Séance du 22 juin 2000
M. le président. « Art. 1er bis. - I. - Toute réintroduction volontaire de prédateurs en vue de contribuer à la conservation d'une espèce menacée d'extinction est précédée d'une étude visant à rechercher si une telle réintroduction serait efficace, d'une consultation des collectivités territoriales et d'un débat public organisé par l'Etat sur les territoires concernés.
« L'étude doit notamment comporter :
« - l'identification des territoires que la population réintroduite est susceptible d'investir ;
« - la mention du seuil de viabilité de la population en question ;
« - le suivi génétique à mettre en place ;
« - l'impact de la réintroduction sur les activités humaines, notamment économiques ;
« - l'identification de l'ensemble des mesures de prévention et d'indemnisation à adopter, de leur coût et des autorités qui en assurent la responsabilité.
« II. - L'étude et la consultation du public sont également effectuées lorsqu'elles ne l'ont pas été pour les prédateurs antérieurement réintroduits. Si l'étude, la consultation du public et des collectivités locales concernées démontrent que le maintien des prédateurs présente des inconvénients majeurs, il ne peut être procédé à aucune nouvelle introduction.
« III. - Le représentant de l'Etat a tout pouvoir, dans la limite de ses compétences, pour prendre toute disposition utile de protection lorsque les prédateurs volontairement réintroduits ou leurs descendants menacent la sécurité des personnes et des biens.
« IV. - En cas de perturbations graves générées par les prédateurs volontairement réintroduits, il est procédé à leur capture sous la responsabilité de l'Etat à la demande des conseils municipaux concernés, après débat public sur le territoire concerné. »
Sur l'article, la parole est à M. Althapé.
M. Louis Althapé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque nous avions voté l'article conforme, je pensais que l'Assemblée nationale l'aurait tout simplement maintenu conforme, comme le prévoient d'ailleurs les règlements.
Je m'étonne donc, après mon collègue Gérard César, qui a été particulièrement choqué, de constater que le Gouvernement a déposé un nouvel amendement pour tenter de régler le problème des ours slovènes en Ariège.
Sans reprendre tout ce que j'ai pu dire lors du débat que nous avons eu il y a quelques jours sur cet article, dont nous souhaitions l'adoption conforme, je voudrais attirer l'attention de mes collègues sur les conséquences de l'article tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale.
Je pense que ce ne n'est pas ainsi que l'on va régler réellement le problème des ours introduits dans les Pyrénées, et je m'explique.
L'introduction d'ours est toujours problématique, même lorsqu'il paraît que des collectivités se sont, au départ, montrées favorables. Cette affaire, à mon avis, évoluera très mal.
Les ours sont aujourd'hui présents et, bien entendu, ils ne sont pas cantonnés au territoire des communes qui souhaitaient initialement les recevoir ; ils vont donc forcément poser des problèmes dans les communes qui, elles, ne souhaitent pas leur présence.
Je voudrais attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la situation des bergers et, plus généralement, sur celle des collectivités qui ne souhaitaient pas la présence de ces plantigrades. Nous allons nous retrouver dans une situation littéralement inextricable, et ce n'est pas le paragraphe II de l'article 1er bis qui va permettre de résoudre le problème.
Le texte qui nous est proposé vise à confier au préfet le soin d'apprécier les dispositions à prendre pour la sécurité des biens et des personnes. Je pense que le préfet se contentera d'annoncer qu'il va mettre à disposition des collectivités et des bergers les moyens propres à assurer leur protection contre les ours. Mais on sait pertinemment que la pression médiatique et écologique sera telle qu'en réalité aucune disposition ne sera prise et que la cohabitation entre les ours et les populations autochtones se poursuivra. Aussi, je voudrais attirer solennellement votre attention sur le fait que, contrairement à ce que vous pensez, ce nouvel amendement ne remédiera pas aux problèmes liés à la présence des ours dans les Pyrénées.
Et les populations autochtones seront dans l'incapacité de prendre les décisions ou de peser sur les décisions nécessaires pour préserver leur activité pastorale.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à un véritable enjeu de société : la montagne doit-elle appartenir aux bergers ou subir la pression urbaine ? Vous avez fait un choix. Grâce à vous, les ours ont de beaux jours devant eux ! Tant mieux pour eux, certes, mais vous ne m'empêcherez pas de déplorer que les bergers soient ainsi privés de la capacité de gérer eux-mêmes leur avenir. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe François. Très bien !
M. le président. Sur l'article, la parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet. En première lecture, j'étais intervenu, à propos des prédateurs.
Sans insister longuement, je dirai, après mes collègues qui se sont exprimés ce matin que me paraît totalement anormale la remise en cause d'un texte qui avait été voté conforme par les deux assemblées.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Michel Souplet. J'avais évoqué un autre problème que celui de la réintroduction de l'ours, ou des loups : le problème de la législation sur les oiseaux ou les animaux protégés.
Actuellement, certaines régions de France comptent un nombre très important de prédateurs qui sont totalement protégés. Je pense aux pies, aux corbeaux freux, aux busards, aux buses, aux blaireaux, aux belettes... autant d'animaux dont il faudrait du moins pouvoir suivre l'évolution.
Je souhaiterais que l'on en vienne un jour à légiférer sur la protection d'un certain nombre d'animaux et d'oiseaux pour faire en sorte que, dès que la prolifération commence, la population de ces prédateurs puisse être ramenée à un taux normal.
C'est d'une importance extrême. On ne peut à la fois donner la préférence au gibier naturel sur le gibier de repeuplement - et c'est le cas de tout bon chasseur - assister jour après jour à sa destruction par des prédateurs.
M. le président. Par amendement n° 5, Mme Heinis, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit l'article 1er bis :
« Toute réintroduction de prédateurs en vue de contribuer à la conservation d'une espèce menacée d'extinction est précédée d'une étude visant à rechercher si une telle réintroduction serait efficace et acceptable.
« Cette étude doit notamment comporter :
« - l'identification des territoires que l'espèce en question est susceptible d'investir ;
« - la mention du seuil de viabilité de l'espèce ;
« - le suivi génétique à mettre en place ;
« - l'impact de la réintroduction sur les activités humaines, notamment économiques ;
« - l'identification de l'ensemble des mesures de prévention et d'indemnisation à adopter, de leur coût et des autorités qui en assurent la responsabilité ;
« - le consentement des populations concernées.
« Compte tenu de la perturbation que génèrent les ours de Slovénie réintroduits en 1996, il est procédé à leur capture. »
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis, rapporteur. L'amendement n° 5 reprend le texte sur lequel le Sénat avait émis un vote conforme.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, s'agissant de l'aspect constitutionnel, je vous invite, les uns et les autres, à consulter la décision prise le 29 décembre 1989 par le Conseil constitutionnel, qui avait admis la remise en cause des articles votés conformes par les deux assemblées.
Comme vous le savez, aux termes de l'article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
Cela étant, permettez-moi de me réjouir de l'intervention de M. Althapé, qui démontre, après les échanges récents que nous avons eus dans cet hémicycle sur la solidarité et le renouvellement urbains, que certains élus - qu'ils soient membres du Gouvernement ou qu'ils siègent à la Haute Assemblée - s'intéressent aux problèmes ruraux aussi bien qu'aux problèmes urbains !
M. Philippe François. Pourquoi pas ?
M. Louis Althapé. C'est normal !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. La présence dans cette enceinte du ministre délégué à la ville en est un autre signe.
J'ai la conviction que la problématique rurale est une occasion pour les élus ruraux et urbains d'échanger leurs points de vue. (M. Carrère applaudit.)
Cette démarche participe du refus de la division manichéenne, voulue par certains, entre monde rural et monde urbain, qui seraient condamnés à une absence de communication ad vitam æternam.
Pour cette raison, entre autres, je me réjouis d'avoir la chance de débattre avec vous de ce texte.
J'en reviens maintenant à l'article 1er bis et à l'amendement n° 5.
L'article 1er bis adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture est un texte équilibré, qui prend en compte les légitimes préoccupations exprimées devant les conséquences de la réintroduction de prédateurs, mais aussi l'objectif de préservation de notre patrimoine naturel, qui nécessite de telles opérations.
Je souhaiterais vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs, d'adopter cet article en des termes identiques, plutôt que de rouvrir une vaine querelle sur la capture, toutes affaires cessantes, de deux jeunes ours qui, certes, ont occasionné des dégâts en s'attaquant à des ruches et des moutons dans une partie de l'Ariège éloignée du lieu de lâcher de leur mère, mais dont on peut penser que le comportement sera compatible avec la poursuite du pastoralisme dès lors que les mesures de prévention auront été mises en place.
L'exemple du Béarn montre qu'une cohabitation est possible, pour le bénéfice réciproque de la conservation de la nature et du développement local, dès lors que les bergers et éleveurs qui subissent les attaques reçoivent un soutien de la collectivité.
Je vous invite donc à retirer cet amendement, qui me paraît par ailleurs largement satisfait par le texte adopté par l'Assemblée nationale.
M. Gérard César. En première lecture !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Le Gouvernement ne pourrait en effet être favorable à son adoption.
M. le président. Monsieur le ministre, veillons à ce que cet ours ne porte pas atteinte à l'intégrité physique de notre unique sénateur de l'Ariège ! (Sourires.)
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Jean-Pierre Bel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Je voudrais expliciter les raisons pour lesquelles je suis satisfait par l'amendement adopté par l'Assemblée nationale et pour lesquelles je ne voterai pas l'amendement proposé par la commission.
Je suis, vous l'avez dit, élu de l'Ariège, département particulièrement concerné par cette question. Contrairement à ce qu'à prétendu une certaine presse, les élus ariégeois n'ont jamais voulu exterminer les ours. Ils se sont simplement élevés avec la plus forte énergie contre le mépris dont ils avaient été l'objet au moment d'une réintroduction qui a été menée à la hussarde, sans que soient associées les populations concernées. Et il est bien apparu que, contrairement à certaines assertions prématurées, le département de l'Ariège était bel et bien concerné.
Je veux dire aussi que l'amendement présenté par le Gouvernement reprend, pour l'essentiel, les propositions contenues dans un amendement que le groupe socialiste avait déposé en première lecture. Il permet d'associer les populations et d'apaiser ainsi les angoisses qui se sont exprimées. Il montre que l'Etat, qui a enfin pris en compte la gravité du sujet, est prêt à revoir sa copie, pour mieux s'expliquer, pour donner aussi, du moins je l'espère, les moyens de maîtriser la situation et d'assumer ses responsabilités.
Le Gouvernement a pris conscience de nos problèmes. Il nous propose une voie pour l'apaisement. Nous voulons le croire. C'est pourquoi le groupe socialiste ne votera pas l'amendement présenté par la commission. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, je m'en excuse auprès de Mme le rapporteur, je ne m'associerai pas à cet amendement. Si, tout au long de ce débat, je m'exprimerai au nom de mon groupe, je parlerai en cet instant uniquement en mon nom personnel.
Je ne voterai pas cet amendement parce que je ne veux pas m'associer à ce mauvais coup porté aux ours. Je m'en explique.
Notre collègue Louis Althapé a raison lorsqu'il souligne que ni le texte proposé par le Gouvernement et adopté à l'Assemblée nationale, ni cet amendement ne résoudront le problème des ours qui ont été réintroduits dans les Pyrénées. En aucun cas !
Comme M. Althapé l'avait exposé en première lecture, c'est un problème compliqué.
Il est proposé de faire précéder d'une étude préalable toute réintroduction des ours ou d'autres catégories de bêtes sauvages dans les Pyrénées, les Alpes... ou ailleurs. Pour être importante, cette étude préalable ne règle rien.
En première lecture, je n'avais rien dit par solidarité avec mes collègues, tant il était évident que la faute avait été commise par les députés, notamment parce qu'ils avaient introduit l'obligation de capturer ces ours. En votant l'article conforme, nous avons en quelque sorte piégé nos collègues de l'Assemblée nationale. Je ne reviens pas sur l'histoire...
Cette fois, il en va autrement, puisqu'une rectification a été adoptée par l'Assemblée nationale. Si nous votons cet amendement, il nous reviendra alors d'assumer l'erreur que constitue son dernier alinéa.
C'est cet alinéa qui ne me convient pas. Le reste m'agrée tout à fait, puisque la rédaction est identique à celle du texte adopté à l'Assemblée nationale.
Une erreur a été commise par un député socialiste. En réussissant à le piéger, nous y avons mis bon ordre. Je me refuse à cautionner une erreur qui, cette fois-ci, serait la nôtre. Vous ne pourrez plus vous abriter derrière la faute d'un député, puisque c'est le Sénat qui aura introduit cet alinéa. Voilà pourquoi je ne veux pas m'y associer.
Je prie Mme le rapporteur, que je vais suivre quasiment tout au long de ce débat, de bien vouloir m'excuser, mais je ne la suivrai malheureusement pas du tout sur cet amendement-là. (M. Carrère applaudit.)
M. Louis Althapé. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Althapé.
M. Louis Althapé. J'insiste à nouveau sur la gravité de la situation.
Bien que l'on sache pertinemment qu'on ne pourra pas récupérer ces ours...
M. Ladislas Poniatowski. Alors, pourquoi cet amendement ?
M. Louis Althapé. ... il faut voter cette disposition tout en sachant.
Si vous ne votez pas cet amendement, vous pourrez dire qu'à partir d'aujourd'hui, 22 juin, notre assemblée aura tout simplement entériné la cohabitation entre l'ours et les bergers. Que le pastoralisme doive s'accommoder de la proximité des ours, c'est là un problème très grave et que nous tenons à poser. Je vous laisse le soin de vous expliquer, auprès de tous ceux qui vivent de la montagne, en particulier les bergers, de cette proximité qui, demain, ne pourra que les perturber.
Un événement particulièrement grave se déroule aujourd'hui au Sénat. Je puis comprendre la position de certains, mais, moi qui suis pyrénéen et qui vis sur le terrain, je sais que l'introduction de l'ours posera problème.
Tout à l'heure, il a été fait référence à ce qui se passait dans le Béarn. Je vis à une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau des ours béarnais - l'estimation est approximative, car on ne sait jamais où se trouvent exactement les ours béarnais. Il faut savoir que la situation n'est pas du tout la même, les ours béarnais sont là depuis la nuit des temps ; et le mode d'élevage est très différent, en Béarn, les troupeaux de brebis sont parqués tous les soirs dans des enclos ; leur protection a donc toujours été naturellement assurée par les bergers. Là, il s'agit d'un autre type de pastoralisme.
Je prends acte qu'à partir d'aujourd'hui les Pyrénéens vivront une forme de cohabitation particulièrement dangereuse, qui risque de mal se finir.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er bis est ainsi rédigé.
Article 1er ter (supprimé)