Séance du 26 juin 2000
CONTRÔLE DES FONDS PUBLICS
ACCORDÉS AUX ENTREPRISES
Rejet d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 379, 1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture,
relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et
décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises. [Rapport n° 385
(1999-2000)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi a
été conçue par M. Robert Hue à l'automne 1999 comme une réponse à ce qu'on a
appelé, à l'époque, « l'affaire Michelin ».
Cette initiative repose aussi sur d'importants travaux parlementaires, tels
que le rapport de MM. Daniel Paul et Alain Fabre-Pujol de juin 1999 sur les
pratiques des grands groupes et leurs conséquences sur l'emploi et sur
l'aménagement du territoire.
Le gouvernement de Lionel Jospin s'est déjà prononcé en faveur de ce texte en
première et en deuxième lectures à l'Assemblée nationale ainsi qu'en première
lecture devant votre Haute Assemblée.
Il s'agit de concourir à la transparence des aides publiques aux entreprises,
et il est question d'un dispositif équilibré mobilisant tous les acteurs
économiques, politiques et sociaux.
Cette proposition de loi pose le principe de la transparence comme instrument
d'efficacité et d'équité des aides aux entreprises.
Les aides à l'emploi contribuent à rendre la croissance plus riche en emplois
et à expliquer les excellents résultats de la France depuis trois ans dans la
lutte contre le chômage.
Les plus libéraux, qui brocardent ces aides en général, conviennent de leur
utilité quand ils sont confrontés de manière concrète aux difficultés d'une
entreprise au niveau local.
Mais, pour assurer l'efficacité de la dépense publique, il est nécessaire
d'identifier et de sanctionner les abus. Ces derniers sont rares, car les
services gestionnaires et les corps d'inspection des ministères s'appuient sur
des critères précis d'octroi des aides, mais ils n'en sont pas moins choquants,
lorsqu'ils se produisent, pour les entreprises concurrentes, pour les salariés
concernés, pour les contribuables et pour les citoyens en général.
Quelles sont ces dérives ? Il s'agit de tel chef d'entreprise qui s'engage au
maintien de l'emploi qu'il sait impossible ou de tel autre qui est en quelque
sorte « abonné » à des aides dont il pourrait fort bien se passer.
Pour identifier ces abus et y remédier, il n'existe pas, à ce jour, d'instance
nationale d'évaluation des dispositifs d'aide aux entreprises. De ce point de
vue, la proposition de loi qui vous est soumise met donc fin à un manque en
instituant une commission nationale déclinée en commissions régionales.
La proposition de loi évite deux écueils opposés : celui de la bureaucratie et
celui de l'alibi. En effet, l'écueil de la bureaucratie est évité, car la
commission n'est pas instituée dans l'optique d'une investigation systématique
et ne fait pas peser une suspicion généralisée sur l'ensemble de nos aides aux
entreprises. Quant à l'écueil de la commission alibi, dénuée de tout pouvoir,
celui-ci est également évité. La proposition de loi dote en effet la commission
de moyens d'information puissants et de relais régionaux efficaces.
Le dispositif de contrôle proposé est, par ailleurs, équilibré. Il confère
tout leur rôle aux différents acteurs politiques, économiques, sociaux et
administratifs.
Les auteurs de la proposition de loi ont retenu une composition très large de
la commission, ainsi que des possibilités de saisine très ouvertes, ce qui
permet d'enrichir la vision des pouvoirs publics sur la mise en oeuvre de ces
aides. La commission comprendrait ainsi des parlementaires en son sein et son
travail préparerait et compléterait les initiatives du Parlement en la matière
sans jamais s'y substituer.
Les pouvoirs de la commission relèvent de l'information, de l'évaluation et de
la sanction. Une information précise, tout d'abord, grâce aux rapports qui lui
seront transmis chaque année par les préfets de région ; une évaluation
rigoureuse, ensuite, qui sera confortée par la capacité de saisir les services
gestionnaires des aides ; des pouvoirs de sanction effectifs, enfin, par la
possibilité, pour le gestionnaire d'aides, de suspendre ces aides ou même d'en
obtenir le remboursement.
Dans ces conditions, le Gouvernement réexprime une nouvelle fois son adhésion
à la démarche dont le groupe communiste de l'Assemblée nationale a pris
l'initiative et vous demande de bien vouloir adopter ce texte.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est saisi, en deuxième
lecture, de la proposition de loi qui a été déposée par le groupe communiste de
l'Assemblée nationale et qui vise à créer une commission de contrôle nationale
et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises.
Le Sénat avait rejeté cette proposition de loi au cours de sa séance du 24
février 2000, en lui opposant la question préalable. Mais l'Assemblée
nationale, persistant à vouloir créer une commission administrative
supplémentaire et inutile, l'a adoptée, en deuxième lecture, le 31 mai
dernier.
Je voudrais d'abord rappeler rapidement les raisons qui avaient conduit le
Sénat à rejeter cette proposition de loi. Votre commission des finances avait
mis en avant plusieurs arguments qui, tous, appelaient à un rejet sans réserve
de ce texte.
Ainsi, les auteurs de la présente proposition de loi et son rapporteur à
l'Assemblée nationale, M. Jean Vila, ont recouru à des arguments dont la nature
économique était incertaine, en particulier des arguments émotionnels ne
convenant guère à la réflexion et à la sérénité nécessaires à une bonne
législation.
L'Assemblée nationale avait réagi de façon précipitée face à des événements
ponctuels, sans examen approfondi de la situation d'ensemble des entreprises
montrées du doigt.
Le Sénat ne pouvait cautionner une proposition de loi étayée par une
conception de l'économie qui appartient au passé, révélant une nostalgie
certaine de l'économie administrée qui ne peut que contrarier l'allocation
optimale des ressources, et, de ce fait, constituer un frein à la croissance et
à l'emploi.
La volonté de nos collègues députés d'amoindrir leurs propres prérogatives
était incompréhensible, le type de contrôle qu'il est proposé de mettre en
place relevant, au premier chef, des compétences que le Parlement tient de la
Constitution et des lois prises pour son application. Il convient, à cet égard,
de rappeler que les rapporteurs spéciaux des commissions des finances du
Parlement, ainsi que les rapporteurs des commissions d'enquête que ce dernier
aurait constituées, disposent déjà des pouvoirs nécessaires pour contrôler
l'emploi des fonds publics accordés aux entreprises.
L'Assemblée nationale a adopté une position paradoxale : affirmant à maintes
reprises sa volonté de développer le contrôle parlementaire de la bonne
utilisation des deniers publics, elle a adopté ce texte qui, en dépit de la
création d'une mission d'évaluation et de contrôle au sein de sa commission des
finances, aurait pour conséquence d'affaiblir les missions de contrôle
effectuées par ladite mission d'évaluation.
En outre, j'avais démontré que la présente proposition de loi ne constitue, en
réalité, qu'un gage politique destiné à renforcer la cohésion de la majorité
plurielle. Si M. Jean Vila note que j'avais cru « devoir ironiser sur les
objectifs politiques» de l'adoption de ce texte, ce que je ne démens d'ailleurs
pas, il n'explique pas pourquoi l'Assemblée nationale avait rejeté la
proposition de résolution de notre collègue Dominique Paillé tendant à créer
une commission d'enquête portant sur les suites données aux rapports publics de
la Cour des comptes, ni pourquoi M. Didier Migaud, rapporteur général de
l'Assemblée nationale, s'était déclaré, en commission, hostile en principe,
mais conjoncturellement favorable à cette proposition, ni pourquoi, enfin, la
proposition de loi de M. André Lajoinie, tendant à renforcer le régime
juridique des licenciements pour motif économique, à laquelle le Gouvernement
n'était pas favorable, a été rejetée par les seuls députés socialistes.
Ne donnant aucune réponse à ces questions, qu'il a volontairement passées sous
silence, notre collègue Jean Vila n'a dès lors pas apporté la démonstration que
la position du Sénat était infondée. Et pour cause, puisque la raison
fondamentale de l'adoption de la présente proposition de loi est de donner un
gage à une composante de la majorité plurielle, le groupe communiste en
l'occurrence !
Après avoir rappelé l'analyse du Sénat à l'égard de ce texte, il convient de
constater que son examen en deuxième lecture par l'Assemblée nationale n'a
absolument rien changé au fond, et n'est pas susceptible, dès lors, de modifier
la position du Sénat.
L'Assemblée nationale, en effet, n'a apporté que des modifications de nature
rédactionnelle ou de précision à la présente proposition de loi. Elle a
notamment inséré, après l'article 3, un article additionnel nouveau qui
rassemble dans un article spécifique les dispositions relatives aux commissions
créées dans chaque région sur le modèle de la commission nationale.
Le caractère peu réaliste et difficilement praticable des dispositions
soumises à notre examen, que j'avais déjà critiqué en première lecture, n'est
donc en rien amélioré.
N'en déplaise à M. Jean Vila, « la curiosité de la Haute Assemblée - en
matière de contrôle de la dépense publique - ne s'émousse pas à l'approche des
comportements des entreprises privées » !
Je rappelle d'ailleurs, au-delà de ces propos quelque peu polémiques, que le
Gouvernement et l'Assemblée nationale divergent dans leur appréciation du
niveau des aides à l'emploi.
En effet, la ministre de la solidarité avait poussé des cris d'orfraie lorsque
le Sénat avait adopté des amendements de réduction des crédits des titres III
et IV, estimant qu'il était impossible de réaliser des économies sur les
crédits d'intervention de son ministère, même si Bercy nous a ensuite expliqué
qu'il réalisait de nombreuses économies sur les dispositifs de la politique de
l'emploi. Quant à l'Assemblée nationale, elle considère désormais comme trop
élevé le niveau des aides à l'emploi accordées aux entreprises.
Toujours est-il que votre commission ne saurait cautionner la conception
essentiellement administrative du contrôle des fonds publics qui sous-tend
l'ensemble de la présente proposition de loi.
En effet, elle consiste à confier ledit contrôle à l'administration plutôt
qu'aux représentants du peuple démocratiquement élus ! Le plus grave, c'est
sans doute que cette inspiration administrative du contrôle des fonds publics
est pleinement assumée, presque revendiquée.
Ainsi M. Jean Vila explique-t-il que la présente proposition de loi ne portera
pas atteinte aux prérogatives des assemblées parlementaires en matière de
contrôle. Il recourt à deux arguments.
D'une part, il note que ce texte prévoit en son article 2 la présence de
parlementaires au sein de la commission nationale. Or il est à craindre que
ceux-ci ne représentent la caution du contrôle effectué par une commission
administrative au sein de laquelle ils seront probablement très minoritaires,
alors qu'elle sera dotée de pouvoirs importants.
D'autre part, il considère que ce n'est pas « parce qu'elle examine
l'exécution des lois de finances (...) que l'existence de la Cour des comptes
réduit les prérogatives des assemblées parlementaires ». Cette comparaison n'a,
à mes yeux, aucune pertinence, le rôle que la Cour des comptes tient auprès des
assemblées parlementaires étant fixé par l'article 47 de la Constitution.
En outre, il convient d'émettre de très forts doutes sur le fait que « les
travaux de la commission nationale (...) constitueront pour le Parlement une
source supplémentaire d'information et lui fourniront un autre éclairage de
nature à renforcer son propre contrôle ».
En effet, la commission nationale qu'il est proposé de créer verra son
secrétariat assuré par le Commissariat général du Plan, c'est-à-dire par un
service du Premier ministre dont les services ne seront d'ailleurs pas
renforcés. Dès lors, pourquoi ne pas se satisfaire des travaux actuels du
Commissariat, d'autant qu'il existe déjà en son sein une structure qui évalue
les aides publiques ?
En outre, le secrétariat des commissions régionales sera assuré par le
représentant de l'Etat dans les régions, c'est-à-dire par le préfet, qui, en
tant que responsable des services déconcentrés de l'Etat, dirige les organismes
gestionnaires des aides publiques, et accorde donc lesdites aides, dont
l'utilisation sera contrôlée. Autrement dit, le contrôleur et le contrôlé ne
font qu'un !
Enfin, je voudrais conclure sur les propos tenus par notre collègue Thierry
Foucaud à l'occasion de l'examen la présente proposition de loi en première
lecture. Il a ainsi déclaré : « L'argent public est une denrée suffisamment
précieuse pour que, au-delà des règles constitutionnelles de contrôle
parlementaire, existent des lieux de contrôle citoyen de son utilisation. »
Voilà donc, parfaitement résumée, la position des partisans de la présente
proposition de loi : « le contrôle citoyen » doit être exercé « au-delà des
règles constitutionnelles », c'est-à-dire par une commission administrative
dont le secrétariat est assuré par le Commissariat général du Plan.
L'administration est dès lors conçue comme étant placée « au-delà des règles
constitutionnelles ».
Pour l'ensemble de ces raisons, j'estime une nouvelle fois qu'il n'y a pas
lieu de délibérer sur la présente proposition de loi, et je vous propose
d'opposer la question préalable à son examen.
(M. le rapporteur général et M. André Maman applaudissent.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ayant
longuement développé notre point de vue le 24 février dernier, je serai un peu
plus bref aujourd'hui.
Voici donc venu le moment de débattre de nouveau de la proposition de loi
relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et
décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises à la suite de
l'adoption en deuxième lecture de ce texte par l'Assemblée nationale.
Dans un premier temps, cette proposition de loi, déposée par les députés du
groupe communiste et apparentés, a été rendue plus lisible et plus pertinente
encore par les travaux de l'Assemblée nationale.
Le rôle que nous assignons à cette commission est triple : d'abord concourir à
l'objectif national de maintien et de création d'emplois, donc à l'objectif de
plein emploi que s'est fixé le Gouvernement, et prendre toutes nos
responsabilités à la lumière de l'affaire Michelin, ensuite favoriser l'effort
de qualification et, enfin, lutter indirectement contre la précarité.
Les orientations que nous définissons dans cette proposition de loi sont au
nombre de trois. La première vise à assurer la lisibilité et la transparence
des aides publiques accordées aux entreprises sur la base du constat que nous
faisons. Ni les salariés, ni les élus locaux, ni les élus nationaux ne sont en
situation de connaître la réalité des sommes en jeu et les flux financiers
qu'elles provoquent.
La deuxième orientation tend à assurer le suivi détaillé et concret de
l'utilisation de ces aides dans l'entreprise et de leur impact interne, en
termes de droits de salariés, et externe en matière d'information des élus au
coeur d'un bassin d'emploi, par exemple.
Troisième orientation : il s'agit d'instaurer une sorte de droit d'alerte
quant à l'impact de la dépense publique dévolue aux entreprises à partir de
l'analyse concrète de son efficacité sur le terrain, ce que permettent
notamment ses conditions de saisine.
Enfin, je soulèverai une dernière interrogation : alors que tant de moyens
financiers - plus de 300 milliards de francs, à savoir 170 milliards de francs
pour l'Etat et à peu près autant pour les collectivités locales - sont
consacrés au soutien aux entreprises, comment concevoir que leur utilisation ne
soit pas examinée, étudiée, évaluée et contrôlée, notamment en termes de
croissance économique et de créations d'emplois.
Le sujet est donc d'importance. On ne peut en effet que constater l'existence
de flux financiers particulièrement abondants entre l'Etat et les entreprises
et, de manière plus générale, entre les collectivités publiques et les
entreprises.
La connaissance de ces flux, de leur utilisation et, par voie de conséquence,
la critique éventuelle de cette dernière sont tout à fait légitimes.
La forme retenue dans la proposition de loi est-elle la plus adaptée ?
Certains ont cru voir dans le texte une forme de remise en question du droit
de contrôle de la représentation parlementaire sur l'exécution de la dépense
publique.
Mais nous ne pensons pas que cela soit le cas.
Au contraire, les travaux de la commission nationale auront naturellement
vocation à faciliter l'exercice de ce contrôle d'opportunité de la dépense
publique et à permettre à la représentation nationale de décider en conscience
des éventuelles réaffectations ou majorations de crédits ouverts.
Nous ne percevons pas cette commission et sa décentralisation comme une
entrave à l'exercice des droits du Parlement mais bel et bien, au contraire,
comme un outil pour en faciliter l'application.
Par ailleurs, les flux financiers relatifs à la dépense publique pour l'emploi
comprennent non seulement des dépenses budgétaires de l'Etat, mais aussi des
dépenses des collectivités locales, des dépenses de nature fiscale ou encore
certaines taxes affectées.
Connaître l'ensemble de ces flux qui, parfois, se croisent et s'entrecroisent
sur telle ou telle opération ne nous semble pas une mauvaise idée. Vous l'avez
vous-même rappelé, madame le secrétaire d'Etat, nous l'avons dit et je le
répète, l'argent public est suffisamment précieux pour que l'on puisse
s'interroger sur son utilisation.
Nous ne comprenons donc pas la position de la commission des finances, qui
nous invite, une fois de plus, comme lors du premier examen de la proposition
de loi, à rejeter purement et simplement ce texte en adoptant une motion
tendant à opposer la question préalable.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Mais parce que ce n'est que de la
gesticulation !
M. Guy Fischer.
Vous en faites, vous aussi, de la gesticulation, monsieur Marini !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous avez dit : « vous aussi », monsieur Fischer.
Quel aveu !
(Sourires.)
M. Guy Fischer.
Je viens d'évoquer d'une certaine manière quelques-unes des objections que M.
le rapporteur a défendues dans la discussion générale et qui motivent, au fond,
le dépôt de sa motion.
Je ne peux cependant manquer de souligner de nouveau, sous l'effet de
l'organisation même de nos travaux, le problème du télescopage entre cette
position assez clairement idéologique et d'autres arguments qui nous sont
régulièrement servis dès lors que l'on parle de finances publiques. Dans les
deux précédentes discussions, vous en avez fait la démonstration, monsieur le
rapporteur général.
La commission des finances souhaite de longue date renforcer la transparence
et la lisibilité de l'exécution budgétaire.
De longue date, elle oeuvre aussi pour faire valoir, au-delà d'une conception
générale de réduction de la dépense publique, une conception de mise en
question de son efficacité.
M. le rapporteur général ne nous a-t-il pas encore invité à la révision des
services votés dans le cadre du collectif budgétaire ?
Mais voilà ! Dès que l'on parle des fonds publics destinés aux entreprises, il
n'y aurait plus lieu de procéder de la même manière !
Il y aurait en fait un partage assez clair de la critique de l'exécution
budgétaire.
D'abord, on s'abstiendrait de remettre en question ce que l'on appelle les
budgets des ministères régaliens : défense, intérieur, justice. On observera
que le mouvement de remise en question n'épargnerait pas le ministère de
l'économie et des finances, qui est pourtant hautement régalien.
Ensuite, on procéderait à la remise en question des crédits des autres
ministères - éducation, santé, jeunesse, etc. - dans le sens général de leur
réduction. Et il y aurait un autre sanctuaire : celui des fonds publics
accordés aux entreprises, que l'on pourrait distribuer sans trop de difficultés
ni de précaution puisqu'il conviendrait de soutenir ceux qui ont pris des
risques, qui « entreprennent », avec tout ce que l'on peut entendre par là.
L'argent public viendrait au secours de l'économie privée, en quelque
sorte...
Mais nous ne sommes pas partisans de ce traitement sélectif, et pour tout dire
inadapté, de la dépense publique.
Le contrôle de la dépense publique, s'il doit s'effectuer, doit être sans
tabou, sans exclusive. Il convient pour cela que la représentation nationale
soit en mesure d'entendre et de connaître ce que vit le pays quand elle le met
en oeuvre. De plus en plus, le peuple, les citoyens demandent des comptes.
Nous ne pouvons pas, aujourd'hui, nous priver de l'analyse critique des
dizaines de milliards de francs - que dis-je ? il s'agit de plus de 300
milliards de francs - consacrés au financement des fonds destinés aux
entreprises.
Il en va clairement de l'efficacité de la dépense publique comme du sens que
l'on donne, dans ce pays, à l'intervention publique dans la vie de la
nation.
Nous ne voterons donc évidemment pas la motion tendant à opposer la question
préalable présentée par la commission des finances.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur.
C'est bien dommage !
M. le président.
La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous
tenons une fois de plus à nous féliciter de ce projet de création d'une
commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés
aux entreprises, qui, approuvé déjà par deux fois par l'Assemblée nationale,
sera, hélas ! rejeté pour la deuxième fois par la majorité sénatoriale.
En effet, mes chers collègues, la commission que l'initiative de Robert Hue
vise à créer a pour objet, tout simplement, d'améliorer la transparence dans
l'octroi et le contrôle des aides publiques aux entreprises, ainsi que de mieux
évaluer l'impact et l'efficacité de ces aides.
Gardons bien présent à l'esprit le fait que les entreprises qui bénéficient de
la plus grande partie de ces aides sont plus les grands groupes industriels,
qui utilisent parfois lesdites aides pour se délocaliser, en Europe ou même
hors d'Europe, que les PME, qui en auraient bien besoin pour mieux jouer leur
rôle de créateurs de richesses et d'emplois.
M. Guy Fischer.
Tout à fait exact !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Même si l'on s'abstient de tout soupçon généralisé à l'égard des entreprises
concernées, reconnaissons qu'il y a des abus ! C'est pourquoi tout ce qui peut
apporter plus de connaissance sur l'utilisation des crédits publics doit être
encouragé, et ce pour que la création d'emplois soit effectivement aidée.
Comment ? En luttant, par exemple, contre les effets d'aubaine, dans un souci
de justice en même temps que d'économie, et en ajustant les interventions
publiques, dans le souci d'une meilleure efficacité.
Réjouissons-nous donc que le dispositif qui nous est proposé comble une lacune
en créant un outil d'évaluation et de proposition non pas concurrent du
Parlement, mais au service de celui-ci.
Les représentants de l'Etat, préfets et responsables des services
déconcentrés, vérifient, évidemment, que les engagements pris par les
entrepreneurs pour bénéficier des aides de l'Etat sont respectés. Mais quelle
est la qualité de la connaissance de l'impact et de l'efficacité des aides
fournies par les collectivités locales, la sécurité sociale ou la Communauté
européenne ?
A-t-on une vue d'ensemble, à l'échelon national comme à l'échelon régional,
des aides à l'emploi accordées par les collectivités territoriales ? Celles-ci
ont-elles les instruments nécessaires pour évaluer la cohérence globale de
leurs interventions économiques ?
N'est-il pas souhaitable que le Parlement ait sa part, toute sa part, dans le
suivi des aides accordées par la sécurité sociale ?
N'est-il pas normal que les aides européennes, qui visent notamment à réduire
les disparités régionales et sociales, soient évaluées, tant au niveau régional
qu'au niveau interrégional ?
Il serait donc tout à fait satisfaisant qu'une instance nationale rassemble
tous les intervenants économiques pour faciliter un diagnostic d'ensemble de
leurs interventions et la recherche d'une meilleure cohérence de leur action,
dans le respect des grands principes de la décentralisation, tout en visant à
obtenir de meilleurs équilibres régionaux et sociaux.
La composition diversifiée de la commission serait un gage de sa
représentativité, l'empêcherait d'avoir une vision des choses trop segmentée et
lui permettrait d'oeuvrer, non seulement en faveur de l'efficacité économique,
mais aussi en faveur de l'efficacité sociale des interventions économiques.
Peut-être, d'ailleurs - je fais, en l'occurrence, écho à une suggestion de l'un
de mes collègues de l'Assemblée nationale - serait-il bon que le secrétariat de
la commission nationale soit assuré, non pas par le commissariat général du
plan, mais par la DATAR, la Délégation à l'aménagement du territoire et à
l'action régionale.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Par la CGT ce serait encore mieux !
M. Guy Fischer.
Provocation !
M. Jean-Pierre Demerliat.
C'est donc avec une grande détermination que le groupe socialiste soutient
depuis le début l'initiative de Robert Hue et du groupe communiste, qui
s'inscrit dans la droite ligne de l'action du Gouvernement en faveur de
l'emploi. C'est pourquoi nous nous opposerons à l'adoption de la motion tendant
à opposer la question préalable.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable