Séance du 28 mars 2000
ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 239, 1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'archéologie préventive [rapport
n° 276 (1999-2000)].
Madame le ministre, il me revient l'agréable charge de saluer votre première
venue au Sénat dans vos nouvelles fonctions de ministre de la culture et de la
communication.
Je forme le voeu, avec tous mes collègues, que nous travaillions ensemble dans
le meilleur esprit de compréhension, qui est la marque de la Haute Assemblée,
et dans la recherche constante du dialogue républicain avec le Gouvernement.
Madame le ministre, vous me permettrez, au nom du Sénat, de féliciter notre
excellent collègue M. Michel Duffour pour sa nomination aux fonctions de
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Nous sommes particulièrement heureux de le retrouver au Sénat sur un autre
banc, celui du Gouvernement, d'où, j'en suis sûr, il saura manifester une
grande capacité d'écoute des préoccupations qui sont les nôtres.
(Applaudissements.)
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous dire combien je suis heureuse
que la première journée d'exercice de mes nouvelles fonctions gouvernementales
me donne l'occasion de venir au Sénat.
Cela me rappelle des souvenirs déjà lointains, et je reconnais sur ces travées
des membres de la Haute Assemblée avec lesquels j'avais eu, en tant que membre
d'un précédent gouvernement, à travailler à propos de la communication.
J'ai aussi un très grand plaisir d'être aujourd'hui à ce banc à côté de Michel
Duffour, qui, bien que nommé au Gouvernement, se sent encore pour un temps
votre collègue.
Dans ma présence cet après-midi au Palais du Luxembourg, je vous demande de
voir non seulement ma joie de retrouver l'atmosphère qui règne à la Haute
Assemblée, mais encore le signe de l'étroite communauté de pensée qui m'unit à
Michel Duffour et qui guidera nos travaux communs au Gouvernement, même si
c'est à lui qu'il revient de soutenir aujourd'hui le texte inscrit à votre
ordre du jour.
(Applaudissements.)
M. le président.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Monsieur le président, avant d'aborder mon exposé sur le texte soumis
aujourd'hui au Sénat, je voudrais vous faire part, ainsi qu'à tous les membres
de cette assemblée où je siégeais encore il y a quelques jours, de ma
satisfaction de me trouver à cette tribune et, en même temps, de mon
émotion.
Je reviens de l'Assemblée nationale où se déroulait la séance, assez bruyante,
des questions d'actualité. Ce n'est pas parce que je retrouve ici le calme de
notre Haute Assemblée que je suis rasséréné : c'est parce que je vous retrouve
vous, les uns et les autres. Je sais à quel point le travail qui s'accomplit
ici est sérieux et marqué par une tolérance réciproque.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de
vous présenter aujourd'hui un projet de loi sur l'archéologie préventive. C'est
un temps fort de l'action de tous les acteurs publics qui oeuvrent en faveur du
respect du patrimoine, de sa connaissance et de sa transmission aux générations
futures.
La protection des monuments historiques a bénéficié de l'édifice législatif
que constitue la loi de 1913 et celle des sites, de la loi de 1930, lois qui
ont pu sans difficulté accueillir les évolutions de doctrine ou de
sensibilité.
Il n'en va pas de même de l'archéologie, discipline aux évolutions
contemporaines de laquelle la loi validée de 1941, dite « loi Carcopino », n'a
offert qu'un cadre imparfait.
L'archéologie préventive est, en effet, née du développement des grands
chantiers d'aménagement et des rénovations qui remodèlent depuis les années
soixante, sur des échelles jusqu'alors inconnues, les centres et les
périphéries des villes. Elle s'est développée en dehors d'un cadre légal adapté
puisque son essor est postérieur à la loi de 1941, qui ne pouvait anticiper un
cadre pertinent pour l'exercice de cette activité scientifique, soumise aux
rythmes et aux calendriers de réalisation des opérations d'aménagement et de
construction.
Parallèlement, on a assisté à l'extension du champ chronologique de
l'archéologie, longtemps limitée à la préhistoire et aux civilisations
antiques, puis étendue aux époques médiévales et modernes, allant jusqu'à des
incursions dans le passé récent, comme en témoignent les fouilles de la
sépulture d'Alain-Fournier ou la curiosité qui se fait jour s'agissant des
traces et des vestiges de la Deuxième Guerre mondiale. Ce renouvellement des
approches a
de facto
étendu le champ d'investigation de l'archéologie
préventive.
Au travers de l'archéologie préventive, l'Etat assure la préservation du
patrimoine ou, à défaut, la transmission à la collectivité, sous forme
d'archives, des connaissances contenues dans le sol, quand des éléments du
patrimoine archéologique sont affectés ou sont susceptibles de l'être par des
travaux publics ou privés d'aménagement.
Située au croisement de logiques patrimoniales et scientifiques et de logiques
de développement économique et social, cette archéologie préventive vous est
bien connue : les élus sont régulièrement confrontés à la contradiction entre
l'accomplissement du devoir de mémoire et les impératifs d'aménagement du
territoire et des villes.
La carence juridique en matière d'archéologie préventive a malheureusement
pesé sur l'archéologie en général et sur ses différents acteurs, qu'ils soient
institutionnels ou bénévoles, alors même que cette branche de l'archéologie,
qui fournit 80 % des données scientifiques, est un outil majeur d'exploration
des traces de notre passé et de restitution de l'histoire du cadre de vie.
On a pu constater, ne serait-ce qu'au travers de la qualité des débats à
l'Assemblée nationale et des échanges de haut niveau qui ont eu lieu avec votre
rapporteur, mais aussi par le biais des contacts quotidiens du ministère de la
culture et de la communication avec les élus et les services archéologiques des
collectivités territoriales, qu'une place grandissante est désormais assignée
aux repères patrimoniaux au regard des identités territoriales en cours de
recomposition dans l'espace national et dans l'espace européen. On sait
maintenant que la connaissance de l'occupation humaine, dans toute sa
profondeur temporelle, nous éclaire chaque jour davantage sur notre histoire et
sur nos interactions avec l'environnement. Là où il a longtemps été perçu comme
un handicap, le patrimoine est, d'une manière croissante, compris et envisagé
par les collectivités territoriales comme un facteur de développement et de
recomposition sociale.
Dans ce climat général, le Gouvernement a voulu rompre enfin avec
l'instabilité et les malentendus créés par l'absence de cadre légal de
l'archéologie préventive, qui portait en germe un risque de blocage complet,
avec les conséquences patrimoniales et surtout économiques que l'on imagine.
Ce constat de la nécessité d'une réforme, les précédents gouvernements
l'avaient fait successivement, ce qui avait conduit à la publication de treize
rapports portant sur l'archéologie en général et sur l'archéologie préventive
en particulier, sans qu'aucune solution pleinement satisfaisante se dégage et
puisse être mise en oeuvre devant l'ampleur de la tâche.
La ministre de la culture et de la communication a donc décidé de proposer une
réforme législative intéressant la seule archéologie préventive, qui conduit à
simplifier le positionnement et le travail de tous les archéologues et à
clarifier l'ensemble du champ d'exercice de l'archéologie. D'ores et déjà, le
fructueux travail mené en commun depuis un an par le ministère de la culture,
responsable de la protection du patrimoine archéologique, et par le ministère
de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie en vue de
l'élaboration du projet de loi qui est soumis aujourd'hui au Sénat augure d'un
nouveau contexte institutionnel favorable au plein exercice de cette
discipline.
Il n'a pas paru nécessaire de modifier la loi de 1941. Elle est certes
inadaptée aux bouleversements du sous-sol engendrés par l'aménagement du
territoire et par le remodelage des villes, mais elle énonce des principes qui
demeurent d'actualité pour l'organisation et le contrôle de la recherche. Le
premier projet concernant l'archéologie date de 1838, et il avait donc fallu un
siècle pour qu'un texte puisse être adopté, devant les multiples oppositions et
débats qu'un projet d'organisation avait suscités de la part des sociétés
savantes de l'époque. Cette lenteur, ces débats et ces résistances ne sont pas
étrangers au fait que les archives du sol ont été longtemps considérées comme
une contrainte plutôt que comme une chance. Contrairement aux archives « papier
», aux archives sonores et aux témoins monumentaux, l'archéologie n'a pas été
perçue, en France, comme un facteur de construction de l'identité nationale.
Limiter l'objet du projet de loi à l'archéologie préventive ne revient pas,
bien au contraire, à mettre hors jeu le reste du champ de l'archéologie.
L'archéologie programmée, souvent conduite par des équipes de chercheurs venus
d'horizons divers, notamment par des bénévoles qui animent le réseau des
sociétés savantes, fournit aux scientifiques un espace nécessaire de travail et
d'avancées conceptuelles. En convoquant des savoirs de plus en plus complexes,
au croisement de l'anthropologie et des sciences naturelles, à l'articulation
des sciences humaines et des sciences exactes, en bénéficiant du recul et de la
durée nécessaires, l'archéologie programmée éclaire en retour les méthodes et
les données fournies par l'archéologie préventive.
C'est pourquoi le Gouvernement proposera, par ailleurs, de redonner à
l'archéologie programmée des moyens budgétaires qui se sont érodés au fil du
temps, afin que l'archéologie préventive, toujours soumise à l'urgence et à la
contrainte légitime de calendriers extérieurs à la seule logique scientifique,
ne sature pas la totalité du champ de cette discipline.
Le nouveau dispositif encadrant l'exercice de l'archéologie préventive, en
dépassionnant les débats dont cette discipline fait l'objet, permettra à tous
ses acteurs de bénéficier d'un climat de travail plus serein et plus
approprié.
La création de ce cadre légal d'intervention de l'archéologie préventive a,
vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, soulevé bien des débats.
L'objectif est que, désormais, les opérations d'archéologie préventive soient
mises en oeuvre sans délai, sur l'ensemble du territoire, avec des coûts
transparents, une préoccupation constante d'équité à l'égard des aménageurs et
des exigences scientifiques de haut niveau.
Pour atteindre ces objectifs, Bernard Poignant, maire de Quimper, Bernard
Pêcheur, conseiller d'Etat, et Jean-Paul Demoule, archéologue et universitaire,
ont préconisé, dans le rapport qu'ils ont remis en décembre 1998 à la demande
de Catherine Trautmann, une réforme affirmant le caractère scientifique et de
service public de l'archéologie préventive.
La ministre de la culture et de la communication a proposé au Gouvernement de
retenir ces orientations. Ce projet de loi vous est soumis après une première
lecture à l'Assemblée nationale, qui a permis de l'affiner et de l'enrichir ;
il affirme d'abord le rôle de prescription, de contrôle et d'évaluation
scientifique de l'Etat.
Il faut mesurer la difficulté, depuis des décennies, de la tâche des
conservateurs régionaux de l'archéologie, qui, au sein des services
déconcentrés du ministère de la culture et de la communication, ont beaucoup
contribué à la qualité de l'archéologie préventive française, dans un contexte
difficile soumis à fortes mutations, et les remercier de leur action dévouée et
patiente.
Il faut aujourd'hui leur donner les moyens d'assumer pleinement le rôle qui
leur incombe. Outre une meilleure gestion des carrières et la mise en place de
passerelles d'échange avec l'université, les laboratoires de recherche, les
collectivités territoriales et le futur établissement public, il convient de
leur donner les moyens de mener à bien la réalisation de la carte
archéologique, qui est une priorité essentielle.
Cette carte, dont ont besoin les services dans leur activité quotidienne,
sera, aux termes de la loi, dressée par l'Etat. A l'instar de l'Inventaire
général des monuments et richesses artistiques de la France, elle constituera
l'inventaire national des sites archéologiques, c'est-à-dire des lieux ayant
connu une occupation ou une activité humaine. Elle résultera d'un travail
scientifique, documentaire et de terrain, souvent issu des opérations
d'archéologie préventive, qui alimente un recueil de données dont les modalités
d'enregistrement connaissent une mutation rapide grâce à l'utilisation de
systèmes d'information géographique de plus en plus performants. Les
collectivités territoriales, le réseau associatif et tous les membres de la
communauté scientifique ont vocation à davantage concourir à sa réalisation :
la connaissance fine des territoires est un enjeu commun qui doit mobiliser la
compétence de tous et qui concerne tant les scientifiques, pour l'avancée des
connaissances, que les aménageurs, qui y gagnent en capacité d'anticipation du
risque archéologique, et que tous les citoyens, qui sont de plus en plus
sensibles aux repères que leur fournit la connaissance, dans l'espace et dans
le temps, de leurs territoires familiers.
Le projet de loi qui vous est soumis vise également à créer un établissement
public à caractère administratif, placé sous la double tutelle du ministère de
la culture et de la communication et du ministère chargé de la recherche. Cet
établissement aura pour mission d'effectuer, pour le compte de l'Etat, les
opérations de diagnostic et de fouilles rendues nécessaires par les risques de
destruction de vestiges archéologiques à l'occasion de travaux et, dans cette
optique, d'assurer des missions de recherche, de publication, de diffusion,
d'animation et de formation.
L'Etat a la responsabilité d'assurer, en tout temps et en tout lieu du
territoire, l'égalité de prestations, de coûts et de délais dans le domaine du
traitement du patrimoine archéologique. Il a besoin d'un établissement public
dont les capacités et le format soient suffisants pour lui permettre
d'intervenir dans les limites de ces contraintes et qui assume la
responsabilité de la phase post-fouilles, afin que les opérations d'archéologie
préventive participent pleinement aux avancées de la connaissance.
La commission des affaires culturelles de votre assemblée a adopté un certain
nombre d'amendements visant à assimiler cet établissement à un opérateur de
fouilles. En réalité, la chaîne archéologique, insécable, ne peut contribuer au
progrès des connaissances que si les aspects méthodologiques et les
publications sont des actes scientifiques envisagés dans une même logique que
la prescription et que la fouille, avec lesquelles ils forment un tout
indissociable. L'établissement est un outil de mutualisation et de valorisation
de l'acte de fouille, dont les avancées doivent bénéficier, en retour, à la
collectivité.
A cet égard, un effort doit aussi être accompli en matière de publications,
pour que ces dernières rendent compte, dans des délais raisonnables, d'une
manière aussi complète que possible et pour tous les publics, des résultats des
recherches. Ce sera une priorité du futur établissement, qui s'appuiera sur les
possibilités offertes par les nouvelles technologies de l'information pour la
diffusion scientifique.
L'amendement de la commission des affaires culturelles visant à créer un
établissement public à caractère industriel et commercial méconnaît à mon avis
le fait que l'établissement public créé ne saurait répondre aux trois critères
cumulatifs - objet, origine des ressources et modalités de fonctionnement
proches de celles d'une entreprise privée - qui permettent de caractériser un
EPIC.
Les fouilles archéologiques doivent en effet être menées sous le contrôle
scientifique d'un directeur de fouilles nommé par l'Etat sur proposition de
l'établissement public, et l'exploitation des résultats ne pourra relever que
des unités mixtes de recherche associant les archéologues de l'établissement
public d'archéologie préventive, l'EPAP, et des organismes de recherche,
sociétés savantes incluses. Cette exploitation, qui n'est pas dissociable des
opérations de sondage et de fouilles, est destinée non pas à la
commercialisation, mais à la diffusion auprès du public, et interdit toute
assimilation du futur établissement à une entreprise privée.
S'agissant des ressources, une jurisprudence constante du Conseil d'Etat
établit que le financement par redevances à caractère fiscal confère à
l'établissement un caractère administratif.
Enfin, l'établissement, appelé à intervenir sur la base des prescriptions de
l'Etat, ne maîtrise pas les paramètres de la redevance qu'il perçoit, tout en
ayant l'obligation d'intervenir sur des opérations non assujetties à
redevances, dans des délais encadrés. On est loin des conditions de
fonctionnement d'une entreprise privée, laquelle détermine librement son volume
d'activité, ses prix et ses délais d'intervention. C'est pourquoi le
Gouvernement souhaite maintenir la création d'un établissement public
administratif.
Mais l'archéologie préventive, j'y insiste, n'est pas seulement l'affaire de
l'Etat et du futur établissement public.
Devant la représentation nationale, le Gouvernement veut redire avec solennité
tout son attachement à ce que l'établissement dont il propose la création
prenne appui sur l'ensemble des réseaux de compétences structurées : services
archéologiques des collectivités territoriales, Centre national de la recherche
scientifique, universités, associations qualifiées, etc. Ainsi, les
collectivités territoriales dotées de services archéologiques pourront être
amenées à prendre en charge une fouille et, dans ce cas, être partiellement ou
totalement exonérées de la redevance. Ce sera à l'établissement - lequel ne
saurait être assimilé à l'Association pour les fouilles archéologiques
nationales, l'AFAN, reconduite sous une autre forme - qu'il reviendra de mettre
en place le dispositif le plus adapté, en termes de qualité scientifique et
d'efficacité au regard des coûts et des délais, pour chaque opération de
diagnostic et de fouilles. Son action s'effectuera bien évidemment en liaison
avec les services de l'Etat, qui prescrivent
a priori
et évaluent
a
posteriori
en prenant appui sur les conseils interrégionaux de la recherche
archéologique et sur le Conseil national de la recherche archéologique, créés
par décret en 1994 et dont les compétences consultatives ne se limitent pas à
la seule archéologie préventive, loin de là.
Cette ouverture se traduira dans les dispositions qui vont régler
l'organisation et le fonctionnement des instances du nouvel établissement, dans
lesquelles les élus et les aménageurs seront représentés, et par les
conventions qu'il devra conclure avec les organismes compétents.
Par ailleurs, il est souhaitable que cette réforme s'accompagne d'un
partenariat croissant entre les services déconcentrés de l'Etat et les
collectivités territoriales.
J'en viens au financement de l'archéologie préventive.
Les prescriptions des services de l'Etat ont pour corollaire le versement par
les aménageurs de redevances ayant le caractère d'impositions de toute nature.
Le principe de ce dispositif de financement n'a pas soulevé de réserves de la
part de votre rapporteur.
Il est vrai que les voies d'un dispositif plus simple et plus transparent,
plus équitable pour les aménageurs ont été recherchées et que le ministère de
la culture et de la communication a été attentif aux préoccupations légitimes
de ceux-ci de voir encadrée la part d'aléas inhérente au risque archéologique
et de voir assurée une meilleure prévisibilité des coûts.
Par souci de simplicité, un taux unique s'appliquera pour les sondages et
diagnostics. La charge supportée par les aménageurs sera uniquement fonction de
l'emprise au sol des travaux et aménagements projetés. La redevance sera donc
intégralement mutualisée entre les aménageurs, qui seront en mesure, dès le
stade de la prescription par l'Etat, d'anticiper le coût des sondages et
diagnostics.
Lorsque les services de l'Etat prescriront, à l'issue des diagnostics, une
fouille archéologique, celle-ci donnera lieu au paiement d'une redevance
également calculée de façon simple et transparente. Son montant variera en
fonction de la nature des sites archéologiques, stratifiés ou non stratifiés,
en prenant respectivement en compte la hauteur moyenne de la couche
archéologique et le nombre de structures archéologiques tels qu'ils résultent
des sondages et diagnostics.
La redevance pour fouilles sera donc, elle aussi, calculée sur des bases
objectives. Son montant sera connu des aménageurs à l'issue des diagnostics. Il
ne pourra augmenter au cours de la réalisation des fouilles, en fonction par
exemple de la découverte inattendue de vestiges ou de difficultés imprévues.
Ainsi, l'établissement public ne pourra reporter sur les aménageurs les coûts
supplémentaires qu'entraînerait un allongement éventuel des délais de
réalisation des diagnostics et fouilles.
Il est également prévu la possibilité, pour l'aménageur, de continuer à
fournir des prestations de terrassement et d'installation de chantier en marge
du chantier de fouilles, venant en déduction de la redevance due à hauteur
maximale de 50 %.
Les redevances seront établies par l'établissement public sur un plan
matériel, mais ce sont les services de l'Etat qui fixeront, sans aucune
exception, l'ensemble de leurs paramètres de calcul. L'établissement public ne
disposera donc d'aucune compétence discrétionnaire à cet égard. La création
d'une instance de médiation entre les aménageurs, l'établissement public et
l'Etat, devant laquelle les aménageurs pourront contester les modalités de
calcul de la redevance, participe de la volonté de transparence et d'équité.
Garanties d'objectivité et de transparence dans la détermination du montant
des redevances, maîtrise des délais de réalisation des sondages, diagnostics et
fouilles, prise en compte de l'intervention des services d'archéologie des
collectivités territoriales et des moyens matériels mis à disposition par les
aménageurs qui viendront en réduction des redevances à leur charge, le
dispositif retenu assure, me semble-t-il, une plus grande égalité de traitement
entre aménageurs devant les charges publiques et concilie les impératifs du
développement économique et social et de restitution de la part enfouie de
notre passé collectif.
En dépit d'une nécessité manifeste, la création d'un service public de
l'archéologie préventive n'avait pas été engagée.
Cette réforme, ardemment souhaitée depuis vingt ans, jamais mise en oeuvre,
est essentielle au regard de l'apport irremplaçable de l'archéologie préventive
dans la découverte de la mémoire du sol. Elle met notre législation en
conformité avec les objectifs politiques auxquels la France a adhéré à travers
la convention de Malte du 16 janvier 1992.
Il faut aussi persévérer et sans nul doute innover pour maintenir et
développer l'attachement et la curiosité d'un large public à l'égard de son
patrimoine archéologique.
La nécessaire professionnalisation de l'activité archéologique ne doit pas
annihiler la dimension d'activité citoyenne qu'elle revêt pour nombre
d'habitants.
Au moment même où je vous parle, le palais de Chaillot accueille la deuxième
session des rencontres organisées par les ministères de la culture de la Grèce,
de la France et de l'Italie avec des chefs de projets urbains, dont la première
session s'était tenue à Athènes en juin 1999, et qui témoigne des enjeux
contemporains de la recherche archéologique. Inscrite dans le cadre du
programme « Projet urbain-projet citoyen » organisé par l'Institut français
d'architecture et la mission de préfiguration de la Cité de l'architecture et
du patrimoine, ces rencontres ont pour objet de favoriser une approche
interdisciplinaire du projet urbain et de mettre en place les stratégies de
projets urbains appropriées dans les sites archéologiques.
Nombre de nos villes d'Europe sont nourries et travaillées par ces
confrontations entre une mémoire du sol porteuse de la richesse et de la
profondeur de leurs cultures et la vitalité urbaine contemporaine. En
construisant pour le xxie siècle un cadre légal pour l'exploration et la
préservation de cette mémoire, qui nous permette en même temps de ne pas
renoncer à l'apport de notre temps à cet établissement humain continu qu'est la
ville, nous aurons, tous ensemble, fait oeuvre utile.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est un texte
important, non seulement pour les archéologues mais également pour tous ceux
qui assurent le développement de notre pays, en particulier pour les
collectivités territoriales à qui, au plus près du territoire, incombe bien
souvent la charge de concilier les impératifs de la protection du patrimoine
archéologique et les exigences de l'économie.
Pour cette raison, je regrette, madame la ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, les délais très courts que le Gouvernement nous impose. Il eût été plus
simple pour vous tout d'abord et aussi pour notre assemblée de disposer d'un
peu plus de temps afin de pouvoir procéder à l'ensemble des consultations qu'un
sujet aussi important nécessite. J'avoue ne pas comprendre une telle
impatience, alors que le projet de loi a été déposé le 5 mai 1999 à l'Assemblée
nationale. Sur un tel sujet, il aurait été utile de laisser un peu plus de
temps à la concertation. Le texte est perfectible, le Gouvernement en est
d'ailleurs conscient puisque, lors des débats à l'Assemblée nationale, votre
prédécesseur, madame la ministre, avait souhaité en modifier le volet financier
par voie d'amendement. Cette précipitation est incontestablement de mauvais
aloi s'agissant d'un texte qui est loin de faire l'unanimité.
Le projet de loi répond, certes, aux critiques exprimées par les archéologues,
à travers le mouvement de grève du printemps 1998, contre le système de
financement de l'archéologie préventive, critiques aggravées par l'émotion
suscitée par un avis du Conseil de la concurrence qui avait assimilé
l'exécution des fouilles préventives à une activité économique qui devait donc,
à ce titre, être soumise aux règles de la concurrence.
Si le projet de loi permet assurément d'apaiser ces critiques, il n'accorde
pas pour autant une réponse appropriée et définitive aux difficultés de
l'archéologie préventive. En effet, il traduit une vision un peu réductrice de
cette discipline, attribuant un rôle subalterne aux services archéologiques des
collectivités territoriales comme aux associations de bénévoles, et ne prend en
compte que de façon insuffisante les exigences du développement économique.
Je ne contesterai pas la nécessité de réformer le cadre juridique des fouilles
préventives, contesté au demeurant tant par les archéologues que par les
aménageurs.
La multiplication, depuis le milieu des années soixante-dix, des travaux
urbanistiques et d'infrastructure, conjuguée à la faiblesse des moyens
budgétaires consacrés à l'archéologie, a conduit à mettre en place une fiction
juridique : si l'Etat prescrit des fouilles, comme l'y autorise la loi de 1941,
il ne les réalise pas plus qu'il ne les finance. C'est en effet aux aménageurs
qu'il revient de supporter le coût des fouilles, qui sont en général exécutées
par une association créée à cet effet par le ministère de la culture en 1973,
l'AFAN, l'Association pour les fouilles archéologiques nationales.
Ce système que l'on pourrait appeler « casseur-payeur », qu'aucun texte ne
prévoit, avait jusqu'à présent finalement plutôt bien fonctionné, mais il
atteint aujourd'hui ses limites. Outre la fragilité de ses fondements
juridiques, il souffre notamment de l'absence de séparation claire entre les
responsabilités des services du ministère de la culture et celles de l'AFAN,
exemple parfait de « démembrement de l'administration », confusion qui favorise
une consanguinité source d'ambiguïté, alors que l'on observe une tendance
croissante de l'Etat à se décharger de ses propres missions au profit de
l'association. Faute d'une réelle concurrence, l'AFAN s'est vu reconnaître un
monopole de fait, qui nourrit les critiques relatives à l'opacité des coûts des
opérations archéologiques et écarte des chantiers de fouilles des opérateurs
qui, par leur connaissance du territoire, pourraient assurer une meilleure
exploitation des découvertes. Enfin, les collaborations avec les organismes
publics de recherche sont encore insuffisantes au regard de l'intérêt
historique et scientifique que représentent les fouilles préventives.
A cette situation, dont je ne nie pas les inconvénients, le Gouvernement
répond par une solution qui, si elle présente l'avantage de la simplicité, ne
semble adaptée ni à l'évolution actuelle de la recherche scientifique ni à
celle de nos structures administratives. Un de ses inconvénients principaux est
sans aucun doute son caractère anachronique.
Reprenant les conclusions remises, en novembre 1998, par MM. Demoule, Pêcheur
et Poignant à Mme Catherine Trautmann, le projet de loi consacre l'existence
d'un service public de l'archéologie préventive. Ce service public recouvre non
seulement les missions régaliennes que confiait à l'Etat la loi dite Carcopino,
mais également l'exécution des opérations de terrain. Il s'agit là d'éviter de
soumettre les fouilles préventives à la concurrence, risque qui était en
réalité très minime compte tenu du rôle et des dimensions de l'AFAN.
Ce choix se traduit par la création d'un établissement public doté de droits
exclusifs pour la réalisation des fouilles préventives, qui résulte en quelque
sorte de la « nationalisation » de l'AFAN, que l'on transforme ainsi en
organisme de recherche.
Bien qu'il ne modifie pas explicitement la loi de 1941, le projet de loi
attribue à l'établissement public compétence pour désigner les responsables de
fouilles, l'Etat se contentant d'approuver. Même si l'article 2 prévoit, en des
termes au demeurant flous, que, pour l'exécution de sa mission, l'établissement
fait appel à d'autres « personnes morales dotées de services archéologiques »,
rien ne garantit que des responsables de fouilles puissent être choisis en
dehors des personnels de l'établissement. Le monopole est donc clairement
affirmé.
Les fouilles seront désormais exécutées par cet établissement, qui sera
financé par le produit des redevances d'archéologie préventive prévues par
l'article 4. Le projet de loi met donc fin aux mécanismes contractuels qui
prévalaient jusqu'ici. Au-delà des critiques qu'a pu susciter cet aspect du
texte, force est de constater que ce mode de financement ne fait que consacrer
la pratique résultant du système actuel : le coût de l'archéologie préventive
incombe aux aménageurs.
Ce dispositif, dont l'accent très centralisateur n'a échappé à personne,
suscite, je crois, autant d'inquiétudes qu'il ne résout de difficultés. Les
inquiétudes portent tant sur l'opportunité de mettre en place ce qui apparaît
comme une « étatisation » de la recherche archéologique que sur sa
compatibilité avec les règles européennes de la concurrence.
Trois motifs justifiaient la création d'un monopole : d'une part, assurer en
tout temps et en tout lieu les fouilles ; d'autre part, permettre une
mutualisation des coûts de l'archéologie ; enfin, garantir la qualité
scientifique des opérations de terrain.
Or, la pertinence du dispositif proposé au regard de ces trois critères
apparaît pour le moins contestable.
S'agissant tout d'abord du critère de l'efficacité, l'établissement public
sera-t-il capable de faire face au caractère par définition aléatoire de
l'activité qui lui est confiée ? Comment pourra-t-on éviter des phénomènes de
files d'attente en période de forte activité ? N'y a-t-il pas, à craindre, dans
ce cas, que les aménageurs, pour éviter des délais trop longs, ne doivent payer
pour lever la « servitude archéologique » ? On en reviendrait alors au système
actuel. A l'inverse, comment l'établissement pourra-t-il couvrir ses coûts
fixes dans les périodes de ralentissement de l'activité ? Ne faut-il pas
craindre que, dans ce cas, ne se fasse jour une tentation de renforcer les
exigences des prescriptions archéologiques afin d'équilibrer son budget ?
L'absence de séparation claire entre l'Etat et l'établissement n'offre sur ce
point aucune garantie. Enfin, le statut d'établissement public à caractère
administratif permettra-t-il à ce nouvel organisme de disposer de la souplesse
de gestion nécessaire à l'accomplissement de ses missions, qui consistent
essentiellement en des opérations de terrain ? Rien n'est moins certain.
A l'évidence, cet établissement devrait être doté d'un fonds de roulement lui
permettant de faire face aux décalages de trésorerie : c'est une nécessité.
Mais quel sera son montant ? C'est là une question capitale.
Par ailleurs, la possibilité de faire appel à d'autres organismes de recherche
voire à d'éventuels sous-traitants est présentée comme un élément de souplesse.
Cependant, l'établissement est libre de recourir à cette possibilité. Ce n'est
au demeurant que la conséquence de l'autonomie que lui confère son statut. Or,
n'y a-t-il pas un risque que l'établissement ne soit « jaloux » de ces droits
exclusifs, qui consistuent la clé de l'équilibre financier que l'on exige de
lui ?
Le souci d'opérer une mutualisation du coût des fouilles, qui me semble
légitime, aurait dû se traduire logiquement par un prélèvement de faible
montant assis sur l'ensemble des opérations affectant le sous-sol. Or, la
redevance prévue par le projet de loi vise exclusivement les travaux ayant
nécessité la réalisation de fouilles et, de plus, son montant dépend
étroitement du coût réel de celles-ci. Dans ce système, la mutualisation ne
joue qu'à la marge, pour compenser le coût des exonérations en faveur du
logement social et de l'habitat individuel. Là encore, nous sommes finalement
assez loin des objectifs annoncés.
Enfin, comment l'établissement pourra-t-il assumer sa vocation scientifique ?
Le produit de la redevance est calqué sur le coût actuel de l'archéologie
préventive, et l'on sait les résultats insuffisants du système actuel en ce qui
concerne l'exploitation des résultats des opérations de terrain et leur
valorisation culturelle. A l'évidence, l'établissement devra bénéficier de
subventions inscrites au budget de votre ministère. Faute de moyens, nous en
resterons à la situation actuelle avec, en plus, les rigidités résultant du
monopole.
Par ailleurs, ne faut-il pas craindre que l'instauration d'un monopole
n'aboutisse, de manière paradoxale, à une ouverture de l'archéologie préventive
à la concurrence qui serait imposée par les autorités communautaires ? En
effet, si la loi peut soustraire l'archéologie préventive aux règles nationales
de la concurrence, elle ne peut avoir pour effet d'écarter l'application des
dispositions du traité de Rome.
En dépit de l'analyse rassurante formulée par les auteurs du rapport sur
lequel s'appuie le projet de loi, faut-il exclure que l'objet de
l'établissement puisse être assimilé à une activité économique ? Vous
considérez que les opérations de fouilles sont indissociables des démarches
intellectuelles qui les fondent. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour de
justice des Communautés européennes, la question est plutôt de savoir si elles
sont dissociables des prérogatives de puissance publique reconnues à l'Etat.
Sur ce point, je ne peux qu'observer que le projet de loi ne revient pas sur la
loi de 1941 et que, au contraire, il en renforce la logique en précisant que
l'établissement public exécutera les fouilles « conformément aux prescriptions
de l'Etat ». Il y a donc volonté d'établir une distinction entre les
prescriptions et leur exécution. Si l'on assimile la mission de l'établissement
à une activité économique, peut-on alors considérer que l'attribution de droits
exclusifs soit une condition nécesaire à l'accomplissement de sa mission aux
termes de l'article 90 du traité de Rome ? Les assouplissements apportés par
l'Assemblée nationale, qui étaient sans doute nécessaires, ne peuvent que nous
en faire douter.
En effet, l'Assemblée nationale a ouvert deux brèches dans les droits
exclusifs de l'établissement.
Elle a prévu, d'une part, que seraient exonérés de la redevance les travaux
effectués par les collectivités territoriales dotées de services archéologiques
« agréés ». Si cette précision n'est guère satisfaisante au regard de l'intérêt
que de tels services sont susceptibles de représenter, elle affaiblit à
l'évidence la légitimité du monopole.
D'autre part, l'Assemblée nationale a reconnu de fait qu'une partie des
opérations liées à l'accomplissement de fouilles préventives était détachable
de leur objet scientifique. Elle a en effet prévu que certains travaux
concourant à l'exécution des opérations de fouilles effectuées par
l'établissement public pouvaient être exécutés par l'aménageur lui-même et, à
ce titre, faire l'objet d'une réduction du montant de la redevance.
Au-delà de ces assouplissements, l'Assemblée nationale a profondément modifié
les modalités de calcul de la redevance. La nouvelle définition de l'assiette
permet d'assurer un meilleur rendement de ce nouvel impôt, laissant espérer que
l'établissement puisse disposer de recettes suffisantes pour équilibrer ses
coûts fixes. La nouvelle rédaction de l'article 4 présente également l'avantage
de permettre une plus grande transparence des modalités d'établissement des
redevances et ne laisse à l'établissement qu'une faible marge de manoeuvre pour
fixer leur montant, qui dépendra des prescriptions des services régionaux de
l'archéologie.
Cependant, le texte qui nous est soumis présente encore de nombreux points
faibles.
Pour autant, fallait-il remettre en cause le projet de loi dans son ensemble ?
Je ne le crois pas, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, le statut associatif n'est plus adapté à l'ampleur des sommes
consacrées au financement de l'archéologie préventive. Une « privatisation » de
l'archéologie, qui s'accompagnerait d'une dissolution de l'AFAN, semble exclue
et, au demeurant, peu souhaitable, compte tenu du poids que représente
aujourd'hui cette association et des services qu'elle offre aux aménageurs. La
solution de l'établissement public semble donc s'imposer.
En second lieu, le projet de loi, en optant pour le financement par l'impôt,
répond aux attentes des aménageurs et des archéologues en établissant, en
quelque sorte, un « barème national » des opérations archéologiques. C'est du
moins ce que je retire des auditions, trop peu nombreuses, auxquelles il m'a
été laissé le temps de procéder.
Cependant, le dispositif est perfectible.
Les améliorations que je vous proposerai d'apporter visent d'abord à préciser
les conditions dans lesquelles l'Etat prescrit les fouilles archéologiques, et
notamment à distinguer plus clairement que ne le fait le projet de loi entre ce
qui relève des compétences de l'Etat et ce qui relève de celles de
l'établissement public. En effet, alors qu'une des raisons avancées par le
Gouvernement pour justifier la réforme de l'archéologie est l'inadaptation du
cadre législatif, le projet de loi ne modifie ni n'abroge la loi de 1941, dont
l'articulation avec les dispositions du texte peut, d'ailleurs, prêter à
confusion.
C'est, à notre sens, à l'autorité administrative et à elle seule qu'il
appartient de désigner le responsable de fouilles : celui-ci pourra être choisi
parmi les personnels de l'établissement mais également au sein des services
archéologiques des collectivités territoriales ou d'autres structures privées
ou publiques.
En effet, le monopole proposé par le projet de loi ne se justifie pas plus sur
le plan de l'efficacité que sur celui de la nécessité d'assurer la qualité
scientifique des fouilles. Par ailleurs, les doutes soulevés sur la question de
sa conformité aux règles européennes de la concurrence laissent craindre une
remise en cause rapide de ce mécanisme, ce qui se traduirait par une ouverture
de l'archéologie à la concurrence, situation que le projet de loi tente, à
juste titre, de prévenir.
Afin de renforcer les capacités d'expertise de l'Etat et de contrebalancer le
poids que sera amené à prendre, dans la pratique, l'établissement, je vous
proposerai de conférer une existence législative au Conseil national de la
recherche archéologique et aux commissions interrégionales de la recherche
archéologique, les CIRA. Il ne s'agit pas là de verser dans une quelconque «
comitologie » : ces organismes jouent déjà un rôle essentiel dans
l'établissement des prescriptions archéologiques et dans le contrôle des
opérations de terrain. Par leur composition que je vous proposerai d'élargir
aux représentants des collectivités territoriales, ces instances, en
particulier les CIRA, ont vocation à constituer un instrument capital dans la
définition de la politique de protection du patrimoine archéologique.
Pour prendre en compte les exigences du développement économique lors de
l'établissement des prescriptions archéologiques et faire en sorte que le
risque archéologique puisse être mieux anticipé par les aménageurs, j'estime
également souhaitable de prévoir dans la loi des délais maxima pour la durée
des fouilles. Les aménageurs doivent savoir autant que possible ce qui les
attend.
Supprimer le monopole ne signifie pas pour autant qu'il soit nécessaire de
revenir sur le principe de la création d'un établissement public. Cependant,
afin de lui accorder la souplesse de gestion indispensable, il m'apparaît
nécessaire de lui conférer un statut d'établissement public à caractère
industriel et commercial, statut qui n'est absolument pas incompatible avec une
mission de recherche.
Le refus du monopole apparaît comme une condition nécessaire pour permettre le
développement des services archéologiques des collectivités territoriales. Sur
ce point, le projet de loi suscite encore bien des interrogations en dépit des
précisions apportées par l'Assemblée nationale. Le développement de ces
services présente des avantages incontestables dans la perspective de la
création d'un établissement public national dont les équipes seront par
définition appelées à se déplacer d'un lieu à un autre. Le projet de loi
méconnaît cette réalité en conférant à ces services un rôle subsidiaire.
Le dispositif que je vous proposerai, mes chers collègues, inscrit les
services archéologiques des collectivités territoriales dans le cadre prévu par
les lois de décentralisation pour les compétences facultatives des
collectivités locales en matière culturelle : celles-ci sont libres de
déterminer l'organisation et le fonctionnement de ces services, sous réserve du
contrôle technique de l'Etat.
Ces services auront vocation, dès lors qu'ils existent et que la collectivité
en fait la demande, à participer de plein droit aux opérations de fouilles qui
se déroulent sur le territoire de la collectivité, sous réserve de la
compétence reconnue à l'Etat de désigner le responsable de fouilles. Le
développement de ces services archéologiques territoriaux sera encouragé par le
mécanisme d'exonération introduit par l'Assemblée nationale.
La suppression du principe du monopole exige un aménagement du principe de
financement par l'impôt des fouilles préventives.
Je vous proposerai donc, mes chers collègues, de prévoir un système de
réduction de redevance plus large que celui qui a été adopté par l'Assemblée
nationale. Les sommes que les aménageurs auront engagées pour l'exécution des
travaux de fouilles prescrits par l'Etat et non exécutés par l'établissement
viendront en réduction du montant de la redevance.
Ce système, qui a été retenu à l'Assemblée nationale pour les collectivités
territoriales, doit être étendu à l'ensemble des aménageurs : soit ces derniers
recourent à l'établissement et ils acquittent la redevance, soit l'Etat désigne
un responsable de fouilles qui n'appartient pas à l'établissement public, et
ils bénéficient du régime de réduction.
Enfin, il me semble opportun, dans un souci de préservation du patrimoine
archéologique, de conserver à l'imposition un effet dissuasif afin d'éviter que
des sites archéologiques ne soient inutilement détruits. En effet, dans la
mesure où le montant de la redevance a été arrêté par rapport à des valeurs
moyennes, il est à craindre que, pour des sites extrêmement complexes qui
exigeront des fouilles coûteuses, le mode de calcul retenu n'aboutisse à fixer
des taux acceptables pour un aménageur doté de fortes capacités contributives
ou qui espère du terrain une forte plus-value commerciale. Je vous présenterai
donc un amendement en ce sens à l'article 4.
Le projet de loi qui nous est soumis comporte d'incontestables inconvénients
et ne règle qu'une partie des difficultés actuelles de l'archéologie. Les
amendements que je vous propose ont pour seule ambition de permettre le
fonctionnement efficace d'un dispositif qui risquait, en l'état, d'aboutir à
des blocages peu compatibles avec les exigences du développement économique et
de remettre en cause la diversité des acteurs de l'archéologie. Le système
actuel, s'il était loin d'être parfait, présentait au moins le mérite de
fonctionner et de garantir une approche pluridisciplinaire des fouilles. La
réforme des structures administratives de l'archéologie ne doit se faire au
détriment ni de l'efficacité économique ni des intérêts de la recherche
scientifique.
Ainsi, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pensons-nous
contribuer à doter la France d'un système de fouilles d'archéologie préventive
efficace et adapté aux exigences du xxie siècle.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lepeltier.
M. Serge Lepeltier.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, après une élaboration pour le moins difficile, la réforme de
l'archéologie préventive est aujourd'hui soumise à notre examen.
D'emblée, je voudrais exprimer un regret : alors que ce projet de loi concerne
pourtant très directement les collectivités territoriales, il a été déposé
d'abord sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Il me semble, en revanche, évident que le Gouvernement a raison de présenter
un texte sur l'archéologie préventive.
Compte tenu de la mutation de ce secteur au cours des dernières décennies sous
l'effet de la multiplication des opérations d'urbanisme et des grands chantiers
d'infrastructures, et dans la mesure où le texte législatif de référence date
de 1941, il est clair qu'un tel projet de loi était attendu et qu'une évolution
était indispensable.
Pour autant, le contenu de la réforme qui nous est proposé, largement de
circonstance, réducteur et centralisateur, ne saurait être, en sa rédaction
actuelle, satisfaisant.
C'est pourquoi je me félicite des améliorations significatives proposées par
le rapporteur de la commission des affaires culturelles, notre collègue Jacques
Legendre, que je tiens personnellement à remercier de la qualité du travail
accompli.
La question, il est vrai, est d'importance.
L'archéologie préventive, on le sait, touche aux tréfonds de la société et à
un domaine extrêmement sensible, dont les implications vont bien au-delà de
considérations purement financières même si ces dernières sont naturellement
tout à fait déterminantes. En effet, notre histoire et nos origines sont
concernées.
Les élus locaux, les maires en particulier, mesurent pleinement l'ampleur de
l'enjeu, car ils savent combien il est important de faire évoluer les villes en
matière d'urbanisme, d'y promouvoir un développement économique et social
conciliable avec les exigences de la recherche scientifique et de la
conservation du patrimoine, à laquelle nous sommes tous profondément
attachés.
Il leur faut d'ailleurs souvent surmonter de réelles difficultés dans
l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, ils constatent parfois que les aménageurs
sont obligés de renoncer à des projets pourtant favorables à l'amélioration de
la qualité de vie des populations, non parce que ces projets remettraient en
cause le patrimoine, mais en raison des contraintes auxquelles ils doivent
faire face.
Aujourd'hui, à plus de 90 %, la recherche archéologique française est
alimentée par des fouilles décidées en urgence, alors même qu'aucun cadre
juridique spécifique ne réglemente l'archéologie préventive.
Au vu du texte actuel, les élus locaux sont pourtant très inquiets, monsieur
le secrétaire d'Etat : force est de constater que le projet de loi manque
d'ambition et de souffle ; il n'opère qu'une réforme partielle, avec pour
finalité essentielle le règlement du problème du statut de l'Association pour
les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN.
Très clairement, le dispositif prévu aboutit à accorder, au travers d'un
établissement public administratif doté de droits exclusifs, un monopole
d'exécution des fouilles et procède d'une logique centralisatrice peu
compatible avec l'évolution de la recherche scientifique et des structures
administratives de ces dernières décennies.
Lors d'un colloque sur « l'archéologie territoriale, la culture et
l'aménagement du territoire » qu'il m'avait été donné de parrainer au Sénat, en
juin 1999, un fort consensus s'était d'ailleurs dégagé pour dénoncer un tel
risque de monopole.
Je sais bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous vous inscrivez en faux
contre ce reproche, que des assouplissements ont été apportés par l'Assemblée
nationale, prévoyant, notamment, que, pour l'exécution de sa mission,
l'établissement public « associe les services de recherche archéologique des
collectivités territoriales et des autres personnes morales de droit public ».
Voilà de louables intentions, mais qui me laissent toutefois dubitatif...
La décision est prise d'associer à la réalisation des opérations
archéologiques d'autres intervenants, mais le choix de ces derniers reste à la
discrétion de l'établissement. Dans ces conditions, quelles garanties
pouvons-nous avoir de l'émergence de telles collaborations ?
C'est pourquoi j'adhère pleinement à l'initiative de la commission de
consacrer le rôle des services archéologiques des collectivités territoriales,
de reconnaître à ces dernières la possibilité de se doter de tels services,
ayant, qui plus est, vocation à participer de plein droit aux opérations de
fouilles qui se déroulent sur le territoire de ces mêmes collectivités.
En tant que maire de Bourges et chargé de l'un des secteurs sauvegardés les
plus étendus de France - on y trouve d'ailleurs des monuments majeurs -
j'observe dans ma ville la place éminente qui est celle de l'archéologie
décentralisée, c'est-à-dire celle qui relève des services du département ou de
la commune. Particulièrement adaptée à une exploitation scientifique et
culturelle des découvertes archéologiques au plus près du territoire, elle
permet de se placer dans une perspective environnementale et historique plus
complète.
L'archéologie territoriale apparaît, en outre, comme un vecteur privilégié
d'expression des identités régionales, auxquelles nos compatriotes sont de plus
en plus attachés parallèlement à la construction européenne.
Elle a vocation à participer pleinement à la recheche scientifique qui, à
l'évidence, pour être riche, doit être multiple, pluraliste, et faire appel à
tous les organismes et niveaux de décision qui peuvent exister en ce
domaine.
A l'avenir, on devrait notamment pouvoir solliciter des organismes distincts
du futur établissement public, non seulement pour des fouilles de faible
ampleur, comme on pourrait l'imaginer, mais également pour des opérations
importantes qui rendent souvent nécessaire l'intervention d'équipes aux
compétences scientifiques très spécialisées.
C'est tout le contraire d'une concentration, qui serait un appauvrissement et
un affaiblissement.
Le futur établissement public ne pourra assumer pleinement sa vocation
scientifique qu'à deux conditions : d'une part, si l'Etat lui en donne les
moyens et, d'autre part, si la définition même de cette mission de recherche
est suffisamment clarifiée.
Clarification des prérogatives de l'Etat, de l'établissement public, des
collaborations scientifiques éventuelles, bref, il faut une véritable ambition
scientifique pour l'archéologie préventive. Les missions des uns et des autres,
en l'occurrence des différentes institutions, doivent être clairement
identifiées, sans confusion.
Le statut associatif actuel de l'AFAN n'est bien sûr plus adapté. La création
d'un établissement public industriel et commercial auquel on ne reconnaîtrait
plus de droits exclusifs, comme nous le propose M. le rapporteur, m'apparaît
être une réponse d'abord réaliste, en ce sens qu'elle part des réalités
d'aujourd'hui, et ensuite de nature à favoriser une plus grande souplesse qu'un
établissement public administratif, tout en conférant au futur organisme la
dimension nécessaire. Je l'approuve donc.
La question du financement soulève, quant à elle, bien des difficultés et de
multiples incertitudes. Nous aurons l'occasion d'y revenir plus longuement lors
de l'examen des articles.
Je formulerai simplement trois remarques.
Tout d'abord, la version originale du projet de loi, qui prévoyait d'exonérer
du paiement de la redevance toutes les constructions d'une surface hors
d'oeuvre nette inférieure à 5 000 mètres carrés, était si contestable que le
Gouvernement a lui-même corrigé sa copie.
Ensuite, je me félicite de l'exonération, proposée par M. le rapporteur, du
paiement de la redevance des travaux réalisés par une collectivité territoriale
pour elle-même lorsque celle-ci dispose d'un service archéologique.
Enfin, permettez-moi d'exprimer une inquiétude sur les coûts réels qui
découleront de la redevance : selon certaines estimations, les sondages et
diagnostics comme les fouilles pourraient varier très sensiblement par rapport
à la situation actuelle, soit à la baisse, ce dont nous nous réjouirions, mais
aussi à la hausse, et ce parfois de manière très forte.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous rassurer sur ce point,
notamment à la lumière des projections qui ont été réalisées ?
Enfin, si l'établissement connaît des difficultés budgétaires, quelle garantie
avons-nous qu'il ne viendra pas réclamer des financements aux maîtres
d'ouvrage, quelquefois dans la plus complète illégalité, comme cela a pu être
le cas jusqu'à aujourd'hui ?
J'en termine par un aspect tout à fait essentiel à mes yeux, celui de la
conservation des richesses archéologiques. Le développement, ces dernières
décennies, de l'archéologie préventive a produit, en effet, une masse
documentaire impressionnante.
Les objets représentent incontestablement une information historique
exceptionnelle. Leur conservation est l'enjeu de la transmissibilité du
patrimoine archéologique, avec ce que cela suppose d'organisation de lieux de
dépôt, d'études et de mise à disposition. Or, en tant qu'élus locaux, nous
savons quelquefois dans quelle situation se trouvent ces objets : nous avons
même parfois des difficultés à les retrouver ! A quand donc, madame la
ministre, un statut de l'objet ?
J'aurais aimé qu'à l'occasion d'un véritable débat sur l'archéologie de telles
questions puissent être abordées, qu'une réflexion globale puisse s'engager sur
la conservation, la valorisation des archives du sol, sur la politique qu'un
pays comme le nôtre souhaite mettre en oeuvre en matière de connaissance de sa
mémoire et de sa restitution au plus grand nombre de nos compatriotes.
Tel n'est pas le cas aujourd'hui, et je le regrette sincèrement : le présent
projet de loi ne se penche pas vraiment sur la discipline archéologique ;
beaucoup trop réducteur, il ne nous renseigne guère sur la conception de
l'archéologie qui pourrait être celle de la France à l'aube de ce nouveau
siècle. N'est-ce pas, essentiellement, une occasion manquée ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
travers les millénaires, l'homme a laissé, partout où il a vécu, la trace de
son existence, de son savoir-faire, de son mode d'organisation, de ses
croyances, de ses émotions artistiques et des événements qui ont jalonné son
histoire.
D'innombrables vestiges, souvent admirables ou étonnants, en restent les
témoins émouvants, même si le temps, les guerres, le fanatisme religieux ou
politique, la cupidité, l'urbanisation tentaculaire ou, tout simplement,
l'indifférence, ont anéanti de très nombreux trésors.
Restaient les vestiges déjà enfouis, dont les plus remarquables ont, certes,
été sauvegardés et mis en valeur, mais dont le nombre, la diversité, la
dispersion et l'intérêt ont été longtemps ignorés hors le cercle très restreint
des spécialistes.
Aussi est-ce essentiellement à leur initiative et à leur pugnacité que l'on
doit la prise en compte systématique et l'exploitation des vestiges
archéologiques, même diffus, et ce autant pour leur intérêt scientifique que
pour leur valeur patrimoniale.
Une réglementation très sévère les protège et, compte tenu du nombre très
important de sites concernés, le domaine de la recherche archéologique s'est
considérablement développé ces dernières décennies, dans des conditions
insuffisamment définies et dans un contexte trop souvent conflictuel.
Aussi le projet de la loi dont nous avons à débattre aujourd'hui répond-il à
une véritable nécessité. Encore convient-il d'apprécier la pertinence des
réponses apportées aux problèmes qui sont posés.
Paradoxalement, on a trop souvent le sentiment que ce texte, tel qu'il est
soumis à notre examen, suscite plus d'interrogations nouvelles qu'il ne lève
d'ambiguïtés, l'excellent rapport de notre éminent collègue Jacques Legendre le
souligne d'ailleurs avec beaucoup de pertinence et de force.
Je voudrais, d'abord, évoquer la création de l'établissement public appelé à
se substituer à l'AFAN, et qui est installé dans une situation de monopole
absolu.
On ne peut s'empêcher, d'ailleurs, de penser que le projet de loi a pour
objectif essentiel de légaliser un dispositif qui contrevient, en fait, au code
des marchés publics et à certaines dispositions communautaires. En effet, dès
lors qu'un barème est fixé par la loi, la concurrence n'a plus de raison
d'être.
Mais le dispositif proposé est porteur, me semble-t-il, d'importants
inconvénients.
Si le principe de la mutualisation des coûts peut paraître séduisant à
première vue, il dissocie, en fait, le prix de la prestation elle-même. Or
comment expliquer à une collectivité rurale ou à un aménageur qu'il a payé plus
cher que le prix de la tâche effectuée du seul fait qu'à Paris, à Marseille ou
à Strasbourg, les difficultés techniques rencontrées sur le terrain engendrent
des surcoûts importants qu'il convient de couvrir ? En somme, on aurait pu tout
aussi bien instituer un impôt nouveau - un de plus ! - destiné à financer les
fouilles archéologiques sur l'ensemble du territoire. La logique de la
mutualisation eût alors été poussée à son terme.
Un autre inconvénient de la rémunération forfaitaire résulte de la nécessité
dans laquelle se trouvera l'établissement public d'équilibrer ses comptes. Ne
travaillant plus sur devis, le bilan de ses opérations globalisées fera
inévitablement apparaître un solde, soit positif, soit négatif. Comment, dès
lors, telle entreprise de 1 200 salariés ne serait-elle pas tentée d'adapter sa
stratégie d'intervention au nécessaire ajustement de ses comptes, les
préoccupations de gestion - préoccupations légitimes en soi - l'emportant sur
celles des porteurs de projet qui ont à payer les travaux ?
Le dispositif proposé me paraît également extrêmement dangereux pour les
sous-traitants potentiels que sont les associations d'archéologues, les
services archéologiques des collectivités territoriales et les entreprises
agréées de droit privé.
Ces sous-traitants sont placés dans une dépendance totale par rapport à
l'établissement public, aussi bien pour ce qui est de leur carnet de commandes
que pour la nature des chantiers qui leur sont confiés et la rémunération de
leur compétence et de leur travail.
Compte tenu des contraintes de gestion qui s'imposeront à l'établissement
public, les sous-traitants serviront, en fait, à celui-ci de variable
d'ajustement, ce qui ne semble guère acceptable.
Et l'on pourrait évoquer également les porteurs de projet, appelés à financer
intégralement l'opération et qui ne se trouvent associés à aucune décision
concernant le déroulement de l'opération et la fixation de son coût !
En fait, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, la décentralisation est
progressivement mise à mal à travers une volonté délibérée de reprise en main
de tous les leviers par le pouvoir central. On laisse la responsabilité, on
laisse la charge financière, mais on restreint le pouvoir d'appréciation et de
décision.
J'évoquerai à présent, à partir d'un exemple vécu, un aspect du problème qui
ne peut pas ne pas susciter notre réflexion dans ce débat.
Dans la ville dont je suis le maire, nous avions déposé, voilà trois ans, une
demande de permis de construire pour un bâtiment public de 50 mètres sur 20
mètres.
Nous possédons, certes, dans le secteur concerné, des vestiges archéologiques
relativement importants, mais pas une pierre, pas un mur, pas un monument n'est
classé, et on chercherait en vain la ville d'Illzach parmi les sites
historiques remarquables.
L'AFAN a établi un devis s'élevant à 3 709 000 francs.
A cette dépense, s'ajoutaient des prestations en nature considérables, que
vous voudrez bien m'excuser d'énumérer ici, tant cet inventaire à la Prévert
est significatif : une pelle hydraulique de 150 chevaux avec chauffeur pendant
cinq jours, une mini-pelle avec chauffeur pendant soixante jours, deux camions
pendant cinq jours, un camion pendant soixante jours, une benne de chantier
vidangée régulièrement pendant cent vingt jours, un bungalow
vestiaire-réfectoire pour quinze personnes, deux blocs sanitaires, toutes les
dispositions assurant la sécurité générale du chantier pendant cent vingt
jours.
C'était donc environ un million de francs supplémentaire qui venait s'ajouter
aux 3,7 millions cités précédemment.
Nous avons, à grand regret, renoncé à réaliser ces fouilles et avons aménagé
un parking de surface en lieu et place du bâtiment initialement projeté.
Ce qui me paraît le plus préoccupant, dans cette affaire, c'est qu'un espace
analogue a été fouillé à proximité immédiate, voilà une vingtaine d'années, par
une association d'archéologie, sous le contrôle rigoureux des services de
l'Etat. Aucun vestige bâti n'a mérité d'être conservé. Quelques objets sont
allés rejoindre les collections du musée historique de Mulhouse. Des
photographies, des croquis, des relevés, des notations ont été réunis dans une
publication déposée aux archives départementales, où elles ne suscitent pas,
d'évidence, un intérêt excessif.
Comment, dès lors, ne pas s'interroger sur le rapport qualité-prix de
certaines opérations ?
J'ai déposé un amendement qui vise à ce que chaque opération fasse l'objet
d'un rapport de synthèse final, détaillant la formation de son coût et évaluant
son intérêt scientifique ou patrimonial. Le recoupement des conclusions de tels
rapports devrait permettre, peu à peu, d'orienter la stratégie de ceux et de
celles sur qui repose la responsabilité des décisions à prendre.
Mais on est, s'agissant de l'archéologie, dans un domaine où l'on dépasse
parfois les limites du strictement rationnel, parce qu'on attache,
inconsciemment, une part de sacré à ce qui resurgit du passé, parce qu'une
civilisation ne peut pas ne pas vouloir pousser jusqu'à ses limites son
questionnement sur ses origines, mais aussi, et surtout, à cause du caractère
irréversible de toute destruction d'un témoignage du passé. Une plante ou une
espèce animale prend une valeur toute singulière, dès lors qu'elle est menacée
de disparition.
Il ne s'agit pas - je pense qu'on l'a compris - de mettre en cause l'intérêt
que présentent la recherche archéologique et la nécessité de la réglementer et
de l'organiser avec rigueur.
Mais en toutes choses il faut raison garder. Et là comme ailleurs, il convient
de ne pas tomber dans un fondamentalisme qui ferait une fin en soi d'une
science indispensable à la connaissance historique et à la sauvegarde de notre
patrimoine.
Le projet de loi qui nous est soumis apporte des clarifications qui étaient
indispensables, sans pour autant régler tous les problèmes en suspens. Les
amendements proposés par la commission des affaires culturellees en gomment un
certain nombre d'imperfections.
Je voterai donc le texte amendé, avec mes collègues du groupe du Rassemblement
pour la République, convaincu, cependant, que, d'ici peu d'années, l'ouvrage
sera à remettre sur le métier, à la lumière de l'expérience acquise à travers
la mise en oeuvre des dispositions dont nous débattons aujourd'hui.
(
Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centristes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
)
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi, dans cet hémicycle que vous
connaissez bien, de vous adresser ainsi qu'à Mme Catherine Tasca - je ne doute
pas que vous lui transmettrez ce message - un cordial salut de bienvenue - de
bon retour devrais-je dire, la concernant - en vous souhaitant un plein succès
dans le traitement des dossiers complexes de la culture et de la
communication.
Dans le monde où nous vivons - il ne va pas bien, mais il n'y en a pas
d'autre, et c'est le nôtre, disait Jean-Paul Sartre - comment ne pas voir que
les oeuvres des artistes, des créateurs, qu'ils soient poètes, chanteurs,
acteurs, peintres, musiciens, portent toute la palpitation du monde, d'un monde
difficile où, heureusement, il y a toujours, quelque part, quelqu'un qui chante
dans la nuit ?
Ne voulant pas insulter le passé, je n'oublie pas tous ceux qui se préoccupent
du patrimoine, celui d'hier et celui de demain - savoir se souvenir de
l'avenir, disait le poète. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat,
ainsi que Mme Tasca, de les accompagner dans ce qui est plus que jamais une
oeuvre de civilisation.
Le projet de loi que nous discutons aujourd'hui, on l'attendait depuis de très
nombreuses années pour donner à l'archéologie, et plus spécialement à
l'archéologie préventive, une source légale qui, il faut le reconnaître, lui
faisait défaut jusque-là.
Le cadre - je n'oserai pas dire « légistatif » - de 1941 n'est plus adapté
aujourd'hui. C'était une époque d'un caractère pour le moins particulier, et je
me dois de rappeler, sans vouloir être grinçant, que les chantiers étaient
alors ceux du mur de l'Atlantique. Il était tout de même temps de faire autre
chose !
Face à l'inquiétude de toute une profession, qui, en 1998, craignait de voir
l'archéologie soumise aux lois du marché, le ministre s'est attaché à élaborer
le texte qui nous est présenté aujourd'hui.
J'avais moi-même, avec le groupe communiste républicain et citoyen, proposé un
texte sur l'archéologie, dont le but était de donner une juste place à
l'archéologie territoriale.
En effet, nous pensions - et nous pensons encore aujourd'hui - qu'à côté de
l'archéologie nationale les collectivités territoriales ont dû, souvent par
défaut de l'Etat, instruire elles-mêmes la protection de leur patrimoine.
Depuis la fin des années soixante-dix, un certain nombre de départements, de
villes, notamment des villes d'art et d'histoire, ont accompli un travail
reconnu dans la connaissance et la gestion de leur histoire à travers la mise
en place de services archéologiques.
La proximité des laboratoires territoriaux d'archéologie est, en outre, un
facteur important en ce qu'il permet une meilleure corrélation entre
patrimoine, histoire et territoire.
Ainsi, dans l'ensemble des collectivités dotées de services d'archéologie, les
fouilles archéologiques, les publications et les expositions se sont
multipliées. De multiples collaborations ont vu le jour, associant l'éducation,
l'économique, le social et le culturel.
Déposant cette proposition de loi, nous souhaitions, néanmoins, conserver une
indispensable hauteur de vue et donner à l'archéologie une place de choix dans
les responsabilités de l'Etat. Aussi posions-nous comme un préalable
l'inscription de l'archéologie dans les missions du service public.
Nous vous savons gré, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous avoir entendus et
d'avoir su écouter l'ensemble des acteurs de l'archéologie, pour donner à
chacun une place particulière, tout en réaffirmant avec conviction les missions
publiques de l'Etat en matière archéologique.
Le projet que nous examinons, tel qu'il résulte des travaux de l'Assemblée
nationale, pose un cadre que nous pensons adapté au développement de
l'archéologie.
L'archéologie, après bien des années, se trouve placée au rang des missions du
service public.
A l'AFAN devrait succéder un établissement public administratif. Ce nouvel
organisme devrait accomplir ses missions avec le concours « d'autres personnes
morales », pour reprendre les termes mêmes de la loi.
Enfin, et cette disposition était attendue, l'article 4 du projet de loi crée
une redevance archéologique de nature à assurer le financement de l'archéologie
dans notre pays.
Certes, en l'état, le texte, et c'est là tout l'intérêt d'une lecture
plurielle, reste à parfaire, même si nous devrons, dans quelques années, faire
le point de l'application de ce texte et peut-être adapter le dispositif.
Ainsi, en l'état actuel du texte, l'assiette de la redevance devrait être,
selon nous, élargie.
De la même manière, les opérations de diagnostic archéologique ne sont
engagées qu'à partir du moment où les pétitionnaires engagent les procédures
d'utilisation du sol. L'aménageur ne peut alors disposer des informations
relatives à une éventuelle contrainte archéologique. Or, la prise en compte
très en amont des travaux et des contraintes archéologiques permettrait une
plus grande efficacité des travaux de diagnostic.
Enfin, le dispositif de la redevance, pour la partie qui relève des redevances
pour fouilles, devrait être amélioré et introduire des taux différenciés selon
les types de vestiges.
Je tenais, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à vous faire
part de ces observations avant même l'examen du texte, car - doit-on le
déplorer ? - le texte sur lequel nous serons amenés à nous prononcer n'aura
plus qu'un lointain rapport avec le projet de loi modifié par l'Assemblée
nationale, comme en témoignent les amendements de notre commission.
En effet, notre commission des affaires culturelles modifie substantiellement
le dispositif originel du texte.
Ainsi, le monopole dont pouvait bénéficier le nouvel établissement concernant
les opérations de diagnostic et de fouilles n'est pas maintenu. Peut-être
est-il imprudent de parler, en l'espèce, d'ouverture du champ archéologique à
la concurrence. Notre rapporteur ne l'a pas fait, et je lui en donne acte.
Pour autant, la rédaction même du dispositif qui nous est proposé, et qui
prévoit que le représentant de l'Etat en région désigne le responsable des
opérations archéologiques, pourrait condamner toute velléité de notre pays à se
doter d'un instrument public d'investigation archéologique.
En effet, nous pensons qu'en matière d'archéologie il convient de concilier
les intérêts locaux et les intérêts nationaux.
Dans ce cadre, la posture nationale pour désigner les opérateurs nous paraît
être une garantie de sauvegarde des intérêts de l'archéologie et de notre
patrimoine.
L'amendement proposé par notre commission et qui concerne les délais de
réalisation des opérations archéologiques nous préoccupe également. Le fait de
réduire à un mois les opérations de diagnostic - je préfère désigner ces
dernières par le mot d'évaluation, mais j'y reviendrai - et à six mois les
opérations de fouilles ne nous paraît pas de nature à assurer la meilleure
sauvegarde de notre patrimoine.
Nous avons également le souci de permettre un aménagement de notre territoire
; pour autant nous ne pensons pas que cet aménagement pourrait souffrir à cause
de la sauvegarde de notre patrimoine, alors que l'inverse semble plus
vraisemblable.
Si nous ne sommes pas frileux quant à la question du statut des établissements
publics culturels, le caractère administratif de l'établissement permettait à
l'Etat de consacrer l'archéologie préventive au rang de ses missions
régaliennes ; la transformation de cet établissement en établissement public
industriel et commercial n'aurait pas la même portée normative.
Sur ces questions, et pour les aspects du texte amendé par la majorité
sénatoriale qui posent réellement problème, nous avons souhaité introduire une
série d'amendements et de sous-amendements afin de revenir à une version du
texte plus soucieuse, me semble-t-il, des intérêts de notre patrimoine.
Comme je le soulignais au début de cette intervention, notre pays est
relativement en retard dans l'exploration de son patrimoine archéologique.
Aux côtés du nouvel établissement public, qui aura en charge l'essentiel des
missions de l'archéologie, il conviendra de veiller à doter les structures
décentralisées du ministère de la culture des moyens qui, ici ou là, font
encore défaut, notamment en personnel.
Les régions ne bénéficient pas d'un égal traitement. A partir de là,
l'élaboration de la carte archéologique prend du retard, même si l'on sait que,
par définition, il ne pourra jamais s'agir d'un document achevé.
De la même manière, il nous faut regretter le peu de cas que l'on fait
aujourd'hui des recherches en sciences humaines. Les crédits de recherche pour
la culture ne permettent pas à la recherche publique d'avancer à un rythme
satisfaisant dans le champ des disciplines archéologiques.
Le mot « archéologie » est apparu au xvie siècle, à un moment où le savoir et
l'humanisme triomphaient des quelques siècles obscurs qui avaient précédé. Il
n'est pas inintéressant de noter qu'aujourd'hui certaines formes de
libéralisme, au présent encore trop vivace, viennent freiner, comme le
religieux en d'autres périodes, le champ de la connaissance. Car la loi du
marché, vous le savez, est sans conscience ni miséricorde...
Ainsi avions-nous un texte, concernant l'archéologie préventive, qui, pour peu
qu'on l'améliore encore, constituait un préalable intéressant. Je me risque à
espérer que la commission, soucieuse à l'ordinaire de l'intérêt général,
reviendra sur certaines de ses propositions d'amendement, dans l'intérêt de la
recherche archéologique mais aussi parce que nos contemporains sont soucieux de
la protection de leur patrimoine, dans l'intérêt de l'aménagement de notre
territoire. C'est dans cet espoir donc que je fonde l'issue positive de notre
vote sur le projet de loi qui nous est soumis.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une
fois encore, nous examinons un projet de loi qui mécontente les principaux
intéressés.
Tout d'abord, il n'y a pas eu de concertation préalable suffisante entre le
ministère et la communauté scientifique. Ensuite, le projet de loi tourne le
dos à toute idée décentralisatrice. En remplaçant l'Association pour les
fouilles archéologiques nationales par un établissement public, il renforce un
monopole au détriment de plusieurs centaines d'archéologues salariés de
l'université, du CNRS, des grands établissements ou des collectivités
territoriales. Pourtant, ces derniers sont impliqués depuis toujours dans des
opérations d'archéologie, de sauvetage et ont acquis une connaissance
historique du terrain.
Au système ancien - c'est-à-dire actuel - on reproche le manque de
transparence, un monopole de fait, des lourdeurs, une efficacité douteuse, le
mélange des genres ou la gestion de fait, ou encore un financement peu
clair.
Le présent projet de loi apporte-t-il les réponses attendues ? Pour moi, il
conduit à renforcer les critiques et ignore la réalité de l'archéologie dans
notre pays. Critique d'un monopole de fait ? Qu'à cela ne tienne, on institue
un monopole officiel ! Avis du Conseil de la concurrence et des prix, qui
estime que l'archéologie préventive doit être soumise à la concurrence ? On
invente un dispositif pour y échapper !
Définie à l'article 6 de la convention de Malte, signée en janvier 1992 par
les pays membres du Conseil de l'Europe, comme recouvrant « toute opération
archéologique nécessaire liée aux travaux d'aménagement publics et privés »,
l'archéologie préventive assure une fonction économique spécifique, Elle est un
préalable nécessaire au déroulement des travaux d'aménagement du territoire,
dont elle allonge la durée et alourdit les coûts. Ainsi, elle est susceptible
d'entrer à tout moment en conflit avec les objectifs du développement
économique et du développement tout court.
Le cadre législatif apparaît aujourd'hui largement inapproprié et, à ce titre,
il est bon que nous ayons à examiner un projet de loi qui puisse mettre à jour
les dispositifs anciens. En effet, la loi de 1941, dite « loi Carcopino »,
n'offre plus une réponse satisfaisante aux exigences particulières de
l'archéologie préventive.
L'Etat assume depuis longtemps, à l'égard des fouilles archéologiques, une
mission de surveillance et de police. Par ailleurs, la loi ouvre la possibilité
à l'Etat d'intervenir directement avec les moyens du service public pour mener
à bien des travaux de fouille, en cas de découvertes fortuites ou dans le cadre
de la procédure d'exécution d'office.
Face à la nécessité de répondre à la fois aux souhaits des aménageurs, qui,
très légitimement, demandent que leur terrain soit libéré le plus rapidement
possible de la contrainte archéologique, et aux impératifs publics, qui exigent
que soit assurée dans de bonnes conditions l'étude de traces du passé vouées à
la disparition, l'Etat se doit d'intervenir pour protéger le patrimoine
archéologique en tant que source de la mémoire collective européenne et comme
instrument d'étude historique et scientifique.
L'archéologie préventive a fait l'objet, depuis le milieu des années
soixante-dix, de plusieurs rapports successifs, dont les diagnostics se
recoupent largement.
Après avoir accusé un retard certain par rapport aux autres pays européens,
l'archéologie préventive a connu un développement important ces dernières
années. Les services de l'Etat, arguant des menaces que les travaux
d'aménagement faisaient peser sur le patrimoine national, sont peu à peu
parvenus à faire participer les aménageurs au financement de l'archéologie
préventive à hauteur de 300 à 400 millions de francs par an. Ces financements
ont été collectés avec l'aval du ministère des finances par le biais de
l'Association pour les fouilles archéologiques nationales.
De nombreuses fouilles ont pu être réalisées, au point que l'on estime que 90
% des données scientifiques proviennent désormais de l'archéologie préventive.
Cependant, ce système, faute d'avoir été « repensé » en temps utile, fait
apparaître de grandes faiblesses.
La croissance progressive des coûts a conduit les partenaires économiques à
s'interroger sur la légitimité de l'archéologie préventive et sur la validité
de ses fondements juridiques. On a d'ailleurs pu soupçonner que le niveau des
coûts pouvait être lié à la solvabilité de l'aménageur. Ces coûts étaient
également soumis à d'importantes inégalités régionales que nous avons tous pu
observer.
Ainsi, l'absence d'un cadre juridique clair place les services régionaux de
l'archéologie dans une situation de tension permanente extrêmement
dommageable.
L'AFAN, créée par l'Etat comme un démembrement destiné à lui offrir plus de
souplesse comptable, s'est heurtée aux remarques de la Cour des comptes, qui y
a décelé tous les signes d'une gestion de fait.
Le conseil de la concurrence et des prix déclarait que l'archéologie
préventive est une activité économique et qu'elle doit, comme telle, être
soumise aux règles de la concurrence. C'est pourquoi il est apparu
indispensable de renforcer l'autonomie administrative de l'AFAN, sans pour
autant lui reconnaître une autonomie intellectuelle et scientifique.
Les contributions des aménageurs ne concernaient que la réalisation de la
fouille et la rédaction d'un rapport préliminaire, à l'exclusion de véritables
études scientifiques devant conduire à des publications et à toutes autres
formes de diffusion. L'absence de prise en charge de cette dernière partie a
entraîné un très faible rendu tant auprès du public qu'auprès de la communauté
scientifique.
C'est la raison pour laquelle une modification de la législation est
justifiée. La loi doit dorénavant concilier - je dis bien « concilier » - la
sauvegarde de notre patrimoine national et la poursuite de la réalisation de
projets destinés à dynamiser nos villes et nos territoires.
Cependant, j'estime que les dispositions du texte qui nous est soumis sont
inacceptables en l'état, notamment en ce qui concerne son financement.
Pour obtenir les autorisations de construire ou d'aménager sur un terrain
susceptible de receler des vestiges archéologiques, les maîtres d'ouvrage et
aménageurs financent aujourd'hui, à part entière, les sondages. Votre texte,
monsieur le secrétaire d'Etat, instaure une redevance archéologique préventive,
c'est-à-dire une taxe nouvelle, assise sur les opérations de sondage et de
diagnostic et sur les opérations de fouille archéologique. Cette redevance est
uniquement à la charge des maîtres d'ouvrage et des aménageurs, au prorata des
surfaces concernées. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'elle suscite de leur
part les plus vives critiques. Ils font à juste titre valoir l'injustice de ce
mode de financement alors même que les opérations présentent un intérêt général
pour la collectivité.
Par ailleurs, les délais d'intervention du personnel chargé des sondages et
des fouilles ne sont pas planifiés et ne prennent pas en compte les aléas dans
la conduite des travaux.
Il est un autre point parfaitement inacceptable. Le projet crée un
établissement public disposant de fait d'un monopole sur les opérations de
sondage et de fouille. Cette situation de monopole avait déjà été dénoncée par
la Cour des comptes à propos de l'AFAN. En confortant les droits exclusifs de
l'établissement public, votre projet de loi ne mettra pas fin à ces critiques,
pas plus qu'il ne mettra un terme aux autres dérives dont l'AFAN s'est rendue
coupable, notamment l'augmentation des coûts, ou la longueur des procédures.
Les associations d'archéologues s'inquiètent que cet établissement public
disposera de droits exclusifs sur les sondages, diagnostics et opérations
d'archéologie préventive. De nombreux universitaires et agents des
collectivités territoriales se verront exclus.
Par ailleurs, cette loi risque de retarder le débat qui permettrait d'armer
juridiquement et économiquement les archéologues français.
La commission des affaires culturelles a proposé de remédier aux difficultés
posées par le texte. A cet égard, j'approuve totalement la position de notre
rapporteur qu'il faut féliciter pour l'importance du travail qu'il a accompli.
J'estime en effet qu'il est indispensable de préciser le cadre dans lequel
s'exercent les compétences de l'Etat en matière de fouilles préventives. Il est
également nécessaire de refuser le principe du monopole, afin notamment de
permettre aux collectivités territoriales de se doter de services
archéologiques ou de faire intervenir des universitaires. Enfin, il me semble
primordial d'aménager le mode de financement de l'archéologie préventive, afin
notamment d'en supprimer les effets pervers que j'ai rappelés.
Avant de conclure mon propos, je tiens à rappeler quelques éléments
fondamentaux.
L'archéologie est une discipline dont l'ancrage territorial est très fort, que
ce soit en termes de pratique scientifique, sociale ou culturelle. C'est
pourquoi une réforme pertinente et durable de l'archéologie française devrait
mieux tenir compte de la pratique administrative commune, telle que régie par
les lois de décentralisation.
Depuis la fin des années soixante-dix, un certain nombre de villes et de
départements ont souhaité s'impliquer plus directement dans la connaissance et
la gestion de leur passé, en créant notamment quelques services archéologiques.
Les lois de décentralisation ont tenu partiellement compte de cette tendance en
transférant certaines compétences, par exemple en matière d'archives, mais non
en matière d'archéologie.
Toutefois, certaines collectivités ont continué à se doter de services
archéologiques. Ils comptent actuellement environ 290 agents, tous métiers
confondus, à situer en parallèle des 358 agents des services régionaux de
l'archéologie du ministère de la culture. Ils bénéficient, en outre depuis
1991, par la création de la filière culturelle, d'un statut qui en fait des
agents publics à part entière.
L'archéologie est d'intérêt général car elle révèle la mémoire collective,
perçue à travers ses témoins matériels ; à ce titre, elle doit être organisée
par le service public. Elle consiste en une chaîne opératoire qui inclut
l'inventaire archéologique, les opérations de terrain, y compris la fouille de
sauvetage, les études, la publication, la conservation des données, des objets
et des sites et leurs mises en valeur.
Suivant les mêmes cheminements méthodologiques que la recherche historique en
général, l'archéologie est une discipline qui s'attache à l'étude des sociétés
humaines et de leurs territoires. Ce faisant, elle nécessite un travail de
proximité propice à la connaissance intime du patrimoine. Il est donc capital
de réaliser concrètement un maillage territorial à la mesure de ces ambitions.
Cela implique de la part du Gouvernement comme des élus locaux la volonté
politique de mettre en oeuvre les moyens qui permettent le rapprochement actif
entre les populations et leur patrimoine, c'est-à-dire l'insertion de chacun
dans le temps et l'espace, condition d'une prise de conscience citoyenne
individuelle et collective.
Partout où les collectivités ont donné à des services archéologiques les
moyens de fonctionner, les résultats sont probants : fouilles archéologiques,
publications et expositions se sont développées. La permanence et la proximité
des services archéologiques ont permis leur implication dans de nombreux
domaines en multipliant les partenariats scientifiques et institutionnels.
Une réforme cohérente de l'archéologie ne peut donc se placer que dans la
perspective d'une décentralisation plus aboutie. Les collectivités
territoriales, responsables de leur propre développement, doivent pouvoir
assumer leur passé et leur patrimoine historique.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui semble ignorer cette
dimension. Au contraire, tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, vous
disiez que, pour conduire les chantiers, il fallait des directeurs nommés par
l'Etat.
Je ne vous surprendrai donc pas, monsieur le secrétaire d'Etat, en vous disant
qu'il m'est impossible de voter le texte en l'état. En revanche, je serais
heureux de vous voir accepter les amendements du Sénat qui, je crois,
réconcilient l'archéologie et l'économie, respectent notre histoire et engagent
notre avenir.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis est issu d'un contexte de crise
suscité par un certain nombre d'affaires où des préoccupations purement
économiques avaient conduit à la destruction de vestiges archéologiques. Ainsi,
deux logiques semblaient s'affronter : d'une part, celle des aménageurs, soumis
à une contribution financière en raison des dommages qu'ils peuvent infliger au
patrimoine, et, d'autre part, celle des archéologues, qui considèrent que le
cadre législatif actuel n'est plus adapté.
Le projet de loi s'articule autour de deux innovations : la création d'un
monopole d'exécution des fouilles et l'apparition d'un nouveau système de
financement des travaux archéologiques.
La première tend à soustraire l'archéologie préventive à la concurrence par la
création d'un établissement public administratif doté de droits exclusifs en
matière de recherches. Ce monopole pourrait, à terme, poser le problème de sa
conformité aux normes européennes de la concurrence si l'on admet que
l'activité d'opérateur de fouilles peut être considérée comme une activité
économique.
La seconde consiste en la création d'une redevance au profit de ce même
établissement public. La formule retenue par l'Assemblée nationale, lorsqu'elle
s'applique à des surfaces importantes, pourrait aboutir à des montants non
seulement de nature à rendre les exploitations ou les projets difficilement
viables, mais également inversement proportionnels à la qualité des structures
archéologiques repérées lors de la phase de diagnostic.
Faut-il rappeler que le Parlement doit répondre à une double exigence :
assurer la préservation du patrimoine enfoui, véritable potentiel de
connaissances, et, lorsque ce patrimoine ne peut être conservé, développer une
recherche de qualité ? Or, ces dernières années, nous avons souvent privilégié
la conservation des vestiges et non la réalisation des fouilles exhaustives,
longues, coûteuses et nécessitant des compétences scientifiques pointues.
En outre, pour répondre à une meilleure gestion du patrimoine enfoui, j'aurais
souhaité la généralisation des diagnostics. Au même titre que les sondages
géologiques ou géométriques imposés aux constructeurs, les diagnostics
archéologiques nous renseignent sur le potentiel archéologique et les
possibilités de découvertes importantes. Seuls les diagnostics peuvent nous
éclairer sur les bonnes décisions à prendre en matière d'aménagement des
terrains concernés.
C'est pourquoi il me semble important, monsieur le secrétaire d'Etat,
d'insister sur la présence de critères scientifiques motivant la prescription
des opérations de sondages et de fouilles, ainsi que celle de garanties quant
aux délais d'exécution des travaux archéologiques.
L'archéologie préventive participe, de par sa nature de plus en plus
scientifique, à la réalisation d'études sur les paysages, les milieux et leur
évolution. La redevance que les aménageurs sont tenus d'acquitter doit être
valorisée par une meilleure qualité de la prescription en matière d'étude
d'impact.
Cette question des délais ne peut être limitée au seul examen de la durée des
opérations archéologiques proprement dites ; elle doit être analysée au travers
des différentes procédures et étapes de la chaîne opératoire de l'archéologie
préventive, chacune d'elles induisant des délais propres et souvent variables,
suivant la catégorie de l'aménagement concerné et suivant qu'il s'agit d'un
diagnostic ou d'une fouille.
L'archéologie préventive est également une activité de recherche qui a pour
objet l'étude scientifique des vestiges. Cette activité, jamais achevée,
nécessite donc le soutien d'une carte géo-archéologique scientifique fondée sur
la connaissance : celle des gisements et des paysages anciens, c'est-à-dire de
leur condition d'évolution, de leur impact sur les paysages actuels et de leur
durabilité.
Certaines inquiétudes se manifestent néanmoins sur le concept qui est
actuellement développé par l'administration centrale, à savoir que cette carte
archéologique ne devienne, à plus ou moins brève échéance, un document
opposable aux tiers. Avant de se lancer dans cette entreprise, il m'apparaît
important d'en mesurer les conséquences.
En effet, il existe souvent très peu de corrélation entre les informations
contenues dans cette carte et celles qui sont fournies après les interventions
pratiquées sur le terrain au moment des diagnostics. La carte archéologique est
un outil de gestion et de connaissance, elle est nécessaire mais non
suffisante. Elle doit être un document d'alerte révisable à tout moment et elle
doit être considérée comme une carte de répartition.
Enfin, j'aborderai le problème de la dévolution du mobilier archéologique issu
des opérations d'archéologie préventive.
Je reste pleinement convaincu que seul l'Etat est en mesure de gérer le
patrimoine archéologique et de lui conférer un caractère inaliénable. En
déterminant ce patrimoine comme patrimoine naturel, il s'agirait en fait
d'appliquer le droit commun de l'environnement, qui donne à l'Etat un rôle de
propriétaire responsable de la compensation des dommages causés à ce
patrimoine.
En conséquence, monsieur le secrétaire d'Etat, je proposerai l'adoption d'un
certain nombre d'amendements lors de l'examen des articles du projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi que nous examinons aujourd'hui est un texte très attendu : les
acteurs de l'archéologie préventive plaident, depuis de nombreuses années, pour
une réforme et il est tout à l'honneur de votre ministère et de l'Assemblée
nationale de lui donner enfin corps.
En effet, la législation relative à l'archéologie date de 1941 et n'est plus
adaptée à la pratique actuelle de l'archéologie préventive. Longtemps en
retrait par rapport à d'autres pays européens, comme l'Allemagne ou l'Italie,
l'archéologie de sauvetage, dans notre pays, a connu un fort développement
depuis les années soixante-dix, au point de couvrir, actuellement, la
quasi-totalité des fouilles effectuées.
Elle le doit notamment aux grands chantiers d'aménagement. A cet égard, nous
nous souvenons tous de l'ampleur des fouilles préalables à la construction de
la pyramide du Louvre réalisées à partir de 1983, pour une somme avoisinant les
cent millions de francs.
Aujourd'hui, l'objectif est bien de concilier travaux publics et préservation
du patrimoine. C'est le devoir de l'Etat d'assurer la préservation et la
pérennité de notre patrimoine archéologique : il s'agit de notre histoire et de
notre mémoire collective, donc d'une mission d'intérêt général. A ce titre, il
est important de conserver, à l'article 1er, la notion de « missions de service
public », comme l'a prévu l'Assemblée nationale.
Cette mission de service public donne toute justification à la création d'un
établissement public, le statut de l'AFAN ayant montré toutes ses limites. Sur
ce point, le consensus est acquis, ce qui, assurément, n'est pas le cas du
statut de cet établissement public. Pourquoi avoir fait le choix d'un
établissement public national à caractère administratif plutôt que d'un
établissement public national à caractère industriel et commercial, comme le
propose la majorité sénatoriale ?
La première raison tient au fait que les activités dévolues à l'établissement
public ne peuvent être qualifiées d'industrielles ou de commerciales. Ces
activités relèvent en effet de la recherche et elles n'ont aucun but lucratif.
Leur objet est, d'une part, la préservation de notre patrimoine national, qui
est liée à la mission de police de la puissance publique, et, d'autre part, le
développement des connaissances scientifiques.
Ensuite, même si l'établissement est appelé à recevoir une contribution de la
part des aménageurs, celle-ci ne s'apparente en aucune manière au paiement d'un
service ou d'un produit ; il s'agit en fait d'une taxe obligatoire au profit de
l'intérêt général et de la recherche.
Enfin, transformer l'AFAN en établissement public industriel et commercial
conduirait à instaurer un faux système de concurrence. Appliquer la procédure
des appels d'offres à l'archéologie ne manquerait pas d'aboutir à des dérives,
comme le choix systématique du moins disant et donc du « moins trouveur ». Or,
une fouille ne peut s'effectuer deux fois : une fouille mal menée n'est pas
rattrapable. C'est pour toutes ces raisons qu'un établissement public
administratif s'impose.
Mais, si cet établissement public administratif permet à l'Etat de consolider
son rôle de gestion, il doit également assurer une participation active de tous
les acteurs de l'archéologie à ses missions, qu'il s'agisse des services
archéologiques, des collectivités territoriales, du CNRS, des universités, des
associations, des bénévoles, ...
Ce point est essentiel car, sans la diversité des acteurs, il ne peut y avoir
de dynamique scientifique. Or, si l'AFAN a péché par manque de transparence
financière, elle a aussi péché par manque de transparence scientifique et par
manque d'ouverture aux autres intervenants. Il faut noter que, sur ces deux
derniers points, le texte adopté à l'Assemblée nationale a permis de nettes
avancées.
Par ailleurs, l'accent doit être mis sur la conservation, la diffusion et la
valorisation des fouilles. Ainsi, la rédaction du troisième alinéa de l'article
2 a donné plus de consistance à ces activités, qui sont l'aboutissement même de
toute recherche archéologique. Il semble cependant laisser peu de place aux
services des collectivités locales. Pourtant, par leur présence continue sur le
terrain et leur excellente maîtrise de l'environnement local, les collectivités
territoriales sont parfaitement à même de participer pleinement aux activités
post-fouilles.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous préciser comment les services des
collectivités locales seront associés aux missions de conservation, de
diffusion et de valorisation des fouilles ?
Il ne faut pas oublier que, bien souvent, les collectivités territoriales
jouent le rôle de l'acteur économique en tant qu'aménageur. Et, comme les
aménageurs privés, elles voient les travaux qu'elles ont engagés retardés, sans
même être informées des résultats des fouilles.
Ne pas aviser les aménageurs des résultats des opérations de fouilles interdit
non seulement une meilleure compréhension entre aménageurs et archéologues,
mais aussi une meilleure prise de conscience de l'intérêt de l'archéologie
préventive. Là encore, le dialogue et la coopération entre les différents
acteurs doivent s'intensifier.
A cet égard, il faut réaffirmer l'importance du respect des engagements des
archéologues vis-à-vis des aménageurs. Je sais bien que la définition préalable
des délais pour les opérations archéologiques est une question ardue. Mais il
est important, comme le propose la commission des affaires culturelles,
d'encadrer le délai d'exécution des fouilles afin de bloquer le moins longtemps
possible les travaux d'aménagement et de limiter les interruptions de chantier,
qui sont coûteuses.
Le texte doit rendre les dispositifs plus lisibles pour tous les acteurs, y
compris pour les aménageurs, pour lesquels il est souvent difficile de boucler
des opérations d'urbanisme en zone urbaine, tout particulièrement dans le
secteur du logement social.
Pour ce qui est du financement de l'archéologie préventive, nombre de
propositions ont été faites. Je ne doute pas que, sur ce point, la navette
permettra au Gouvernement d'affiner ses propositions et de trouver une solution
satisfaisant toutes les parties.
En tout état de cause, le groupe socialiste, qui est favorable au texte issu
de l'Assemblée nationale, ne peut cautionner la démarche de la majorité
sénatoriale, qui vise à réécrire le texte dans une logique libérale et bien peu
protectrice de la mission de service public que constitue l'archéologie
préventive.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, ma réponse à vos interventions sera brève.
Je crois que l'exposé très précis que je vous ai fait au début de la discussion
a permis, par anticipation, de répondre à certains des problèmes évoqués.
J'ai noté la tonalité constructive et la qualité de l'exposé de M. le
rapporteur et de la majorité d'entre vous. Mais j'ai entendu aussi vos
réserves, vos critiques, dont je prends note pour l'avenir.
Avons-nous cédé à la précipitation en présentant le texte dès aujourd'hui
devant le Sénat ? Si l'exercice n'était certes pas facile pour celui qui est en
charge de ce dossier depuis vingt-quatre heures
(Sourires.),
il ne faut pas pour autant y voir un signe de la part du
Gouvernement. C'est l'objectif de constituer l'établissement public au 1er
janvier 2001 qui nous pousse à aller très vite.
Je n'ai évidemment pas eu le loisir, en vingt-quatre heures d'approfondir ce
dossier. Il n'en demeure pas moins que je suis très attaché à cette question,
en tant qu'élu des Hauts-de-Seine, je me suis en effet beaucoup intéressé aux
fouilles à proximité de l'A 86, à Rueil-Malmaison, aux abords de la petite
Malmaison, et à l'opération dans le centre-ville de Vanves, où il s'agit de
thermes gallo-romains de grande importance.
Si je n'ai évidemment pas eu le temps de consulter longuement les élus, je
tiens à souligner qu'un important travail avait été fait au préalable.
M. Richert a porté une appréciation un peu sévère, selon moi, sur ce qui s'est
passé au cours de la dernière période. Mon prédécesseur, Mme Catherine
Trautmann - à qui je tiens à rendre hommage pour s'être courageusement attaquée
à ce problème - a procédé à de nombreuses consultations. Celles-ci ont
progressivement enrichi, et récemment encore, le dispositif qui vous est
soumis. Il a été tenu le plus grand compte des positions de tous :
collectivités et leurs services archéologiques, universitaires, archéologues
et, bien sûr, aménageurs de toutes disciplines.
Mme Catherine Trautmann a notamment présenté le projet de loi devant le
conseil des collectivités territoriales pour la culture, où sont présentes
toutes les associations d'élus. Ces dernières ont proposé des modifications
dictées par leur expérience du terrain. Pour sa part, le ministère a également
organisé, ces derniers mois, des tables rondes et des séminaires.
Ce projet de loi est-il trop étroit, trop réducteur ? C'est, je crois, M.
Lepeltier qui a employé l'expression.
Ce n'est pas, comme on l'a dit aussi, une occasion manquée. Nous avons une
démarche réaliste permettant d'avancer d'un grand pas sur ce sujet complexe,
qui n'avait pas été traité au cours des dernières décennies.
Parmi les nombreuses réserves qui ont été émises, j'ai relevé la crainte que
ce projet de loi ne soit trop étatiste, et même qu'il ne tourne le dos à toute
initiative décentralisatrice. Je tiens à vous assurer que telle n'est pas la
philosophie du texte. M. Lagauche l'a dit, et il s'est félicité que l'Assemblée
nationale ait renforcé cet aspect.
J'aurai évidemment à coeur que les collectivités territoriales soient très
entendues dans la prochaine période.
Je remercie M. Renar de son intervention. Il s'est montré attaché à une
mission de service public et de cohésion nationale. Le texte répond pour une
grande part, je crois, à ce souci.
Je tiens à le rassurer sur la volonté que le Gouvernement, particulièrement le
ministère de la culture et de la communication et le ministère de la recherche,
continuera à manifester en faveur de l'avancement de la carte archéologique,
qu'il a évoquée, et notamment pour la création des emplois correspondants. Il
s'agit d'un instrument scientifique essentiel dont notre pays doit être doté
progressivement. Tous les efforts seront faits en ce sens.
J'en viens à deux questions qui me tiennent à coeur et auxquelles je répondrai
brièvement.
La première concerne la place des archéologues des collectivités territoriales
dans le nouveau dispositif.
S'agissant des collectivités territoriales dotées d'un service archéologique,
il importe que celles qui le souhaitent puissent participer dans de meilleures
conditions qu'aujourd'hui au fonctionnement du service public. Selon des
modalités qui restent à définir, mais dont le principe, j'y insiste, est d'ores
et déjà prévu par le projet de loi, une contractualisation des rapports entre
l'Etat, les collectivités et le nouvel établissement devra être rendue
possible.
Cette collaboration pourra concerner soit l'ensemble de l'équipe à qui
pourrait être confiée l'opération de diagnostic ou de fouille, soit l'un de ses
membres.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a prévu une réduction de la redevance à
hauteur des prestations fournies par les archéologues des collectivités
territoriales.
Cela me paraît être un signe très fort adressé aux collectivités
territoriales, qui seront ainsi incitées à créer ces services archéologiques
qui, pour l'instant, c'est un fait, sont répartis de façon extrêmement inégale
sur le territoire. On compte en effet 350 archéologues territoriaux dans les
collectivités territoriales. Je serai attentif, pour ce qui me concerne, à
toute forme incitative d'association de ces archéologues dont la connaissance
très proche et fine du terrain me paraît extrêmement positive.
La seconde question concerne le devenir, après la création de l'établissement
public, des archéologues bénévoles. Ils méritent d'être soutenus. Leur rôle a
été essentiel par le passé et nous devons d'autant plus veiller à ce qu'il ne
s'estompe pas au cours de la prochaine période que la professionnalisation
progressive de la discipline tend, depuis quelques années, à une réduction de
son pouvoir relatif. En effet, les impératifs en termes de délais, de périodes
d'intervention et de localisation exigent le recours à des archéologues à plein
temps.
Le projet de loi sur l'archéologie préventive n'aura pas d'incidence
particulière sur les activités des associations d'archéologues agissant
principalement dans le domaine de l'archéologie programmée.
Par ailleurs, le nouvel établissement aura vocation à faire appel, en tant que
de besoin, à des personnes morales, publiques ou privées, par voie de
convention ; l'insertion de bénévoles intéressés sera donc possible pour des
opérations dont la localisation, l'importance et le rythme permettraient le
recours au tissu associatif.
Vous avez évoqué les questions de financement.
Je connais les difficultés que M. Lepeltier a rencontrées à Bourges lors du
projet du parking de la place Cujas. Vous ne les connaîtriez plus à l'avenir
dans la mesure où la redevance aurait été préalablement déterminée.
Je suis prêt, évidemment, à vous rassurer sur les modalités de financement qui
conduiront à un système équilibré. Bien entendu, l'aménagement du territoire
peut connaître un jour un ralentissement. Comme M. le rapporteur l'a dit, un
fonds de roulement doit permettre le fonctionnement continu de
l'établissement.
A M. Eckenspieller, je peux confirmer que l'activité de l'établissement
dépendra de prescriptions non pas de l'établissement public, mais strictement
de l'Etat. Je peux également, pour le cas d'espèce qu'il a cité, lui indiquer
que, comme à Bourges, le nouveau dispositif lui permettra, préalablement à
toute opération, de connaître la redevance due, qui sera appliquée également
sur tout le territoire national ; le Gouvernement acceptera un amendement
allant dans ce sens.
Les autres points évoqués par M. le rapporteur, notamment la nature de
l'établissement public et la compatibilité du système proposé avec le droit
communautaire, seront traités de façon précise à l'occasion de l'examen de
chacun des amendements de la commission.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je voulais vous
apporter en réponse à vos interventions, dont je vous remercie.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, la commission m'a fait savoir qu'elle avait besoin de se
réunir pour examiner les amendements qui ont été déposés sur ce texte par
d'autres que par elle-même. Nous allons donc interrompre nos travaux jusqu'à
dix-neuf heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-neuf
heures.)