SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2000
LOI D'ORIENTATION POUR L'OUTRE-MER
Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi
d'orientation (n° 28, 2000-2001) relatif à l'outre-mer, adopté par l'Assemblée
nationale avec modifications en nouvelle lecture. [Rapport n° 48 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, en m'adressant à votre assemblée, et pour la première
fois à cette tribune, pour vous présenter, en nouvelle lecture, le projet de
loi d'orientation relatif à l'outre-mer, adopté le 12 octobre dernier par
l'Assemblée nationale, j'entends bien ne pas procéder à un examen purement
formel de ce texte. Mon état d'esprit est en effet tout autre.
Je souhaite, en y mettant toute la force de ma conviction, essayer de
convaincre la majorité sénatoriale, qui a accepté en première lecture
l'essentiel de ce texte et qui l'a enrichi, que rien ne justifie, au fond, que
subsistent de véritables désaccords entre elle et le Gouvernement. Si quelques
points de divergence - deux seulement, en fait - ont abouti à ce qu'échoue la
commission mixte paritaire qui s'est tenue le 3 octobre dernier à l'issue de la
première lecture, je veux croire, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette
discussion peut les réduire.
Je souhaite surtout que notre discussion permette à chacun, dans cet hémicycle
comme dans les départements d'outre-mer, de prendre l'exacte mesure des
orientations affirmées par ce projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte n'est pas une simple loi d'étape.
Il dessine un cap, sans fixer un point d'arrivée. C'est en cela qu'il est une
véritable loi d'orientation.
Permettez-moi d'en donner au moins trois preuves.
Tout d'abord, ce projet de loi fonde un processus d'évolution statutaire
porteur de sens et d'une exigence forte.
Plus d'un demi-siècle après la loi de 1946, près de vingt ans après les lois
de décentralisation, une nouvelle page doit s'écrire pour les départements
d'outre-mer. Dans le même temps qu'il affirme le droit à une évolution
différenciée et choisie, ce texte reconnaît que le mouvement doit provenir de
la confrontation des idées et des projets dans l'espace public local. C'est la
fin d'une vision unique, dictant à l'outre-mer, depuis Paris, le chemin à
emprunter.
Ce texte - et c'est, je crois, la deuxième preuve de sa qualité de loi
d'orientation - vise à s'attaquer à bras-le-corps à l'enjeu majeur, au drame
partagé des départements d'outre-mer que sont le chômage et la souffrance
sociale que celui-ci produit, en disant haut et fort que les départements
d'outre-mer ne sauraient demeurer durablement à l'écart de la croissance
retrouvée par notre pays et que, bien sûr, il faut agir pour cela.
Enfin - et c'est la troisième preuve que je voulais apporter - ce projet de
loi tend à dépasser l'opposition stérile entre le développement économique,
d'un côté, et l'évolution institutionnelle, d'un autre côté. Ce texte donne à
la République une grille de lecture indispensable pour appréhender les réalités
complexes de l'outre-mer et bâtir l'action de l'Etat. Mieux organiser la
solidarité n'est pas un objectif incompatible avec le respect des identités et
des différences.
S'agissant du volet économique et social de ce projet de loi, que je voudrais
évoquer tout d'abord, je faisais observer à vos collègues députés, lors de mon
intervention à l'Assemblée nationale, que le Sénat, en première lecture, avait
adopté l'essentiel des articles de ce projet de loi. Je donnais d'ailleurs acte
au Sénat, et je le refais volontiers aujourd'hui, de ce que, dans bien des cas,
ces travaux, ces débats et les interventions de son rapporteur avaient permis
d'améliorer certaines dispositions proposées. Plus globalement, ce projet de
loi d'orientation - je tiens aussi à le rappeler aujourd'hui - est le fruit
d'un travail qui vient après une phase de consultation, de concertation et un
rapport qui a fait date, celui de Claude Lise et de Michel Tamaya.
Au regard des amendements que la commission des lois du Sénat a adoptés, et
évidemment sous bénéfice d'inventaire, il me semble que les points de désaccord
se sont encore considérablement réduits par rapport à ceux qui avaient été
constatés à l'issue de la première lecture. Sur le fond, dans le domaine
économique et social, seuls deux d'entre eux paraissent suffisamment
substantiels pour être évoqués d'emblée.
Le premier est relatif au dispositif, très attendu outre-mer depuis de
nombreuses années, de congé-solidarité, prévu à l'article 9
quater
du
projet de loi, dispositif couramment qualifié de « préretraite contre embauche
de jeunes ». Le Gouvernement a entendu en réserver le bénéfice aux seules
entreprises qui seront effectivement passées aux 35 heures.
L'Assemblée nationale a rétabli cette disposition qui est, en effet, pour le
Gouvernement, une condition nécessaire. Le Gouvernement a fait de la réduction
hebdomadaire du temps de travail un axe majeur de sa politique en faveur de
l'emploi. Les résultats en ce domaine, qui viennent d'ailleurs d'être confortés
par la baisse importante du chômage que notre pays a connue en septembre - 2,5
% de baisse, soit près de 59 000 chômeurs en moins - montrent qu'il a eu
raison.
Concernant le dispositif de congé-solidarité, cette condition effective
jouera, de surcroît, comme un multiplicateur qui permettra d'embaucher un
nombre de jeunes en contrat à durée indéterminée supérieur à celui des salariés
âgés bénéficiant de ce congé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans les départements d'outre-mer, où près
de 36 % de la population a moins de vingt ans, contre 25 % en métropole, les
mesures prises en faveur de l'emploi des jeunes, qui sont au coeur de ce projet
de loi d'orientation, doivent être à la hauteur des enjeux qui s'y posent. La
condition des 35 heures, tout autant d'ailleurs que celle qui est relative à la
nature des contrats de travail qui devront être proposés à ces jeunes, est donc
essentielle - je voudrais vous en convaincre - pour la réussite de ce mécanisme
de congé-solidarité.
Le second point de divergence, à l'issue des travaux de la commission des lois
du Sénat, concerne le champ des exonérations de charges patronales de sécurité
sociale, tel que prévu à l'article 2 du projet de loi d'orientation. La
commission des lois, comme c'est bien sûr son droit, a réitéré son souhait que
bénéficient de ces exonérations non pas les entreprises de moins de onze
salariés, mais les dix premiers salariés des entreprises de moins de vingt et
un salariés.
Le Gouvernement - j'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises sur ce
point - a toujours eu conscience de la nécessité d'atténuer l'effet de seuil
que provoque ce dispositif. A ce titre, j'ai accepté à l'Assemblée nationale,
au nom du Gouvernement, un amendement parlementaire qui poursuivait cet
objectif et qui m'apparaît comme un bon compromis.
M. Lucien Lanier.
Très bien !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
L'amendement de la commission des lois, dont je
comprends bien sûr l'objectif, ne représenterait pas moins de 400 millions de
francs de charge budgétaire pour un effet sans doute marginal sur l'emploi et,
en tout cas, sans commune mesure avec son coût. Au demeurant, la disposition
proposée ne supprimerait pas l'effet de seuil mais se contenterait de le
repousser.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sur ce point, j'observe également que
personne, ici pas plus qu'ailleurs et, en tout cas, pas dans les départements
d'outre-mer, ne conteste que le plan d'exonérations de charges proposé par le
Gouvernement est, selon la formule du Premier ministre, sans précédent.
Le dispositif antérieur, celui de la loi du 25 juillet 1994, ne concernait en
effet que les entreprises des secteurs exposés. En dehors de ces secteurs
exposés, les exonérations de charges ne bénéficiaient à aucune des petites
entreprises. Celles-ci ne profitaient donc pas d'un système dans lequel
l'exonération était plafonnée au SMIC et qui était, au demeurant, restreint par
la condition d'être à jour de ses dettes sociales ou de s'être vu accorder par
l'administration un plan d'apurement de celles-ci. Les dispositions de cette
loi étaient limitées à cinq ans et son financement, je le souligne, reposait
intégralement sur une majoration de la TVA outre-mer, c'est-à-dire sur un impôt
dont chacun sait qu'il frappe indistinctement les plus riches comme les plus
pauvres. Précaire, très restreint, intégralement à la charge des départements
d'outre-mer - en fait de trois d'entre eux -, ce dispositif n'aura concerné que
moins de 45 000 salariés.
Le projet de loi d'orientation relève d'une tout autre ambition. Aux
entreprises des secteurs exposés, même lorsque celles-ci ont plus de dix
salariés, s'ajouteront désormais toutes les petites entreprises de moins de
onze salariés, et ce quel que soit leur secteur d'activité. Ce choix en faveur
des petites entreprises découle du constat qu'elles seront, outre-mer peut être
plus encore qu'en métropole, le principal gisement de créations d'emplois dans
les années à venir. Quant au seuil proposé - chacun reconnaît qu'il en fallait
un -, celui qui est retenu dans le projet de loi aura été choisi de façon
large, car la très grande majorité des entreprises d'outre-mer - 95 % à peu
près - ont en réalité un effectif moyen inférieur ou égal à deux salariés. De
plus - j'insiste sur ce point -, le seuil ne concerne pas les entreprises des
secteurs exposés. Vous en connaissez la liste. Cela correspond, vous le savez,
à l'essentiel de l'économie des départements d'outre-mer.
Enfin, si le Gouvernement n'a pas jugé possible de suivre la position du
Sénat, s'agissant de la liste des secteurs exposés, il a néanmoins accepté
d'aller dans son sens, puisque, à l'issue de la première lecture à l'Assemblée
nationale, y figurent désormais les nouvelles technologie de l'information et
de la communication, comme l'avait demandé ici M. Claude Lise, et les énergies
renouvelables, comme l'avait souhaité M. Paul Vergès.
Je rappelle que le Gouvernement avait déjà inclus dans la liste des secteurs
pouvant bénéficier de ces exonérations quelle que soit la taille des
entreprises le secteur du bâtiment et des travaux publics, avec une exonération
qui a été ramenée à la moitié.
Dans l'avenir, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont donc 95 % des
entreprises des départements d'outre-mer qui bénéficieront d'une exonération
totale des cotisations patronales de sécurité sociale, dans la limite d'un
plafond désormais relevé à 1,3 fois le SMIC. Autrement dit, ce dispositif
concernera près de 115 000 salariés, auxquels s'ajouteront tous les
entrepreneurs et travailleurs indépendants, c'est-à-dire 55 000 personnes de
plus. Enfin, les nouvelles dispositions seront pérennes et, cette fois-ci,
relèveront intégralement de la solidarité nationale.
Lors de la première lecture, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, s'était
également exprimée une inquiétude concernant le respect par le Gouvernement de
l'engagement qu'avait pris le Premier ministre de proposer dès 2001 un nouveau
système, plus efficace et plus juste, de soutien fiscal aux investissements
outre-mer, en remplacement de la loi de 1986.
Issu des travaux d'un groupe de travail qui associait les représentants de
l'administration aux chefs d'entreprise des départements d'outre-mer, ce
nouveau dispositif figure à l'article 12 du projet de loi de finances pour
2001, projet de loi adopté par l'Assemblée nationale le 20 octobre dernier et
dont la Haute Assemblée sera bientôt appelée à débattre.
Ce projet de loi a été accueilli outre-mer presque unanimement de façon très
positive à la fois par les élus et par l'ensemble des milieux
socioprofessionnels. Je veux néanmoins en rappeler les grandes lignes, parce
qu'il participe de cet effort visant à s'attaquer radicalement aux difficultés
des départements d'outre-mer.
Ce nouveau dispositif de soutien fiscal à l'investissement sera en effet
marqué par une plus grande justice fiscale. Il est plus équitable. En effet, la
déduction actuelle du revenu global, qui porte atteinte à la progressivité de
l'impôt, sera remplacée par une réduction d'impôt plus équitable, égale à 50 %
du montant de l'investissement. Tous les intervenants seront donc traités de
façon équivalente quelle que soit leur tranche d'imposition ; moins
critiquable, ce dispositif sera, n'en doutons pas, plus durable.
Ensuite - c'est sa seconde qualité - ce dispositif sera plus efficace
économiquement. L'aide sera étendue à de nouveaux secteurs économiques qui sont
réellement créateurs d'emplois : la maintenance, la rénovation hôtelière et
l'acquisition de logiciels.
Vous l'avez compris, cette réforme entend avant tout être au service de
l'emploi dans des secteurs qui sont aujourd'hui réellement créateurs d'emplois
outre-mer.
Enfin, j'ai personnellement tenu à ce que les nouvelles technologies de
l'information et de la communication figurent désormais dans la liste des
secteurs éligibles à ce soutien fiscal et, à ce titre, un amendement
gouvernemental a été adopté par l'Assemblée nationale lors de l'examen du
projet de loi de finances pour 2001.
Je veux souligner également que les entreprises de l'outre-mer seront les
principales bénéficiaires de ce soutien fiscal, ce qui n'était pas forcément le
cas dans le passé. En effet, au minimum 60 % de l'avantage fiscal accordé par
l'Etat leur sera rétrocédé par le biais d'une réduction du loyer.
Comme pour le dispositif d'exonération de charges sociales - et vous pourrez
constater la constance du point de vue du Gouvernement en ce domaine -, des
dispositions favoriseront les petites entreprises, lesquelles n'ont pas accès,
aujourd'hui, à l'aide fiscale à l'investissement, beaucoup d'entre elles ne
disposant pas de revenus suffisants pour investir. Désormais, pour elles, le
crédit de 50 % du montant de l'investissement sera reportable et remboursable.
Il pourra être imputé sur l'intégralité de leur impôt, sans plafonnement, le
cas échéant sur cinq ans, avec remboursement du solde à la fin de la cinquième
année.
Pour conclure sur ce dispositif, je voudrais rappeler qu'un effort particulier
sera réalisé pour les départements ou territoires d'outre-mer n'ayant pas la
plus forte dynamique d'investissement, c'est-à-dire pour Mayotte,
Wallis-et-Futuna, mais aussi pour Saint-Pierre-et-Miquelon et la Guyane. La
réduction d'impôts sera en effet portée à 60 % pour les investissements qui
seront réalisés dans ces quatre collectivités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les mesures économiques et fiscales du
projet de loi d'orientation, tout comme la nouvelle loi de soutien fiscal à
l'investissement, viennent compléter, pour les départements d'outre-mer, les
crédits contractualisés, nationaux et européens, dont ils bénéficieront sur la
période 2000-2006. Ces crédits, je le rappelle, représentent près de 30
milliards de francs, sans préjudice des contreparties locales, soit plus de 50
% d'augmentation par rapport à la période précédente.
Pour les départements d'outre-mer, le pacte de croissance et de solidarité,
que le Premier ministre avait proposé au pays tout entier en juin 1997,
s'appuiera désormais sur ces trois outils, conçus en étroite synergie et qui
leur permettront, j'en suis sûr, de s'inscrire enfin dans une logique de
développement durable et solidaire. Je souhaite que la Haute Assemblée ne
demeure pas à l'écart de ce nouveau soutien aux économies de l'outre-mer.
J'en viens maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, au volet
institutionnel du projet de loi d'orientation. Là encore, je comprendrais plus
aisément que la Haute Assemblée, comme vous le propose une nouvelle fois la
commission des lois, affiche sur ce point son désaccord avec le projet du
Gouvernement s'il était démontré que ce désaccord découle d'oppositions
fondamentales comme celles qui ont parfois opposé, sur l'outre-mer, les grandes
familles politiques de notre pays, à d'autres moments de notre histoire.
Or, à l'occasion de la première lecture de ce texte au Sénat, dont j'ai relu
avec attention les débats, le président de la commission des lois, M. Jacques
Larché, dont je veux saluer ici l'ouverture d'esprit et le souci de la
recherche d'un compromis, n'avait pas caché son approbation personnelle à
l'égard de l'essentiel des orientations institutionnelles proposées. Il avait
simplement regretté que le Gouvernement n'ait pas choisi d'aller plus vite sur
ce chemin, en proposant d'emblée la transformation des départements d'outre-mer
en collectivités de l'article 72 de la Constitution, collectivités qui se
substitueraient à celles qui coexistent aujourd'hui : l'institution
départementale et l'institution régionale. Il n'y voyait guère d'obstacle en
droit interne - peut-être avons-nous sur ce point une divergence - mais il
relevait la nécessité d'examiner les conséquences de ces évolutions en droit
communautaire.
Malgré ce propos, chacun conviendra en relisant l'ensemble des débats du
Sénat, que ceux-ci n'étaient ni fermés ni sectaires, mais que tout a été dit
des ambiguïtés qui subsistent s'agissant des perspectives d'évolution
institutionnelle des départements d'outre-mer.
Je vais tenter aujourd'hui, au nom du Gouvernement, de lever quelques-unes de
ces ambiguïtés. En effet, je vois dans cette première lecture la confirmation
du fait que les groupes politiques qui constituent la majorité sénatoriale ne
s'opposent plus à cette évolution institutionnelle.
Pour être nouvelle et récente, cette approche s'inscrit ainsi en parfaite
cohérence avec l'expression, désormais semblable sur ce point, des deux plus
hauts responsables de notre pays. Permettez-moi de les citer : le 11 mars 2000,
en Martinique, le Président de la République déclarait que l'évolution des
règles statutaires de l'outre-mer était « dans la nature des choses ». Et cette
orientation ne s'opposait en rien, au contraire, à la ligne directrice tracée
par le Premier ministre, lorsque, écrivant aux huit présidents d'assemblées, de
conseils généraux et régionaux, Lionel Jospin soulignait la volonté du
Gouvernement de proposer aux départements d'outre-mer la possibilité d'une
évolution.
Il n'y a donc plus d'opposition, en métropole, entre gauche et droite sur ce
point.
Il n'en demeure pas moins que semblent subsister des différences
d'appréciation tant sur les contraintes juridiques d'un tel exercice que sur la
méthode sur laquelle il doit se fonder.
S'agissant, tout d'abord, des contraintes juridiques, j'indique que le
Gouvernement ne croit ni possible ni souhaitable que le législateur, s'appuyant
sur l'article 72 de la Constitution, puisse créer une collectivité unique qui
viendrait se substituer non seulement à la région - ce qui est évidemment
possible - mais aussi au département, collectivité de la République dont
l'existence est prévue par la Constitution pour l'ensemble du pays, à
l'exception des territoires d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie.
Autrement dit, pour autant qu'il ait souhaité le faire, le Gouvernement
n'aurait pu proposer la création d'une telle collectivité faisant table rase
des institutions actuelles par une loi simple. Pour ce faire, il faudrait tout
simplement, le moment venu, une révision constitutionnelle.
Au-delà des contraintes juridiques, une telle approche aurait surtout posé un
double problème de méthode. Devait-elle concerner, en effet, l'un des quatre
départements d'outre-mer - ce qui, à l'avenir, est évidemment envisageable - ou
s'appliquer de façon uniforme à ces quatre départements, auquel cas nous
serions en désaccord ?
S'il doit y avoir une évolution institutionnelle pour les départements
d'outre-mer, alors le choix du Gouvernement est sans ambiguïté.
L'évolution statutaire devra se faire en fonction de réalités et d'aspirations
qui sont propres à chacun de ces départements, et non de façon uniforme.
Le choix d'une approche spécifique, « sur mesure », pour chaque département
d'outre-mer est aujourd'hui commun au Président de la République et au
Gouvernement. L'outre-mer est une école de la diversité !
Enfin - cela doit être également clarifié -, qui doit être à l'initiative de
cette évolution institutionnelle ?
Le Gouvernement en a évidemment toujours la possibilité juridique. Mais, sur
le plan politique, notre choix est tout autre. Nous entendons, en effet, que
l'évolution institutionnelle procède d'abord de l'initiative locale et ne soit
ni octroyée ni imposée d'en haut, depuis Paris.
Tel est donc l'objet de l'article 39 du projet de loi : donner aux élus locaux
des deux assemblées un droit à l'initiative en matière d'évolution statutaire
et, à ce titre, organiser ce droit.
Sommes-nous vraiment en désaccord sur ce point ? Et, si nous le sommes, quelle
est la portée véritable de cette opposition ?
Le Gouvernement considère légitime de poser trois conditions politiques à
l'évolution institutionnelle d'un département d'outre-mer qui y aspirerait...
dans le cadre de notre République, est-il utile de le souligner ?
La première condition est que l'évolution statutaire soit d'abord l'affaire
des élus du suffrage universel et ne soit en aucun cas imposée par des
avant-gardes ou des minorités agissantes, sans légitimité démocratique, qui
prétendraient imposer leur volonté et leur projet à la population et à ceux
qu'elle a investis pour la représenter.
Ensuite - deuxième condition -, chacun voit bien que ces élus devront
rechercher dans un débat démocratique et républicain les conditions d'un
rapprochement des points de vue. Inévitablement, ceux-ci seront, au moins au
départ, différents, parfois antagonistes, avant, je l'espère, de se retrouver
le plus largement possible sur une position commune qui sera le fruit d'un
compromis.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, s'agissant de l'outre-mer, je ne
crois pas envisageable que l'évolution statutaire, dès lors qu'elle serait
substantielle et qu'elle s'éloignerait du droit commun, puisse être mise en
oeuvre sans que chacun, Gouvernement et Parlement, mais aussi élus locaux, se
soit assuré qu'elle rencontre l'assentiment de la population.
Le Gouvernement a procédé ainsi pour la Nouvelle-Calédonie et pour Mayotte.
Dans les deux cas, certes, les bases juridiques de la consultation de la
population étaient différentes. En Nouvelle-Calédonie, la révision
constitutionnelle de juillet 1998 avait prévu cette consultation. A Mayotte,
celle-ci n'avait aucun caractère décisionnel et trouvait son fondement
juridique dans les préambules des Constitutions de 1946 et de 1958, dont le
rapprochement montre que, s'agissant des territoires, au sens physique et non
juridique du terme, de telles consultations sont possibles.
Là encore, le Président de la République et le Gouvernement partagent la même
appréciation, comme l'a confirmé l'intervention publique du chef de l'Etat, le
11 mars dernier, en Martinique, dans laquelle il a souhaité que « toute
modification statutaire substantielle soit explicitement approuvée par les
populations concernées ».
L'éloignement comme l'histoire des relations entre la métropole et l'outre-mer
sont autant de facteurs qui conduisent à être convaincu que, si de telles
consultations sont juridiquement possibles pour les collectivités d'outre-mer,
en l'espèce, pour les départements, elles sont surtout politiquement et
moralement nécessaires. Vouloir agir autrement serait prendre le risque de
troubler profondément les opinions publiques en suscitant craintes et hantises,
en contraignant ainsi les aspirations par la peur.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que signifie profondément
l'article 39 du projet de loi d'orientation. Mais il m'est apparu nécessaire
que les intentions du Gouvernement, s'agissant de l'évolution institutionnelle
des trois départements français d'Amérique, où une telle aspiration semble
s'être fait jour, figurent explicitement dès l'article 1er de ce projet de
loi.
Sommes-nous en désaccord sur le constat, pourtant indéniable, que, parmi ces
quatre départements d'outre-mer, l'un d'entre eux, le plus important par la
population, a d'ores et déjà choisi la voie qu'il entendait suivre dans les
années à venir ? En effet, les Réunionnais souhaitent que leur île continue
d'être régie par le droit commun, sous bénéfice des adaptations prévues par
l'article 73 de la Constitution.
Je l'ai dit et je le répète, le Gouvernement respectera ce choix et il entend
même, suivant en cela la demande d'une majorité d'élus - qu'il s'agisse des
assemblées locales, des maires ou des parlementaires - approfondir cet
alignement sur le droit commun en proposant que la Réunion devienne, comme
toutes les régions de métropole, une région pluridépartementale, et ce par des
mesures dont certaines relèvent de la loi d'orientation et d'autres de
décisions du Gouvernement.
Toutes tendances confondues, les cinq députés de la Réunion ont déposé et fait
adopter par l'Assemblée nationale un amendement prévoyant qu'un second
département serait créé à la Réunion dès le 1er janvier 2001.
Le Gouvernement n'a pu qu'en tirer les conséquences en amendant son propre
texte par l'introduction d'un article 38
bis
. Il appartient désormais au
Sénat de prendre ses responsabilités et de répondre, favorablement je l'espère,
à cette demande.
Je reviendrai, si votre assemblée estime ne pas posséder sur ce point toutes
les informations nécessaires, sur les termes du débat qui a eu lieu,
localement, entre adversaires et partisans de la bidépartementalisation.
J'observe cependant que, ni sur le plan local, ni sur le plan national,
personne ne peut, là non plus, réduire le choix à une position partisane qui
recouvrirait les clivages politiques traditionnels.
Seul parlementaire de la Réunion sur huit à y être défavorable, le sénateur
Lauret sait bien que, dans son propre parti, des élus importants - je pense par
exemple à Alain Bénard, maire de Saint-Paul, seconde ville du département - se
sont prononcés pour la bidépartementalisation.
Dois-je rappeler par ailleurs que, là encore, le Président de la République
s'est à deux reprises publiquement prononcé pour la création d'un second
département ?
Si cette idée est largement partagée, c'est bien que la création d'un second
département ne se limite pas à une bidépartementalisation administrative. Il y
a aussi, dans ce choix, d'une part, la volonté d'une bidépartementalisation
sociale, garante de plus de proximité et de solidarité - et donc d'une
meilleure cohésion sociale - et, d'autre part, la recherche d'un meilleur
équilibre économique, que permettront des infrastructures mieux réparties et
une animation du développement local au plus près de ceux qui en sont les
acteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai ouvert mon propos en affirmant ne pas
vouloir me résigner à ce que subsistent des désaccords alors qu'aujourd'hui
nous pouvons ensemble mieux éclairer les termes du projet de loi d'orientation
relatif à l'outre-mer. J'espère y avoir contribué et je veux rappeler ici que
ce texte a été voté, en nouvelle lecture, à l'Assemblée nationale, par des élus
de l'outre-mer qui siègent sur les bancs de l'opposition. Léon Bertrand, Gérard
Grignon, ou encore André Thien Ah Koon ont-ils abdiqué leurs convictions ? Non
! Ils ont perçu dans ce projet, qui a été préparé par Jean-Jack Queyranne et
que j'ai l'honneur de vous présenter cet après-midi, l'opportunité d'une grande
loi pour l'outre-mer français. En joignant leur vote à celui de leurs collègues
de la majorité, ils ont montré que pouvaient être dépassés les clivages
traditionnels.
Je crois en effet que l'outre-mer, c'est-à-dire les femmes et les hommes qui y
vivent, mais aussi ceux qui en sont originaires et qui vivent en métropole,
mérite cet effort collectif pour dépasser la ligne qui, habituellement, partage
le Parlement. Il vous appartient désormais, après l'Assemblée nationale, de le
leur dire. C'est à cela que le Gouvernement vous convie !
(Applaudissements
sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, réunie au Sénat
le mardi 3 octobre 2000, la commission mixte paritaire chargée de proposer un
texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation
pour l'outre-mer n'a pu parvenir à un accord. Elle a en effet très vite
constaté l'impossibilité d'aboutir à un texte commun s'agissant de deux
dispositions majeures du projet de loi, respectivement prévues par les articles
38 et 39 approuvés par l'Assemblée nationale mais supprimés par le Sénat en
première lecture. Il s'agit, d'une part, de la création d'un second département
à la Réunion et, d'autre part, de l'institution dans les autres départements
d'outre-mer d'un congrès réunissant le conseil général et le conseil régional
et ayant vocation à formuler des propositions d'évolution institutionnelle.
Saisie en nouvelle lecture à la suite de l'échec de la commission mixte
paritaire, l'Assemblée nationale est revenue sur nombre des modifications
apportées par le Sénat.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le projet de loi d'orientation pour
l'outre-mer a été modifié par le Sénat au mois de juin dernier ; à l'issue de
la première lecture dans chaque assemblée, vingt-quatre articles ont été votés
dans les mêmes termes ; il restait cinquante-neuf articles en discussion, parmi
lesquels de nombreux articles additionnels.
Les modifications de fond apportées par le Sénat ont concerné, pour
l'essentiel, d'une part, les mesures économiques et sociales destinées à
favoriser l'emploi et, d'autre part, les aspects institutionnels.
Compte tenu de la situation économique et sociale actuelle des départements
d'outre-mer, caractérisée par le chômage massif qui frappe surtout la jeunesse
- 35,7 % de demandeurs d'emploi à la Réunion, 30,3 % en Martinique, 28,8 % en
Guadeloupe, 21,4 % en Guyane - et par la montée de l'exclusion, la commission
des lois a souligné, lors de l'examen du projet de loi d'orientation en
première lecture, la priorité absolue à donner aux mesures économiques et
sociales destinées à favoriser la création d'emplois.
Suivant les propositions de la commission des affaires sociales, saisie pour
avis, le Sénat a renforcé la portée des mesures prévues par le projet de loi
d'orientation en adoptant les amendements présentés par son rapporteur, M.
Jean-Louis Lorrain, afin de favoriser les créations d'emplois et d'améliorer
l'insertion en incitant au retour à l'activité.
Le Sénat a voulu améliorer la compétitivité des départements d'outre-mer par
rapport aux pays environnants à salaires très bas et charges sociales quasiment
inexistantes - car c'est bien le noeud de la question ! - et amplifier la
baisse du coût du travail par la réduction des charges sociales.
C'est ainsi que nous avons étendu le bénéfice des exonérations de cotisations
sociales patronales prévues par l'article 2 et ciblé l'effort sur les
entreprises exportatrices.
Notre assemblée a cherché également à favoriser la formation et l'insertion
professionnelle des jeunes et à faciliter l'octroi du congé emploi-solidarité
et de l'allocation de retour à l'activité.
En matière institutionnelle, je rappelle que notre assemblée, adoptant les
conclusions de la commission des lois, a supprimé l'article 38, qui prévoit la
création d'un second département à la Réunion, après avoir constaté l'avis
défavorable du conseil général, du conseil régional et l'hostilité de la
population, consultée par sondages et qui, il y a quelques jours encore, a
manifesté contre la création d'un second département, appuyée en cela par les
organisations socioprofessionnelles. Nous pourrions d'ailleurs prendre le pari,
monsieur le secrétaire d'Etat, que, si une consultation avait lieu - mais, vous
l'avez dit, cela pose un problème sur le plan institutionnel - cet article 38
serait repoussé.
Notre assemblée a estimé que la création d'un second département ne permettait
en rien de résoudre le problème de l'emploi, cette réforme ayant, en outre, un
coût important pour les finances publiques.
Notre assemblée a également supprimé l'article 39, créant dans les régions
d'outre-mer monodépartementales une nouvelle entité, le congrès, constitué par
la réunion du conseil général et du conseil régional, et ayant vocation à
délibérer de toute proposition relative à l'évolution institutionnelle en vue
de sa transmission au Gouvernement, qui pourrait ensuite consulter les
populations intéressées.
Nous avons en effet constaté que le projet de création du congrès était loin
de faire l'unanimité parmi les élus locaux, puisqu'il a suscité l'avis
défavorable de six des huit assemblées locales concernées, que la procédure
envisagée serait difficile à faire fonctionner et qu'elle risquait d'aboutir,
de fait, à la création d'une troisième assemblée locale dont le rôle serait
ambigu. Nous nous sommes d'ailleurs interrogés sur la constitutionnalité du
dispositif.
Cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes nombreux en commission
des lois, avec notre président Jacques Larché, à réfléchir à ce difficile
problème de la consultation des populations, problème auquel il faudra, je le
crois, que nous trouvions une solution tous ensemble.
En ce qui concerne les aspects institutionnels, traités aux titres V, VI et
VII, d'une manière générale, la commission des lois a jugé insuffisantes les
dispositions prévues par le projet de loi d'orientation, eu égard à la
situation constatée dans les départements d'outre-mer au cours de deux récentes
missions de délégations de la commission.
Il apparaît désormais nécessaire d'envisager des évolutions institutionnelles
différenciées - c'est moi qui, pour la première fois, ai utilisé l'expression «
cousu main », qui n'est pas loin de votre « sur mesure » - afin de mieux
prendre en compte les spécificités et l'identité culturelle des différents
départements, en leur permettant d'accéder à une autonomie accrue. Depuis le
début, la position du Sénat n'a jamais varié sur ce point.
En revanche, notre assemblée a approuvé les dispositions tendant à conférer
aux départements et régions d'outre-mer de nouvelles compétences en matière
d'action internationale dans leur environnement régional, afin de favoriser le
développement de la coopération régionale décentralisée, visée aux articles 22
et 23, qu'elle a enrichis de plusieurs amendements.
Le Sénat a également approuvé les dispositions allant dans le sens d'un
élargissement des compétences exercées au niveau local et d'un
approfondissement de la décentralisation, sous réserve d'un certain nombre
d'amendements tendant à en améliorer la rédaction.
En outre, sur l'initative de son rapporteur - on voudra bien m'excuser de le
dire - et dans le souci de veiller à une utilisation efficace des fonds
structurels européens, qui constituent un atout essentiel pour le développement
économique des départements d'outre-mer au cours des prochaines années - 23
milliards de francs pour la période 2000-2006 : c'est tout de même très
important ! - le Sénat a proposé - l'Assemblée nationale l'a accepté - de
consacrer dans la loi l'existence d'une commission de suivi de l'utilisation
des fonds structurels européens, instance de concertation qui serait coprésidée
par le préfet et par les présidents du conseil régional et du conseil général,
et qui réunirait l'ensemble des interlocuteurs concernés afin d'assurer un
suivi régulier de l'utilisation de ces fonds.
Pourquoi cette disposition ? Parce que le maire que je suis d'une commune qui
était éligible à l'objectif 5 b sait que l'on a parfois, pour diverses raisons
d'ailleurs, mais notamment en raison d'un manque de fonds de concours, des
difficultés à utiliser la totalité des fonds structurels européens. Peut-être
faudra-t-il modifier les règles internes régissant les crédits qui viennent
abonder les fonds européens, car il serait dommage que ces sommes s'en
retournent à Bruxelles.
Les autres dispositions du projet de loi d'orientation n'ont pas fait l'objet
de divergences majeures entre les deux assemblées. Nous y avons néanmoins
apporté un certain nombre d'améliorations, notamment sur l'initiative de nos
commissions des affaires économiques et des affaires culturelles et de leurs
rapporteurs, MM. Jean Huchon et Victor Reux, à qui je me plais à rendre
hommage, de même qu'à M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis de la
commission des affaires sociales.
Par ailleurs, notre assemblée a inséré dans le volet économique et social du
texte un certain nombre d'articles additionnels, parmi lesquels celui qui
prévoit la possibilité de transférer les forêts domaniales de l'Etat dans le
patrimoine des collectivités territoriales guyanaises dans un but de
développement économique, suivant la proposition de notre excellent collègue M.
Georges Othily, sénateur de Guyane.
Enfin, les dispositions relatives à Saint-Pierre-et-Miquelon ont été
approuvées par le Sénat, qui les a complétées par plusieurs amendements
concernant notamment le régime de protection sociale applicable dans cette
collectivité territoriale à statut particulier, sur la proposition de notre
collègue Victor Reux, sénateur de l'archipel.
Il est en outre à noter que l'article 12
bis
, qui prévoit la
suppression de la prime d'éloignement dont bénéficient les fonctionnaires des
départements d'outre-mer, a été adopté conforme par le Sénat et n'est donc plus
en discussion.
M. Jean-Jacques Hyest.
Tant mieux !
M. José Balarello,
rapporteur.
A cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, je tiens, en mon
nom personnel et au nom de la commission des lois du Sénat, à appeler
l'attention du Gouvernement sur la nécessité de prévoir des mesures
transitoires adaptées, car nous avons tous reçu - sans doute comme vous - de
nombreuses protestations de fonctionnaires de l'outre-mer. Il faudra donc, dans
le décret qui sera pris pour l'application de cet article, préciser que cette
mesure s'applique aux seuls fonctionnaires qui feront l'objet d'une affectation
dans les départements d'outre-mer après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi
et non à ceux qui y sont déjà affectés, pour lesquels le versement de la prime
d'éloignement est en cours, qui, bien souvent, ont fait des projets, ont
réalisé des emprunts, et pour lesquels l'application de la mesure
déstabiliserait les budgets.
J'en viens aux travaux réalisés par l'Assemblée nationale en nouvelle
lecture.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a adopté dix-sept articles dans la
rédaction issue des travaux du Sénat et a approuvé un certain nombre de
modifications d'ordre rédactionnel ou technique apportées par le Sénat.
S'agissant des dispositions ayant fait l'objet d'une divergence de fond,
l'Assemblée nationale est, pour l'essentiel, revenue à son texte de première
lecture, tant sur le volet économique et social que sur le volet
institutionnel, bien que M. Jérôme Lambert, rapporteur au nom de la commission
des lois, ait reconnu dans son rapport que les « avancées sénatoriales »
avaient été « nombreuses et constructives ». Vous venez d'ailleurs, monsieur le
secrétaire d'Etat, de le confirmer à cette tribune.
Cependant, l'Assemblée nationale, en matière économique, a supprimé les
modifications apportées par le Sénat qui tendaient à privilégier l'emploi, en
constatant que ces mesures, pour « intéressantes qu'elles soient », allaient
trop loin.
Tel est également l'avis du Gouvernement, nous venons de l'entendre. Nous le
déplorons, car les économies réalisées seront largement dépassées par les
dépenses induites par le chômage élevé qui sévira dans les départements
d'outre-mer dans les années qui viennent. Il nous faut y réfléchir, monsieur le
secrétaire d'Etat, car la situation risque de dégénérer, si nous n'y prenons
garde.
S'agissant des dispositions introduites par le Sénat pour favoriser
l'insertion professionnelle des jeunes, l'Assemblée nationale a approuvé
l'article 9
bis
A, qui étend le champ des activités ouvertes aux emplois
jeunes.
En ce qui concerne les amendements adoptés par le Sénat afin d'inciter au
retour à l'activité, si l'Assemblée nationale a approuvé les modifications
apportées à l'article 13 relatif à l'allocation de retour à l'activité, l'ARA,
elle a, en revanche, rétabli, à l'article 9
quater,
l'obligation faite
aux entreprises d'avoir réduit la durée du travail à 35 heures hebdomadaires
pour pouvoir bénéficier du dispositif de congé-solidarité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, compte tenu de l'environnement des départements
d'outre-mer, que ce soit dans la Caraïbe ou dans l'océan Indien, est-il bien
sérieux d'imposer les trente-cinq heures aux entreprises, alors que, nous le
savons, les pays voisins ne sont soumis à aucune réglementation du travail ?
L'Assemblée nationale a supprimé deux articles additionnels insérés par le
Sénat : l'article 13
bis,
tendant à la mise en place de conventions de
retour à l'emploi, et l'article 11
bis,
qui avait pour objet de faire
compenser par l'Etat la charge supplémentaire des départements résultant de
l'alignement du RMI.
En ce qui concerne le volet institutionnel, après avoir souhaité marquer en
préambule, dès l'article 1er, la perspective d'une évolution institutionnelle
différenciée de chacun des départements d'outre-mer ainsi que la possibilité
offerte aux assemblées locales des départements français d'Amérique de proposer
des évolutions statutaires et à leurs populations d'être consultées sur ces
évolutions - nous proposerons d'ailleurs une rédaction différente par voie
d'amendement - l'Assemblée nationale a rétabli, sous réserve de certaines
modifications, les deux principales dispositions du projet de loi d'orientation
qui ont été supprimées par le Sénat et sont à l'origine, comme je l'ai indiqué,
de l'échec de la commision mixte paritaire.
S'agissant de la bidépartementalisation de la Réunion, non seulement
l'Assemblée nationale en a rétabli le principe posé à l'article 38, mais, au
lieu de renvoyer sa mise en oeuvre à une loi ultérieure, comme le prévoyait le
texte adopté en première lecture, elle a avancé au 1er janvier 2001 son entrée
en vigueur, sur l'initiative de M. Michel Tamaya et des autres députés
réunionnais, qui ont notamment fait valoir leur crainte qu'une loi ultérieure
ne puisse être adoptée dans des délais assez rapprochés pour permettre la mise
en place de la réforme d'ici au 1er janvier 2002, compte tenu des prochaines
échéances électorales.
En conséquence, l'Assemblée nationale a adopté un amendement présenté par le
Gouvernement afin de préciser les modalités de la création de ce second
département à la Réunion au 1er janvier prochain, devenu l'article 38
bis.
Je rappelle par ailleurs que le projet procédait également au découpage des
deux futurs départements.
Suivant la proposition de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a
également rétabli l'article 39, prévoyant la création dans les régions
d'outre-mer monodépartementales d'un congrès réunissant le conseil général et
le conseil régional, et ayant vocation à délibérer de propositions d'évolution
institutionnelle. Il y a eu tout de même une avancée puisque l'Assemblée
nationale, en deuxième lecture, a adopté la nouvelle appellation de « congrès
des élus départementaux et régionaux ».
L'Assemblée nationale a pris en compte, sur ce dernier point, les observations
que j'avais formulées. Lors du débat en première lecture, j'avais en effet
souligné les risques de confusion avec le Congrès du Parlement se réunissant à
Versailles, voire avec le Congrès américain.
Si l'Assemblée nationale a approuvé un certain nombre d'amendements adoptés
par le Sénat sur les autres dispositions du projet de loi, sous réserve de
certaines précisions ou améliorations rédactionnelles, notamment dans le
domaine culturel ou dans celui du logement, elle est, en revanche, revenue à
son texte initial sur diverses dispositions.
L'Assemblée nationale a cependant approuvé la plupart des modifications
apportées par le Sénat au titre V, relatif à la coopération régionale, et je
m'en félicite.
Elle a, en outre, approuvé, sous réserve de modifications rédactionnelles,
l'article 37
ter,
inséré par le Sénat sur l'initiative de son rapporteur
afin de consacrer dans la loi, comme je l'ai indiqué voilà un instant,
l'existence d'une commission de suivi des fonds structurels européens.
Elle a, en revanche, rejeté l'article 9
quinquies A
relatif aux forêts
domaniales guyanaises. Mais je connais la ténacité de notre collègue Georges
Othily ; il n'en restera pas là.
L'Assemblée nationale a renvoyé le règlement de cette question à une future
loi sur la forêt guyanaise. Je suis certain que notre collègue Georges Othily
se fera un plaisir de déposer une proposition de loi, car il m'apparaît que ce
problème est important et qu'il nous faut le régler rapidement.
Quelles sont, aujourd'hui, les propositions de la commission des lois du Sénat
en nouvelle lecture ?
La commission des lois se félicite, tout d'abord, que l'Assemblée nationale
ait adopté dix-sept articles dans les mêmes termes que le Sénat et ait, en
outre, approuvé un certain nombre d'autres modifications diverses ou de
compléments que nous avons apportés aux différents volets du projet de loi
d'orientation. Sur les cinquante et un articles encore en navette, elle vous
propose donc d'adopter vingt-sept articles sans modification.
En revanche, la commission constate que, s'agissant des principales
dispositions du texte, qui ont soulevé de réelles divergences de fond entre les
deux assemblées en première lecture, l'Assemblée nationale a campé sur ses
positions sans prendre en compte les arguments développés par notre
assemblée.
Considérant que ces arguments sont néanmoins toujours fondés, la commission
propose donc au Sénat d'en revenir, sur ces principaux points, au texte adopté
par lui en première lecture en ce qui concerne tant le volet économique et
social que le volet institutionnel.
Cependant, la commission considère que, compte tenu de la gravité de la
situation économique actuelle des départements d'outre-mer, priorité absolue
doit être donnée aux actions susceptibles de réduire le chômage massif qui
frappe aujourd'hui la jeunesse de ces départements, sauf à risquer une
explosion sociale d'ici à quelques années. Je pense que vous en êtes conscient,
monsieur le secrétaire d'Etat, ainsi que le Gouvernement.
La commission des lois estime donc indispensable de renforcer la portée des
mesures prévues par le projet en faveur de l'emploi et de l'insertion. Aussi
vous proposera-t-elle de rétablir les amendements adoptés en ce sens par le
Sénat en première lecture, sur l'initiative de sa commission des affaires
sociales. Je ne reprendrai pas ces mesures, car vous les connaissez ; elles
avaient principalement pour objet d'étendre le bénéfice des exonérations
sociales aux entreprises de moins de vingt salariés au lieu de dix. Vous nous
avez dit que cela coûterait fort cher. Je pense néanmoins que c'est
indispensable - je vous l'ai dit - dans le contexte des Caraïbes, de l'océan
Indien et des pays limitrophes.
La commission proposera également de supprimer à nouveau la possibilité d'un
abandon des créances sociales et fiscales, quitte à établir des moratoires car
cette mesure serait une prime donnée aux entreprises qui se sont abstenues de
régler leurs charges sociales et fiscales.
M. Jean-Jacques Hyest.
Une prime à l'incivisme !
M. José Balarello,
rapporteur.
De même qu'en première lecture, la commission des lois
regrette l'insuffisance du volet institutionnel du projet de loi eu égard à la
diversité des situations locales. Ce constat la conduit à accepter d'inscrire,
à l'article 1er, ce qu'a fait l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, la
possibilité pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion, dans le
cadre de la République d'évoluer à l'avenir vers de organisations
institutionnelles qui leur soient propres.
S'agissant plus particulièrement de la Réunion, elle tient néanmoins à faire
observer que cette rédaction reste compatible avec le souhait de l'ensemble des
élus réunionnais de conserver le statut de département d'outre-mer, sans
toutefois exclure définitivement toute perspective d'évolution de
l'organisation institutionnelle de la Réunion.
La commission proposera toutefois - peut-être est-ce un voeu pieux, monsieur
le secrétaire d'Etat ? - de supprimer la référence au terme de « pacte » qui
n'est pas l'oeuvre du rapporteur de l'Assemblée nationale, notre collègue
Jérôme Lambert. Les auteurs du texte adopté par l'Assemblée nationale devraient
en effet se pencher sur l'histoire de France durant la fin du XVIIIe et le
début du XIXe où existait le « pacte colonial ».
(M. Georges Othily s'exlame.)
Cependant, la commission persiste à considérer que les deux principales
dispositions institutionnelles du projet de loi, prévues par les articles 38,
38
bis
et 39, sont inadaptées et inopportunes ; elle vous proposera donc
à nouveau de les supprimer compte tenu des précisions apportées voilà quelques
instants.
Par ailleurs, la commission vous proposera également de revenir au texte
adopté par le Sénat en première lecture sur un certain nombre de dispositions,
telles que la possibilité de transférer, dans certaines conditions, les forêts
domaniales de l'Etat dans le patrimoine des collectivités territoriales
guyanaises.
En conclusion, comme elle l'avait fait en première lecture, la commission des
lois tient à aborder les perspectives d'avenir, le présent texte ne constituant
à ses yeux qu'une simple loi d'étape dans la mesure où elle s'apparente
davantage à un texte portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer qu'à
la grande réforme institutionnelle qu'il nous faudra tôt ou tard réaliser aux
Antilles et en Guyane. Vous avez d'ailleurs rappelé, monsieur le secrétaire
d'Etat, la position du président de la commission des lois, M. Jacques Larché,
qui est conforme à celle de la commission des lois du Sénat et de son
rapporteur.
A cet égard, tout en soulignant la nécessité de préserver les acquis de la
départementalisation et le bénéfice de l'intégration au sein de l'Union
européenne et des fonds correspondants, la commission des lois rappelle que les
obstacles juridiques constitués par l'article 73 de la Constitution et
l'article 299-2 du traité d'Amsterdam ne doivent pas s'opposer définitivement à
toute évolution du statut de département d'outre-mer vers une autonomie accrue
et, le cas échéant, différenciée, à laquelle aspirent les populations
concernées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements
qu'elle vous soumettra, la commission des lois vous propose d'adopter le
présent projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste et
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 13 minutes ;
Groupe socialiste : 11 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 9 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 7 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 6 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Lauret.
M. Edmond Lauret.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
trois années ont été nécessaires pour préparer ce projet de loi, censé
développer les activités économiques, l'aménagement du territoire et l'emploi
dans les DOM.
Hélas, il faut reconnaître, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'après les coupes
claires pratiquées en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale dans les
propositions du Sénat, ce texte entraînera une forte déception outre-mer.
Sur le plan économique, il ne reste de notre texte que la restauration et
l'amélioration de la loi Perben de 1994. L'exonération des charges patronales
de sécurité sociale pour les petites entreprises répond, certes, à nos
préoccupations et à nos demandes répétées, mais sa limitation aux seules
entreprises de moins de dix salariés entraînera, de l'avis de tous les experts,
un effet de seuil et une distorsion de concurrence.
Les dispositions relatives à l'emploi des jeunes - le projet
initiatives-jeunes - sont timides et n'auront pas d'effets sensibles, compte
tenu de l'importance du chômage des jeunes en outre-mer, à la Réunion en
particulier.
La solution est ailleurs, car le tissu économique des DOM ne permet pas -
encore moins qu'en métropole - la pérennisation des emplois jeunes, des
contrats emploi consolidés, les CEC, les contrats emploi-solidarité, les CES,
et autres emplois de l'économie alternative que vous privilégiez au détriment
des emplois du secteur productif.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, votre texte ne prévoit rien en
faveur du plan export, rien pour le logement, rien pour les 12 000 employés
communaux non titulaires.
Sur le plan social, là encore, vous avez raté le rendez-vous avec les
habitants des DOM, les Réunionnais en particulier.
Tous les partis politiques, toutes les collectivités locales, tous les
syndicats, toutes les associations de chômeurs réclament l'alignement immédiat
du RMI et de l'allocation de parent isolé, du complément familial et de
l'allocation des mères de familles de plus de cinq enfants.
Les 20 % retenus pour alimenter la créance de proratisation ne bénéficient pas
aux RMIstes car, paradoxalement, leurs faibles revenus leur interdisent l'accès
aux logements sociaux. C'est un comble !
Or le Gouvernement oppose un veto à l'alignement du RMI dans un délai
raisonnable.
En réalité, monsieur le secrétaire d'Etat, les « mesurettes » que comporte ce
projet de loi n'ont qu'un seul but : faire avaler par la population la
couleuvre qui s'appelle la bidépartementalisation, et ce à des fins purement
électoralistes, pour sanctionner les électrices et les électeurs de mon
département qui, en 1998, ont fait le choix de confier à la droite le contrôle
politique du conseil général.
Dois-je vous rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que la population de la
Réunion, les élus locaux, se sont déclarés hostiles à ce découpage inutile,
dangereux, et très coûteux ?
Dois-je vous rappeler l'hostilité du conseil général et du conseil régional
qui, tous les deux, à deux reprises, se sont prononcés, et contre le projet
gouvernemental, et contre le principe même de la bidépartementalisation ?
Dois-je vous rappeler l'hostilité des syndicats, du patronat, des chômeurs, de
la chambre de commerce et d'industrie, de l'église, bref, de l'ensemble des
forces vives ?
Dois-je vous rappeler les résultats de trois sondages successifs, IPSOS et
Louis Harris, qui tous les trois ont montré l'hostilité grandissante de la
population à ce coup de force ?
Je précise que le dernier de ces sondages, paru le mois dernier, fait
apparaître que 63 % de nos concitoyens de la Réunion refusent ce « charcutage »
; qu'à Saint-Denis, ville dont le député Tamaya, auteur du rapport contesté,
est le maire, seuls 13 % de la population sont favorables à leur premier
magistrat. Cela explique votre précipitation, votre affolement, à mettre en
oeuvre le découpage deux mois avant les élections municipales et cantonales de
mars, par une pitoyable manoeuvre digne d'une république bananière, et en
violation des règles démocratiques élémentaires.
Dois-je vous rappeler la lettre du 17 février dernier de M. le Premier
ministre qui fixait deux objectifs à ce projet : l'emploi et la prise en compte
de la volonté du peuple et des élus locaux ?
Or, ce nouvel article 38, issu d'un amendement d'origine parlementaire
qualifié chez nous d'« amendement de la honte », d'ailleurs, à mon sens, non
conforme à l'article 40 de la Constitution, ne créera pas d'emplois - M.
Queyranne l'a reconnu publiquement à la télévision - et ne tient compte ni de
la volonté populaire ni de celles des élus locaux !
Monsieur le secrétaire d'Etat, les Réunionnaises et les Réunionnais m'ont
demandé de vous dire deux choses.
D'abord, nous n'accepterons pas la politique du « fait accompli ». C'est à la
population de dire si elle veut ou non de ce projet : c'est une question de
morale et de démocratie sur laquelle nous ne transigerons pas !
Ensuite, ce genre de procédé, courant dans les pays totalitaires de l'ex-bloc
soviétique, ne peut pas être appliqué en France, pays des droits de l'homme. A
moins que certains, ici à Paris, ne nous considèrent comme des sous-Français,
tout juste bons à tendre la main en disant : « merci Bwana ! »
Eh bien non, monsieur le secrétaire d'Etat, Non, mes chers collègues, nous ne
sommes pas les bâtards de la République française ! Vous ne pouvez pas accepter
qu'une décision aussi importante pour l'unité et l'avenir de notre département
soit imposée « à la hussarde » contre l'avis largement majoritaire de notre
population.
Auriez-vous, mes chers collègues, accepté une telle humiliation de vos
populations dans vos propres départements ? A l'évidence, non !
Alors, mes chers collègues, je vous demanderai de ne pas vous rendre complices
de ce viol de la conscience populaire et de ne pas participer à la casse de
l'unité de notre petit département.
Vous ne devez pas, vous ne pouvez pas couper en deux l'île de Lacaussade, de
Leconte de Lisle, de Roland Garros et de Michel Debré : « Créole un jour,
créole toujours », disait-il.
J'ajoute encore que M. Raymond Barre, notre ancien Premier ministre, a
qualifié hier le projet de découpage de son île d'absurde et dangereux, et a
réclamé la consultation pour avis de la population.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais, avant de terminer, vous poser
publiquement deux questions, qui d'ailleurs sont liées.
Pouvez-vous nous communiquer le coût exact de cette bidépartementalisation ?
Des chiffres énormes ont été cités, variant de 300 millions de francs à plus de
400 millions de francs par an.
Où sont inscrits ces crédits ? Je ne les ai pas repérés dans le projet de loi
de finances pour 2001.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, et même si je suis
fondamentalement hostile à l'écriture en créole à l'école que vous voulez nous
imposer contre notre volonté, je m'adresserai à vous en créole :
«
Zot y veut coup' a nous,
Sans consult' a nous ?
Eh ben, si zot y coup' a nous,
En mars, zot va gout a nous ! » (Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes amenés à examiner le projet de loi d'orientation relatif à
l'outre-mer en nouvelle lecture. Notre excellent rapporteur, José Balarello, a
dit combien le Sénat avait travaillé sur le volet économique et social et
apporté certaines précisions.
A cet égard, je me contenterai donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de dire
que je suis personnellement choqué que l'on supprime les dettes fiscales et
sociales. On ne doit y toucher qu'avec une extrême précaution !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
On ne les supprime pas !
M. Jean-Jacques Hyest.
Vous nous le préciserez ! Mais cela nous est quand même apparu comme une
suppression des dettes. Réjouissons-nous s'il s'agit simplement d'examiner
chaque situation en particulier avant de prendre les mesures nécessaires, étant
toutefois précisé que cette possibilité existe déjà, ne serait-ce que dans le
cadre des procédures collectives.
Je crois dès lors que nous pourrons aboutir à un accord sur ce point, car il
est vrai qu'un certain nombre d'entreprises connaissent, dans ces départements,
des difficultés et qu'il faut trouver des solutions, mais je ne suis pas sûr
qu'il soit nécessaire de légiférer à ce sujet : les dispositifs existants
peuvent suffire.
Je n'en dirai pas plus sur le volet économique et social.
L'ensemble de la réprésentation nationale considère, semble-t-il, aujourd'hui,
après le Président de la République et le Gouvernement, qu'une évolution des
départements d'outre-mer est souhaitable. En fait, l'environnement à la fois
géographique et culturel doit permettre à ces départements d'évoluer, à
condition que les propositions recueillent l'accord de tous, du moins d'une
large majorité, car il serait dangereux d'imposer des réformes qui ne sont pas
acceptées par l'ensemble des populations et des élus.
D'ailleurs, je me fais une réflexion, monsieur le secrétaire d'Etat.
Récemment, nous avons été conduits à examiner la situation de Mayotte. Alors
que les parlementaires étaient contre et les élus locaux pour, on a consulté la
population, ce qui a donné le résultat que nous avons connu.
Inversement, nous avons entendu parler - comparaison n'est pas raison, mais on
ne peut pas ne pas s'interroger - de certains accords dits « de Matignon », à
partir desquels, après consultation des élus régionaux, sera élaboré un projet
de loi visant à supprimer des départements dans une île.
Cela montre que l'expérience après un certain nombre d'années n'est pas
complètement pertinente et qu'il convient de trouver un autre système plus
opportun pour l'unité de la Corse.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vais maintenant vous parler de la
bidépartementalisation de la Réunion, mais sans doute pas avec la même fougue
que notre collègue M. Lauret, qui est élu de ce département et qui vit donc mal
ce coup de force institutionnel.
Il s'agit bien d'un coup de force institutionnel puisque, selon le texte
initial du projet de loi, la bidépartementalisation, c'était pour après 2002.
Cette solution ne me paraissait pas pertinente, mais ce délai permettait au
moins de se préparer. L'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, sans l'avis
de sa commission des lois sur un article qui comportait trente-quatre
amendements a voté sans discussion et sans examen. Ce n'est pas une bonne
méthode pour légiférer dans le domaine institutionnel.
Certains points démontrent par ailleurs que la bidépartementalisation pose
des problèmes.
L'élection des députés, on n'en parle pas ! On la reporte à une loi
ultérieure.
En revanche, bizarrement, sur les trois sénateurs, il y en aura un pour le
Nord et deux pour le Sud, alors que la population du Nord sera de 340 000
habitants et celle du Sud de 370 000. Une telle disparité ne me paraît pas
convenable, elle pose un problème constitutionnel.
Il s'agit là de quelques exemples d'une précipitation qui traduit une mauvaise
approche de l'évolution institutionnelle de la Réunion. Mais il en est d'autres
qui témoignent que, en fait, l'île de la Réunion forme un tout.
Ainsi, en matière de sécurité civile, on crée un service interdépartemental de
secours et d'incendie alors qu'on devrait créer un service par département ! Si
un département se suffit à lui-même, comme c'est le cas sur le reste du
territoire, je ne vois pas pourquoi on créerait un service
interdépartemental.
Les choses sont tellement liées que, même pour l'eau, qui représente une
question fondamentale pour la vie - nous connaissons bien les problèmes qui se
posent à la Réunion en matière d'eau potable - on prévoit également de créer un
service interdépartemental.
Honnêtement, si le fait de créer deux départements me paraissait cohérent, je
serais d'accord, mais tel n'est pas le cas. Je pense que cela ne contribuera en
rien au développement économique et social qu'attendent les Réunionnais, mais
que cela créera des déséquilibres, sans rien changer en matière de déplacements
ni de rééquilibrage économique. Créer une nouvelle structure risque de
compliquer davantage encore les choses.
M. Lauret a noté en outre qu'il n'existait pas d'étude d'impact, puisqu'il
s'agit d'un amendement qui a été déposé en cours de discussion. Cela est un peu
dommage, d'autant qu'il faudra bien nous dire combien coûtera la
bidépartementalisation, car elle a certainement un coût.
On lit par ailleurs dans le projet de loi que le département qui ne
bénéficiera pas des services des fonctionnaires territoriaux pourra recruter
des contractuels, alors que, dans quelque temps, nous examinerons un texte
relatif à la précarité dans la fonction publique et tendant à résorber le
nombre des contractuels.
Tout cela témoigne d'une improvisation totale. Bien entendu, il est toujours
facile de nommer un préfet - on trouve toujours des préfets disponibles, on le
sait bien, dans la République - mais je crois que ce n'est pas suffisant.
Je regrette vraiment que la réflexion d'ensemble n'ait pas été menée sur une
évolution institutionnelle qui est souhaitée. Mais je dois constater que, de ce
point de vue, le projet de loi débouche sur peu de choses. Je pense donc que
nous aurons à réfléchir à nouveau ensemble pour que les départements
d'outre-mer, avec la consultation des populations, puisqu'elle est prévue par
ailleurs, puissent proposer des structures qui leur conviennent, qui soient
adaptées à leur situation, et, surtout, qui contribuent à leur développement,
ce que ne permet pas le texte soumis à notre examen.
Pour toutes ces raisons, mon groupe soutiendra, bien sûr, les propositions de
la commission des lois qui visent à supprimer notamment tous les articles
concernant l'avenir institutionnel de l'outre-mer, en regrettant que la chance
de bâtir un projet plus ambitieux n'ait pas été saisie.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Payet.
M. Lylian Payet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous examinons aujourd'hui, en nouvelle lecture, le projet de loi d'orientation
pour l'outre-mer, tel que nous l'avions étudié, ou presque, en première lecture
puisque, après l'échec de la commission mixte paritaire, l'Assemblée nationale
a rétabli pour l'essentiel le texte qu'elle avait voté au mois de mai
dernier.
Sans vouloir reprendre les termes du discours que j'avais prononcé à cette
même tribune le 13 juin - de toute façon, le temps qui m'est imparti ne me le
permettrait pas - je souhaiterais néanmoins insister sur quelques points qui me
paraissent fontamentaux et que j'avais développés à l'époque.
En premier lieu, je tiens à redire que le rattrapage sur trois ou sept ans de
certaines prestations sociales sur le niveau métroplitain me paraît toujours
aussi inacceptable au regard du principe de l'égalité entre les citoyens, car
l'application de ce principe ne souffre pas de délai.
J'ai dit et je redis que plus rien, juridiquement, ne justifie la différence
dans le montant versé aux allocataires selon qu'ils résident en métropole ou
dans un département d'outre-mer.
J'ai dit et je redis qu'à la Réunion cette revendication dont je me fais
l'écho fait l'objet d'un consensus, ce qui est suffisamment rare pour être
souligné.
Je sais bien que la procédure ne me permet pas de redéposer des amendements
proposant un alignement immédiat du revenu minimum d'insertion et de
l'allocation de parent isolé, mais l'intention demeure.
Je sais bien aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, car vous l'avez dit tant à
l'Assemblée que devant la commission des affaires sociales, que, s'agissant du
RMI, le délai de trois ans est un maximum et que, d'ici à la fin de l'année, le
calendrier exact de l'alignement serait défini. J'estime que nous sommes
presque à la fin de l'année : pouvez-vous aujourd'hui nous donner de plus
amples précisions sur ce point ?
Outre cet aspect social, qui demeure à mes yeux primordial, je regrette que,
sur l'aspect économique, l'Assemblée nationale n'ait pas retenu les
améliorations qu'avait apportées le Sénat afin de renforcer les dispositifs
d'aide à l'emploi et à l'insertion. Notre commission des lois proposera de les
rétablir. C'est très bien ainsi car n'oublions pas, mes chers collègues, que le
problème majeur qui se pose dans nos départements c'est le chômage. C'est sur
cette question que nous devons mobiliser nos énergies et travailler ensemble
pour éviter l'explosion sociale.
Or, force est de constater que l'on retiendra surtout de l'examen de ce projet
de loi les passions qu'il a soulevées autour de deux questions seulement :
êtes-vous pour ou contre la bidépartementalisation de la Réunion ? Etes-vous
pour ou contre le congrès aux Antilles ?
J'en viens donc maintenant au sujet qui divise, je dirai même qui fâche : le
volet institutionnel. C'est le principal sujet de désaccord entre l'Assemblée
nationale et le Sénat, celui qui a provoqué l'échec de la commission mixte
paritaire.
L'Assemblée nationale a non seulement rétabli la création d'un second
département à la Réunion, qui avait été supprimée par le Sénat, mais elle l'a
avancée au 1er janvier 2001 et, sur l'initiative du Gouvernement, elle a défini
les modalités de sa mise en oeuvre. Nous avons les uns et les autres exprimé
nos positions lors du débat en première lecture. Est-il vraiment utile de
reprendre la discussion aujourd'hui ?...
La commission des lois du Sénat proposera de supprimer les articles 38 et 39.
Ceux qui avaient voté cette suppression au mois de juin referont bien entendu
de même aujourd'hui. Nul doute que l'Assemblée nationale, en dernier lieu,
rétablira ces dispositions.
Je dirai simplement à ce sujet que je regrette sincèrement que cette question
ait été le centre d'un combat politique, pour ne pas dire politicien, surtout à
la Réunion, qui a occulté les autres dispositions du projet de loi en
diabolisant la bidépartementalisation et en jetant l'anathème sur ceux qui la
défendent. Il suffit pour s'en convaincre d'avoir écouté certains discours.
Depuis, les passions se sont apaisées à la Réunion. Pour beaucoup de
Réunionnais, malgré ce que l'on dit ici ou là, la messe est dite. Même la
presse, par ses articles de fond, explique ce qui va se passer dans les deux
départements.
Quant à moi, je consacrerai mon énergie au développement des deux départements
créés dans un objectif de développement général de la Réunion et pour le plus
grand bien des Réunionnais, et ce sans avoir à respecter les consignes de
parti, car mon parti, c'est la Réunion.
Monsieur le secrétaire d'Etat, dès que la loi sera promulguée, nous comptons
sur votre diligence pour faire paraître au plus tôt les nombreux décrets
d'application nécessaires afin de répondre aux attentes des populations
d'outre-mer. Globalement, cette loi d'orientation est une chance pour la
Réunion.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les
travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Vergès.
M. Paul Vergès.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'Assemblée constituante, en adoptant à l'unanimité, le 19 mars 1946, la loi de
départementalisation, ouvrait, pour les quatre vieilles colonies, comme on les
appelait, l'ère de l'égalité. Cinquante-cinq ans plus tard, la loi
d'orientation pour l'outre-mer annonce l'ouverture d'une ère nouvelle à la
Réunion.
Après la réalisation prochaine et définitive de l'égalité sociale, cette ère
nouvelle sera placée sous le double signe du développement durable et de la
responsabilité reconnue aux Réunionnais.
A l'évidence, le projet de loi d'orientation marque une étape importante dans
la marche des Réunionnais vers l'égalité et vers le développement,
indissociables l'une de l'autre.
Il s'agit d'une étape finale vers l'égalité, commencée en 1946 et aujourd'hui
quasiment achevée avec l'engagement répété du Gouvernement de procéder à
l'alignement du RMI dans les meilleurs délais.
Il s'agit d'une étape décisive dans la marche vers le développement, ouverte
dès 1992 par les Réunionnais, avec l'élaboration d'un Plan de développememnt
actif. L'élaboration d'un projet de développement solidaire, global et cohérent
constitue en effet à la Réunion une priorité stratégique depuis plus d'une
décennie.
L'entrée en vigueur de la loi au 1er janvier 2001 concrétise aujourd'hui ces
efforts.
Par l'effort budgétaire sans précédent qu'il représente, par l'ampleur des
mesures de soutien au secteur productif, par le caractère volontaire et
novateur des dispositifs tendant à la création massive d'emplois dans le
secteur traditionnel comme dans l'économie solidaire, par la valorisation de
nos nombreux atouts, notamment en matière de coopération internationale, par
son caractère global et cohérent, ce projet de loi d'orientation fait renaître
l'espoir d'un renversement des tendances.
En raison de la simultanéité dans l'application de la loi d'orientation, du
dispositif de soutien fiscal à l'investissement, que l'on appelle la
défiscalisation, du contrat de plan Etat-région pour 2000-2006, du plan de
développement régional avec l'Union européenne, les conditions semblent
aujourd'hui objectivement réunies pour qu'un « bond en avant » soit opéré.
Mais passer de la mythologie du développement à sa réelle concrétisation
suppose de part et d'autre des efforts continus et soutenus.
Cela signifie que, si le vote par le Parlement de la loi marque
l'aboutissement d'un processus d'élaboration législatif, ce vote représente
surtout un point de départ dans l'action afin d'inscrire dans le quotidien des
Réunionnais les changements attendus. La tâche est immense ; elle est devant
nous. A la Réunion, le 1er janvier 2001 doit sonner l'An I du développement
durable !
Les Réunionnais, comme en témoigne leur implication dans l'élaboration de ce
projet de loi, seront au rendez-vous. Les acteurs du développement, les
collectivités locales, les entrepreneurs, les artisans, les pêcheurs, les
agriculteurs, les jeunes et le monde associatif ont accompagné pas à pas, au
cours de ces deux années, la préparation de cette loi ; ils sauront tirer le
meilleur des mesures qui sont proposées. Les dizaines de milliers de chômeurs
aussi - et en premier lieu les jeunes - qui attendent les créations
d'emplois.
C'est une responsabilité immense pour tous - élus comme acteurs économiques -
car une telle conjonction d'éléments favorables est rare dans l'histoire d'un
pays.
Nous serons, pour notre part, attentifs à la prise rapide des décrets
d'application et à l'accompagnement qu'apporteront les services déconcentrés de
l'Etat à la mise en oeuvre dans les meilleures conditions des mesures inscrites
dans la loi.
Ces efforts ne doivent pas occulter l'ampleur des réformes qui restent encore
sans réponse ; dans le cadre de l'élaboration de la loi Sapin, des solutions
doivent être proposées au problème très sérieux de la fonction publique
territoriale outre-mer.
Nous en avons longuement débattu au cours de la première lecture et chacun
s'accorde sur le fait que l'avenir de notre administration communale en
dépend.
Avant de conclure, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je dirai un mot sur le volet institutionnel, qui a largement
été discuté en première lecture devant notre assemblée.
L'Assemblée nationale a rétabli, pour les départements français d'Amérique,
l'article 39, et, pour la Réunion, l'article 38, qui instaure un second
département au 1er janvier 2001.
La commission des lois de notre assemblée a confirmé sa proposition de
suppression de ces deux articles.
Je veux, sans insister, souligner que la présente loi forme un tout global et
cohérent. Le projet de développement qui se dessine fait du volet économique de
la loi un élément indissociable des autres volets : social, culturel et
politique.
A la Réunion, il est important que les mesures d'ordre économique et social
puissent se déployer dans un cadre favorisant un aménagement plus équilibré du
territoire, que permettra, précisément, la création d'un second département.
Je tiens aussi à dire avec mon collègue Robert Bret, qui interviendra sur cet
aspect dans le débat, qu'à l'heure où des réflexions légitimes sont engagées
pour donner un nouveau souffle à la décentralisation le
statu quo
que la
commission des lois propose en fait à l'outre-mer laisse perplexe.
Le sens historique commande de répondre à cette aspiration à un pas en avant
en faveur d'un développement durable dans la responsabilité reconnue.
Au-delà des réponses immédiates à la situation d'urgence que connaissent nos
régions d'outre-mer, nous ne devons pas perdre de vue des problématiques
essentielles - comme la croissance démographique ou les conséquences de l'effet
de serre sur le climat - qui, bien que moins apparentes pour certaines,
accumulent chaque jour les éléments qui bouleverseront la réalité de demain.
La réelle prise en compte de ces données et leur anticipation sont la
condition pour que les efforts importants réalisés aujourd'hui ne soient pas
annihilés demain. Mais notre séance signifie que nous nous acheminerons dans
quelques semaines vers ce que nous appellerons, encore une fois, l'An I du
développement durable et solidaire de la Réunion.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
ne sais pas si tous, ici, nous mesurons bien l'impatience des futurs
bénéficiaires de la loi d'orientation pour l'outre-mer.
Je ne sais pas si nous avons suffisamment conscience de l'état d'esprit dans
lequel peut se trouver, par exemple, celui qui attend de savoir s'il va ou non
se lancer dans une opération de développement de sa PME ou de son hôtel, de son
restaurant, de son commerce ou encore de son exploitation agricole, ou de
l'état d'esprit de celui qui, plus simplement, veut savoir s'il va enfin
pouvoir procéder au minimum d'embauche lui permettant de travailler désormais
dans les conditions minimales d'efficacité et de rentabilité. Il s'agit d'une
interrogation angoissante émanant notamment, nous le savons, d'une majorité
d'artisans ou de petits patrons pêcheurs.
Je ne sais pas si nous avons suffisamment conscience de l'état d'esprit de
celle ou de celui dont l'activité ne peut plus se poursuivre sans la mise en
oeuvre rapide de véritables plans de sauvetage contre les effets d'un trop
lourd endettement social et fiscal. Et de l'état d'esprit du jeune demandeur
d'emploi, du chômeur de longue durée ou du RMIste suspendu à l'espoir de
pouvoir créer, grâce à une aide appropriée, sa propre entreprise.
Tous ont vraiment hâte de voir mises en oeuvre les nombreuses dispositions du
projet de loi d'orientation sur lesquelles je suis longuement intervenu en
première lecture et dont ils savent pouvoir attendre beaucoup quoi qu'en
disent, avec une parfaite mauvaise foi, ceux qui parlent à ce propos de «
mesurettes ». Je pense aux allégements de charges, au projet initiative jeune,
à l'allocation de retour à l'activité, aux primes à la création d'emplois, aux
plans d'apurement des dettes sociales et fiscales, etc.
Ils ne mettent nullement en cause la méthode d'élaboration de ce projet de
loi, qui, pour une fois, a permis d'accorder le temps qu'il fallait à la
consultation des acteurs politiques, économiques, sociaux et culturels des
DOM.
Pourtant, ils ne comprennent pas que, au terme d'une première lecture qui a
permis non seulement à l'Assemblée nationale et au Sénat d'améliorer et
d'enrichir incontestablement le texte mais aussi de clarifier les questions qui
pouvaient faire débat, députés et sénateurs ne soient pas parvenus à un accord
permettant une mise en application, la plus rapide possible, du projet de
loi.
Ils ont surtout le sentiment qu'en la matière ce sont des intérêts partisans
qui ont prévalu et que, au bout des stratégies qu'ils devinent, il ne reste pas
grand-chose de leurs préoccupations quotidiennes.
Comment comprendre, en effet, la position de blocage obstiné affichée par la
majorité de la Haute Assemblée à l'encontre de l'article 38 et de l'article 39
?
Mon collègue Paul Vergès a rapidement dit ce qu'il fallait au sujet de
l'article 38.
S'agissant de l'article 39, qui intéresse plus particulièrement les
départements français d'Amérique, vous me permettrez de faire fi des
faux-semblants et de dire clairement où se situe réellement le débat.
Il suffit d'examiner les choses avec un tant soit peu d'objectivité pour se
rendre à l'évidence !
La suppression de l'article 39 est réclamée non pas parce que les dispositions
que comporte cet article apparaissent contestables en elles-mêmes, mais tout
simplement parce que celles-ci ne conviennent pas à la démarche politique
empruntée depuis quelque temps par trois personnalités politiques qui président
les trois conseils régionaux des DFA, et dont l'une se trouve être membre de la
majorité sénatoriale.
Cela est si vrai que j'en connais plus d'un ici qui ont d'abord accueilli
favorablement la méthode d'évolution institutionnelle et statutaire
différenciée, démocratique et transparente que j'ai proposé de retenir pour les
DOM et que l'on retrouve, pour l'essentiel, à l'article 39, puis qui ont changé
de position depuis la publication d'un certain « Appel de Basse-Terre ».
En fait, cet appel n'est rien d'autre qu'un compromis passé entre ses
signataires - qui appartiennent à trois camps jusque-là opposés : le camp
indépendantiste, le camp autonomiste et celui que l'on appelait
traditionnellement le camp départementaliste - sur un objectif d'évolution
statutaire qu'ils estiment indispensable pour les trois DFA.
On ne voit donc pas, au premier abord, pourquoi il faudrait mettre en
parallèle, et plus encore en opposition, ce qui se présente comme un projet, ou
plus exactement une ébauche de projet, et les dispositions contenues à
l'article 39 du projet de loi d'orientation qui, elles, constituent un cadre
légal et une méthode d'évolution institutionnelle ou statutaire.
Autrement dit, rien n'empêchait - et n'empêche toujours - les tenants de
l'Appel de Basse-Terre de continuer à étoffer leur projet, jusqu'ici inachevé,
et de décider de le soumettre aux élus locaux réunis en congrès dans chacun des
trois départements concernés sitôt la promulgation de la loi d'orientation.
Alors il faut bien trouver de mauvaises raisons à un refus dont on ne veut pas
avouer les vrais motifs !
C'est ainsi qu'on nous dit qu'il n'est pas nécessaire de faire inscrire dans
la loi la possibilité pour les élus départementaux et régionaux de se réunir en
congrès. Quoi de plus évident, en effet !
Sauf que, soyons sérieux, l'article 39 ne se résume nullement à la simple
réunion en congrès des élus locaux.
Il fixe également les modalités de prise en compte, par les instances
gouvernementales, de tout projet d'ordre institutionnel et, surtout, il
prévoit, en cas de proposition de changement de statut, la mise en oeuvre d'une
consultation des populations intéressées.
Mais, s'agissant du seul congrès, si son inscription dans la loi est tellement
inutile, pourquoi tant de beaux esprits dépensent depuis des mois autant
d'énergie pour l'en empêcher ? Pourquoi certains ont-ils fait une fixation
quasi névrotique sur cette question, au point d'avoir réussi, pendant assez
longtemps, à occulter toute la partie économique et sociale du projet de loi
d'orientation ?
Alors on nous dit : « Oui, mais, de toute façon, ça ne passera pas la barrière
du Conseil constitutionnel ! » Et comme le propos cache mal ce qui est le plus
souvent un souhait, ceux qui le tiennent s'apprêtent en général à faire en
sorte qu'il y ait à coup sûr saisine du juge constitutionnel.
Dans ces conditions, malgré ce qu'en pense le Conseil d'Etat et nombre
d'éminents constitutionnalistes, on ne peut nier l'existence du risque. Mais,
pour autant qu'il existe, je ne vois pas pourquoi il ne faudrait pas l'assumer.
Je ne vois pas non plus pourquoi cela devrait nous priver de l'occasion de voir
si, avec le temps, compte tenu de l'évolution des esprits sur les questions
institutionnelles, de l'apport de l'Europe dans ce domaine, notamment de
l'existence de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, le Conseil
constitutionnel n'a pas quelque peu infléchi son interprétation jusqu'ici
extrêmement restrictive de l'article 73 de la Constitution.
Il est d'ailleurs curieux de constater que ceux qui semblent si sourcilleux
s'agissant de la constitutionnalité du congrès ne s'attardent pas trop sur le
point de savoir quel sort pourrait être réservé par le Conseil constitutionnel
à leur propre projet, qui, tel qu'il se dessine, pose manifestement des
problèmes autrement plus épineux de compatibilité avec la Constitution
actuelle.
Pour ma part, même dans le cas où l'article 39 serait censuré par le Conseil
constitutionnel, je considère que subsisterait malgré tout un acquis
indéniable.
En effet, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, le seul fait qu'un
gouvernement ait accepté d'inscrire dans un texte législatif une procédure
d'évolution institutionnelle et statutaire différenciée des DFA constitue une
importante victoire politique.
Le vote de cette disposition par le Parlement constituera une seconde et
encore plus importante victoire. Ce sera, pour la première fois, l'obtention
d'une reconnaissance officielle du droit à l'autodétermination des peuples
martiniquais, guadeloupéen et guyanais.
A partir de là, il est incontestable que, désormais, rien ne sera plus comme
avant.
Et même dans l'hypothèse d'une censure du Conseil constitutionnel, les élus
locaux se trouveront dans un contexte beaucoup plus favorable qu'auparavant
pour réclamer en même temps que les modifications de la Constitution absolument
indispensables à la mise en oeuvre d'un éventuel changement de statut celles
qui permettront une consultation des populations concernées.
Cette consultation des populations est pour moi le point fondamental, et je ne
suis pas sûr qu'il n'existe pas là une vraie divergence avec les tenants de la
démarche de Basse-Terre. Certes, ceux-ci proclament qu'ils sont partisans de
consultations locales en cas d'évolution statutaire. Ce serait d'ailleurs
politiquement suicidaire pour eux de dire autre chose, tant les citoyens de nos
départements y sont profondément attachés.
Mais je m'interroge sur ce qui, dans l'article 39, constitue leur cible
réelle. A travers le congrès, n'est-ce pas avant tout la procédure de
consultation locale qui est visée ? Je suis d'autant plus porté à le croire
qu'un amendement présenté par la commission des lois tend à supprimer, à
l'article 1er, le paragraphe introduit par l'Assemblée nationale pour
précisément mettre en valeur, dès le début du texte, la nécessité de garantir,
dans le cadre de tout processus d'évolution, la maîtrise locale de la décision
finale.
Sur un plan plus général, je suis convaincu qu'il existe, en réalité, une
divergence fondamentale entre deux démarches face à la nécessité de doter les
actuels DFA d'un niveau de responsabilité locale suffisamment important pour
leur permettre de mieux convevoir leur développement, de mieux préserver leur
identité et de mieux maîtriser leur avenir en fonction des aspirations de leurs
peuples. Cette divergence ne porte pas forcément sur le modèle d'autonomie
régionale pouvant correspondre à cette nécessité ; elle porte essentiellement
sur la voie à emprunter pour y parvenir.
Je suis, pour ma part, évidemment favorable à toute discussion visant à
rechercher le statut d'autonomie le plus pertinent pour la Martinique. Cela ne
devrait étonner personne puisque, militant autonomiste de longue date, j'ai
fait le choix de répondre à un appel qui date, lui, de 1956, l'appel d'Aimé
Césaire qui se conclut par le fameux : « L'heure de nous-mêmes a sonné ! »
Simplement, en matière de statuts, je demande à voir de très près, persuadé
que, plus un pays est petit, plus il faut être exigeant sur la présence de
contre-pouvoirs et de garde-fous démocratiques.
Par ailleurs, même si un statut pouvait m'apparaître particulièrement indiqué
pour la Martinique, je ne me sentirais pas le droit de l'imposer à qui que ce
soit, d'autant que je suis intimement convaincu que la voie d'évolution choisie
conditionne largement ce que deviendra un projet. « Le but est dans le chemin »
disent, à juste titre, les maîtres bouddhistes.
On le voit, le véritable débat se situe, comme j'ai déjà eu l'occasion de le
dire à cette tribune, entre ceux pour qui toute évolution statutaire dans un
DOM doit s'opérer selon des voies réellement démocratiques et ceux pour qui
elle doit être l'affaire de minorités agissantes s'octroyant le droit de
parler, de négocier et de décider à la place du peuple.
Il est évident que ceux qui ont décidé d'opter pour la deuxième solution ne
peuvent que combattre la procédure prévue à l'article 39. Face à une telle
alternative, je ne peux vraiment pas croire que la Haute Assemblée puisse
persister à faire le choix de l'aveuglement. Je souhaite donc que, sur
l'article 39, l'on n'assiste pas une nouvelle fois à un vote mécanique mais que
chacun ait vraiment à coeur de voter en conscience.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes collègues, le projet
de loi d'orientation pour l'outre-mer tel qu'il nous est soumis est un très bon
projet. Il peut encore être quelque peu enrichi. C'est dans cette optique que
je présenterai tout à l'heure trois amendements.
Il ne doit cependant être ni mutilé ni dénaturé. Il doit absolument conserver
toute sa cohérence si l'on veut qu'il traduise une réelle volonté de rupture
dans la manière habituelle d'appréhender les réalités des départements
d'outre-mer.
N'ayons garde désormais, en nous attaquant aux problèmes économiques et
sociaux qui s'y posent et dont on connaît l'acuité, d'oublier la demande de
responsabilité des peuples.
C'est seulement à ces conditions que, avec l'ensemble du groupe socialiste, je
serai en mesure d'émettre un vote favorable sur le texte qui sortira des
travaux de notre assemblée.
(Applaudissements sur les travées socialistes et
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'annonce du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer a été accueillie de
façon favorable. Il le fut, d'abord, parce que, depuis la loi Pons, puis la loi
Perben, l'outre-mer semblait oublié. C'est la raison pour laquelle les
parlementaires de tous bords politiques réclamaient au Gouvernement un débat de
fond sur l'outre-mer.
Ensuite, le fait de confier à deux parlementaires de l'outer-mer la mission
d'émettre des propositions ne pouvait que créer un grand espoir : celui de voir
prendre en compte la réalité de nos problèmes.
Hélas ! la désillusion allait poindre rapidement.
En effet, au rapport Lise-Tamaya, alors toujours en gestation, se sont
substitués d'autres rapports techniques - le rapport Mossé, le rapport Senners,
le rapport Fragonard - qui ont occulté le rapport des parlementaires en mission
et, tandis qu'une grande publicité a été donnée au rapport Fragonard, le
rapport Lise-Tamaya est arrivé, lui, tout doucement, par la poste !
Le projet de loi tant attendu fut finalement publié dans la précipitation le
13 décembre, à la suite de la déclaration de Basse-Terre du 1er décembre,
déclaration que vous devriez lire, monsieur Lise. En tout cas, je peux vous
dire qu'il n'a jamais été question pour nous, qui connaissons mieux la violence
que vous, d'imposer notre point de vue aux populations. Au contraire, nous
avons cherché à ouvrir entre nous, loin des clivages politiques, une
consultation, un débat, nous avons souhaité entendre et écouter nos
compatriotes.
Cela gêne beaucoup que, en Guadeloupe, nous soyons arrivés à faire ce que
certains n'ont pu obtenir. C'était une gageure que de faire siéger ensemble M.
Marie-Jeanne, qui réclame l'indépendance, M. Karam, autonomiste, et moi qui ai
toujours défendu la présence française au péril de ma vie et de celle de ma
famille, ce que vous semblez oublier.
Le projet de loi actuel ne tient pas compte de certains avis pertinents des
rapports techniques ni même des propositions - je suis plus objective que vous,
mon cher collègue - que vous aviez formulées dans votre rapport en vue de
déboucher sur plus de décentralisation et sur la recherche de nouveaux moyens
financiers pour les collectivités.
De même, le Gouvernement ne fait aucun cas des avis défavorables des
collectivités territoriales. Le conseil régional de Guadeloupe, composé de
membres de la majorité et de l'opposition, a ainsi voté contre le projet de loi
et pour la déclaration de Basse-Terre et les études qui ont suivi.
Le projet de loi était considéré à l'époque comme tellement important qu'on a
pu le comparer à l'abolition de l'esclavage, mais il a subi depuis de très
nombreuses modifications.
Vous ne m'avez pas convaincue tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat,
quand vous avez déclaré qu'il fallait consulter les populations des
départements français d'Amérique à propos des institutions alors que, d'ores et
déjà, en vertu du point de vue d'élus locaux et de certaines personnes, vous
avez décidé d'appliquer la bidépartementalisation. Je considère, pour ma part,
que la consultation des populations est un devoir sacré, une condition du
respect de la démocratie.
J'ai relevé dans ce texte quantité de contorsions qui me gênent ; je vais les
rappeler rapidement.
Le Gouvernement a conscience du fait que les charges sociales et fiscales
pénalisent les entreprises de l'outre-mer qui sont fragiles, mais il ne propose
que quelques mesurettes, et non pas un dispositif global plus lisible.
J'ai entendu tout à l'heure M. le rapporteur, parlant des 35 heures, montrer
le handicap que ce dispositif représentait par rapport aux pays de la zone.
Mais enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, qui chez nous travaille trente-cinq
heures par semaine ? Vous avez oublié Noël, Pâques, le 1er novembre, le 2
novembre, le carnaval, qui dure neuf jours, etc.
(Sourires.)
Il fallait
mettre tout cela à plat !
Il faut prendre conscience des réalités de l'outre-mer !
Par ailleurs, fixer à dix salariés le seuil maximum permettant de bénéficier
des exonérations revient à créer une concurrence déloyale lors de la
participation aux appels d'offre parce qu'une entreprise qui emploiera dix
salariés pratiquera des prix plus intéressants que celle qui en comptera
onze.
Une autre contradiction me paraît devoir être relevée : la sous-consommation
des fonds structurels européens induit comme solution la création d'une
commission que j'appellerai « commission de bavardage ». En effet, cette
solution traduit une méconnaissance des causes profondes et réelles de la
sous-consommation.
Sous-consommation, pourquoi ? Le département de la Guadeloupe n'a pas consommé
les 120 millions de francs destinés à ses ports parce que ce département est en
faillite chronique.
Sous-consommation pourquoi ? Parce que la région Guadeloupe n'a pas reçu les
217 millions de francs qui devaient lui être versés au titre des années 1998,
1999 et 2000.
Sous-consommation, pourquoi ? Parce que les porteurs de projets n'ont pas les
moyens de les faire avancer.
Pour remédier à cette sous-consommation, nous avions proposé la mise en place
d'un fonds régional de préfinancement des fonds européens. Nous n'avons jamais
obtenu de réponse sur ce point.
Vous proposez que soit créé un véritable comité de suivi, mais ce comité de
suivi existe ! Il est obligatoire ! Le comité de suivi est prévu aux pages 23
et suivantes du DOCUP, le document unique de programmation. Il se réunit au
moins deux fois par an. Il module les plans, il établit un déflateur qui permet
une meilleure répartition. Je peux dire que, dans la région que je préside, 90
% des fonds européens ont été consommés grâce à une répartition très
intelligente qui s'exerce au niveau du comité de suivi.
Pour répondre à l'éloignement - et je ne parle pas d'une liaison entre la
capitale régionale et Paris comme on l'a toujours favorisée en Corse - nous
demandons un traitement de l'archipel guadeloupéen, qui comporte six îles. Pour
répondre à ce handicap, le Gouvernement ne propose qu'une mesure, qui est déjà
en application, d'ailleurs : réduire le prix du livre.
Certes, il doit y avoir un CAPES de créole. C'est très bien ! Mais quel créole
allez-vous enseigner dans nos écoles ? Celui de Basse-Terre, de Grande-Terre ou
de Marie-Galante ? En tout cas, attention au créole américain, qui est en train
de pénétrer dans la zone de la Caraïbe !
Autre motif d'étonnement : l'article 36
bis.
Cet article est sans fondement. Il crée une discrimination entre les îles de
Saint-Barthélémy, de Saint-Martin et les autres îles de l'archipel. De plus,
monsieur le secrétaire d'Etat, il méconnaît le contenu du contrat de plan signé
avec l'Etat qui, à la page 65, comporte déjà un dispositif de développement des
îles comprenant des mesures spécifiques, non pas seulement pour Saint-Martin et
Saint-Barthélemy, mais pour les six îles qui composent l'archipel de la
Guadeloupe. Il y a des mesures pour Saint-Martin, Saint-Barthélemy,
Marie-Galante, Grande Terre, Basse Terre et Desirade, et ce depuis le XIe plan,
soit 1994.
Autre ambiguïté : le congrès.
Le fonctionnement du congrès plaît à certains de nos collègues, mais il est
pour le moins tortueux ! Il était d'abord convenu que le congrès délibérerait,
que la décision serait transmise au Premier ministre et qu'à la réunion
suivante un procès-verbal viendrait confirmer les décisions déjà transmises.
Maintenant, chaque assemblée sera amenée à entériner les décisions du
Congrès... Ce n'est pas sérieux, monsieur le secrétaire d'Etat !
A l'heure actuelle - peut-être les élections qui se profilent perturbent-elles
certaines personnes, je peux le comprendre - une grève des transports frappe la
Guadeloupe. Cette grève dure depuis deux mois et l'on ne parvient pas à réunir
autour de la même table des représentants du conseil général et du conseil
régional pour trouver une solution à ce problème qui touche les populations les
plus déshéritées. Je le répète, ce n'est pas sérieux, monsieur le secrétaire
!
Il n'est pas sérieux non plus, monsieur le secrétaire d'Etat, que RFO ait
complètement transformé vos propos. Au demeurant, la population, qui est sans
doute plus intelligente qu'on ne le croit, a compris que M. le secrétaire
d'Etat n'avait pas pu dire cela. Cela a évité bien des perturbations !
L'affaire des transports est également symptomatique. Le conseil général
propose de faire voter une quatrième assemblée, l'assemblée des transporteurs,
et d'en faire des fonctionnaires.
Toutes ces questions montrent bien que le fonctionnement du congrès est
tortueux.
Nous n'avons pas peur du congrès maintenant, mon cher collègue Lise, car, en
Guadeloupe, nous sommes majoritaires. Le congrès fera donc ce que le conseil
régional décidera. C'est le fonctionnement du congrès qui n'est pas bon. Nous
l'avons dit. Si c'est la première fois qu'on en parle ici, c'est parce que -
vous l'avez peut-être oublié - c'est la première fois que j'interviens dans ce
débat.
Bref, le projet de loi qui nous est soumis est confus. Il traduit une
méconnaissance du fait domien et l'oubli de données importantes.
S'agissant de la banane antillaise, par exemple, la France aurait été bien
inspirée d'utiliser la jurisprudence intelligente de l'Espagne, qui a appliqué
la préférence nationale sur son territoire, et ne pas laisser la banane
antillaise, française, européenne, se trouver en concurrence avec la « banane
dollar » américaine.
J'en viens au problème de la pêche, monsieur le secrétaire d'Etat. Depuis
1987, nous entendons parler des zones territoriales et de leur délimitation.
Or, quand un Français de l'hexagone est arrêté dans une île quelconque, on
dépêche des émissaires pour régler le problème et quand un marin-pêcheur de la
Guadeloupe est arrêté, emprisonné à Sainte-Lucie ou à Antigua, ce sont les élus
locaux qui doivent se débrouiller sur le terrain pour tenter de trouver une
solution.
Parallèlement, le problème des zones territoriales n'est pas réglé et nous
continuons à voir des bateaux étrangers venir piller nos eaux territoriales.
Le thème de la coopération a été évoqué et chacun s'est montré très satisfait.
J'ai bien entendu vos propos sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat.
Mais votre coopération est bien à plat. Pourquoi ?
Le premier discours de coopération, le plus important, a été prononcé par M.
Rocard, alors Premier ministre. Ce fut son fameux discours de Cayenne.
Puis, M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères mit sur pied
l'association des Etats de la Caraïbe, dont l'acte de naissance fut signé à
Carthagène et ratifié par une loi du 29 décembre 1997.
Or, que s'est-il passé la semaine dernière, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Votre collègue secrétaire d'Etat au tourisme est arrivée en catimini en
Guadeloupe pour accueillir les ministres de tous les Etats compris entre Cuba
et le Venezuela, afin d'y tenir une réunion sur le tourisme, domaine qui nous
intéresse au premier chef. Nous n'avons été ni invités ni informés. Nous
n'avons même pas pu nous rendre à l'aéroport et faire preuve d'un minimum de
correction vis-à-vis de nos voisins et, suprême insulte, le secrétaire général
de l'AEC, l'Association européenne de coopération, a quitté par ses propres
moyens Saint-Martin et Saint-François et est venu à Basse-Terre nous saluer -
ce qui fait deux heures de route aller et deux heures de route retour - pour
nous dire qu'il ne comprenait pas que la France viole les accords de l'AEC.
Rencontre des ministres des transports à Panama : ni la Guadeloupe, ni la
Martinique, ni la Guyane n'en sont informées.
Rencontre encore au Costa Rica : ni la Guadeloupe, ni la Martinique, ni la
Guyane n'en sont informées !
Et l'on vient me parler de coopération régionale, de possibilité de passer des
accords internationaux ! Lesquels ?
Je vois aussi dans le projet que l'on va consulter le conseil économique et
social départemental. Je ne connais pas de conseil économique et social
départemental. Allez-vous en créer un ? Je ne connais que le conseil économique
et social régional.
J'ajoute que la coopération est en danger, monsieur le secrétaire d'Etat. La
France, sans rien dire, a abandonné son siège au sein du conseil
d'administration de la banque de développement de la Caraïbe. De ce fait,
actuellement, aucune de nos entreprises ne peut obtenir de marché dans la
Caraïbe.
Ce retrait de la France me semble démontrer le désintérêt du Gouvernement pour
ce qui se passe dans la zone caraïbe. Or elle a un rôle stratégique
considérable à y jouer.
Au moment où les Etats de cette zone, qui sont presque tous francophiles, qui
sont liés à nous par l'histoire et la culture, prennent conscience de l'apport
de l'Europe, qui permet notamment aux départements de la Guadeloupe et de la
Martinique d'apparaître comme très avancés en matière de télécommunications ou
d'énergies renouvelables, voilà la France qui se retire de la banque de
développement, alors que celle-ci constitue un lien indispensable !
Je pense, contrairement à ceux qui ont attaqué la déclaration de Basse-Terre,
que nous avons créé un espace de dialogue, où nous faisons tout pour écarter la
méchanceté, la médisance, la violence, la haine, où nous nous efforçons de
partager avec les autres ce sentiment fort de la place de la Guadeloupe, de la
Martinique et de la Guyane dans la Caraïbe. Cette place doit être de mieux en
mieux reconnue, grâce à notre action personnelle, à celle de la France et à
celle de l'Europe, actions que nous avons menées en complémentarité en faveur
de l'ensemble de la région Caraïbe. Il n'y a là nulle conception dictatoriale.
Ce qui gêne sans doute beaucoup de gens, c'est que nous ayons ainsi innové.
Quoi qu'il en soit, pour ma part, je n'apporterai pas mon soutien à ce projet
de loi. Notre déception a été trop grande. Nous attendions des mesures beaucoup
plus fortes, beaucoup plus amples en matière de développement économique. Nous
attendions des mesures plus appuyées en faveur de la jeunesse ; tout ce qui est
proposé ici pour les jeunes, nous l'avons déjà mis en place en Guadeloupe.
Je vous signale, monsieur le secrétaire d'Etat, que beaucoup d'athlètes
guadeloupéens, lors des grandes compétions sportives internationales, font
monter le drapeau français et résonner la Marseillaise. Malheureusement, en
regard des résultats que nous avons l'honneur d'offrir à la France, la
participation du budget de l'Etat à la vie sportive en Guadeloupe est vraiment
insignifiante !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Conformément à l'usage mais aussi parce que les
interventions que nous avons entendues l'exigent, je souhaiterais répondre à
l'ensemble des orateurs, en essayant de clarifier un certain nombre de points,
voire de désamorcer quelques querelles qui ne me paraissent pas fondées
s'agissant d'un texte que je crois profondément utile pour l'outre-mer.
Monsieur le rapporteur, vous avez établi, comme en première lecture, sur la
situation économique et sociale des départements d'outre-mer, un diagnostic qui
ne diverge en rien de celui que porte le Gouvernement.
Vous avez notamment insisté sur la nécessité d'améliorer la compétitivité des
entreprises et sur les disparités régionales qui faussent la concurrence entre
les entreprises des départements d'outre-mer et celles d'Etats voisins, dont, à
l'évidence, les systèmes de protection sociale sont très éloignés de ce que
l'égalité des droits a permis d'instaurer dans ces mêmes départements.
Votre diagnostic correspond tout à fait à celui qui a fondé, dans un premier
temps, le rapport de M. Claude Lise et du député M. Michel Tamaya, puis le
projet de loi d'orientation du Gouvernement.
Quand j'entends quelque peu sous-estimer - comme Mme Michaux-Chevry vient
encore de le faire à l'instant - l'effort qu'il sera possible de consentir
aussitôt que cette loi d'orientation aura été définitivement approuvée par le
Parlement, force m'est de rappeler que, jusqu'à présent, l'effort de notre pays
en matière d'allégement de charges sociales dans les départements d'outre-mer
plafonnait à moins de un milliard de francs. Or, grâce au dispositif que je
vous propose d'adopter, mesdames, messieurs les sénateurs, ce même effort
s'élèvera à plus de 3,5 milliards de francs. Il s'agit d'un effort appuyé,
essentiel, qui ne manquera pas de marquer l'histoire économique de l'outre-mer.
Cet effort relève, à mes yeux, tout simplement de la solidarité nationale, mais
je ne l'en considère pas moins comme historique.
S'agissant de la coopération régionale - et je réponds ici également à Mme
Michaux-Chevry - pour être effectivement une idée ancienne, elle n'est pas pour
autant une idée fausse.
Moi, je crois profondément à la coopération régionale. Pour la première fois,
nous donnons aux principales collectivités de l'outre-mer, départements et
régions, la possibilité de tenir leur rang dans l'espace régional en leur
permettant - nous y reviendrons tout à l'heure dans le débat - de conclure des
accords avec les Etats voisins et de participer aux associations de coopération
régionale non plus sur un strapontin, mais en tant que membres à part
entière.
Au moins sur le principe, il me semble y avoir là une convergence entre la
majorité sénatoriale et le Gouvernement, même si, sur les modalités, nous ne
parvenons manifestement pas tout à fait à nous entendre.
Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, qu'un amendement d'origine
parlementaire avait mis fin à la prime d'éloignement dont bénéficient les
fonctionnaires.
Je voudrais vous rassurer sur un point : cette mesure n'est pas rétroactive.
Nous ne savons pas encore, au demeurant, quelle forme elle prendra dans
l'avenir puisqu'un décret est nécessaire à son application.
En tout cas, ainsi que je le précisais ce matin encore à l'une des principales
organisations représentant les fonctionnaires - les enseignants, en
l'occurrence - rien ne sera fait sans une intense consultation. Celle-ci, bien
sûr, ne peut commencer avant que la loi soit adoptée par le Parlement. Mais je
suis prêt, dès sa promulgation, à rencontrer les organisations représentant les
agents publics pour évoquer les conditions d'application de cette mesure qui
relèvent du pouvoir réglementaire, étant entendu que le Parlement - Assemblée
nationale et Sénat - s'est prononcé pour la fin de cette prime d'éloignement,
du moins dans la forme que l'on connaît aujourd'hui.
S'agissant des 35 heures, bien sûr, il n'est pas question pour moi de relancer
dans cet hémicyle un débat qui a été mené avec talent et brio par Martine Aubry
il y a maintenant près de deux ans. Mais enfin, comment peut-on vouloir
sérieusement défendre l'égalité des droits dans les départements d'outre-mer,
au nom même des effets positifs de la départementalisation, et considérer que,
sur une question aussi essentielle, il doit y avoir deux poids et deux mesures
: les 35 heures en métropole et on ne sait quoi dans les départements
d'outre-mer ? J'ai en effet cru comprendre que, dans certaines situations, on
pouvait y travailler neuf jours d'affilée !
En vérité, il est essentiel que soit respectée l'égalité des droits des
salariés, dans les départements d'outre-mer comme en métropole. Mais cette
égalité vaut aussi pour les décisions qui seront proposées à l'intention des
petites et moyennes entreprises en vue de les faire bénéficier d'un certain
nombre d'assouplissements.
J'en viens à ce procès d'incivisme que j'ai vu poindre curieusement à propos
des entreprises de l'outre-mer et de la possibilité d'apurement des charges
sociales qui figure dans le projet de loi. Ce point a été évoqué par M. le
rapporteur, et aussi par M. Hyest. Il me semble voir dans ce procès une
singulière contradiction.
Nous voulons tous prendre en compte les difficultés des entreprises de
l'outre-mer. On va même parfois jusqu'à s'apitoyer sur leur sort. Or je ne
crois pas que ce soit ce qu'elles demandent. Elles demandent simplement que
l'on prenne en considération leurs problèmes spécifiques, liés à l'étroitesse
du marché, à l'insularité, aux difficultés de communication.
Dans ce projet de loi d'orientation, il ne s'agit pas d'effacer, comme sur une
ardoise magique, les dettes sociales des entreprises de l'outre-mer.
D'ailleurs, ce n'est pas rendre service aux départements d'outre-mer et aux
entreprises qui y sont implantées que de laisser planer dans l'opinion,
notamment métropolitaine, l'idée selon laquelle le Gouvernement et la majorité
de l'Assemblée nationale auraient engagé un plan visant à effacer purement et
simplement les dettes sociales des entreprises de l'outre-mer.
Il s'agit de tenir compte de difficultés qui sont importantes, de situations
économiques qui sont déprimées dans certains secteurs des départements
d'outre-mer, et cela essentiellement grâce à deux mesures : l'annulation des
pénalités et des majorations de retard et, après examen de la situation des
entreprises, un abandon de créances, qui ne doit pas aller au-delà de 50 % de
la dette.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas dit !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
C'est clair pour les dettes sociales, mais nous y
reviendrons lors de la discussion des articles.
M. Lauret a évoqué les bienfaits de la loi Perben. Cette loi a, certes,
constitué un dispositif d'allégement des charges sociales, mais vous auriez été
tout à fait fondé, monsieur le sénateur, à en souligner l'insuffisance et la
timidité. En effet, le bilan du coût budgétaire de l'application de cette loi
est quatre fois inférieur au coût du dispositif que nous proposons aujourd'hui
de mettre en place, malheureusement sans votre soutien.
Mais je remarque que, dans votre département, votre position est minoritaire
sur ce point, comme elle l'est, d'ailleurs, en ce qui concerne la
bidépartementalisation.
Est-ce offenser la démocratie que de rappeler que sept parlementaires de la
Réunion sur huit sont favorables à la bidépartementalisation ? Est-ce offenser
la démocratie que de rappeler que deux sénateurs sur trois sont favorables à la
bidépartementalisation ?
Je dois dire, monsieur le sénateur, que j'ai trouvé bien excessif le procès
que vous avez instruit tout à l'heure. La Réunion souhaite demeurer dans le
droit commun de la République et maintenir un système départemental. Est-il
absurde, incohérent, dès lors, d'envisager, pour une région qui comptera plus
d'un million d'habitants dans une quinzaine d'années, une
bidépartementalisation ?
(Protestations sur quelques travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
Y a-t-il improvisation, alors que ce débat se déroule depuis des mois et que
les modalités précises de la bidépartementalisation figuraient déjà dans
l'avant-projet de loi que le Gouvernement a transmis au Conseil d'Etat ? Il y a
aujourd'hui débat au Parlement sur les modalités de la bidépartementalisation,
comme il y a eu échange, voilà maintenant plus d'un an, avec le Conseil d'Etat,
sur la façon de procéder. Est-ce là travailler dans l'improvisation et la
précipitation ?
M. Lucien Lanier.
Pourquoi vouloir passer en force ?
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je crois que l'on fait, sur ce point, deux, voire
trois faux procès, dans un but évident de désinformation de la population ;
mais, monsieur Lauret, je pense que nous aurons l'occasion de nous expliquer
très bientôt à cet égard, et peut-être même dans votre belle région de la
Réunion.
Dans le premier acte de cette tragédie de désinformation que l'on tente de
jouer - mais je ne crois pas que ce soit un succès durable à la Réunion - on
essaie de faire accroire que la bidépartementalisation est un gadget pour des
élus locaux en mal de mandat.
Je rappellerai simplement que la bidépartementalisation ne crée pas un siège
de conseiller général de plus.
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Elle a
tout de même un coût !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
J'y reviendrai, monsieur Fauchon !
Le second procès n'a pas été évoqué, il est vrai, dans cet hémicycle, mais
j'ai lu dans de nombreux écrits, y compris sous la plume d'un élu réunionnais,
que la création d'un nouveau département serait anachronique à un moment où la
fin des départements serait programmée. Qui considère que la fin des
départements est programmée ? Certainement pas le Gouvernement ! Certainement
pas la commission Mauroy ! Certainement pas le Sénat !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah ça non !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie de le confirmer, monsieur le sénateur
!
Par conséquent, nous ne sommes pas engagés aujourd'hui dans une réflexion qui
conduirait à la fin des départements. Nous rappelons, au contraire, que le
département, comme espace de solidarité et comme initiateur d'équipements, a
toute sa place dans le paysage territorial de la France, donc aussi à la
Réunion.
On a évoqué la consultation. Comme je l'ai rappelé tout à l'heure - et je le
referai peut-être en répondant à Mme Michaux-Chevry - quand il s'agit de rompre
avec le droit commun, quand il s'agit d'évoluer vers des dispositions
statutaires qui peuvent réclamer, le moment venu, une modification de la
consultation, alors, effectivement - et c'était bien le sens des propos
convergents du Président de la République et du Premier ministre - il est
nécessaire de prendre l'avis des populations.
Il s'agit aujourd'hui d'une réorganisation territoriale, voulue, encore une
fois, par la très grande majorité des parlementaires représentant la Réunion au
Parlement de la République...
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois.
Il n'y a pas que les
parlementaires !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
... et, très sincèrement, nous avons là de bonnes
raisons de penser que, au prix d'une meilleure explication excluant les propos
partisans et la désinformation, nous pourrons convaincre la majorité des
habitants de la Réunion qu'il s'agit d'une bonne mesure, ce pour trois raisons
essentielles...
(M. Edmond Lauret brandit un document.)
L'explication
n'a pas commencé, monsieur le sénateur ! Je suis sûr que vos collègues
sénateurs ici présents, comme les députés qui ont déposé un amendement voilà
quelques semaines, vont entamer cette explication qui n'a pas encore eu
lieu.
La bidépartementalisation revêt trois aspects.
Il y a une bidépartementalisation des services publics de l'Etat comme de la
collectivité départementale, mieux répartis, plus proches de la population et
des citoyens. Est-ce un objectif indécent à poursuivre ?
Il y a une bidépartementalisation sociale. Vous connaissez comme moi le nombre
actuel de bénéficiaires du RMI à la Réunion. Vous savez que la volonté
convergente des élus locaux et du Gouvernement est d'aller au plus vite vers
l'alignement progressif du RMI dans les départements d'outre-mer sur celui de
métropole. Vous savez également, j'en suis sûr, que le souhait des institutions
locales et du Gouvernement est de faire en sorte que ces politiques d'insertion
soient menées au plus près du terrain. La bidépartementalisation a donc
également un sens social.
J'en arrive au troisième aspect de la bidépartementalisation, s'il faut aller
encore plus loin dans l'argumentation : il s'agit de l'aménagement plus
harmonieux d'un territoire dont vous connaissez mieux que moi, monsieur le
sénateur, les difficultés et la géographie tourmentée. Nous constatons, en
effet, aujourd'hui, un déséquilibre en matière d'aménagement de ce territoire.
Les grandes infrastructures de communication - M. Vergès nous en a souvent
entretenu - sont tout à fait significatives à cet égard.
La mise en oeuvre de la bidépartementalisation doit effectivement faire
l'objet d'une concertation avec les élus locaux, mais elle doit surtout être
progressive : en affirmant la nécessité que le « coup d'envoi » soit donné au
1er janvier 2001, l'Assemblée nationale n'entend pas pour autant que la
bidépartementalisation soit achevée au 1er janvier 2001. A défaut, nous
pourrions en effet parler de précipitation et, nécessairement, d'improvisation.
Le Gouvernement ne s'est pas opposé à cet amendement parlementaire.
L'Etat n'entend pas, d'ici au 1er janvier 2001, doubler les effectifs, je suis
désolé de devoir vous le dire. La nouvelle assemblée départementale devra, à
nombre d'élus constants, organiser progressivement sa structure. Tant l'Etat
que cette collectivité départementale devront être exemplaires dans l'emploi
des derniers publics et dans la mise en oeuvre de la bidépartementalisation.
Les estimations dont je dispose sont loin des chiffres absolument
fantasmatiques qui ont été brandis par les adversaires de la
bidépartementalisation : 400 millions de francs, 500 millions de francs. C'est
tout à fait délirant ! Le moment venu, je communiquerai des chiffres précis
pour le compte de l'Etat. Vous serez surpris de l'approche modeste que nous
avons de la mise en oeuvre de la bidépartementalisation. L'Etat peut être
modeste et exemplaire !
M. Jean-Jacques Hyest.
Si on faisait des études d'impact, on pourrait le savoir dès à présent !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je ne reviendrai pas sur le procès en incivisme...
M. Jean-Jacques Hyest.
J'ai parlé de risque !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie d'atténuer cette accusation, monsieur
Hyest !
M. Payet a rappelé, et je lui en sais gré, l'importance qu'attachent les élus
de la Réunion, toutes tendances confondues, à l'alignement progressif du RMI.
J'ai eu l'occasion d'indiquer à plusieurs reprises que le délai de trois ans
qui avait été évoqué par le Gouvernement était un maximum et que je souhaitais,
pour ma part, que nous puissions aller plus vite. Avant la fin de cette année,
j'espère être en mesure d'indiquer le calendrier définitif de l'application de
cette mesure, dont je sais, encore une fois, qu'elle est très importante pour
cette île.
M. Vergès a évoqué, et je l'en remercie, le fait que la loi d'orientation
n'était pas aujourd'hui le seul dispositif mis à la disposition des
départements d'outre-mer pour favoriser leur développement. Certes, ce
dispositif est essentiel. J'ai essayé tout à l'heure d'en donner quelques
aperçus, au moins au travers de la mesure la plus importante, en termes
budgétaire, que représentent les allégements de charges sociales. Mais, bien
entendu, d'autres mesures sont prévues, dont nous débattrons peut-être
aujourd'hui.
Il est important de souligner que, à côté de la loi d'orientation, qui est en
quelque sorte la clé de voûte, on trouve la nouvelle loi de soutien fiscal pour
l'investissement outre-mer, dont je voudrais dire encore une fois qu'elle est
non seulement plus équitable - ce qui était l'objectif du Gouvernement - donc
plus pérenne, mais également et surtout plus efficace. S'il était nécessaire
d'en faire la démonstration, je serais ravi que nous puissions y revenir.
Il y a, ensuite, les contrats de plan, qui représentent un effort en forte
augmentation pour les départements d'outre-mer.
Il y a, enfin, les fonds européens, qui participent aujourd'hui de la
solidarité financière au profit des collectivités locales et des entreprises de
l'outre-mer.
C'est l'ensemble de ces dispositifs qu'il faut avoir à l'esprit lorsque l'on
veut prendre la mesure de l'effort accompli actuellement par la France en
direction des départements d'outre-mer.
Vous avez également souhaité, monsieur Vergès - et nous nous en sommes déjà
entretenus - que l'entrée en vigueur de la loi d'orientation ne soit pas
différée et que l'année 2001 ne soit pas, sur ce point, une année de jachère.
C'est également mon souhait et des instructions ont été données pour que la
préparation des décrets soit engagée au plus vite. Bien sûr, il faut que cette
loi d'orientation soit adoptée, mais des mesures ont été prises pour éviter
tout retard. Il s'agit, en effet, d'un élément important : c'est parce que nous
croyons à la force et à la pertinence de cette loi d'orientation que nous
devons veiller à ce que son application ne soit pas différée.
M. Claude Lise, qui est un des inspirateurs de cette loi d'orientation, a très
sereinement, mais avec beaucoup de force, évoqué ses effets sur les entreprises
: pour la très grande majorité d'entre elles, la loi d'orientation est une
bonne nouvelle et son application est de nature à modifier considérablement
l'économie des départements d'outre-mer. Il fallait le rappeler et vous l'avez
fait, monsieur le sénateur !
Vous avez également fait allusion au congrès des élus départementaux et
régionaux et vous avez dit combien cette méthode démocratique, sereine et
progressive était, peut-être plus que d'autres méthodes que l'on a pu évoquer
au cours des derniers mois, de nature à garantir, pour ceux des départements
d'outre-mer qui le souhaitent, une évolution vers des scénarios statutaires
dont il nous appartiendra, bien sûr, le moment venu, de débattre.
Mme Lucette Michaux-Chevry a plaidé, avec beaucoup de fougue, pour une
évolution statutaire des départements d'outre-mer, en tout cas des départements
français d'Amérique. Je suis profondément convaincu qu'après avoir été, pour la
première fois ce soir, une adversaire résolue de la loi d'orientation, vous ne
serez pas la dernière, madame le sénateur, à vous saisir de l'opportunité
historique que constituent le congrès, et, plus généralement, la volonté
convergente des partis politiques de notre pays de voir l'outre-mer évoluer sur
le plan statutaire.
S'agissant du problème des transports, madame le sénateur, vous avez pris le
risque de valider, au nom du conseil régional, des propositions qui ne sont pas
constitutionnelles et qui négligent les règles élémentaires d'organisation des
services publics. Alors, ne vous en prenez qu'à vous-même !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Vous avez lu la délibération du conseil régional ?
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
J'ai lu, en effet, la façon dont le conseil régional a
pris position.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Vous l'avez mal lue !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
J'ai lu également, et je l'ai transmis au président du
conseil régional, autorité organisatrice en matière de transports publics,
l'avis du Conseil d'Etat qui fixe un certain nombre de règles évidentes en
matière d'organisation des transports publics. Je vous renvoie donc encore une
fois à la lecture de cet avis.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
C'est une accusation politicienne !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
S'il est politicien de se référer à un avis du Conseil
d'Etat sur un sujet aussi fondamental, je suis contraint de renvoyer tous ceux
qui le souhaitent à la lecture de cet avis du Conseil d'Etat. Nous avons
souhaité le rendre public, parce qu'il dit le droit avec beaucoup de
précision.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Je respecte le droit et je connais les décisions du conseil régional ! Nous
n'avons pas violé la loi ! Nous avons donné un point de vue. Je vous
transmettrai les délibérations du conseil régional.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Vous avez validé une proposition...
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Je n'ai rien validé du tout ! Vous n'avez rien lu !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
... vous avez validé une proposition qui n'était pas
conforme au droit. D'ailleurs, le Conseil d'Etat a très clairement rappelé quel
était le droit.
S'agissant de la coopération régionale, comme je l'ai indiqué tout à l'heure,
la loi donne aux régions et aux départements la possibilité de conclure des
accords internationaux et d'être membres associés d'organisations
internationales dans l'espace régional. Il s'agit, me semble-t-il, d'un progrès
considérable. Je suis persuadé que la région de Guadeloupe ne sera pas la
dernière à s'emparer de ces possibilités.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, peut être un peu longuement et avec une passion qui
n'a d'égale que celle des intervenants de votre assemblée, les réponses que je
souhaitais apporter aux intervenants.
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission.
Monsieur le ministre, permettez-moi, à
la place que j'occupe à titre provisoire et avec un certain regret car le
président de la commission connaît beaucoup mieux que moi le détail de cette
question, de formuler deux observations.
Tout d'abord, vous avez cru pouvoir dire que le Sénat a l'habitude de
s'opposer aux évolutions de l'outre-mer ; je ne pense pas me tromper en disant
que c'était l'une des phrases de votre discours introductif. Je suis obligé de
m'inscrire en faux contre cette déclaration, car elle ne correspond pas à la
vérité.
S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, tout au long d'un débat qui a été assez
important, nous avons beaucoup innové et essayé d'inventer des formes
nouvelles, y compris au mépris des traditions juridiques, puisqu'il nous a paru
qu'il fallait les dépasser.
De même, pour ce qui est du présent projet de loi, il est possible que nous
ayons des divergences de vues sur ses modalités d'application et que nous ne
considérions pas comme une solution miraculeuse le fait de diviser en deux un
département. En effet, si elle était miraculeuse, il faudrait généraliser cette
mesure à l'ensemble du territoire national et en tirer des leçons, car ce
serait alors très profitable pour le développement économique.
Mais, d'une manière générale, je crois qu'il serait inexact de dire que notre
assemblée n'a pas montré le souci, partagé par tous, d'ailleurs, de faire
évoluer ces pays d'une manière convenable, afin de les adapter aux conditions
nouvelles de l'existence et à l'évolution du monde.
Ensuite, je relève dans vos propos, sans entrer dans le fond du débat sur la
division de la Réunion, que vous irez sur place mener une campagne
d'explications et que vous ne doutez pas - parce que vous avez confiance en
vous-même, ce qui est tout à fait sympathique - de parvenir à convaincre.
Cela fera tout de même beaucoup de monde à convaincre, monsieur le secrétaire
d'Etat. Vous n'ignorez pas, en effet, que vous avez en face de vous tout de
même la majorité de deux assemblées locales, soit bien plus que sept ou huit
parlementaires : comme les hommes sont égaux entre eux, une assemblée qui
compte plus de quarante membres, l'autre, au moins plusieurs dizaines, qui vous
disent l'une et l'autre que votre projet est une erreur, et qu'ils n'en voient
pas l'intérêt ; des sondages répétés qui vont dans le même sens, qui ne sont
naturellement que des sondages, mais qui, quand ils se succèdent et se
confortent, méritent au moins qu'on se pose des questions ; bref, tout cela
fait beaucoup.
Alors, venir nous dire que l'on va d'abord prendre la décision et l'exécuter,
et ensuite seulement l'expliquer témoigne d'une façon de procéder extrêmement
surprenante dans une situation qui est pour le moins inquiétante.
Le texte d'origine prévoyait un délai entre la prise de la décision et sa mise
en application. La solution nous paraissait déjà tout à fait suspecte, mais
elle se défendait intellectuellement. Au contraire, la solution qui consiste à
agir d'abord - non sans une certaine précipitation, d'ailleurs, parce que le
1er janvier 2001, c'est demain - pour s'expliquer ensuite n'appartient plus
tout à fait à la même conception de la démocratie. Pour parler franc, cela
s'apparente un peu à des procédés qui relèvent du centralisme démocratique.
Mais la démocratie telle que nous l'entendons voudrait que la consultation
précède la décision !
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er