Séance du 28 juin 2000
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Démission de membres de commissions et candidatures
(p.
1
).
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
3.
Définition des délits non intentionnels.
- Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi en deuxième
lecture (p.
3
).
M. le président, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice.
Retrait de la demande de vote unique.
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
Article 1er (p.
4
)
Amendement n° 1 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, MM. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois ; Michel Charasse, Alain Vasselle. -
Adoption.
Amendement n° 2 du Gouvernement et sous-amendement n° 5 de la commission. - Mme
le garde des sceaux, MM. le rapporteur, Michel Charasse, Alain Vasselle,
Patrice Gélard, Jacques Larché, président de la commission des lois. - Adoption
du sous-amendement et de l'amendement modifié.
Adoption de l'article modifié.
Article 1er bis (p. 5 )
Amendement n° 3 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. -
Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 1er
ter.
- Adoption (p.
6
)
Articles 3
bis
et 3
ter
(supprimés)
Article 6. - Adoption (p.
7
)
Article 7
bis
(supprimé)
Articles 7
ter
à 7
sexies.
- Adoption (p.
8
)
Vote sur l'ensemble (p.
9
)
MM. Alain Vasselle, Robert Bret, Mme Dinah Derycke, MM. Jean-Jacques Hyest,
Patrice Gélard.
Adoption de la proposition de loi.
4.
Nomination de membres de commissions
(p.
10
).
5.
Journée nationale des « Justes » de France.
- Adoption d'une proposition de loi (p.
11
).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice ; MM. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois ;
Mmes Dinah Derycke, Marie-Claude Beaudeau.
Clôture de la discussion générale.
Article unique (p. 12 )
Mme le garde des sceaux.
Amendement n° 1 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le garde des sceaux, M. Guy Allouche. - Retrait.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois.
Amendement n° 2 de M. Michel Charasse. - Retrait.
Vote sur l'ensemble (p. 13 )
MM. Robert Badinter, Gérard César, Mme le garde des sceaux.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
6.
Rappel au règlement
(p.
14
).
MM. Patrice Gélard, le président.
7.
Sécurité du dépôt et de la collecte de fonds.
- Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence (p.
15
).
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ;
Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois ; Bernard Plasait,
Jean-Claude Peyronnet, Jean-Jacques Hyest, Mme Marie-Claude Beaudeau.
Clôture de la discussion générale.
Articles 1er à 3. - Adoption (p. 16 )
Adoption de l'ensemble du projet de loi.
Suspension et reprise de la séance (p. 17 )
8.
Candidatures à une commission mixte paritaire
(p.
18
).
9.
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Moldavie
(p.
19
).
10.
Services d'incendie et de secours.
- Adoption d'une proposition de loi (p.
20
).
Discussion générale : MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer
; Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Claude
Peyronnet, Pierre Lefebvre, Paul Blanc.
Clôture de la discussion générale.
Articles 1er et 2. - Adoption (p.
21
)
Article 3 (p.
22
)
Amendement n° 1 de M. Pierre Lefebvre. - M. Pierre Lefebvre, le rapporteur, le
secrétaire d'Etat. - Retrait.
Adoption de l'article.
Vote sur l'ensemble (p. 23 )
M. Alain Vasselle.
Adoption de la proposition de loi.
11.
Interdiction des candidatures multiples aux élections cantonales.
- Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture (p.
24
).
Discussion générale : MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer
; Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois.
Clôture de la discussion générale.
Articles 2, 4 et 5. - Adoption (p.
25
)
Vote sur l'ensemble (p.
26
)
M. Jean-Claude Peyronnet.
Adoption de la proposition de loi.
12.
Conseil d'administration d'Air France.
- Rejet d'un projet de loi en deuxième lecture (p.
27
).
Discussion générale : Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme ;
MM. Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires
économiques ; Pierre Lefebvre, Ladislas Poniatowski.
Clôture de la discussion générale.
Article 3 (p. 28 )
Amendement n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat,
M. Jean-Pierre Plancade. - Rejet.
Rejet, par scrutin public, de l'article.
Rejet du projet de loi.
13.
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
(p.
29
).
14.
Modification de l'ordre du jour
(p.
30
).
Suspension et reprise de la séance (p. 31 )
15.
Protocole de Kyoto sur les changements climatiques.
- Adoption d'un projet de loi (p.
32
).
Discussion générale : MM. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération
et à la francophonie ; Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires
étrangères ; Serge Lepeltier, Jean-Pierre Plancade, Aymeri de Montesquiou,
Pierre Laffitte, Gérard Le Cam.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre délégué.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
16.
Dépôt d'un projet de loi
(p.
33
).
17.
Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
34
).
18.
Renvoi pour avis
(p.
35
).
19.
Dépôt de rapports d'information
(p.
36
).
20.
Ordre du jour
(p.
37
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉMISSION DE MEMBRES DE COMMISSIONS ET CANDIDATURES
M. le président.
J'ai reçu avis de la démission de Mme Claire-Lise Campion comme membre de la
commission des affaires culturelles et de celle de M. Philippe Labeyrie comme
membre de la commission des affaires sociales.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats
proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et la nomination aura lieu conformément à
l'article 8 du règlement.
Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des lois m'a
fait savoir qu'elle avait encore besoin d'un peu de temps pour terminer
l'examen des amendements déposés par le Gouvernement sur la proposition de loi
relative à la définition des délits non intentionnels. Nous allons donc
interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à neuf heures quarante, est reprise à neuf heures
quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
DÉFINITION DES DÉLITS
NON INTENTIONNELS
Suite de la discusssion et adoption
d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, de la
proposition de loi (n° 308, 1999-2000), modifiée par l'Assemblée nationale,
tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. [Rapport n° 391
(1999-2000).]
Mes chers collègues, je vous rappelle que la discussion de ce texte a commencé
le 15 juin dernier.
Après avoir clos la discussion générale et repoussé une motion tendant au
renvoi à la commission, le Sénat a entamé l'examen des articles.
Le Gouvernement avait demandé au Sénat de se prononcer par un seul vote,
conformément à l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, sur l'ensemble des
articles, modifiés par les amendements n°s 1, 2 et 3 qu'il avait déposés.
Madame le garde des sceaux, cette demande est-elle maintenue ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de revenir brièvement sur la
situation.
Nous examinons une nouvelle fois la proposition de loi sur les délits non
intentionnels déposée par M. Pierre Fauchon. C'est un texte important. J'ai
rappelé devant vous, le 15 juin dernier, ma position et celle du Gouvernement
sur ce texte. Je redis mon accord au principe de cette réforme, mais je
rappelle que, dès le début de la discussion, j'ai aussi fermement indiqué qu'un
tel texte ne devait pas aboutir à un excès inverse, c'est-à-dire à une
dépénalisation injustifiée de comportements dangereux, notamment dans quatre
domaines dans lesquels la répression ne saurait faiblir : le droit du travail,
de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité routière.
J'estime que, dans ses grandes lignes, le texte adopté par le Sénat en
première lecture va dans la bonne direction. Ce texte a été grandement amélioré
en première lecture par l'Assemblée nationale, qui a répondu à la plupart des
interrogations que j'avais exprimées devant vous.
J'ai déjà dit aussi que je croyais cependant que, malgré ce travail effectué
en première lecture aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, de
nouvelles améliorations étaient encore possibles et qu'elles étaient
souhaitables pour garantir le nécessaire équilibre entre les droits des
victimes et les risques de condamnation inéquitable.
Parce que la question des délits non intentionnels n'est pas mineure et
qu'elle appelle un débat approfondi, j'ai poursuivi des consultations et mené
une concertation, notamment avec des magistrats, des universitaires, mais aussi
plusieurs associations de victimes d'accident ou de violence routière, de
fléaux sanitaires, ainsi qu'avec des confédérations syndicales.
Ces consultations m'ont poussée à présenter trois amendements qui, non
seulement amélioraient le texte, mais également permettaient la poursuite de la
procédure parlementaire afin que le texte finalement adopté par le Parlement
soit véritablement un texte de consensus. Je crois profondément en effet que ce
sujet mérite un large accord afin d'être compris et accepté par nos
concitoyens.
Je suis toujours sur cette position. Les amendements présentés le 15 juin
dernier n'ont rien perdu de leur caractère consensuel, et je suis persuadée que
vous êtes en mesure de les adopter.
Afin de favoriser l'accord recherché, je pourrais même accepter, sur mon
deuxième amendement, un sous-amendement qui n'en dénaturerait pas la portée,
tout en en précisant les éléments constitutifs.
En effet, dans cet amendement, avec la formule « en ce que » - « la faute en
ce qu'elle exposait - la faute est qualifiée par la nature du risque qu'elle
entraîne. L'expression proposée par le sous-amendement : « la faute exposant »
présente, elle, l'avantage de rendre la nature de la faute indépendante de la
nature du risque entraîné. Les deux éléments, faute et risque, doivent être
réunis. L'équilibre ainsi atteint me paraîtrait satisfaisant.
C'est dans cet état d'esprit que le Gouvernement, qui souhaite le vote d'un
texte équilibré, conformément aux engagements du Premier ministre, a réinscrit
cette proposition à l'ordre du jour de votre assemblée. Il désire que le débat
parlementaire, monsieur le président, se poursuive normalement, dès lors que
nous parviendrons à un accord sur les amendements et les sous-amendements, bien
entendu. Nous allons voir maintenant ce que la discussion nous réserve.
(M. Jacques Valade remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
Je vous donne acte bien volontiers, madame le garde des sceaux, de votre
déclaration et de la position que vous venez de prendre au nom du Gouvernement.
Nous reprenons, par conséquent, le cours normal de nos débats.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - Le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal est
remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute,
d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de
sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des
faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de
la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du
pouvoir et des moyens dont il disposait.
« Toutefois, dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes
physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la
situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de
l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont,
soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de
prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une
faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elles ne
pouvaient ignorer. »
Par amendement n° 1, le Gouvernement propose, au début du second alinéa du
texte présenté par cet article pour remplacer par deux alinéas le troisième
alinéa de l'article 121-3 du code pénal, de remplacer les mots : "Toutefois,
dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont
pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à
l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, ne sont
responsables pénalement que s'il est établi" par les mots : "Dans le cas prévu
par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé
directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui
a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant
de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi". »
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'ai déposé deux amendements qui modifient la rédaction
des nouvelles dispositions de l'article 121-3 du code pénal, en ce qui concerne
la définition tant du lien de causalité que de la faute qualifiée, et qui
prennent en compte les légitimes interrogations exprimées par certaines
associations de victimes.
Le premier amendement, qui porte sur l'article 1er de la proposition de loi, a
deux objets.
Il tend, tout d'abord, à mieux rédiger le début du nouveau quatrième alinéa de
l'article 121-3 du code pénal afin de montrer clairement que la responsabilité
pénale des auteurs indirects des dommages n'est pas « subsidiaire », qu'elle
n'est en aucun cas une « responsabilité par défaut ».
Comme je l'ai déjà indiqué, il n'existe pas une hiérarchie des causes, la
cause déterminante d'un dommage pouvant, dans certain cas, être la cause
indirecte et non la cause directe de celui-ci.
Je vous propose donc de supprimer l'adverbe « toutefois » et de rédiger la
phrase sous une forme affirmative, comme l'alinéa précédent, et non sous une
forme négative.
Cet amendement lève ensuite toute ambiguïté quant à l'hypothèse de l'auteur
indirect qui a créé la situation à l'origine du dommage.
La lecture du texte actuel risque en effet de donner l'impression qu'il exige
une faute unique et qu'il empêche de retenir plusieurs auteurs indirects ayant
chacun contribué à créer cette situation ou qu'il se limite aux seules
personnes qui ont créé la situation originelle d'où est ensuite résulté le
dommage, mais qu'il interdit de sanctionner ceux qui ont permis le maintien,
voire l'amplification de cette situation à risque.
Il paraît dès lors préférable de faire référence aux personnes qui ont créé ou
contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage et non
aux personnes qui ont créé la situation à l'origine du dommage.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je tiens
tout d'abord à remercier le Gouvernement d'avoir bien voulu adopter la position
nécessaire pour que nous puissions reprendre le débat avec sérénité, sérénité
que nous n'avions peut-être pas jeudi soir, mais que nous avons très rapidement
retrouvée.
Sur le fond, les préoccupations du Gouvernement et celles de la commission
sont les mêmes. Il n'a jamais été dans notre intention de faire un texte
spécialement protecteur pour les élus. Cette étape est dépassée depuis
longtemps ; elle l'était déjà lorsque j'ai présenté cette proposition de loi.
Nous légiférons pour toutes les personnes pouvant se trouver menacées d'être
condamnées pour un délit d'imprudence ou de négligence ayant causé des
blessures ou des homicides, le plus souvent, mais cela peut être tout autre
dommage.
C'est un texte de portée absolument générale. On peut lire de temps à autre
dans la presse, et je le regrette, qu'il s'agirait d'un « texte pour les élus
». C'est tout à fait faux. Je signale à cet égard que les interventions dont
nous avons été saisis au cours des dernières semaines émanaient pour la plupart
d'autres catégories de la population. Je citerai entre autres les directeurs
d'hôpitaux, les membres du corps électoral - autant que je sache, les préfets
ne sont pas élus, en tout cas pas encore ! - les organisateurs d'activités
sportives, qui sont extrêmement attentifs aux risques que font courir les
activités sportives, et même les simples particuliers qui ont chez eux des
installations sportives, je pense aux piscines notamment.
Il est par ailleurs tout à fait inexact également de laisser entendre que
l'adoption de ce texte pourrait entraver les investigations judiciaires qui
auraient pour origine tel ou tel sinistre. Les investigations, qui ne préjugent
pas les résultats, continueront d'avoir lieu. Bien entendu, les juridictions
pénales seront saisies et les juges d'instruction, éventuellement, ordonneront
des expertises. Ce n'est qu'à l'issue de ces investigations que se posera la
question de savoir si telle ou telle personne entre dans la catégorie que nous
avons visée.
Toute l'investigation pourra se développer comme elle se développe
actuellement. Il n'y a donc pas lieu de mettre en avant le passage à des
procédures civiles qui risquerait de priver les victimes des facilités de la
procédure pénale, notamment des facilités financières qu'elle présente.
En outre, dans la mesure où, lors de la discussion d'un autre texte, nous
avons adopté une amélioration du statut des personnes poursuivies par la
définition du statut de témoin assisté, qui s'applique tout à fait à la
situation considérée dans le présent texte, à propos de telle ou telle
catastrophe s'engageront des instructions normales avec, je l'espère, des
témoins assistés.
Nous aurons donc, de ce fait, amélioré la situation des personnes menacées de
poursuites sans diminuer en rien les capacités d'information des victimes
d'accidents.
Il m'a paru important d'apporter cette précision en réponse à certaines
rumeurs qui ne correspondent pas du tout à la réalité.
J'en viens maintenant aux amendements sur lesquels nous avons achoppé jeudi
dernier, avec une petite pointe de regret dans la mesure où nous aurions
peut-être trouvé une solution alors, si nous avions engagé un peu plus le
débat. En effet, le premier de ces amendements - je réserve pour l'instant mon
avis sur le deuxième, qui est plus délicat - ne présente pas d'inconvénient.
J'ai bien entendu vos explications, madame le garde des sceaux. Vous ajoutez
l'idée qu'il peut s'agir de personnes qui ont contribué à créer la situation.
C'est une précision tout à fait éclairante, dont j'admets l'intérêt.
Sur le fond du droit, cela ne modifie pas la situation puisque, dans tous les
cas de figure, il faut tout de même - et vous y avez fait allusion - qu'il y
ait un lien de causalité entre les faits reprochés à telle ou telle personne et
les dommages qui ont été causés.
Que l'on ait réalisé le dommage ou que l'on ait contribué à le créer, le
véritable problème est qu'existe bien ce lien de causalité. Il n'y a pas
d'équivoque entre nous. La commission des lois émet donc un avis favorable sur
l'amendement n° 1 en espérant avec vous, madame le garde des sceaux, qu'il
apportera un éclairage plus complet sur cet aspect du problème.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Madame le garde des sceaux, je veux simplement comprendre quelle est la portée
exacte des textes qu'on nous demande de voter. Car, une fois que c'est voté,
c'est trop tard ! D'autant qu'il s'agit d'un domaine qui « tangente » la
justice mais qui « tangente » plus souvent la vengeance, et la vengeance par la
prétendue
vox populi...
Je sais de quoi je parle !
Par l'amendement n° 1, vous proposez donc notamment d'ajouter les mots : « ou
contribué à créer ».
Prenons l'exemple d'un maire qui décide, avec son conseil municipal, de
construire un pont, lequel, comme n'importe quel pont, est un défi à la règle
naturelle qui veut que tout ce qui est en l'air s'effondre, en vertu de ce
qu'on appelle l'attraction terrestre, et que contestent seuls les ivrognes qui
ne comprennent pas pourquoi les mouches marchent au plafond...
(Sourires.)
Quoi qu'il en soit, le conseil municipal change avant que ce pont soit
construit, et c'est donc le nouveau conseil municipal qui le construit. Et puis
le pont s'effondre !
L'ancien maire et son conseil municipal, ceux qui ont décidé la construction
du pont, font-ils partie des gens qui ont « contribué » ? Est-ce que la
secrétaire qui a tapé la décision a « contribué » ? Est-ce que le secrétaire
général de mairie ou le directeur de ministère qui l'a exécutée a « contribué »
? Est-ce que le porteur du pli fatal a « contribué » ?
A cette formule : « contribué à créer », on peut donner une portée illimitée,
qui irait bien au-delà de ce que, les uns et les autres, nous voulons viser.
Je ne suis pas défavorable par principe aux amendements du Gouvernement, mais
je tiens à formuler cette demande d'explication, pour qu'au moins les débats
parlementaires soient éclairés sur ce point.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je fais miennes les remarques tout à fait pertinentes qui vienent d'être
développées par notre collègue Michel Charasse.
J'ajouterai une observation qui, me semble-t-il, mérite de figurer au compte
rendu de nos débats et qui concerne une des modifications apportées au texte
par l'Assemblée nationale.
ll s'agit du membre de phrase : « ou qui n'ont pas pris les mesures permettant
de l'éviter », qui m'apparaît de nature à réduire très sensiblement la portée
du texte initial, tel qu'il avait été adopté par le Sénat. Je crains en fait
que la présence de ce membre de phrase ne nous conduise à nous retrouver avec
la même jurisprudence qu'aujourd'hui.
La rédaction proposée initialement par M. Fauchon était beaucoup plus nette et
permettait de lever toute ambiguïté sur la gravité de la faute.
J'ai bien peur que les magistrats qui auront à appliquer ces
dispositions,...
M. Michel Charasse.
Ils ne les appliqueront pas !
M. Alain Vasselle.
... du fait de l'inclusion de ces quelques mots, n'annulent l'avancée que nous
voulions réaliser et que les élus ne se retrouvent dans la situation que nous
connaissons aujourd'hui.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Puisque M. Charasse insiste...
M. Michel Charasse.
Amicalement !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Certes !
... et puisque j'ai déjà expliqué pourquoi il me semblait indispensable
d'introduire les mots : « contribué à créer », j'ajouterai simplement que je ne
peux pas laisser dire qu'il y aurait, de la part d'associations de victimes ou
de syndicats, une soif de vengeance.
J'ai mené des concertations approfondies avec les parlementaires, les
magistrats, les universitaires, les associations de victimes, les
confédérations syndicales. Chez tous, j'ai trouvé la volonté - même si la
rédaction a donné lieu à des discussions - de parvenir à un texte équilibré,
permettant de corriger la loi actuelle - qui aboutit quelquefois, en effet, à
des situations injustes - mais ne dépénalisant pas, dans toute une série de
domaines où peuvent surgir des risques graves, des conduites inconsidérées
susceptibles d'avoir des conséquences très dommageables.
Ce qui est recherché, ce n'est rien d'autre que cela. C'est évidemment un
équilibre délicat, difficile à atteindre. En tout cas, c'est dans cet esprit-là
que tous ceux avec qui j'ai été en contact ont travaillé.
(Très bien ! et
applaudissements sur de nombreuses travées socialistes.)
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas mon avis !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je voudrais apporter une précision technique à M.
Charasse.
Avoir « créé » ou avoir « contribué à créer », c'est ce que l'on appelle la
pluralité des causes, notion bien connue dans notre droit, où elle est présente
depuis longtemps. Ce qu'il faut, c'est qu'il y ait une cause. La dactylographe
qui tape la délibération n'est pas une cause : il n'y a pas de lien de
causalité entre l'acte qu'elle a accompli et l'événement qui s'est produit.
Voilà la réponse à la question de M. Charasse.
Par ailleurs, ce qui est essentiel, c'est ce qui suit : il ne suffit pas
d'avoir « créé » ou « contribué à créer » ; encore faut-il que la personne en
question ait, soit violé d'une manière manifestement délibérée une obligation
particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou par le règlement,
soit commis une faute d'une exceptionnelle gravité ou une faute caractérisée -
nous allons y venir dans un instant. En tout cas, il faut que l'une de ces
conditions soit remplie.
L'existence nécessaire de ces conditions et celle du lien de causalité doivent
vous éclairer, monsieur Charasse, sur la portée des mots : « ou contribué à
créer », précision que nous n'avions pas cru nécessaire mais que Mme le garde
des sceaux estime utile, et nous nous inclinons devant ses raisons.
M. Michel Charasse.
Les deux éléments sont liés.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 2, le Gouvernement propose, à la fin du second alinéa du
texte présenté par l'article 1er pour remplacer par deux alinéas le troisième
alinéa de l'article 121-3 du code pénal, de remplacer les mots : « soit commis
une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elles ne
pouvaient ignorer. », par les mots : « soit commis une faute caractérisée en ce
qu'elle exposait autrui à un risque d'une particulière gravité que ces
personnes ne pouvaient ignorer. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 5, présenté par M. Fauchon,
au nom de la commission, et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n°
2, à remplacer les mots : « en ce qu'elle exposait autrui à un risque d'une
particulière gravité que ces personnes », par les mots : "et qui exposait
autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ».
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 2.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
L'amendement n° 2 améliore la définition de la faute
exigée en cas de causalité indirecte, hors le cas où il s'agit d'une violation
manifestement délibérée d'une règle de prudence.
Il tend à lever toute ambiguïté susceptible de laisser penser que la
responsabilité pénale en cas de causalité indirecte ne pourra être engagée que
dans des hypothèses tellement exceptionnelles qu'il en résulterait, dans de
nombreux cas, des impunités choquantes.
Il est ainsi proposé de définir le contenu de cette faute comme « une faute
caractérisée en ce qu'elle exposait autrui à un risque d'une particulière
gravité et que l'on ne pouvait ignorer ».
Cette définition ne modifie pas l'un des éléments essentiels du texte adopté
par l'Assemblée en première lecture qui veut que la responsabilité pénale de
l'auteur de la faute suppose nécessairement qu'il ne pouvait ignorer
l'existence du danger.
En revanche, cette définition présente, en premier lieu, l'avantage de ne plus
retenir l'expression : « faute d'une exceptionnelle gravité », qui, bien
qu'utilisée par la jurisprudence pour définir le concept de faute inexcusable,
donne à tort l'impression que cette faute caractérisée ne pourra en pratique
être retenue que de façon exceptionnelle et que, par principe, les auteurs
indirects d'un dommage seraient pénalement irresponsables.
En second lieu, cette définition met en évidence, ce que ne faisait pas le
texte de l'Assemblée nationale, que la particulière gravité de la faute
d'imprudence ou de négligence - et donc son caractère pénalement répréhensible
- résultera, en principe, de la particulière gravité du risque dont l'existence
était connue de la personne.
L'analyse de la jurisprudence semble en effet montrer que ce qui caractérise
souvent la gravité de la faute, c'est la gravité du risque auquel cette faute
exposait un tiers.
Cependant, il est aussi possible que le caractère évident et grossier d'une
faute apparaisse et contribue à « caractériser » la faute, sans pour autant que
le risque auquel elle exposait un tiers puisse être perçu comme grave, cette
gravité pouvant notamment résulter de la « multiplicité des petits risques
encourus ».
Telle est la raison pour laquelle, je tiens à le dire dès à présent, je ne
serai pas opposée au sous-amendement de la commission, qui prévoit de supprimer
la conjonction « en ce que », cette suppression ne dénaturant pas le texte de
l'amendement du Gouvernement quant à sa portée. Ce sous-amendement permet de
préciser que la caractérisation de la gravité de la faute ne dépend plus
exclusivement de la gravité du risque.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter le sous-amendement n° 5 et
pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 2.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il convient de distinguer deux points.
En premier lieu, là où le texte de l'Assemblée nationale, que nous avions
souhaité adopter, fait mention d'une faute d'une exceptionnelle gravité, le
Gouvernement, pour les raisons qui viennent d'être exposées, propose de parler
d'une « faute caractérisée ».
En second lieu, l'Assemblée nationale estime qu'il faut en outre que cette
faute expose autrui à un danger que ne pouvaient ignorer ceux qui l'ont
commise.
Dans l'amendement du Gouvernement, les deux conditions ainsi posées par
l'Assemblée nationale sont en quelque sorte « compactées ».
Il y a, en tout cas, une certaine équivoque puisque le texte du Gouvernement
évoque une « faute caractérisée en ce qu'elle exposait autrui... ». Cest donc,
selon cette rédaction, le fait d'exposer autrui à un danger qui fait de la
faute une faute caractérisée.
Ainsi, au lieu d'avoir deux conditions - d'une part, une faute d'un certain
type et, d'autre part, une faute qui expose autrui à un certain type de danger
- on n'en a plus qu'une seule.
En faisant tourner la sauce sur le coin du feu, on finit par aboutir à un
texte beaucoup plus simple, consistant à dire que le seul fait d'exposer
quelqu'un à un danger qu'on ne pouvait ignorer constitue le délit d'imprudence
et de négligence, ce qui revient à définir de façon peut-être encore plus large
qu'aujourd'hui la faute d'imprudence et de négligence : en tout cas, il n'y a
pas de progrès.
Il nous a donc semblé qu'il était tout à fait nécessaire de préciser - et les
contacts que nous avons eus avec le Gouvernement nous ont donné à penser qu'il
n'y avait pas, sur le fond, de divergences entre nous - que deux conditions
devaient être remplies pour que le délit soit constitué : d'une part,
l'existence d'une faute, à qualifier d'une certaine façon, d'autre part, le
fait que cette faute expose autrui à un risque d'une particulière gravité.
J'attire l'attention sur le membre de phrase : « d'une particulière gravité
que ces personnes ne pouvaient ignorer ». Cela signifie, soyons clairs, que, si
l'on expose quelqu'un à un risque d'une particulière gravité sans avoir commis
de faute ou en ayant commis n'importe quelle faute, le délit n'est pas
constitué.
On peut aussi avoir commis une faute assez grave mais qui n'expose pas
quelqu'un à un risque qu'on ne pouvait ignorer. On peut exposer quelqu'un à un
risque qu'on pouvait parfaitement ignorer, bien que la faute soit grave. Du
fait qu'on pouvait parfaitement ignorer le risque qu'elle faisait courir, il
résulte que le délit, là non plus, n'est pas constitué.
Pour qu'il soit constitué, il faut que les deux éléments soient réunis.
Il nous a semblé, et je remercie le Gouvernement d'avoir bien voulu me
confirmer son accord il y a un instant, qu'il était plus clair de dire « une
faute » - nous la définirons plus tard - « et qui exposait... ». La conjonction
de coordination « et » montre bien qu'il faut remplir les deux conditions.
Telle est la raison d'être de notre sous-amendement n° 5.
En ce qui concerne l'amendement n° 2 lui-même, il est certain que nous avons,
disons-le en toute sérénité - j'ai employé le mot tout à l'heure
intentionnellement -, une divergence.
Nous avions souhaité que l'on parle d'une faute d'une exceptionnelle gravité,
ce qui était la formule de l'Assemblé nationale. Je reconnais volontiers que
cette expression avait une résonance particulièrement fâcheuse pour les
victimes qui pouvaient effectivement se dire qu'il n'y aurait presque jamais de
condamnations si l'on exigeait la faute d'une exceptionnelle gravité.
Vous avez bien voulu rappeler qu'en réalité la jurisprudence n'entend pas les
termes « exceptionnelle gravité » d'une manière aussi restrictive. Il n'en
demeure pas moins que, contenus dans une loi qui intéresse évidemment tous nos
concitoyens, ils risqueraient d'avoir un effet qui pourrait être considéré
comme regrettable. Nous avions en tout cas souhaité - et nous continuons de
souhaiter - que l'on supprime « exceptionnelle » tout en conservant la notion
de « gravité », pour parler de « faute grave ».
Cela étant, il faut être réaliste ! Nous sommes trois à faire la loi :
l'Assemblée nationale, le Gouvernement et nous.
M. Michel Charasse.
Quatre, avec les associations !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Ce qui s'est passé jeudi dernier nous l'a rappelé d'une
manière qui n'a pas été agréable, mais, enfin, c'est ainsi... Nous devons être
réalistes si nous voulons avancer.
La question est donc de savoir si nous avançons suffisamment en adoptant la
rédaction du Gouvernement qui consiste à éliminer les termes « exceptionnelle
gravité», pour ne plus parler que de « faute caractérisée ». Nous croyons, et
la commission des lois vient de le voter tout à l'heure, qu'il faut accepter ce
résultat, certes partiel, mais qui est tout de même très positif.
Pour apprécier le caractère positif de ce résultat, je vous invite à nous
resituer au point de départ. Il faut oublier les étapes successives, car
lorsqu'on a connu des formulations plus favorables, on a tendance à prendre
comme repère la formulation la plus favorable et à dire qu'on s'en est
éloigné.
Il faut donc se rappeler que le point de départ de notre démarche est la
situation dans laquelle la faute civile et la faute pénale sont assimilées en
vertu d'une jurisprudence de 1912. Autrement dit, nous sommes partis d'une
situation dans laquelle n'importe quelle faute, n'importe quelle imprudence,
n'importe quelle néglicence constituent le délit.
Le premier problème, c'est de sortir de cette assimilation. On y parvient plus
ou moins, mais il est essentiel d'en sortir afin de libérer en quelque sorte la
jurisprudence. Or, je signale que si ce texe n'était pas voté, on en déduirait
que nous avons voulu confirmer la jurisprudence actuelle. En ce sens, l'effet
serait forcément négatif, voire, de ce point de vue, très négatif.
Reportons-nous donc au dictionnaire. J'ai consulté le
Robert
et le
Littré :
une faute caractérisée, ce n'est pas n'importe quelle faute. On
ne sait pas très bien ce que c'est, je le reconnais. Je pense qu'il s'agit
d'une faute qui a un certain degré de gravité ; il n'y a pas de doute, sinon
elle ne serait pas caractérisée.
D'ailleurs, le langage commun nous l'enseigne. En parlant de quelqu'un qui
vient de faire une bêtise caractérisée, on veut bien dire que ce n'est pas
n'importe quelle bêtise.
Donc, en sortant de n'importe quelle faute, en nous dégageant de la notion de
la moindre faute, nous mettons un terme à cette espèce d'assimilation, à cette
espèce de blocage juridisprudentiel que nous subissons depuis près d'un
siècle.
Parce que nous considérons qu'il est essentiel d'en sortir, même si, le
faisant, nous n'avons pas le sentiment d'être pleinement satisfaits, votre
commission des lois vous propose d'accepter cette rédaction de faute
caractérisée et, donc, d'adopter notre sous-amendement n° 5, puis l'amendement
n° 2 du Gouvernement, ainsi modifié.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 5 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Dans son sous-amendement n° 5, M. Fauchon propose que
l'amendement n° 2 du Gouvernement fasse simplement référence - c'est ma
position depuis le début - à une faute caractérisée...
M. Michel Charasse.
On ne sait pas ce que c'est !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... mais en ajoutant « et qui exposait autrui à un
risque d'une particulière gravité » que ces personnes ne pouvaient ignorer
alors que la rédaction antérieure envisageait « une faute caractérisée en ce
qu'elle exposait autrui à un risque ».
A la réflexion, je ne suis pas opposée à ce sous-amendement, car le principe
selon lequel la gravité de la faute résultera de la gravité du risque peut
effectivement connaître des exceptions. Le juge devra donc se poser deux
questions distinctes : d'une part, sur la nature de la faute et sur sa
caractérisation éventuelle, d'autre part, sur la nature et la connaissance du
risque, même si, dans la plupart des cas - mais pas dans tous, compte tenu de
l'imminence et de la gravité du risque - le juge ne pourra évidemment que
considérer que la faute est caractérisée.
Cela ne sera toutefois pas systématique. C'est ainsi qu'il peut arriver qu'une
faute très fugace ou de caractère très fugitif expose autrui à un risque
important sans que les tribunaux estiment pour autant qu'il s'agit là d'une
faute caractérisée.
Ainsi, la suppression de l'expression « en ce que », que je comprends dans le
sens que je viens d'indiquer, ne soulève pas, à mes yeux, de difficulté.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 5, accepté par le Gouvernement.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
Je constate que ce sous-amendement a été adopté à l'unanimité.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Là aussi, je suis toujours bien disposé, mais je voudrais comprendre ce qu'on
fait exactement.
Le rapporteur nous dit que le sous-amendement aboutit à un résultat partiel.
Il faudra le cumul des deux conditions, c'est-à-dire qu'il y ait faute et
qu'elle expose autrui, ce que nous venons de voter voilà un instant.
Mais le rapporteur nous propose de remplacer l'expression « une faute d'une
exceptionnelle gravité » par les mots « une faute caractérisée », ce qu'il
assortit de commentaires.
Je comprends bien le point de vue de Mme le garde des sceaux qui ne souhaite
pas que l'expression « une faute d'une exceptionnelle gravité » entraîne
l'exonération de toute responsabilité d'un certain nombre de personnes parce
qu'on ne rechercherait dans le lot des fautes que la faute la plus grave.
Le rapporteur nous propose donc de remplacer cette expression par celle de «
faute caractérisée », tout en convenant qu'on ne sait pas au juste ce que
c'est. On remplace donc quelque chose dont on sait ce que c'est - et dont on ne
veut pas - par quelque chose dont on ne sait pas ce que c'est !
Une faute caractérisée me paraît être un acte qui présente tous les caractères
de la faute. Je ne vois pas d'autre définition possible en bonne logique
cartésienne.
Mais, monsieur le rapporteur, madame le garde des sceaux, ne pensez-vous pas
qu'il aurait été utile, si on doit remplacer « exceptionnelle gravité » par «
caractérisée » de faire précéder la mention de l'expression « soit commis
sciemment une faute caractérisée ».
Cela me paraîtrait atténuer quelque peu le caractère vague du mot «
caractérisée ». Il y a quand même une différence entre les deux expressions !
Dans le premier cas, on n'en « attrape » pas assez, dans le second cas, est-ce
qu'on n'en « attrape » pas trop ?
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
L'observation que j'ai faite sur l'amendement précédent n'avait, bien entendu,
de sens que dans la mesure où elle portait à la fois sur la première partie de
l'amendement et sur celle-ci.
Cela m'amène à craindre, pour l'ensemble des élus locaux, que la jurisprudence
ne soit malheureusement constante, compte tenu des modifications que nous
devons apporter. Certes, je comprends tout à fait les préoccupations du
Gouvernement que M. le rapporteur a su rappeler avec de justes mots. Mais les
inquiétudes exprimées à l'instant par notre collègue M. Charasse devraient être
de nature à nous faire réfléchir sur la sémantique de nos textes.
Je renverrai simplement nos collègues à un mot que nous avons introduit dans
le cadre d'une modification constitutionnelle concernant la parité. Lorsque
nous avions introduit le terme « favorise », j'ai entendu d'éminents
spécialistes dire que ce terme n'avait aucune valeur juridique et qu'il
permettait toutes les interprétations possibles.
Je crains fort, aujourd'hui, que le terme « caractérisée », qui a pour vous un
sens juridique, ne soit interprété par certains magistrats dans un sens
restrictif. Nous nous trouverions alors dans une situation analogue à celle que
nous connaissons aujourd'hui et nous n'aurions guère avancé.
M. Michel Charasse.
Si c'est comme la loi Delevoye, on est tranquille !
M. Alain Vasselle.
Nous serions donc contraints, un peu plus tard, à nous poser la question d'une
avancée législative supplémentaire sur ce texte.
M. Rimbert, rapporteur, a présenté un amendement, n° 210, ainsi rédigé :
« Supprimer l'article 20
quater
B. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrick Rimbert,
rapporteur.
Toujours dans le souci de sécuriser les documents
d'urbanisme, le Sénat a adopté un amendement qui les rend inattaquables à
l'expiration d'un délai de six mois. Je partage tout à fait cette
préoccupation, mais il y a un équilibre à trouver entre la sécurisation de ces
documents et les droits des personnes, notamment le droit au libre accès à la
justice.
Je comprends bien qu'un certain lobby se manifeste par la voix d'associations
qui disent défendre les victimes. Toutefois, notre assemblée a une réputation
de sagesse et je crois que nous devrions la défendre en oubliant les quelques
pressions extérieures qui voudraient nous faire légiférer dans un sens
différent de celui que nous souhaitions initialement.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, si nous en étions restés à
l'amendement n° 2 déposé par la Chancellerie, nous ne l'aurions pas voté parce
que tel qu'il était présenté initialement, il ne changeait rien en réalité au
dispositif actuel.
En revanche, le texte maintenant sous-amendé par la commission nous permet une
certaine ouverture, un certain changement, une certaine amélioration.
Bien entendu, je partage aussi les inquiétudes à terme de nos collègues MM.
Vasselle et Charasse en ce sens que nous laissons au juge une très grande
capacité d'interprétation.
M. Michel Charasse.
A la tête du client !
M. Patrice Gélard.
Il est vrai que nous pourrons à nouveau nous retrouver dans deux ans pour un
débat similaire parce que la jurisprudence n'aura pas changé. Mais nous devons
faire le pari que ce texte nouveau que nous adoptons permettra de faire évoluer
les choses dans le bon sens.
Aussi, bien que la formulation adoptée ne soit pas d'une clarté évidente, nous
nous rallierons au texte déposé par le Gouvernement et sous-amendé par la
commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le président, madame le
garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes tous conscients de ce que
nous sommes en train de faire et il est évident que ce que nous faisons n'est
pas absolument satisfaisant.
Si nous ne sommes pas parvenus à une solution satisfaisante, c'est parce que
nous nous sommes heurtés - certains l'ont rappelé - à des réactions et, dans la
ligne de ces réactions, à la prise de position de la chancellerie. C'est un
fait.
Toutefois, je souhaiterais attirer également votre attention sur un autre
aspect des choses.
Si nous n'avions pas pris les initiatives que nous avons prises, c'est-à-dire
si, de notre propre mouvement, nous n'avions pas inscrit ce texte à la « niche
» parlementaire, il ne serait jamais venu en discussion d'ici à la fin de la
session.
Je vous rappelle qu'il avait été purement et simplement, sans explication
particulièrement déterminante, retiré de l'ordre du jour par le Gouvernement.
On nous avait annoncé de nouvelles concertations, de nouveaux groupes de
travail, une réflexion approfondie. Or, nous en savons l'aune : compte tenu de
l'encombrement de l'ordre du jour en fin de session, on ne voyait pas très bien
à quel moment ce texte allait pouvoir venir en discussion.
Nous avons obtenu ce qui, pour nous, est essentiel, à savoir - si toutefois
Mme le garde des sceaux veut bien le confirmer, car nous nous méfions un peu
des engagements verbaux - nous avons obtenu, disais-je, du ministre chargé des
relations avec le Parlement - je le lui avais demandé expressément en
conférence des présidents - un engagement écrit.
Cet engagement écrit portait sur le fait que, non seulement le texte viendrait
aujourd'hui, 28 juin, en discussion mais encore qu'il serait soumis à
l'Assemblée nationale le 30 juin.
Je pense, madame le garde des sceaux, qu'il est bien dans votre intention que
ce texte, une fois que nous l'aurons voté, après avoir formulé les
considérations auxquelles nous nous livrons à l'heure actuelle, soit présenté à
l'Assemblée nationale dont je ne veux pas préjuger le vote.
Nous avons, je crois, progressé sur ce texte essentiel grâce à l'action du
Sénat. Cette proposition de loi qui est attendue, nous le savons, est loin
d'être parfaite : on n'a pas réussi à me démontrer ce qu'était une faute
caractérisée.
M. Michel Charasse.
Eh voilà !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
D'éminents juristes qui siègent à la
commission des lois ont fait la même remarque que moi.
Toutefois, nous sommes placés devant un dilemme que notre rapporteur, avec
son talent habituel, vous a parfaitement exposé : ou bien nous acceptons ce
texte et nous avons des chances très sérieuses de le voir voté d'ici à la fin
de la session, ou bien nous ne l'acceptons pas et nous nous retrouvons face à
une incertitude, j'allais dire certaine
(Sourires),
quant à son adoption.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je vous dirai d'abord comment, moi, je comprends les
termes « faute caractérisée »
(Exclamations sur les travées socialistes et sur celles de l'Union centriste)
:
c'est une faute qui présente tous les éléments de la faute et dont les
caractéristiques et la consistance - comportement de négligence ou
d'imprudence, par exemple - sont bien établies.
Je souhaite aussi demander à l'ensemble des intervenants de ne pas oublier
les avancées que permet ce texte par rapport à la situation actuelle. En effet,
nous introduisons la distinction entre la causalité directe et la causalité
indirecte et nous établissons clairement la différence entre la faute pénale et
la faute civile. Il s'agit là de progrès non négligeables.
Enfin, je voudrais dire que, pour ma part, ce que je recherche depuis le début
dans cette affaire, c'est le texte le plus équilibré possible qui permette, en
effet, d'apporter une amélioration nécessaire à la situation actuelle pour
remédier à ce que l'on peut considérer comme des injustices, mais sans tomber
dans d'autres injustices.
Bien évidemment, nous sommes à la recherche d'un texte qui se situe au point
d'équilibre entre les soucis des victimes, dont je trouve tout à fait légitime
qu'elles puissent s'exprimer - je récuse le terme de « lobby », car on pourrait
l'appliquer à beaucoup de monde...
M. Michel Charasse.
Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Tout un chacun peut se constituer en lobby !
M. Michel Charasse.
La presse, par exemple !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... je récuse donc ce terme, parce que ce n'est pas ma
façon de travailler - nous sommes à la recherche, dis-je, d'un texte qui se
situe au point d'équilibre que j'ai évoqué - ce texte n'est pas facile à
élaborer - et qui évite les deux écueils que je viens de signaler.
Je rappellerai à M. Jacques Larché que, si le Gouvernement a demandé le
retrait de l'ordre du jour du Sénat de la présente proposition de loi, c'est
parce qu'à l'Assemblée nationale, à la surprise générale, sur le coup minuit,
le président du groupe du RPR est arrivé pour dire que, finalement, il n'était
pas d'accord avec le texte !
Nous avons alors jugé qu'il était d'abord opportun que l'opposition accorde
ses violons.
Ensuite, j'ai été sensible aux remarques qui avaient été formulées dans le
débat par des représentants, de la majorité comme de l'opposition, d'ailleurs,
je dois le dire, en particulier du groupe UDF, sur les questions sur lesquelles
nous avons ensuite travaillé : un progrès a été accompli par rapport à la
première lecture et à la première proposition de loi, mais sommes-nous
véritablement certains d'être parvenus à la rédaction adéquate ?
Telles sont les raisons pour lesquelles il m'a paru nécessaire de poursuivre
la concertation. Je ne voulais pas, en effet, s'agissant d'un domaine
extrêmement délicat, que, pour éviter certaines injustices, finalement, on n'en
crée d'autres.
Si le Sénat vote la proposition de loi, modifiée par les amendements que je
présente et par le sous-amendement que je viens d'accepter, et qui ne me paraît
pas, encore une fois, remettre en cause la portée de mon amendement n° 2,
alors, nous aurons effectivement le texte le plus équilibré possible et, à ce
moment-là, rien ne s'opposera à ce qu'il soit présenté à l'Assemblée nationale
avant la fin de la session.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Sans vouloir allonger le débat, je souhaite dire un mot sur
le terme « caractérisée », parce qu'il est vrai qu'on ne sait pas très bien ce
que cela signifie - tout à l'heure, j'ai dit que je partageais à cet égard
l'insatisfaction de M. le président de la commission et de M. Vasselle - mais
on sait tout de même ce que ce n'est pas, et c'est déjà important.
Référons-nous tout simplement, quand on discute d'un mot, au dictionnaire de
base :
Le Petit Robert.
Depuis 1653, la définition du terme «
caractérisé » est la suivante : « dont le caractère est bien marqué ». Il ne
suffit donc pas de retenir les éléments composant la faute, madame le garde des
sceaux ! Il faut que ceux-ci soient « marqués ».
Le Petit Robert
cite
deux exemples : « Le délit est parfaitement caractérisé. Injures caractérisées.
»
Et puis, au xviiie siècle - je me permets cette référence pour donner une note
de charme à cette réunion un peu austère - la définition du mot « caractérisé »
est celle-ci : « Qui a un caractère affirmé, qui se distingue avec netteté ».
Suit une citation de Diderot que je vous livre : « Ce sont deux physionomies
d'amants forts tendres, mais qui n'ont rien de caractérisé ni d'original. » Il
ne s'agit donc pas de physionomies banales ; ce n'est pas n'importe quelle
physionomie.
Dans le cas qui nous préoccupe, il s'agit non pas de n'importe quelle faute,
mais d'une faute « caractérisée ».
Il nous faut sortir de la situation actuelle dans laquelle n'importe quelle
faute suffit à créer le délit ! Nous aurons ainsi fait un grand pas.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 2, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er
bis
M. le président.
« Art. 1er
bis
. - Après l'article 4 du code de procédure pénale, il est
inséré un article 4-1 ainsi rédigé :
Art. 4-1
. - L'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de
l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action
devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur
le fondement de l'article 1383 du code civil si l'existence de la faute civile
prévue par cet article est établie. »
Par amendement n° 3, le Gouvernement propose de compléter le texte présenté
par l'article 1er
bis
pour l'article 4-1 du code de procédure pénale par
les mots : « ou en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité
sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est
établie. »
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Cet amendement tend à compléter la rédaction du nouvel
article 4-1 du code de procédure pénale, résultant de l'article 1er
bis
de la proposition de loi, et dont l'objet est de préciser les conséquences de
l'abandon de la théorie des fautes civiles et pénales.
Il paraît en effet souhaitable de préciser que sont désormais distinctes de la
faute pénale d'imprudence exigée par le nouvel article 121-3 du code pénal en
cas de lien de causalité indirect non seulement la faute civile de l'article
1383 du code civil, mais également la faute inexcusable de l'employeur prévue
par l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, qui permet une
indemnisation complémentaire de la victime d'un accident du travail ou d'une
maladie professionnelle.
Il est donc possible que le tribunal de la sécurité sociale estime qu'une
faute inexcusable est caractérisée là où le juge répressif estime qu'aucune
faute pénale n'a été commise.
Il convient, en conséquence, que l'article 4-1 du code de procédure pénale
prévoit cette hypothèse afin d'éviter d'affaiblir l'indemnisation des victimes
d'accidents du travail ou de maladies professionnelles.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission est tout à fait favorable à cet amendement. En
effet, comme l'a fait observer notre collègue Jean-Jacques Hyest, si l'on
n'avait pas visé expressément l'aticle L. 452-1 du code de la sécurité sociale,
comme on a visé l'article 1383 du code civil, à la suite d'une démarche,
opportune d'ailleurs, de Mme Lazerges à l'Assemblée nationale, on aurait pu
croire qu'on ne voulait pas le viser. Sa mention dans la loi est donc
souhaitable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er
bis,
ainsi modifié.
(L'article 1er
bis
est adopté.)
Article 1er
ter
Mme le président.
« Art. 1er
ter. -
Dans le premier alinéa de l'article 470-1 du code de
procédure pénale, les mots : "au sens des deuxième et troisième alinéas de
l'article 121-3 du code pénal" sont remplacés par les mots : "au sens des
deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 121-3 du code pénal". » -
(Adopté.)
Articles 3 bis et 3 ter
M. le président.
Les articles 3
bis
et 3
ter
ont été supprimés par l'Assemblée
nationale.
Article 6
M. le président.
« Art. 6. - Le dernier alinéa de l'article 121-2 du même code est ainsi rédigé
:
« La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des
personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des
dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3. » -
(Adopté.)
Article 7 bis
M. le président.
L'article 7
bis
a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Articles 7
ter
à 7
sexies
M. le président.
« Art. 7
ter. -
I. - Le début de l'article L. 2123-34 du code général
des collectivités territoriales est ainsi rédigé : "sous réserve des
dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le maire ou
un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être
condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des
faits"...
(Le reste sans changement.)
»
« II. - Le même article est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La commune est tenue d'accorder sa protection au maire, à l'élu municipal le
suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses
fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de
faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses
fonctions.
« Lorsque le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une
délégation agit en qualité d'agent de l'Etat, il bénéficie, de la part de
l'Etat, de la protection prévue par l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13
juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. » -
(Adopté.)
« Art. 7
quater
. - I. - Le début de l'article L. 3123-28 du code
général des collectivités territoriales est ainsi rédigé : "Sous réserve des
dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le président
du conseil général ou un conseiller général le suppléant ou ayant reçu une
délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce
même article pour des faits"...
(Le reste sans changement.)
»
« II. - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le département est tenu d'accorder sa protection au président du conseil
général, au conseiller général le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à
l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de
poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute
détachable de l'exercice de ses fonctions. » -
(Adopté.)
Art. 7
quinquies.
- I. - Le début de l'article L. 4135-28 du code
général des collectivités territoriales est ainsi rédigé : "Sous réserve des
dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le président
du conseil régional ou un conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une
délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce
même article pour des faits"...
(Le reste sans changement.)
»
« II. - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La région est tenue d'accorder sa protection au président du conseil
régional, au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à
l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de
poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute
détachable de l'exercice de ses fonctions. » -
(Adopté.)
« Art. 7
sexies
. - I. - Le début de l'article 11
bis
A de la loi
n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
est ainsi rédigé : "Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de
l'article 121-3 du code pénal, les fonctionnaires et les agents non titulaires
de droit public ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa
de ce même article pour des faits"...
(Le reste sans changement.)
»
« II. - Le début de l'article 16-1 de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972
portant statut général des militaires est ainsi rédigé : "Sous réserve des
dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, les
militaires ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de ce
même article pour des faits"...
(Le reste sans changement.)
» -
(Adopté.)
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la
deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle.
Je me félicite, bien évidemment, que la discussion de ce texte parvienne à son
terme dans un consensus que nous avons recherché aussi large que possible, sur
le plan politique, entre les deux assemblées. En effet, la difficulté était
triple.
Il s'agissait, d'abord, de conforter notre démocratie en rassurant les élus
locaux par une meilleure définition des délits non intentionnels.
Il convenait, ensuite, de ne pas créer de législation spécifique pour eux.
Enfin, il importait de ne pas ouvrir de nouveau la plaie douloureuse des
familles des victimes dans le cas, notamment, du contentieux transfusionnel.
La pénalisation outrancière de notre vie publique, vécue douloureusement dans
mon département, m'a conduit à intervenir à plusieurs reprises dans cette
assemblée sur ce sujet et à présenter plusieurs propositions d'aménagement de
notre législation actuelle. Certaines de mes propositions, par voie
d'amendements ou sous la forme de propositions de loi, ont été écartées,
d'autres ont été retenues. C'est notamment le cas de l'amendement que j'avais
déposé en première lecture qui prévoyait que les collectivités locales avaient
la faculté d'assurer la protection de leurs élus lorsque ceux-ci faisaient
l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'avaient pas le caractère de
faute détachable. L'Assemblée nationale a accepté cette mesure en la rendant
obligatoire, ce dont je me réjouis. Je rappellerai que, dans ma rédaction
initiale, cette protection était obligatoire et que c'est à la demande de Mme
le garde des sceaux que je l'avais rendue facultative. Je me réjouis qu'un
consensus se soit dessiné sur ce point dans nos deux assemblées.
Nous aboutissons donc à un texte qui va plus loin que celui de 1996, qui était
lui-même d'origine sénatoriale. Mais nous pouvons malgré tout nous poser la
question de savoir si toutes les difficultés ont été pour autant levées. Même
en l'absence de dispositions spécifiques concernant les élus et leurs
collaborateurs, pourra-t-on éviter certaines interprétations, entraînant la
poursuite systématique des élus ?
Quant aux élus locaux qui s'interrogent actuellement sur l'avenir de leur
fonction et sur l'opportunité de solliciter à un nouveau mandat l'année
prochaine, se sentiront-ils confortés par ce texte ? Nous pouvons l'espérer,
mais cela sera-t-il suffisant ?
C'est pourquoi, mes chers collègues, il appartient au Sénat, en sa qualité de
grand représentant des communes de France, de continuer à oeuvrer dans ce sens,
d'une part en se montrant vigilant sur l'application de ce texte et, d'autre
part, en le complétant d'urgence pour offrir à notre démocratie française un
véritable statut de l'élu local, ce dont elle a besoin.
Comme l'a déclaré le président Christian Poncelet, la relance de la
décentralisation « passe notamment par l'exploration de nouveaux territoires
d'intervention pour les collectivités locales ». Il est donc de plus en plus
urgent d'élaborer un véritable statut de l'élu. J'ai l'intime conviction que,
si nous avions commencé par là, sans doute bien des difficultés que nombre de
maires rencontrent au sein des collectivités locales auraient pu être
évitées.
Je travaille dans ce sens. J'espère que nous réussirons, au cours de la
prochaine session d'automne - d'ici à la fin de cette session, le délai est un
peu court, bien entendu - que ce soit sur l'initiative du Gouvernement ou sur
la nôtre, à élaborer un texte sur le statut de l'élu car, véritablement, les
élus locaux ne peuvent continuer de travailler dans les conditions qu'ils
connaissent aujourd'hui. C'est la première initiative que nous devrons prendre
prochainement.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous concluons
ici, au moins provisoirement - mais il semble que l'Assemblée nationale devrait
se rallier à la rédaction transactionnelle retenue aujourd'hui - nos débats sur
la définition des délits non intentionnels.
Nous en tirons au moins deux enseignements : premièrement, à vouloir aller
trop vite, on finit par aller plus lentement ; deuxièmement, à faire la sourde
oreille, on finit par entendre des cris.
On peut être persuadé de se trouver dans le vrai, on peut penser avoir balisé
l'ensemble des conséquences d'une modification législative, je reste persuadé
que notre travail de législateur, qui est, fort heureusement, de plus en plus
public, nécessite un effort effectif de pédagogie en direction des citoyens.
On ne peut pas faire l'économie de l'explication : c'est une attente réelle de
nos concitoyens, qui sont de plus en plus éclairés, et l'on doit se féliciter
de cet intérêt citoyen pour le travail parlementaire.
Cet effort est d'autant plus nécessaire lorsqu'on se trouve dans un domaine
aussi essentiel que celui qui nous a réunis aujourd'hui : il faut alors
recueillir le plus large consensus pour favoriser la bonne compréhension et la
bonne application de la loi future.
Mieux vaut passer du temps sur la rédaction afin d'aboutir à une loi qui soit
durable plutôt que faire vite sur une loi dont les difficultés d'application
nécessiteront de la remettre rapidement en question.
Les débats qui viennent d'avoir lieu montrent que, dès lors que l'on s'écoute,
les uns et les autres, il est possible d'arriver à un accord.
Aussi, nous nous félicitons qu'il ait été possible de parvenir à une rédaction
qui, en permettant de préciser que la distinction entre auteur direct et
indirect n'induit pas une hiérarchisation - précision fondamentale quand on
sait que, dans certains cas, les causes directes peuvent être l'élément
déterminant du dommage - et en retenant la notion de faute caractérisée mais en
rendant l'appréciation de la faute indépendante de la gravité du risque, semble
équitable pour les uns et pour les autres.
Cette rédaction permet, en effet, à la fois de préserver les droits des
victimes d'accidents collectifs, mais aussi d'éviter les situations injustes
que la législation actuelle rend possibles.
Nous regrettons d'autant plus les réserves que nous avons pu entendre ici ou
là et nous espérons que l'application future de la loi permettra de les
désamorcer. Je crois, comme mon collègue Gélard, qu'il faut relever ce défi.
Aujourd'hui, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen se
prononceront favorablement, les réserves qu'ils avaient émises jusqu'à présent
leur paraissant levées.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous
en sommes tous conscients, l'application des dispositions actuelles du code
pénal concernant la responsabilité pour les délits non intentionnels soulève
des difficultés. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes déclarés
favorables au principe d'une réforme dans ce domaine, et nous avons soutenu la
proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon.
Toutefois, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, cette réforme ne
doit pas aboutir à l'excès inverse, c'est-à-dire à une dépénalisation de
comportements dangereux dans des domaines aussi importants que le droit du
travail, la santé publique, la sécurité routière ou l'environnement. C'est la
raison pour laquelle, afin de poursuivre les consultations et de procéder à un
approfondissement pour parvenir à un texte équilibré, vous aviez souhaité, au
début du mois de juin dernier, retirer ce texte de l'ordre du jour.
La majorité sénatoriale a tenté d'entraver cette concertation, mais vous avez
persévéré dans cette voie, et le groupe socialiste s'en félicite. Il se réjouit
également de la volonté du Gouvernement de voir aboutir ce texte avant la fin
de la présente session.
Le texte ainsi amendé recueille un large consensus. Il répond à la légitime
attente des acteurs de la vie publique et de la vie sociale soumis à une
pénalisation excessive, sans toutefois aboutir à une dépénalisation des fautes
commises par négligence et des fautes indirectes.
Le groupe socialiste votera donc cette proposition de loi, qui va dans le bon
sens et s'inscrit dans une réflexion d'ensemble qui doit être poursuivie sur
les mécanismes de garantie des dommages subis par les victimes.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Nombre de nos collègues ont fait part d'une certaine insatisfaction sur le
plan juridique. Comme vous l'avez dit, madame le garde des sceaux, cette
proposition de loi apporte beaucoup de progrès. Il n'en demeure pas moins que
la jurisprudence en ce domaine n'évoluera peut-être pas, comme c'est parfois le
cas en d'autres matières, et que ce texte ne changera peut-être pas les
habitudes. Nous avons déjà connu cette situation avec la loi de 1996. En effet,
nous avons dû remettre le texte sur le métier, puisque, apparemment, il n'avait
pas changé grand-chose à la jurisprudence.
S'agissant de la présente proposition de loi, plusieurs points doivent être
signalés.
Tout d'abord, ce n'est pas un texte pour les élus, c'est un texte pour tous
les décideurs. Il était important qu'il en soit ainsi même si, parmi les
décideurs - et la responsabilité du Sénat à l'égard des collectivités locales
n'est pas négligeable - les élus sont souvent le plus injustement poursuivis,
ce qui ne signifie pas condamnés. La pénalisation de la société a été évoquée.
Mais nous en sommes largement responsables puisque l'action publique n'est plus
vraiment engagée. En fait, on confie à des associations - je n'emploierai pas
les termes de lobbies ou de groupes de pression - le soin de se porter partie
civile au nom des citoyens. Dans ces conditions, je ne sais pas s'il est encore
possible de parler d'action publique, et donc de directives en matière de
politique pénale à prendre par la chancellerie.
Souhaitons que ce texte contribue à une dépénalisation de la société, que nous
réclamons tous. Bien souvent, nous le savons, les victimes choisissent, pour
intenter leur action, la voie pénale car elles pensent que la procédure ira
plus vite, notamment en matière d'expertise. En effet, les procès civils,
procédure fort opportunément rappelée dans le texte, tant dans le domaine du
droit du travail que dans celui du droit civil, durent trop longtemps. Nous
devons engager cette réflexion pour éviter de sanctionner pénalement des fautes
qui n'ont pas réellement un caractère pénal et qui pourraient très bien être
jugées au civil. Nous l'avons vu en ce qui concerne la responsabilité publique,
notamment dans le domaine de la santé.
Ce texte n'est pas parfait mais il est utile. Il devrait constituer un progrès
par rapport à notre législation actuelle. C'est pourquoi le groupe de l'Union
centriste le votera, en remerciant tout particulièrement notre rapporteur de
son étonnant travail. Chacun connaît son agilité d'esprit et sa grande
connaissance du droit.
M. Yves Fréville.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, en
l'occurrence, le Sénat a, une fois encore, démontré son utilité. Une fois
encore, il a su combler des lacunes de notre droit ou pallier les errements
d'une certaine jurisprudence.
Pour la deuxième fois consécutive, nous sommes amenés à revoir l'article 121-3
du code pénal, qui, je le signale, est d'ailleurs une anomalie, pour reprendre
ce terme, dans l'ensemble des droits européens. La France est pratiquement le
seul pays en Europe à connaître des délits d'une telle nature.
Il était temps de mettre fin à certaines dérives. A cet égard, je tiens, comme
Jean-Jacques Hyest, à rendre hommage à notre ami Pierre Fauchon qui, grâce à sa
persévérance, a réussi à faire avancer, dans une certaine mesure, notre
dispositif répressif.
Je ne crois pas que nous soyons allés au bout des choses. Je crois que nous
sommes dans une politique de petits pas. M. Pierre Fauchon devra
vraisemblablement nous concocter, d'ici à deux ou trois ans, une nouvelle
mouture de l'article 121-3 du code pénal.
Par ailleurs, je crains que certains ne profitent de cette avancée qui
pourrait découler d'un texte réputé plus généreux que les dispositions
précédentes pour se soustraire à une obligation de précaution ou de prévention
face à la mise en péril d'autrui. Il faut fermement attirer l'attention de tous
les décideurs. Comme M. Hyest, je précise qu'il s'agit non pas d'un texte pour
les élus, mais d'un texte pour l'ensemble de ceux qui décident et même, dans
certains cas, pour certaines personnes de droit privé qui exercent une activité
n'ayant aucun rapport avec la prise de décision, mais dont le comportement
mettrait en péril la vie ou les biens d'autrui.
Je voudrais simplement souligner le fait que la vigilance ne doit pas être
relâchée en ce qui concerne les obligations de surveillance, de précaution et
de sécurité auxquelles tous les décideurs sont contraints. En effet, ce n'est
pas parce que nous avons adopté ce texte que nous devons baisser la garde.
Cela étant dit, ce texte constitue une étape, qui n'est pas parfaite. Je
désire simplement que nous avancions et que la jurisprudence en tienne
compte.
Pour conclure, je souhaite, madame le garde des sceaux, que l'article 44,
alinéa 3, de la Constitution ne reste ici qu'un très mauvais souvenir
passager.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.
(Applaudissements.)
4
NOMINATION DE MEMBRES
DE COMMISSIONS
M. le président.
Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté des candidatures pour
la commission des affaires culturelles et pour la commission des affaires
sociales.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame : M.
Philippe Labeyrie membre de la commission des affaires culturelles, en
remplacement de Mme Claire-Lise Campion, démissionnaire ; Mme Claire-Lise
Campion membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M.
Philippe Labeyrie, démissionnaire.
5
JOURNÉE NATIONALE
DES « JUSTES » DE FRANCE
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 244,
1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant une journée nationale
à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français
et d'hommage aux « Justes » de France. [Rapport n° 353 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, mesdames
les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'objet de la présente proposition de
loi est d'abord de se souvenir des victimes des crimes racistes et antisémites
de l'Etat français.
Faut-il rappeler les faits ?
Le 10 juillet 1940, le Parlement français est convoqué au casino de Vichy ;
seuls cinquante-huit députés et vingt-deux sénateurs refusent l'octroi des
pleins pouvoirs au maréchal Pétain, abrogeant ainsi la République.
M. Michel Charasse.
Il n'y avait pas beaucoup de socialistes dans le lot !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
La descente vers l'abîme commence : sans que l'occupant
nazi ait exigé quoi que ce soit, le gouvernement du maréchal Pétain mène une
politique antisémite autonome. Un statut des Juifs est édicté par la loi du 3
octobre 1940. Ce texte est remplacé par un nouveau statut plus contraignant, le
2 juin 1941. Parallèlement, les autorités préfectorales reçoivent la consigne
d'interner tous les étrangers et les apatrides.
Vichy n'a pas marchandé son soutien à la politique nazie de déportation des
Juifs résidant en France. Les 16 et 17 juillet 1942, la première grande rafle
dite « du Vél d'Hiv », décidée après la rencontre entre les responsables SS et
René Bousquet, secrétaire général de la police, est conduite par 4 500
gendarmes et policiers français sous la direction des autorités nazies.
Nous connaissons la destination finale : Auschwitz et ses chambres à gaz. Un
petit nombre seulement - 2 500 - survivra sur les 80 000 hommes, femmes et
enfants déportés.
Le chef de l'Etat l'a reconnu, le 16 juillet 1995 : « Oui, la folie criminelle
de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français. » Le chef
du Gouvernement, Lionel Jospin, est allé dans le même sens en déclarant le 21
octobre 1997 : « Oui, des policiers, des administrateurs, des gendarmes, une
administration, un Etat français ont perpétré, ont assumé devant l'histoire des
actes terrifiants, collaborant avec l'ennemi et avec la solution finale. »
Il faut le dire et le redire : un degré d'horreur sans précédent est alors
atteint. C'est le mépris le plus total de la dignité de la personne humaine qui
est consacré par l'idéologie nazie. Comment a-t-on pu persécuter et exterminer
des personnes humaines, simplement parce qu'elles existaient en tant qu'êtres
humains ? L'Etat français, par son action criminelle, a pris part à l'une des
manifestations les plus ignobles de la folie humaine.
Pourtant, la vie et les actes de certains ont dressé un ultime rempart à la
barbarie. Les « Justes », en effet, ne se sont pas résignés. Ils ont refusé
l'inacceptable. Qui étaient-ils ? C'était des anonymes, agissant seuls pour la
plupart, ou organisés dans les réseaux de la Résistance, les mains nues, dans
l'improvisation et la clandestinité. C'était des sauveteurs. Sauver, c'était
soustraire les Juifs à l'arrestation et à la déportation. Sauver, c'était
transgresser. D'une manière intuitive et spontanée, ils hébergeaient un
proscrit sous un nom d'emprunt, falsifiaient des titres d'identité et de
rationnement, participaient au passage illégal de la ligne de démarcation. Un
sauveteur était un faussaire, un trafiquant, un contrebandier. Il vivait dans
un mensonge permanent mais nécessaire. Il était un réfractaire à la vision
totalitaire de l'occupant nazi.
Ces « Justes » étaient dissemblables. Se côtoyaient parmi eux des hommes et
des femmes dont la vie paraissait hors du commun, mais aussi des personnes
casanières, allergiques à l'esprit d'aventure, refusant toute marginalité. Mais
ce qui les rassemblait sans conteste, c'étaient l'imminence et la gravité des
risques qu'ils encouraient : au mieux la déportation, au pire le poteau
d'exécution.
Ces « Justes » se signalaient aussi par leur modestie naturelle. « N'importe
qui d'autre à ma place aurait fait comme moi », répètent-ils souvent.
Les « Justes », enfin, étaient simples, ils étaient bons. Comment ne pas être
bouleversé par un paysan cachant dans sa grange un vieillard juif, un anonyme
donnant l'hospitalité à des enfants, un particulier secourant des malheureux ?
C'était une simplicité sans témoin, sans idéologie. C'était une bonté qui a
signé une victoire émouvante de l'humble sur une bureaucratie monstrueuse et
omniprésente.
Voilà le sens de cette loi : rappeler le martyr des victimes, mais aussi
commémorer la grandeur des « Justes ». L'unanimité qui a rassemblé les
représentants de la nation autour du vote de ce texte me réjouit : elle prouve
que la France entretient désormais, depuis quelque temps, un rapport apaisé
avec les heures les plus sombres de son histoire. Notre nation a un regard plus
objectif sur son histoire, et je crois qu'elle en est grandie.
Je remercie à ce titre M. Schosteck, rapporteur, et la commission des lois qui
ont poursuivi dans la ligne de ce consensus et vous proposent d'adopter sans
modification le texte voté à l'Assemblée nationale. Une démocratie forte et
vivante se signale, je crois, à un tel degré de maturité, tant il est vrai que
la France doit se rassembler sur les valeurs de la démocratie et de la
République, non au prix de l'oubli, mais avec lucidité.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes donc saisis
d'une proposition de loi qui a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée
nationale en février dernier et qui vise à instaurer une Journée nationale à la
mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et
d'hommage aux « Justes de France ».
Cette proposition de loi est inspirée par la volonté d'entretenir le devoir de
mémoire et de mettre en valeur d'une manière solennelle le courage quotidien de
personnes qui, dans une période trouble de notre histoire, ont su prendre
l'initiative de sauver de nombreuses vies humaines, et ce au péril de leur
propre vie.
Il semble toutefois que la France ait été proportionnellement moins frappée
que la plupart des autres pays européens placés dans la même situation. Cela
est probablement dû à l'action courageuse et efficace de nombreux Français qui,
par leur action quotidienne, ont tenté de limiter les conséquences de la
politique suivie à l'époque, contribuant, par une action humanitaire au péril
de leur vie, à sauver les trois quarts des juifs vivant dans notre pays.
On peut citer de nombreux policiers et gendarmes qui alertèrent des familles
juives afin de leur permettre d'échapper aux rafles et des doyens de faculté
ayant refusé de communiquer la liste de leurs étudiants juifs.
Des individus, des familles, en prenant des risques considérables pour
eux-mêmes, ont recueilli et protégé des Juifs en leur procurant des abris sûrs
et des aliments, en leur fabriquant des faux papiers ou des certificats de
baptême, en les aidant, le cas échéant, à quitter la France.
On citera aussi des communautés entières ayant collectivement organisé le
refuge de Juifs, comme les villages de Saint-Pierre-de-Fursac, dans la Creuse,
ou du Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire.
M. Michel Charasse.
En Auvergne !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Tout à fait !
La dénonciation d'une période sombre de notre histoire doit être accompagnée
d'un hommage rendu à ces personnes anonymes qui, par leur action courageuse,
sauvèrent tant de vies humaines et, par un même mouvement, l'honneur de la
France.
Cet hommage est évidemment indissociable de celui qui doit être rendu aux
personnes qui se sont efforcées d'assurer, anonymement et au quotidien, la
protection de catégories de la population persécutées pour des motifs non
raciaux, en prenant de grands risques pour elles et pour leurs familles.
La commission des lois du Sénat considère donc que l'hommage rendu aux «
Justes de France » - on utilise cette dénomination faute de pouvoir en trouver
une plus adaptée - ne doit pas faire oublier celui, tout autant mérité, qui est
dû aux protecteurs de Résistants, par exemple, et ce sous les formes les plus
diverses.
Une Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et
antisémites commises « sous l'autorité de fait dite gouvernement de l'Etat
francais (1940-1944) » a été instituée par un décret du 3 février 1993. Cette
journée a été fixée au 16 juillet, date anniversaire de la rafle du vélodrome
d'Hiver de Paris, si ce jour est un dimanche, ou, le cas échéant, au dimanche
suivant.
Lors de la cérémonie du 16 juillet 1995, pour la première fois, un Président
de la République française a reconnu la responsabilité de l'Etat français. Ce
jour-là, M. Jacques Chirac a en effet affirmé ceci : « Oui, la folie criminelle
de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français. »
M. Michel Charasse.
Le décret de 1993, c'était Mitterrand quand même ! Si l'on dit le nom de l'un,
il faut également citer le nom de l'autre !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je vous remercie de cette rectification.
Le président Jacques Chirac a confirmé et développé à plusieurs reprises ses
propos du 16 juillet 1995, rappelant, le 2 novembre 1997, qu'il avait, deux ans
plus tôt, « tenu à reconnaître solennellement la responsabilité de l'Etat
français dans l'arrestation et la déportation de milliers et de milliers de
Juifs » et précisant que « notre pays [devait] assumer toute son histoire ».
Le Président de la République puis le Premier ministre ont donc reconnu la
responsabilité de l'Etat français, alors que le décret précité du 3 février
1993 se réfère à celle de « l'autorité de fait dite gouvernement de l'Etat
français », selon la terminologie de l'article 7 de l'ordonnance du 9 août 1944
relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire
national.
Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale a conservé de la
proposition de loi initiale la confirmation de la Journée nationale à la
mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et
d'hommage aux « Justes de France ».
Elle n'a, en revanche, pas repris la création d'un titre de « Juste de France
», afin d'éviter tout risque de confusion avec le titre de « Juste parmi les
nations », délivré, je vous le rappelle, par la commission israélienne de Yad
Vashem aux protecteurs des seuls Juifs, et non à ceux des autres victimes de
persécutions raciales, tels les Tsiganes, par exemple.
S'agissant de la référence à l'Etat français, le débat reste ouvert, et il est
parfois vif. La présente proposition de loi se réfère aux crimes racistes et
antisémistes de l'Etat français, alors que le décret du 3 février 1993 précité
vise les « persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de
fait dite gouvernement de l'Etat français (1940-1944) ».
M. Michel Charasse.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Qu'il soit entendu que la République française ne saurait
être mise en cause puisque le gouvernement de l'époque n'était pas
républicain.
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Plusieurs membres de la commission des lois se sont demandés
si, pour mieux faire apparaître, en particulier aux plus jeunes, que l'Etat
français responsable des crimes racistes était celui du régime de Vichy, il ne
serait pas préférable de le mentionner expressément dans le texte.
Comme l'a indiqué le président Jacques Chirac le 2 novembre 1997, « cinquante
ans après, notre pays doit assumer toute son histoire. Le blanc comme le gris.
Les heures de gloire comme les zones d'ombre. Pour cela, pour bâtir son avenir
sur des bases plus claires, il accomplit aujourd'hui un difficile travail de
mémoire. »
« Mais si le mal doit être reconnu, le bien ne doit pas être méconnu »,
ajoutait-il.
Ainsi, le Président de la République a clairement exprimé l'objectif du devoir
de mémoire qui ne doit pas exclure le courage vécu au quotidien et sans faits
d'armes.
Certes, ce devoir de mémoire ne doit pas être sélectif, et un hommage
spécifique aux victimes de la Shoah et aux « Justes de France » ne doit pas
occulter le souvenir de tant d'autres personnes persécutées ou protectrices,
peut-être parfois insuffisamment présent dans certaines commémorations.
Il apparaît cependant possible de distinguer dans des commémorations
différentes, d'une part, la situation spécifique des personnes persécutées en
raison de leur race, victimes d'une politique d'extermination et, d'autre part,
celle de tous les déportés, y compris les déportés non raciaux, qui doivent
aussi recevoir un hommage justifié, qui leur est rendu à l'occasion de la
journée des déportés.
Ce faisant, la journée du 16 juillet se distingue de celle du dernier dimanche
d'avril, qui est consacrée à tous les déportés. Ces manifestations peuvent donc
apparaître comme étant complémentaires.
Notons par ailleurs que la mission Mattéoli a recommandé que l'objet de la
Fondation pour la mémoire porte aussi sur d'autres victimes de la Seconde
Guerre mondiale et sur les personnes frappées par d'autres génocides ou crimes
contre l'humanité.
La commission des lois souhaite aussi que le devoir de mémoire ne se limite
pas à certaines catégories de victimes et que cette recommandation soit
pleinement suivie d'effets.
En outre, plusieurs membres de la commission des lois se sont interrogés sur
la possibilité d'inscrire dans une loi française le titre de « Juste »,
distinction attribuée par les autorités israéliennes, et se sont demandé s'il
n'était pas préférable de mentionner, plus généralement, « celles et ceux » qui
ont protégé des personnes menacées par un génocide.
M. Michel Charasse.
C'est surtout une notion religieuse qui n'a rien à faire dans une loi de la
République !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
La commission des lois a approuvé la suppression par
l'Assemblée nationale de l'institution d'un titre de « Juste de France » -
voilà qui répond à votre préoccupation, mon cher collègue - afin d'éviter tout
risque de confusion avec celui de « Juste parmi les nations », décerné par
Israël.
Enfin, je rappellerai que, une fois de plus, nous sommes confrontés, à
l'occasion de l'examen de ce texte, à la difficulté devant laquelle le
Parlement français se trouve lorsque son sentiment est sollicité pour exprimer
des positions n'ayant pas de portée normative. La Constitution reste en effet
fidèle à l'application de la formule de Sieyès : « La loi prescrit, ordonne ou
interdit. » Peut-être conviendrait-il, dès lors, que nous envisagions une
réflexion en vue de permettre au Parlement de pouvoir s'exprimer solennellement
sur certains sujets, sans avoir à recourir à la loi qui, elle, devrait demeurer
normative.
Après mûre réflexion, la commission des lois a estimé que les objections
juridiques ci-dessus mentionnées, pour fondées qu'elles soient, ne devaient pas
empêcher le Parlement de rappeler le souvenir des victimes d'un crime commis en
France avec l'assistance d'une partie de l'administration française et de
rendre hommage à celles et ceux qui ont adopté, au péril de leur vie, une
attitude ayant permis d'épargner de nombreuses vies humaines.
Elle vous propose, en conséquence, d'adopter sans modification l'article
unique de la proposition de loi telle qu'elle nous revient de l'Assemblée
nationale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui
nous réunit aujourd'hui constitue une occasion privilégiée, mais aussi une
occasion nécessaire, d'une rencontre lucide, sans faiblesse, de la
représentation nationale et, à travers elle, de la nation tout entière, avec
son histoire ; une histoire qui offre de très nombreuses preuves de l'ouverture
de la société française aux minorités qui, tout au long des années, ont si bien
contribué à la façonner.
C'est en France que la communauté juive a, en 1791, pour la première fois en
Europe, bénéficié de la reconnaissance pleine et entière de ses droits de
citoyen.
C'est la France qui, au début de ce siècle, a su transformer un procès
honteux, bafouant la vérité et la justice contre un officier juif, en un combat
contre l'antisémitisme et pour le respect du droit.
C'est la France aussi qui, en des heures difficiles de son histoire, s'est
donné des chefs de gouvernement d'origine juive. Qu'il me soit permis ici de
rappeler solennellement le souvenir de ces hommes qui ont tant fait pour
l'honneur et la grandeur de notre pays, Léon Blum et Pierre Mendès-France.
Mais en même temps, mes chers collègues, comment oublier que la justice de
notre pays n'a pas hésité à juger Léon Blum à la demande de l'Etat français
?
Comment oublier que le même Etat français, sans que l'occupant nazi ne le lui
ait demandé, a voté très tôt les lois raciales contre les Juifs ?
Comment oublier aussi que les Juifs ont été interdits de tout accès à la haute
fonction publique, à l'enseignement et à la magistrature ?
Comment oublier les quotas dérisoires qui ont interdit l'exercice de leur
profession aux avocats, aux médecins juifs ?
Comment oublier qu'il n'y avait plus de place pour les Juifs dans les banques,
dans le journalisme ou dans les entreprises de spectacle ?
Comment oublier que la jeunesse juive a été soumise au
numerus clausus
dans les établissements scolaires et universitaires ?
Dès le 4 octobre 1940, la loi autorise les préfets à assigner à résidence et à
interner dans les camps spéciaux les Juifs étrangers, autorisation étendue, le
2 juin 1941, aux Juifs français.
Les premières rafles sont organisées dès 1941, et la grande rafle du 16
juillet 1942 au vélodrome d'Hiver, à Paris, restera le symbole de la
participation de Vichy à la Shoah.
Ce jour-là, 4 500 policiers et gendarmes français arrêtaient à leur domicile,
au petit matin, 13 000 Juifs dont 4 500 enfants, les conduisant au vélodrome
d'Hiver où ils resteront plusieurs jours dans des conditions terribles avant
d'être dirigés vers des camps de transit puis déportés vers les camps de la
mort.
Souvenons-nous de ces scènes douloureuses : mères séparées de leurs enfants,
familles déchirées, personnes âgées et, parmi elles, souvent, ceux qui avaient
combattu pour la France pendant la Première Guerre mondiale.
Des 76 000 Juifs déportés de France avec le concours des autorités de Vichy, 2
000 seulement sont revenus des camps de la mort.
Il a fallu attendre longtemps, trop longtemps, pour que les gouvernements
français reconnaissent la responsabilité de l'Etat dans la persécution et la
spoliation des Juifs de France.
Ce n'est que le 3 février 1993 que le président François Mitterrand a institué
une journée nationale de commémoration des persécutions racistes antisémites,
qui a eu lieu le dimanche suivant, 16 juillet, date anniversaire de la rafle du
Vel' d'Hiv.
M. Michel Charasse.
Merci de le rappeler !
Mme Dinah Derycke.
Le 16 juillet 1995, pour la première fois, le président Jacques Chirac a
affirmé que, « Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des
Français, par l'Etat français. »
Le 29 octobre 1997, Lionel Jospin, Premier ministre, a déclaré : « Y a-t-il
une culpabilité de la France ? Je ne crois pas. Oui, des policiers, des
administrateurs, des gendarmes, une administration, un Etat français ont
perpétré, ont assumé devant l'histoire des actes terrifiants, collaborant avec
l'ennemi et avec la solution finale, et cela pose un problème que l'on doit
aborder. »
Si la responsabilité de l'Etat français est indéniable, elle ne saurait
engager celle de tout un peuple.
Les Français, pendant cette période noire, ont été divers. Si l'on ne peut
oublier les activistes qui ont soutenu la politique vichyssoise, on ne peut
oublier non plus ceux qui, aux discriminations, ont opposé, jusqu'au péril de
leur vie, leur attachement aux droits de l'homme et aux principes fondateurs,
faits de liberté et de respect des autres, de notre démocratie.
Aujourd'hui, notre collègue député Jean Le Garrec nous offre l'occasion de
leur rendre hommage à notre tour en instaurant une journée nationale à la
mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français.
Au souvenir des victimes doit s'ajouter ce jour l'hommage à tous ceux qui ont
sauvé des Juifs, souvent au péril de leur vie, et qui méritent d'être appelés
des « Justes », au sens le plus élevé du terme.
Nous devons, tous ensemble, au-delà des différences qui nous opposent, montrer
l'unité du peuple de France, rassemblé dans le souvenir de ces temps tragiques
de l'Occupation, mais aussi dans celui de la grandeur de sa lutte séculaire
pour la liberté et les droits de l'homme.
Telle est la raison pour laquelle le groupe socialiste votera la proposition
de loi qui lui est aujourd'hui soumise.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition
de loi qui nous est aujourd'hui soumise a été votée à l'unanimité par
l'Assemblée nationale en février dernier.
Elle a pour objet d'instituer une Journée nationale à la mémoire des victimes
des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux « Justes
» de France.
A la lecture de cet intitulé, on mesure l'ampleur du chemin parcouru depuis
une décennie : après un trop long silence, la responsabilité de l'Etat français
est reconnue dans l'exclusion, la répression et la déportation de milliers de
Juifs.
Ce n'est pas un hasard que cette reconnaissance ait pour conséquence la mise
en exergue de l'action de ces centaines, de ces milliers - nous n'en
connaîtrons jamais le nombre - de héros anonymes, jusque-là largement passée
sous silence : reconnaître leur action, c'est aussi dire l'illégitimité du
régime de Vichy et la légitimité de la désobéissance au sens de résistance à
l'oppression ; c'est dire que ce gouvernement, qui se réclamait de la France,
avait tort.
De ce point de vue, la proposition de loi constitue le point d'orgue d'une
évolution amorcée depuis une décennie.
D'un côté, l'établissement des responsabilités individuelles a progressivement
conduit à reconnaître la responsabilité collective de la France. Je pense,
notamment, au rôle des procès des fonctionnaires de Vichy : Bousquet, Touvier,
Papon.
Dans le mouvement inverse, la valorisation du rôle de la Résistance, perçue et
revendiquée comme figure légitime de l'Etat français, quand bien même elle
s'incarne dans des personnages emblématiques comme le général de Gaulle ou
Fernand Grenier, fait sortir de l'ombre l'action de ces milliers d'anonymes qui
ont dit « non ».
Cette évolution s'est incarnée ces dernières années dans des actes
symboliques, dont la portée est immense. Je pense d'abord au décret du 3
février 1993 du président Mitterrand...
M. Michel Charasse.
Merci !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... qui, en choisissant de commémorer l'anniversaire de la rafle du vélodrome
d'Hiver, a donné un sens particulier au rôle joué par la France dans la
déportation de milliers de Juifs : à la différence des autres arrestations
débutées depuis mai 1941, la rafle du Vél d'hiv, en touchant les femmes, les
enfants et les vieillards, en s'attaquant à des familles entières, symbolise la
complicité de Vichy dans la réalisation du génocide.
Je vise aussi, bien évidemment, la reconnaissance officielle par le président
Chirac, en 1995, de la responsabilité de l'Etat français dans cette entreprise
de mort.
Plus près de nous, les conclusions de la commission Mattéoli permettent de
donner ses pleins et entiers effets à la reconnaissance de la responsabilité
étatique en mesurant l'ampleur des spoliations et de mettre au grand jour
l'entreprise d'aryanisation de l'économie française voulue et orchestrée par le
gouvernement du maréchal Pétain.
Et c'est bien là que se situe la complicité de la France dans la Shoah, en
privant les Juifs de leurs droits de citoyens et d'hommes libres, puisqu'il
s'est agi de les séparer des autres, de les interdire d'accès à la fonction
publique et à la propriété.
Ainsi, rappelle l'historien Antoine Prost, membre de la commission Mattéoli, «
il s'agissait très concrètement de priver de leurs moyens d'existence des
milliers de petites gens et de leur rendre la vie matériellement impossible, de
les faire littéralement disparaître du paysage ; par là, ce fut une persécution
quotidienne, une préface du génocide ».
C'est cela qu'il nous faut avoir toujours et encore à l'esprit en nous
rappelant que la tentation antisémite de l'Etat français n'est pas nouvelle :
ce fut le cas à la Révolution française, avec l'opportunité de reconnaître aux
Juifs la qualité de citoyen français, et l'affaire Dreyfus en est évidemment
une des expressions les plus fortes.
Ainsi, à côté des Lumières de France - ces
lamed Waf,
qualité donnée
dans la Bible aux personnes que rien ne distingue des simples mortels - ces
gens ordinaires qui, par leur action, empêchent que l'humanité étouffe dans un
cri, il existe toujours une part d'ombre latente qui menace sans cesse de
ressurgir.
La semaine dernière encore, la cour d'appel de Lyon devait confirmer la
condamnation d'un éditeur d'une revue mettant en doute le génocide, et dont on
apprend qu'il avait reçu mention « très honorable » de l'université de
Lyon-III, en 1990, pour une maîtrise consacrée au révisionniste Paul Rassiner.
On pourrait encore évoquer l'ouvrage de Renaud Camus, qui a suscité la
polémique que l'on sait, ou encore ce site internet, dénoncé par la LICRA, qui
met quotidiennement aux enchères des objets ou trophées nazis et que les
Etats-Unis se refusent à interdire.
Plus préoccupant encore est le rapport de la commission consultative des
droits de l'homme pour 1999, qui met en lumière la crispation des Français face
aux questions liées à l'immigration, à la lutte contre le racisme et à
l'intégration, avec son corollaire inévitable que constitue la montée de
l'antisémitisme.
Ainsi, l'institution d'une journée nationale à la mémoire des victimes des
crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux « Justes »
de France constitue un devoir de mémoire nationale en direction tant de nos
ascendants que des générations futures ; il est ce ciment qui relie entre eux
le passé, le présent et le futur, sans lequel nous serions condamnés à la
déshérence et à l'immobilisme.
C'est donc avec émotion et confiance dans l'avenir que mes collègues du groupe
communiste républicain et citoyen et moi-même voterons la présente proposition
de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, si je reprends brièvement la parole, c'est que, relisant trop vite
le discours que l'on m'avait préparé, j'ai omis de citer l'initiative prise par
François Mitterrand en 1993, comme j'aurais dû le faire et comme l'ont fait
après moi plusieurs orateurs : M. le rapporteur, Mme Derycke et Mme
Beaudeau.
Je tenais à réparer cet oubli.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique.
- Il est institué une journée nationale à la mémoire
des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage
aux "Justes" de France qui ont recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur
propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées de
génocide.
« Cette journée est fixée au 16 juillet, date anniversaire de la rafle du
Vélodrome d'hiver à Paris, si ce jour est un dimanche ; sinon, elle est
reportée au dimanche suivant.
« Chaque année, à cette date, des cérémonies officielles sont organisées aux
niveaux national et départemental, dans des conditions fixées par décret en
Conseil d'Etat. »
Par amendement n° 1, M. Charasse propose de rédiger comme suit le premier
alinéa de cet article :
« Il est institué une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes
racistes et antisémites et des crimes contre les personnes à raison de leurs
engagements politiques, syndicaux, philosophiques ou religieux commis par
l'autorité de fait se disant "Gouvernement de l'Etat français" ou avec son
concours et d'hommage aux "Justes" de France et aux patriotes qui ont
recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur propre vie et sans aucune
contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées d'arrestation,
d'emprisonnement, de déportation, de mort ou d'extermination dans le cadre d'un
génocide ou des actions dirigées contre les organisations républicaines et
celles de la résistance ou contre les personnes défendant les libertés
républicaines et oeuvrant pour la libération de la France. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à la
lecture du texte de l'article unique que nous a transmis l'Assemblée nationale,
je ne cache pas au Sénat que je ressens, pour bien des motifs, un sentiment de
malaise. Non pas tant au regard de cet hommage tardif et plus que mérité
vis-à-vis des personnes qui sont concernées par le texte de la proposition de
loi de M. Le Garrec, mais en raison du caractère trop restreint, selon moi, de
ce texte. En effet, s'il répare effectivement un oubli ou une injustice, je
pense qu'il en crée d'autres.
Je laisserai de côté le problème que peut poser ce texte au regard du principe
de laïcité de la République, puisqu'il introduit finalement dans une loi de la
République une notion purement religieuse en faisant référence à une expression
qui rappelle les trente-six Justes de la Bible, et j'en passe...
M. Jean-Jacques Hyest.
Cela fait partie de la culture !
M. Michel Charasse.
Peut-être, mais un jour viendra où les saints seront nommément désignés dans
les lois !...
M. Jean-Jacques Hyest.
Au moins saint Michel !
(Sourires.)
M. Michel Charasse.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la première fois que les lois de la
République piétineront ce principe !
Pour réparer un oubli, il n'en reste pas moins que ce texte aboutit à créer
d'autres injustices à l'égard de tous ceux qui, à des titres divers, ont été
eux aussi courageux et déterminés sans se faire connaître ou reconnaître après
la guerre et sans solliciter honneurs, faveurs ou reconnaissance, qui sont eux
aussi anonymes et qui ne sont toujours pas reconnus par la République. Au
demeurant, ils ne demandent rien !
J'appartiens à une région, l'Auvergne, et je suis conseiller général d'un
canton, celui de Chateldon, près de Vichy, qui évoqueront sans doute beaucoup
de choses à un certain nombre de nos collègues, car s'y sont déroulés bien des
événements.
Je voudrais aussi que l'on n'oublie pas ce que nous devons à la postière qui a
écouté clandestinement les communications des Allemands pour alimenter en
renseignements les maquis du Vercors, des Glières, du mont Mouchet ; au curé
dont le presbytère était devenu un véritable camp retranché avec des
Résistants, des Juifs, des patriotes ; au paysan qui, la nuit, ravitaillait les
maquis ; à celui qui portait le message d'un fuyard ou d'un mourant ; au
médecin ou à l'infirmière qui prenaient des risques pour panser les plaies de
celui qui avait été blessé par balles, du parachutiste anglais qui s'était mal
reçu, de l'agent de renseignements qui s'était perdu et blessé.
Je n'aurai garde d'oublier les membres du corps préfectoral parce que, si l'on
pense trop souvent à Papon, il y en a quand même eu d'autres : ainsi, quarante
membres du corps préfectoral ont été tués par l'occupant à des titres divers -
je pense en particulier, dans ma région, au sous-préfet de Brioude - et
certains membres de ce corps, lorsqu'ils n'ont pas été tués, ont rendu mille et
un petits services ici et là.
Je pense à ceux qui ont caché des Juifs, bien sûr, et dont nous célébrons le
mérite aujourd'hui, mais aussi à ceux qui ont caché des Arabes, des Noirs, des
Tziganes, des homosexuels, des communistes, des partisans, des francs-maçons,
des ennemis de l'occupant et du Gouvernement de Vichy.
Et comment ne pas rappeler dans cette assemblée celles et ceux qui, en
Auvergne, dans le Cantal, ont aidé Gaston Monnerville, d'abord en le protégeant
parce que sa couleur de peau en faisait un ennemi désigné de l'occupant,
ensuite parce qu'ils l'ont caché, qu'ils l'ont amené dans les maquis, qu'ils
l'ont soigné parce qu'il a été blessé ? De plus, dans son cas, la couleur - mon
cher collègue Georges Othily ne m'en voudra pas - ne facilitait pas les choses,
surtout sur le blanc de la neige du Cantal.
Alors, mon premier amendement a pour objet - je ne veux naturellement pas
troubler la bonne entente qui règne sur ce sujet ce matin - d'abord, de me
permettre d'évoquer ceux-là, ensuite, de demander au Gouvernement si l'on va
attendre que ceux-là aient tous disparu pour penser à eux, comme on le fait à
l'égard de celles et de ceux, anonymes - ma région était concernée aussi parce
que le Chambon-sur-Lignon, ce n'est pas très loin de chez moi, pays protestant
- qui ont sauvé des Juifs, eux qui, à leur manière, ont aussi servi la France,
la liberté, la République, en n'étant pas forcément à droite, à gauche,
orientés politiquement, engagés dans les maquis, mais simplement ne supportant
pas l'occupant, ne supportant pas le régime de Vichy et mettant tout en oeuvre,
au péril de leur sécurité et de leur vie personnelle, pour contribuer à ce qui
allait enfin, un jour, devenir la victoire.
Je suis un peu gêné, face à ce texte, parce que je le trouve trop court, trop
restreint, même s'il couvre un phénomène horrible, un phénomène général.
C'était d'ailleurs - je le dis au passage - ce qu'avait voulu rappeler le
décret de 1993 du président Mitterrand, dont je ne voudrais pas - ce sera ma
conclusion sur ce point, monsieur le président - qu'on le dévie de sa portée.
J'ai été de très près associé à sa rédaction, plus près même que vous ne
l'imaginez.
C'est sciemment que le président Mitterrand a employé l'expression : «
autorité de fait dite "gouvernement de l'Etat français" », qui figure dans
l'ordonnance de 1944.
C'est sciemment qu'il a voulu que le 16 juillet, ou le dimanche le plus
proche, soit le jour d'hommage aux victimes de tous les racismes mis en place
par le régime de Vichy ou avec son concours. Et c'est parce que, au nombre des
actes raciaux, qui ont concerné aussi les Arabes, les Noirs, toutes les
populations étrangères possibles et imaginables, le plus horrible et le plus
massif a concerné les Juifs, qu'il a décidé que ce serait le 16 juillet, date
de la commémoration de la rafle du Vel'd'Hiv.
Mais ne donnons pas le sentiment que, pour honorer une catégorie de Français
qui ont bien servi l'idée que nous nous faisons de la République et des
libertés, nous ignorons délibérément toute une catégorie d'autres Français,
qui, eux, permettez-moi de le dire, ont bien mérité de la patrie.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
La commission a été quelque peu embarrassée à l'examen du
texte proposé par M. Charasse, dont elle a reconnu la générosité, la très
grande qualité et la pertinence des motifs.
Elle a en effet observé que le présent texte était relativement sélectif et
que l'amendement sortait donc de son cadre strict.
Aussi, voulant éviter tout risque de remise en cause du processus
d'élaboration de ce texte, dont il faut ne pas allonger démesurément la
discussion, elle a préféré s'en tenir à la position que j'ai évoquée tout à
l'heure, à savoir un vote conforme du texte issu des travaux de l'Assemblée
nationale.
Puis-je ajouter, à titre personnel, que je suis tellement sensible aux propos
de M. Michel Charasse, que, s'il y avait un autre texte, qui réponde
parfaitement aux souhaits qu'il a exprimés, je serais personnellement très
honoré d'en être aussi le rapporteur.
(Applaudissements.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Bien entendu, je comprends tout à fait l'intention
exprimée par Michel Charasse, qui est, finalement, dans cette oeuvre de
commémoration que nous faisons, de n'oublier personne, de faire en sorte que
toutes celles et tous ceux qui ont permis à des personnes innocentes d'échapper
à des persécutions puissent être reconnus par la nation.
Ce que je lui dirai simplement, c'est qu'en l'espèce l'intention est
précisément de mettre l'accent sur les personnes qui ont été victimes du
génocide. D'où la nécessité de cette mesure particulière. Ce qui n'empêche pas,
bien entendu, que d'autres initiatives puissent être prises pour rendre hommage
à d'autres catégories de persécutés. Mais, encore une fois, je pense vraiment
que les victimes du génocide méritent ce traitement spécifique.
J'ajoute qu'il conviendrait également que cette proposition de loi, qui fait
l'unanimité, puisse être adoptée avant la fin de la session. Ce serait un très
bon signal.
Je ne suis donc pas favorable à l'amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Guy Allouche.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Je m'exprime contre l'amendement pour me réserver le droit d'intervenir
éventuellement pour explication de vote.
Mes chers collègues, ce que nous a dit Michel Charasse est-il faux ? Bien sûr
que non ! Qui, parmi nous, peut nier tout ce qu'il a dit à l'instant ? Qui peut
nier ce qui est écrit dans son amendement ? Personne !
Je dirai toutefois à Michel Charasse que son amendement est un peu hors sujet,
car nous examinons une proposition de loi qui a un caractère spécifique. Mme la
ministre vient de le rappeler à l'instant, il s'agit de faire son devoir de
mémoire en commémorant l'horrible rafle du Vél d'Hiv le 16 juillet.
Je sais, comme certains autres ici, la part qu'a prise Michel Charasse dans
l'élaboration du décret de 1993, et nous nous sommes réjouis de ce que le
président Mitterrand a fait alors.
Vous avouerai-je aussi que, le 23 février dernier, j'ai eu l'occasion de dire
au Président de la République, à Jacques Chirac, combien j'avais, à titre
personnel, apprécié ce qu'il avait fait en 1995 ? Je le lui ai dit
personnellement, car je me devais, au moment où je l'ai rencontré, avec le
bureau du Sénat, de lui dire à quel point j'avais apprécié son geste.
Aujourd'hui, il s'agit de commémorer la rafle du Vél d'Hiv. Dans cette rafle,
qui y avait-il ? Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards ! Quel
était leur crime ? Quel était leur délit ? Quelle faute avaient-ils commise ?
Aucune ! Le seul crime qu'on leur reprochait, c'était d'être juifs, et c'est
parce qu'ils étaient juifs qu'il fallait les exterminer.
Voilà le devoir de mémoire qui nous est imposé aujourd'hui !
L'appellation « Justes » est d'origine hébraïque...
M. Michel Charasse.
Pas hébraïque, religieuse !
M. Guy Allouche.
Non, la Bible, l'hébreu... ! L'expression
Yad Vashem
signifie « Justes
parmi les nations », car elle couvre tous ceux qui, à travers le monde, ont
sauvé de nombreux Juifs de l'extermination. En l'espèce, cette proposition de
loi tend à rendre hommage aux « Justes » de France. C'est le terme qui a été
retenu ; on aurait pu en trouver un autre, mais c'est celui qui a été repris
parce que c'est le terme biblique.
M. Hilaire Flandre.
C'est de la culture !
M. Guy Allouche.
Oui, c'est de la culture, ce n'est pas moi, qui ai appris l'hébreu, qui vais
vous dire le contraire !
C'est le terme le plus noble qui puisse être trouvé en la circonstance.
Voilà pourquoi je me suis inscrit contre l'amendement de mon ami Michel
Charasse et voilà pourquoi, rejoignant ce qu'a dit Mme la ministre, je
m'adresse à lui pour lui demander de le retirer, afin que nous préservions les
uns et les autres l'unanimité qui est requise en la circonstance.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, mes chers collègues, vous imaginez bien que j'avais
fait état de mes préoccupations d'ordre moral sur cette affaire à mes amis du
groupe socialiste, en particulier à Guy Allouche, qui ne s'est donc pas étonné
- je l'en remercie - de ce que j'ai dit, comme je ne me suis pas étonné de ce
qu'il a dit à l'instant.
Ce que je voulais faire, c'était appeler l'attention du Gouvernement et celle
du Sénat sur la nécessité de ne pas oublier les autres.
J'entends bien que l'on me dit aujourd'hui que ce texte est spécifique à une
situation, particulièrement horrible.
J'ai bien entendu ce qu'a dit Mme le garde des sceaux, que je remercie d'avoir
rappelé ce que le président François Mitterrand avait fait en 1993.
Simplement, je voudrais avoir l'assurance que, si une proposition de loi
allant dans le sens de ce que j'ai demandé venait à être déposée, le
Gouvernement aurait à l'égard de ce texte la même bienveillance que celle qu'il
a eue à l'égard de la proposition de loi de M. Le Garrec.
Je vais retirer mes amendements, ne vous en faites pas, mes chers collègues.
Je ne veux pas gêner les uns et les autres dans un vote qui serait pénible pour
tout le monde. Mais si Mme le ministre pouvait m'assurer que, très rapidement,
nous pourrons compléter le dispositif de devoir de mémoire ou d'hommage à
l'égard de celles et ceux dont j'ai parlé tout à l'heure, je serais pleinement
satisfait.
Quant au décret de 1993 - Guy Allouche a rappelé que j'avais quelque raison de
le connaître un peu - je veux simplement préciser qu'il commémore non pas la
rafle du Vél d'Hiv mais ce pic de l'immonde pour que nous pensions les uns et
les autres, ce jour-là, à tous les crimes racistes qui ont été commis sous
l'autorité de Vichy, et notamment, bien sûr, la poursuite systématique de ceux
qui avaient le seul tort d'être Juifs, comme disait Guy Allouche tout à
l'heure, poursuite qui a été particulièrement horrible et particulièrement
massive.
Cela étant dit, monsieur le président, je retire les amendements n°s 1 et 2,
tout en souhaitant, je le répète, que le Gouvernement me confirme que, si une
proposition de loi était déposée allant dans le même sens mais dans une
terminologie différente, elle aurait les mêmes faveurs de sa part que
celle-ci.
(M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent.)
M. le président.
L'amendement n° 1 est retiré.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je veux dire en cet instant quelle
a été la position de la commission des lois.
Nous sommes saisis, depuis un certain temps, d'un certain nombre de textes
dont le caractère normatif soulève - c'est le moins que l'on puisse dire -
quelques questions et qui font s'engager des débats parfois inutiles : texte
sur les Arméniens, texte sur l'esclavage et, maintenant, texte sur le
génocide.
Il n'est dans l'esprit de personne, cela va de soi, de ne pas participer aux
sentiments à la fois de honte, de regret et de compassion qui habitent tout un
chacun lorsque l'on évoque ces faits horribles. Aussi la commission des lois
n'a-t-elle pas voulu entrer dans un débat qui aurait peut-être conduit à
apporter des correctifs, donc à déposer des amendements, car nous tenons à ce
qu'il y ait un vote unanime.
Toutefois, quelque chose me choque dans ce texte, et je le dis. Ce n'est même
pas un mot, ce sont des guillemets, ceux qui entourent le mot « Justes ». En
effet, on dirait que l'on s'adresse à une catégorie particulière, normalement
honorée, d'ailleurs, mais honorée seule, et sur l'initiative de qui ? Sur celle
d'un Etat étranger, l'Etat israélien. En effet, pour être qualifié de « Juste
», il faut avoir été reconnu comme tel par l'Etat israélien.
Je ne sais combien de Français se sont vu reconnaître cette qualité, mais,
fort de mon expérience familiale, en tout cas, je peux vous assurer que le
nombre de « Justes » oubliés est infiniment plus grand que celui des « Justes »
honorés. C'est une remarque que je tenais à faire.
Bien entendu, nous voterons cette proposition de loi, dans laquelle nous
n'avons pas voulu - certains y avaient songé comme moi - supprimer les
guillemets qui entourent le mot « Justes ».
M. le président.
Par amendement n° 2, M. Charasse propose de compléter
in fine
le
dernier alinéa de l'article unique par les mots : « et, dans l'attente de ce
décret, par le décret n° 93-150 du 3 février 1993 instituant une journée
nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous
l'autorité de fait dite "gouvernement de l'Etat français". »
Cet amendement a été précédemment retiré par son auteur.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, il n'est pas d'usage - je le sais - de monter à la tribune
pour expliquer son vote, mais, puisqu'il m'est donné aujourd'hui, à la faveur
de ce texte, d'exprimer un devoir de mémoire et de reconnaissance, j'ai tenu à
le faire de l'un de ces hauts lieux non seulement de la parole républicaine
mais de la République qu'est la tribune d'une assemblée parlementaire.
Pourquoi ? A l'époque qui a été à l'instant évoquée, j'étais un enfant, puis
un très jeune adolescent. Il est vrai qu'on mûrissait vite pendant ces
années-là. J'ai côtoyé le pire mais aussi le meilleur. Je ne voudrais pas que
les crimes de quelques-uns, si dramatiques qu'ils soient, recouvrent le courage
simple et silencieux ainsi que l'humanité de beaucoup.
La communauté juive de France - ce n'était pas un tort d'être juif à cette
époque ; c'était un crime ! - comptait 300 000 personnes à l'automne 1940. Nous
le savons puisqu'elles ont été fichées. A la fin de la guerre, 75 000
personnes, soit le quart, avaient disparu. L'expression « génocide » prend dès
lors tout son sens.
Mais la France, au regard de tous les territoires et pays occupés par les
nazis, est le pays qui a compté la plus forte proportion de survivants à la fin
de la guerre, et ce n'est pas du fait des autorités de Vichy, il faut le
dire.
Certes, comme cela a été fortement rappelé par le Président de la République
M. Chirac - le président Mitterrand l'avait fait avant lui - le rôle de Vichy a
été celui d'un complice. Il est certain que, notamment à partir de 1942, s'est
tissé un filet sur l'ensemble du pays dont les mailles n'ont cessé de se
resserrer : le fichage, les lois d'exception, l'impossibilité de gagner sa vie,
les cartes d'identité tamponnées « juif ». Ainsi, en allant chercher les
quelques aliments que l'on trouvait encore au dernier rang de la file
d'attente, et tendant la carte de ravitaillement - je l'ai gardée - évidemment,
le commerçant savait que vous étiez juif, et du même coup bien d'autres autour
de lui.
Si l'on considère ce qu'était l'intensité de la chasse aux Juifs à cette
époque - car c'est ainsi qu'il faut l'appeler - les moyens mis en oeuvre,
l'acharnement inouï dont jusqu'à la dernière heure, au moment de la retraite,
presque de la déroute, les Allemands ont continué à faire preuve à l'égard des
Juifs - les derniers convois de déportation ont quitté la ville de Lyon en août
1944 ; on faisait encore circuler des convois de déportation dans l'état où se
trouvait l'armée allemande, comme s'il y avait une sorte de priorité permanente
à faire disparaître jusqu'au dernier des Juifs - et si l'on mesure aussi
l'ardeur criminelle dont faisait preuve - j'en ai été le témoin - la milice à
cette époque, notamment dans la région lyonnaise et les Alpes, alors on prend
la mesure de ce que signifient les 225 000 survivants.
Parmi cette communauté de 300 000 Juifs, 150 000 étaient des étrangers, et
parmi ceux qui étaient Français, un certain nombre étaient des naturalisés qui
parlaient avec un accent étranger, un accent qui a entouré toute mon enfance.
Or, dans la France de cette époque, parler avec un accent étranger, c'était se
signaler aussitôt.
Au regard de l'intensité de la chasse à l'homme qui avait lieu, 225 000 Juifs
survivants, dont plus d'une centaine de milliers d'entre eux parlant avec un
accent étranger, cela signifie un formidable réseau de complicités, d'amitiés,
de concours, d'assistance.
C'est cela que je tenais à évoquer à la tribune du Sénat, cet immense concours
d'honneur et de femmes qui ne cherchaient ni distinction, ni récompense, ni
honneurs, ni promotion, ni satisfaction autre que celle d'avoir fait son
devoir. Ce n'était même pas l'abstraction des droits de l'homme ; c'était tout
simplement l'humanité révoltée devant cette traque permanente de femmes,
d'enfants, de vieillards.
C'est au regard de cette humanité que prend précisément tout son sens la
proposition de loi que nous allons adopter et c'est au regard de cette
humanité, si discrète mais qui a sauvé tant d'être humains, que je voulais ici
exprimer ma reconnaissance.
En conclusion - cela est aussi mon devoir aujourd'hui, plus de cinquante ans
après, puisque les hasards de la vie ont fait que je peux m'exprimer dans ce
haut lieu de la République - je voudrais dire qu'à un moment particulièrement
cruel de la vie de ma famille, lorsque nous nous sommes tous dispersés, je me
suis retrouvé dans un petit village, à peine un bourg, de Savoie. Là, avec ma
mère puis avec mon frère, venant d'horizons divers, nous nous sommes retrouvés
et nous avons vécu une période qui, en Savoie, était d'une violence répressive
intense de la part des Allemands et de la milice, je rappelle que Touvier était
le chef de la milice de Chambéry, à moins d'une centaine de mètres du lycée
Vaugelas que je fréquentais à l'époque.
Ce village nous a entourés, nous a protégés sans en manifester directement des
signes autres que ceux de la sympathie qu'on doit à des hôtes étrangers -
étrangers au sens villageois du terme. Je suis néanmoins sans illusion : nous
savions eux et nous qui nous étions : l'absence de courrier, le silence
constamment observé sur le père ou le mari, l'isolement d'une famille repliée
sur elle-même ne pouvaient pas échapper à la compréhension de l'époque.
Eh bien, sans cette complicité silencieuse et cette amitié discrète qu'ils
marquaient le soir lorsque, comme cela se fait dans les villages français, nous
rencontrant ils nous souhaitaient le bonsoir, assurément, je n'aurais pas le
privilège d'être ici à cette tribune pour les remercier.
Je précise d'ailleurs que j'ai tenu, bien avant la discussion de ce texte, au
temps où j'exerçais une des grandes fonctions de la République, à dire, en tant
que dernier survivant de ma famille, au maire de cette commune, qui s'appelle
Cognin, que je souhaitais y revenir et dire aux enfants des écoles que leurs
grands-parents et leurs parents étaient des êtres humains de qualité.
J'y suis allé, nous avons fait une modeste fête, et j'ai apporté ce que
j'avais fini par trouver pour qu'elle demeure là, dans l'école du village,
comme témoignage de la reconnaissance envers l'humanité au sens le plus fort du
terme et le courage en ces années-là : une Déclaration des droits de l'homme,
originale celle-là, je veux dire de 1791. Elle est restée dans l'école en
souvenir de la reconnaissance que l'on doit pour toujours à ces « Justes ».
Car, assurément, justes, ils l'ont été, comme tant de Français que l'on oublie
trop souvent.
(Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Après l'excellente intervention de M. Badinter, mon propos pourra paraître
anodin. Mais c'est la position de mon groupe, et je suis tenu de l'exprimer.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le
Président de la République déclarait, le 2 novembre 1997 : « Cinquante ans
après, notre pays doit assumer toute son histoire, le blanc comme le gris, les
heures de gloire comme les zones d'ombre. Pour cela, pour bâtir son avenir sur
des bases plus claires, il accomplit aujourd'hui un difficile travail de
mémoire. Mais si le mal doit être reconnu, le bien ne doit pas être méconnu.
»
Notre groupe ne peut en ce sens que souscrire à ce devoir de mémoire face à
des périodes troublées de notre histoire, au respect des victimes et à
l'honneur fait à ceux qui ont combattu de toute leur force et de tout leur
souffle les atrocités de ceux qui se sont faits les bourreaux d'une idéologie
effroyable. Néanmoins, dans le cadre de l'instauration d'une journée nationale,
notre groupe a été sensible aux arguments de notre rapporteur, je veux, au
passage, souligner l'excellence de son travail.
Nous poursuivons donc dans la ligne des propos tenus par le rapporteur, M.
Jean-Pierre Schosteck, en souhaitant que, dans l'application de cette loi, il
en soit fait ainsi.
Cela étant, et tout en souscrivant pleinement à l'objectif de ce texte, nous
ne pouvons que constater une fois encore le caractère manifestement
réglementaire de cette proposition de loi. Faut-il rappeler que ces
dispositions visent à étendre le champ d'un décret ?
Aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi « fixe les règles » ou «
détermine les principes fondamentaux ». Une fois encore, le Parlement a donc à
se prononcer sur des textes qui ne sont nullement de son ressort.
La commission des lois a estimé que cette situation résultait du fait que le
Parlement français est l'un des seuls au monde à ne pouvoir prendre
publiquement position qu'en votant des lois, en censurant le Gouvernement ou en
approuvant une déclaration de politique générale, alors que la plupart des
parlements étrangers peuvent voter des motions ou des résolutions qui leur
permettent d'exprimer des positions n'ayant pas de portée normative.
En France le vote des résolutions a été limité par le Conseil constitutionnel
en 1959 aux cas prévus par la Constitution, les deux assemblées pouvant aussi,
depuis 1992, adopter des résolutions sur les propositions d'actes
communautaires qui leur sont soumises par le Gouvernement.
Notre groupe ne partage pas forcément l'opinion de la commission, qui
souhaiterait engager une réflexion en vue de permettre au Parlement de
s'exprimer solennellement sur certains sujets, sans avoir à recourir à la loi,
qui devrait demeurer normative.
Si, bien évidemment, il est de notre souci que la loi reste normative, les
défenseurs de la Constitution que nous sommes ne peuvent pas ne pas rappeler
que l'un des fondements de notre Constitution est d'avoir précisé le domaine de
la loi et que la Ve République s'est bâtie sur le refus de poursuivre les
errements de la IVe République qui, elle, usait démesurément du vote de
motions.
Permettre au Parlement de se prononcer de la sorte ouvrirait le risque
indéniable d'un retour à des pratiques que les fondateurs de notre Constitution
avaient souhaité éradiquer définitivement.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et des
Indépendants.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
M. Guy Allouche, d'abord, et M. Robert Badinter,
ensuite, de façon à la fois magistrale et émouvante, ont bien expliqué pourquoi
il était important que nous rendions cet hommage particulier et spécifique aux
Juifs victimes du génocide. Robert Badinter en particulier a rappelé l'ampleur
de celui-ci dans notre pays.
Par ailleurs, à Michel Charasse qui a demandé si le Gouvernement accepterait
un texte tendant à rendre hommage à d'autres victimes de persécutions, je
répondrai qu'il ne s'y opposerait pas dès lors que ce texte pourrait faire
l'objet d'un consensus, notamment de l'ensemble des organisations qui
souhaiteraient évidemment y être associées.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
6
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je voudrais que le Sénat demande à M. le président du Sénat de bien vouloir
exiger de la part du secrétaire général de la CGT des excuses publiques à la
suite des affirmations non fondées des responsables des syndicats des
convoyeurs de fonds, qui ont affirmé que, si le texte qui les concerne arrivait
aussi tard en discussion devant nous, c'était la faute du Sénat.
Le Sénat n'est pour rien dans cette affaire. C'est le Gouvernement qui est
responsable, et je tiens à ce que des excuses publiques soient présentées à
notre assemblée.
C'est la seconde fois en un mois qu'un tel événement se produit. Nous en avons
assez d'être considérés comme des boucs émissaires lorsque c'est le
Gouvernement qui est responsable.
(Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Monsieur le sénateur, je vous donne acte de votre rappel au règlement, que je
transmets immédiatement à M. le président du Sénat.
7
SÉCURITÉ DU DÉPÔT
ET DE LA COLLECTE DE FONDS
ADOPTION D'UN PROJET DE LOI
DÉCLARÉ D'URGENCE
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 380, 1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la
sécurité du dépôt et de la collecte de fonds par les entreprises privées.
[Rapport n° 427 (1999-2000)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, medames, messieurs les
sénateurs, le projet de loi qui est inscrit à l'ordre du jour des travaux du
Sénat a été examiné à la fin du mois de mai par l'Assemblée nationale. Le
Gouvernement a déclaré l'urgence afin que ce projet puisse produire des effets
dans les meilleurs délais pour des raisons sur lesquelles je n'ai pas besoin
d'épiloguer. L'amélioration de la sécurité des opérations de transport de fonds
a été, vous le savez, une des revendications des salariés lors du mouvement de
grève qui s'est déroulé dans les récentes semaines.
Ai-je besoin de le dire, c'est aussi une préoccupation du Gouvernement. Ainsi,
comme le rappelle fort justement le rapport de la commission des lois, des
tables rondes sur la sécurité des convoyeurs de fonds ont été organisées, sur
mon initiative, au ministère de l'intérieur, depuis le mois de janvier 1999.
Le projet de loi fournit des solutions adaptées aux problèmes rencontrés. Il
résulte de cette démarche. Son examen par l'Assemblée nationale a permis de
l'améliorer.
Je crois que le Sénat, dont la commission des lois s'est montrée favorable à
l'adoption du projet de loi sans modification - et je salue ici la qualité du
rapport présenté par M. Schosteck - n'aura pas de difficultés à adhérer aux
orientations de ce texte. Je souhaiterais simplement en rappeler brièvement le
contexte et en préciser le contenu.
Ce projet de loi ne constitue pas un texte de circonstance. Il s'intègre dans
une réflexion globale sur la sécurité. Le Gouvernement a l'intention de fournir
un cadre législatif adapté à ces activités en renforçant leur
professionnalisation, leur encadrement et leur transparence.
Le conseil des ministres du 17 mai 2000, qui a approuvé le projet de loi
auquel le Sénat consacre ses travaux aujourd'hui, a également approuvé le
projet de loi relatif aux activités de sécurité privées et aux services
internes de sécurité de certains services publics. Celui-ci sera inscrit, en
principe, à l'automne à l'ordre du jour du Sénat, qui l'examinera donc en
première lecture.
Il est important de rappeler ce contexte pour vous permettre de prendre la
mesure du projet de loi dont vous êtes saisis.
En ce qui concerne plus précisément le transport de fonds, branche spécifique
des activités de sécurité privées, tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il
s'agit d'un métier difficile et risqué. Le Gouvernement a le souci d'améliorer
la sécurité des convoyeurs de fonds et de garantir la sécurité du public. Des
agressions ont, en 1999 déjà, endeuillé la profession. Ces dernières semaines,
elles ont encore entraîné mort d'homme.
Au plan policier, vous le savez, des interpellations ont eu lieu, notamment
vendredi dernier. D'autres les avaient précédées. Elles permettront, je
l'espère, d'élucider un certain nombre d'affaire graves et de réprimer comme il
convient ces attaques sauvages.
Au plan réglementaire, depuis plus d'un an, le ministère de l'intérieur a
recherché les améliorations qui pouvaient être apportées à la sécurité des
transports de fonds.
Dans le souci d'une concertation approfondie avec l'ensemble des acteurs -
salariés, entreprises de transport de fonds, mais aussi donneurs d'ordre - et
en liaison avec les autres départements ministériels concernés, une quinzaine
de réunions ont été organisées en 1999 au ministère de l'intérieur. Elles ont
permis de connaître très précisément les contraintes et les risques de la
profession.
Une première amélioration a été apportée avec le décret du 28 avril 2000. La
commission des lois du Sénat a d'ailleurs très bien perçu les enjeux de la
refonte du dispositif réglementaire. Le décret a été accompagné de trois
arrêtés d'application publiés le 4 mai et le 7 juin 2000. Ces arrêtés précisent
les normes techniques auxquelles doivent répondre les véhicules de transport de
fonds - blindage, équipements de communication et de défense, aménagements de
sécurité - ou les équipements des convoyeurs de fonds : armement, gilets
pare-balles. Le décret du 28 avril 2000 constitue un des éléments de la
sécurité des convoyeurs de fonds et se substitue à un texte vieux de vingt ans
pour tenir compte des évolutions enregistrées. Des mesures de nature
législative sont cependant nécessaires au renforcement de la sécurité des
transports de fonds. Tel est l'objet du projet de loi soumis à votre
appréciation.
La sécurité du transport de fonds ne sera pas renforcée uniquement par
l'adaptation des équipements dont sont dotés les entreprises et les convoyeurs
de fonds. Il est indispensable d'améliorer la sécurité de la desserte
elle-même, soit en facilitant la circulation et le stationnement des véhicules
de transport de fonds, soit en réalisant des aménagements qui permettent un
accueil plus sûr des transporteurs de fonds dans les établissements
desservis.
L'article 1er du projet de loi s'applique aux conditions de stationnement et
de circulation des véhicules de transport de fonds. Il étend à ces véhicules le
bénéfice de mesures que, jusqu'ici, le maire ne pouvait prendre que pour les
véhicules de transport en commun et certains véhicules de service public. Les
véhicules de transport de fonds seront donc autorisés, sous réserve de la
décision du maire, à emprunter des couloirs de circulation et à occuper des
emplacements de stationnement réservés.
Cette disposition, qui consiste en une modification de la partie législative
du code général des collectivités territoriales, vise notamment à réduire la
distance entre le véhicule et l'établissement desservi. Elle répond à une
revendication tout à fait légitime de la profession, qui pourra ainsi être
satisfaite dans les meilleurs délais.
L'article 2 du projet de loi procède de la même volonté de limiter la phase
piétonne du transport de fonds, pendant laquelle les convoyeurs sont plus
spécialement exposés à des agressions. Le risque concerne également le public.
On songe ici particulièrement aux galeries commerciales ou aux zones
piétonnes.
Les statistiques des agressions contre les transporteurs de fonds établies par
l'Office central pour la répression du banditisme, et reprises d'ailleurs dans
le rapport de la commission des lois, montrent que, sur la période 1988-1995,
les agressions commises pendant la phase piétonne représentent près de 70 % de
l'ensemble des agressions contre les convoyeurs de fonds. Depuis le 1er janvier
1999, plus de 40 % des agressions se sont déroulées pendant cette phase
piétonne. Ce taux est sensiblement supérieur, si l'on y ajoute les agressions
commises sur les personnels de ces entreprises dans les locaux attenant aux
distributeurs de billets.
Pour faire échec à cette évolution, le projet de loi prévoit des obligations
d'aménagement qui seront à la charge des établissements desservis par les
entreprises de transport de fonds. Il s'agit de faire participer ces
établissements à l'effort de sécurité, qui ne peut incomber en totalité aux
transporteurs.
Pour être redevable d'une telle obligation, l'établissement devra être
desservi à titre habituel par des véhicules de transport de fonds. Il ne serait
en effet guère justifié qu'un commerce qui ne ferait appel à une entreprise de
transport de fonds qu'à titre exceptionnel ait l'obligation de réaliser des
aménagements permanents.
Cette obligation spécifique, il revient au législateur d'en arrêter le
principe. Elle va en effet se traduire par des investissements justifiés par
des motifs de sécurité, qui portent à ce titre une atteinte fondée, au principe
de liberté du commerce et de l'industrie et au droit de propriété. Seul le
législateur pouvait en décider ainsi. La mise en oeuvre de cette obligation est
essentiellement technique et relève du pouvoir réglementaire. Il s'agit de
définir les équipements adaptés aux établissements concernés. Un décret y
pourvoira.
L'Assemblée nationale a modifié, par voie d'amendement, l'article 2 du projet
de loi. Elle a, en outre, créé un article additionnel consacré aux sanctions
pénales auxquelles s'expose la personne qui ne s'acquitte pas de l'obligation
de réalisation d'aménagements qui lui incombe. Ces modifications ont reçu
l'accord du Gouvernement. Je souhaiterais en faire un commentaire rapide pour
éclairer votre assemblée.
S'agissant de l'article 2, trois points me paraissent devoir faire l'objet de
développements. Il s'agit, d'abord, du champ d'application de l'obligation de
réalisation d'équipements de sécurité, notamment en ce qui concerne les
établissements existants ; il s'agit, ensuite, de la question des délais et,
enfin, des orientations mêmes du décret.
Si la nécessité de réaliser des aménagements de sécurité s'impose
immédiatement à l'ensemble des établissements dont la création est envisagée et
qui seront desservis par une entreprise de transport de fonds, il est
raisonnable de laisser un délai aux établissements existants. Cette technique
est éprouvée et réaliste. Le troisième alinéa de l'article 2 la met en oeuvre.
Toutefois, il a paru judicieux de réserver un sort identique aux locaux en
cours de construction et qui, par nature, n'auront pas fait l'objet de la
réception des travaux.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de réserver un délai de réalisation à des
locaux virtuels, c'est-à-dire en projet, cela n'aurait pas grand sens et cela
contreviendrait même au principe de réalisation obligatoire d'aménagements de
sécurité. Au contraire, le sens de cet article est de lier dans un même délai
les locaux existants et les locaux en cours de construction. Tels sont les
éclaircissements que je souhaitais vous apporter sur ce point.
S'agissant des délais, l'article 2 du projet de loi prévoit, après l'adoption
de l'amendement présenté par le rapporteur du projet à l'Assemblée nationale,
un délai pour la réalisation et la publication du décret et un délai pour la
réalisation des travaux. Les deux sont liés, puisque la rapidité de publication
du décret - dans les six mois de la publication de la loi - facilite la
réalisation des aménagements de sécurité dans le délai que l'Assemblée
nationale a souhaité limiter au 31 décembre 2002.
Ces délais sont raisonnables et tenables. Le Gouvernement souhaite, pour sa
part, que les choses aillent vite : les modalités mêmes d'examen de ce projet
en sont la preuve. Le Gouvernement prend donc l'engagement que le décret sera
publié avant l'expiration du délai de six mois introduit lors du débat devant
l'Assemblée nationale.
Je désire, enfin, éclairer le Sénat sur la méthode d'élaboration et le contenu
même du décret.
Le contenu du décret tiendra compte à la fois des caractéristiques des locaux
et de la palette des solutions techniques qui pourront améliorer la sécurité :
sas, trappons, dispositifs spécifiques aux centres commerciaux, cheminement
sans contact avec le public, locaux techniques sécurisés.
Deux lignes directrices méritent d'être soulignées : la recherche de la
solution la plus adaptée à la situation et aux caractéristiques de
l'établissement desservi et le souci de l'efficacité.
Dans ses conclusions, votre commission des lois a souhaité que soient mises à
profit les observations réalisées par les commissions départementales de la
sécurité des transports de fonds mises en place récemment. Je souscris
volontiers à cette orientation, qui illustre parfaitement la volonté de
pragmatisme dont le Gouvernement entend faire preuve. C'est du rapprochement
bien pensé entre une situation et une solution technique que naîtra
l'amélioration réelle de la sécurité des transports de fonds.
Pour l'ensemble de ces raisons, un tel décret ne peut être élaboré sans
concertation. Celle-ci est dès maintenant menée de manière approfondie dans mes
services, qui ont reçu l'ensemble des acteurs de ce dossier et ont été
destinataires de propositions écrites souvent fort intéressantes de leur
part.
Il m'apparaît d'autant plus utile de faire preuve de réalisme en la matière
qu'il est judicieux de prévoir des sanctions en cas de non-respect de
l'obligation de réaliser des aménagements de sécurité adaptés, ce que
l'Assemblée nationale a introduit à l'article 3 du projet soumis à votre
appréciation. Le dispositif retenu me paraît équilibré et dissuasif. Il repose,
d'une part, sur l'édiction d'une peine d'amende et, d'autre part, sur des
peines complémentaires qui sont bien adaptées à la mise en cause éventuelle de
personnes morales. Je relève avec satisfaction que cet article a reçu un accord
marqué de la commission des lois.
D'autres améliorations sont également envisagées mais elles ne relèvent pas de
loi. Elles consistent à écarter les risques liés à la routine en évitant les
dessertes d'établissement selon des horaires fixes, et donc aisément connus, ou
à assurer une protection particulière des transports de fonds dont l'importance
ou le contexte justifie qu'il soit fait appel à une escorte de sécurité
publique. A cet égard, j'ai indiqué aux responsables de la police nationale
l'attention qui devait être portée à de telles situations.
Tel est l'état dans lequel se présente devant le Sénat ce projet de loi et
tels sont les objectifs que le Gouvernement cherche à atteindre. Nous
partageons clairement, j'en suis persuadé, la volonté d'améliorer la sécurité
des opérations de transport de fonds. Le projet de loi débattu aujourd'hui sera
un moyen décisif d'avancer dans cette voie. Je souhaite que, comme l'Assemblée
nationale, le Sénat s'accorde pour voter ce texte de la manière la plus
large.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes donc saisis
du projet de loi relatif à la sécurité du dépôt et de la collecte de fonds par
les entreprises privées, projet adopté par l'Assemblée nationale, en première
lecture, le 31 mai dernier.
Son examen intervient quelques jours après la mort d'un convoyeur de fonds à
la suite d'une attaque perpétrée dans le Var sur un véhicule blindé en
stationnement devant une banque. Depuis que j'ai rédigé mon rapport, d'autres
événements sont encore survenus.
Ce projet de loi avait été examiné par le conseil des ministres du 17 mai 2000
dans un contexte de grève générale des convoyeurs de fonds, chacun s'en
souvient, qui a eu lieu du 9 mai au 24 mai 2000, et qui faisait directement
suite à deux agressions de fourgons blindés s'étant produites à une semaine
d'écart à Grenoble et à Nanterre, à l'issue de chacune d'elles, un convoyeur
avait été tué et deux autres blessés.
Des tables rondes - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - sur la
sécurité de cette profession s'étaient pourtant tenues dès le mois de janvier
1999 au ministère de l'intérieur. Associant les entreprises de convoyage de
fonds, leur personnel et les représentants des donneurs d'ordre, elles avaient
abouti, le 4 mai 1999, à un relevé de conclusions détaillant les mesures à
prendre en la matière.
En conséquence, le décret du 28 avril 2000 et ses deux arrêtés d'application
du même jour ont refondu l'ensemble de la réglementation relative à la
protection du transport de fonds.
Le volet législatif de ces mesures devait être intégré dans un projet de loi
en préparation réglementant l'exercice de l'ensemble des activités de sécurité
privées.
Ce projet de loi d'ensemble a été délibéré en conseil des ministres le 17 mai
2000 et déposé sur le bureau du Sénat. Compte tenu du caractère urgent de
l'adoption de mesures sur la sécurité du transport de fonds, le Gouvernement a
préféré extraire du projet d'ensemble deux articles pour constituer un projet
de loi spécifique susceptible d'être examiné à bref délai par les deux
assemblées.
Le présent projet de loi comporte ainsi deux articles ayant pour objet de
limiter la phase piétonne du transport de fonds et de permettre son exercice à
l'écart du public.
Je rappellerai brièvement que le secteur du transport de fonds emploie plus de
7 000 personnes. Il est très concentré, puisqu'il ne compte qu'une quinzaine
d'entreprises, dont deux assurent, à elles seules, 80 % du marché.
Les clients qu'on appelle fréquemment « les donneurs d'ordre » relèvent pour
70 % du secteur bancaire, le reste étant constitué principalement par la grande
distribution.
La loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité date du 20
janvier 1995. Elle prévoyait le dépôt d'un projet de loi général destiné à
compléter les textes existants, à savoir la loi du 12 juillet 1983.
Un premier projet a été déposé sur le bureau du Sénat le 21 juin 1995, il n'a
jamais été inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée.
En octobre 1997, lors du colloque de Villepinte, le Premier ministre avait
annoncé la renaissance de cette Arlésienne.
Il a fallu attendre le 15 avril 1999 pour que la loi relative aux polices
municipales voie le jour et le 6 juin 2000 pour que soit promulguée la loi
portant création de la commission nationale de déontologie de la sécurité.
Le projet de loi réglementant l'exercice des activités de sécurité privées -
je l'ai rappelé - n'a été délibéré en conseil des ministres que le 17 mai 2000
et fera vraisemblablement l'objet d'une discussion au Sénat à l'automne 2000.
Il prévoit, en plus de l'autorisation administrative des entreprises,
l'agrément de leurs personnels et de leurs dirigeants, un renforcement des
contrôles exercés par la puissance publique, une plus grande transparence et
une professionnalisation plus importante des personnels.
Les prescriptions de sécurité à respecter pour le transport de fonds résultent
désormais du décret du 28 avril 2000, complété par trois arrêtés et prévoyant
deux modes de convoyage.
On retrouvera dans le rapport écrit les statistiques très inquiétantes - vous
les avez rappelées en partie, monsieur le ministre - concernant les risques
encourus dans l'exercice de cette activité, qui justifient particulièrement que
des mesures soient prises et qu'elles le soient rapidement.
On notera également que, malgré les risques encourus, les convoyeurs de fonds
bénéficient de rémunérations proches du salaire minimum, ce qui génère des
difficultés de recrutement et de nombreuses rotations d'effectifs, au détriment
de la qualification de personnels pourtant dotés d'une arme.
Tout cela a conduit au mouvement de grève du mois de mai dernier, qui a révélé
un malaise profond.
Le projet de loi qui nous est soumis vise, dans l'urgence, à limiter ce que
l'on appelle la phase piétonne du transport de fonds, qui s'est révélée
particulièrement dangereuse non seulement pour les transporteurs de fonds
eux-mêmes, mais aussi pour le public qui pourrait s'y trouver mêlé.
Je ne rappellerai pas le dispositif, que vous avez fort bien décrit, monsieur
le ministre.
La commission, mes chers collègues, a approuvé les mesures proposées. Elle
regrette, cependant, qu'il ait fallu attendre une grève des convoyeurs de fonds
pour que ce projet de loi, comme celui d'ensemble sur la sécurité privée, soit
déposé devant le Parlement, alors que la réflexion sur la sécurité privée est -
on l'a vu plus haut - en cours depuis 1995.
Sur le fond, la commission des lois estime en premier lieu qu'il est justifié
de donner aux maires la faculté de faciliter le stationnement et la circulation
des véhicules de convoyage de fonds. Cette faculté pourra être utilisée au gré
des circonstances locales.
L'externalisation du service rendu ne doit en effet pas aller de pair avec une
externalisation des risques qui touchent autant les convoyeurs de fonds que le
public.
Dans nombre de cas, il sera cependant très difficile, voire impossible, de
réaliser des aménagements, notamment dans les zones piétonnes des centres
villes ou dans les galeries commerçantes.
Votre commission constate, en outre, que la date butoir du 31 décembre 2002
fixée par l'Assemblée nationale pour la mise en conformité des locaux existants
laisse peu de marge aux personnes concernées.
Il semble néanmoins que les réseaux de la grande distribution aient déjà pris
en compte les exigences de sécurité du dépôt et de la collecte de fonds.
Votre commission estime cependant que cette contrainte de délai imposée aux
donneurs d'ordre est justifiée par une exigence de sécurité particulière. Elle
considère, en outre, que la date proposée présente un bon compromis entre les
exigences des uns et des autres.
Enfin, la commission approuve l'adjonction de sanctions pénales que vous avez
rappelées.
Elle tient cependant à insister pour que les dispositions réglementaires
prévoyant les aménagements de sécurité à réaliser gardent toute la souplesse
nécessaire pour tenir compte de la réalité du terrain.
Il semble que les commissions départementales de sécurité des transports de
fonds mises en place officiellement par le décret du 28 avril 2000 soient des
instances de dialogue appréciées de l'ensemble des partenaires.
La commission tient également à insister sur la nécessité de mettre en oeuvre
entre les convoyeurs de fonds et les donneurs d'ordre de nouveaux protocoles de
sécurité intégrant les contraintes des différentes parties.
A cet égard, comme vous l'avez également évoqué, la suppression des tournées à
heures fixes souhaitée par les convoyeurs de fonds semble être un important
facteur de sécurité. Elle se heurte cependant, semble-t-il, outre à des
difficultés d'organisation par les entreprises de convoyage elles-mêmes, à une
certaine rigidité de la pratique de la Banque de France en matière de prise en
compte, le jour même, des sommes déposées à ses guichets.
Une réflexion sur les risques du convoyage de fonds ne peut pas, en tout état
de cause, être dissociée d'une réflexion sur la réorganisation des flux de
monnaie fiduciaire. Les banques souhaiteraient, quant à elles, limiter les
risques du convoyage de fonds en obtenant l'autorisation de recycler
elles-mêmes les billets de banque, comme cela est autorisé par exemple en
Allemagne.
Enfin, la commission tient à souligner avec force que l'intervention des
acteurs privés ne doit pas exonérer l'Etat de ses obligations en matière de
sécurité.
Sous le bénéfice de ces observations, et compte tenu de l'urgence qui
s'attache à l'amélioration de la sécurité du transport de fonds, la commission
vous propose d'adopter le projet de loi sans modification.
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me
rappelle le titre, particulièrement bienvenu, du colloque national sur la
sécurité qui s'est tenu le 25 octobre 1997 à Villepinte « Des villes sûres pour
des citoyens libres ». Je me rappelle également, avec beaucoup d'intérêt, les
propos du Premier ministre à cette occasion : « Un citoyen dont la sécurité
n'est pas assurée ne peut exercer son droit à la liberté. Le principe
républicain de l'égalité entre les citoyens ne peut ignorer ce droit à la
sécurité. »
Nous étions nombreux, à l'époque, à nous réjouir de cette conversion de la
gauche « plurielle » aux réalités de la vie quotidienne, même s'il ne
s'agissait, ni plus ni moins, que d'un rappel de l'article II de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, qui proclame que la « sûreté » est l'un
des « droits naturels et imprescriptibles de l'homme ».
Le Gouvernement affichait alors clairement ses intentions : faire reculer
l'insécurité dans notre pays. Nous ne pouvions, bien entendu, que souscrire à
cette ambition, C'était en 1997...
Or que constate-t-on aujourd'hui ?
Monsieur le ministre, les faits sont accablants. Malgré une présentation
toujours plus habile des chiffres officiels, la délinquance et la criminalité
augmentent dans notre pays.
Je suis élu de la capitale, et je me limiterai à ce seul exemple. En 1999, la
délinquance a augmenté à Paris d'un peu plus de 2 % - 2,1 % exactement - alors
qu'elle s'est, nous dit-on, stabilisée sur l'ensemble du territoire national.
Cette dernière affirmation mériterait d'ailleurs d'être très largement nuancée
tant certaines formes particulières de délinquance sont en pleine explosion. Je
pense aux vols avec violence, aux vols à la tire, aux coups et blessures et aux
cambriolages, notamment. A cela s'ajoute un inquiétant rajeunissement des
populations délinquantes, puisque près de 40 % des délits de voie publique sont
commis par des mineurs.
Dans ces conditions, on ne peut s'étonner que, dans notre pays, augmente de
façon très inquiétante le sentiment d'insécurité.
La volonté affichée par le Gouvernement voilà moins de trois ans s'est
traduite par un échec de l'Etat dans l'une de ses fonctions essentielles, la
fonction régalienne qui consiste à assurer la sécurité de tous. Alors, faut-il
se résigner ? Y a-t-il une fatalité de l'insécurité ? Je ne peux pas le
croire.
Les raisons du constat actuel sont très claires. Plus les phénomènes de
délinquance s'amplifient et plus les moyens d'y répondre sont inadaptés. Cette
situation, toujours plus redoutable, est d'autant moins irrémédiable que des
exemples étrangers nous indiquent les voies que l'on pourrait suivre.
Par conséquent, la clé du succès, la condition
sine qua non
pour
combattre efficacement l'insécurité, en France comme ailleurs, c'est une
véritable volonté politique, volonté que vous avez affichée, monsieur le
ministre, mais que je ne retrouve pas dans les actes du Gouvernement. Le texte
que vous nous présentez en est la parfaite illustration. Contrairement à ce que
vous déclariez tout à l'heure, il s'agit d'un texte de circonstance, et rien
d'autre.
Il ne fait aucun doute que nous ne serions pas réunis aujourd'hui sur cet
ordre du jour s'il n'y avait pas eu une nette recrudescence des attaques de
fourgons blindés depuis le début de l'année et s'il n'y avait pas eu une grève
générale des convoyeurs de fonds du 9 au 24 mai dernier, avec les conséquences
que l'on sait.
Je regrette que les usagers, en particulier les plus modestes qui ne disposent
pas d'autres moyens de paiement, aient été pris en otage. Mais je regrette plus
encore l'imprévision du Gouvernement, qui ne pouvait ignorer les revendications
légitimes des convoyeurs de fonds.
La situation était connue de tous et le Gouvernement a joué les pyromanes en
refusant de traiter le problème en amont et d'engager le dialogue social en
dehors de toute crise.
Par ce texte, vous poursuivez dans la voie du désengagement de l'Etat.
Même si je ne conteste pas l'utilité des mesures proposées, je constate
qu'elles aboutissent au dessaisissement de l'Etat au profit des maires et des
donneurs d'ordre.
Pourtant, j'avais lu avec plaisir, dans le rapport de la commission des lois
de l'Assemblée nationale, qu'« assurer la sécurité du convoyage de fonds fait
partie des missions de l'Etat », et que cette activité a une dimension «
d'intérêt général ».
Comment mieux rappeler que la lutte contre l'insécurité est l'une des
prérogatives essentielles de l'Etat ?
Par conséquent, je partage pleinement les propos du rapporteur, notre
excellent collègue Jean-Pierre Schosteck, qui a souligné avec force que
l'intervention des acteurs privés ne devait pas exonérer l'Etat de ses
obligations en matière de sécurité.
C'est aussi pourquoi je regrette vivement la modestie de ce projet de loi, qui
traduit l'absence de politique ambitieuse et forte de lutte contre
l'insécurité.
L'existence isolée de ce texte n'est justifiée que par une actualité
dramatique, alors que tous les acteurs privés de la sécurité attendent avec
impatience un projet de loi plus vaste, qui devra consacrer leur participation
à la sécurité générale.
Il n'est plus possible d'en douter, la sécurité des personnes et des biens,
sur tous les points du territoire, ne peut être qu'une oeuvre en coproduction,
impliquant tous les acteurs.
La suppression de tous les dysfonctionnements dans la chaîne de production de
sécurité doit conduire à dégager tous les moyens nécessaires à l'efficacité de
la justice, de la police, ainsi que de tous les acteurs sociaux, municipaux et
privés.
La véritable urgence, monsieur le ministre, je le répète, c'est de déclencher
un véritable plan ORSEC de la sécurité.
(M. le rapporteur applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, mon intervention sera brève et elle vaudra également
explication de vote.
Nous examinons dans l'urgence un texte court, nécessaire, et sur lequel
l'unanimité devrait se faire puisque chacun est bien conscient qu'il entérine
les termes d'un accord laborieux entre les convoyeurs de fonds et leurs
employeurs.
Sauf à risquer la relance d'un conflit fortement perturbateur de l'activité
commerciale de détail, il convient donc d'entériner cet accord.
Cet accord, monsieur le ministre, n'est pourtant pas de circonstance puisque
le texte du projet de loi que nous examinons aujourd'hui est extrait d'un
projet plus large sur les activités de sécurité privée examiné le 17 mai
dernier par le conseil des ministres. Il est cependant de portée limitée,
chacun le constate, et il comporte des mesures qui auraient pu être prises par
voie réglementaire.
Il comprend deux ou trois points sur lesquels je formulerai quelques
remarques.
Ainsi, à l'article 1er, il ne me paraît pas opportun que les maires désignent
de façon trop précise l'emplacement exact où stationnera le fourgon de
convoyage. La solution devrait plutôt consister dans l'organisation d'un repli
éventuel rapide plutôt que dans la matérialisation du stationnement. Mais les
maires sont assez habiles pour en discuter avec les personnes intéressées.
Par ailleurs, on peut se demander pourquoi - c'est un point de détail - au II
de l'article 1er, il est prévu d'étendre la mesure aux transports de bijoux.
N'est-il pas plus sûr de transporter ce type d'objets de manière anonyme, dans
sa poche, dans le métro, plutôt que par fourgon ? Il est vrai que je ne suis
pas un spécialiste du transport de ce genre d'objets... Enfin, qui peut le
mieux, peut le moins !
Il est tout à fait souhaitable, en tout cas, de formaliser les obligations des
donneurs d'ordre en matière d'aménagements destinés à limiter les déplacements
piétonniers dans la phase de transports.
Bref, monsieur le ministre, vous le comprenez bien, le groupe socialiste
votera ce texte, sachant bien qu'il ne règle pas tout, hélas ! sachant bien que
cette activité demeurera dangereuse, sachant bien que l'amélioration de la
sécurité passe par une lutte accrue contre le grand banditisme assassin, contre
le trafic et la circulation des armes, dans la ligne des efforts considérables
- n'en déplaisent aux polémistes - que le Gouvernement réalise pour la sécurité
de ce pays.
Par ailleurs, il serait bon de favoriser la poursuite des recherches -
peut-être par une incitation financière - pour rendre le plus efficace possible
la destruction automatique des billets en cas d'ouverture des contenants par
une personne non autorisée.
Sous le bénéfice de ces remarques, monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste votera sans problème ce
projet de loi.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons
tous qu'un grand nombre de convoyeurs de fonds ont été victimes de leur
profession et qu'il était temps de mieux réglementer ce type d'activité. C'est
l'objet du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, projet de loi qui
devait s'inscrire dans un texte plus vaste relatif à la sécurité privée mais
que les événements ont poussé le Gouvernement à mettre à l'ordre du jour du
Parlement.
Un premier texte relatif à la sécurité privée avait déjà été déposé en 1995
sur le bureau du Sénat, et l'on peut penser que la loi d'orientation relative à
la sécurité de 1995 va poursuivre ses effets pendant très longtemps.
Nous avons eu ensuite à examiner la loi sur les polices municipales dans ses
divers avatars. Elle est votée maintenant et ses diverses dispositions ont été
mises en oeuvre y compris ses dispositions relatives à la formation des
policiers municipaux. Cependant, monsieur le ministre, je n'ose dire qu'une
meilleure répartition des forces de police et de gendarmerie sur le territoire
soit réellement entrée dans les faits puisque, s'il y a eu création d'une
police de proximité, beaucoup reste à faire pour mieux utiliser les forces de
police. Au demeurant, cela n'est plus du domaine de la législation puisque les
mesures nécessaires sont inscrites dans la loi. Au Gouvernement de les traduire
dans la réalité !
Voilà les quelques interrogations que me suggère l'examen d'un texte qui était
nécessaire et qui répond aux demandes justifiées des personnels, texte dont M.
le rapporteur a bien défini les enjeux et les conditions nécessaires à sa mise
en oeuvre.
Bien entendu, nous voterons ce texte. Toutefois, je voudrais faire remarquer
qu'il ne me semble pas que le meilleur moyen de faire respecter les obligations
soit de créer de nouvelles infractions ! Nous devons en être à plusieurs
milliers d'infractions. Il faudra un jour s'intéresser à ce problème et
peut-être prévoir des amendes civiles. Ce serait plus efficace, me semble-t-il,
que d'encombrer les tribunaux de police ou les tribunaux correctionnels avec
des infractions administratives qui pourraient être réglées autrement.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Le projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre, est important.
Il marque une étape nouvelle dans la recherche de solutions à une situation qui
se dégrade de jour en jour.
Huit mille convoyeurs de fonds sont confrontés à un risque croissant dans
l'exercice de leur fonction.
L'angoisse les gagne périodiquement, à l'occasion des obsèques de l'un des
leurs. Des luttes importantes sont menées dans la plus grande union, par les
organisations syndicales.
De nombreuses réunions interministérielles ont été organisées, notamment dans
les trois dernières années, pour préparer les textes réglementaires et
législatifs adéquats.
Ce projet de loi constitue une première étape dans l'élaboration d'un projet
plus complet et certainement plus efficace.
Actuellement, le chiffre d'affaires du secteur de la sécurité privée est
évalué à 15 milliards de francs. Nous estimons que l'extension de cette
activité rend indispensable une réflexion d'ensemble sur la sécurité privée,
étant entendu que l'Etat ne devra pas abandonner ses prérogatives
régaliennes.
Mais, aujourd'hui, c'est l'efficacité des mesures qui compte pour notre
groupe.
La violence a gagné tous les secteurs de la vie sociale, de l'école au lieu de
travail. Cette violence se traduit aussi par des morts. Si l'on se réfère aux
statistiques publiées par la direction de la police et de la gendarmerie pour
l'année 1998 - celles de 1999 devraient être publiées très bientôt - on compte,
dans notre pays, 73 morts violentes pour 100 000 habitants, la plupart
résultant d'homicides liés aux actes des malfaiteurs entre eux, mais aussi
d'homicides ou de tentatives d'homicides accompagnant des vols ou des
tentatives de vols avec armes.
Les convoyeurs de fonds paient lourdement le développement de cette violence,
de ces meurtres, qui sont le fait de véritables commandos du crime, puissamment
armés.
Selon la répartition admise par le ministère de l'intérieur, on relève, pour
l'année 1998, suivant les différents types de morts violentes, 39 morts par
règlements de comptes entre malfaiteurs, 816 par homicides, dont ceux qui sont
commis à l'occasion de vols, et 1 189 tentatives d'homicides pour vols.
Par ailleurs, 12 769 vols avec violence et armes ont été relevés, soit une
augmentation de 2 % par rapport à 1997.
Sur ces 12 769 vols avec violence et armes, 50 % sont dirigés contre des
établissements financiers et industriels, avec le développement d'un réseau du
crime de plus en plus déterminé n'hésitant plus à tuer d'abord pour voler
ensuite.
Les crimes contre les convoyeurs de fonds s'inscrivent dans ce bilan. Le
problème se pose avec une actualité renouvelée. Jeudi 22 juin, les obsèques à
Puget-sur-Argens d'un convoyeur de fonds, dernière victime, ont eu lieu,
faisant suite aux assassinats de convoyeurs à Bordeaux le 25 janvier, à
Grenoble le 27 avril et à Nanterre le 5 mai.
Ainsi s'instaure un cycle d'attaques qui deviennent mortelles, dignes de la
détermination d'un véritable syndicat du crime, puissamment armé. Nous sommes
dans un secteur d'activité du crime qui est directement lié au travail et qui
fait trop de victimes innocentes et dépourvue, dans un des secteurs les plus
nobles de la vie des hommes.
Ces victimes sont en effet innocentes, car choisies au hasard, inconnues de
tous les acteurs du drame quelques secondes avant qu'il ne se produise.
Devra-t-on continuer à admettre que 8 000 salariés sont menacés de mort du
simple fait d'exercer leur droit au travail, pour un salaire parfois dérisoire
par rapport au risque encouru ?
Ces victimes sont dépourvues également des moyens de se protéger
efficacement.
Il est injuste que d'honnêtes travailleurs deviennent les boucliers vivants de
sociétés qui se refusent à les considérer comme des pères de familles ou des
citoyens dévoués et ne voient en eux que de simples transporteurs de fonds, ce
qu'ils sont à 70 % pour les banques et à 20 % pour les grandes sociétés de
distribution.
Il convient donc de se montrer sévère avec les deux grands du convoyage, qui
connaissent parfaitement les risques encourus et persistent dans leurs erreurs
par simple volonté de profits. Et pourtant, la vie des hommes ne doit-elle pas
être le premier paramètre à considérer ?
Le chiffre d'affaires des sociétés de convoyage était, cette année, de 1,729
milliard de francs, en hausse de 3,3 % par rapport à l'année précédente. Parmi
ces sociétés, Brink's-France, filiale du groupe américain, et Ardial-Serve,
filiale du groupe suisse USB, réalisent seules 1,350 milliard de francs.
Aujourd'hui, elles se doivent de relever le défi que constitue une méthode de
gestion donnant priorité à la sécurité.
Je ne me souviens pas avoir jamais rencontré, dans l'énoncé des revendications
du monde du travail, celle qui figure sur les pancartes des manifestants des
convoyeurs de fonds : « Stop aux assassinats », et cela dans une France dont on
nous vante la modernité, le plaisir de vivre, la douceur des moeurs, la
concertation à tous les niveaux.
Je suis intervenue à plusieurs reprises sur ce sujet, vous le savez, monsieur
le ministre. Ici même, je vous ai questionné le 5 mai 1998 - en votre absence,
c'est M. Richard, ministre de la défense, qui m'a répondu - sur les conditions
d'exercice de cette profession. J'ai également été reçue à plusieurs reprises à
votre cabinet, avec les syndicats des convoyeurs de fonds.
Au cours de ces deux années, des réunions, des délégations, des décrets, des
promesses ont créé un climat nouveau d'écoute, mais n'ont pas comblé les vides,
les insuffisances, et des textes qui font que les crimes continuent d'être
perpétrés ont été maintenus.
A la suite d'une longue grève, de premières avancées ont été accomplies telles
que l'interdiction du convoyage la nuit, l'amélioration de la qualité des
gilets pare-balles et une certaine amélioration des salaires, même si elle
reste faible.
Le décret du 28 avril 2000 a procédé à une première refonte du dispositif
réglementaire sur la qualité du blindage des fourgons, ce qui est bien
nécessaire, car les agresseurs tirent désormais sans sommation. On peut se
demander si, dans certains cas, leur détermination n'est pas de tuer ! Ce n'est
plus la bourse ou la vie ; c'est la vie et la bourse !
A ce propos, monsieur le ministre, estimez-vous normal que la vente des
fourgons blindés soit libre, ce qui permet aux commandos criminels de tester
les blindages ?
Dans un communiqué de presse du 19 mai transmis par une organisation
syndicale, nous apprenons qu'une casse de voitures accueille illégalement, et
sans aucune surveillance, une dizaine de fourgons blindés dans la banlieue nord
de Paris. C'est un terrain d'entraînement idéal pour les braqueurs désireux de
tester les blindages.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que cesse ce trafic honteux
de fourgons ? Pour 10 000 francs, prix d'achat d'un vieux fourgon, le commando
du crime peut tester la résistance des blindages.
Le décret du 20 avril dernier précise bien que le préfet doit être informé de
cette vente, mais il semble que beaucoup reste à faire pour que ce décret soit
appliqué dans les faits.
Dans ce décret sont également prévues la création de cellules départementales
de la sécurité des transports de fonds, de nouvelles sanctions pénales, les
modalités d'agrément du port d'armes, la ventilation, la climatisation du
véhicule blindé, etc.
Même si certaines dispositions apparaissent encore perfectibles, ce décret
constitue une étape dans la reconnaissance d'un métier à risque.
Toutefois, monsieur le ministre, des problèmes demeurent entiers, vous le
savez bien, et tout d'abord celui de la définition du métier de transporteur de
fonds, incluant la notion d'utilité publique.
Plus généralement, j'estime souhaitable que soit élaboré un statut particulier
pour les sociétés de transport de fonds qui les distinguerait des sociétés de
surveillance et de gardiennage et les soumettrait à des obligations de
transparence. Cette initiative offrirait l'avantage d'intégrer la notion de
métier à risque, d'aménager une convention collective adaptée et de qualifier
cette profession de sous-traitant du secteur bancaire. En outre, elle
clarifierait les relations entre les donneurs d'ordre et les transporteurs de
fonds. Enfin, de telles dispositions permettraient à l'institut d'émission
d'accomplir pleinement la mission d'entretien et de contrôle de la circulation
fiduciaire que lui a confiée le législateur.
D'autres problèmes attendent des solutions, des manifestations de volonté, des
engagements de la part des sociétés de convoyage, et notamment Ardial et la
Brink's.
La fixation des horaires de passage doit rester secrète. Trop souvent, le
commando du crime connaît l'heure de livraison ou de ramassage. Quelle aubaine
! La routine, le train-train doivent faire place à un peu plus
d'imagination.
Les situations sont loin d'être toutes semblables : il existe des lieux de
livraison plus sensibles, plus vulnérables. Ne doivent-ils pas être protégés
par des forces de l'ordre, surgissant au moment opportun et assurant la
protection des convoyeurs, mais aussi celle du public ? La police doit assurer
également la sécurité des clients et des employés de la banque, ou ceux du
centre commercial. Un service public de sécurité doit être clairement défini et
assuré sur le lieu même de l'échange des fonds.
L'utilisation de véhicules banalisés doit être proscrite. Avec des blindages,
la protection est loin d'être suffisante mais, sans le blindage elle devient
nulle.
Dans la semaine où Jacques Bosetti, de la société Sazias, a été assassiné,
cinq attaques sont intervenues sur des véhicules banalisés, dont certains
étaient équipés du système HDS d'Axy-Trans : à Meaux, deux attaques sur
véhicule équipé de système ; à Nantes, sur véhicule banalisé ; en Haute-Saône,
sur un véhicule équipé d'un système ; dans le Val-de-Marne, sur un véhicule
équipé d'un système.
J'insiste beaucoup sur la nécessité d'une interdiction du véhicule banalisé,
beaucoup plus vulnérable et plus facile à attaquer.
D'autres revendications avancées par les convoyeurs de fonds doivent être
satisfaites.
Le seuil financier du transfert, actuellement de 200 000 francs, devrait être
abaissé à 30 000 francs.
Dans les fourgons blindés, afin de rendre éventuellement les fonds dérobés
inutilisables, les systèmes de maculage préconisés, parfois utilisés dans la
période récente, doivent être embarqués.
Les fourgons ne devraient-ils pas également être réservés au seul transfert de
fonds, à l'exclusion du transfert des coffres ?
J'ai réservé pour la dernière partie de mon intervention la question de la
mise en place de systèmes nouveaux d'accueil des fourgons sur le lieu de
livraison pour le transfert de fonds.
La circulation, l'approche, le stationnement des fourgons devant la banque, le
centre commercial ou l'entreprise sont de la responsabilité de celui qui
profite de l'intervention, qu'il s'agisse d'apport ou de ramassage de fonds.
Doit être exclu le transport piétonnier, qui est un moment de vulnérabilité
évidente. Il faut donc aménager un lieu discret, voire caché, et protégé pour
l'ouverture du fourgon et des opérations de manutention.
De la même manière que tout équipement public ou privé doit disposer d'un
local pour accueillir l'organisation de la sécurité incendie, il faut que,
désormais, ce même équipement dispose d'un local protégé pour l'accueil des
fourgons et la manutention des fonds.
De la même manière qu'un permis ne peut pas être délivré sans que soient
scrupuleusement respectées les mesures prévues pour la sécurité incendie,
vérifiées par la commission départementale, il faut que le permis ne soit
délivré que si la commission départementale a vérifié la présence d'un
dispositif d'accueil conforme.
Le projet de loi va dans ce sens, mais ne s'arrête-t-il pas en chemin ? Les
prérogatives des maires sont étendues en vue de réserver des emplacements
spécifiques sur la voie publique et de prévoir l'aménagement de locaux protégés
pour les opérations décidées par le donneur d'ordre, qui doivent être
effectuées en toute sécurité.
Nous l'approuvons tout en souhaitant que les décrets d'application précisent
le caractère obligatoire du local sécurisé pour toute construction nouvelle, et
donc intégré dans le permis de construire. Cela implique également le dépôt
d'un permis de construire modificatif - ou, tout au moins, d'une déclaration de
travaux - devant être instruit pour agrément et autorisation par le maire, la
direction départementale de l'équipement et le préfet.
Le simple trappon ne me semble pas suffisant, même s'il représente un progrès.
Il faut un local spécifique protégé et sécurisé. Les dérogations doivent être
limitées à des impossibilités physiques objectives. Elles doivent être
strictement exceptionnelles.
Nous voterons ce projet de loi, mais nous serons vigilants quant à la
publication des décrets, et le délai de six mois nous apparaît comme un
maximum.
Nous n'oublierons pas non plus le rôle de la Banque de France. L'article 5 de
la loi du 13 mai 1998 précise en effet : « La Banque de France a pour mission
d'assurer l'entretien de la monnaie fiduciaire et de gérer la bonne qualité de
sa circulation sur l'ensemble du territoire. »
Les 130 caisses de la Banque de France sont concernées. Les risques ne
sont-ils pas accrus par la longueur des trajets, sur lesquels c'est un
véritable trésor qui est transporté ?
Monsieur le ministre, l'information des commandos du crime est souvent très
précise et explique l'efficacité des actions perpétrées.
Notre groupe votera donc le projet proposé. Il tient cependant à souligner la
déconnexion du texte, qui n'est pas nécessairement opportune sur le fond, mais
qui se justifie pas l'urgence de la situation.
Nous relevons également l'opportunité des modifications apportées par
l'Assemblée nationale quant à l'encadrement du futur décret, s'agissant
notamment des sanctions en cas de non-respect des obligations du décret. Il
serait néanmoins nécessaire d'aller plus loin dans les obligations imposées aux
donneurs d'ordre et d'imposer des contraintes dans les documents
d'urbanisme.
De même, à l'échelon de chaque entreprise, un protocole de sécurité doit être
discuté, défini et appliqué. Ce serait le meilleur moyen de mener une action
réfléchie et coordonnée, action qui pourrait alors se révéler efficace.
Nous souhaitons également que de nouvelles augmentations de salaires, des
primes de risque et de nouvelles possibilités de formation soient accordées.
Les convoyeurs de fonds seront ainsi mieux reconnus et plus respectés.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - I. - Au 1° de l'article L. 2213-3 du code général des
collectivités territoriales, après les mots : "et pour les besoins exclusifs de
ce service, ", sont insérés les mots : "et, dans le cadre de leurs missions,
pour les véhicules de transport de fonds, de bijoux ou de métaux précieux,".
»
« II. - Le 2° du même article est complété par les mots : "ainsi que des
véhicules de transport de fonds, de bijoux ou de métaux précieux, dans le cadre
de leurs missions". »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Articles 2 et 3
M. le président.
« Art. 2. - Les personnes faisant appel, de façon habituelle, à des personnes
physiques ou morales exerçant l'activité de transport de fonds, de bijoux ou de
métaux précieux doivent aménager leurs locaux de façon à sécuriser l'accès des
véhicules utilisés pour cette activité et limiter le transport à pied des
valeurs qu'elles leur confient.
« Un décret détermine les aménagements dont les locaux desservis doivent être
dotés en fonction des caractéristiques des immeubles ainsi que de la nature des
activités qui y sont exercées et des conditions de leur desserte. Ce décret est
publié au plus tard dans un délai de six mois à compter de la publication de la
présente loi.
« Les locaux existants à la date de la publication de la présente loi, ainsi
que ceux qui, à cette même date, n'auront pas fait l'objet de la réception
prévue à l'article L. 111-19 du code de la construction et de l'habitation
doivent être dotés des aménagements prévus par le décret mentionné à l'alinéa
précédent au plus tard le 31 décembre 2002. » -
(Adopté.)
« Art. 3. - I. - Est puni de 100 000 francs d'amende le fait de ne pas
respecter les obligations prévues à l'article 2. »
« II. - Les personnes morales peuvent être déclarées responsables, dans les
conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal, de l'infraction prévue au
I.
« III. - Les personnes morales encourent les peines suivantes :
« 1° L'amende, dans les conditions prévues par l'article 131-38 du code pénal
;
« 2° Les peines mentionnées aux 2°, 4°, 6°, 7° et 9° de l'article 131-39 du
même code. » -
(Adopté.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze
heures.)
M. le président. La séance est reprise.
8
CANDIDATURES
A` UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président.
J'informe le Sénat que la commission des lois m'a fait connaître qu'elle a
procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à la commission mixte
paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission
mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.
9
SOUHAITS DE BIENVENUE
A` UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
DE MOLDAVIE
M. le président.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune
officielle d'une délégation du Parlement de Moldavie, conduite par son
président, M. Dumitru Diacov, qui séjourne en France à l'invitation du
Sénat.
J'espère que cette visite permettra d'approfondir encore les relations déjà
très vives entre nos deux assemblées.
Au nom de la Haute Assemblée, je lui souhaite la bienvenue et je forme des
voeux pour que son séjour en France contribue à fortifier les liens et l'amitié
entre nos deux pays.
(M. le secrétaire d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et
applaudissent.)
10
SERVICES D'INCENDIE ET DE SECOURS
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 405,
1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la prolongation du
mandat et à la date de renouvellement des conseils d'administration des
services d'incendie et de secours ainsi qu'au reclassement et à la cessation
anticipée d'activités des sapeurs-pompiers professionnels. [Rapport n° 425
(1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, je me félicite de l'examen de cette proposition de loi
devant la Haute Assemblée.
En effet, ce texte répond à une réalité incontestable, tant dans le domaine du
fonctionnement des SDIS, services départementaux d'incendie et de secours, que
dans celui de l'amélioration de la prise en compte des contraintes
opérationnelles des sapeurs-pompiers professionnels en fin de carrière.
Je remercie la commission des lois et son rapporteur, M. Jean-Jacques Hycot,
pour la diligence dont ils ont fait preuve dans l'examen de ce texte important
pour les responsables des conseils d'administration des SDIS et pour les
sapeurs-pompiers professionnels.
Tout d'abord, cette proposition de loi permet de mettre en cohérence avec le
calendrier électoral le renouvellement des premiers conseils d'administration
des services départementaux d'incendie et de secours qui ont été installés
entre le printemps 1997 et le printemps 1998. Le changement des conseils
d'administration devait intervenir entre le printemps 2000 et le printemps
2001, c'est-à-dire juste avant le renouvellement des conseils municipaux et des
conseils généraux.
Dans ces conditions, le report du renouvellement des conseils d'administration
des services départementaux d'incendie et de secours jusqu'à quatre mois après
les élections locales répond à une préoccupation de bonne administration. De
nombreux élus et leurs organisations représentatives ont saisi le ministre de
l'intérieur de cette question.
L'article 1er de cette proposition de loi me paraît donc tout à fait opportun.
Il s'inscrit dans une logique d'efficacité. En tendant à une prolongation du
mandat des conseils d'administration, il permet d'éviter des élections
successives pendant la procédure d'élaboration des budgets des SDIS et
d'installer directement une représentation qui sera le reflet des résultats des
scrutins cantonaux et municipaux de 2001.
Ensuite, cette proposition de loi concerne également les sapeurs-pompiers
professionnels. Nous avons tous en mémoire les images de la catastrophe du
tunnel du Mont-Blanc. Un sapeur-pompier âgé de près de cinquante ans y a laissé
sa vie, victime de son devoir. Selon toute probabilité, l'âge de la victime a
été un facteur supplémentaire dans les causes du décès dans cette fournaise
qu'était devenu le tunnel, tunnel dans lequel, vous vous en souvenez,
trente-neuf personnes ont trouvé la mort.
Nous avons le devoir de prévenir ce type d'accident par une véritable
politique de prévention appropriée. C'est ainsi que le ministre de l'intérieur
a demandé à ses services de réformer les conditions d'aptitude physique des
sapeurs-pompiers professionnels. Des études ont, en effet, montré que les
agents en fin de carrière résistaient plus difficilement à de violents efforts
cardio-respiratoires et aux agressions diverses auxquels ils peuvent être
confrontés. Un arrêté, publié le 6 mai 2000, fixe désormais les nouvelles
conditions d'aptitudes physiques des sapeurs-pompiers.
Les conditions de travail pénibles et le haut niveau d'aptitude physique
nécessaire peuvent justifier la mise en oeuvre d'un dispositif spécifique
prenant en compte ces contraintes professionnelles fortes.
Le Gouvernement a pris des engagements allant dans ce sens à l'égard de la
profession. Ces engagements ont été formalisés dans un protocole d'accord
signé, le 22 décembre dernier, avec les principales organisations syndicales de
sapeurs-pompiers.
Pour respecter ces engagements, le Gouvernement avait initialement inclus ces
dispositions dans le projet de loi de modernisation sociale dont l'examen a été
repoussé à la fin de l'année en raison du programme parlementaire.
C'est la raison pour laquelle, comme le souligne M. le rapporteur, le
Gouvernement, dans le respect des engagements pris, a proposé, par voie
d'amendement, d'introduire ces dispositions dans la proposition de loi déposée
par M. Jacques Fleury et que l'Assemblée nationale a adoptée à l'unanimité le 6
juin dernier.
La proposition de loi que vous examinez aujourd'hui va donc dans le sens
souhaité par le Gouvernement d'une meilleure prise en compte de la spécificité
de la profession de sapeur-pompier. Ses dispositions ouvrent plusieurs choix à
l'agent. Outre la possibilité de demeurer en fonction, l'agent peut bénéficier
soit d'un reclassement, soit d'une cessation anticipée d'activité.
Les dispositions soumises à votre examen encouragent, par des mesures
incitatives, les possibilités de reclassement dans d'autres emplois de la
fonction publique territoriale, alors que le fonctionnement des SDIS ne permet
pas d'offrir un nombre suffisant de postes sédentaires aux agents concernés.
L'agent continue à bénéficier dans son nouveau corps ou cadre d'emploi des
dispositions propres aux sapeurs-pompiers professionnels : possibilité de
départ à la retraite à cinquante-cinq ans, intégration de l'indemnité
spécifique dans le calcul des droits à pension, application des dispositions
relatives à la bonification du cinquième du temps de service.
La seconde partie du dispositif est plus novatrice. Elle consiste à offrir à
l'agent une possibilité de cessation d'activité anticipée sous forme d'un congé
pour difficulté opérationnelle à partir de cinquante ans. Le sapeur-pompier,
sur la base d'une démarche volontaire, après avis médical et au prix d'une
baisse de revenu, peut cesser son activité professionnelle avant de pouvoir
bénéficier de ses droits à la retraite à l'âge de cinquante-cinq ans. Cette
disposition, qui est la traduction fidèle du contenu du protocole d'accord,
permettra, au prix d'un effort budgétaire limité pour les collectivités locales
ou les services d'emplois, de prendre en compte la pénibilité des missions
auxquelles les sapeurs-pompiers professionnels sont confrontés de manière
quotidienne.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement soutient cette proposition de
loi. Dictée par un souci d'efficacité, elle traduit en effet en termes concrets
la reconnaissance de la nation envers ce corps qui ne ménage jamais ni sa peine
ni son dévouement.
M. le rapporteur vous proposera une adoption conforme qui permettra, je le
crois, de répondre à des préoccupations immédiates et qui, en tout cas,
améliorera fortement le dispositif de fonctionnement des services
départementaux d'incendie et de secours et la situation des sapeurs-pompiers
les plus âgés dans le corps.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une proposition
de loi avait effectivement été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale
pour prolonger le mandat des membres des conseils d'administration au-delà des
élections municipales et cantonales de mars 2001.
La loi de 1996 ayant mis en place pour trois ans les premiers conseils
d'administration entre septembre 1997 et mars 1998, il aurait fallu renouveler
ces derniers quelques mois avant les prochaines échéances électorales
locales.
Pour que cette situation ne se reproduise pas, il était souhaitable de
renouveler les conseils d'administration des SDIS dans un délai de quatre mois
suivant les élections locales, ce qu'a fait l'Assemblée nationale. La
commission des lois du Sénat vous proposera, bien sûr, d'adopter ce
dispositif.
Pour tenir compte d'une disposition figurant dans l'article 23 d'un projet de
loi de modernisation sociale que le calendrier parlementaire n'a pas encore
permis d'examiner, le Gouvernement a souhaité déposer un amendement important
en ce sens qu'il modifie le statut des sapeurs-pompiers professionnels.
Déposé en séance, il n'a pu être examiné par la commission des lois de
l'Assemblée nationale, ce qui est toujours regrettable, car il aurait
certainement pu être amélioré au cours de la discussion.
Néanmoins, nous savons que cet amendement est destiné à répondre aux
difficultés rencontrées par les sapeurs-pompiers dans l'exercice de leur
profession, difficultés qui ont été à l'origine de mouvement de l'hiver dernier
et du protocole adopté à la fin de l'année 1999. Ce protocole a été approuvé,
sinon par toutes, du moins par la majorité des organisations syndicales et
professionnelles de sapeurs-pompiers.
S'il est vrai que la plupart des sapeurs-pompiers ne sont pas inaptes au
travail à cinquante ans, il arrive que certains soient inaptes aux activités
opérationnelles.
Cela pose un problème délicat aux collectivités, notamment aux services
départementaux, puisque, par prudence, pour tenir compte des avis médicaux,
elles ne sauraient continuer à les affecter dans des services opérationnels.
Quelques services ont déjà prévu des postes sédentaires et ont procédé à ces
reclassements.
Encore faut-il qu'ils aient une dimension suffisante. C'est le cas du service
départemental d'incendie et de secours de Seine-et-Marne, qui procède à ce
reclassement depuis dix ans, et ce dans des conditions presque plus favorable
que celles qui nous sont proposées.
Néanmoins, puisqu'il s'agit d'un reclassement dans d'autres collectivités,
cela suppose que ces dernières soient volontaires. Il ne saurait leur être
imposé, contrairement au cas des personnels privés d'emploi qui sont affectés
systématiquement aux centres de gestion.
Le Gouvernement a fait une autre proposition qui a été acceptée : les
sapeurs-pompiers peuvent prendre leur congé à partir de cinquante ans, en
bénéficiant de 75 % de leur traitement. Un certain nombre d'entre eux peuvent
être intéressés, dans la mesure où ils se sentent fatigués et incapables de
continuer à assurer leurs activités dans de bonnes conditions.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous connaissez les risques d'accident
inhérents à la difficulté de la tâche : c'est ainsi que le rythme
cardio-vasculaire est très fortement sollicité dans cette profession.
Par ailleurs, les risques chimiques, l'utilisation d'appareils respiratoires
isolants - vous avez signalé le cas du sapeur-pompier décédé sous le tunnel du
Mont-Blanc - prouvent qu'une très grande prudence s'impose. Les services
médicaux des sapeurs-pompiers ont besoin d'un meilleur équipement et les
médecins doivent être capables de détecter ces pathologies et d'y faire face.
En effet, les sapeurs-pompiers peuvent avoir un accident même quelquefois avant
l'âge de cinquante ans. Tel a été le cas récemment dans mon département.
Par conséquent, ces dispositions sont bienvenues, mais elles ont un coût non
négligeable pour les collectivités locales. Selon une étude d'impact, 2 400
sapeurs-pompiers seraient potentiellement concernés par ce dispositif. Or le
congé d'un sapeur-pompier pour difficulté opérationnelle entraînerait une
charge supplémentaire annuelle moyenne de 30 000 francs pour les SDIS.
S'agissant du reclassement professionnel, l'indemnité différentielle versée
par les SDIS reviendrait à 8 500 francs par an au moins pendant deux ans, étant
entendu que de jeunes sapeurs-pompiers seraient recrutés, ce qui compenserait
le surcoût de ces mesures.
En dépit des améliorations que nous aurions pu apporter à ce dispositif, la
commission des lois vous propose d'adopter conforme le texte adopté par
l'Assemblée nationale. En effet, d'une part, il est urgent de proroger le
mandat des membres du conseil d'administration, faute de quoi un certain nombre
de services seraient obligés d'organiser des élections dès le mois de
septembre. D'autre part, les sapeurs-pompiers professionnels, qui se sont
beaucoup mobilisés sur ce sujet, attendent que les engagements du Gouvernement
soient tenus. En fait, seul le Parlement peut les tenir. Il est donc urgent
d'adopter ce dispositif.
Cette profession est, comme d'autres, difficile à exercer en matière de
sécurité. Nous en connaissons les contraintes. Nous savons aussi que les
revendications, qui sont quelquefois exprimées en utilisant la manière forte,
pourraient se manifester d'une façon plus civile. En effet, un certain nombre
de manifestations à Paris se sont déroulées dans des conditions tout à fait
regrettables. Mais il ne s'agissait que d'une petite minorité. Les
sapeurs-pompiers savent également faire preuve de civisme, notamment lors des
grandes difficultés telles que celles qu'a connues notre pays au moment des
tempêtes du mois de décembre dernier. Comme les autres services, ils se sont
mobilisés et ils méritent bien que l'on fasse un effort en leur faveur.
(M.
Bimbenet applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Le texte que nous examinons aujourd'hui comporte deux volets : un volet
purement technique, qui constitue le projet initial du Gouvernement, auquel a
été rajouté un volet social améliorant, de façon très importante, les
conditions d'exercice de l'activité des sapeurs-pompiers professionnels.
La première partie du texte ne présente aucune difficulté. Elle corrige la
maladresse qui fixait à trois ans la durée du mandat des administrateurs et,
par voie de conséquence, des vice-présidents et des présidents des conseils
d'administration des SDIS. Il serait en effet stupéfiant que l'on élise dans
quelques mois de nouveaux conseils d'administration qui devraient être
renouvelés quelques mois, voire quelques semaines après les élections
cantonales et municipales de mars 2001. Il s'agit donc d'une proposition de
pure sagesse, à laquelle je rends hommage.
Cela me donne l'occasion de rappeler que la loi de 1996 est très critiquée
dans ses aspects financiers comme dans ses aspects fonctionnels. Par
conséquent, il conviendra assez vite - peut-être à la suite du rapport Fleury -
de corriger par la voie législative ces dysfonctionnements, peut-être, puisque
cela a été suggéré, en adossant le conseil d'administration du SDIS à une
collectivité financièrement solide et administrativement exercée. Devinez à qui
je fais allusion !
Le second volet de la proposition de loi, qui a été ajouté à la demande du
Gouvernement, est, comme le texte que nous avons examiné en fin de matinée sur
les convoyeurs de fonds, la transcription d'un protocole d'accord social entre
le Gouvernement et plusieurs organisations syndicales.
Comme pour le texte précédent, ce protocole d'accord mettait fin à un conflit
douloureux au cours duquel - et je rejoins à cet égard les propos qui ont été
tenus par M. le rapporteur - quelle que soit la légitimité des revendications,
un certain nombre de sapeurs-pompiers professionnels ne se sont pas conduits
d'une façon convenable, notamment lors des manifestations parisiennes.
Néanmoins, un accord est intervenu, ce dont je me félicite, sur des
revendications légitimes, accord que nous entérinerons par notre vote.
Pour autant, n'ayons garde d'oublier que les trois quarts des interventions de
sécurité civile sont effectuées par des sapeurs-pompiers bénévoles, qui sont
désormais bien formés et parfaitement compétents. Les mesures incitatives qui
sont prises depuis plusieurs années pour assurer leur recrutement et leur
renouvellement sont, certes, positives mais elles sont encore insuffisantes et
il conviendrait d'y apporter un certain nombre d'améliorations.
Je rappellerai aussi que les reclassements ou les congés pour difficultés
opérationnelles posent, de façon plus large, la question du vieillissement dans
la fonction publique, notamment dans la fonction publique territoriale. Nous
savons bien que l'absentéisme lié à ce vieillessement connaît une très forte
augmentation.
Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, avant que ne se produisent des dérives
trop importantes et que le traitement ponctuel, et légitime, de la situation
d'une catégorie n'entraîne une surenchère en forme d'échelle de perroquet, il
est sûrement indispensable d'approfondir la réflexion et d'aboutir, autant que
possible, à des conclusions sur la pénibilité et la dangerosité de l'ensemble
des métiers de la fonction publique territoriale. Une étude pourrait être
confiée, en relation avec la direction générale des collectivités locales, la
DGCL, au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le CSFPT, dont
les conclusions pourraient conduire à prendre des mesures d'ordre réglementaire
ou législatif.
En tout cas pour sa part, le groupe socialiste votera sans difficulté ce texte
conforme, comme le souhaite la commission.
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
présente proposition de loi, déposée par notre collègue député Jacques Fleury,
est d'ordre technique. Elle tend à proposer une solution pratique à un problème
lié au calendrier et ne pose donc aucune difficulté au fond.
Le renouvellement des conseils d'administration des SDIS s'effectuant tous les
trois ans, les prochains renouvellements doivent s'échelonner en fonction de la
date de leur première élection, à savoir entre l'automne 2000 et le printemps
2001.
Ce calendrier soulève des difficultés, puisque la plupart des conseils
d'administration des services départementaux d'incendie et de secours devraient
être renouvelés avant les élections cantonales et municipales de mars 2001,
alors même que leur composition doit être représentative des collectivités
locales et de leurs groupements.
Ce téléscopage temporel a conduit à proroger le mandat des conseils
d'administration des services d'incendie et de secours jusqu'à l'organisation
des élections municipales et cantonales de 2001. Les conseils d'administration
seront ainsi renouvelés dans les quatre mois suivant le prochain renouvellement
des conseils généraux et des conseils municipaux. Voilà qui nous agrée,
monsieur le secrétaire d'Etat !
Le Gouvernement a saisi l'occasion de la discussion de cette proposition de
loi pour légiférer sur la retraite anticipée des sapeurs-pompiers
professionnels. A l'origine, ces dispositions devaient être intégrées au projet
de loi de modernisation sociale. Celui-ci étant repoussé à la prochaine
session, le Gouvernement a souhaité tenir les engagements qu'il avait pris en
décembre 1999. Nous nous félicitons que le calendrier soit ainsi respecté.
En effet, le protocole d'accord, signé entre le ministère et les
sapeurs-pompiers professionnels, prévoyait l'adoption de mesures législatives
dans le courant du printemps 2000. On comprend aisément la volonté du
Gouvernement de voir ce texe adopté conforme.
Le protocle du 13 décembre 1999 mettait fin à une longue série de crispations
et de conflits dans cette profession, qui était en proie au doute depuis le
début de l'année 1999.
A l'occasion de ces négociations, l'assurance a été donnée aux délégués des
pompiers que tous pourraient bénéficier d'une retraite à partir de cinquante
ans, à condition d'avoir effectué vingt-cinq ans d'activité chez les
sapeurs-pompiers.
Or, le 6 juin dernier, lors de la discussion de la présente proposition de
loi, l'amendement gouvernemental transcrivant le protocole d'accord faisait
malheureusement l'impasse sur la clause particulière des agents du service
entrés dans la carrière après vingt-cinq ans.
Nous vous proposons donc, par voie d'amendement, de pallier cet oubli, notre
intention n'étant pas de prendre du retard dans l'adoption du texte.
L'ensemble de ces questions et revendications est une conséquence directe de
la loi du 3 mai 1996 relative aux services d'icendie et de secours, qui vise à
garantir des secours équitables et homogènes sur l'ensemble du territoire, idée
à laquelle nous adhérons.
Pourtant, à l'époque, notre groupe avait craint que la rationalisation, que
sous-entendait l'institution des schémas d'analyse et de couverture des
risques, ne se révèle être, à l'expérience - malheureusement, nous en faisons
le constat - la recherche d'une efficacité avant tout financière. Elle a, en
particulier, eu pour conséquence de faire reculer les acquis d'une culture
citoyenne - je pense notamment au volontariat - et d'aggraver les coûts pour
les communes et les départements auxquels il incombe, et à eux seuls, d'abonder
les ressources des services départementaux d'incendie et de secours.
On ne peut l'ignorer, la départementalisation des services de secours suscite
aujourd'hui la « grogne » des professionnels et les plus grandes inquiétudes
chez les maires et les conseillers généraux.
Tous les transferts devront être terminés au 4 mai 2001. Nous sommes donc dans
la dernière ligne droite, avant la mise en place définitive du dispositif.
Que constatons-nous ? La rationalisation des services départementaux
d'incendie et de secours conduit à des regroupements d'installations et à des
mises à disposition de biens communaux, qui ne sont pas toujours bien acceptés
par les élus locaux.
On cite ainsi l'exemple d'un département où, sur 3 430 pompiers, 330 sont des
sapeurs-pompiers professionnels dont la quasi-totalité, soit 328, sont
installés sur la seule agglomération-centre.
On est bien loin d'une répartition équilibrée et d'une garantie des secours
équitables et homogènes sur l'ensemble du territoire.
Les élus locaux déplorent de voir partir leurs installations et leurs
pompiers, auxquels ils sont tant attachés, départ qui a pour conséquence la
diminution du nombre de volontaires, qui s'estiment par ailleurs oubliés.
J'évoquais plus haut les conséquences financières. Dans mon département, le
Nord, les contributions des communes ont été multipliées par trois, par quatre
et même par neuf - une commune s'est même vu infliger une multiplication par
dix-neuf - et celle du conseil général a doublé, ce qui est évidemment
insupportable pour les budgets des communes et du conseil général.
Pour pallier, précisément, la lacune de financement, les groupes communistes,
à l'Assemblée nationale et au Sénat, ont déposé, sur le bureau de leur chambre
respective, une proposition de loi visant à solliciter les compagnies
d'assurance pour une contribution financière. Ce ne serait que justice ! Il
s'agit d'une solution envisageable dont nous souhaitons débattre, notamment
pour que lesdites compagnies ne répercutent pas la charge sur leurs clients.
Ce débat est donc loin d'être clos et nous voulons le susciter. D'ailleurs, de
nombreuses réflexions sont engagées et des commissions sont mises en place.
Vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, avez instauré une commission de suivi
et d'évaluation sur ce sujet. Nous sommes attentifs à ses conclusions.
Nous nous inscrivons dans cette démarche, souhaitant que les services
d'incendie et de secours bénéficient de suffisamment de moyens pour répondre à
la satisfaction des besoins de nos concitoyens.
Pour l'heure, sous réserve de l'adoption de l'amendement que nous avons
déposé, nous voterons cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous examinons aujourd'hui la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée
nationale, relative à la prolongation du mandat et à la date de renouvellement
des conseils d'administration des services d'incendie et de secours ainsi qu'au
reclassement et à la cessation anticipée d'activité des sapeurs-pompiers
professionnels.
S'agissant des conseils d'administration des SDIS, le fait que leur
renouvellement intervienne au plus tard quatre mois après les échéances locales
nous satisfait. Cela nous paraît effectivement évident. De plus, les mesures
prises par ce texte pour pallier d'éventuelles difficultés à l'avenir, en
prévoyant de manière générale un renouvellement des conseils d'administration
dans les quatre mois soit des élections municipales, soit des élections
cantonales, nous semblent logiques et opportunes. Il s'agit simplement de bon
sens.
En ce qui concerne la cessation anticipée d'activité opérationnelle des
sapeurs-pompiers rendue possible, sous certaines conditions, par le protocole
d'accord conclu le 22 décembre 1999 entre le ministre de l'intérieur et
plusieurs organisations syndicales à la suite des mouvements sociaux, notre
position est plus nuancée.
En effet, nous regrettons que ce protocole dont les dispositions devaient
figurer à l'origine dans le projet de loi de modernisation sociale ait
finalement fait l'objet d'une simple transposition dans cette proposition de
loi résultant d'un amendement du Gouvernement n'ayant fait l'objet d'aucun
examen en commission des lois à l'Assemblée nationale.
Nous pensons que ce procédé est fort dommageable lorsqu'il s'agit de
dispositions aussi importantes et dont les retombées financières pour les
collectivités territoriales ne sont pas négligeables. En effet, selon le
ministère de l'intérieur, le congé d'un sapeur-pompier pour difficulté
opérationnelle entraînerait, pour les SDIS, une charge supplémentaire annuelle
de 30 000 francs.
C'est la raison pour laquelle nous exprimons certaines réserves. Néanmoins, ce
qui importe à nos yeux, c'est la continuité du service et la sécurité de nos
concitoyens. En aucun cas nous ne voudrions que les discussions liées à cette
proposition de loi soient de nature à entraîner un retard.
C'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour la République adoptera sans
modification le présent texte.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - I. - L'article L. 1424-24 du code général des collectivités
territoriales est ainsi modifié :
« 1° Dans le premier alinéa, les mots : "pour trois ans" sont supprimés ;
« 2° Dans le septième alinéa, les mots : "les présidents, les membres des
conseils et les maires des communes membres de ces établissements publics" sont
remplacés par les mots : "les membres des organes délibérant et les maires des
communes membres" ;
«
3°
Après le neuvième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé
:
« 3° Les élections ont lieu dans les quatre mois suivant le renouvellement
général des conseils municipaux et dans les quatre mois suivant le
renouvellement par moitié ou le renouvellement intégral du conseil général.
»
« II. - Le premier alinéa de l'article L. 1424-27 du même code est ainsi
rédigé :
« Le président du conseil d'administration est élu parmi les membres ayant
voix délibérative à la majorité absolue de ces derniers. Cette élection a lieu
lors de la première réunion du conseil d'administration suivant son
renouvellement général. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(l'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - Le mandat de président, de vice-président et des membres des
conseils d'administration des services départementaux d'incendie et de secours
élus avant la publication de la présente loi est prorogé jusqu'au prochain
renouvellement de ces conseils d'administration dans les conditions prévues par
l'article L. 1424-24 du code général des collectivités territoriales. » . -
(Adopté.)
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - I. - Les sapeurs-pompiers professionnels âgés d'au moins cinquante
ans dont le médecin de sapeurs-pompiers constate, au cours de la visite
médicale périodique ou après avoir été saisi par l'administration ou par
l'intéressé, que celui-ci rencontre des difficultés incompatibles avec
l'exercice des fonctions opérationnelles relevant des missions confiées aux
services d'incendie et de secours, peuvent bénéficier soit d'un reclassement
dans un autre corps, cadre d'emplois ou emploi de la fonction publique, soit
d'un congé pour difficulté opérationnelle, dans les conditions prévues
respectivement aux II et III.
« En cas de contestation de l'appréciation faite par le médecin de
sapeurs-pompiers, le sapeur-pompier ou l'autorité d'emploi peut solliciter un
nouvel examen auprès de la commission de réforme.
« Le sapeur-pompier admis au bénéfice du reclassement ou du congé pour
difficulté opérationnelle ne peut exercer aucune activité en qualité de
sapeur-pompier volontaire. Dans le cas où il a souscrit antérieurement un
engagement en cette qualité, celui-ci prend fin à la date de son reclassement
ou de la décision l'admettant au bénéfice du congé.
« II. - Le reclassement pour difficulté opérationnelle intervient, sur demande
de l'intéressé, dans les conditions prévues aux articles 81 à 85 de la loi n°
84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la
fonction publique territoriale, sous réserve des dispositions ci-après :
«
a)
Le reclassement est réalisé par la voie du détachement dans un
corps, cadre d'emplois ou emploi de niveau équivalent ou inférieur, dans les
conditions prévues aux articles 64 et 65 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984
précitée. Ce détachement ne peut être suivi d'une intégration ;
«
b)
Les sapeurs-pompiers professionnels reclassés perçoivent pendant
la durée de leur détachement une indemnité spécifique d'un montant égal à
l'indemnité mentionnée à l'article 17 de la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990
relative à la fonction publique territoriale et portant modification de
certains articles du code des communes, calculée sur la base de l'indice détenu
à la date du reclassement et soumise au même régime au regard des droits à
pension ;
«
c)
Le service départemental d'incendie et de secours rembourse à la
collectivité ou à l'établissement d'accueil le montant de la différence de
traitement résultant de l'application des dispositions de l'article 85 de la
loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée et de l'indemnité spécifique prévue au
b
, ainsi que les contributions patronales versées à la Caisse nationale
de retraites des agents des collectivités locales afférentes à cette
dernière.
« Pendant les deux premières années de détachement, il rembourse également les
autres cotisations et contributions patronales attachées à l'emploi occupé par
le sapeur-pompier reclassé.
« III. - A. - Le bénéfice du congé pour difficulté opérationnelle est ouvert
aux sapeurs-pompiers professionnels qui sont en position d'activité auprès d'un
service départemental d'incendie et de secours, d'une commune ou d'un
établissement public de coopération intercommunale et ont accompli vingt-cinq
années de services effectifs en tant que sapeur-pompier ou de services
militaires.
« La décision accordant à un sapeur-pompier professionnel le bénéfice du congé
pour difficulté opérationnelle ne peut être prise qu'après acceptation écrite
de l'intéressé.
« B. - Le sapeur-pompier admis au bénéfice du congé pour difficulté
opérationnelle perçoit un revenu de remplacement égal à 75 % du traitement
indiciaire brut afférent à l'emploi, au grade et à l'échelon ou chevron qu'il
détenait effectivement depuis six mois au moins à la date de départ en congé et
de l'indemnité mentionnée à l'article 17 de la loi n° 90-1067 du 28 novembre
1990 précitée.
« Le service de ce revenu de remplacement est assuré mensuellement par la
collectivité ou l'établissement qui employait le sapeur-pompier professionnel
au moment de son départ en congé.
« L'intéressé demeure assujetti, durant le congé pour difficulté
opérationnelle, à son régime de sécurité sociale pour l'ensemble des risques
autres que les risques vieillesse et invalidité. Le revenu de remplacement
donne lieu à la perception des cotisations prévues par les articles L. 131-2 et
L. 711-2 du code de la sécurité sociale, de la contribution sociale généralisée
et de la contribution au remboursement de la dette sociale.
« Le sapeur-pompier admis au bénéfice du congé pour difficulté opérationnelle
ne peut exercer aucune activité lucrative.
« Cette interdiction ne s'applique pas à la production d'oeuvres
scientifiques, littéraires ou artistiques, aux activités d'enseignement
rémunérées sous forme de vacations ainsi qu'à la participation à des jurys
d'examen et de concours, dans des limites fixées par le décret-loi du 29
octobre 1936 relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de
fonctions.
« En cas de violation des dispositions relatives au cumul, le service du
revenu de remplacement est suspendu et il est procédé à la répétition des
sommes indûment perçues.
« Le sapeur-pompier professionnel admis au bénéfice du congé pour difficulté
opérationnelle est mis à la retraite et radié des cadres à la fin du mois de
son cinquante-cinquième anniversaire.
« IV. - Le deuxième alinéa du III de l'article 125 de la loi de finances pour
1984 (n° 83-1179 du 29 décembre 1983) est remplacé par trois alinéas ainsi
rédigés :
« Cet avantage est également accordé aux sapeurs-pompiers professionnels
radiés des cadres pour invalidité imputable au service ainsi qu'aux
sapeurs-pompiers professionnels reclassés pour difficulté opérationnelle et aux
sapeurs-pompiers professionnels admis au bénéfice d'un congé pour difficulté
opérationnelle.
« Les années de service effectuées dans le cadre du reclassement ou du congé
pour difficulté opérationnelle mentionnés à l'alinéa précédent n'ouvrent pas
droit à la bonification.
« Les années passées en congé pour difficulté opérationnelle sont prises en
compte au titre de la durée minimale de service ouvrant droit au bénéfice de la
bonification. »
« V. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent
article. »
Par amendement n° 1, M. Lefebvre, Mme Borvo, M. Bret et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent :
I. - De rédiger ainsi le dernier alinéa du III de cet article :
« Le sapeur-pompier professionnel en congé pour difficulté opérationnelle est
mis à la retraite et radié des cadres à la fin du dernier mois de la cinquième
année de ce congé et, au plus tard, à la date de son soixantième anniversaire.
»
II. - Après le III de l'article 3, d'insérer un paragraphe additionnel ainsi
rédigé :
« ... - Les charges résultant des modifications des conditions de mise à la
retraite des sapeurs-pompiers professionnels en congé pour difficulté
opérationnelle sont compensées par un relèvement à due concurrence du taux
prévu à l'article 885U du code général des impôts. »
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Cet amendement vise à compléter le dispositif de l'article 3, introduit sur
l'initiative du Gouvernement lors de l'examen du texte à l'Assemblée
nationale.
Il a pour origine, comme je l'ai indiqué voilà quelques instants, le protocole
d'accord sur les problèmes de reclassement et de cessation anticipée
d'activité.
Le texte de l'article 3 a été préparé en concertation avec les organisations
syndicales de sapeurs-pompiers, mais il reste une catégorie pour laquelle le
dispositif n'est pas complet.
En effet, à la lecture tant du décret n° 86-169 du 5 février 1986 modifiant le
décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 que du présent article, on constate que
les sapeurs-pompiers entrés dans la profession après leur vingt-cinquième
anniversaire ne pourront bénéficier du congé pour difficulté opérationnelle
qu'en renonçant à une part de leur retraite.
Les décrets précités sont relatifs aux modalités de calcul des retraites de
sapeurs-pompiers professionnels.
Ces derniers bénéficient d'une bonification de cinq annuités, à la condition
d'avoir effectué trente années de service public, dont quinze dans le corps des
pompiers professionnels.
L'amendement du Gouvernement instaure un départ anticipé, dénommé « congé pour
difficulté opérationnelle ».
Il est ouvert aux sapeurs-pompiers qui ont accompli vingt-cinq années de
service effectif en tant que sapeur-pompier ou au titre de service militaire.
Ce congé prend fin à la fin du mois du cinquante-cinquième anniversaire du
bénéficiaire.
Notre amendement consiste à supprimer la notion de mise à la retraite
systématique à cinquante-cinq ans, comme le prévoit le dernier alinéa du III de
l'article 3, et à la remplacer par un congé pour difficulté opérationnelle
glissant, ce qui corrigerait l'impasse rédactionnelle et offrirait la
possibilité aux pompiers entrés dans la profession après leur vingt-cinquième
année de bénéficier du congé pour difficulté opérationnelle et de valider les
cinq ans de bonification.
Pour prendre un exemple concret, notre amendement permet à un agent entré à
vingt-cinq ans - service militaire compris - de commencer son congé pour
difficulté opérationnelle à cinquante-deux ans et de prendre sa retraite
entière et définitive à cinquante-sept ans, alors que la rédaction actuelle
l'oblige à arrêter à cinquante-cinq ans.
A priori,
le dispositif proposé par le Gouvernement concerne
immédiatement 10 % à 15 % d'agents. Notre amendement concerne deux cents agents
supplémentaires. Le coût induit n'est donc pas très élevé. Aussi, malgré la
nécessité d'aller vite, afin de respecter, comme vous l'avez souhaité, monsieur
le secrétaire d'Etat, le calendrier sur lequel vous vous étiez engagé auprès
des pompiers, il me semble important de remédier à cet oubli.
C'est la raison qui justifie le dépôt de notre amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
D'abord, il est souhaitable que le texte soit adopté très
rapidement, à la fois pour les raisons que j'ai indiquées en ce qui concerne le
conseil d'administration et pour l'application, à la plupart des
sapeurs-pompiers, du protocole d'accord. Je crois qu'il y aurait une grande
déception si le vote de ce texte était reporté à l'automne. C'est un des motifs
pour lesquels j'avais indiqué que l'on ne pouvait adopter des amendements,
aussi souhaitables fussent-ils. D'autres amendements que le vôtre avaient été
envisagés. C'est d'ailleurs le cas chaque fois que nous évoquons les problèmes
des sapeurs-pompiers.
Monsieur Lefebvre, je ne fais pas tout à fait la même lecture que vous.
D'abord, il est rare que des sapeurs-pompiers entrent dans la profession après
l'âge de vingt-cinq ans, service militaire compris, soit vingt-six ans. Ainsi,
dans le département que j'ai l'honneur de représenter, sur près de 1 000
sapeurs-pompiers professionnels, aucun ne serait concerné par cet amendement.
Le problème que vous évoquez pourra être étudié ultérieurement. A la suite du
rapport Fleury, un texte sera peut-être déposé si des modifications doivent
être apportées.
Le problème peut se poser pour quelques cas. Cependant, il serait dommage
que, pour régler ces quelques cas, nous retardions encore l'adoption du texte
tel qu'il nous est soumis, et que la commission vous propose, mes chers
collègues, d'adopter conforme.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Je fais miennes les observations de M. le rapporteur.
Cependant, je souhaite apporter quelques précisions à M. Lefebvre.
D'abord, s'agissant du premier paragraphe de cet amendement, je veux rappeler
que le congé pour difficulté opérationnelle vise à permettre aux agents de
bénéficier d'une cessation anticipée d'activité avant l'âge minimal de départ
en retraite, qui est fixé à cinquante-cinq ans, et non à cinquante ans. Il
s'agit d'un dispositif complémentaire à la retraite, qui permet de mettre fin
aux activités opérationnelles de sapeurs-pompiers professionnels ayant des
difficultés physiques les empêchant d'exercer correctement leur métier.
A partir de l'instant où l'agent placé en congé pour difficulté opérationnelle
est à même d'être admis à la retraite, ce congé n'a plus de raison d'être et
doit cesser.
Par référence, le congé de fin d'activité applicable aux fonctionnaires de
catégorie dite « sédentaire » prend automatiquement fin à soixante ans, âge
auquel les agents concernés peuvent partir en retraite.
Votre proposition, monsieur le sénateur, s'écarte du protocole d'accord signé
le 22 décembre. En outre, compte tenu de l'urgence qui s'attache à la mise en
oeuvre des dispositions relatives au report du mandat des membres des conseils
d'administration des services départementaux d'incendie et de secours, le
Gouvernement ne peut accepter cet amendement, car, comme le rapporteur l'a
indiqué, son adoption aurait pour conséquence d'ouvrir la navette et donc de
renvoyer l'adoption de cette proposition de loi à la prochaine session.
Toutefois, il est bien entendu que, si l'application du texte relatif au congé
pour difficulté opérationnelle tel qu'il est rédigé devait écarter un nombre
non négligeable de sapeurs-pompiers du dispositif, je suis tout à fait disposé
à étudier son amélioration ultérieurement.
J'en viens au paragraphe II de cet amendement. Les pensions de retraite des
sapeurs-pompiers professionnels étant liquidées par la Caisse nationale de
retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, un relèvement du
taux de l'impôt de solidarité sur la fortune n'aurait aucune conséquence sur
les recettes de cette caisse. En effet, le principe budgétaire de
non-affectation des dépenses aux recettes s'applique. Le Gouvernement pourrait
invoquer l'article 40 de la Constitution.
Cependant, compte tenu de ces explications et du fait que j'ai pris
l'engagement d'étudier les cas qui pourraient ne pas être couverts par les
dispositions de la future loi, M. Lefebvre acceptera sans doute de retirer cet
amendement.
M. le président.
Monsieur Lefebvre, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Pierre Lefebvre.
Compte tenu de l'engagement que vient de prendre M. le secrétaire d'Etat
d'examiner les cas, peu nombreux, auxquels le dispositif pourrait ne pas
s'appliquer et parce que nous souhaitons, nous aussi, ne pas retarder
l'adoption de cette proposition de loi, je retire cet amendement.
M. le président.
L'amendement n° 1 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
comprends les objectifs que l'on cherche à atteindre à travers cette
proposition de loi. Je comprends également que le rapporteur et le Sénat
souhaitent que le texte issu de l'Assemblée nationale soit voté conforme. C'est
sans aucun doute la situation à laquelle nous allons aboutir dans quelques
instants.
Cela étant dit, je voudrais formuler quelques observations.
Tout d'abord, j'approuve les remarques pertinentes formulées par notre
collègue communiste et par M. Paul Blanc. Certes, il est bien gentil de prendre
sans cesse des mesures et de faire des promesses aux pompiers professionnels
pour améliorer leur statut, et ce pour des raisons tout à fait légitimes et
compréhensibles que personne ne conteste, à cet égard, nous sommes donc sur la
même ligne. Mais encore faut-il que lesdites mesures soient accompagnées de
mesures financières permettant aux collectivités de maîtriser les incidences
financières qui en découlent.
Il est bien gentil d'améliorer le statut des sapeurs-pompiers, de créer une
charge supplémentaire pour la CNRACL. Cependant, cette caisse, ce sont les
collectivités. Elle peut rencontrer des difficultés pour atteindre l'équilibre
financier. Un jour, cela se traduira par une augmentation de nos cotisations,
afin de répondre aux nouvelles charges qui résulteront de l'amélioration du
statut, qu'il s'agisse des retraites anticipées ou de la prise en compte des
particularités des fonctions exercées par les sapeurs-pompiers.
Un émoi réel est né dans mon département sur ce point. Je confirme ce qui est
vécu dans le département du Nord : la nouvelle organisation des services
départementaux d'incendie et de secours, les évolutions statutaires et les
mesures réglementaires qui ont été prises sans concertation suffisante avec les
associations représentatives d'élus - cela a d'ailleurs provoqué certains
blocages avec l'Association des maires de France - ont entraîné ou vont
entraîner des augmentations de cotisation très importantes pour nos communes,
particulièrement dans le milieu rural. Je confirme que, dans mon département,
des communes ont vu leur contribution augmenter, la première année, de l'ordre
de 300 % à 400 %, puis, la deuxième année, de 40 % à 70 %, sans compensation
financière ou augmentation de la dotation générale de décentralisation ou de la
dotation globale de fonctionnement.
Je souhaitais simplement, à l'occasion de l'examen de cette proposition de
loi, appeler solennellement l'attention du Gouvernement et demander au
rapporteur de veiller, lorsqu'un nouveau texte sera déposé sur ce sujet, à ce
que des mesures de cette nature soient accompagnées de compensations
financières permettant aux collectivités de faire face aux charges nouvelles
résultant de ces dispositions.
Cela étant dit, j'ai bien conscience que nous devons avancer. Je voterai donc,
sous le bénéfice des quelques réserves que je viens d'exprimer, cette
proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité.
11
INTERDICTION DES CANDIDATURES
MULTIPLES, AUX ÉLECTIONS CANTONALES
Adoption d'une proposition de loi
en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 301, 1999-2000), modifiée par l'Assemblée nationale, interdisant les
candidatures multiples aux élections cantonales. [Rapport n° 324
(1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd'hui saisis en deuxième lecture d'une
proposition de loi interdisant les candidatures multiples aux élections
cantonales dont vous aviez pris l'initiative et que vous aviez examinée et
adoptée en première lecture le 23 novembre 1999.
Le paradoxe de cette séance est que nous n'aurons justement pas à discuter de
l'interdiction des candidatures multiples, car l'article 1er de ce texte a été
adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, avec l'accord du
Gouvernement. Je n'y reviendrai donc pas, si ce n'est pour souligner que la
Haute Assemblée a fait un bon usage de son pouvoir d'initiative et améliore
ainsi la cohérence entre les dispositions applicables aux différents types
d'élections.
Les articles qui restent en discussion sont tous issus d'amendements déposés
sur la proposition initiale du Sénat.
L'article 2 résulte d'un amendement de M. Mercier, adopté par le Sénat en
première lecture afin de résoudre les difficultés apparues à l'occasion de
fusions de cantons, lorsque deux cantons fusionnés appartiennent à des séries
de renouvellement différentes. Le problème se pose avec le nouveau découpage du
département du Rhône.
L'Assemblée nationale a légèrement modifié la rédaction adoptée par la Haute
Assemblée, tout en approuvant la solution apportée au problème posé.
La combinaison des textes actuels et la jurisprudence du Conseil d'Etat
conduisent à considérer que le canton dont le renouvellement est le plus tardif
absorbe celui dont le renouvellement se présente le plus rapidement. Ainsi, la
fusion de deux cantons renouvelables, l'un en 2001, l'autre en 2004, conduit à
ce que le nouveau canton issu de la fusion ne soit renouvelé qu'en 2004 et soit
représenté jusque-là par le conseiller général renouvelable en 2004.
Cette solution n'est pas satisfaisante, d'abord parce qu'elle ne tient pas
compte de la taille des cantons : un petit canton peut être considéré comme
absorbant un gros canton. Dans ce cas, les électeurs de ce dernier sont
empêchés de s'exprimer à l'issue du mandat de leur conseiller général
puisqu'ils sont représentés pendant les trois ans qui restent à courir par le
conseiller général du canton dont le renouvellement intervient le plus tard.
Le deuxième inconvénient de cette solution est que le conseiller général du
canton renouvelable en premier voit son mandat cesser et ne peut se présenter
devant les électeurs que trois ans après. C'est donc le hasard du calendrier,
et non les suffrages des électeurs, qui désigne un conseiller général pour
trois ans, ce qui est peu démocratique.
La solution de l'article 2 de la proposition de loi est préférable puisqu'elle
fait trancher les électeurs le plus tôt possible, c'est-à-dire avec la série
dont le renouvellement est le plus proche.
Le problème qui se pose alors est celui du sort du conseiller général du
canton appartenant à la série non renouvelable, conseiller général qui n'a
exercé qu'un mandat de trois ans lors de l'élection - celui, dans mon exemple,
qui ne serait pas renouvelable en 2001 - alors que le premier alinéa de
l'article L. 192 du code électoral prévoit que les conseillers généraux sont
élus pour six ans.
Le Sénat comme l'Assemblée nationale ont proposé de lui laisser terminer son
mandat pendant les trois ans restant à courir, même s'il n'y a plus d'assise
territoriale à ce mandat. Il y a, ainsi, accomplissement de la totalité du
mandat pour lequel il a été désigné par les électeurs.
Certains députés ont fait observer que, si ce conseiller général se présentait
aux élections dans le nouveau canton issu de la fusion et était battu, il
continuerait néanmoins d'exercer son mandat pendant trois ans.
Mais, actuellement, rien n'empêche un conseiller général élu dans un canton
qui serait renouvelable en 2004 d'aller se présenter dans un autre canton en
2001 et, s'il est battu, de continuer à exercer son mandat.
Dans le cas de la fusion de cantons, le conseiller général du canton fusionné,
appartenant à la série renouvelable le plus tard, se trouverait donc dans cette
même situation. La solution retenue par les deux assemblées respecte donc bien
le principe d'égalité, et le Gouvernement y est favorable.
L'article 4 résulte d'un amendement de M. Darne, rapporteur du texte à
l'Assemblée nationale, et vise à harmoniser entre les diverses collectivités
locales certaines dispositions de la loi relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec les administrations, adoptée par le Parlement en avril
dernier.
Les autorisations de plaider ont longtemps été réservées aux seuls
contribuables des communes. La loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement
et à la simplification de la coopération intercommunale a ouvert cette
procédure aux contribuables des communes membres d'un établissement public de
coopération intercommunale pour les actions en justice appartenant à ces
établissements.
Enfin, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs
relations avec les administrations a étendu cette possibilité aux contribuables
des départements et des régions pour les actions appartenant à ces
collectivités locales.
Le code général des collectivités territoriales précise que le contribuable
doit déposer un mémoire au tribunal administratif. Ce mémoire est transmis au
préfet qui invite l'organe exécutif de la collectivité ou de l'établissement
public à saisir l'organe délibérant de ce mémoire. Or les modalités de
soumission à l'assemblée délibérante ne sont pas harmonisées entre les
différentes collectivités locales.
En effet, dans les communes, dans les établissements publics de coopération
intercommunale et dans les régions, l'organe exécutif doit soumettre le mémoire
du contribuable à l'assemblée délibérante spécialement convoquée à cet effet,
alors que, dans les départements, le mémoire est soumis au conseil général lors
de sa prochaine réunion dans les conditions de droit commun.
L'article 4, issu d'un amendement de l'Assemblée nationale, vise à harmoniser
ce point de procédure entre les différentes catégories de collectivités en
précisant que le mémoire du contribuable est soumis à l'assemblée délibérante
lors de sa plus prochaine réunion et que l'assemblée délibérante est convoquée
selon les règles de droit commune. Il s'agit d'une mesure de simplification,
voire de bon sens : sinon, les collectivités pourraient crouler sous les
procédures multiples et être convoquées à cet effet - et uniquement à cet effet
- pour examiner les mémoires en recours devant les tribunaux administratifs. Le
Gouvernement est donc favorable à cette disposition.
L'article 5 résulte, lui aussi, d'un amendement adopté par l'Assemblée
nationale. Il concerne le régime fiscal des indemnités de fonction des élus
locaux et a pour objet de neutraliser l'effet de la revalorisation des
indemnités des maires, accordée par la loi du 5 avril 2000 relative à la
limitation du cumul des mandats et des fonctions électives, sur le montant de
la part exonérée de l'impôt dans le cadre de la retenue à la source.
Sans cette modification, l'exonération passerait automatiquement de 3 800
francs actuellement à 7 000 francs mensuels, et à plus de 10 000 francs en cas
de cumul. Or, il n'a jamais été dans l'intention ni du Gouvernement ni des
parlementaires d'accorder un tel avantage fiscal à l'occasion de la
revalorisation des indemnités des maires. Telle était d'ailleurs votre
position, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque vous avez débattu en
dernière lecture de la loi sur le cumul des mandats, puisque vous aviez alors
adopté cette même correction, sur proposition du ministre de l'intérieur. Mais,
pour des raisons de procédure parlementaire sur lesquelles je ne reviens pas,
l'Assemblée nationale n'a pu reprendre cet amendement.
Or, si la situation des élus locaux mérite d'être encore améliorée - et je
vous réaffirme la volonté du Gouvernement d'oeuvrer en ce sens - cette
réflexion doit s'engager dans un cadre cohérent. Elle perdrait sa légitimité si
elle devait s'exprimer par l'intervention isolée d'une mesure fiscale dont
l'ampleur semble en outre peu aisée à justifier.
C'est pourquoi je vous demande, conformément à la position retenue pour les
mêmes raisons par la commission, d'adopter sans modification l'article de
correction qui vous est proposé, article dont le seul objet est d'assurer la
continuité du dispositif fiscal de la retenue à la source pour les indemnités
de l'ensemble des élus locaux.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
observations, techniques certes, que je voulais vous présenter en cette fin de
session parlementaire, à l'occasion de ce nouvel examen de la présente
proposition de loi.
Je me félicite qu'un texte d'origine sénatoriale, enrichi par le débat à
l'Assemblée nationale et sur le point de devenir loi, nous permette de résoudre
les difficultés auxquelles nous étions confrontés, et je remercie la commission
et son rapporteur de proposer au Sénat d'adopter ces dispositions sans
modification.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a dans le
Tour de France une voiture balai lors de chaque étape. De même y a-t-il, à la
fin de chaque session parlementaire, des séances balai pour les textes
attardés.
(Sourires.)
Voici que nous abordons maintenant la dernière ligne droite de la
proposition de loi d'origine sénatoriale - je salue ici son premier signataire,
notre excellent collègue M. Bernard Joly - concernant l'interdiction des
candidatures multiples aux élections cantonales, qui s'est enrichie en cours de
route de plusieurs dispositions, mineures à certains égards, mais sans nul
doute bienvenues.
S'agissant de l'interdiction des candidatures multiples aux élections
cantonales, le texte, à la faveur de la « niche » parlementaire, avait été
adopté en première lecture dans les mêmes termes par les deux assemblées.
S'agissant des trois points qui y ont été ajoutés, la commission des lois a
décidé de proposer au Sénat d'adopter conformes les textes qui lui sont
soumis.
Tout d'abord, dans le cas où interviendrait une fusion des cantons
n'appartenant pas à la même série de renouvellement, le conseiller général du
nouveau canton serait élu lors du prochain renouvellement triennal, celui de
l'ancien canton non renouvelable pouvant exercer son mandat jusqu'à son terme,
s'il n'est pas élu entre-temps dans le nouveau canton.
Ensuite, s'agissant de la substitution possible d'un contribuable à une
collectivité territoriale ou à un établissement public à caractère industriel
ou commercial n'ayant pas cru devoir exercer une action qu'il estime
souhaitable, il est apparu nécessaire d'harmoniser les procédures devant les
assemblées délibérantes concernées en prévoyant l'examen de la requête « lors
de leur plus prochaine réunion » sans obligation de recours à une session
extraordinaire.
Enfin - et c'est là, surtout à quelques mois d'échéances électorales, sagesse
de la part du législateur - est proposé le maintien à son niveau actuel, malgré
la récente majoration des indemnités maximales des maires, de la partie non
fiscalisée de leurs indemnités de fonction.
Aussi bien, comme je le disais à l'instant, la commission des lois du Sénat
vous propose-t-elle d'adopter sans modification les dispositions soumises à la
Haute Assemblée, qui ont recueilli, me semble-t-il, l'accord du Gouvernement,
M. le secrétaire d'Etat venant de saluer le bon usage qu'a fait - dois-je dire
« pour une fois » ?
(Sourires)
- le Sénat de sa faculté d'initiative.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de
l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des artistes.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des propositions de loi, la discussion des
articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont
pas encore adopté un texte identique.
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - L'article L. 192 du même code est complété par un alinéa ainsi
rédigé :
« Lorsqu'un nouveau canton est créé par la fusion de deux cantons qui
n'appartiennent pas à la même série de renouvellement, il est procédé à une
élection à la date du renouvellement le plus proche afin de pourvoir le siège
de ce nouveau canton. Dans ce cas, et malgré la suppression du canton où il a
été élu, le conseiller général de celui des deux anciens cantons qui appartient
à la série renouvelée à la date la plus lointaine peut exercer son mandat
jusqu'à son terme. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Articles 4 et 5
M. le président.
« Art. 4. - I. - Le dernier alinéa de l'article L. 2132-6 du code général des
collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Le maire soumet ce mémoire au conseil municipal lors de la plus proche
réunion tenue en application des articles L. 2121-7 et L. 2121-9. »
« II. - L'avant-dernier alinéa de l'article L. 3133-1 du même code est ainsi
rédigé :
« Le président du conseil général soumet ce mémoire au conseil général lors de
la plus proche réunion tenue en application des articles L. 3121-9 et L.
3121-10. »
« III. - L'avant-dernier alinéa de l'article L. 4143-1 du même code est ainsi
rédigé :
« Le président du conseil régional soumet ce mémoire au conseil régional lors
de la plus proche réunion tenue en application des articles L. 4132-8 et L.
4132-9. »
« IV. - L'avant-dernier alinéa de l'article L. 5211-58 du même code est ainsi
rédigé :
« Le président de l'établissement public de coopération intercommunale soumet
ce mémoire à l'organe délibérant de l'établissement lors de la plus proche
réunion tenue en application de l'article L. 5211-11. »
- (Adopté.)
« Art. 5. - I. - Dans la deuxième et la troisième phrase du cinquième
alinéa du I de l'article 204-0
bis
du code général des impôts, le nombre
: "1 000" est remplacé par le nombre : "500".
« II. - Le deuxième et le troisième alinéa de l'article 28 de la loi n° 92-108
du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux sont
supprimés.
« III. - Ces dispositions entrent en application à compter de la date d'entrée
en vigueur de la loi n° du relative à la limitation du cumul des
mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice. »
- (Adopté.)
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de
la deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Le groupe socialiste votera cette proposition de loi qui a été enrichie au fil
des débats.
Ce texte tend à moderniser la vie politique en mettant fin à cette bizarrerie,
à cette anomalie qu'était la possibilité d'être candidat simultanément dans
plusieurs cantons. Il a été utilement complété par le Sénat afin de rendre plus
aisée la fusion des cantons. Si cela pouvait faciliter le redécoupage, ce
serait bien.
Je note au passage que l'on parle des cantons, ce qui signifie, par
conséquent, qu'ils ne sont pas complètement morts, contrairement à ce que l'on
pouvait lire ici ou là. Voilà qui m'amuse quelque peu et me fait plaisir pour
certaines zones.
Enfin, je crois qu'il est sage et conforme à l'esprit de nos débats que les
dispositions d'harmonisation introduites par l'Assemblée nationale, notamment
concernant les conséquences de la revalorisation des indemnités de maire et
leur plafonnement, aient été retenues.
Le groupe socialiste votera donc sans difficulté ce texte.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.
12
CONSEIL D'ADMINISTRATION D'AIR FRANCE
Rejet d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n°
369, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relatif à l'élargissement du conseil d'administration d'Air
France et aux relations de cette société avec l'Etat, et portant modification
du code de l'aviation civile (n° 369, 1999-2000). [Rapport n° 424
(1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine,
secrétaire d'Etat au tourisme.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons en deuxième
lecture un projet de loi qui, vous le savez, revêt une certaine importance pour
la compagnie nationale Air France, puisqu'il s'agit de modifier la composition
de son conseil d'administration et d'élargir son autonomie de gestion.
M. Gayssot, qui ne pouvait être présent aujourd'hui au Sénat, m'a demandé de
vous présenter ce projet de loi.
Le texte adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale revient en
discussion devant la Haute Assemblée dans des termes identiques à ceux que vous
aviez eu à examiner en première lecture.
Comme vous le savez, l'Assemblée nationale n'a pas jugé utile de retenir les
deux amendements que vous avez adoptés visant à accroître le nombre des membres
du conseil d'administration. Le Gouvernement partage ce point de vue.
Les dispositions concernant l'élargissement de l'autonomie de gestion de
l'entreprise ayant fait l'objet d'un large consensus entre les deux assemblées,
il ne reste aujourd'hui en discussion que le fait de savoir s'il faut vingt et
un ou vingt-trois administrateurs.
Avant d'entrer dans le fond de ce débat, le Gouvernement souhaite appeler
l'attention du Sénat sur la nécessité d'adopter rapidement ce projet de loi
pour qu'il entre en vigueur au plus tôt. Le texte est, en effet, attendu par
les personnels comme par les dirigeants de l'entreprise, au sein de laquelle il
fait l'objet d'un large consensus.
Vous le savez, Air France, qui a connu bien des vicissitudes au cours de la
décennie précédente, est, depuis trois à quatre ans, en plein redressement. Je
crois donc qu'il est important de mesurer le chemin parcouru et de bien voir ce
qui a évolué dans la dernière période.
Les résultats de la compagnie pour l'exercice clos le 31 mars dernier viennent
d'être rendus publics. Ils confirment l'optimisme dont M. Gayssot vous avait
fait part lors de l'examen en première lecture, voilà trois mois.
L'offre de la compagnie a crû rapidement - 11,2 % sur l'année - mais moins
vite que son trafic, qui a enregistré, lui, une augmentation de 12,1 %. Il en
résulte une coefficient de remplissage moyen d'un niveau très élevé - 76,1 % -
en hausse de 0,6 point, ce qui montre bien le fort attrait de l'offre
commerciale d'Air France.
Ces résultats commerciaux n'ont pas été obtenus au détriment des résultats
financiers. L'augmentation des coûts a été contrôlée, et le résultat
d'exploitation a enregistré une forte hausse - 34 % - avec 2,35 milliards de
francs. La croissance du résultat net, de 2,32 milliards de francs, est encore
plus forte puisqu'elle atteint 42 %
On peut dire aujourd'hui qu'Air France va bien, que l'entreprise gagne en
activité et crée des emplois. Contrairement à ce qui a pu être affirmé ici ou
là, elle n'est pas en retard sur ses concurrentes pour nouer une grande
alliance. Le 22 juin dernier, Air France a lancé son alliance aérienne globale
appelée Skyteam, avec Delta Air Lines, Aeromexico et Korean Air.
Les compagnies regroupées au sein de cette alliance transportent environ 174
millions de passagers par an. Cette alliance permettra d'offrir plus de 6 400
vols quotidiens et de desservir plus de destinations sans escale entre les
Etats-Unis et l'Europe que n'importe quelle autre alliance.
L'objectif est plus que jamais de faire d'Air France la première compagnie en
Europe. En outre, comme vous le voyez, son maintien dans le giron de l'Etat est
bien loin d'être un handicap.
Je crois qu'il était utile de souligner ces bons résultats et les excellentes
perspectives qui s'offrent à notre compagnie nationale, car ce contexte montre
qu'il est important de régler rapidement les questions de composition du
conseil d'administration qui nous occupent aujourd'hui.
Lors de la première lecture, le Sénat a amendé l'article 3, qui porte sur
l'élargissement du conseil d'administration. Les deux amendements proposés
visaient à étendre le nombre d'administrateurs de dix-huit à vingt-trois, au
lieu des vingt et un prévus dans le texte initial.
Comme vous le savez, en deuxième lecture, le Gouvernement et l'Assemblée
nationale ont souhaité en revenir au texte initial, et ces deux amendements ont
été rejetés.
En effet, avec vingt et un administrateurs, Air France se situerait déjà parmi
les entreprises cotées en Bourse ayant les conseils d'administration les plus
nombreux. L'extension de dix-huit à vingt et un membres est toutefois le
minimum permettant à l'Etat, qui restera majoritaire au sein du capital, de
détenir la majorité absolue tout en maintenant le nombre actuel
d'administrateurs salariés élus. Ce schéma est une des conditions de la
préservation d'un bon climat social au sein de la compagnie et permet la
présence de deux représentants des actionnaires privés non salariés dans le
conseil d'administration.
Un nombre d'administrateurs trop élevé serait préjudiciable à l'appréciation
portée par le marché sur la compagnie, serait donc contraire aux intérêts de
l'Etat actionnaire et à ceux de la compagnie. Il ne favoriserait pas
l'efficacité des travaux du conseil d'administration.
A cet égard, il est à noter que, afin de limiter l'augmentation du nombre de
personnes assistant au conseil d'administration, le Gouvernement souhaite, sur
le plan réglementaire, ramener le nombre de censeurs qui y participent de trois
à un seul.
Les amendements proposés ne permettront pas d'augmenter la représentation des
actionnaires autres que l'Etat et les salariés, le passage à vingt-trois
membres ne permettant en tout état de cause de créer qu'un unique poste
supplémentaire pour ces actionnaires. Cela ne modifierait pas de façon
significative leur représentation, l'Etat devant en effet, dans cette
hypothèse, bénéficier d'un siège supplémentaire pour asseoir sa majorité.
En résumé, en singularisant Air France par rapport aux autres sociétés cotées
en Bourse, cette disposition est contraire à l'esprit du texte, qui vise à
atténuer certaines de ses spécificités par rapport à l'ensemble des sociétés
anonymes.
Un amendement avait également été adopté afin que la composition du conseil
respecte la répartition du capital.
Six administrateurs salariés élus siègent actuellement au conseil
d'administration, et le Gouvernement ne souhaite pas changer ce nombre. Cette
présence d'administrateurs non actionnaires induit que le conseil ne peut pas,
mathématiquement, être le fidèle reflet de la répartition de l'actionnariat.
L'Etat, qui détient la majorité du capital, doit, pour réunir la majorité des
voix en conseil d'administration, nommer, en tant que représentants de l'Etat
ou personnalités qualifiées, la majorité des membres du conseil, soit au
minimum onze ou douze selon qu'il compte vingt et un ou vingt-trois
administrateurs.
Cela implique que les autres actionnaires, détenant près de 43 % du capital,
ne peuvent être représentés que par quatre ou cinq sièges selon le nombre
d'administrateurs, soit par 19 % ou 22 % du conseil. Le but visé par
l'amendement adopté par le Sénat en première lecture ne peut donc être atteint
techniquement.
Par ailleurs, la présence, au sein du conseil, de personnalités qualifiées au
côté des administrateurs représentant l'Etat est fortement souhaitée par le
Gouvernement. C'est bien, à notre sens et aux yeux des investisseurs privés, la
garantie de la participation au conseil de personnes ayant une expérience
reconnue de la gestion des grandes entreprises, ce qui correspond à l'objectif
que le Sénat a voulu atteindre par son amendement.
Enfin, tout comme l'extension du nombre d'administrateurs à vingt-trois, cette
disposition est contraire à l'esprit du texte, en inscrivant dans la loi une
obligation pour Air France qui va bien au-delà des exigences de la loi de 1966
sur les sociétés commerciales.
Pour toutes ces raisons, les modifications apportées au texte en première
lecture n'atteignent pas leurs objectifs et ne lui apportent rien sur le
fond.
Le Gouvernement souhaite donc l'adoption de ce texte très attendu, dans les
termes votés par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de
loi soumis en deuxième lecture à notre examen élargit le conseil
d'administration de la société Air France.
Le texte adopté en première lecture par les deux assemblées comportait trois
articles, dont un seul, l'article 3, reste en discussion.
Les deux premiers articles, adoptés sans modification par le Sénat et
l'Assemblée nationale, suppriment certaines procédures relatives aux relations
entre la compagnie et l'Etat.
La commission des affaires économiques avait estimé que ces dispositions, de
portée limitée, s'inscrivaient dans une logique d'ouverture du capital et
d'allégement de la tutelle de l'Etat, qui conforte l'autonomie de gestion d'Air
France.
L'article 3, qui reste en discussion, modifie l'article L. 342-3 du code de
l'aviation civile. Il substitue aux dispositions offrant à la compagnie la
possibilité d'émettre des emprunts dans le public avec la garantie de l'Etat de
nouvelles dispositions relatives à l'élargissement du conseil d'administration
de la société Air France.
Comme je l'avais souligné en première lecture, les dispositions des articles
1er et 2, pour utiles qu'elles soient, avaient essentiellement pour vocation
d'accompagner cet article 3.
La rédaction initiale du projet de loi, adopté telle quelle par l'Assemblée
nationale, prévoit une augmentation du nombre des membres du conseil
d'administration, de dix-huit à vingt et un.
L'augmentation du nombre d'administrateurs est destinée, selon l'exposé des
motifs, à permettre l'arrivée, au sein du conseil d'administration, de
représentants des actionnaires privés autres que ceux de l'Etat et des salariés
et d'accroître la représentation des salariés actionnaires, c'est-à-dire
essentiellement des pilotes.
Cette modification tend à prendre en compte la nouvelle structure du capital
d'Air France, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Alors que l'Etat détenait
encore, en 1998, 94,5 % du capital d'Air France, il n'en détient, au 1er
janvier 2000, que 57 % environ, les salariés en détenant 11 % et les autres
investisseurs privés 32 %.
Le projet de loi ne répartit pas précisément les vingt et un postes
d'administrateur. Il se contente de définir les différentes catégories
d'administrateurs.
Le Gouvernement laisse au décret, comme il se doit, le soin de définir la
composition exacte du conseil d'administration.
M. Gayssot a précisé à l'Assemblée nationale et au Sénat la composition
envisagée par le projet de décret. Celui-ci prévoit six représentants de
l'Etat, cinq personnalités qualifiées, deux représentants des investisseurs
privés, deux représentants des salariés actionnaires et six représentants des
salariés élus.
Lors de la première lecture, le Sénat avait approuvé les principales
orientations de cette réforme. Il avait néanmoins adopté deux amendements
tendant, d'une part, à porter de vingt et un à vingt-trois le nombre
d'administrateurs d'Air France et, d'autre part, à préciser que la composition
du conseil d'administration doit respecter la répartition du capital.
Ces deux amendements, présentés par notre collègue Ladislas Poniatowski,
avaient reçu l'avis favorable de la commission. Leur objectif commun était
d'assurer une représentation plus équilibrée des investisseurs privés.
Dans le projet de loi initial, les investisseurs privés, qui détiennent 32 %
du capital, avaient avec deux administrateurs, moins de 10 % des sièges au
conseil d'administration. Les amendements adoptés par le Sénat donnent la
possibilité au Gouvernement de nommer un troisième représentant des
investisseurs privés, afin qu'ils représentent plus de 14 % des
administrateurs.
Cette modification, sans bouleverser la logique du projet de loi, permet
d'assurer aux petits porteurs et aux investisseurs institutionnels une
participation plus représentative de leur engagement dans le capital d'Air
France.
L'Assemblée nationale n'a pas suivi le Sénat dans cette voie. Sur l'initiative
du rapporteur de la commission de la production et des échanges, elle a rétabli
le texte qu'elle avait adopté en première lecture.
Je ne ferai pas de longs commentaires - d'autres y reviendront peut-être. Le
rapporteur du texte a notamment jugé que « les sénateurs ont profondément
modifié la philosophie de la réforme du conseil d'administration d'Air France
». Il a souligné que le dispositif proposé « créerait une exception puisqu'un
conseil d'administration de vingt et un membres se situe déjà à la limite
supérieure de la fourchette habituelle du nombre d'administrateurs des grandes
entreprises françaises ».
Fixer le nombre des administrateurs à vingt-trois accroît, en effet,
l'effectif des administrateurs de deux personnes. On voit cependant très mal
comment cette modification serait de nature à bouleverser l'esprit du projet de
loi et le fonctionnement du conseil d'administration.
Je constate qu'un conseil d'administration de vingt-trois membres est conforme
au droit privé puisque la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés prévoit que
les conseils d'administrations sont composés de dix-huit à vingt-quatre
membres.
A la lecture des débats de l'Assemblée nationale, on voit bien que les
arguments invoqués pour rétablir le projet de loi dans son texte initial sont
avant tout inspirés par des préoccupations... qui m'échappent, sauf à penser
que l'Assemblée nationale ne souhaiterait pas voir les petits porteurs
représentés.
Je propose donc de rétablir le texte que le Sénat avait adopté en première
lecture et qui prévoit un dispositif assurant à l'Etat, aux salariés et aux
investisseurs privés, une représentation équilibrée au sein du conseil
d'administration.
Je n'ai relevé, dans l'argumentaire de l'Assemblée nationale, aucun argument
suffisamment pertinent pour amener le Sénat à revenir sur cette position et,
avec tout le respect que je vous dois, madame la secrétaire d'Etat, je dois
dire que je n'en ai pas trouvé non plus dans le propos explicatif que vous
venez de tenir à la tribune en lieu et place de votre collègue.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette
nouvelle lecture du projet de loi relatif à l'élargissement du conseil
d'administration de la société Air France et aux relations de cette société
avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile, se résume,
dans les faits, à l'examen de l'article 3, qui fixe le nombre des membres du
conseil d'administration.
C'est là, en effet, le point de désaccord demeurant entre notre Haute
Assemblée et l'Assemblée nationale, la première lecture ayant conclu à un texte
identique sur les autres dispositions.
Pour autant, il serait sans doute trompeur de limiter le désaccord avec la
majorité sénatoriale à une divergence sur le nombre de fauteuils au conseil
d'administration - vingt et un ou vingt-trois. Ce désaccord est plus important,
il touche au fond, et, en première lecture, notre rapporteur ne s'en était pas
caché, qui criait à la privatisation d'Air France dans les plus brefs
délais.
Ce désaccord porte en effet sur la nature même de l'entreprise, les membres de
la majorité sénatoriale souhaitant qu'elle soit privatisée, banalisée, au motif
que rien ne justifierait, aujourd'hui, qu'une société de transport aérien fût
publique.
Pour notre part, nous estimons, bien au contraire, que le fait que le capital
d'Air France soit majoritairement public n'est pas, loin s'en faut, un obstacle
à son développement et à l'atteinte de performances économiques positives.
J'en veux pour preuve British Airways, privatisée il y a déjà plusieurs
années, et qui n'est plus, aujourd'hui, dans une situation économique si
florissante qu'elle démontrerait que la privatisation est la solution à tous
les problèmes.
Dans le même temps, la situation financière d'Air France s'est très nettement
améliorée, depuis plusieurs années, même s'il convient de ne pas oublier que
cette amélioration s'est réalisée au travers d'importants efforts, notamment
financiers, des agents de la compagnie, quelle que soit leur qualification.
Par ailleurs, Air France vient de passer un certain nombre d'alliances
stratégiques qui devraient lui permettre, sur le moyen terme au moins, de
prendre toute sa place dans le concert du transport aérien international.
Nous ne pouvons manquer de souligner, à ce propos, ce que nous apprend
l'actualité récente, et notamment les risques d'une dérégulation supplémentaire
du transport aérien au travers de la dérégulation du contrôle, qui ne peut nous
agréer et présente, à l'avenir, de réels risques pour la qualité du service aux
usagers du transport aérien et pour la sécurité même du trafic.
Cette option n'a pas fait - c'est le moins que l'on puisse dire - la
démonstration de sa pertinence, et nous ne pouvons que la mettre en
question.
Je crois savoir qu'elle était incluse dans le cadre de la négociation
européenne au sommet de Lisbonne, mais, en cette matière, il me semble que la
France doit user de toute son influence au sein de l'Union pour que de tels
projets ne connaissent pas un début de mise en oeuvre.
Pour en revenir au texte qui nous occupe aujourd'hui, demeure donc ce
désaccord sur l'article 3.
L'Assemblée nationale a adopté un texte fixant à vingt et un le nombre des
membres du conseil d'administration, alors que notre commission nous invite à
porter ce nombre à vingt-trois, c'est-à-dire à revenir à son texte adopté en
première lecture, et ce afin de réserver une place plus importante au capital
privé.
Nous ne faisons pas nôtre cette orientation. Nous souhaitons, nous, que la loi
puisse trouver plus rapidement une application, dans le cadre des objectifs que
j'ai rappelés : prise en compte des aspirations du personnel, mise en oeuvre
des principes de service public, développement de l'activité dans un cadre
financier amélioré.
Nous ne voterons donc pas le texte proposé par la commission, qui repousse
cette perspective et ne peut donc nous agréer.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
souhaite, sans trop prolonger ce débat et sans trop me répéter par rapport à ce
que j'avais pu dire en première lecture, apporter malgré tout quelques
précisions.
Mais on me permetta, d'abord, en introduction, de saisir en quelque sorte la
balle au bond après ce que vient de dire M. Lefebvre sur ce qui se passe dans
le ciel européen.
On ne comprend plus rien, notamment aux positions des uns et des autres. Et
quand j'entends dire que les aiguilleurs français font grève pour des raisons
de sécurité, je me demande si l'on n'est pas tombé sur la tête !
Le ciel européen est terriblement confus et, de tous les territoires, le nôtre
celui qui est le plus survolé, pour des raisons évidentes tenant à sa taille et
à sa situation quelque peu incontournable, même pour les circulations internes
à l'Europe. Ainsi, pour aller de Londres à Rome, on est obligé de prendre au
moins trois ou quatre couloirs différents, mais en empruntant, bien sûr, le
couloir français.
Il est donc très bon, au contraire, que l'administration bruxelloise se
préoccupe de ce problème et veuille réguler le ciel européen. C'est pour des
raisons de sécurité que Bruxelles le fait, et nous aurions tort de ne pas
prendre cela au sérieux.
Je tenais à le dire parce que j'ai l'impression d'assister à une véritable
désinformation de la part de ceux qui se sont mis en grève ces dernières
heures.
J'en reviens au texte, dont je ne me suis éloigné que parce qu'on l'avait fait
au préalable.
Après avoir remercié M. le rapporteur de la manière dont il a présenté ce qui
s'est passé en première lecture et ce qui se passe au cours de cette deuxième
lecture, je veux moi-même faire deux rappels.
Le premier, c'est que ce texte, qui n'est pas anodin, a été élaboré à la suite
de deux événements importants : d'abord, la grève des pilotes d'Air France de
juin 1998, avec le blocage au sol de tous nos avions ; ensuite, l'ouverture du
capital, en novembre 1998, à la fois aux salariés et aux investisseurs privés,
que ce soient de petits actionnaires ou de gros investisseurs
institutionnels.
Je le rappelle parce que la proposition que nous avions faite ici, au Sénat,
avait un but bien précis, souligné à juste titre par le rapporteur, M.
Jean-François Le Grand : adresser un message, d'une part, aux petits
actionnaires, qui étaient près de 2 400 000 à avoir souscrit des actions au
moment de l'ouverture du capital d'Air France et, d'autre part, aux
investisseurs institutionnels, qui étaient d'ailleurs plutôt des financiers, et
à qui il convenait de dire que, si leur argent était le bienvenu dans le
capital d'Air France, nous estimions également normal qu'ils aient leur place
dans le conseil d'administration d'Air France. C'était d'une grande logique et
d'une grande simplicité.
Que s'est-il passé depuis ? M. le rapporteur l'a bien dit, nous n'avons pas
été suivis sur ce dernier point par nos collègues de l'Assemblée nationale.
Je le regrette et je suis tenté de dire que l'actualité nous donne raison. En
effet, le geste que nous avons voulu faire en direction des investisseurs
institutionnels, compte tenu de ce qui se passe dans le monde aéronautique et
dans celui des compagnies aériennes, « tombait » au bon moment.
Ça bouge énormément, en ce moment, et ce serait une erreur pour la France,
pour l'Etat français, toujours actionnaire majoritaire, pour notre compagnie
nationale de faire comme s'il ne se passait rien. Nous assistons à des
rapprochements non pas commerciaux - mise en commun de lignes, achat en commun
de fioul ou d'avions - mais capitalistiques, le dernier épisode datant d'à
peine quelques jours.
Voilà à peine un an, Alitalia discutait très sérieusement avec Air France et
Swissair pour un rapprochement d'entreprise. Tout a été évoqué, y compris des
échanges d'actions. Il y a environ une dizaine de mois, c'est vrai, Alitalia a
cessé de discuter avec nous pour envisager un rapprochement très sérieux avec
KLM. Le mariage a failli se faire. L'opération a échoué, il y a trois semaines
! Et voilà qu'aujourd'hui Alitalia se tourne de nouveau vers nous !
Je ne sais pas ce qui va se passer, si Alitalia va entrer dans le capital
d'Air France, ou l'inverse, mais ce serait à coup sûr une erreur de fermer la
porte à ce type de négociation.
Aujourd'hui, il y a encore une bonne vingtaine de grandes compagnies
aériennes, mais il n'est pas impossible que ce chiffre soit divisé par deux
d'ici à une dizaine d'années, et ce serait donc une erreur de la part d'Air
France d'être absente de toutes les négociations en cours ou à venir.
Voilà pourquoi, monsieur le rapporteur, je me réjouis que vous ayez proposé à
la commission des affaires économiques, qui vous a suivi, d'en revenir au texte
adopté par le Sénat en première lecture. J'espère que le Sénat confirmera son
vote et, en tout cas, que notre message sera entendu non seulement par la
compagnie, non seulement par les actionnaires, mais également par nos collègues
de l'Assemblée nationale en dernière lecture et, bien sûr, par vous, madame le
secrétaire d'Etat, qui représentez le Gouvernement aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - L'article L. 342-3 du code de l'aviation civile est ainsi rédigé
:
«
Art. L. 342-3
. - Par dérogation à l'article 4 de la loi n° 83-675 du
26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, le conseil
d'administration de la société Air France compte vingt et un membres.
Indépendamment des représentants de l'Etat, des salariés, des salariés
actionnaires ainsi que des actionnaires autres que l'Etat et les salariés, le
conseil peut comprendre des personnalités choisies soit en raison de leur
compétence technique, scientifique ou économique, soit en raison de leur
connaissance du transport aérien. La représentation des salariés actionnaires
peut se faire par catégories. Elle peut être subordonnée à la détention par
l'ensemble des salariés actionnaires ou par chaque catégorie d'une part
minimale du capital social. »
Par amendement n° 1, M. Le Grand, au nom de la commission, propose :
I. - A la fin de la première phrase du texte présenté par cet article pour
l'article L. 342-3 du code de l'aviation civile de remplacer les mots : « vingt
et un membres » par les mots : « vingt-trois membres ».'
II. - Compléter
in fine
le même texte par un alinéa ainsi rédigé :
« La composition du conseil d'administration doit également respecter la
répartition du capital. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Tout ayant été dit dans la discussion générale, je me
contenterai de faire écho à la comparaison qu'a faite tout à l'heure notre
collègue M. Lefebvre - elle est souvent faite ! - entre British Airways et Air
France, l'une étant privatisée, l'autre non, l'une éprouvant des difficultés,
l'autre se portant bien.
Je rappellerai simplement que, si le chiffre d'affaires d'Air France est de
10,3 milliards de francs, ce qui est tout à fait appréciable et prouve que
l'entreprise va bien, celui de British Airways est de 87 milliards de
francs.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Michelle Demessine,
secrétaire d'Etat.
Comme je l'ai dit dans mon intervention générale, le
Gouvernement est opposé à cet amendement, dont l'adoption aurait pour seul
effet de retarder l'entrée en vigueur de ce projet de loi, tant attendu par les
dirigeants et par le personnel d'Air France.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Il suffit donc au Gouvernement d'accepter l'amendement du
Sénat, madame le secrétaire d'Etat. Je vous en remercie.
(Sourires.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Jean-Pierre Plancade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme
vous avez pu le constater, le groupe socialiste n'a pas souhaité s'exprimer
dans la discussion générale. En effet, nous pensons que tous les arguments, sur
toutes les travées et dans les deux assemblées, ont déjà été exposés en
première lecture.
Aujourd'hui, notre seul point de désaccord porte sur le nombre des membres du
conseil d'administration de la compagnie et, paradoxalement, sur la nécessité
de respecter la répartition du capital.
Le groupe socialiste s'était déjà résolument exprimé par ma voix, lors de la
première lecture, contre les amendements déposés à l'époque par M.
Poniatowski.
Je constate qu'ils sont repris aujourd'hui par la commission, et vous
comprenez bien, mes chers collègues, que nous ne voterons pas ce projet de loi
tel qu'il sera probablement modifié par le Sénat, et ce pour trois raisons.
La première raison est d'ordre purement technique.
Le Sénat souhaite augmenter le nombre des représentants des actionnaires
privés et, dans le même temps, respecter la répartition du capital.
J'en suis désolé, mes chers collègues, mais cette double volonté nous conduit
tout droit à une impasse. En effet, si nous suivons le Sénat, le nombre des
membres du conseil d'administration serait de vingt-trois au lieu de vingt et
un ; la majorité serait donc de douze ; si l'on tient compte de l'amendement
déposé, l'Etat étant actionnaire majoritaire à bientôt 53 %, ses représentants
devraient obligatoirement être majoritaires. Cela porterait en conséquence
l'effectif des représentants de l'Etat et des personnes qualifiées nommées par
les ministres compétents à douze, au lieu de onze, soit une personne de plus
que prévu dans le texte initial du Gouvernement. Or la philosophie de ce texte
est précisément d'alléger la tutelle de l'Etat, discours qui devrait vous
convenir, chers collègues de la majorité sénatoriale.
Ce que propose donc le Sénat par la voix de M. le rapporteur, c'est
précisément d'alourdir la présence de l'Etat au sein du conseil
d'administration. Avouez tout de même, mes chers collègues, qu'il s'agit là
d'un paradoxe pour cette assemblée et tout particulièrement de la part d'un
parlementaire - je pense ici à M. Poniatowski - qui appartient au groupe
Démocratie libérale. Enfin, que voulez-vous, et ce n'est pas la première fois
que j'ai l'occasion de le constater, parfois il est des repères qui se perdent
un peu !
M. Ladislas Poniatowski.
Mais je ne suis pas membre de Démocratie libérale !
M. Jean-Pierre Plancade.
En tout cas, vous appartenez à quelque chose d'approchant
(Sourires)
et vous êtes un libéral convaincu, vous l'avez assez souvent
revendiqué. Mais, parfois, les voies de la politique sont, comme celles du
Seigneur, impénétrables...
La deuxième raison tient à l'efficacité.
En effet, en passant de dix-huit à vingt et un administrateurs - cela a été
dit par Mme le secrétaire d'Etat et je partage son opinion - Air France aura
l'un des conseils d'administration les plus étoffés des entreprises cotées en
Bourse. Or, un nombre important de membres pourraient nuire à l'efficacité des
travaux du conseil d'administration - d'ailleurs, les institutions financières
pourraient le voir d'un oeil critique - comme aux intérêts de l'actionnaire
principal, en même temps qu'à ceux de la compagnie.
La troisième raison est d'ordre politique.
En effet, la majorité sénatoriale, en ne votant pas en termes identiques le
texte que nous a transmis l'Assemblée nationale prend une responsabilité que
nous considérons comme grave, celle de retarder l'application de l'accord du 22
octobre 1998 passé entre la direction d'Air France et son personnel. Maintenant
que cette compagnie, au prix de grands efforts, a retrouvé l'équilibre social
et financier, nous ne devons pas être ceux qui pourraient être à l'origine de
la dégradation du climat social et économique de cette belle entreprise.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste ne votera pas cet
amendement et, s'il est adopté, votera contre l'ensemble du texte.
Je voudrais ajouter en exergue que si les aiguilleurs du ciel ont fait grève
lundi dernier, c'est parce qu'ils ne souhaitent pas que la gestion du ciel soit
mise à l'encan. Et ils ont raison !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
(Le vote à main levée a lieu.)
M. le président.
Mes chers collègues, il y a doute et je vais consulter à nouveau le Sénat.
(Il est procédé à un nouveau vote.)
M. le président.
Le doute persiste...
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
(Vives protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Plancade.
Ce n'est pas sérieux, monsieur le président !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non ! pas au milieu du vote !
M. Jean Chérioux.
Il avait été demandé bien avant !
M. le président.
La commission avait, en effet, déposé une demande de scrutin public avant que
je mette aux voix l'amendement.
M. Jean-Pierre Plancade.
Monsieur le président, il fallait nous prévenir ! Vous ne l'avez pas fait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez consulté deux fois le Sénat ! Ce n'est pas possible !
M. le président.
La seconde fois, j'ai procédé à une vérification !
M. Jean Chérioux.
Je le répète, le scrutin public avait été demandé avant !
M. le président.
Mes chers collègues, je constate que les votes ont été partagés : dix votes
pour et dix votes contre. En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
(Murmures sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
91:
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Majorité absolue des suffrages | 160 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 220 |
Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi n'est pas adopté.)
13
NOMINATION DE MEMBRES
D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président.
Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept
membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un
texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation
pour l'outre-mer.
La liste des candidats établie par la commission des lois a été affichée
conformément à l'article 12 du règlement.
Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat
à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jacques Larché, José Balarello, Jean-Louis Lorrain, Lucien
Lanier, Georges Othily, Claude Lise et Robert Bret.
Suppléants : Mme Dinah Derycke, MM. Patrice Gélard, Paul Girod, Jean-Jacques
Hyest, Edmond Lauret, Victor Reux et Simon Sutour.
14
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président.
J'informe le Sénat que le Gouvernement retire de l'ordre du jour les projets
de loi n°s 171, 191, 217, 219, 220, 252, 327 et 328.
Ne reste donc inscrit à l'ordre du jour de la présente séance que le projet de
loi n° 305 rectifié, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation
du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nation unies sur les
changements climatiques.
Les contraintes d'emploi du temps des membres du Gouvernement sont telles
aujourd'hui que nous ne pourrons entreprendre la discussion de ce projet de loi
qu'à dix-sept heures quinze au plus tôt.
En conséquence, nous allons interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept
heures quarante-cinq.)
M. le président.
La séance est reprise.
Monsieur le ministre, je suis heureux de vous saluer et je vous remercie des
efforts que vous avez fait pour nous rejoindre le plus rapidement possible, en
cette fin d'après-midi un peu compliquée, à la fois pour vous-même et pour le
Sénat.
15
PROTOCOLE DE KYOTO
SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 305 rectifié,
1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du
protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements
climatiques (ensemble deux annexes). [Rapport n° 355 (1999-2000)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord,
veuillez me pardonner d'être en retard, mais je crois qu'on vous l'a expliqué :
la remise des lettres de créance m'obligeait à être aux côtés du Président de
la République.
J'en viens au texte qui vous est soumis.
Le protocole de Kyoto à la convention-cadre sur les changements climatiques,
qui fait l'objet du présent projet de loi aujourd'hui soumis à votre
approbation, constitue l'une des suites concrètes du sommet de Rio, qui a vu
l'adoption de la convention-cadre et que ses Etats parties ont jugé nécessaire
de compléter.
La lutte contre les changements climatiques requiert, en effet, un effort de
long terme que le seul engagement par les pays développés de ramener en 2000
leurs émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990 ne pouvait pas
permettre d'atteindre. Ces obligations, au demeurant, n'ont été respectées que
par un nombre limité de pays.
Le deuxième rapport du groupement intergouvernemental d'experts sur
l'évolution du climat, publié en décembre 1995, a renforcé la volonté des
gouvernements d'agir dans ce domaine. Ce rapport indiquait en effet que le
réchauffement de la planète, qui se traduit par une augmentation de la
température moyenne depuis le début du siècle d'environ 0,6° Celsius, n'était
pas d'origine naturelle.
Il paraît à ce stade encore difficile de déterminer les conséquences précises
de ce réchauffement, mais les gouvernements se doivent d'intégrer l'apport des
scientifiques dans leur politique, en vertu du principe de précaution.
Par ailleurs, l'observatoire national que M. Paul Vergès a proposé de créer
dans la proposition de loi que votre assemblée a approuvée le 6 avril aurait
pour mission l'approfondissement de l'étude des conséquences du réchauffement
climatique en France métropolitaine, mais aussi, bien sûr, dans les
départements et territoires d'outre-mer, en vue notamment d'offrir aux élus
locaux et aux collectivités les moyens d'élaborer une véritable politique de
prévention face à ce risque nouveau.
Ce projet d'observatoire s'inscrit pleinement dans la volonté du Gouvernement
de faire de la lutte contre l'effet de serre une priorité. C'est pourquoi son
inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale doit aussi avoir lieu
dans les meilleurs délais.
Le protocole de Kyoto comporte deux éléments saillants : la définition
d'objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre et la création de
mécanismes de flexibilité.
L'obligation de réduire ou de limiter les émissions de gaz à effet de serre
s'étend à l'ensemble des pays industrialisés et à économie en transition, dits
« pays de l'annexe I ».
L'Union européenne, en acceptant l'objectif le plus élevé, soit une réduction
de 8 % entre 1990 et 2010, a montré qu'elle attachait une importance toute
particulière à la lutte contre les changements climatiques. Elle est par
ailleurs parvenue à convaincre les Etats-Unis, qui représentent un quart des
émissions mondiales, d'accepter un objectif beaucoup plus ambitieux que celui
qu'ils envisageaient initialement, et qui, en tout état de cause, marquera une
inflexion majeure dans l'évolution actuelle de leurs émissions, en progression,
il faut le souligner, de 13 % depuis 1990. En moyenne, les pays de l'annexe I
se sont engagés à réduire leurs émissions de 5 %.
Les Etats membres de l'Union européenne ont choisi de souscrire un engagement
commun, qu'ils se sont répartis au sein de ce qui est convenu d'appeler la «
bulle européenne ».
La France, en raison des économies d'énergie réalisées à partir de 1974 mais
aussi de la faiblesse de ses émissions en 1990, s'est vu attribuer un objectif
de stabilisation. Celui-ci, en raison de la croissance économique, ne sera pas
atteint sans effort. En conséquence, le Gouvernement a adopté, le 19 janvier
dernier, le programme national de lutte contre l'effet de serre.
Cette centaine de mesures, qui couvrent l'ensemble des secteurs de l'économie,
devraient permettre à la France de respecter l'objectif de stabilisation de ses
émissions à l'horizon 2010, tout en s'inscrivant dans une vision à long
terme.
Le protocole crée par ailleurs un certain nombre de mécanismes dits « de
flexibilité ». Le premier est fondé sur des échanges de droits d'émissions.
Les deux autres sont fondés sur le financement de projets favorables à la
lutte contre les changements climatiques.
D'une manière générale, ces mécanismes visent à octroyer aux pays qui
s'engagent à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre une souplesse pour
respecter leurs objectifs de réduction, en leur permettant de se procurer des
droits d'émissions dans d'autres pays. Ces mécanismes ne sauraient se
substituer à tout effort national, le protocole indiquant explicitement qu'ils
ne doivent constituer qu'un « complément » des efforts nationaux.
S'agissant des pays en développement, ceux-ci confirment dans le protocole
leur volonté d'agir contre l'effet de serre, en acceptant de mettre en oeuvre
un certain nombre de politiques et de mesures. En raison des promesses non
tenues lors du sommet de Rio de Janeiro en matière de transferts financiers et
de technologies, mais aussi des efforts somme toute limités des pays
industrialisés, qui avaient pourtant admis dans la convention-cadre qu'il
existait des responsabilités différenciées dans le phénomène d'effet de serre,
il n'était pas raisonnable d'attendre d'eux des engagements aussi contraignants
que ceux des pays de l'annexe I.
Des éléments importants de mise en oeuvre du protocole de Kyoto devront encore
être définis lors de la conférence de La Haye en novembre prochain. La France,
qui sera alors le porte-parole de l'Union européenne, attache une importance
particulière à la réussite de cette négociation.
Il convient dès aujourd'hui de constater que le protocole de Kyoto est un
accord majeur qui, s'il est mis en oeuvre, signifierait un effort sans
précédent de la part des pays industrialisés pour s'inscrire sur la voie du
développement durable. Les ministres de l'environnement des Etats membres, lors
de la cinquième conférence des parties à Bonn, en novembre 1999, se sont
engagés à conjuguer leurs efforts pour favoriser une entrée en vigueur du
protocole en 2002, date de la célébration du dixième anniversaire du sommet de
Rio sur l'environnement et le développement. Cela suppose une ratification
rapide de l'accord par les Etats. Dans cet esprit, la France, en se mettant
dans la possibilité de déposer ses instruments de ratification dès la fin de la
conférence de La Haye, confirmerait cet engagement.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle le protocole
de Kyoto à la convention-cadre sur les changements climatiques, qui fait
l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation, conformément
à l'article 53 de la Constitution.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Pintat,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif du protocole de
Kyoto, que vous avez commenté, monsieur le ministre, et dont on trouvera une
présentation détaillée dans le rapport écrit. Je souhaite plutôt insister ici
sur les raisons qui plaident pour une ratification rapide du protocole de Kyoto
ainsi que sur les interrogations que soulève ce texte, interrogations qui
devront être levées, du moins il faut l'espérer, au cours des prochains mois
dans le cadre des négociations qui réuniront les Etats signataires du
protocole.
D'abord, pourquoi ratifier le protocole de Kyoto ? Trois raisons majeures
peuvent être invoquées.
Première raison : l'aggravation de l'effet de serre, contre laquelle le
protocole entend lutter, semble être à l'origine du réchauffement
climatique.
En effet, même si la preuve n'en a pas encore été définitivement établie, il
existe cependant au sein de la communauté scientifique un très large consensus
pour reconnaître une relation étroite entre l'augmentation des gaz à effet de
serre et l'augmentation des températures observée depuis le début du siècle.
En l'absence de mesures énergiques de maîtrise des émissions de gaz à effet de
serre, la température moyenne pourrait encore s'accroître de 2° Celsius entre
1990 et 2100. Or ce phénomène est lourd de conséquences pour notre planète. Il
pourrait provoquer, notamment du fait de la fonte d'une partie des glaces au
niveau des pôles, une hausse du niveau des océans. Cette évolution menacerait
des espaces côtiers, voire des parties importantes du territoire de pays
particulièrement vulnérables, comme le Bangladesh, qui perdrait 17,5 % de sa
superficie.
Le réchauffement s'accompagnerait également d'une modification de la
variabilité du climat, c'est-à-dire d'une augmentation probable de la fréquence
et de l'intensité des événements extrêmes.
La violence de la tempête qui s'est abattue sur la France en décembre dernier
semble tout à fait compatible avec ces projections. Il apparaît donc
indispensable de prévenir les conséquences néfastes de l'augmentation des
émissions de gaz à effet de serre.
La deuxième raison de ratifier le protocole de Kyoto, c'est que cela revient à
approuver le choix de faire prévaloir l'intérêt général sur les seules
considérations de court terme.
En effet, certains auraient pu arguer de l'insuffisance de preuves
scientifiquement établies pour différer l'adoption de mesures préventives qui
pourraient se révéler coûteuses.
Cette position dilatoire n'a pas été suivie, il faut s'en réjouir. Le
caractère irréversible de certains dommages que pourraient provoquer les
changements climatiques plaide en effet pour l'application du principe de
précaution, unanimement reconnu lors du sommet de la Terre, à Rio.
En outre, l'inertie des phénomènes climatiques impose d'agir dès maintenant
pour que l'effort entrepris ait une chance de modifier, sur le long terme,
certaines évolutions préoccupantes.
Enfin, ne l'oublions pas, nous avons aujourd'hui une obligation morale à
l'égard des générations futures.
Troisième et dernière raison : il faut ratifier le protocole de Kyoto, car ce
texte fixe, pour la première fois, un objectif global de réduction de gaz à
effet de serre et non plus seulement un objectif de stabilisation des émissions
de gaz, comme dans la convention-cadre sur les changements climatiques, adoptée
lors de la conférence de Rio.
Les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites de 5,2 % sur la
période 2008-2012. Cet objectif général se décline en objectifs différenciés
pour chacun des pays industriels ou en transition vers une économie de marché,
les seuls concernés par les obligations de réduction, obligations qui ne
s'appliquent pas en revanche, on le sait, aux pays en développement.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons qui ont conduit votre commission
à recommander l'adoption du protocole de Kyoto.
Ce texte soulève cependant plusieurs interrogations.
Il faut, d'abord, regretter l'insuffisance des conditions de contrôle des
émissions faute, d'une part, d'une évaluation indépendante et, d'autre part, de
méthodes de calcul homogènes d'un pays à l'autre.
Ensuite, l'absence de mécanisme de sanction constitue également un facteur de
fragilité indéniable.
Par ailleurs, les mécanismes de flexibilité appellent plusieurs réserves.
Rappelons-le, en effet, le protocole de Kyoto ouvre aux Etats la faculté de
s'affranchir de leurs obligations chiffrées, en leur permettant, d'une part,
d'échanger des permis d'émissions négociables, d'autre part, d'obtenir des
droits d'émission supplémentaires en finançant des projets destinés à réduire
les émissions de gaz dans les anciennes économies socialistes - c'est ce qu'on
appelle la mise en oeuvre conjointe - ou dans les pays en développement - c'est
ce que l'on désigne comme le mécanisme de développement propre.
S'agissant d'abord de l'échange des droits d'émission, il soulèverait sans
doute moins d'objections, si les allocations initiales des droits d'émission
décidées par le protocole de Kyoto avaient relevé d'une décision rationnelle et
non d'une solution de compromis.
Ainsi le protocole de Kyoto permet à la Russie et à l'Ukraine d'émettre, en
moyenne annuelle, autant de gaz à effet de serre sur la période 2008-2012 qu'en
1990. Or l'année 1990 correspond à une époque où le modèle soviétique, très
gaspilleur d'énergie, était encore à l'oeuvre.
Depuis, ces pays ont entamé un processus de reconversion et subi, en outre,
une forte récession. Ils disposent dès lors de quotas excédentaires qu'ils
pourront revendre pour permettre à d'autres pays de dépasser les objectifs qui
leur ont été fixés. Dans ces conditions, l'acquisition de droits d'émission ne
permettra aucune réduction effective de rejet de gaz à effet de serre.
Quant aux deux autres mécanismes de flexibilité, la mise en oeuvre conjointe
et le mécanisme de développement propre, ils posent le problème de l'estimation
des émissions évitées à la suite des projets financés par les pays
industrialisés.
La mise en oeuvre des mécanismes de flexibilité doit être précisée lors des
prochaines négociations des Etats parties prenantes à la convention-cadre sur
le réchauffement climatique. Comme le rappelle le protocole de Kyoto, leur
place doit être subsidiaire par rapport aux mesures nationales qu'il revient
aux Etats d'adopter.
Le protocole de Kyoto souffre d'une autre faiblesse. En effet, les engagements
chiffrés ne concernent que les pays industralisés. Or, du fait de leur
industrialisation, les principaux gisements futurs d'émission de gaz à effet de
serre se trouvent dans les pays du Sud, qui pourraient ainsi représenter 58 %
des émissions totales en 2050 contre 29 % aujourd'hui.
Enfin, une dernière incertitude est liée à la réticence du Congrès américain à
ratifier le protocole. Or les Etats-Unis sont responsables, selon vous monsieur
le ministre, du quart des émissions. Pour ma part, j'avais estimé leur part à
un tiers. Leur engagement est donc essentiel.
Faute d'une ratification effective de tous les pays industrialisés, la liberté
que s'octroient certains Etats vis-à-vis de leurs engagements souscrits à Kyoto
introduirait des distorsions de concurrence avec les pays qui, eux,
respecteraient scrupuleusement leurs obligations. Dès lors, c'est finalement
tout l'édifice mis en place à Kyoto qui se trouverait ébranlé.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le
protocole de Kyoto a permis de mettre en place un dispositif utile, son
efficacité dépend donc de trois facteurs : d'abord, la définition de règles
encadrant les mécanismes de flexibilité, comme nous venons de le voir ;
ensuite, la mise en place de mécanismes de contrôle et de sanction, enfin, la
ratification, par le plus grand nombre d'Etats, du protocole, condition du
respect des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de
serre.
La conférence de La Haye qui se tiendra à la fin de cette année devrait
permettre d'avancer sur ces trois question. Cela a d'ailleurs été rappelé lors
du Conseil environnement de la semaine dernière.
Je conclurai mon propos sur la position de la France.
Le programme national de lutte contre le changement climatique que vous avez
évoqué, monsieur le ministre, représente un effort positif qui s'inscrit
d'ailleurs dans le prolongement des orientations adoptées, dès 1995, dans le
cadre du premier programme national de prévention du changement de climat. Nous
souscrivons par ailleurs aux principes que vous entendez défendre lors de la
présidence française de l'Union européenne. Il me semble toutefois que la
position du Gouvernement devrait être précisée sur deux points.
En premier lieu, notre pays compte-t-il utiliser certains des mécanismes de
flexibilité, notamment le mécanisme de développement propre ?
En second lieu, les résultats satisfaisants enregistrés par la France en
matière d'émission de gaz à effet de serre sont, pour une large part, liés à la
prédominance du nucléaire dans notre production d'énergie. Ce fait mériterait
peut-être d'être davantage mis en avant, afin d'illustrer la pertinence des
choix énergétiques de notre pays. A l'inverse, la récente décision du
gouvernement allemand de renoncer à moyen terme au nucléaire risque de rendre
plus difficile le respect des engagements souscrits par ce pays pour réduire
les émissions de gaz à effet de serre.
Telles sont les observations qu'inspire le protocole de Kyoto et au bénéfice
desquelles la commission vous invite à adopter le présent projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Lepeltier.
M. Serge Lepeltier.
Monsieur le ministre, je souhaite vous l'indiquer dès le début de mon
intervention, le fait que vous nous présentiez aujourd'hui l'approbation du
protocole de Kyoto est une bonne chose, car il ne fallait pas attendre. Cette
ratification est en effet strictement nécessaire, et c'est ce que j'essaierai
de démontrer dans un premier temps. Elle n'est toutefois pas suffisante, loin
de là, et c'est ce que j'indiquerai ensuite. Il faut aller beaucoup plus loin,
sur les plans tant international que national.
Comme l'a indiqué notre rapporteur, Xavier Pintat, même si le protocole de
Kyoto marque un progrès réel, il reste limité. Comme Marie-Hélène Aubert,
rapporteur à l'Assemblée nationale, l'a noté, il ne doit être qu'une étape de
la lutte contre l'effet de serre.
Pourquoi cette ratification est-elle aujourd'hui nécessaire ?
Le principe de précaution commande d'agir sans attendre contre le
réchauffement climatique. Depuis l'ère préindustrielle, la température moyenne
à la surface de la terre a augmenté d'environ 1 degré. Elle devrait s'accroître
encore de 1 degré à 3,5 degrés d'ici à 2100. Or une telle hausse de deux degrés
celsius au moins en deux siècles correspond à un réchauffement de périodicité
de 200 000 ans, alors que les évolutions de température habituelles varient sur
un rythme périodique de 8 000 ans, et se traduira par une élévation moyenne de
50 centimètres du niveau des mers.
Jamais il n'y a eu un tel réchauffement dans un temps aussi court, ce qui pose
des difficultés majeures d'adaptation à l'écosystème. La décennie que nous
venons de vivre a, d'ailleurs, enregistré continûment des records de chaleur,
1998 ayant probablement été l'année la plus chaude du millénaire.
La concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère, mesurée en « parties par
million en volume » - PPMV - c'est-à-dire en millilitres de gaz pour mille
litres d'air, est passée, quant à elle, de 280 à 360 PPMV en un siècle, alors
qu'elle n'était pas sortie d'une fourchette de 170 à 280 PPMV au cours des 200
derniers millénaires.
Aujourd'hui, pour l'immense majorité des scientifiques, le lien entre
l'émission massive de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique ne
fait donc plus guère de doute. Les travaux du groupe intergouvernemental
d'experts sur le climat, le GIEC, tendent à le mettre en évidence.
Je me suis rendu ce matin même dans la structure d'études et de recherche sur
le climat du CEA. Les chercheurs me disaient qu'en 1990 ils ne savaient rien
sur cette question, qu'en 1995 ils pensaient que l'activité humaine pouvait
avoir une influence sur le réchauffement climatique, mais qu'en 2000 ils en
étaient certains. Cette réflexion figurera dans un rapport officiel qui sera
publié dans les prochains mois.
Face à une telle situation, même si des doutes sont encore permis, tout
immobilisme est coupable.
C'est pourquoi je me félicite de l'affirmation grandissante par la communauté
internationale de la nécessité de lutter contre l'intensification de l'effet de
serre.
Il faut réagir vite, et ce d'autant plus que le réchauffement climatique
renvoie à une gestion du temps très inhabituelle en matière de décisions
politiques.
Quand les émissions de gaz à effet de serre augmentent aujourd'hui, il faut de
cent à cent vingt ans pour stabiliser la concentration de carbone responsable
du réchauffement climatique et environ cinquante ans encore pour stabiliser la
température et, à partir de là, plusieurs siècles pour stabiliser la hausse du
niveau de la mer.
L'évolution du climat que nous connaissons aujourd'hui, avec ses conséquences
en matière de catastrophes naturelles, est vraisemblablement due à
l'industrialisation du xixe siècle. Les décisions que nous prenons aujourd'hui
auront leurs premiers effets positifs au xxiie siècle.
C'est dès lors à l'honneur du politique que de vouloir s'extraire de la
dictature du quotidien pour s'atteler à la sauvegarde de l'environnement des
générations futures.
Au niveau international, le protocole de Kyoto marque un progrès réel.
S'agissant d'une démarche assise sur des objectifs précis et chiffrés de
réduction des émissions de gaz à effet de serre, il représente une avancée
certaine par rapport à la convention-cadre des Nations unies sur le changement
climatique, décidée à la conférence de Rio, qui visait seulement une
stabilisation des émissions en 2000 à leur niveau de 1990.
L'objectif fixé aux pays industrialisés d'une baisse de 5,2 % à l'horizon
2008-2012 est une avancée certaine.
Il était important que la France passe rapidement à la ratification.
Le fait que notre pays soit le premier Etat de l'annexe I à entreprendre sa
procédure d'approbation du protocole de Kyoto apparaît positif. On pouvait se
demander s'il n'aurait pas été plus judicieux, à l'instar de nos partenaires,
d'attendre de connaître les conclusions de la conférence de La Haye. Je ne le
crois pas.
Il est important que la France donne un signe fort avant d'assurer la
présidence de l'Union européenne pour six mois. Elle sera mieux à même de
participer aux travaux de la préconférence de Lyon et de la conférence de La
Haye, et de faire éventuellement prendre de nouveaux engagements aux autres
pays européens.
Malgré tout cela, le fait de ratifier le protocole de Kyoto n'est pas
suffisant. Ce ne doit être qu'une étape.
Il faut en effet aller plus loin, d'abord sur le plan international.
L'objectif fixé par le protocole de Kyoto reste relativement modeste au regard,
notamment, des propositions de l'Union européenne, qui plaidait pour une baisse
de 15 %, mais surtout au regard de l'effort nécessaire pour stabiliser le
rechauffement climatique, qui imposerait une baisse des émissions de 50 % d'ici
à 2050.
Par ailleurs, le protocole ne concerne qu'un laps de temps somme toute limité,
alors que la mobilisation devra au moins se poursuivre tout au long du xxie
siècle et nécessiter de nouvelles, difficiles et aléatoires négociations
internationales.
En outre, la crédibilité du protocole de Kyoto passe par la mise en oeuvre de
sanctions claires et efficaces ainsi que d'un mécanisme de contrôle
incontestable.
Il faudra aussi résoudre la question de la place des pays en développement
dans la lutte contre le réchauffement climatique, afin qu'ils puissent
poursuivre leurs stratégies de croissance, tout en s'impliquant progressivement
et complètement.
N'oublions pas qu'ils pourraient être, en 2050, à l'origine de près de 60 %
des rejets de gaz à effet de serre.
Il est indispensable d'entraîner avec nous les pays émergents,
particulièrement les premiers d'entre eux que sont l'Inde et la Chine.
C'est dire si la tâche est immense. C'est dire aussi toute l'importance de la
prochaine conférence de La Haye, en novembre de cette année, qui déterminera
l'essentiel des conditions d'application de ce protocole.
Si l'on ajoute à tous ces impératifs les incertitudes qui pèsent sur la mise
en oeuvre même du protocole et des procédures de ratification, en particulier
aux Etats-Unis - cela a été rappelé tout à l'heure - force est vraiment
d'insister sur l'impérieuse vigilance qui doit être celle de tous les
défenseurs de l'environnement.
Il faut aller plus loin aussi, et peut-être surtout, sur le plan national.
Il ne faudrait pas, en effet, que la ratification du protocole de Kyoto
dissimule, sous son apparence vertueuse, de nombreuse faiblesses et que des
questions se posent sans trouver de réponses satisfaisantes.
Avant l'annonce par le Premier ministre, au début de l'année, du programme
national de lutte contre le réchauffement climatique, Mme la ministre de
l'aménagement du territoire et de l'environnement n'a-t-elle pas déclaré que ce
plan, largement insuffisant, serait appelé à évoluer ? Doit-on en déduire
qu'elle le trouvait décevant ou que trop peu d'arbitrages lui semblaient
franchement favorables à la protection de l'environnement ?
On est en droit de s'interroger !
Les arbitrages du Premier ministre, il est vrai, sont rarement en faveur de la
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Naturellement,
certains s'en félicitent. Pour ma part, souvent, je le regrette.
Quand on sait, notamment, que notre pays a connu en 1998 une très forte hausse
- de plus de 5,4 % - de ses émissions de gaz carbonique, quand on sait que le
bilan énergétique pour 1999 fait ressortir, dans des secteurs essentiels, une
augmentation de la consommation énergétique et des rejets de CO2, quand on sait
surtout que cette croissance évolue de façon préoccupante dans le secteur des
transports, principal émetteur de gaz à effet de serre, alors, on peut vraiment
se demander si le programme gouvernemental est à la hauteur des enjeux.
Il va quelquefois jusqu'à la caricature d'un catalogue de mesures annoncées,
répertoriées comme telles mais non réellement décidées.
A la page 11 du rapport sur le secteur des transports, sous le titre : «
Mesures incitatives à l'évolution du parc de véhicules légers », voici ce qu'on
peut lire :
« Il est possible d'envisager des mesures incitant les automobilistes à
renouveler plus vite leur véhicule et à accélérer ainsi le gain en consommation
imputable à l'amélioration des moteurs et au remplacement par un véhicule de
moindre puissance. Ces mesures devraient notamment contribuer à maintenir
l'écart existant entre la consommation moyenne du parc français et celle du
parc européen.
« Ces mesures seront étudiées et des propositions effectuées...
« Des propositions techniques seront étudiées pour permettre la prise en
compte au niveau européen de l'amélioration du confort climatique des véhicules
sans recours à la climatisation...
« Par ailleurs des propositions techniques seront étudiées pour permettre la
mise au point au niveau européen... »
La majorité des mesures nouvelles de ce plan apparaissent sous cette forme.
Ce plan ne correspond pas au véritable choix qui doit être fait à long terme
de sortir des énergies fossiles, bref, de s'engager vers la fin du pétrole.
Personnellement, j'appelle de mes voeux des mesures beaucoup plus ambitieuses,
ainsi que la levée de certaines ambiguïtés.
Maintenant que la Commission européenne vient de présenter un livre vert sur
l'établissement, dans l'Union européenne, d'un système d'échange de droits
d'émission de gaz à effet de serre, j'aimerais connaître précisément la
position actuelle du Gouvernement sur le sujet.
Je voudrais, en outre, insister sur l'importance qu'il y a à promouvoir dans
notre pays un large débat public sur le réchauffement climatique.
C'est l'une des conclusions que je tire du récent forum de discussion sur le
programme national de lutte contre l'effet de serre que j'ai mis en place sur
le site Internet du Sénat, et qui a très clairement confirmé une forte attente
d'information de nos compatriotes.
Il s'agit, à l'évidence, d'un préalable indispensable à la réussite de toute
politique de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, qui concerne, je
le rappelle, des choix privés essentiels en termes de liberté individuelle,
comme ceux qui sont relatifs à l'habitat et au transport.
La lutte contre le réchauffement climatique ne peut uniquement se décréter.
Elle passe par un véritable contrat environnemental avec les Français. Il faut
une adhésion et une prise de conscience collectives. Il nous faut donc faire
oeuvre pédagogique.
De même, je ne saurais trop souligner la place qui doit être réservée au
Parlement dans la conception et le suivi des politiques décidées, tant à
l'échelon national, avec une association à l'élaboration et une information sur
l'application des programmes de lutte contre l'effet de serre, qu'à l'échelon
international, avec une implication légitime du Parlement dans les discussions
fondamentales au sein des conférences internationales. La position de nos
négociateurs en serait d'ailleurs renforcée, dans l'intérêt de la France.
La capacité de recherche de notre pays joue également un rôle déterminant.
Lors de la visite que j'ai effectuée ce matin au CEA, j'ai été fort
impressionné par l'implication de nombreux chercheurs - souvent des jeunes, ce
qui est particulièrement réconfortant - dans la question du climat.
Les moyens nécessaires doivent être accordés pour aboutir dans de nombreux
domaines. Je n'en citerai qu'un : celui du développement rapide d'un véhicule à
énergie propre.
J'aimerais connaître, monsieur le ministre, les initiatives que le
Gouvernement compte prendre pour conforter les efforts de recherche de la
France ainsi que sa participation pleine et entière aux organismes et
programmes internationaux d'analyse et d'évaluation de l'évolution du
climat.
Lors d'un colloque qui s'est récemment déroulé à l'UNESCO, le Premier
ministre, le secrétaire d'Etat à l'industrie, la ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement ont souligné les mérites des énergies
renouvelables et locales. Leur utilisation accrue doit en effet permettre de
réduire dans des proportions non négligeables les émissions polluantes et, par
là même, s'inscrit pleinement dans une politique active de limitation des
émissions de gaz à effet de serre.
Je me félicite de cet engagement « en choeur » du Gouvernement mais je
souhaite, bien sûr, que ces louables intentions soient suivies de résultats
probants.
Aujourd'hui, nous devons très clairement inscrire dans nos actes, plus que
dans nos propos, la notion de développement durable.
Les mois qui viennent seront à cet égard importants, avec la conférence de La
Haye et la présidence française de l'Union européenne.
Le Président de la République a d'ailleurs affirmé à plusieurs reprises sa
détermination à engager notre pays dans la mobilisation internationale contre
le réchauffement climatique.
La consommation d'énergie des vingt premières années du xxie siècle équivaudra
à toute l'énergie consommée jusqu'à aujourd'hui par l'humanité au cours de son
histoire.
Face à un tel défi, la France doit montrer l'exemple, affirmer sa capacité
d'impulsion au niveau européen, mais également donner un signe fort à l'adresse
des pays en développement, qui devront, dans les années à venir, faire des
choix essentiels pour concilier à la fois expansion économique et protection de
l'environnement.
Ratifier le protocole de Kyoto, c'est bien. Nous y sommes favorables. Mais
c'est le hors-d'oeuvre. Nous attendons le plat de résistance !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous
apprêtons aujourd'hui à ratifier le protocole de Kyoto, qui, signé en décembre
1997, constitue un indéniable progrès dans la lutte contre les émissions de gaz
à effet de serre.
La France sera ainsi le premier pays de l'Union européenne à avoir approuvé ce
document. Notre pays aura, par là-même, donné l'exemple et acquis le plus grand
crédit pour faire progresser la lutte contre l'effet de serre lors des
différentes conférences à venir, notamment en juillet à Lyon, puis en novembre
à La Haye, alors même qu'il s'apprête à exercer la présidence de l'Union.
L'effet de serre est d'abord un phénomène naturel. Il n'est pas en soi
nuisible à la vie : il est même nécessaire à son développement, en permettant
le maintien d'une température moyenne de 15 degrés sur notre planète. Sans la
présence de gaz à effet de serre, la température sur la Terre serait de moins
18 degrés !
C'est en fait la concentration des gaz à effet de serre du fait de l'activité
humaine - la consommation d'énergie, notamment fossile, les transports et
l'agriculture intensive - qui pose problème. En effet, ce phénomène fait
craindre une augmentation de la température dans les prochaines décennies et
une modification des climats.
Une telle augmentation, même limitée à quelques degrés, aurait, selon les
experts, des conséquences désastreuses sur les équilibres écologiques : la
hausse du niveau des océans ferait disparaître certains territoires insulaires,
notamment dans le Pacifique ; les régions côtières - et plus précisément les
deltas et rivages à lagunes, comme le Languedoc - seraient menacées ; de
nombreux écosystèmes ne résisteraient pas à des températures trop élevées ; une
aridification des zones aujourd'hui tempérées serait à craindre ; enfin, les
catastrophes naturelles d'origine climatique, comme les sécheresses, les
inondations et les tempêtes, seraient plus fréquentes et plus intenses.
Le coût écologique humain mais aussi économique serait donc considérable.
Si le lien entre l'augmentation des gaz à effet de serre et le réchauffement
climatique n'est pas encore scientifiquement établi avec certitude,...
M. Pierre Laffitte.
Si !
M. Jean-Pierre Plancade.
... de fortes présomptions existent. Les travaux des experts du groupe
international sur l'évolution du climat, instance intergouvernementale qui
regroupe près de deux mille chercheurs, l'attestent.
Compte tenu de ces présomptions, et aussi des risques encourus, il est évident
que l'application du principe de précaution s'impose.
La prise de conscience politique de la nécessité de lutter contre la
concentration des gaz à effet de serre est relativement récente. Elle s'est
opérée lors du sommet de la Terre à Rio, en 1992, qui réunissait cent soixante
et onze Etats. La France a, alors, joué un rôle actif puisque la
convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a été
négociée sous l'égide de M. Jean Ripert.
Cette convention a, pour la première fois, formalisé et mis en oeuvre le
principe de précaution pour lutter contre le réchauffement de la planète. Elle
a reconnu les responsabilités communes, mais différenciées, des pays du Nord et
du Sud, soulignant la situation spécifique des pays en développement. Pour les
premiers, elle a fixé comme objectif la stabilisation des gaz à effet de serre
d'ici à l'an 2000 au niveau de 1990. Enfin, elle a mis en place un dispositif
institutionnel permettant d'assurer le suivi des politiques menées.
Avec le protocole de Kyoto, la lutte contre le réchauffement de la planète
prend une nouvelle dimension.
Est pour la première fois reconnue la nécessité de diminuer les émissions de
gaz à effet de serre et non plus simplement de les stabiliser.
Pour la première fois également, les pays parties à la convention s'entendent
sur un objectif chiffré de réduction des émissions de ces gaz : 5,2 % en
moyenne de 2008 à 2012.
Cet objectif est modeste. D'ailleurs, l'Union européenne défendait une
réduction de 15 %, niveau pourtant considéré comme insuffisant par les experts,
pour lesquels il faudrait réduire de 50 % d'ici à 2050 ces émissions pour
obtenir un impact significatif. Mais le protocole est le résultat d'une
négociation où se sont exprimés des points de vue parfois totalement opposés,
en tout cas difficilement conciliables. Il fallait donc rester dans des limites
acceptables par tous et réalistes pour tous.
Le protocole acquiert un caractère contraignant et normatif, car les
engagements sont individualisés par pays : une réduction globale de 8 % des
émissions de gaz à effet de serre pour l'Union européenne, de 7 % pour les
Etats-Unis. A l'intérieur de l'Union, ces pourcentages varient : moins 21 %
pour l'Allemagne, moins 12,5 % pour le Royaume-Uni et une simple stabilisation
de ces émissions pour la France ; pour d'autres enfin, un droit à augmenter
leurs émissions : plus 27 % pour le Portugal, plus 4 % pour la Suède.
Enfin, le protocole précise clairement que, pour atteindre ces objectifs, les
mesures nationales constituent l'outil essentiel que les Etats doivent mettre
en oeuvre. Les mécanismes de flexibilité, comme le commerce des droits à
émission, ne peuvent venir qu'en complément. C'est là un point important si
l'on veut faire évoluer les comportements industriels et promouvoir un modèle
de développement durable.
Malgré ces points positifs, des imperfections et des zones d'ombre
demeurent.
Je regrette tout d'abord que le protocole ne prenne pas en compte l'ensemble
des sources d'émission de gaz à effet de serre. Je pense là au transport
aérien, qui est responsable de 12 % des émissions de gaz carbonique du secteur
des transports.
C'est une question dont il faudra se préoccuper, d'autant que le transport
aérien est en pleine croissance : ainsi, en 1999, le trafic mondial a crû de 8
%. Il s'agit, par définition, d'un sujet qui doit être traité à l'échelon
international. Nous avons su apporter des réponses aux nuisances sonores des
abords des aéroports ; je crois que nous pouvons aussi trouver des solutions
pour lutter contre la pollution atmosphérique provoquée par les avions. C'est
un chantier auquel l'Union européenne devrait s'atteler.
Dans un autre domaine, il reste à définir la place et les modalités
d'application des mécanismes de flexibilité. La conférence de La Haye, en
novembre prochain, sera, de ce point de vue, décisive. Il faudra veiller à ce
que ces mécanismes ne prennent pas le pas sur les politiques et les mesures
nationales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et donc que
la lettre du protocole soit respectée. Il faut également que ces mécanismes
soient strictement encadrés et contrôlés. On peut, là, regretter que le
protocole ne prévoie pas de sanctions en cas de non-respect des engagements.
Le processus de ratification du protocole ne progresse pas, et l'esprit de
Kyoto semble d'ailleurs s'essouffler. Les pays les plus pollueurs tardent à le
ratifier. Je pense, en particulier, aux Etats-Unis, responsables de plus du
tiers des émissions de gaz à effet de serre. Or, comme cela a déjà été dit,
l'entrée en vigueur de ce texte est largement conditionnée par la ratification
de celui-ci par les Etats-Unis. Parmi les pays dits de l'annexe I,
grosso
modo
les pays industrialisés, seule la France l'a approuvé. Je crains que,
si on laisse courir le temps, les Etats signataires ne se dédouanent trop
aisément et que, loin de prendre des mesures nationales, ils ne privilégient
les mécanismes de négoce. Il faudrait donc, lors de la convention de La Haye,
qu'une date butoir soit fixée.
Autre sujet de préoccupation : la place des pays en développement dans le
processus de lutte contre le réchauffement climatique.
Les pays industrialisés sont les seuls pays soumis à une obligation chiffrée
de réduction de leurs émissions. Ils ont en effet une responsabilité historique
indéniable dans l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
Les pays en développement sont exonérés, pour l'heure, d'obligations chiffrées
en ce domaine. L'énergie est, en effet, le moteur du développement économique.
On ne peut donc priver ces pays de cet outil. On ne peut pas leur demander les
mêmes efforts que ceux que l'on impose aux pays riches. On ne peut surtout pas
leur imposer des contraintes environnementales que les vieux pays
industrialisés comme le nôtre n'ont pas eu à respecter au même stade de
développement.
Néanmoins, du fait de leur potentiel de développement, les pays du Sud
pourraient représenter 58 % des émissions en 2050, contre 29 % aujourd'hui. Se
pose alors la question des moyens tant techniques que financiers que les Etats
du Nord sont prêts à mobiliser pour aider les pays du Sud à se développer tout
en maîtrisant leur consommation d'énergie. Nous devrons développer des
politiques de coopération plus adaptées.
Je souhaiterais maintenant évoquer la situation de la France au regard des
objectifs de Kyoto.
La France est l'un des pays industrialisés où les émissions de gaz à effet de
serre sont les plus faibles. Par habitant, elles sont inférieures de 25 % à
celles de l'Union européenne et de 70 % à celles des Etats-Unis. Cette
situation résulte sans nul doute de la politique de maîtrise de l'énergie
initiée à la suite des chocs pétroliers des années soixante-dix et relancée
tout récemment par le gouvernement de Lionel Jospin, mais aussi, il faut le
reconnaître, par le recours à la production d'électricité d'origine nucléaire,
qui, elle, ne produit pas de gaz à effet de serre et qui demeure donc, sur ce
point, intéressante.
L'objectif qui nous est fixé est en apparence modeste ; il consiste à
stabiliser nos émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990. Néanmoins,
sans effort de réduction, nos émissions, qui s'élevaient à 144 millions de
tonnes d'équivalent carbone en 1990 - croîtraient de 31 millions de tonnes
entre aujourd'hui et 2010. L'effort que nous devons faire n'est donc pas mince.
Il faut y ajouter les effets de la croissance retrouvée grâce à l'action du
Gouvernement. Cette bonne nouvelle peut avoir son revers, car produire plus,
c'est émettre plus de gaz carbonique, si nous n'y prenons garde.
L'adoption du programme national d'action contre le risque de changement
climatique le 19 janvier dernier sous la présidence du Premier ministre devrait
nous permettre de tenir nos engagements. Sans revenir sur le détail de ce plan
qui comprend une centaine de mesures, je souhaiterais insister sur deux aspects
qui me paraissent importants.
Tout d'abord, le rôle fondamental de la politique énergétique dans la lutte
contre l'effet de serre. Comme je l'ai déjà indiqué, c'est le recours à
l'énergie d'origine nucléaire qui nous permet d'avoir d'assez bons résultats
dans la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre. Même si la question de
l'aval du cycle nucléaire reste entière, c'est un point positif que nous ne
pouvons ignorer.
Soucieux de promouvoir un mode de développement qui préserve tout à la fois
notre compétitivité et les grands équilibres écologiques, nous avons décidé de
rééquilibrer à terme et progressivement notre structure énergétique pour faire
plus de place aux énergies renouvelables - comme la géothermie, les énergies
éoliennes et solaires - elles aussi performantes pour lutter contre le
réchauffement climatique.
Je salue à cet égard la relance par le Gouvernement de la politique en faveur
des énergies renouvelables. En tant que rapporteur pour avis du budget du
logement pour la commission des affaires économiques et, plus généralement, en
tant que parlementaire qui suit de près les dossiers du logement, j'apprécie,
sur le plan fiscal, la réduction à 5,5 % du taux de TVA pour les installations
faisant appel aux énergies renouvelables dans l'habitat. Mais il faut aller
plus loin en ce domaine.
Nous avons récemment adopté deux lois qui devraient soutenir cette relance des
énergies renouvelables. Je pense à la loi d'orientation pour l'aménagement et
le développement durable du territoire qui prévoit la mise en place d'un schéma
des services collectifs de l'énergie. Je crois qu'il permettra de donner à ces
énergies une impulsion sur le long terme. Je pense aussi à la loi relative à la
modernisation et au développement du service public de l'électricité qui pose
le principe d'achat par EDF de l'électricité produite à partir d'énergies
renouvelables pour les installations allant jusqu'à 12 mégawatts.
Nous devons cependant avoir à l'esprit que, sans l'électricité d'origine
nucléaire, nous ne pourrons tenir les engagements que nous avons souscrits à
Kyoto. En effet, pour l'heure, les énergies renouvelables ne peuvent offrir de
production de masse.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Plancade.
Dans ces conditions, je m'inquiète des conséquences de la décision de
l'Allemagne d'abandonner progressivement l'énergie nucléaire. Le recours au gaz
ou au charbon - énergies fossiles polluantes - comme substituts mettrait
l'Europe en difficulté pour tenir ses engagements. En effet, l'Allemagne doit
réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 21 % d'ici à 2012 !
Les transports constituent le second point que je souhaite aborder. Ces
derniers sont responsables à 45 % des émissions de gaz carbonique. On constate
que 80 % de la croissance actuelle des émissions européennes de CO2 sont dus
aux transports, dont 90 % à la route.
Le Gouvernement a engagé de nombreux chantiers pour freiner cette tendance au
« tout routier ». Il s'agit désormais de développer des systèmes de transports
durables qui concilient à la fois le principe de libre circulation des
personnes et des marchandises et la préservation de la qualité de notre
environnement. La notion de « développement durable » est désormais au coeur de
nos choix d'aménagement du territoire.
Je pense aux schémas de services collectifs des transports en cours
d'élaboration. Les choix en matière d'infrastructures de transports devront
désormais s'appuyer sur des critères environnementaux, sur une vision
prospective des trafics générés. Ils devront mieux utiliser la complémentarité
des différents modes de transport.
Je pense également à la nouvelle génération de contrats de plan Etat-région
qui consacrent 8,7 milliards de francs aux transports ferroviaires, soit dix
fois plus que pour le xie Plan.
Je pense enfin au projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement
urbains. Ce texte met en place de nouveaux outils de planification urbaine, les
plans locaux de l'urbanisme et les schémas de cohérence territoriale, au
service des élus locaux pour leur permettre de mieux traiter les problèmes
d'urbanisme et de déplacements. Il donne toute sa place aux transports
collectifs, notamment à travers une nouvelle génération de plans de
déplacements urbains. Il en fait un vecteur essentiel de la reconquête de la
ville.
Nous ne devons pas relâcher cet effort en faveur des transports les moins
polluants. La tâche est lourde. Nous espérons donc que la prochaine loi de
finances leur fera la part belle. Nous faisons pour cela confiance au
Gouvernement et, bien entendu, monsieur le ministre, mes chers collègues, le
groupe socialiste votera ce projet de loi de ratification du protocole de
Kyoto.
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais
d'abord féliciter M. le rapporteur pour la qualité de son travail d'analyse sur
un sujet aussi complexe que la lutte contre le réchauffement climatique.
J'ai présenté le mois dernier, devant la délégation du Sénat pour l'Union
européenne, un rapport d'information sur la situation et les perspectives de
l'énergie nucléaire en Europe, rapport qui recoupe cette thématique sur de
nombreux points.
Je souhaite ainsi apporter un éclairage européen à notre débat d'aujourd'hui
et souligner la contribution que peut apporter l'énergie nucléaire à la lutte
contre l'effet de serre.
Dans son rapport, notre collègue Xavier Pintat rappelle l'ampleur du défi
auquel nous sommes confrontés. Scientifiquement, la réalité du phénomène du
réchauffement climatique fait de moins en moins de doute. Nous avons
certainement atteint un stade qui impose des choix politiques suivis de
décisions concrètes et ce sans plus attendre.
Le débat interne à l'Union européenne sur les choix énergétiques des Etats
membres doit être élargi au niveau mondial.
Le phénomène le plus lourd de conséquences est certainement l'augmentation
rapide de la consommation d'énergie dans les pays en voie de développement.
Comme le précise notre collègue Xavier Pintat dans son rapport, ces pays
représentent aujourd'hui un tiers seulement des émissions de CO2. Au nom du
droit au développement, ils refusent toutefois de se voir imposer une
obligation de réduire leurs émissions. Si on peut comprendre leur point de vue,
il faut toutefois souligner que leur part dans les émissions de CO2 pourrait
atteindre 60 % du total en 2050.
Ce rapport a aussi le mérite de rappeler que l'objectif actuel d'une réduction
de 5,2 % des émissions de gaz à effet de serre sur la période 2008-2012, même
s'il apparaît déjà très difficile à tenir, reste pourtant tout à fait
insuffisant au regard des nécessités. Il faudrait diviser par deux le niveau
des émissions de CO2 pour simplement stabiliser le phénomène du réchauffement
climatique à l'horizon 2050.
Ces chiffres confortent l'une des conclusions que j'exposais dans mon rapport
d'information, c'est-à-dire qu'il faut sortir d'une logique de compétition
entre les différentes sources d'énergie. Les énergies renouvelables ne doivent
plus être conçues comme une alternative au nucléaire. Face à l'ampleur des
besoins énergétiques et à l'urgence de la lutte contre le réchauffement
climatique, on aura besoin de toutes les formes d'énergie.
Actuellement, les opposants au nucléaire les plus réalistes admettent qu'il
est neutre quant à l'effet de serre. Mais ils craignent que le choix de cette
solution, qu'ils considèrent de facilité, ne gêne le développement des autres
formes d'énergie, c'est une attitude compréhensible. Dans un passé récent,
peut-être la France s'est-elle montrée trop satisfaite des succès de son
programme nucléaire et a-t-elle relâché de manière regrettable son effort de
promotion des énergies renouvelables. Mais nous assistons aujourd'hui à une
prise de conscience générale qui devrait rassurer les opposants au nucléaire :
il faut désormais avancer parallèlement sur tous les fronts énergétiques pour
avoir une chance de tenir les objectifs de Kyoto.
Comment se situe l'Union européenne dans cette problématique ? J'ai intitulé
mon rapport d'information
L'énergie nucléaire en Europe : union ou confusion
?
Je dois dire que, pour l'instant, à mon grand regret, la balance penche
nettement du côté du second terme.
L'important, d'un point de vue juridique et politique, est que les Etats
membres de l'Union européenne forment une « bulle » c'est-à-dire un ensemble
collectivement responsable au regard des engagements de Kyoto. Ils se sont, je
le répète, collectivement engagés à réduire de 8 %, d'ici à 2012, leurs
émissions de gaz à effet de serre, d'où la nécessité d'une réflexion collective
- j'insiste sur cette notion - mais aussi d'un droit de regard mutuel.
Parlons clair. Le Gouvernement allemand vient de confirmer, en signant un
accord avec ses producteurs d'électricité, sa décision de renoncer au nucléaire
d'ici à vingt ans. C'est un choix souverain que nous devons respecter. Mais on
peut être certain que l'Allemagne ne pourra désormais satisfaire ses
engagements de réduction des émissions de CO2. Dès lors, la France et les
autres Etats membres sont en droit de lui demander des comptes. Car si
l'Allemagne dérape, c'est la responsabilité collective de l'Union européenne
qui se trouvera engagée devant la conférence des parties à la convention-cadre
sur les changements climatiques.
Or, rien de sérieux n'est prévu pour l'instant en Allemagne. Les Verts parlent
beaucoup des économies d'énergie et des sources d'énergie renouvelables. Mais
le gouvernement allemand, sans trop s'en vanter auprès de ses partenaires
européens, table, de son côté, sur une relance de la production de lignite. Ce
combustible fossile abondant cumule les inconvénients du soufre et ceux du
CO2.
On retrouve de surcroît ce genre de contradictions ailleurs en Europe. Ainsi,
le Danemark se vante, à juste titre, d'être l'Etat membre le plus avancé pour
le développement de l'énergie éolienne. Mais il oublie de préciser qu'il est
aussi le plus polluant en ce qui concerne la quantité d'émission de CO2 par
habitant qui est dix fois supérieure à celle de la France, en raison de ses
centrales thermiques à charbon.
Dans de tels débats, qui sont totalement brouillés par les positions
idéologiques, il faut toujours partir des chiffres et rappeler combien les
faits sont têtus.
Comme je l'ai souligné dans mon rapport d'information, la situation actuelle
est inique pour la France. Celle-ci est mondialement exemplaire au regard des
émissions de gaz à effet de serre, grâce à son programme électronucléaire.
Mais, du coup, il lui est beaucoup plus difficile de s'améliorer que d'autres
Etats moins vertueux.
Elle ne peut pourtant pas se reposer sur ses lauriers, car la continuation des
tendances actuelles, comme le souligne le rapport de notre collègue, conduirait
à un dépassement de 20 % de ses engagements du protocole de Kyoto.
La France doit donc consentir un effort d'économies énergétiques et de
développement des énergies renouvelables qui est plus compliqué et plus coûteux
que la substitution d'une forme d'énergie non polluante, comme le nucléaire, à
des énergies fossiles.
Non seulement la France n'est pas créditée de sa contribution à la limitation
des émissions de CO2 de l'Union européenne, mais ses exportations d'électricité
d'origine nucléaire sont considérées par les fondamentalistes antinucléaires
comme suspectes. La France pourrait ainsi se retrouver dans la situation
paradoxale de devoir racheter des
quotas
d'émissions de CO2 à des pays
voisins, comme l'Italie, qui amélioreraient leurs performances au regard du
protocole de Kyoto en accroissant leurs importations d'électricité nucléaire
française. Or, si l'électricité est exportée, les déchets nucléaires restent en
France. Je crois que c'est là un débat qui mérite d'être porté devant les
opinions publiques européennes.
Cela m'amène à ma dernière considération. Une solution pour la France pourrait
consister à accroître ses droits d'émission de CO2 en exportant sa technologie
nucléaire, dans le cadre du « mécanisme de développement propre » prévu par le
protocole de Kyoto. Mais ce n'est, hélas, pas si simple.
La condition préalable est d'abord l'inclusion du nucléaire dans le champ du «
mécanisme de développement propre ». Cela serait logique car les arguments
scientifiques plaident en faveur de cette solution. Les Etats membres de
l'Union européenne sont très divisés à ce sujet. La France et le Royaume-Uni
sont pour, tandis que l'Allemagne, l'Autriche, la Suède et le Danemark sont
contre. Quant au Parlement européen, il a adopté, au mois de décembre dernier,
une résolution qui préconise d'exclure le nucléaire du « mécanisme de
développement propre », au motif qu'il ne s'agirait pas d'une source d'énergie
durable.
C'est là une position que j'ai qualifiée de dogmatique et d'erronée car, quels
que soient par ailleurs les défauts de l'énergie nucléaire, il est indéniable
qu'elle contribue à limiter les volumes des émissions de CO2 et que la matière
première est quasi illimitée.
Un autre obstacle présenté contre les exportations est le risque de
prolifération nucléaire. Certes, on ne saurait jamais être trop prudent dans ce
domaine, mais il faut le considérer avec pragmatisme. En effet, la question ne
se pose plus à l'égard de la Chine et de l'Inde, qui se sont déjà dotées par
leurs propres moyens de l'arme atomique. Il s'agit là de deux Etats-continents
aux besoins énergétiques considérables et en croissance rapide. Ils sont
soumis, de plus, à la tentation de recourir massivement à leurs ressources en
charbon, tout en disposant des capacités scientifiques et techniques
nécessaires pour maîtriser la technologie électronucléaire.
Des possibilités intéressantes de coopération existent également avec certains
Etats semi-industrialisés et devenus démocratiques, comme la Corée du Sud ou
certains pays d'Amérique latine.
Enfin, le dernier obstacle à lever dépend de la France elle-même, qui doit se
mettre en situation d'exporter sa technologie nucléaire. L'une des intérêts de
notre débat d'aujourd'hui est de rappeler que cet objectif d'exportation n'est
pas seulement un souci légitime du constructeur public de réacteurs nucléaires,
Framatome ; il correspond aussi à l'intérêt national. Nous pourrons ainsi avoir
à notre disposition - et ce serait un dû - les droits d'émission de CO2
supplémentaires qui nous seront vraisemblablement nécessaires.
C'est pourquoi je suis convaincu qu'il faut lancer, sans plus tarder, le
premier exemplaire de l'EPR pour développer la prochaine génération de
réacteurs nucléaires. En effet, des pays en voie de développement intéressés
sont demandeurs de technologies nucléaires fiables et éprouvées. Ainsi, la
Chine préfère nous acheter des tranches EDF classiques, plutôt que les versions
évoluées plus récentes. Si l'on souhaite exporter l'EPR, qui aura un meilleur
rendement et sera encore plus sûr que les réacteurs actuels, il est impératif
de disposer d'un recul d'expérience suffisant en lançant un premier exemplaire
dès maintenant.
Certes, le parc électronucléaire d'EDF est peut-être déjà surdimensionné par
rapport aux besoins nationaux, mais la libéralisation du marché européen nous
permet d'exporter de l'électricité. De plus, sans attendre les nécessités de
son renouvellement, il serait concevable de construire, si besoin est, le
premier exemplaire de l'EPR dans un pays étranger ; la Russie pourrait être
intéressée.
Notre rapporteur a raison d'estimer que la France, en assurant la présidence
de l'Union européenne au cours du second trimestre de l'année 2000, se trouve
investie d'une responsabilité particulière dans la lutte contre l'effet de
verre. Il a énuméré les trois priorités que le Gouvernement français s'est
fixées dans la perspective de la prochaine conférence ministérielle de La Haye
: mise en place d'un système d'observance ; rappel du caractère subsidiaire des
mécanismes de flexibilité ; enfin, mise en oeuvre d'un plan de coopération sur
le climat.
Je crois que notre pays devrait se fixer comme quatrième priorité de poser
officiellement, au niveau européen, la question du rôle du nucléaire dans la
lutte contre l'effet de serre. Il faut sortir d'une attitude purement
défensive.
Le risque d'accident nucléaire est aujourd'hui très raisonnablement maîtrisé
en Europe occidentale. Certes, le problème des déchets radioactifs constitue le
véritable talon d'Achille de la filière nucléaire. Mais les solutions
d'enfouissement en site géologique profond sont scientifiquement crédibles. Ce
sont les décisions politiques de mise en oeuvre qui font encore défaut dans
tous les Etats membres concernés. Il faut agir vite, en toute transparence,
tout en veillant à bien informer les populations, car une occultation du
nucléaire serait un frein à son développement.
Loin de moi l'idée de prétendre que le nucléaire est à 100 % dépourvu de tout
risque. Mais c'est le cas de toute production d'énergie ! Au-delà du symbole
originel de la bombe d'Hiroshima ou du traumatisme de Tchernobyl, il faut se
livrer à une appréciation politique. Si l'on considère la situation à laquelle
nous sommes actuellement confrontés, que constatons-nous ? D'un côté, nous
avons un risque très minime d'accident nucléaire et, selon les scientifiques,
pas de risque de fuite, même à très long terme, des dépôts géologiques
souterrains de déchets radioactifs. De l'autre côté, nous avons les effets
catastrophiques à moyen terme du changement climatique, qui apparaît de moins
en moins comme un risque et de plus en plus comme une certitude. Doit-on
troquer un risque d'accident contre une catastrophe annoncée ?
Nous rejoignons ici la thématique à la mode du « principe de précaution ». La
prudence est bien sûr une vertu. Mais elle ne doit pas devenir de la
pusillanimité et rendre impossibles des choix politiques vraiment responsables,
c'est-à-dire qui permettent de se projeter dans l'avenir.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que le même scepticisme peut
toujours justifier de ne rien faire dans tous les cas : les adversaires d'une
intervention publique contre le réchauffement climatique font valoir que ce
phénomène n'est pas scientifiquement prouvé ; les adversaires de l'énergie
nucléaire font valoir que son innocuité n'est pas garantie à 100 %.
Mais c'est précisément toute la difficulté et peut-être la noblesse du
politique que de savoir conserver une capacité de décider et d'agir en toute
situation, même s'il subsiste un résidu d'incertitude.
Nous devons ratifier le protocole de Kyoto quelles que soient ses
insuffisances. Mais la France se doit d'être pragmatique et, au-delà de tout
dogmatisme, d'affirmer en toute sérénité qu'elle est un pays exemplaire pour ce
qui est des émissions de gaz carbonique en raison de ses choix énergétiques.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'étais hier
à Berlin avec le Président de la République, mais aussi avec une délégation qui
comportait, outre le président du MEDEF, le président de Renault, celui
d'Aventis, celui de Suez-Lyonnaise des eaux et celui d'EDF. Le
Bund der
Deutschen Industrie,
l'équivalent allemand du MEDEF, a écouté avec beaucoup
d'attention le Président de la République et nous avons pu ensuite engager le
dialogue avec les quelques milliers de patrons allemands que rassemble cette
réunion annuelle. Je pense que ces derniers auraient été intéressés par notre
débat d'aujourd'hui, parce que tous sont consternés par la décision, critiquée
ici sur l'ensemble des travées, de sortir du nucléaire. Personne ne comprend en
effet comment on pourra suivre la voie tracée à Kyoto.
Le Gouvernement français s'honore d'être le premier à ratifier ce protocole.
Pour ma part, je suis heureux que la France le ratifie, tout en considérant, à
l'instar de tous les orateurs, qu'il comporte des lacunes. Celles-ci ont été
brillamment exposées par le rapporteur de la commission des affaires
étrangères, qui a regretté, à juste titre, le flou de certaines décisions, le
manque de sanctions et de contrôles et, d'une certaine façon, le droit de
polluer qui serait ainsi inscrit dans ce protocole de Kyoto, qui est une forme
de Constitution mondiale.
Il faudra aller beaucoup plus loin ! Pour ma part, je souhaite que la France
et l'Europe, pilotée par cette dernière, puissent manifester sur ce point la
grande crainte que l'humanité se doit d'avoir en raison, actuellement, d'une
légèreté de comportements dont l'opinion publique n'est pas, me semble-t-il,
tout à fait consciente.
Certes, des conférences internationales ont eu lieu. Mais, au fond de nos
provinces, qui connaît le « Sommet de la Terre » de Rio, la réunion de Berlin
de 1995, la Déclaration de Genève de 1996, la Conférence de Kyoto de 1997 et,
prochainement, celle de La Haye ? la plupart des gens ne les connaissent pas !
Ils sont totalement inconscients de ce que représente l'effet de serre !
En écoutant mes collègues, je me réjouissais du fait qu'ils étaient tous
inquiets, mais j'ai trouvé qu'ils ne l'étaient pas suffisamment.
En 1984 - voilà seize ans ! - j'avais réuni une conférence internationale de
scientifiques et de décideurs dans le secteur énergétique à Sophia-Antipolis
sur le thème : « le CO2 et le changement de climat ». La communauté
scientifique était déjà majoritairement convaincue de l'origine industrielle,
donc humaine, de l'augmentation des gaz à effet de serre. Effectivement, au vu
des chiffres relatifs au nombre de PPM - parties par millions - de PPB -
parties par billions - de CO2 dans l'atmosphère, qui ont été relevés, par
exemple, par les observatoires d'Hawaï au centre du Pacifique, on a constaté
une légère inflexion en 1984 à la suite de la crise pétrolière, ce qui montre
bien que le pétrole, le gaz, et plus généralement l'action humaine sont tout à
fait essentiels.
Maintenant, plus personne n'en doute ! A ceux qui disent que ce n'est pas
scientifiquement prouvé, je répondrai que rien n'est prouvé à 100 % en matière
scientifique. Je rappelle qu'en dépit des démonstrations de Lavoisier ses
successeurs ont considéré, pendant plus de trente ans, que sa théorie était
tout à fait marginale, alors qu'elle est aujourd'hui reconnue comme une
évidence. Eh bien ! actuellement, on connaît, de façon sûre, par exemple, les
raisons de la multiplication de certains cyclones tropicaux. En effet, l'effet
de serre peut non seulement avoir des conséquences sur les températures, mais
également et surtout provoquer un changement de climat. Et ce seul changement
de régime, aussi bien dans l'atmosphère que dans l'océan, entraîne des
phénomènes qui peuvent être extraordinairement rapides.
La théorie mathématique des catastrophes s'applique, c'est-à-dire que, du jour
au lendemain, peut intervenir un changement de direction d'un grand système de
mobilisation touchant des millions de mètres cubes d'océan. Par exemple, on
sait que
El Niño
peut, tout à coup, se déplacer 500 kilomètres plus au
nord, puis, l'année suivante, 500 kilomètres plus au sud. Cela peut aussi
arriver au
Gulf Stream,
dans cent ans comme dans dix ans.
Quantité d'autres phénomènes aussi dramatiquement préoccupants se produisent.
Je veux parler ici, en particulier, non seulement de la fusion lente des glaces
de l'inlandsis, notamment antarctiques, mais aussi d'un bloc de glace de la
taille de la France et de plusieurs kilomètres d'épaisseur, situé au-dessus de
la mer de Ross, maintenu par un piton, qui peut être affouillé à sa base et qui
pourrait donc tomber. Les calculs ont montré que cela entraînerait une hausse
du niveau général des mers de cinq mètres cinquante. Quand cela se
produira-t-il ? Dans vingt ans ? Dans cinquante ans ? Dans cent ans ? Dans deux
cents ans ? On l'ignore, mais, en tout cas, c'est autre chose que cinquante
centimètres, même cinquante centimètres en un siècle ! Cela signifie que tous
les ports du monde seraient mis hors service et qu'une grande partie des
aéroports seraient submergés. En même temps, des dizaines de millions d'êtres
humains pourraient être emportés par une montée des eaux, qui, dans certains
cas, pourrait être relativement lente, mais, dans d'autres cas, pourrait être
plus rapide.
Les cyclones tropicaux et les inondations liées à l'effet de serre ont déjà
causé des morts, non par milliers, mais par centaine de milliers, voire par
millions.
Par conséquent, les associations qui, par exemple, considèrent qu'il faut
essayer de savoir ce qui se passe du côté de La Hague, notamment Greenpeace,
feraient mieux de s'occuper de l'effet de serre, parce que ses conséquences
sont d'une ampleur tout autre que celles de tous les phénomènes qui ont pu se
produire auparavant, même à Tchernobyl. Ce qui est arrivé à Tchernobyl est très
regrettable ; c'est une véritable catastrophe, mais elle n'a pas fait des
millions de morts. Même Hiroshima n'a pas fait des millions de morts. Il y a
une disproportion.
Certes, nos gouvernements doivent agir pour aller plus avant dans le sens de
Kyoto, mais il faudrait aussi que nous manifestions une volonté forte afin que
l'opinion publique comprenne de quoi il s'agit.
Pour ma part, j'ai l'intention, à Sophia-Antipolis, de faire une
démonstration, en m'appuyant sur les meilleurs experts du CNRS, sur les
meilleurs experts américains, de façon que le public sache ce que représente
l'effet de serre. En effet, pour le grand public, deux degrés de plus, après
tout, ce n'est pas plus mal : il fera moins froid en hiver ! Nos compatriotes
se rendent-ils vraiment compte des aspects indirects d'un changement de climat
? Cela signifie des migrations forcées de populations, de plusieurs centaines
de millions d'habitants qui vivent actuellement autour de la Méditerranée. Que
ferons-nous quand des millions de personnes qui crèveront « de soif » parce
qu'il n'y a plus d'eau ou qui mourront de faim se mettront en marche ? Les
accueillerons-nous ? Sommes-nous prêts à cela. Se prépare-t-on à les recevoir ?
Ou bien va-t-on leur dire : crevez chez vous !
Pour ma part, je considère que les personnes qui se préoccupent de manière
intéressante de développement durable devraient s'en préoccuper, non seulement
pour les pays les plus tempérés, qui sont les moins menacés, mais aussi pour
les pays en voie de développement. Cela me gênerait beaucoup que 50 millions
d'habitants du Bangladesh meurent à la suite d'une inondation un peu plus
survenue à l'occasion d'une mousson un peu plus importante et plus longue. Les
scientifiques savent qu'un tel phénomène aura lieu, même s'ils ne peuvent dire
quand il se produira. L'année prochaine ? Dans dix ans ? Dans cinquante ans ?
Il s'agit tout de même d'une menace réelle. Il y a là un problème majeur.
L'opinion publique manifeste, selon moi, une crainte injustifiée vis-à-vis des
déchets nucléaires, même s'ils posent en effet un réel problème. Pouvons-nous
attendre quelques années ou quelques centaines d'années en stockant les déchets
nucléaires en profondeur ou en surface ? La réponse est oui.
D'ici à cent ans, on saura les envoyer sur le soleil, avec un risque
extraordinairement minime qu'ils retombent sur notre planète. Pour s'en
convaincre, il suffit de voir les progrès fantastiques en matière de
propulsion. Dans quelque temps, on saura se débarrasser de ces déchets en un
lieu de l'univers où, d'ores et déjà, ont lieu de nombreuses réactions
atomiques. C'est d'ailleurs grâce à elles que la vie est possible. En effet,
sans le soleil, nous n'existerions pas. Il y a une démesure dans l'opinion
publique.
L'essentiel du message que je veux faire passer dans cette enceinte est le
suivant : il est fondamental de favoriser une prise de conscience au sein de la
population du fait que nous sommes en train de détruire l'avenir de
l'humanité.
Nous sommes probablement le pays le plus avancé, la France en a d'ailleurs
l'habitude. Nous l'avons été en 1789 ; nous pouvons l'être maintenant.
Par ailleurs, nous pouvons en même temps, chez nous, prendre des mesures
complémentaires. Nous sommes la lanterne rouge de l'Europe en matière de
télétravail. Pourtant, le télétravail permet de diminuer le transport. Faisons
des efforts pour que les populations comprennent l'importance du
télétravail.
On prévoit que, dans quelques années, il y aura 30 % de télétravailleurs dans
la plupart des pays. On en dénombre 18 % en Finlande, 15 % aux Pays-Bas, et 5 %
en Allemagne. On en compte seulement 2 % en France. Ce n'est pas normal. En
effet, voilà quelques années, l'Allemagne se situait au même niveau que la
France. Il faut donc que nous fassions un effort en matière de télétravail.
C'est l'une des pistes, mais il en existe beaucoup d'autres.
(M. Hilaire Flandre applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le protocole
de Kyoto, signé le 12 décembre 1997 par cent cinquante-neuf pays, engage -
théoriquement - les pays développés à réduire de 5 % en moyenne leurs émissions
de gaz carbonique et d'autres gaz jugés responsables du réchauffement de la
planète. A ce jour, seuls quinze pays, pour la plupart des petits pays
insulaires particulièrement concernés par le réchauffement climatique lié à
l'effet de serre, l'ont ratifié.
Si ce protocole, adopté dans le cadre de la convention de Rio de 1992 sur les
changements climatiques, est considéré comme le traité le plus ambitieux jamais
mis au point en matière d'environnement et représente une avancée
incontestable, force est de constater que les modalités d'application sont loin
d'être fixées de façon satisfaisante.
L'objectif affiché de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre et les
conséquences du réchauffement climatique est une urgence aujourd'hui, et fait
d'ailleurs l'objet d'un consensus international.
Comme le rappelait récemment mon collègue et camarade Paul Vergès en
présentant son rapport sur la proposition de loi tendant à créer un
observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, les
changements climatiques seront sans doute l'un des problèmes structurels
auxquels le monde sera confronté dans les décennies à venir. L'intensification
des émissions de gaz à effet de serre, produits par le développement de
l'industrialisation et des activités humaines, conduit à ce réchauffement dont
les conséquences devraient, à terme, être considérables.
On le voit d'ailleurs déjà aujourd'hui avec la multiplication des aléas
climatiques aux effets parfois catastrophiques. Même si, pour le moment, les
scientifiques n'ont pas pu encore établir formellement le lien entre
l'augmentation de l'effet de serre et le réchauffement climatique, le principe
de précaution impose que nous prenions dès aujourd'hui des mesures pour les
réduire.
La mobilisation de la communauté internationale pour engager une politique de
maîtrise des émissions de gaz à effet de serre est très importante
aujourd'hui.
La France a joué un rôle pionnier en la matière en étant parmi les premiers
pays qui se sont mobilisés et qui ont affirmé la nécessité d'une politique
volontariste. Notre pays, qui présente la spécificité de recourir de manière
importante à l'énergie nucléaire, ce qui permet à sa production d'électricité
d'émettre peu de gaz à effet de serre, a réduit ses émissions depuis quelques
années au-delà des engagements pris.
Les efforts doivent être poursuivis et étendus à l'ensemble des politiques
sectorielles. Surtout, ils devront être coordonnés, tant sur le plan européen,
par la mise en place d'une véritable stratégie communautaire, qu'à l'échelon
international.
Le protocole de Kyoto, en fixant pour la première fois des objectifs
contraignants et chiffrés de réduction des émissions dans les pays
industrialisés, s'inscrit dans cet objectif. Mais qu'en est-il des modalités
d'application de ce texte ?
La conférence de La Haye doit précisément fixer, en novembre prochain, ces
modalités. Toutefois, dès aujourd'hui, on ne peut que s'inquiéter de certains
aspects qui, selon nous, détournent le texte de son objet premier, qui est la
protection de l'environnement.
En effet, l'institution d'un marché de droits d'émission a été entérinée lors
des négociations, sous la pression de certains pays, en particulier des
Etats-Unis. Cela signifie que les engagements pris peuvent être contournés,
puisque pays pollueurs - pays développés, essentiellement - et pays moins
pollueurs pourraient s'échanger les excédents et déficits d'émission sur ce
marché. Ce seraient évidemment les pays en voie de développement, dont les
quotas sont surévalués, qui vendraient leurs excédents, introduisant un système
fondé sur une logique de rapports de force aux effets pervers.
Cette conception commerciale, qui permettrait aux pays riches d'acheter des «
permis à polluer » pour continuer à émettre autant de gaz à effet de serre et
ne rien changer à leur mode de développement, nous semble particulièrement
inacceptable.
Ce système ne va pas dans le sens d'un règlement global à long terme du
problème. Il permet aux pays industrialisés, au premier rang desquels figurent
les Etats-Unis, de se soustraire à leurs responsabilités, en ne mettant pas en
place des mesures de réduction à l'échelon national. Rappelons, d'ailleurs, que
les Etats-Unis, comme le Japon ou le Canada, ont vu leurs émissions progresser
de façon importante depuis 1997, malgré leurs engagements pris à Kyoto.
Ces mécanismes de flexibilité sont en contradiction totale avec les principes
de coopération, de transferts de technologies « propres » qu'il faudrait, au
contraire, promouvoir de façon urgente si nous voulons parvenir à un
développement durable pour l'ensemble de la planète, même si vous avez déclaré,
monsieur le ministre, que ces mécanismes ne devraient être que des compléments
à l'effort national.
Mme la ministre de l'environnement a rappelé à plusieurs reprises sa volonté
de voir les objectifs de réduction des émissions prévus par le protocole de
Kyoto être atteints principalement par des mesures mises en oeuvre à l'échelon
national, et donc le recours à ces « permis d'émission » limité. Comment croire
que, sans aucune garantie ni contrainte, tel sera le cas à l'échelon mondial
?
De plus, l'Union européenne, par la volonté de certains de ses Etats membres,
semble s'orienter, elle-même, vers cette logique, à laquelle elle propose
simplement de fixer des limites.
Si nous partageons pleinement la volonté de réduire les émissions de gaz à
effet de serre, le protocole de Kyoto, tel qu'il nous est présenté aujourd'hui,
ne nous semble pas répondre à cet objectif et à l'affirmation d'une politique
volontariste et solidaire de développement durable pour la planète.
Il défend, au contraire, une certaine logique de domination et permet de ne
pas remettre en cause les modes de développement des économies les plus
pollueuses, ce qui est en contradiction avec le principe même de développement
durable.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, dans un souci de responsabilité, face
aux enjeux dont il est question ici, le groupe communiste républicain et
citoyen ne pourra pas voter ce projet de loi et s'abstiendra.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Permettez-moi, tout d'abord, d'exprimer les regrets de
Mme Voynet qui n'a pu participer à ce débat dont elle mesure toute
l'importance, car elle est retenue à l'Assemblée nationale pour débattre d'une
question qui ne laisse pas indifférents les sénateurs puisqu'il s'agit de la
chasse.
Certes, j'ai dû introduire des modifications dans mon agenda, mais je suis
tout à fait intéressé par le sujet que nous examinons aujourd'hui. C'est
probablement l'une des questions dont la relation au temps et à l'espace est
aussi essentielle. Pour traiter ce problème, il faut avoir une approche
citoyenne, et à son meilleur degré d'exigence puisque, dans un tel débat, il
s'agit de la citoyenneté du monde.
J'ai eu l'occasion d'aborder personnellement ce sujet. Etant en charge de la
coopération et du développement, je sais que la question des pays en
développement est l'une des préoccupations centrales du débat. Par ailleurs, en
participant, à deux reprises, au forum du Pacifique, aux îles Cook en 1997 et à
Palau l'an dernier, j'ai pu mesurer l'inquiétude très vive des populations, à
travers les élus qui s'exprimaient, de ces îles du Pacifique qui seront rayées
de la carte si les perspectives qui ont été évoquées tout à l'heure deviennent
réalité.
Je regrette d'autant plus l'absence de Mme Voynet qu'elle aurait bien mieux
que moi été en mesure de répondre à des questions centrales qui ont été
soulevées, je pense notamment au débat relatif au nucléaire. Elle aurait su
mieux que moi répondre au jugement porté par l'un d'entre vous et aux termes
duquel les arbitrages du Premier ministre seraient rarement rendus en sa
faveur. Je suis sûr qu'elle aurait pu avancer nombre d'arguments pour apporter
la preuve du contraire. Mais elle aura sans doute l'occasion de s'exprimer en
d'autres circonstances, et peut-être même ici, sur cette question, car il n'est
pas impossible que vous l'interpelliez à nouveau sur ce thème.
M. Pierre Laffitte.
Volontiers !
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Ces questions renvoient à la responsabilité des Etats,
mais aussi au comportement des entreprises et des individus. Cela suppose, en
effet, des prises de conscience qu'il faut favoriser, des mobilisations dont
nous mesurons bien qu'elles ne sont pas satisfaisantes aujourd'hui. Il faudrait
sans doute qu'un débat comme celui-ci soit popularisé pour mieux faire prendre
la mesure des difficultés.
Les pays en développement ne sont pas partie prenante à cet accord, alors
qu'ils sont appelés à émettre, si l'on prolonge les courbes, une part
significative des gaz à effet de serre.
Il est vrai qu'ils ont d'autres priorités, notamment la survie presque
immédiate, quasi quotidienne, de leurs populations. On peut donc comprendre
qu'ils n'attachent pas à cette question l'importance qu'il faudrait néanmoins
qu'ils y attachent.
Par ailleurs, nous n'avons pas, nous, pays industrialisés, commencé à faire
l'effort que nous devrions faire, et ils sont, dès lors, tentés de nous engager
à commencer cet effort avant de voir ce qu'ils pourront faire ensuite. Au
demeurant, c'est tout de même bien parce que nous n'avons pas eu cette
préoccupation que nous avons réussi notre développement industriel ! Si nous
avions eu les mêmes contraintes que celles que nous voudrions leur imposer
aujourd'hui, nous n'aurions pas réussi de la même manière.
Cette interpellation forte, qui n'est pas une réponse à la question posée, est
en tout cas une explication qu'il nous faut entendre. Elle renvoie à la
responsabilité et à la solidarité du Nord vis-à-vis du Sud.
Pour répondre au souci de ceux qui ne sont pas parties prenantes pour
l'instant à cette convention, nous pouvons penser que, lorsque nous aurons
ouvert la voie, nous aurons plus de facilités à les convaincre de nous suivre,
à condition que nous sachions leur apporter les expertises, les appuis, et
probablement les financements nécessaires, ce qui est un point tout à fait
important.
Bref, il faut qu'ils s'y préparent, et nous devons les aider à assumer eux
aussi leurs propres responsabilités.
Sans entrer dans le fond du débat nucléaire, même si j'ai entendu les
arguments développés par les uns et les autres à cet égard et les questions que
la décision allemande peut justement susciter en elle-même - et auxquelles il
faut que nous essayions de répondre -, je tiens à souligner que, si les
émissions de gaz à effet de serre augmentent actuellement, c'est surtout le
secteur des transports qui en est la cause, notamment en France. Cela montre
l'importance qu'il nous faut attacher à la réduction de la consommation des
carburants dans les transports aériens et terrestres.
Mais il est vrai que les progrès techniques et technologiques réalisés dans ce
domaine vont dans la bonne direction.
M. Lepeltier regrettait tout à l'heure que nous n'en soyons qu'aux études.
Parions cependant qu'au terme de ces études des propositions plus concrètes et
des réalisations pourront être engagées.
En tout cas, pour ce qui concerne la France, nous nous sommes fixés pour
objectif de stabiliser les émissions dans le secteur des transports, surtout
compte tenu du développement attendu de ce secteur. Les mesures techniques
envisagées ne concernent d'ailleurs pas que les seuls véhicules, même s'il y a
eu un accord volontaire de la part des constructeurs automobiles pour réduire
les émissions de gaz des véhicules neufs, avec le programme « Predit », qui est
actuellement à l'étude.
Au-delà, nous connaissons aujourd'hui une inflexion forte dans le choix des
infrastructures, le rail étant privilégié par rapport à la route - c'est un
sujet auquel le ministre des transports est très attentif, vous vous en doutez
-, et cette orientation est au coeur aussi bien de la négociation des contrats
de plan Etat-région que des schémas de services collectifs.
M. Pintat a soulevé la question de la négociation.
Il est vrai que notre objectif était d'arriver à La Haye avec un accord
supposant la ratification du protocole par un nombre suffisant de pays pour
permettre son entrée en vigueur, et surtout sa ratification par les Etats-Unis.
Il s'agit du partage du fardeau, en quelque sorte. Etant donné qu'il s'agit
d'un bien commun à l'humanité, on ne comprendrait pas que le pays le plus riche
de la planète, qui produit une part significative des émissions de gaz
incriminées, ne participe pas à cet effort !
Je ne peux pas aujourd'hui vous dire que les Etats-Unis nous ont d'ores et
déjà entendus. J'observe simplement que les sénateurs américains ne sont plus
unanimement contre ce protocole. Il en ira peut-être comme de la peine de mort
: les choses bougent et on peut penser que, sous l'effet de l'opinion et de la
société civile américaine, le Sénat modifiera son point de vue. Les élections
américaines interviendront d'ailleurs quelques jours avant la conférence de La
Haye. Souhaitons que, très vite, les Américains prendront la mesure de leurs
responsabilités en la matière !
Les objectifs du protocole ne seraient pas, selon certaines, suffisants. Je
rappelle qu'une diminution de 5 % en 2010, telle qu'elle est prévue dans le
protocole de Kyoto, représente tout de même une réduction de 25 % par rapport
aux évolutions tendancielles des pays industrialisés ! Certes, on peut toujours
discuter la précision de ces courbes pour l'avenir, mais c'est important, et
cela reste cohérent, nous disent les spécialistes, avec un objectif de
stabilisation à long terme des concentrations atmosphériques de CO2 à un niveau
sans doute double du niveau préindustriel, mais permettant tout de même
d'éviter les évolutions catastrophiques qui ont été dénoncées à l'instant.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
remarques que je souhaitais vous livrer à l'issue d'un débat que j'ai trouvé de
très grande qualité.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
C'est vrai !
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Je regrette à nouveau - et elle avec moi - que Mme
Voynet n'ait pu elle-même y participer. Elle aurait certainement permis
d'élever encore le niveau de ce débat.
Je regrette, enfin, que certains n'aient pas cru devoir s'associer à ce
protocole, mais j'espère que, dans ce domaine aussi, le temps fera son
oeuvre.
Je suis heureux, en tout cas, que la France puisse arriver à la conférence de
La Haye avec l'argument de la ratification, car je crois qu'il est important.
(Applaudissements.)
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation du protocole de Kyoto à
la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (ensemble
deux annexes), fait à Kyoto le 11 décembre 1997 et signé par la France le 29
avril 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
16
DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la
ratification de la convention n° 182 de l'Organisation internationale du
travail concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et
l'action immédiate en vue de leur élimination.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 448, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
17
TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice
2001 - section III - Commission - crédits opérationnels - sous-section B 8
(Politique étrangère et de sécurité commune, PESC).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1464 (annexe 13) et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice
2001 - section III - Commission - crédits opérationnels - sous-section B 6
(Recherche et développement technologique).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1464 (annexe 14) et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice
2001 - section III - crédits opérationnels - sous-section B 5 (Protection des
consommateurs, marché intérieur, industrie et réseaux transeuropéens).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1464 (annexe 15) et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice
2001 - section III - Commission - crédits opérationnels - sous-section B 3
(Formation, jeunesse, culture, audiovisuel, information, dimension sociale et
emploi).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1464 (annexe 16) et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice
2001 - volume 0 - Introduction générale.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1464 (annexe 17) et distribué.
18
RENVOI POUR AVIS
M. le président. J'informe le Sénat que le projet de loi d'orientation sur la forêt, adopté par l'Assemblée nationale (n° 408, 1999-2000), dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
19
DÉPO^T DE RAPPORTS D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra un rapport d'information fait
au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation sur la gestion et l'utilisation des dépenses
éventuelles et accidentelles depuis 1990.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 444 et distribué.
J'ai reçu de M. Jean Delaneau un rapport d'information fait au nom de la
commission des affaires sociales sur la sécurité sanitaire après la loi du 1er
juillet 1998 : état des lieux et perspectives en France et en Europe.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 445 et distribué.
J'ai reçu de M. Pierre André un rapport d'information fait au nom de la
délégation du Sénat pour la planification sur les troisièmes contrats de plan
Etat-région (1994-1999).
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 446 et distribué.
J'ai reçu de M. Michel Mercier un rapport d'information fait au nom de la
mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la
décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter
l'exercice des compétences locales.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 447 et distribué.
20
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au jeudi 29 juin 2000 :
A neuf heures trente :
1. Discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 423, 1999-2000), adopté
par l'Assemblée nationale, relatif à la durée du mandat du Président de la
République.
Rapport n° 426 (1999-2000) de M. Jacques Larché, fait au nom de la commission
des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
règlement et d'administration générale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus
recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à un scrutin public
à la tribune lors du vote sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
2. Discours du président du Sénat.
3. Suite de l'ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATION DE MEMBRES
DE COMMISSIONS PERMANENTES
Dans sa séance du mercredi 28 juin 2000, le Sénat a nommé :
M. Philippe Labeyrie membre de la commission des affaires culturelles, en
remplacement de Mme Claire-Lise Campion, démissionnaire ;
Mme Claire-Lise Campion membre de la commission des affaires sociales, en
remplacement de M. Philippe Labeyrie, démissionnaire.
NOMINATION DU BUREAU
D'UNE MISSION COMMUNE D'INFORMATION
Dans sa séance du mercredi 28 juin 2000, la mission commune d'information
chargée d'étudier l'ensemble des questions liées à l'expatriation des
compétences, des capitaux et des entreprises a procédé à la nomination de son
bureau, qui est ainsi constitué :
Président :
M. Denis Badré ;
Vice-présidents :
MM. Robert Del Picchia, Marc Massion, André
Vallet.
Secrétaires :
Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Philippe Adnot.
Rapporteur :
M. André Ferrand.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du mercredi 28 juin 2000
SCRUTIN (n° 91)
sur l'article 3 du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, relatif à l'élargissement du conseil
d'administration d'Air France et aux relations de cette société avec l'Etat, et
portant modification du code de l'aviation civile.
Nombre de votants : | 319 |
Nombre de suffrages exprimés : | 319 |
Pour : | 99 |
Contre : | 220 |
Le Sénat n'a pas adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Pour :
17.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Pour :
5. - MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon
Collin, et Gérard Delfau.
Contre :
18.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :
Contre :
97.
N'ont pas pris part au vote :
2. - M. Christian Poncelet, président du
Sénat, et M. Jacques Valade, qui présidait la séance.
GROUPE SOCIALISTE (77) :
Pour :
77.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :
Contre :
52.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :
Contre :
46.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :
Contre :
7.
Ont voté pour
François Abadie
Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Jean-Yves Autexier
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
André Boyer
Yolande Boyer
Robert Bret
Claire-Lise Campion
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Yvon Collin
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Thierry Foucaud
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Roland Muzeau
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber
Ont voté contre
Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Alain Hethener
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Max Marest
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
N'ont pas pris part au vote
MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Jacques Valade, qui présidait
la séance.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes
à la liste de scrutin ci-dessus.