense est un moteur de la construction de la
citoyenneté européenne. Les citoyens consultés sur cette question seraient sans
doute moins hostiles au principe d'un effort réellement partagé en faveur de la
défense européenne si celle-ci apparaissait comme crédible.
Nous sommes bien conscients des contraintes budgétaires qui conduisent
certains Etats membres à réduire leur budget militaire de manière
substantielle. C'est une raison supplémentaire pour être plus efficace.
Comme le budget de la défense française, il s'agit, je reprends vos propos, de
dépenser mieux. Cependant, la route est longue : dans son rapport, la Cour des
comptes européenne vient d'estimer à cinq milliards d'euros, soit 5,75 % du
budget de l'Union, le montant des pertes pour le budget 1999 en irrégularités,
négligences et mauvais fonctionnements divers. Cela représente deux fois le
coût du programme de l'A 400 M ! A ce propos, on peut être légitimement inquiet
quant à sa concrétisation car il n'est pas encore budgétisé en France.
Grâce à la construction européenne, les risques de guerre entre les nations
européennes sont nuls, comme nous l'avons tous rappelé devant le monument aux
morts de nos communes voilà dix jours. Un demi-siècle après l'échec de la
Communauté européenne de défense, l'Europe de la défense se construit enfin,
non sans difficulté, mais, hélas ! la volonté apparaît molle chez certains de
nos partenaires. C'est pourtant avec volonté et conviction que nous
rattraperons le temps perdu et que nous deviendrons libres, collectivement, de
prendre nos propres décisions en matière de défense.
Monsieur le ministre, je serai très heureux d'entendre vos réponses.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à
l'évidence, la question orale avec débat de notre collègue Hubert Haenel tombe
à pic. Que l'on me permette d'exprimer, ici, quelques-unes des positions de mon
groupe sur cette question décisive.
Commençons par une lapalissade : la place de l'Europe sur la scène
internationale n'est pas à la mesure de son poids économique, de son influence
culturelle et du poids de ses valeurs.
L'évolution de l'Union européenne est marquée par un décalage croissant entre
la rapidité de son élargissement et la lenteur relative de son
approfondissement, singulièrement dans le domaine de la politique
extérieure.
Je ne reviendrai pas sur les débats de fond relatifs à la construction
européenne, qui ont traversé, et qui traversent encore, le pays.
Pour notre part, nous continuons de penser que l'actuelle construction
européenne est trop marquée par les orientations libérales, trop orientée par
les pressions des décideurs économiques dominants, laissant trop de côté les
initiatives à prendre dans le domaine social.
Pour en revenir au sujet à l'ordre du jour, je dois d'abord dire que
j'apprécie les initiatives lancées par le Gouvernement et par vous-même,
monsieur le ministre, durant cette présidence française, pour convaincre nos
partenaires européens de donner à l'Europe une capacité autonome de gestion de
crise en appui à une politique étrangère et de sécurité commune encore
naissante.
Hier et aujourd'hui encore, la décision d'agir militairement, en cas de crise,
sur la périphérie européenne dépendait et dépend
de facto
de la volonté
des Etats-Unis. En Bosnie, au Kosovo, nos partenaires européens ont, pour la
plupart, réfusé d'intervenir hors du cadre de l'OTAN, poussant à accepter
d'oublier, pour le Kosovo, le mandat de l'ONU.
La sécurité ne commence pas à nos frontières. Il convient d'avoir une
conception extensive de la sécurité, qui suppose évidemment des capacités de
prévention et d'intervention, qui suppose qu'on regarde comment construire ou
reconstruire de la stabilité au-delà de nos frontières.
Je précise d'emblée que la sécurité n'est pas seulement une question militaire
; elle est bien plus globale et touche aussi aux questions sociales,
religieuses, économiques, aux problèmes de prévention des désastres
humanitaires, de lutte contre la pauvreté et, plus précisément, contre
l'accroissement alarmant des inégalités qui se creusent entre pays riches et
pays pauvres.
Faut-il également préciser qu'il convient d'éviter deux écueils majeurs :
d'une part, l'angélisme européen, qui, souvent, cache mal une tendance à
l'angélisme atlantiste, et, d'autre part, le repli nationaliste ?
Pour notre part, nous considérons, avec vigilance, qu'il faut préserver la
souveraineté nationale dans les domaines essentiels de la vie du pays. Nous
devons également saisir les enjeux et la nécessité d'une coopération européenne
la plus large.
La mise en commun des moyens adéquats pour partager les charges de plus en
plus lourdes des programmes de défense, qu'ils relèvent du renseignement ou de
la création des nouveaux équipements aériens, terrestres ou navals, pour créer
une force d'intervention et de gestion des crises est une réalité
incontournable.
Nous voulons, nous aussi, prendre notre part dans le débat visant à faire
comprendre à nos concitoyens qu'il est nécessaire de s'engager dans une voie de
défense collective correspondant à l'imbrication des pays de l'Union européenne
dans un système certes encore trop marqué par les orientations libérales, mais
qui n'en est pas moins à l'origine d'une forte interdépendance interne menant à
une solidarité de fait dont il faut tirer toutes les conséquences, y compris,
et surtout, allais-je dire, de son caractère spécifique qui doit conduire
naturellement à l'autonomie de décision politique vis-à-vis de tout autre pays
ou système de pays, fût-il américain.
Mais si c'est pour dissoudre tout ou partie de notre autonomie stratégique,
tout ou partie de nos forces armées dans un ensemble européen, nous n'en serons
jamais. Si c'est pour abandonner tout ou partie essentielle de notre industrie
publique de défense sur l'autel du libéralisme ou de la privatisation, nous
n'en serons pas non plus.
Je sais que ce n'est pas la direction prise par le Gouvernement, et ce que
j'ai lu très récemment de vos propos dans les négociations européennes me le
confirme, monsieur le ministre. Je sais aussi que votre tâche est pour le moins
complexe, car nombre de nos partenaires ne sont pas toujours sur la même
longueur d'onde et ont encore tendance à se régler sur « Radio-Washington »
!
Nous allons, à l'évidence, écouter votre exposé avec attention et nous
espérons y trouver des débuts de réponse à nos préoccupations concernant, par
exemple, le contrôle politique des parlements nationaux sur les futures
interventions, les rapports avec l'ONU, avec l'OSCE, concernant aussi les
éventuelles gestions de crise en Afrique.
Pouvez-vous nous préciser les missions de fond assignées à cette future force
européenne ? Dans quel type de crise peut-elle être efficace ? Quels sont les
champs et les théâtres d'intervention possibles ?
Ne peut-on y voir une possibilité de décrisper les relations avec la Russie
?
A ce propos, on ne pourra sans danger indéfiniment pousser la Russie dans ses
retranchements par des élargissements successifs de l'OTAN sur ses frontières.
L'adhésion de la Pologne à l'OTAN a notamment été très mal prise à Moscou.
Celle des pays baltes, qui considèrent que leur admission future dans l'Union
européenne est à mettre en parallèle avec leur entrée dans l'OTAN, serait
considérée par les Russes comme une provocation. Quant à l'éventualité de
l'adhésion à l'OTAN de l'Ukraine, coeur historique de la Russie et principal
débouché maritime en eau toujours libre, elle serait considérée comme un
casus belli
.
Il nous semble que la création entre les membres de l'Union européenne actuels
et futurs de cette force au service d'une politique de prévention et de gestion
de crise pourrait être une alternative à l'adhésion à l'OTAN de pays
ex-soviétiques situés aux frontières mêmes de la Russie, tout en leur assurant
une sécurité à laquelle ils aspirent légitimement.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je tenais à dire,
dans le temps qui m'étais imparti, sur cette question de grande importance.
Au-delà de nos préventions et de nos différences, nous serons à vos côtés,
monsieur le ministre, pour aider à rendre possible l'avènement d'une politique,
y compris dans sa dimension militaire, issue d'une logique de coopération des
nations européennes et d'autonomie mature. C'est là une question décisive pour
l'avenir même de l'Europe. Ce serait là une contribution de taille pour tenter
de rendre le monde plus stable, plus sécurisé et plus humain.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Auban.
M. Bertrand Auban.
L'occasion nous est donnée de vous interroger, monsieur le ministre, sur les
progrès accomplis en matière d'Europe de la défense. Hier, vous étiez à
Bruxelles, où avait lieu la conférence d'engagement.
Dans quelques jours, les 7 et 8 décembre prochains, à Nice, nos pays
aborderont une étape décisive pour l'Union européenne.
Au Conseil européen de Cologne, les Quinze avaient décidé d'engager une
politique européenne de sécurité et de défense, afin de permettre à l'Union
européenne de jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. Au Conseil
européen de Nice, l'Union européenne devra se doter des moyens indispensables
pour cette entreprise. Ainsi, elle disposera des instruments civils et
militaires nécessaires à la gestion de crises.
L'heure est importante et nous nous trouvons à un moment crucial pour la
construction européenne. Depuis 1997, une formidable accélération a rendu
possible ce qui, pendant des années, se dérobait devant nous : une Europe ayant
la volonté d'assumer ses responsabilités et se donnant les moyens pour y
parvenir.
L'oeuvre accomplie est considérable et le Gouvernement peut être légitimement
fier d'avoir joué un rôle central dans ce processus. Bien entendu, rien n'est
fini, rien n'est définitivement acquis. Néanmoins, mes chers collègues,
reconnaissons que c'est du bel ouvrage !
Dans cette entreprise collective, la France a été en première ligne, notamment
en cette période d'exercice de la présidence européenne. Face à une certaine
tendance à la critique qui semble parfois gagner certains parlementaires de
l'opposition, force est de constater que l'Europe de la défense est en train de
se renforcer et de se consolider.
Certaines interrogations demeurent ; j'y reviendrai au fil de mon propos.
Toutefois, mes premiers mots sont pour saluer l'oeuvre réalisée et pour vous
encourager, monsieur le ministre, à continuer dans cette voie.
L'essentiel est de doter l'Union d'une capacité d'action et de décision en
matière de crises. Cet objectif est aujourd'hui partagé par une grande majorité
des pays membres de l'Union européenne. Ce n'était pas le cas voilà une dizaine
d'années. Aujourd'hui, une Europe de la défense pouvant agir en dehors de
l'OTAN ou en son sein semble une évidence. Pourtant, le chemin parcouru a été
long !
Nous savons que l'objectif global est de disposer de 80 000 hommes qui
constitueront la force commune de réaction rapide. Le total des personnels
impliqués, compte tenu des cycles opérationnels et des relèves nécessaires,
sera d'au moins 200 000 pour les seules forces terrestres.
Cette force terrestre sera complétée par un soutien aérien et naval
correspondant et par des capacités spécifiques en matière de commandement et de
contrôle, de renseignement et de transport stratégique. Il ne s'agit pas de la
création d'une armée européenne.
Monsieur le ministre, nous savons que le délai de déploiement des forces
européennes sera d'au moins soixante jours. Des éléments de réaction rapide,
plus réduits, et avec un très haut degré de disponibilité, peuvent-ils être
envisagés ?
Ces forces européennes, qui monteront en puissance jusqu'en 2003, devront être
préparées à affronter des situations de crise qui mêlent les missions
militaires et les missions civilo-militaires. En effet, les « missions de
Petersberg » - définies en 1992 ! -, que l'on évoque en permanence, ne
constituent pas un cadre précis pour l'engagement des forces. Les dernières
crises nous ont montré la nécessité d'un engagement de longue durée avec des
aspects inédits dans le domaine des actions civilo-militaires ou de maintien de
l'ordre.
Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous nous informiez sur
l'état d'esprit de nos partenaires européens en ce qui concerne les nouvelles
dimensions apparues dans la gestion de crises.
Je souhaite maintenant m'attarder sur la nécessaire mise en cohérence des
instruments civils et militaires qui donneront à l'Union européenne une
spécificité dans le domaine de la gestion de crises.
Nous devons à l'avenir être capables de traiter, à notre niveau, avec nos
ressources, les crises à venir. Peut-il y avoir une manière européenne de gérer
les crises, en amont et en aval ? Peut-il exister une doctrine européenne de
maintien de la paix ?
Aussi, dans le cadre des aspects civils de la gestion de crises, quels sont
les progrès réalisés dans la définition de l'objectif de police fixé à Feira ?
Ce volet « civil » constitue un engagement important et le complément
nécessaire aux aspects militaires de la gestion de crise.
L'objectif défini à Helsinki implique nécessairement la profonde
transformation des forces armées européennes. En France, nous avons déjà
commencé cette transformation. Elle conduira à la mise en place de forces de
projection pourvues d'armements à la pointe de la technologie. Cette mutation
aura un coût. Nous en sommes conscients, et notre budget, dans le cadre de la
loi de programmation, prend financièrement en compte cette évolution.
Or je ne suis pas certain que tous nos partenaires aient pris la mesure des
efforts à réaliser. Par conséquent, comment partager le coût de la défense
européenne ?
Les ministres de la défense de l'Union européenne, réunis hier à Bruxelles,
ont peut-être discuté de cette importante question. Il s'agissait de la «
conférence d'engagement de capacité », étape importante dans la constitution de
la force européenne de réaction rapide. Celle-ci était suivie d'un conseil «
affaires générales », qui a formalisé les engagements de participation des
Quinze.
Cette conférence d'engagement a donc approuvé le catalogue inventoriant les
besoins et les contributions nécessaires à la force de réaction rapide de
l'Union européenne. Ce travail technique, réalisé depuis plusieurs mois, trouve
ainsi son aboutisement. Cependant, cette conférence n'a pas fait qu'adopter un
catalogue de scénarios et de forces à engager ; il y a eu aussi une étude sur
les contributions nationales annuelles. Selon les décisions prises hier, quel
doit être l'apport de la France ? Que signifie concrètement une contribution de
20 % de l'ensemble de la force européenne ?
Nous savons que des capacités européennes plus efficaces devront être
développées sur la base de capacités nationales, binationales et
multinationales existantes. En particulier, un effort est nécessaire dans
certains domaines : capacité de projection, interopérabilité, flexibilité,
mobilité et capacité de commandement et de contrôle.
Des critères de convergence budgétaire sont nécessaires pour donner une
cohérence aux efforts de défense des membres de l'Union européenne. Nous
connaissons les obstacles : contributions inégales aux efforts de défense,
budgets hétéroclites, jeu des intérêts nationaux sur les industries de défense,
visions géostratégiques disparates. Comment dépasser ces obstacles ?
Il est évident qu'une mise en cohérence des politiques d'acquisition
d'équipements militaires est fondamentale ; d'où l'importance des décisions
d'acquisition prises en faveur de l'Airbus A400M comme futur avion de transport
militaire, élément essentiel pour le développement de la mobilité stratégique
des forces de l'Union européenne. Je tiens à saluer ici cette initiative qui
donne un aperçu du chemin que pourrait suivre l'aéronautique européenne.
Je pense aussi que des efforts concrets doivent être réalisés pour développer
un système d'observation satellitaire européen indépendant. Quelles sont,
monsieur le ministre, les évolutions possibles des initiatives engagées tout
récemment, d'une part, par les Allemands, avec le système SAR-Lupe, et, d'autre
part, par les Italiens et les Français, avec le programme Cosmos-Skymed Pléiade
?
Soyons conscients du long chemin budgétaire et militaire que devront parcourir
les Européens pour mettre sur pied une force de réaction rapide à la hauteur de
leurs projets.
Le processus actuel constitue une révolution culturelle pour les forces armées
des pays impliqués ; ces dernières devront abandonner le concept de défense
statique hérité de la guerre froide pour passer à la projection de forces sur
des théâtres extérieurs, avec tout ce que cela comporte de moyens de transport,
d'information et de communication.
Vous avez souvent expliqué, monsieur le ministre, qu'il ne saurait y avoir de
politique européenne de sécurité et de défense sans le développement d'une
véritable culture européenne de sécurité. Vous avez raison. Toutefois, je
souhaiterais que l'on puisse spécifier le contenu de cette formule forte et
pertinente.
Permettez-moi d'apporter quelques réflexions à la construction de cet édifice
collectif.
Tout d'abord, je considère qu'une culture européenne de sécurité devra reposer
sur des hommes et des femmes qui auront l'habitude de travailler ensemble et
qui partageront des objectifs communs. Il s'agit donc de la formation des
cadres civils et militaires de tous les pays participant à cette entreprise.
Je sais que l'idée d'un collège européen de sécurité a été avancée par
l'Allemagne et par la France. Où en est-on ? Quel accueil les autres pays
ont-ils réservé à cette initiative ?
Ensuite, une culture européenne de sécurité doit aussi reposer sur une
adhésion consciente et engagée des citoyens. En France, notre tradition
nationale de défense doit trouver un prolongement dans les perspectives
ouvertes par la construction de la politique européenne de sécurité et de
défense. Les journées d'appel de préparation à la défense peuvent devenir un
moment fort pour diffuser les principes de la culture européenne de défense.
Cependant, il n'y a pas que les jeunes, et je vous invite, monsieur le
ministre, à faire un grand effort de communication vers l'ensemble de la
population pour que les citoyens puissent trouver dès maintenant les
explications et les analyses permettant de comprendre l'évolution actuelle.
Cette culture que vous appelez de vos voeux ne doit pas rester l'apanage de
quelques spécialistes de la chose militaire ; elle doit devenir un bien commun
partagé par tous les citoyens des pays de l'Union européenne.
Nous devons nous poser les questions suivantes : sommes-nous en état de
définir une stratégie européenne commune ? Sommes-nous capables d'avoir une
perception commune de la menace ? Comment construire une culture européenne de
sécurité sans développer la notion d'intérêts de sécurité communs ?
La question d'un Livre Blanc européen sur la sécurité et la défense devient
d'une grande actualité. Notre prochaine programmation sera faite sous
l'éclairage de la politique européenne de sécurité et de défense.
La France souhaite rendre permanentes les instances intérimaires crées à
Helsinki et, ce faisant, doter l'Union européenne d'une capacité opérationnelle
propre. A terme, il y aura le comité de sécurité et de politique, le COPS, le
comité militaire et l'Etat-major européen.
Il convient d'éviter toute institutionnalisation excessive du processus
d'Europe de la défense. Pourtant, il faut faire avancer la clarification
institutionnelle sur le rôle du conseil des ministres de la défense, sur les
rôles respectifs du Haut représentant pour la PESC et du commissaire aux
relations extérieures et sur la division du travail entre la Commission et le
Conseil. Il ne faut pas aborder cette tâche avec l'idée de construire une
nouvelle usine à gaz institutionnelle.
Pour terminer, je souhaite saluer le succès de l'engagement de l'Etat-major du
corps européen au Kosovo qui a permis de démontrer son efficacité
opérationnelle au sein d'une opération de l'OTAN. Cette action a permis aussi
de conforter le lien transatlantique en montrant clairement que l'évolution des
capacités européennes ne porte pas préjudice, bien au contraire, à nos
relations avec l'Alliance atlantique.
Les crises récentes et nos expériences militaires nous ont démontré que
l'Europe ne pourra pas gérer les crises de manière crédible et suivant ses
propres intérêts si elle ne dispose pas du soutien d'une force militaire
significative.
Nous sommes aujourd'hui à quelques jours du Conseil européen de Nice, qui
dotera l'Union européenne des structures et des arrangements permanents
nécessaires à la gestion des crises. L'après-Nice devrait nous apporter une
Europe consciente de ses enjeux de sécurité. Dans un monde multipolaire,
l'affimation de l'Union européenne passe pas un renforcement de son intégration
politique, relayé par des moyens de défense et de sécurité autonomes.
L'évolution vers un corps de réaction rapide est en marche. Vos efforts,
monsieur le ministre, et ceux du Gouvernement depuis 1997 trouvent dans cette
accélération du processus de construction de la politique européenne de
sécurité et de défense une juste récompense. Au nom du groupe socialiste, je
vous encourage à persévérer dans cette voie.
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne
devions pas oublier la Bosnie ! Il y eut, hélas ! le Kosovo !
Absence pour certains, démission pour d'autres, quel que soit le terme choisi,
le paradoxe était criant : d'un côté, une Europe qui s'affirme comme une
puissance économique et commerciale incontestée, de l'autre, une Europe qui
ferme les yeux sur l'ignominie, l'irréparable.
Et pourtant, pourquoi avons-nous voulu l'Europe ? Avant tout pour bâtir une
paix durable afin d'éviter un autre conflit mondial, la Seconde Guerre mondiale
ayant laissé un réel traumatisme dans l'esprit de tous les humanistes.
Aujourd'hui, il semble plus nécessaire que jamais que les pays européens
s'interrogent sur la place et le rôle qu'ils occupent au sein de ce continent
et trouvent des moyens efficaces à la gestion des crises.
L'Europe a besoin d'une force de réaction qui puisse, seule, faire aussi bien,
sinon mieux, que les Américains pour résoudre les crises de basse intensité.
Nous devons pouvoir être capables, nous seuls Européens, d'imposer la paix et
le respect des droits de l'homme quand ceux-ci sont menacés. Monsieur le
ministre, pourra-t-elle être utilisée avant 2003, comme vous l'avez déclaré
hier lors de la conférence sur les capacités opérationnelles européennes ?
Il semblerait que l'objectif à atteindre soit de définir une Europe de la
défense pour pouvoir concrétiser une Europe de la sécurité. L'exercice est
difficile, car les références à tel ou tel concept de défense commune sont
multiples, et elles divergent selon les pays et parfois même selon les
appartenances politiques à l'intérieur d'une même nation.
C'est pourquoi l'Europe doit développer et appliquer une politique préventive
de la gestion des crises. Nous devons garder à l'esprit que la vocation
première de l'Europe est d'enraciner la paix sur notre continent.
La prévention est l'une des clefs de la sécurité européenne. Mais,
contrairement aux idées reçues, les efforts de prévention et de résolution des
conflits nécessitent une puissance militaire.
Voilà peu de temps encore, la « partition » se jouait à quatre : les
Etats-Unis, qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, sont incontournables,
l'Allemagne, qui a l'armée la plus développée du continent, la Grande-Bretagne,
puissance nucléaire et membre du conseil de sécurité des Nations unies, et la
France, grâce à qui l'idée même de défense européenne a vu le jour.
Depuis la chute du mur de Berlin, l'Europe a changé ; des réformes ont été
engagées dans différents pays pour adapter l'outil militaire aux nouveaux
besoins. Néanmoins, la construction d'une Europe de la défense a pâti d'un
immobilisme certain. Or, chacun sait que, en ce domaine, l'immobilisme est
déstabilisateur, voire dévastateur.
Rien ne sert de chercher le coupable de cet échec. En effet, les Etats-Unis ne
sont en rien responsables des carences de la politique étrangère et de sécurité
commune de l'Union européenne. L'Europe est la seule fautive.
Comme l'a dit le Président de la République devant le comité des présidents de
l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale, le 30 mai 2000 :
« N'oublions jamais qu'à deux reprises, dans le siècle passé, ils sont venus
combattre à nos côtés contre la tyrannie. C'est également grâce à eux que
l'Europe a pu se développer en paix pendant cinquante ans, malgré la division
qui lui était imposée. Aujourd'hui encore, l'Alliance atlantique demeure
essentielle à la défense collective de l'Europe ».
Nous sommes par ailleurs responsables d'avoir parfois laissé la suprématie
américaine s'infiltrer dans tous les domaines d'action. L'Union européenne se
doit de rendre sa politique étrangère et de sécurité commune crédible et
efficace, car, si elle ne le fait pas, sans doute les Etats-Unis et la Russie -
pourquoi pas ? - s'empresseront-il de nouer une entente spécifique.
La sécurité de l'Europe est indissociable de la sécurité mondiale et de
l'établissement d'un droit international qui soit réellement respecté. Ainsi,
le 29 février 2000, le Président de la République déclarait ceci : « Je suis
convaincu que le moment est venu pour l'Europe d'apporter toute sa contribution
à la sécurité de notre continent et du monde. »
Cependant, l'ONU n'a plus les moyens de ses missions. C'est pourquoi la
question d'une révision du chapitre VII de la charte peut se poser aujourd'hui.
L'Europe a le devoir de pallier les insuffisances de cette organisation et
d'assurer la sécurité de ses citoyens, où qu'ils soient dans le monde.
Les enseignements des conflits en ex-Yougoslavie sont éloquents.
Rappelons-nous que seuls les avions américains étaient équipés de système de
guidage de missiles par satellite et pouvaient ainsi atteindre leurs cibles,
même par mauvais temps.
Depuis le Kosovo, il semblerait qu'une prise de conscience ait eu lieu.
L'Europe de la défense a connu un véritable élan.
En quelques semaines, les Quinze, sous l'impulsion française, ont mis sur pied
des cadres politiques qui confirment une réflexion déclenchée par ce conflit.
Ont ainsi été créés, le 1er mars, un comité politique et de sécurité et, le 7
mars, un comité militaire. Par la suite, un embryon d'état-major fut installé
auprès du Haut Représentant de l'Union européenne, M. Javier Solana.
Par ailleurs, le 22 septembre dernier, les quinze ministres de la défense de
l'Union européenne, autour de vous, monsieur le ministre, ont posé les bases de
ce qui devrait être la future force de réaction rapide.
Depuis la conférence d'hier, nous savons que la contribution allemande sera de
18 000 hommes. Celle de la France sera comprise entre 10 000 et 20 000 hommes.
Sera-t-elle au même niveau que celle de l'Allemagne ou du Royaume-Uni ? Cette
question est d'une importance capitale si l'on veut vraiment jouer notre rôle
de puissance.
La participation budgétaire française sera-t-elle prélevée sur sa contribution
au budget de l'Europe ou bien sur celui de la défense française ? Si tel était
le cas, monsieur le ministre, comment envisagez-vous ce financement ?
Malgré un coût financier élevé, il est essentiel de doter l'Europe de moyens
d'aide au commandement et aux opérations en développant des systèmes
d'information et de communication, de renforcer ses capacités de renseignement
et de transport de troupes et de repenser son armement et l'équipement de ses
avions. Monsieur le ministre, nous attendons les précisions que vous avez
annoncées hier sur la participation française dans ces différents domaines.
Selon les experts militaires, les budgets de la défense des différents «
grands » pays européens devraient augmenter de 20 % à 30 %. Or, quel est celui
qui, à l'heure actuelle, pourrait se permettre de mener une telle politique ?
Observons toutefois que les Britanniques ont déjà réévalué le leur.
En France, loin d'être stabilisés, les crédits consacrés au budget de la
défense diminuent en francs courants. Le Gouvernement a revu à la baisse les
crédits prévus par l'actuelle loi de programmation militaire dans le cadre de
la revue de programme. Quelles seront les ambitions de celle que vous préparez
?
Quelle promesse d'avenir allons-nous faire à la jeunesse européenne pour
qu'elle ait confiance en l'Europe, confiance en nous ? Quelle paix pouvons-nous
garantir aux jeunes Européens d'aujourd'hui et de demain ? Quelle foi en
l'avenir d'une Europe libre pouvons-nous leur offrir, nous qui avons reçu la
liberté du sacrifice de deux générations ?
« Il n'y a qu'une seule querelle qui vaille c'est celle de l'homme », disait
le général de Gaulle. Aujourd'hui, nous avons sans doute le devoir d'apporter à
tous les hommes de France et d'Europe la liberté et la paix, aucun peuple ne
devant être soumis à « l'impôt du sang ».
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Je souhaite revenir, monsieur le ministre, sur le rôle des forces françaises
mises en oeuvre lorsque des crises appellent notre intervention hors de nos
frontières, dans le cadre de l'OTAN.
L'expérience montre que de telles interventions comportent généralement une
premières phase, purement opérationnelle, destinée à « séparer les combattants
». Une fois l'agressivité des protagonistes retombée, dans un deuxième temps,
il reste à bâtir la paix, à restaurer les conditions d'une vie quotidienne
humaine, à reconstruire le pays, la société, voire la démocratie. Et c'est au
moins aussi difficile, mais ce n'est plus exclusivement militaire.
Alors, certains s'interrogent pour savoir si cette mission de reconstruction
relève bien du rôle de l'armée et, si oui, si elle peut être assurée par des
unités classiques ou s'il ne faut pas plutôt concevoir de nouveaux « corps de
la paix », spécifiques, formés et entraînés pour accomplir ces missions.
Je suis totalement convaincu, pour ma part, que nos forces remplissent ces
missions dans les meilleures conditions, de manière responsable, efficace et
généralement passionnée.
Ma question ne concerne, par conséquent, ni la valeur des hommes ni la qualité
de leur engagement, qu'il convient au contraire et à nouveau de saluer sans
réserve. Elle vise plutôt la pertinence d'un choix qui confie ces missions, de
caractéristiques assez nouvelles, à des unités dont la vocation, actuellement,
demeure tout de même le règlement des conflits.
Ne faut-il pas réfléchir à la création, au sein de nos forces armées, d'unités
adaptées à ces missions de reconstruction sociale ?
Je fais l'hypothèse que la réponse est affirmative. Et j'en viens donc au
deuxième volet de ma question, ou plutôt à ma proposition, qui concerne cette
fois l'Europe.
Nos partenaires au sein de l'Union développent le même type de réflexion que
nous. Alors, mettons ces réflexions en commun ! Nous pourrions d'ailleurs
utiliser pour cela l'Institut des hautes études de défense nationale, l'IHEDN,
qui a bien vocation à porter des préoccupations globales, militaires et civiles
de défense : lieu de réflexion et de propositions, l'IHEDN pourrait faciliter
la rencontre sur ce sujet d'experts des différents pays de l'Union et des pays
candidats. Ce serait bon pour l'institut, mais aussi pour l'Europe et pour
chacun de ses Etats membres. De tels échanges seraient, en outre, certainement
très riches.
Robert Schuman, voilà cinquante ans et quelques mois, nous invitait à
progresser pas à pas, en nous appuyant chaque fois que possible sur des
réalisations concrètes, et en mettant en évidence celles qui peuvent avoir une
forte valeur symbolique.
Avec la fin de l'UEO et le transfert de compétences qui va être réalisé au
bénéfice de l'Union européenne, nous mettons en place le socle sur lequel va
progressivement s'édifier l'Europe de la défense. Ce n'est évidemment pas
simple, mais la construction européenne n'a jamais relevé de la facilité. Elle
s'arrête d'ailleurs chaque fois que faiblit la volonté politique.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Denis Badré.
Je crois que nous sommes d'accord sur ce point, comme nous sommes d'accord, me
semble-t-il, pour vouloir que l'Europe devienne rapidement une réalité
politique, pour vouloir qu'elle puisse vraiment faire entendre sa voix au sein
de l'Alliance atlantique.
M. Michel Pelchat.
Et au-delà !
M. Denis Badré.
A partir du moment où ce travail de fond se poursuit - et vous le faites, je
pense, avec détermination et ambition, monsieur le ministre - un geste
symbolique pourrait manifester immédiatement et concrètement notre volonté de
servir la liberté et la démocratie.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je suggère que la France propose la mise
en place d'un « corps européen de la paix ». Un tel signal confirmerait de
manière éclatante que les peuples de l'Union veulent travailler ensemble au
service de la paix.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Denis Badré.
Ainsi, l'Europe de la défense s'incarnerait, et avec elle l'Europe des
citoyens offrirait un nouveau visage séduisant, celui de l'Europe pour la paix.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le ministre, j'avais initialement prévu de vous faire une part d'une
constatation réjouissante, puis de vous poser trois questions. Mais j'abandonne
l'intervention que j'avais préparée pour vous permettre de répondre largement à
toutes les questions qui vous ont déjà été posées.
La constatation réjouissante - et, intervenant le dernier, je peux en parler
encore plus facilement - est la suivante : aujourd'hui, nous parlons d'Europe
de la défense, donc de la défense de l'Europe et plus de notre défense
territoriale. C'est là le résultat de cinquante ans d'efforts dans la
construction européenne, qui nous ont fait remporter les victoires
démocratiques que nous avons connues et qui nous permettent aujourd'hui de nous
poser des questions non plus sur notre propre sécurité, mais sur la façon dont
nous pouvons gérer les crises qui pourraient se produire à l'extérieur de notre
territoire. Cela mérite d'être salué, car c'est un grand succès de l'Europe.
Quant à mes trois questions, monsieur le ministre, elles sont les
suivantes.
La première est relative à notre capacité de transporter les forces
d'intervention et d'action rapides dont nous avons décidé hier la constitution
et qui, immanquablement, se mettront très rapidement en place, dans les années
qui viennent.
La seconde est directement liée à la première : pour intervenir, encore
faut-il regarder, voir, connaître, savoir. De quelles capacités d'observation
autonomes disposerons-nous dans ce cadre ?
Enfin, troisième question, je souhaiterais savoir par quel moyen la France
entend contribuer à entraîner ses partenaires européens, qui ne sont pas tous
enthousiastes par rapport à ces deux objectifs.
Par ailleurs, monsieur le ministre, notre pays entend être présent - et il
l'est - sur les trois grands océans. Comment peut-il, dans ces conditions,
demeurer « borgne », avec un seul porte-avions, alors même que nous souhaitons
participer à une force aéronavale dans l'ensemble du monde ? Voilà qui n'est
pas très entraînant pour nos partenaires !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'en ai
terminé avec l'essentiel de ce que je voulais dire.
(Applaudissements sur
les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative de M. Haenel, qui est à
l'origine du débat de cet après-midi devant le Sénat, où la qualité des
interventions m'a à nouveau frappé.
Je viens de passer deux jours à Bruxelles, où s'est déroulée la conférence
d'engagement des forces de l'Union. C'est une étape décisive dans la
constitution d'une capacité d'action militaire au service d'une politique
européenne de sécurité et de défense, dont j'ai la satisfaction de vous rendre
compte.
Cette satisfaction, c'est d'abord celle d'avoir rempli le mandat confié à la
présidence française au sommet de juin dernier, à Feira : il nous revenait de
faire progresser les Quinze dans la voie de la mise en oeuvre complète des
engagements pris par les chefs d'Etat et de gouvernement.
Ce mandat était exigeant : il nous fallait cheminer sur des terrains nouveaux,
créer des structures réactives et crédibles, et instituer de nouvelles
procédures pour atteindre nos objectifs.
Nous avons conservé l'approche pragmatique et réaliste qui inspire ce projet
depuis deux ans. Nous avons ainsi identifié nos besoins, nos moyens, les
domaines où il nous faut encore progresser, et défini le système d'évaluation
qui nous permettra - j'y reviendrai - de mesurer les progrès continus.
Nous allons pouvoir, je le crois, présenter au conseil européen de Nice un
document dynamique et complet.
J'en profite d'ailleurs pour répondre aux commentaires que j'ai pu entendre -
pas dans le débat de cet après-midi - sur une volonté politique qui ne serait
pas suffisamment forte et déterminée.
Nous avons mené ce projet sans fracas, sans controverse. Nous avons convaincu
et entraîné nos partenaires, et nous avons créé un consensus. Des décisions ont
pu être prises à temps, et elles engagent l'Europe dans des domaines où nous
étions confrontés depuis longtemps - plusieurs orateurs l'ont dit - à des
blocages.
Mais je sais que le Sénat, lui, est insensible à la politique spectacle et
qu'il juge l'action du Gouvernement, des pouvoirs publics en l'occurrence, à
ses résultats. Je crois en tout cas que la volonté, dans ce domaine, se juge
aux réalisations et non pas aux proclamations.
Dans le domaine essentiel des capacités militaires, comme l'ont indiqué les
différents orateurs, les Etats membres s'étaient fixés à Helsinki, vous vous en
souvenez, un objectif global : une force de 60 000 hommes déployable dans un
délai inférieur à soixante jours. Ils avaient également décidé de déterminer
rapidement des objectifs collectifs de capacités, notamment en matière de
commandement et de contrôle au niveau stratégique, de renseignement et de
transport militaire à longue distance.
Depuis le conseil de Feira, en juin dernier, les Quinze ont mené à bien la
traduction en termes concrets de ces objectifs militaires. Je salue, à cet
égard, la qualité du travail effectué par les experts militaires des quinze
Etats membres sous l'autorité de l'organe militaire intérimaire, c'est-à-dire
des quinze chefs d'état-major. Tout cela constituait une « première » car, pour
la première fois, des représentants militaires de nos quinze nations ont eu à
effectuer un travail de planification de forces à un haut niveau d'exigence, et
ils l'ont fait de manière particulièrement soigneuse et exemplaire.
Ce travail a été soutenu, c'est vrai, par une volonté politique collective des
gouvernements, manifestée notamment le 22 septembre dernier lors de la réunion
informelle des ministres de la défense à Ecouen.
Nous avons ainsi transformé nos objectifs politiques en une série de documents
de planification militaire très détaillés, qui sont aujourd'hui adoptés et qui
lient nos quinze pays.
En premier lieu, il s'agit du « catalogue de capacités », un document de plus
de 300 pages identifiant de façon rigoureuse les capacités militaires
nécessaires pour assumer l'ensemble des missions de Petersberg : aide
humanitaire, évacuation des ressortissants, prévention des conflits, mais aussi
- et c'est le « niveau élevé » de Petersberg, comme nous disons - séparation
par la force des parties belligérantes.
Je voudrais souligner, en réponse à certaines observations de plusieurs
orateurs, que cette démarche a fait référence à la réforme de l'ONU et que, sur
la question du champ géographique de nos interventions, il avait bien été
décidé, au sommet d'Helsinki, que l'on pourrait prendre toutes les missions de
Petersberg, y compris des missions de séparation des belligérants, sous l'égide
des Nations unies. Par conséquent, cela pouvait se réaliser sur un théâtre
éloigné, d'où les questions de projection.
Le deuxième document approuvé est le « catalogue des forces », qui prend acte
des contributions de chacun des Etats membres.
Les contributions volontaires, confirmées hier par les Quinze, constituent un
réservoir de plus de 100 000 hommes, d'environ 400 avions de combat et de 100
bâtiments navals. Ces contributions permettent donc de répondre pleinement à
l'objectif global défini par le Conseil.
Permettez-moi deux précisions à propos de ces chiffres.
D'une part, c'est un dispositif destiné à être maintenu sur théâtre pendant au
moins un an. Cela signifie donc que, lorsqu'elle a annoncé sa contribution,
chaque nation s'est engagée à avoir une relève suffisante pour tenir ce niveau
de contribution pendant un an.
D'autre part, le chiffre de 100 000 hommes ne signifie pas que nous cherchons
à déborder de l'objectif d'Helsinki, qui était de 60 000 hommes sur théâtre,
mais que nous devons prévoir une ressource en spécialistes et en qualifications
différentes pour que l'objectif de 60 000 hommes soit atteint quelles que
soient les conditions opérationnelles de leur emploi, quelle que soit la
distance, quel que soit le niveau de force des adversaires.
Le résultat de cette conférence d'engagement va toutefois au-delà de ces deux
catalogues. Nous avons en effet réalisé un accord sur le travail d'amélioration
qualitative de ces forces, en particulier pour améliorer leur réactivité, leur
déployabilité, l'interopérabilité entre les forces et leur capacité de
durée.
J'ajoute la prise en compte de la composante « police », dont nous n'avons pas
reparlé au cours de ces réunions, mais qui a fait l'objet d'un engagement
politique à Feira et pour laquelle notre pays prendra toute sa part, avec, bien
sûr, un apport substantiel de la gendarmerie, qui dispose d'une expérience
valorisable en la matière.
Un effort en termes d'équipement devra aussi être fait s'agissant des
capacités opérationnelles - et je réponds là au président de Villepin, qui
s'interrogeait sur les améliorations à apporter en dehors des questions
stratégiques - qu'il s'agisse des moyens de recherche et de sauvetage en
conditions de combat, du ravitaillement en vol, des moyens de suppression des
défenses aériennes - on a vu au Kosovo que cela constituait encore un point
faible, et pas seulement, d'ailleurs, pour les Européens - ou encore des moyens
de défense contre les missiles sol-sol ou des armements à guidage terminal.
Par ailleurs, nous devons compléter nos capacités stratégiques en matière de
commandement, même si nous avons regroupé hier un nombre satisfaisant
d'états-majors des différents niveaux. En outre, l'état-major de l'Union
européenne va être déclaré opérationnel au cours de l'année 2001, renforçant
donc la capacité d'évaluation de situation et de planification stratégique de
l'Union européenne.
En matière de renseignement, nous disposons du centre satellitaire de
Torrejon, que nous héritons de l'UEO, et les Etats membres ont offert des
ressources qui contribueront à la capacité d'analyse et de suivi de situation
de l'Union européenne ; mais, nous le savons, des efforts sérieux sont encore
nécessaires dans ce domaine pour disposer, à l'avenir, de l'ampleur suffisante
en matière de renseignement de niveau stratégique.
S'agissant des capacités aérienne et navale de projection et des transports
stratégiques, des améliorations sont à rechercher pour que l'Union européenne
puisse répondre en toute hypothèse aux besoins d'une opération de haut niveau
d'exigence située à distance.
Je ne fais pas tout à fait mien le chiffre faible mentionné tout à l'heure par
M. de Montesquiou, qui affirmait que notre capacité de projection ne serait que
de 10 % de celle des Etats-Unis. Elle est inférieure à la leur, je n'ai aucun
doute sur ce point, mais nous avons démontré en diverses circonstances que les
capacités de mobilisation de moyens de projection des Européens étaient tout de
même substantielles. En tout cas, nous voulons les renforcer.
Les hélicoptères NH 90, les navires de transport opérationnel - vous
connaissez les deux commandes françaises - et, surtout, l'avion de transport du
futur, l'A 400 M, sur lequel je reviendrai, sont des projets arrêtés et choisis
par nos nations. Ils contribueront puissamment au renforcement des capacités de
projection à disposition de l'Union.
Ces améliorations et ces projets sont ici et là décrits comme illustrant des
carences européennes. Que l'on me permette de souligner que cette observation
survient à un moment où tous les objectifs politiques ont été atteints. Il ne
reste donc que cette seule critique à faire. Par ailleurs, cette situation de
carence correspond à des manques anciens qui marquent les systèmes nationaux de
défense de beaucoup de pays européens, ils sont hérités d'une situation
statégique différente.
Je relève qu'en moins de deux ans de débats et de décisions, l'Europe de la
défense aura conduit les Quinze à adopter une attitude constructive et
volontariste pour remédier à ces manques, alors que personne ne s'en
préoccupait vraiment auparavant. J'observe, au passage, que ces comblements de
manques profiteront autant à l'Alliance atlantique qu'à l'Union européenne.
C'est donc une nouvelle dynamique qui est lancée sur la base d'une démarche
forte des quinze Etats membres. Elle n'atteindra sa pleine crédibilité que si
elle s'inscrit dans la durée.
C'est pourquoi nous avons adopté au moins les principes d'un mécanisme de
suivi et d'évaluation des capacités, et j'espère que la négociation sera
suffisamment avancée pour que ce mécanisme puisse être approuvé au Conseil
européen de Nice. Il vise à soutenir l'effort de chacun en mesurant les
progrès. Il permettra de comparer de manière claire - cette question a été
soulevée judicieusement - les niveaux d'engagement des Etats membres, donnant
ainsi aux quinze gouvernements les éléments nécessaires pour prendre des
décisions qui maintiendront leur niveau d'influence et leur niveau de
participation aux projets européens.
Comme vous pouvez le constater, les Européens ont pris des décisions qui
engagent un effort à long terme, qui consolideront la place mondiale de
l'Europe de la défense. Mais il faut commencer par une mise en oeuvre rapide
des décisions que nous avons prises.
A Helsinki, l'objectif était de rendre opérationnelle la force de réaction
rapide en 2003. Notre souhait est donc que les organes permanents de gestion de
crise soient mis en place le plut tôt possible après le sommet de Nice.
Il faudra rendre le système opérationnel, en particulier l'état-major de
l'Union européenne, ce qui demandera quelques mois. Cela suppose que cet
état-major ait ses installations propres et que ses procédures soient
validées.
Je crois d'ailleurs pouvoir dire, en réponse aux observations qui ont été
faites par plusieurs orateurs, que les procédures concernant la gestion
politico-militaire des crises commencent à se clarifier et qu'elles garderont
une robustesse et une simplicité suffisantes. Tel est, en tout cas, la volonté
politique de notre pays. Simplement, elles doivent être compatibles avec le
système intergouvernemental. Nous ne pouvons pas aller jusqu'au vote à la
majorité qualifiée ; ce ne serait pas conforme à la réalité.
Ce qui ajoute à la complexité - M. Haenel l'a bien souligné - c'est évidemment
le fait qu'il y aura aussi une gestion civile des crises. Ce n'est pas là
simplement une lubie de l'un ou l'autre de nos partenaires, cela correspond à
une réalité.
La force de l'Union européenne, c'est justement de pouvoir associer plusieurs
instruments portant sur la prévention, sur d'éventuelles sanctions économiques,
sur des actions humanitaires et aussi sur les moyens militaires, qui ne doivent
pas être mis au second plan. Il y a donc, c'est vrai, un effort à faire de
coordination et de symbiose entre les différents piliers de l'Union.
La position de notre pays consiste à dire que, si le Conseil européen, qui
détient l'autorité politique, qui a le
leadership
, et le Conseil des
ministres sont bien en mesure de contrôler l'ensemble du dispositif, nous
devrions y parvenir.
Lorsque tous ces organes seront en mesure d'assumer leurs fonctions, donc bien
avant 2003, nous pensons - je l'ai dit au nom des Quinze - que l'Union
européenne sera progressivement capable d'accomplir des missions du type des
missions de Petersberg, éventuellement au cours de l'année 2001 ou de l'année
2002.
Pour nombre de nos partenaires, le crédit même de cette dynamique dépendait
pour beaucoup des échanges avec l'Alliance atlantique. La définition des
relations entre l'Union européenne et l'OTAN était donc un aspect important du
mandat qui nous avait été confié à Feira, et de très grands progrès ont été
accomplis dans ce domaine.
Les principes généraux en la matière ont fait l'objet d'un accord à quinze, et
ont été exposés lors du dîner de travail que nous avons eu, hier soir, avec le
secrétaire-général de l'OTAN, Lord Robertson. Les Quinze - j'insiste sur ce
point - ont une nouvelle fois réaffirmé le principe de leur autonomie de
décision par rapport à l'Alliance. Si l'Union européenne décide d'agir seule,
cette décision n'est soumise à aucun autre accord que celui de ses Etats
membres.
Elle tient, bien entendu, l'OTAN informée. Si l'Union européenne décide d'agir
avec les moyens de l'Alliance, elle transmet alors une demande à l'OTAN sur les
moyens et les capacités nécessaires, qu'elle aura déterminés en relation avec
les deux organismes. Nous souhaitons d'ailleurs que l'OTAN mette au point
rapidement la procédure de réponse à ces demandes éventuelles de l'Union
européenne.
Les Quinze ont également rappelé la différence de nature qui existe entre
l'Union européenne et l'OTAN, notamment dans toute la gamme des capacités
civiles et politiques dont je parlais tout à l'heure. Il faudra en tenir compte
dans la mise au point des arrangements permanents. L'Union européenne n'est pas
simplement une alliance militaire.
Enfin, dernier principe, notre travail entre l'Union européenne et l'Alliance
atlantique sera fondé sur l'égalité des responsabilités et l'égalité de droits
entre les deux institutions.
Une coopération de grande qualité est d'ores et déjà engagée sur ces bases
entre l'Union et l'Alliance. Les experts de l'Alliance ont présenté des
analyses très utiles sur le catalogue de forces, chaque fois que cela leur
était demandé, et un climat de confiance se développe.
Nous soutenions depuis longtemps qu'un renforcement des capacités propres des
Européens moderniserait et équilibrerait l'Alliance ; c'est ce que nous
commençons à observer. Dans ce contexte, je me réjouis d'ailleurs de voir que
l'administration américaine partage ce point de vue et exprime son soutien aux
efforts des Européens.
Nous avons également progressé dans les discussions avec les pays que nous
appelons « tiers », c'est-à-dire les quinze Etats européens qui soit sont
candidats à l'Union européenne, soit sont membres de l'OTAN et non membres de
l'Union européenne.
Ce matin même, nous avons tenu avec eux deux réunions informelles, l'une avec
les quinze, l'autre avec les six alliés non membres de l'Union européenne.
Nous avons accueilli très favorablement leurs propositions de contributions
additionnelles qui étaient significatives, et nous avons discuté des relations
entre eux et l'Union européenne.
Sur ce point également, un accord est apparu entre les quinze membres de
l'Union européenne. En période de risque de crise, nous souhaitons mettre en
place des consultations avec d'éventuels Etats tiers contributeurs. Celles-ci
se tiendront dès l'émergence d'un risque de crise et avant même la décision du
Conseil européen, qui reste, bien sûr, de la responsabilité des Quinze.
Dès la décision prise, les travaux de planification seront présentés aux
contributeurs pour leur permettre de définir leurs apports volontaires.
Enfin, en cas d'opération, les Etats tiers participeront à la conduite de
l'opération au jour le jour, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que
les Etats membres, puisqu'ils auront pris un engagement direct d'action
militaire. A cette fin, un comité de contributeurs sera constitué.
En revanche, en dehors des périodes de gestion de crise, nous fonctionnons
avec un système de réunions régulières prévues entre les Etats tiers et l'Union
européenne, dont au moins une par semestre au niveau ministériel. Pour le
travail quotidien, chaque pays tiers pourra, en outre, désigner des
représentants politiques pour servir d'interlocuteur au COPS pour servir de
point de contact auprès de l'état-major de l'Union européenne.
La France apportera une contribution très significative au réservoir de
forces. Le volume global de son engagement s'élève à environ 20 % de la force
de réaction rapide, soit une contribution terrestre maximale de 12 000 hommes
de toutes qualifications - je parle des hommes en projection, sur le théâtre -
avec des moyens aériens et navals appropriés, soit 75 avions de combat et 12
bâtiments, dont le porte-avions.
Je ne fais pas de comparaison avec les contributions des autres nations parce
que nous sommes convenus hier que chaque gouvernement présenterait, dans les
termes qui lui paraissent justes, sa contribution - généralement, d'ailleurs,
devant son parlement. Ce n'est donc que dans quelques jours que nous pourrons
sans spéculation faire une observation publique des contributions des uns et
des autres.
C'est dans le domaine des capacités stratégiques, dont nous avons parlé, que
la France fournit sa plus forte contribution.
Dans le domaine du commandement, elle tient à la disposition de l'Union ses
états-majors de niveau stratégique et d'opération, ainsi que des états-majors
tactiques et des moyens projetables, des moyens de théâtre, pour la
communication, notamment par satellite.
Dans le domaine du renseignement, elle offre des capacités d'imagerie
satellitaire, qu'elle est seule à détenir, grâce à des stations de théâtre
Hélios. Elle tient aussi à la disposition de l'Union des moyens de
reconnaissance et de surveillance du champ de bataille.
Enfin, dans le domaine de la mobilité, elle participe de manière substantielle
à l'effort collectif, avec 29 avions à long et moyen rayon d'action et deux
grands bâtiments amphibies, les NTCD de nouvelle génération, à l'heure actuelle
en service.
La totalité des moyens français pourra être déployée dans le délai de soixante
jours imparti. Nous pourrons maintenir ces capacités sur le théâtre
d'opérations pour au moins une année ; seul le groupe aéronaval fera exception,
en étant déployé au maximum six mois, comme M. Pelchat l'a justement relevé.
Cet engagement de la France est en grande partie le résultat de l'intense
effort d'adaptation de son outil militaire qu'elle mène depuis 1996. La
pertinence du modèle d'armée que nous avons décidé de mettre en place est
confirmée.
Toutefois, nos efforts ne s'arrêtent pas là. Le format d'armée que nous nous
sommes fixé pour 2015 implique encore de nombreuses mesures d'investissement.
Ces projets nationaux, et éventuellement multinationaux, renforceront les
capacités de l'Union. Ils feront l'objet d'un examen particulier lors de
l'établissement, assez proche maintenant, de notre loi de programmation
militaire pour 2003-2008.
J'ai l'intention d'adresser à la commission des affaires étrangères un
document d'étude et de réflexion sur les bases de notre programmation militaire
pour permettre un véritable dialogue entre les deux chambres du Parlement et le
Gouvernement avant l'adoption de ce projet de loi, sans doute au cours de
l'année prochaine.
Quant aux projets d'amélioration de capacité, qui apparaîtront dans les lois
de finances à venir et dans la prochaine loi de programmation, nos premiers
efforts se feront en grande partie à titre national.
Dans le domaine des moyens d'imagerie satellitaire, nous disposerons en 2004,
avec la nouvelle génération d'Hélios, des stations de théâtre améliorées dotées
de capacités de très haute définition.
Toujours en matière de renseignement, nous aurons une nouvelle génération de
drones tactiques plus performants, y compris un système moyenne altitude et
longue endurance, ainsi que des nacelles de reconnaissance de nouvelle
génération, placés sous les avions pour améliorer nos moyens de
reconnaissance.
Pour les communications satellitaires, autre élément clé, des capacités
accrues en matière de débit et de protection de données transitant entre les
unités sont prévues sur notre programme Syracuse III.
Afin d'améliorer l'efficacité de nos armées, nous désirons nous équiper de
nouveaux armements de précision et de missiles de croisière. Nous serons les
premiers, avec nos partenaires britanniques, à offrir ce type d'armement en
Europe.
Nous avons aussi un programme d'amélioration des moyens de projection navale,
avec les deux nouveaux NTCD. Quant au programme Rafale il concourra à
l'amélioration de notre projection de puissance.
Je signale - nous ne sommes sans doute pas nombreux en Europe à réfléchir à
cette question - que, pour mieux protéger nos forces - nous ne sommes pas en
avance sur ce point - nous devons acquérir les premiers moyens de détection des
agents biologiques, puisque nous savons que, sur certains des théâtres où nous
pourrions agir, ce risque existe effectivement.
En plus de ces efforts d'amélioration sur le plan national, nous avons
l'intention de soutenir des projets de coopération déjà existants et d'en
promouvoir de nouveaux.
Je mentionne, bien sûr, les états-majors multinationaux, l'Eurocorps,
L'Eurofor et l'Euromarfor.
Monsieur de Villepin, sur la question du corps sud, le débat est encore
ouvert. Nos alliés sont encore partagés, mais la France soutiendra une formule
de type Eurocorps, car c'est la plus juste, de notre point de vue.
En coopération avec la Grande-Bretagne et tous les pays membres intéressés,
nous travaillons à la mise au point d'un outil de simulation d'aide à la
décision stratégique, moyen de rendre beaucoup plus efficace la conduite des
opérations.
Dans le domaine du renseignement, nous nous proposons, avec l'Allemagne et
l'Italie, d'acquérir une capacité d'observation satellitaire en tout temps
puisque nos partenaires italiens et allemands travaillent au développement de
satellites radars, qui compléteraient donc bien le système Hélios II.
Quant aux moyens de transport stratégiques, nous multilatéralisons, avec le
groupe aérien européen, les accords de partage de capacité existants, mais,
surtout, nous nous engageons à acquérir le programme du futur avion de
transport A 400 M. L'ensemble des Européens de l'Union en achèteront 185. Comme
beaucoup le savent ici, le Gouvernement a décidé d'inscrire 20 milliards de
francs d'autorisations de programme au collectif qui vous sera bientôt soumis
pour apporter une grande partie du financement qui nous incombe dans ce
domaine.
Dans le même esprit, nous travaillons avec les Pays-Bas au sein d'un groupe de
travail sur la projection maritime, qui étudiera différentes solutions
d'accroissement des moyens de projection.
En conclusion, après la réunion de la semaine dernière, à Marseille, où tous
les Etats membres de l'UEO avaient pris les décisions importantes de transfert
de l'UEO vers l'Union européenne des moyens pratiques existants, ces deux
dernières journées ont constitué une étape marquante dans le processus de
construction de l'Europe de la défense.
Après avoir démontré sa détermination, tard en Bosnie, puis dès le début de la
crise au Kosovo, l'Europe affirme aujourd'hui ses capacités et s'organise pour
les consolider dans un processus de long terme.
Elle a déjà fortement amélioré et réorganisé ses industries de défense, comme
plusieurs orateurs l'ont remarqué. Elle a aujourd'hui la volonté politique
d'acquérir cet outil de défense essentiel à la place internationale de l'Union
européenne ; cette volonté est partagée par les quinze Etats, au-delà de leurs
différences de perception et de tradition ; elle est comprise par nos opinions
publiques, que nous devons, bien entendu, continuer à bien informer.
Les méthodes pour donner corps à ce projet sont en place. Notre pays y tient
toute sa place, dans une compréhension profonde avec tous ses partenaires de
l'Union. Il espère - c'est notre tâche, M. Auban l'a très bien dit - faire
progresser entre les Quinze une culture européenne de sécurité fondée à la fois
sur nos valeurs humaines et sur notre expérience historique profonde.
C'est donc avec satisfaction, avec confiance dans l'avenir et avec le sens
aigu de ma responsabilité pour contribuer au succès de ce projet historique que
je rends compte au Sénat des avancées importantes que nous venons d'accomplir.
(Applaudissements.)
M. le président.
Je constate que le débat est clos.
Le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les reprendra à vingt-deux
heures trente.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures
trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)