Séance du 2 mars 2000
LIMITATION DU CUMUL DES MANDATS
Discussion en troisième lecture d'un projet
de loi organique et en nouvelle lecture d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle :
- la discussion, en troisième lecture, du projet de loi organique (n° 212,
1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en troisième
lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des
fonctions et à leurs conditions d'exercice. [Rapport (n° 232, 1999-2000)] ;
- et la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi (n° 213, 1999-2000),
adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture,
relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à
leurs conditions d'exercice. [Rapport (n° 323, 1999-2000)].
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion
générale commune de ces deux textes.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, après le temps du débat, voici celui des décisions.
C'est le 8 avril 1998 que le Gouvernement a soumis à l'examen du Parlement le
projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à la limitation
du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives. Depuis près de deux
ans, les débats ont éclairé les enjeux et précisé les positions.
Dans un peu plus d'un an auront lieu des élections municipales et des
élections cantonales, puis, six mois après, des élections sénatoriales ; il
importe donc, maintenant, que les règles du jeu soient précisées rapidement.
Cette longue procédure parlementaire a permis des rapprochements entre les
deux assemblées, bien que - je le constate avec regret - sur une disposition
importante de la loi organique, votre commission des lois soit revenue sur un
accord qui me semblait acquis.
Le projet de loi organique, qui ne fait pas l'objet d'un examen en commission
mixte paritaire, vient en troisième lecture devant votre assemblée. Il doit
être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées parce qu'il concerne
le Sénat. La discussion doit donc se poursuivre jusqu'à un accord entre les
deux assemblées.
Les points d'accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat portent sur
l'incompatibilité entre le mandat de député ou sénateur et celui de
représentant au Parlement européen - ce n'est pas rien ! - sur
l'incompatibilité entre les fonctions de membre du Conseil économique et social
et les mandats de parlementaire français ou européen. Ils portent également sur
des dispositions techniques comme l'harmonisation à trente jours du délai
d'option entre le mandat parlementaire et un mandat incompatible alors
qu'aujourd'hui, vous le savez, les délais sont variables selon les
situations.
L'Assemblée nationale, suivant l'avis du Sénat, a renoncé à rendre
incompatibles avec un mandat parlementaire, les fonctions de président d'un
établissement de coopération intercommunale à fiscalité propre. Elle l'a fait
dans le souci de ne pas freiner le mouvement vers l'intercommunalité,
mouvement, chacun a pu le constater, qui suit l'adoption, dans des conditions
très consensuelles, de la loi sur le renforcement et la simplification de
l'intercommunalité du 12 juillet 1999.
Enfin, un accord existe entre les deux assemblées pour limiter le cumul du
mandat parlementaire avec un seul mandat local.
Mais, sur ce point très important, monsieur le président de la commission,
c'est avec étonnement que j'ai pris connaissance du communiqué de presse de la
commission des lois, puis de son rapport, qui vous proposent, à l'occasion de
cette troisième lecture, de revenir sur un accord qui me paraissait acquis avec
l'Assemblée nationale.
C'est avec sagesse, me semble-t-il, qu'en deuxième lecture votre assemblée
avait renoncé à exclure les communes de moins de 3 500 habitants de
l'application des règles sur le cumul, et l'Assemblée nationale en avait pris
acte. La commission vous propose aujourd'hui, mesdames, messieurs les
sénateurs, de rétablir cette possibilité de cumul supplémentaire. M. Jacques
Larché va sans doute s'en expliquer dans quelques instants.
(M. Henri de
Raincourt rit.)
M. Gérard Delfau.
C'est une erreur !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Certes, indépendamment même de cet éventuel
retour en arrière du Sénat, un point de désaccord important demeure en ce qui
concerne la prise en compte des fonctions de chef d'exécutif local : président
de conseil régional, président de conseil général ou maire : le Sénat veut
permettre le cumul de ces fonctions avec le mandat parlementaire, contrairement
au projet du Gouvernement et de l'Assemblée nationale.
D'autres désaccords portent sur des dispositions nouvelles introduites par
l'Assemblée nationale concernant l'abaissement de l'âge d'éligibilité à
dix-huit ans et l'extension des incompatibilités professionnelles, mais vous
connaissez la réserve du Gouvernement sur ces adjonctions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous aviez compris des déclarations du
rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Bernard Roman, que la majorité
envisageait de prendre acte des positions du Sénat en deuxième lecture,
maintenant, pour les députés et les sénateurs, la possibilité d'exercer une
fonction exécutive locale.
Je m'apprêtais à vous le confirmer aujourd'hui. Cette acceptation du texte eût
été non pas un accommodement, mais le constat de points de vue différents et de
l'impossibilité d'aller plus avant.
Tout me semble remis en cause aujourd'hui si vous persévérez dans l'intention
que vous affirmez. J'attire votre attention sur la gravité de la situation qui
résulterait de ce recul que vous suggère votre commission.
Je ne reviens pas sur le prétexte invoqué, j'en ai montré, avant-hier,
l'inconsistance.
Le Sénat est sans doute mieux fondé que moi-même à juger de son intérêt ; je
trouve néanmoins l'attitude de votre commission peu cohérente et peu
lisible.
Monsieur le rapporteur, en vous lisant - et je vous lis toujours avec beaucoup
d'attention et d'intérêt - j'ai cru comprendre qu'en revenant sur le système
que vous aviez vous-même soutenu en deuxième lecture vous aviez « conscience de
nuire à la clarté du système initialement proposé par le Sénat ».
On dit que « faute avouée est à moitié pardonnée »
(M. de Raincourt rit)
;
en l'occurrence, nous sommes là pour faire des textes. Ne jugeons pas sur
les intentions. Nous ne sommes pas dans une morale d'intentions ; nous sommes
là confrontés à la nécessité de faire des textes qui vaillent pour la
République tout entière.
Monsieur le rapporteur, vous soulignez vous-même les différences importantes
qui risquent d'intervenir entre les régimes d'incompatibilités applicables aux
députés et sénateurs, d'une part, et aux parlementaires européens et élus
locaux, d'autre part. Or ces différences, si vous persistiez dans votre
intention, vous les aggraveriez d'une manière considérable. On aurait là deux
systèmes, l'un très libéral ou laxiste pour les parlementaires, et l'autre très
strict et très contraignant pour les députés européens et les élus locaux.
M. François Autain.
C'est ce qui risque de se passer !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je
m'expliquerai plus longuement sur le fond, si nécessaire, lors de l'examen des
articles, mais je voulais dès maintenant souligner l'importance de ce point et
formuler l'espoir que votre commission voudra bien réexaminer sa position sur
cette disposition de la loi organique.
Le projet de loi ordinaire vient devant vous en nouvelle lecture, après
l'échec de la commission mixte paritaire. L'Assemblée nationale aura donc
ensuite le dernier mot sur ce texte.
Malgré l'échec de la commission mixte paritaire, on peut constater un accord
entre les deux assemblées sur des points très importants. Elles admettent,
l'une et l'autre, la limitation maximale du cumul à deux mandats : deux mandats
locaux ou bien un mandat local et un mandat de représentant au Parlement
européen ; elles sont d'accord pour interdire le cumul de deux fonctions de
chef d'exécutif local. Les deux assemblées s'accordent également sur les
grandes lignes des mesures de revalorisation du statut de l'élu portant sur la
revalorisation des indemnités des maires et l'extension des crédits d'heures et
des autorisations d'absence. L'Assemblée nationale s'est rangée au point de vue
du Sénat en renonçant à subordonner l'entrée en vigueur de ces dispositions à
l'entrée en vigueur de la loi organique. C'est dire qu'un chemin considérable a
été fait, même si vous n'en êtes pas toujours conscients.
La différence essentielle entre les deux assemblées porte sur le mandat de
représentant au Parlement européen, dont le Sénat souhaite permettre le cumul
avec une fonction de chef d'exécutif local, à l'instar de la position qu'il a
adoptée sur les dispositions organiques homologues concernant les députés ou
les sénateurs.
Le Gouvernement, pour sa part - et j'essaie de vous y rendre sensibles,
mesdames, messieurs les sénateurs - entend maintenir sa position pour une
raison simple : il reste persuadé que les intérêts de notre pays nécessitent
une représentation française active à Strasbourg.
Vous savez très bien que les députés européens français se caractérisent
souvent à Strasbourg par un absentéisme excessif, ce qui comporte beaucoup
d'inconvénients alors que s'étend le domaine de ce que l'on appelle la «
co-décision », à tort ou à raison d'ailleurs.
Si l'on veut que la représentation française à Strasbourg soit active, il faut
lever le prétexte que créerait la détention d'un mandat exécutif local en
France même.
Bien entendu, un nouveau désaccord apparaîtrait si votre commission des lois
persistait à vouloir exclure, là encore, les communes de moins de 3 500
habitants des règles sur le cumul et si le Sénat la suivait. Je ne reviens pas
sur ce point, mais vous comprenez bien que le Gouvernement peut difficilement
accepter ce retour en arrière.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'argumentation
souvent avancée à l'encontre des deux projets de loi est qu'ils pourraient
conduire à couper les parlementaires et les représentants au Parlement européen
des réalités locales parce que ceux-ci ne pourraient plus être présidents de
conseil général, présidents de conseil régional ou maires.
Je voudrais vous convaincre que telle n'est pas l'intention du Gouvernement.
Celui-ci a proposé un texte équilibré qui permet aux titulaires de mandats
nationaux d'excercer des mandats locaux, maintenant ainsi une proximité avec la
vie locale, dont l'exercice des fonctions de chef d'un exécutif local ne
confère pas l'exclusivité. Rien n'interdit, par ailleurs, l'exercice successif
de mandats d'intérêt local - je l'ai fait moi-même - et de mandats
parlementaires nationaux. Cela n'empêche pas de rester très attaché...
M. Henri de Raincourt.
A Belfort !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
... à la ville dont j'ai été longtemps maire et
à la circonscription dont j'ai été député avant d'accepter de prendre des
fonctions gouvernementales, surtout à un moment où elle est rudement touchée
par le plan dit « social » que vient d'annoncer l'entreprise ABB-Alstom.
Je voudrais vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs, que la vision
du Gouvernement n'est nullement dogmatique. Elle s'inspire des réalités, elle
tend à autoriser les cumuls de mandats qui ne nuisent pas au fonctionnement de
nos institutions.
Notre histoire nous a légué une tradition de cumul des mandats et des
fonctions exécutives qui est sans doute - on s'accorde à le reconnaître -
excessive et dépassée. Une nouvelle limitation est nécessaire. Les prochaines
élections locales de mars 2001 fournissent l'occasion de cette avancée.
Le Gouvernement souhaite donc voir aboutir rapidement les textes en
discussion, qui sont un élément important d'une réforme qui est, vous le savez
bien, attendue par beaucoup de nos concitoyens, une réforme qui permettra de
donner à notre vie politique plus de légèreté et plus d'allant.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Nicolas About.
On peut être ministre de l'intérieur et président d'une communauté
d'agglomération !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Larché,
président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Je vous ai écouté, monsieur le ministre, je l'avoue, avec
amusement. Vous avez parlé d'accords qui ne seraient pas tenus ou qui étaient
acquis. Votre gouvernement est expert en la matière ! Nous avons eu en effet un
débat qui a montré que les propos de M. le Premier ministre étaient restés
lettre morte. Nous avons ainsi constaté que l'engagement pris
solennellement...
M. Gérard Cornu.
Devant le Congrès !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
... à la tribune du Sénat et devant le Congrès de ne pas
prendre prétexte de la loi sur la parité pour remettre en cause les modalités
des scrutins électoraux a été...
M. Gérard Cornu.
Balayé ! Oublié !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
...
M. Alain Gournac.
Oublié, en effet. Autant en emportait le vent ! Nous étions donc fondés très
logiquement à reconsidérer notre position.
J'ai participé, vous savez que je le fais régulièrement, à la commission mixte
paritaire sur la loi ordinaire à laquelle vous avez fait allusion, et je n'ai
pas eu le sentiment - je l'éprouve chaque fois avec perplexité et regret - de
rencontrer chez nos collègues de l'Assemblée nationale une volonté de discuter,
de progresser, d'aboutir. Cette commission mixte paritaire a donc échoué.
(M. Gournac s'exclame.)
J'ai fait souvent la remarque que, sur des textes techniques, la délégation de
l'Assemblée nationale considère que les points essentiels ne sont susceptibles
d'aucune discussion, d'aucune concertation. Constatant que, dans ces
conditions, la commission mixte paritaire ne présente plus d'intérêt, je
demande que la séance soit levée.
Vous dites qu'il y a eu un acquis, monsieur le ministre. Bien sûr ! Mais il
venait de nous : c'est nous qui avons maintenu un principe que nous considérons
comme essentiel, à savoir l'exercice possible, sous réserve du choix de
l'électeur, d'un mandat exécutif et d'un mandat national. Or, ce principe
fondamental, vous ne l'acceptez pas.
Permettez-moi maintenant de vous faire une suggestion de procédure.
Vous dites que l'Assemblée nationale va avoir le dernier mot. En fait, elle
aura le dernier mot si vous le lui demandez !
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Car rien dans la Constitution ne vous oblige, après l'échec
d'une commission mixte paritaire, à interrompre la navette et rien ne vous
oblige à permettre à l'Assemblée nationale de trancher en dernier ressort.
M. Gérard Cornu.
Mais le Gouvernement doit tenir compte de ses troupes !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Le Gouvernement ayant exposé sa position avec une franchise
absolue, nous ne pouvons donc que constater le fait qu'un accord n'a pas été
tenu. Ce n'est pas la première fois, et je pourrai citer de très nombreux
exemples sur d'autres lois que celles qui concernent directement la commission
des lois. Sur l'une d'entre elles notamment, la responsabilité pénale des élus
locaux, M. Vaillant avait promis, juré, que le texte viendrait rapidement
devant l'Assemblée nationale. Celle-ci est-elle à ce point désappointée de ne
pas avoir eu l'initiative de cette réforme qu'elle en refuse l'examen ?
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Je tiens que les choses soient bien claires. Nous ne sommes
revenus sur aucun acquis de notre fait et j'en viens, non pas à la défense et à
l'illustration de ce que nous avons fait, mais à l'explication de cela.
Si, monsieur le ministre, vous n'aviez pas remis en cause la règle applicable
dans les communes de moins de 3 500 habitants...
M. Alain Gournac.
Oui, il l'avait acceptée.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Vous l'avez remise en cause ! Je sais bien que ce n'était pas
votre fait, monsieur le ministre.
On a dit à ce sujet que nous voulions panser vos plaies. C'est un journal
officiel du soir qui le prétend, mais je ne me souviens pas d'avoir tenu ces
propos.
Mais nous étions tout à fait disposés, nous vous l'avons démontré lors du
dernier débat, à soutenir l'action du Gouvernement,...
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
... qui nous paraissait engagée sur des voies raisonnables.
C'est tellement vrai, monsieur le ministre, que certains de nos collègues
socialistes, qui ont compris le caractère excessif du système que l'Assemblée
nationale a finalement adopté et que vous avez accepté, ont déposé des
amendements que nous avons examinés et qui nous ont semblé intelligents, mais
peut-être pas assez
(Sourires),
et ouvraient une certaine perspective
d'entente.
Contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, vous avez la faculté
de laisser ce débat se poursuivre et aboutir. Nous verrons ce qu'ils adviendra
du régime de la parité. Nous verrons ce que nous ferons.
Si j'ai demandé à la commission des lois et si je demande à la Haute Assemblée
d'exclure du dispositif les maires des communes de moins de 3 500 habitants,
c'est pour marquer à l'égard de ces communes, et ce de la manière la plus
ferme, que nous les prenons en considération...
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
... qu'elles sont un élément essentiel de notre vie
politique et que nous entendons, nous qui sommes leurs représentants
privilégiés, les défendre, les soutenir et maintenir de manière vivante la
particularité du système qui est le leur.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Nous ne l'aurions peut-être pas fait dans un souci de perfection ! Mais à
partir du moment où nous sommes confrontés à un texte à la fois dogmatique et
excessif qui résulte d'une volonté exprimée également tout au long du débat
d'hier, nous nous devons de réagir.
Mes chers collègues, il paraît que j'ai étonné M. le ministre de l'intérieur.
Pour ma part, je dirai qu'il m'a surpris !
M. Henri de Raincourt.
Vous êtes à égalité !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Ainsi, il s'est étonné d'un communiqué que nous avions fait.
Mais faut-il les soumettre au contrôle du Gouvernement ?
(Sourires.)
Nous avons le droit de faire connaître à l'opinion, dans la mesure où l'on
veut bien prêter quelque attention à ce que nous faisons, les positions que
nous prenons. Pourtant, monsieur le ministre, je vous promets que, la prochaine
fois, je vous demanderai votre avis et je ne le publierai que lorsque j'aurai
votre
imprimatur. (Protestations sur les travées du RPR, ainsi que sur
celles des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Oh non, pas à ce point !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Vous voyez, monsieur le ministre, la majorité sénatoriale ne
le veut pas !
(Sourires.)
Vous connaissez mon esprit libéral, je suis
donc tenu - à mon grand regret ! - d'obéir à ma majorité et de ne pas aller
au-devant de vos soucis.
Nous avons pris nos décisions, nous les maintenons et, en conscience, je
demande au Sénat de les confirmer.
Il paraît qu'il y a matière à observation éthnologique à l'Assemblée
nationale. Le microcosme a été soumis, de manière intéressante, sans aucun
doute, à l'analyse d'un ethnologue. Celui-ci, qui s'appelle M. Marc Abélès,
s'est interrogé sur tout ce qui fait la base même de la vie de ce monde à part,
de ce « monde sans fenêtres ». Oui, on ferait bien d'ouvrir quelquefois des
fenêtres à l'Assemblée nationale !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas comme ici !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Nous en avons partout ici !
Parlant de cette loi, Marc Abélès, dans
Un ethnologue à l'Assemblée,
écrit : « Cette proposition radicale trouve sa limite si l'on considère que
la représentation implique un lien avec la société réelle et sa nécessaire
concrétisation dans un rapport direct avec des territoires et des groupes.
Faisant abstraction des préoccupations politiciennes qui alimentent la
controverse, on peut raisonnablement se demander si, dépourvue de ce type
d'ancrage, l'Assemblée nationale ne deviendrait pas un organe délibératif parmi
d'autres, à ceci près qu'elle serait l'émanation des formations politiques, au
lieu de ressortir à la fonction publique », comme le Conseil d'Etat ou la Cour
des comptes.
Cet ethnologue a parfaitement compris que la coupure des liens que l'on nous
propose n'est pas simplement une disposition juridique. C'est une disposition
qui a des incidences fondamentales et qui remet en cause la nature même de
notre rôle. Notre rôle, c'est d'agir, de décider, mais c'est aussi d'être à
l'écoute. Nous l'avons d'ailleurs bien montré dans un certain nombre de débats
- vous y avez fait allusion, monsieur le ministre - notamment dans ce débat
difficile sur l'intercommunalité. Les propositions de ceux qui l'ont animé,
très nombreuses et très intéressantes, ont été le fait d'hommes et de femmes
qui avaient une parfaite connaissance de la réalité locale et qui ont su en
tirer les règles nécessaires.
Je citerai un autre exemple : un homme pour qui j'ai toujours eu une estime
personnelle et qui, dans des conditions que je considère comme parfaitement
légitimes, a récemment retrouvé l'exercice de ses mandats, dont il avait été
privé, dans des conditions peut-être contestables, par une décision de justice,
a demandé à une population qui ne l'a pas privé de sa confiance de redevenir
président d'un conseil général et député à l'Assemblée nationale. Pourquoi
l'a-t-il demandé ? Tout simplement, a-t-il dit, parce qu'il n'est pas un
dossier qu'il aurait pu faire avancer dans son département s'il n'avait pas eu
le moyen d'agir au niveau national.
M. Guy Allouche.
Vous savez bien que ce n'est pas pour cela qu'il l'a fait ! Il était convenu
de ne pas en parler, monsieur le président !
M. Alain Gournac.
On parle de ce que l'on veut ici !
M. le président.
Je vous en prie ! Poursuivez, monsieur le rapporteur !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Nous assistons, mes chers collègues, à une accélération de ce
mouvement insidieux de recentralisation qui tend à priver les autorités locales
de certains de leurs pouvoirs les plus importants.
M. Paul Blanc.
C'est sûr !
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Je citerai deux exemples.
Le premier concerne un texte qui est en cours de discussion et que nous avons
longuement examiné : le projet de loi relatif aux gens du voyage. Qui décidera
de l'implantation des aires ?
M. Henri de Raincourt.
Le préfet !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Oh oui !
M. Alain Gournac.
Vive le maire !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Le second exemple concerne un autre texte relatif à l'habitat
social. Qui décidera qu'une commune doit, qu'elle le veuille ou non, si elle a
plus de 1 500 habitants et si elle fait partie d'une communauté
d'agglomération, sauf à payer des amendes, abriter 20 % de logements sociaux ?
Le préfet.
M. Gérard Delfau.
Le Parlement !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Le préfet, à qui le Parlement aura donné ce pouvoir.
M. Gérard Delfau.
C'est différent !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Nous sommes donc en train d'assister, de par la volonté d'une
certaine majorité, à une lente reconstitution du pouvoir central. Plus que
jamais, nous devons considérer qu'un certain nombre des prérogatives que nous
exerçons, et que nous tenons à continuer à exercer, doivent être maintenues.
Monsieur le ministre, votre propos m'a conduit à bouleverser quelque peu
l'ordonnancement logique de mon intervention. Je crois, malgré, tout avoir dit
l'essentiel.
Je n'accepte pas le reproche qui nous est adressé de retour en arrière. Je
vous ai expliqué pourquoi nous avons cru nécessaire de décider que, désormais,
les maires de communes de moins de 3 500 habitants verraient leur mandat exclu
du champ des incompatibilités. Vous en êtes responsable parce que vous avez
touché à une chose que nous tenons pour essentielle - à tort ou à raison, mais
je crois à raison - à savoir la structure sociale et la structure politique de
ces communautés qui sont la base de la vie locale.
Monsieur le ministre, vous avez la possibilité d'empêcher toute divergence
notable entre le projet de loi sur lequel l'Assemblée nationale statuera en
dernier ressort et le projet de loi organique. Si des divergences subsistent
entre ces deux textes, vous en porterez la responsabilité. Vous avez la
possibilité de faire en sorte que ce débat se poursuive.
M. Gérard Cornu.
Il ne maîtrise pas sa majorité !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Si vous ne le voulez pas, vous prenez vos responsabilités et
nous, nous prenons les nôtres.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste ainsi
que sur certaines travées du groupe du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. de
Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui,
nous examinons les textes portant limitation du cumul des mandats,
respectivement en troisième et nouvelle lecture.
Les arguments des uns et des autres ont été avancés et nous avons dû constater
que le dialogue entre l'Assemblée nationale et le Sénat n'avait pu se nouer
d'une manière décisive.
L'ambition affichée du Gouvernement dans ses textes de moderniser la vie
politique se retrouve-t-elle dans les dispositions qui y sont contenues ? Nous
répondons à cette question par la négative, car nous considérons que l'objectif
recherché est en réalité double : médiatique et politique.
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Alain Gournac.
C'est certain !
M. Henri de Raincourt.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le débat soit difficile.
Le Gouvernement pense être moderne quand il propose un homme ou une femme et
un mandat, et qu'il veut croire que cela rendra la vie politique plus
attractive, les élus plus disponibles et plus proches de nos compatriotes.
La réalité est plus simple : par touches successives, le Gouvernement veut
transformer la vie politique pour se donner les meilleures chances de conserver
le pouvoir après l'avoir conquis démocratiquement.
M. Alain Vasselle.
Et quoi qu'il advienne !
M. Henri de Raincourt.
Cette évidence apparaît nettement si l'on resitue ce texte dans son
environnement.
Les lois sur le renforcement et la simplification de l'intercommunalité, sur
l'aménagement et le développement durable du territoire et, ne l'oublions
jamais, sur le nouveau mode de scrutin pour les élections régionales sont des
textes non pas techniques, mais politiques.
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Henri de Raincourt.
Le projet de loi que nous discutons, le projet de loi dont nous avons débattu
hier relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
aux fonctions électives, le projet de loi bouleversant le mode du scrutin
sénatorial forment un tout à finalité partisane. Si tel n'était pas le cas,
comment expliquer que la majorité de l'Assemblée nationale refuse le dialogue
et sombre dans le maximalisme le plus obscur ?
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Henri de Raincourt.
L'obsession du scrutin proportionnel, dont les ravages l'emportent sur les
avantages, n'est pas dénuée d'arrière-pensées ni d'intérêt électoral.
M. Gérard Cornu.
Je dirais politicien !
M. Henri de Raincourt.
Je vais y venir !
Nous voulons que l'on sache que nous ne sommes pas dupes de ces intentions et
que nous expliquerons à nos compatriotes qu'il s'agit, en réalité, d'une
opération politicienne, mon cher collègue, orchestrée, déterminée,
d'orientation durable de la vie démocratique.
M. Alain Vasselle.
Il n'y a que cela qui les préoccupe !
M. Henri de Raincourt.
M. Jospin pense que le projet de loi anticumul, parmi d'autres, lui procurera
un avantage dans sa campagne présidentielle. Mais il faudra qu'il explique
comment son gouvernement aura entretenu la farce des ministres à plein temps
!
M. Alain Gournac.
Parlons-en !
M. Henri de Raincourt.
Nous le savons bien, ceux-ci continuent d'exercer par procuration leur
fonction exécutive locale.
M. Gérard Cornu.
Hypocrisie totale !
M. Henri de Raincourt.
Certains, à gauche, paraissent avoir fait leur ce vieux proverbe : « Qui va à
la chasse perd sa place. »
(Rires sur certaines travées du RPR.)
Parmi les victimes, le ministre de
la culture semble en faire l'amère expérience à Strasbourg. Pour se consoler de
cette déconvenue, elle vient d'être élue présidente de la communauté urbaine,
qui ne semble pas incluse dans le code de bonne conduite anticumul du Premier
ministre.
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Ce dernier s'est-il réjoui de la prouesse réalisée en trente jours par
l'un de ses amis, réélu successivement, comme le disait Jacques Larché,
conseiller général, président du conseil général des Landes, député et
président de la commission des finances de l'Assemblée nationale ?
M. Alain Vasselle.
Beau cumulard !
M. Henri de Raincourt.
De la même manière, il faudra expliquer comment on peut demeurer député ou
sénateur, maire d'une grande ville et président d'une communauté importante
d'agglomération, ...
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Henri de Raincourt.
... alors qu'il serait impossible d'être président de conseil régional ou
général et maire d'une commune de 500 habitants, un peu moins ou un peu plus,
...
M. Gérard Cornu.
Même un peu moins !
M. Henri de Raincourt.
... et que l'on ne pourrait être membre du bureau d'une chambre consulaire et
maire d'une commune de 500 habitants.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Inacceptable !
M. Henri de Raincourt.
Voilà quelques aberrations contenues dans ces textes.
M. Alain Vasselle.
Plein d'incohérences !
M. Henri de Raincourt.
Il en est d'autres qui ont été relevées et présentées ici hier dans le texte
sur la parité et dans ceux qui sont à venir sur la réforme du mode de scrutin
sénatorial.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, est dans son rôle
constitutionnel lorsqu'il les soulève.
C'est notre devoir, mes chers collègues, de faire des propositions et d'être
ouverts au dialogue. Sur ces textes, comme sur les autres, nous y sommes encore
prêts, à condition que l'on s'écoute et que l'on s'entende. Mais on ne nous
entraînera pas là où nous pensons qu'il serait dangereux de conduire le
fonctionnement de la démocratie.
Et si la majorité actuelle, comme elle en a le pouvoir, va trop loin, ou ne
veut pas rechercher le point d'équilibre avec nous, qu'elle sache que, le
moment venu, nous reviendrons sur ces excès.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
Malgré la décentralisation, plutôt en recul
aujourd'hui, la France reste un pays centralisé. Si l'on peut concevoir qu'il
n'y ait pas de cumul des mandats dans un pays fédéral, il n'en va pas de même
chez nous.
Instaurer une telle limitation des mandats reviendrait, en fait, à accepter
qu'il y ait deux fonctions politiques : l'une, prestigieuse et nationale,
incarnée par les technocrates et les apparatchiks, et l'autre, besogneuse et
locale, réservée aux élus municipaux, départementaux et régionaux.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Nous ne saurions avaliser une telle césure,...
M. Alain Gournac.
Surtout pas !
M. Henri de Raincourt.
... qui serait aux antipodes d'une authentique modernisation de la vie
politique.
M. Daniel Goulet.
Absolument !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
modernisation de la vie politique de notre pays ne se décrète pas. Plus que de
lois, c'est d'abord de volonté politique que la démocratie a besoin.
La modernisation de la vie politique ne peut pas se faire non plus contre le
Sénat, ni même sans lui. Or nous sommes habitués à entendre certaines
expressions désagréables proférées contre le Sénat.
La majorité sénatoriale n'est pas socialiste.
M. François Autain.
Ça c'est un scoop !
M. Henri de Raincourt.
Demain, si, malgré les efforts de la gauche, la situation demeure inchangée,
le Sénat, après avoir été présenté comme une anomalie, sera-t-il qualifié de
terroriste de la démocratie ?
(Ah ! Ah ! sur les travées
socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bon !
M. François Autain.
Il y a là un petit clin d'oeil !
M. Henri de Raincourt.
A l'excès des anathèmes, nous préférons la force des convictions.
Le mandat d'élu trouve sa grandeur dans la volonté de s'engager et de prendre
des responsabilités au service de la collectivité. Chaque citoyen a le droit
d'être candidat ou de voter librement pour le candidat de son choix. La loi ne
peut pas trancher à sa place sauf à nier l'enracinement de chaque élu dans le
territoire et le lien personnel noué avec le peuple.
Pour notre part, nous voulons favoriser et accompagner l'évolution de la
société. C'est cela la modernité.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants se prononcera contre
les textes déformés par la majorité plurielle à l'Assemblée nationale et
apportera naturellement son soutien aux propositions de la commission des lois.
Je tiens d'ailleurs à remercier son président, M. Jacques Larché, de tous les
efforts qu'il a accomplis avec ses collègues pour permettre au Sénat d'être au
rendez-vous de la raison et du bon sens.
M. Alain Vasselle.
La gauche a perdu le bon sens !
M. Henri de Raincourt.
« On peut, écrivait Abraham Lincoln, tromper une partie du peuple tout le
temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout
le peuple tout le temps. »
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout a été
dit, ou presque, à propos de ce texte. Je me contenterai donc de formuler deux
observations.
L'une est à l'adresse de mes collègues de gauche.
Nous savons bien qu'une grande majorité d'entre vous, mes chers collègues,
n'est pas favorable à ce texte et ne souhaite qu'une chose : qu'il n'aboutisse
pas, par le fait du Sénat, si possible.
M. Daniel Goulet.
Quelle hypocrisie !
M. François Autain.
Pas de procès d'intention !
M. Philippe Adnot.
Je voudrais que l'on soit bien conscient du fait que les promoteurs de ce
texte, de celui que nous avons examiné hier sur la parité et de ceux qui vont
suivre sur le mode d'élection sénatoriale n'ont qu'un objectif : couper l'élu
des électeurs, instaurer la proportionnelle partout où c'est possible, rendre
enfin les appareils seuls maîtres du jeu.
M. Alain Vasselle.
Exactement !
M. Philippe Adnot.
Nous avons été un certain nombre à souligner que, dans le texte sur la parité,
la seule chose qui intéressait le Gouvernement était la proportionnelle. Nous
avons entendu ici même des serments qui démentaient cette affirmation. Mais
nous avons vu ce qui nous a été proposé !
La proportionnelle prive l'électeur de son droit de choisir son élu : le parti
décidera.
Le projet de loi sur le cumul prive l'élu national de l'appréciation des
conséquences qu'entraînent les lois qu'il vote, prive l'élu local d'une
ouverture indispensable à une bonne gestion et une bonne connaissance des
réseaux qui lui permettent d'être efficace. Hors l'ENA, hors l'élu francilien,
hors l'appareil du parti, point de salut ! Les élus seront démunis devant leurs
propres techniciens et l'administration de l'Etat.
Est-ce cela que vous voulez ? Pensez-vous que les Français sont dupes en
regardant le petit jeu de vos collègues ministres, qui lorgnent avidemment sur
telle ou telle mairie ? Pensez-vous qu'il soit normal que ce texte ne concerne
pas le cumul de la fonction ministérielle ?
Chers collègues, libérez-vous ! Rien ne vous oblige à voter contre votre
conscience.
M. François Autain.
Merci !
M. Philippe Adnot.
Mon autre réflexion s'adresse à la commission des lois, que je voudrais
féliciter pour la qualité de son travail et la recherche constante d'une
position équilibrée, mais avec laquelle je suis en désaccord sur un point.
M. Marcel Charmant.
Il faut qu'elle se libère !
M. Philippe Adnot.
Ne vous rendez pas complices, mes chers collègues, de cette iniquité que
représente la non-prise en compte de la fonction exercée à la tête d'une
communauté d'agglomération.
Aucun de nos concitoyens ne comprendrait qu'à l'issue de ce texte on puisse
être parlementaire, président de la communauté de Lille, de Lyon, de Bordeaux
ou de Belfort et maire ou président de conseil général, alors qu'il ne serait
pas possible d'être maire d'une ville de 4 000 habitants et président de
conseil général ou régional.
Quelle que soit la formule retenue, celle de l'Assemblée nationale ou la
nôtre, nous ne devons pas porter le poids de cette injustice et je suis au
regret de vous indiquer que, s'il se trouvait une majorité pour vous suivre sur
ce point, je voterais contre le texte.
J'en appelle, mes chers collègues, à votre sens de l'équité pour adopter une
attitude conforme à ce que souhaitent nos concitoyens et nos électeurs,
c'est-à-dire pour voter le sous-amendement que j'ai déposé à ce sujet.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Pour la troisième fois, nous examinons le projet de loi sur le cumul des
mandats, qui, monsieur le ministre, part d'une bonne intention : moderniser la
vie politique.
Mais pour moderniser la vie politique encore faut-il respecter deux
conditions, et je crains qu'elles ne le soient pas.
La première de ces conditions est de ne pas violer les comportements des uns
ou des autres.
Monsieur le ministre, allez dans nos communes de moins de 3 500 habitants,
interrogez les conseillers municipaux, les maires, qui se dévouent jour après
jour à la cause publique et demandez-leur ce qu'ils pensent de votre projet de
loi sur le cumul des mandats !
La deuxième condition est qu'il ne faut pas porter atteinte aux principes
fondamentaux sur lesquels reposent notre République et notre démocratie.
Je me limiterai à en citer trois qui, dans les textes que vous nous avez
soumis récemment - la loi sur l'élection des conseillers régionaux et le
fonctionnement des conseils régionaux, la loi sur la parité, la loi sur
l'élection des sénateurs - me semblent peu ou mal respectés.
C'est tout d'abord le respect du libre choix de l'électeur, élément
fondamental de notre démocratie ...
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Patrice Gélard.
... et sans lequel il n'y a pas de démocratie. Or les listes et l'ordre des
candidats fixés par les partis politiques sont souvent très éloignés de ce que
désirent les électeurs.
M. Alain Vasselle.
C'est vrai !
M. Patrice Gélard.
Un régime est tombé - la Monarchie de juillet - un autre s'est effondré - la
IVe République - pour ne pas avoir respecté ce principe essentiel du libre
choix de l'électeur.
Le deuxième principe, tout aussi fondamental, est celui-ci : tout électeur est
éligible, et l'on ne peut pas multiplier les interdictions réelles ou déguisées
de façon à interdire plus ou moins à telle ou telle catégorie de citoyens de se
présenter à l'élection.
M. Alain Gournac.
C'est clair !
M. Patrice Gélard.
Dans les textes que nous avons votés hier et ce matin, je crains que cet
objectif n'ait pas toujours été respecté.
Enfin, il est un troisième principe : que tout membre élu dans une assemblée
peut être élu à la tête de celle-ci. Ainsi, un conseiller municipal doit
pouvoir devenir maire, un conseiller général doit pouvoir devenir président du
conseil général et un sénateur, monsieur le président, doit pouvoir devenir
président du Sénat. C'est l'élément essentiel d'une bonne démocratie. On
n'imaginerait pas que, dans une assemblée, les élus de certaines catégories
aient moins de droits que d'autres.
M. le président.
Pour le Sénat, la question ne se pose pas, mon cher collègue !
M. Patrice Gélard.
J'en suis bien d'accord, monsieur le président.
En matière d'inéligibilités et d'incompatibilités, la Constitution, dans sa
sagesse, a requis le consensus, puisque les textes qui régissent ces sujets
sont des lois organiques, du moins en ce qui concerne les parlementaires. Le
Sénat, dans ce domaine, a donc les mêmes pouvoirs que l'Assemblée nationale.
En d'autres termes, monsieur le ministre, quand on veut toucher aux
incompatibilités ou aux inéligibilités, il faut d'abord rechercher le consensus
et non pas tenter de braquer telle assemblée contre telle autre.
Enfin, je rappelle que, dans la tradition républicaine, il est une règle
essentielle, qui ne me semble pas respectée dans le projet de loi ordinaire :
que les règles applicables aux élections parlementaires s'appliquent également
aux élections locales.
A ce stade de la troisième lecture, il me semble que, sur un certain nombre de
points, nous sommes dans une impasse et, pour dire les choses telles qu'elles
sont, dans l'incohérence. En effet, le but recherché par les auteurs du projet
de loi - la modernisation de la vie politique - a été, en fait, dénaturé par
des amendements, mais aussi par des arrière-pensées démagogiques et
électoralistes et, disons-le, par une certaine hypocrisie doublée d'une volonté
de règlement de compte.
Notre conception est claire ; elle a été rappelée tout à l'heure par notre
excellent rapporteur et par M. de Raincourt.
Nous estimons qu'un parlementaire, notamment un sénateur, ne peut pas se
couper de la réalité locale et qu'il doit pouvoir maintenir ce contact, ce lien
organique entre son assemblée et sa collectivité territoriale. C'est la raison
pour laquelle nous nous étions ralliés à un schéma simple : deux mandats, une
fonction. Je rappelle d'ailleurs pour mémoire qu'il y a plus de députés-maires
que de sénateurs-maires.
M. Charles Descours.
Ils comptent sur nous d'ailleurs !
M. Alain Gournac.
Evidemment !
M. Patrice Gélard.
Dès lors, je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas pu trouver, sur ce
point, un terrain d'entente en commission mixte paritaire et pourquoi, dès le
départ, il y a eu blocage. Cela aurait pourtant été si simple dans cette
période transitoire !
Car nous sommes bien dans une période transitoire. En effet, monsieur le
ministre, si nous n'avons pas intégré les communautés à fiscalité propre dans
le dispositif, c'est parce que, comme vous l'avez dit vous-même tout à l'heure,
nous sommes dans un processus de construction et qu'il ne fallait pas
décourager le mouvement vers l'intercommunalité. Pourtant, il faudra bien, un
jour, aborder le problème des communautés urbaines, des communautés
d'agglomération et des communautés de communes. Sinon, nous devrons finalement
constater cette aberration qu'a soulignée M. Adnot : il y aura des présidents
de communauté urbaine qui ne seront pas maires mais qui auront une puissance
financière largement supérieure à celle de certains présidents de conseil
général.
(Marques d'approbation sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
Nous, nous avons une conception claire, nette et simple. Bien sûr, elle a été
quelque peu obscurcie, mais c'est de votre fait, monsieur le ministre, parce
que vous avez accepté un amendement qui est un manquement à la parole
donnée.
M. Alain Gournac.
Parfaitement ! Vous n'avez pas de parole, monsieur le ministre !
M. Patrice Gélard.
Dès lors, nous étions libres de faire ce que nous voulions pour respecter
notre propre logique.
J'en viens aux incohérences.
Incohérence parce que les règles applicables aux collectivités territoriales
vont devenir beaucoup plus sévères que les règles applicables aux
parlementaires.
Incohérence parce qu'un député européen n'aura pas le même statut qu'un député
à l'Assemblée nationale ou un sénateur.
Incohérence parce qu'un conseiller municipal de petite commune, pour qui
l'exercice de son mandat ne représente que quelques heures par an, sera mis sur
le même plan qu'un député ou un vice-président de conseil général ou régional.
Or les choses ne sont pas comparables ! Le simple membre du conseil municipal
d'une commune rurale qui se réunit six fois par an et où il n'y a même pas de
commission permanente n'a ni le même poids ni le même temps à consacrer à la
vie publique qu'un député ou un vice-président de conseil général ou régional
!
Et puis, lorsqu'on parle d'incompatibilité, il ne faut pas oublier que l'élu
n'est pas qu'élu : il est ouvrier, paysan, médecin, avocat ...
M. Alain Vasselle.
Il a un métier !
M. Patrice Gélard.
Exactement !
... et il ne consacre qu'une partie de son temps à son mandat. Or,
généralement, ceux qui cumulent n'ont pas d'autre activité. Mais cette
incohérence-là, à mon avis, elle est voulue, car, derrière ce texte, comme
derrière tant d'autres textes que nous soumet le Gouvernement, ce qu'on semble
rechercher, c'est la fonctionnarisation, la professionnalisation de l'élu.
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Patrice Gélard.
Autrement dit, il faudra bientôt ajouter une nouvelle catégorie
socio-professionnelle à la liste existante : celle des élus professionnels, de
l'âge de vingt-trois ans jusqu'à l'âge de la retraite !
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Patrice Gélard.
Eh bien, nous sommes contre cette conception !
Il y a aussi une hypocrisie, que M. Adnot a relevée tout à l'heure : c'est que
les ministres ne sont pas visés ; on n'en parle même pas !
Et puis, il y a cette incitation au camouflage, au déguisement : un élu va se
cacher derrière une potiche, qui ne sera le maire qu'en apparence, mais il
conservera le bureau de premier adjoint et obtiendra toutes les délégations qui
l'intéressent.
Au-delà de tout cela, la prétendue volonté de moderniser la vie politique
masque des arrière-pensées, des règlements de comptes, et ce sont toutes les
nouvelles incompatibilités que les députés nous ont imposées.
Pourquoi, au nom de quoi un membre du Conseil de la politique monétaire, un
membre du directoire de la Banque centrale européenne ou un membre de la
Commission européenne ne pourrait-il pas être conseiller municipal ?
Au nom de quoi un membre du cabinet du Président de la République ou d'un
cabinet ministériel ne pourra-t-il pas être élu ? Où va-t-on ? Au demeurant, on
pourra très bien camoufler les choses : il suffira de dire qu'il n'est pas
membre du cabinet, qu'il est conseiller extérieur. Le résultat sera exactement
le même !
Au nom de quoi un député ayant reçu plus de deux missions au cours de son
mandat devrait-il le perdre ?
Au nom de quoi un membre du bureau d'une chambre consulaire ne pourrait-il pas
être élu ? Sans doute parce qu'on pense que les intéressés sont généralement de
droite !
M. Alain Gournac.
C'est une tare !
M. Patrice Gélard.
Voilà, en vérité, la seule raison pour laquelle on les exclut !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Le pouvoir n'aime pas les artisans !
(Rires sur les travées
socialistes.)
M. Patrice Gélard.
Au nom de quoi un membre du conseil d'administration ou du conseil de
surveillance de certaines entreprises ne pourrait-il plus être élu ?
Enfin, pourquoi limiter le droit de plaider des avocats, sinon, là encore,
pour régler des comptes ?
Apercevant devant moi notre collègue le président Flosse, je n'aurai garde
d'oublier les dispositions véritablement indignes visant les ministres de la
Polynésie française, dont les fonctions équivalent, ni plus ni moins, à celles
d'un vice-président de conseil général ou de conseil régional. On va leur
interdire d'être maires. Pourquoi ? Là aussi, parce que, derrière la loi, il y
a des règlements de compte !
En réalité, monsieur le ministre, ce projet de loi dénote une méfiance à
l'égard du corps électoral, et cela est très grave. On se méfie des citoyens
qui réélisent systématiquement, élection après élection, leur sénateur-maire ou
leur député-maire parce qu'il est bon, présent, disponible et qu'il agit.
Au fond, ce que l'on veut faire - peut-être pas vous, monsieur le ministre,
dont je connais les convictions républicaines - c'est professionnaliser l'élu
et faire en sorte qu'il soit coupé des réalités locales. Par la généralisation
de la proportionnelle, on veut le priver de tout lien avec l'électorat dont il
est normalement issu.
En d'autres termes, votre modernisation de la vie politique, telle qu'elle est
envisagée, avec les projets de loi successifs que nous sommes amenés à
discuter, risque d'aboutir à un résultat exactement contraire à celui qu'on
prétend rechercher : on verra, à terme, augmenter le taux d'abstention. En
effet, plus personne ne se reconnaîtra dans des règles inintelligibles.
(Très bien ! Et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants, ainsi que sur quelques travées de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac.
Excellent ! M. Gélard a dit quelques vérités bien senties !
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la
troisième fois le Sénat est saisi d'un projet de loi qui paraît nécessaire à la
revivification de la démocratie dans notre pays.
Je ne m'étendrai pas sur un constat partagé : la politique est en crise et
nous assistons à un décalage persistant entre représentants et représentés. Les
raisons de cette crise sont multiples.
Limiter le cumul des mandats permettra, de toute évidence, de faire entrer un
nouveau souffle dans la vie politique française.
La droite sénatoriale refuse d'accompagner ce mouvement vers une démocratie
assumée par un plus grand nombre de nos concitoyens. La majorité de cette
assemblée, une nouvelle fois, fait preuve d'un grand conservatisme. Comment
expliquer que la volonté de nos concitoyens, qui est claire, sur la question du
cumul vous affecte tant, chers collègues ?
Le non-cumul de mandats ou du moins la limitation du cumul peut permettre
l'éclosion d'une nouvelle génération de femmes et d'hommes politiques, et aider
finalement chaque élu à se consacrer plus pleinement aux mandats que les
électeurs lui ont demandé d'exercer.
Après vous avoir redit le bien que je pense de cette réforme, je veux rappeler
que la limitation du cumul des mandats ne réglera pas, c'est une évidence,
l'ensemble des problèmes auxquels les élus sont confrontés.
Redonner du poids au mandat parlementaire exige un renforcement des pouvoirs
du Parlement, un rééquilibrage au profit du législatif.
Par ailleurs, le positionnement du Parlement national dans la nécessaire
construction européenne est à repenser ; nous nous sommes tous interrogés sur
ce point lors de la révision constitutionnelle.
Comment ne pas rappeler que l'extension du mode de scrutin proportionnel
constitue, à nos yeux, un élément d'oxygénation de la vie politique ?
Il ne sera pas possible d'aller beaucoup plus loin dans la limitation du cumul
des mandats et dans l'instauration de la parité - mais j'ai cru comprendre tout
à l'heure que ce n'était pas votre souhait - sans développer la
proportionnelle.
Enfin, il est nécessaire et urgent de mettre en place un véritable statut de
l'élu. Renforcer sensiblement les indemnités, assurer le retour dans le monde
du travail pourraient constituer de premiers éléments de réponse. Des
dispositions nouvelles en matière de formation et d'information devraient
également être élaborées.
Ne pas créer un véritable statut de l'élu local perpétuerait, sans nul doute,
l'existence d'une élite politique, qui prive nombre d'hommes et, surtout, de
femmes de mandats électifs.
Avant de conclure, je souhaite livrer mon opinion sur l'exclusion des
présidences de structures intercommunales du champ d'application du projet de
loi.
L'Assemblée nationale a admis, en troisième lecture, la compatibilité entre le
mandat de parlementaire national et celui de président d'une structure
intercommunale, et cela ne me paraît pas judicieux. Je ne suis pas insensible
aux explications de M. le ministre, mais il me semble que cela fait perdre au
texte de sa force et de sa cohérence.
La cohérence du texte est, en outre, évidemment mise à mal du fait de la
position de la majorité sénatoriale, qui va pénaliser lourdement les élus non
parlementaires puisque les élus parlementaires ne seront pas soumis aux mêmes
contraintes.
En conclusion, j'indique que le groupe communiste républicain et citoyen
soutient avec force l'essentiel du texte voté par l'Assemblée nationale et
regrette avec non moins de force l'attitude de la droite sénatoriale qui, à
l'occasion de cette troisième lecture, a opéré un recul supplémentaire en
rajoutant à la liste des fonctions cumulables, la détention d'un mandat de
maire d'une ville de moins de 3 500 habitants, en plus d'un mandat de
parlementaire national ou de président de conseil général ou régional.
Nous espérons encore que la raison gagnera le Sénat. Les premières
interventions que nous avons entendues ne me permettent malheureusement guère
d'y croire. Permettez-moi néanmoins, mes chers collègues, de vous enjoindre
d'accepter de justes propositions qui sont, je le rappelle, l'expression de la
volonté populaire affirmée en 1997.
(Appaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette
troisième lecture du projet de loi organique ainsi que l'ultime lecture du
projet de loi ordinaire, tous deux relatifs à la limitation du cumul des
mandats et fonctions, soulèvent de très nombreuses questions. La majorité
sénatoriale voudra-t-elle s'inscrire dans le sens de l'histoire, dans la voie
de l'indispensable modernisation de nos institutions ? Acceptera-t-elle cette
nouvelle conception de la pratique politique, quasiment plébiscitée par les
citoyens ? Comprendra-t-elle que le temps de la concentration de mandats
électifs et de fonctions exécutives par un même élu est révolu ? Saisira-t-elle
la chance qui lui est offerte de démontrer que la sagesse, dont le Sénat se
réclame, consiste à traduire fidèlement le sentiment des citoyens en
accompagnant les évolutions, non en les contrariant ? Tirera-t-elle les
enseignements de ces derniers mois, au cours desquels l'opinion publique a
sévèrement jugé son conservatisme sur des problèmes de société ?
Ma conviction profonde est que l'obstination de la droite sénatoriale à
refuser d'engager ces changements - et je crains qu'elle n'y persiste
aujourd'hui - écorne davantage son image et la condamne à subir demain des
réformes encore plus drastiques.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Menaces !
M. Guy Allouche.
Délibérer pour dégager la volonté de la nation et la transformer en loi est,
dans une démocratie, le rôle du Parlement. Quand ce dernier est, par l'effet du
cumul, composé en grande partie de députés et de sénateurs qui sont des
exécutifs territoriaux, il devient l'assemblée de tous les corporatismes, où
l'intérêt général se dissout dans la multitude des intérêts particuliers.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas possible d'entendre ça !
M. Alain Gournac.
Vous le laissez dire ça, chers collègues du groupe socialiste ?...
M. Guy Allouche.
« Quand le calcul se mêle à l'exercice des responsabilités, quand le souci
d'un confort à court terme l'emporte sur les impératifs d'intérêt général,
quand les querelles de clochers, les polémiques de territoires ou de clans
prédominent, la démocratie est pervertie. »
C'est le Président de la République qui s'exprimait ainsi voilà quelques jours
à Laval, et ses propos s'appliquent parfaitement à notre débat !
M. le président.
Je vous remercie d'y faire référence !
M. Guy Allouche.
Et moi je vous remercie de reconnaître leur bien-fondé !
On ne peut revaloriser le Parlement si ses membres le désertent de plus en
plus. Le travail parlementaire décline : la fabrication de la loi est
abandonnée au Gouvernement, la télévision se charge de la formation de
l'opinion ; le contrôle de l'exécutif, fonction essentielle du Parlement, est
laissé aux juges et aux médias. Ayons l'honnêteté de reconnaître qu'il ne
suffit pas de mettre en place des commissions d'enquête venant s'ajouter aux
six commissions permanentes et aux trois délégations permanentes ; encore
faut-il qu'il y ait assez de parlementaires pour participer assidûment à leurs
travaux.
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Un parlement dont la majorité des membres est trop souvent absente ne peut
revendiquer de nouvelles prérogatives. La haute administration a parfaitement
compris cela, au point de pousser, chaque jour, son avantage plus avant.
Pourquoi s'en alarmer, puisqu'elle ne fait qu'occuper l'espace de plus en plus
grand que nous laissons vacant et qu'elle représente souvent le dernier rempart
pour la défense du bien commun ?
C'est une absence de discernement qui amène les élus à oser se plaindre et à
dénoncer l'emprise de la technocratisation ; la responsabilité de cette dérive
politique est la conséquence logique de leur soif de cumul. Pour refonder la
démocratie, il faut en finir avec le cumul des mandats et fonctions exécutives.
La persistance de la crise de la représentation nationale et la perception
toujours plus négative chez les électeurs du cumul de mandats et fonctions
militent en faveur d'une réforme en profondeur qui contribuerait à rendre la
démocratie plus efficace et plus proche des citoyens.
Nos concitoyens veulent que leurs représentants se consacrent entièrement à
leur mandat. Ils ont besoin de retrouver confiance dans la vie politique et en
ceux qui l'animent. Limiter strictement le cumul des mandats est devenu une
priorité. Les projets de loi présentés par le Gouvernement doivent permettre
aux élus titulaires d'un mandat ou d'une fonction importante de s'y consacrer à
temps plein.
Ce débat renvoie directement aux réflexions sur la nécessité d'élaborer un
nouveau statut de l'élu, car il en est la suite logique. La commission sur
l'avenir de la décentralisation, présidé par mon collègue et ami Pierre Mauroy,
y travaille et nous examinerons avec intérêt les propositions qui seront
avancées dans quelques mois. En attendant, je me réjouis qu'un accord ait été
trouvé entre les deux assemblées sur les dispositions relatives à la
revalorisation substantielle des indemnités des maires, revalorisation qui
entrera en vigueur dès l'adoption de la loi simple.
Il en est de même pour le crédit d'heures et pour la suspension des contrats
de travail pour les maires et les adjoints.
Cela prouve, contrairement à ce qu'affirme M. Larché, dans son rapport écrit,
qu'il n'y a pas refus de dialogue opposé par les députés puisque, sur un nombre
important de questions, un accord a été trouvé.
Pour remettre le Parlement au coeur de la vie politique, pour contribuer à sa
revalorisation, pour que les élus soient plus disponibles, pour éviter la
dérive technocratique, pour s'opposer à la confusion des intérêts locaux et des
intérêts de la nation, pour éviter la dérive oligarchique de la vie politique
française, pour assurer la promotion de nouvelles générations d'élus, en
particulier de femmes et de jeunes, la limitation drastique du cumul des
mandats doit constituer le socle de la modernisation de la vie politique
française qui réduira la fracture entre les citoyens et les élus. Je n'hésite
pas à affirmer qu'il existe une logique d'ensemble et que la limitation du
cumul est la mère de toutes les réformes institutionnelles. Nous croyons à
cette réforme parce qu'elle initie la rénovation de la vie politique.
Volontairement, la droite sénatoriale ne fait aucune distinction entre mandat
et fonction exécutive. Elle prétend de surcroît que ce serait fonctionnariser
le Parlement que de couper les parlementaires des réalités locales. C'est, pour
moi, l'argument le plus fallacieux, le plus spécieux oserai-je dire, de tous
ceux qui ont été avancés à l'encontre de ces projets de loi.
Je le réfute parce que le projet du Gouvernement permet le cumul de deux
mandats soit d'un mandat national et d'un mandat local soit de deux mandats
locaux, et favorise toujours la proximité avec la vie locale. Un parlementaire
se désintéresserait-il des affaires de la collectivité territoriale dont il est
membre au motif qu'il n'en est pas l'exécutif ? Seuls 500 parlementaires sur
les 900 que nous sommes sont des exécutifs locaux. Que dire également des
milliers d'exécutifs locaux qui ne sont pas parlementaires ? Cela voudrait-il
dire qu'il y a des super-parlementaires, comme il y aurait des super-maires ?
Quelques-uns tireraient avantage du système et la très grande majorité serait
pénalisée ? Comment peut-on affirmer cela ?
Posons-nous la question suivante : la représentation politique nationale
ressemble-t-elle vraiment à la société qu'elle est censée reproduire ? Ceux qui
prônent l'ouverture du Parlement à l'ensemble des forces vives du pays - et ils
ont raison, comme nous le verrons lors de la discussion des articles - sont
justement ceux qui s'opposent au non-cumul de mandats et de fonctions
exécutives. Ils font du monde politique un monde clos, refermé sur lui-même,
frileux face à l'arrivée de nouvelles générations. Le cumul accentue la crise
des vocations politiques ; c'est le prestige de la politique qui s'effondre et
c'est une régression de la démocratie.
En effet, le non-cumul, c'est aussi le partage des responsabilités, c'est le
refus de la confusion des intérêts par la complémentarité des pouvoirs. Il est
facile de justifier le cumul au motif que l'on s'entend mieux avec soi-même
qu'avec d'autres ! En fait, la réponse réside dans la recherche d'une autre
pratique politique, d'une autre intelligence, d'un rapport différent au pouvoir
qui consiste à travailler ensemble et à rechercher des convergences. Le
non-cumul favorise une participation citoyenne, laquelle répond à une exigence
démocratique puisqu'elle permet à d'autres citoyens d'accéder à la
représentation. Encore faut-il leur laisser un peu de place et quelques postes
!
Le non-cumul permet une réelle disponibilité des élus.
La technicité des dossiers ne cesse de croître, tous les élus locaux nous le
disent, en même temps que la complexité des règles et des lois en vigueur ; la
judiciarisation de la gestion des collectivités territoriales est à nos yeux
excessive, et les responsabilités financières et juridiques des maires, sur le
plan civil et pénal, sont très lourdes et supposent, de la part des élus, un
investissement à plein temps.
Ces évidences rappelées, la droite sénatoriale s'obstine - oserai-je dire avec
cynisme ? - à refuser le non-cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction
exécutive locale parce qu'elle ne veut pas distinguer le mandat de la fonction.
Je dis « avec cynisme » parce que, à partir d'une volonté clairement affichée
de limiter le cumul, on aboutira à un super-cumul. C'est le sens de l'un des
amendements de la commission des lois.
En fait et en droit, le législateur élu local va interdire aux autres élus ce
qu'il s'autorise à lui-même !
M. Jean-Jacques Hyest.
Non !
M. Guy Allouche.
Où est donc la cohérence quand on interdit à un président de conseil général
ou de conseil régional d'être maire de sa commune et qu'on l'autorise à un
parlementaire ?...
(M. le rapporteur proteste.)
Je vais répondre à vos objections, monsieur le rapporteur !
La fonction de maire serait-elle à ce point plus importante que la fonction de
législateur ? La logique de la commission des lois autorise tout à la fois un
parlementaire à être en même temps président de conseil général ou de conseil
régional, maire d'une commune de 3 500 habitants et moins, et président d'une
communauté d'agglomération et d'un établissement public de coopération
intercommunale.
(Protestations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
On baignait déjà dans l'incohérence avec votre refus, monsieur Larché,
vous qui êtes président de la commission des lois et rapporteur du présent
texte, d'accepter la logique du texte initial !
Avec votre amendement, on ne baignera plus dans l'incohérence, on sombrera
dans la plus grande confusion !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Mais non !
M. Patrick Lassourd.
A qui la faute ?
M. Guy Allouche.
J'ai parlé de cynisme : les dispositions que la droite sénatoriale s'apprête à
adopter « torpillent » volontairement le projet de loi, car, dès qu'il s'agit
de modernisation, cette même droite sort son artillerie lourde !
Une nouvelle fois, la majorité, au Sénat, s'apprête à se distinguer, mais à se
distinguer de manière particulière : en ne se montrant pas à la pointe de la
modernité !
M. Alain Gournac.
Parlez-en aux maires !
M. Guy Allouche.
Je ne parviens plus, mes chers collègues, à comprendre votre raisonnement
juridique et politique s'agissant de la réintroduction des seuils.
M. Alain Gournac.
Les maires, eux, comprennent !
M. Guy Allouche.
Le débat sur l'introduction des seuils avait été tranché...
M. Alain Gournac.
C'est le Gouvernement qui l'a proposé !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Allouche ?
M. Guy Allouche.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Mon cher collègue, vous savez parfaitement que, si nous avons
réintroduit la faculté de conserver un mandat dans les communes de moins de 3
500 habitants, c'est en raison de l'attitude que le Gouvernement a adoptée lors
de la discussion de la loi sur la parité. Je vous l'ai dit en commission...
M. Alain Gournac.
Il n'a pas entendu !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
... et je le répète ici : en abaissant le seuil de la
proportionnelle aux communes de plus de 2 000 habitants, vous avez touché à des
principes que nous considérons comme essentiels, à une certaine qualité, à une
forme de gestion, à une pratique démocratique, et vous êtes trop averti de ces
choses, monsieur Allouche, pour ne pas savoir que vous avez bouleversé un
système auquel nous sommes attachés !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Dans le mesure où, peut-être en toute connaissance de cause
compte tenu de la logique qui est la vôtre, vous avez introduit cette
disposition, nous apparaissons pour ce que nous sommes : les défenseurs de la
spécificité de ces communes de moins de 3 500 habitants. Sur ce point, vous ne
nous ferez pas renoncer !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Vous avez anticipé sur mon propos, monsieur le rapporteur ! Le débat sur
l'introduction des seuils avait, disais-je, été tranché. Or il l'avait été par
des arguments forts : les vôtres ! Souvenez-vous qu'en commission vous aviez
refusé un amendement déposé par vos propres amis, et vos arguements étaient
forts et justes. Mais, soudain, au motif que l'Assemblée nationale a adopté une
disposition dans le projet de loi relatif à la parité, vous reniez vos propres
arguments et réintroduisez un seuil.
M. Patrice Gélard.
C'est normal !
M. Guy Allouche.
Si je parlais de chantage, ce serait excessif.
M. Alain Gournac.
Le Gouvernement n'avait qu'à tenir ses promesses !
M. Guy Allouche.
En revanche, il est juste d'affirmer que vous pratiquez un troc qui n'est pas
digne de notre assemblée.
M. Patrice Gélard.
Ah !
M. Patrick Lassourd.
Il ne fallait pas commencer !
M. Guy Allouche.
En effet, en quoi l'extension du principe constitutionnel de parité
serait-elle préjudiciable à l'équilibre institutionnel des communes de moins de
3 500 habitants pour l'application des règles de non-cumul ?
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Vous le savez bien !
M. Guy Allouche.
Relisez le
Bulletin des commissions.
En commission, vous avez reconnu
que votre amendement nuisait à votre logique.
Vous-même le reconnaissez, et vous êtes prêt à dire que si l'Assemblée
nationale revient sur les dispositions qu'elle a adoptées vous retirerez votre
amendement.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Et alors ?
M. Guy Allouche.
C'est bien un troc !
M. Alain Gournac.
Il ne faut pas se moquer de nous !
M. Guy Allouche.
Cela démontre à l'évidence, mes chers collègues - et c'est là pour moi un fait
grave - que nous contribuons nous-mêmes à dévaloriser notre fonction de
législateur, et c'est nous, peut-être involontairement, qui alimentons
l'antiparlementarisme ambiant ! La fonction de législateur deviendrait-elle
secondaire, accessoire, subsidiaire par rapport à la fonction exécutive locale
? Comment ne pas être interpellé lorsque des parlementaires, adeptes du cumul,
avouent que s'ils étaient contraints de choisir, ils abandonneraient volontiers
leur mandat de parlementaire pour ne conserver que celui de maire !
Il ne fait aucun doute - cela a déjà été relevé et souligné - que c'est la
droite sénatoriale qui portera l'entière responsabilité du
statu quo
et
de l'aggravation des inégalités entre les élus.
Pour notre part, nous respectons et traduisons fidèlement un engagement pris
devant les Français et rappelé par M. le Premier ministre dès juin 1997.
Un certain nombre d'amendements ont été déposés au nom du groupe socialiste.
Ils traduisent l'expression d'une préoccupation légitime de mes camarades, amis
et collègues.
M. Alain Gournac.
Vos camarades !
M. Guy Allouche.
Oui, mes camarades, collègues et amis.
M. Jean-Jacques Hyest.
Cette préoccupation est aussi la nôtre !
M. Guy Allouche.
J'y viens, monsieur Hyest. Cette préoccupation transcende tous les groupes
politiques. Il serait vain de le nier.
Mes chers collègues, nous le savons, toute innovation suscite interrogations
et, parfois, inquiétudes, y compris chez les élus, notamment les maires ruraux
confrontés aux transferts de compétences et de pouvoirs prévus par le
nécessaire développement de l'intercommunalité. Dans quelques années...
M. Jean-Jacques Hyest.
Il n'y en aura plus !
M. Guy Allouche.
... le véritable pouvoir sera passé à l'échelon supérieur,...
M. Patrice Gélard.
On le sait bien !
M. Guy Allouche.
... et cela inquiète certains maires. Cette situation conduit un certain
nombre de nos collègues à penser que l'on pourrait exclure du régime des
incompatibilités les communes dont les représentants sont élus au scrutin
majoritaire. C'est l'objet de l'un des amendements.
Je tiens toutefois à souligner que, contrairement à la majorité sénatoriale,
nous distinguons le mandat de la fonction et nous demeurons acquis à l'économie
des deux projets de loi en discussion.
S'agissant des EPCI à fiscalité propre, on ne peut nier le problème qu'ils
posent par rapport aux règles de non-cumul.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Il est vrai qu'il est difficile d'expliquer qu'ils n'entrent pas dans le champ
des incompatibilités alors que leurs présidents, qui deviennent naturellement
des exécutifs intercommunaux, exercent des compétences, certes déléguées, mais
très importantes et gèrent un budget plusieurs fois supérieur au budget des
communes membres, parfois même au budget du département.
M. Daniel Goulet.
Absolument !
M. Guy Allouche.
Ce problème, reconnaissons-le, mes chers collègues, vient du fait que nous ne
sommes pas allés au bout de la logique quand nous avons discuté de la loi de
juillet 1999 sur l'intercommunalité, en ne faisant pas élire les organes
délibérants des structures intercommunales à fiscalité propre au suffrage
universel direct. On ne l'a pas voulu. Eh bien ! aujourd'hui, nous devons
assumer les conséquences de nos choix précédents.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ça, ce n'est pas mal, mais c'est complètement hypocrite !
M. Guy Allouche
Là aussi, la commission que préside M. Pierre Mauroy aura des propositions à
faire et elles seront attendues avec intérêt.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ça, c'est du troc !
M. Guy Allouche.
Sur l'ensemble de ces amendements, je dirai, à titre personnel, que je n'y
suis guère favorable, mais je me range, comme tout démocrate, à l'avis
majoritaire qui s'est dégagé au sein de mon groupe, l'objet étant d'attirer
l'attention sur certaines difficultés du dispositif. Cependant, je suis
conscient que les évolutions institutionnelles se font rarement sans efforts.
Elles entraînent toujours quelques sacrifices.
Il serait incompréhensible que les parlementaires veuillent réformer la
société, imposer par la voie démocratique des changements profonds pour tous
nos concitoyens et qu'ils n'acceptent pas de le faire pour ce qui les concerne.
Si ce n'est pas un abus de pouvoir, ce sera sans doute perçu comme une forme de
corporatisme.
Dans le cadre de la recherche du compromis - mes chers collègues, laissez-moi
rêver un instant - j'aurais aimé que la droite sénatoriale, notamment le
président-rapporteur de la commission des lois, avance l'idée de procéder par
étapes, par exemple en proposant d'interdire à court terme le cumul du mandat
parlementaire avec la fonction de président de conseil général ou de conseil
régional, puis, à moyen terme, de généraliser cette interdiction aux maires et
aux présidents d'EPCI, dès que ces derniers seront élus au suffrage universel
direct. Je n'ai pas oublié que M. le président du Sénat - que je salue
respectueusement en cet instant puisqu'il préside nos travaux - et M. le
président-rapporteur de la commission des lois sont tous deux présidents de
conseil général. Dans un élan de sagesse, j'aurais aimé que le Sénat soit à la
pointe de cette idée d'avant-garde et d'avenir. Hélas ! ce geste d'ouverture
n'a pas lieu. Je ne peux que faire le constat suivant : tout change autour de
nous, mais pour la majorité d'entre nous ici, la pratique des années 2000 doit
être identique à celles des années cinquante.
Chaque fois qu'il s'agit de moderniser notre vie publique et institutionnelle,
de traduire dans la loi les avancées sociales et culturelles, le Sénat se
montre frileux, très en retrait, voire franchement hostile.
M. Patrick Lassourd.
C'est de la caricature !
M. Guy Allouche.
Le parti pris du Sénat est celui du laisser-faire, peut-être même celui du
parti de la loi naturelle. Ma conviction profonde est que l'opinion publique
condamnera, une fois encore, le refus de la droite sénatoriale d'accompagner
ces évolutions, tout comme elle a déjà sévèrement jugé son rejet des autres
projets de réforme de société.
M. Alain Gournac.
Caricature !
M. Guy Allouche
La majorité du Sénat s'imagine que son droit de veto, applicable en la
circonstance pour le projet de loi organique, lui confère une sorte d'immunité
quasi éternelle. C'est une folle illusion ! Le Gouvernement a décidé de prendre
acte de la position de refus du Sénat. Mes chers collègues, prendre acte ne
signifie pas renoncer, c'est une simple pause dans la mise en oeuvre d'une
réforme voulue et attendue par les Français. Ce n'est que partie remise. Face à
cette opposition résolue, j'allais dire frontale, nous emprunterons, le moment
venu, une voie encore plus démocratique de contournement de l'adversaire.
M. Jean-Jacques Hyest.
Si vous le pouvez un jour ! Ce n'est pas sûr !
M. Guy Allouche.
N'en doutez pas, notre détermination est totale. Nous ferons aboutir cette
réforme, et dans un délai plus court que vous l'imaginez.
En refusant de s'autoréformer, la droite sénatoriale ne veut pas mesurer les
risques encourus.
M. Alain Gournac.
Des menaces !
M. Guy Allouche.
Elle feint d'oublier que la voie parlementaire n'est pas l'unique voie de la
réforme.
M. Alain Gournac.
Encore des menaces !
M. Patrick Lassourd.
Chantage !
M. Guy Allouche.
Je ne suis pas le seul à appeler de mes voeux un référendum sur la
modernisation des institutions. Ce point, nous le savons tous, sera au coeur de
l'une des prochaines et importantes batailles électorales. Rendez-vous est donc
pris ! Ce que je sais, dès à présent, c'est que la réforme sera alors encore
plus draconienne. Elle concernera non seulement le non-cumul des mandats et des
fonctions exécutives, mais également la durée du mandat sénatorial et la fin du
renouvellement triennal.
M. Patrick Lassourd.
Vive la gauche !
M. Guy Allouche.
Le mouvement anticumul ne s'arrêtera pas. Cette attente des citoyens demeure,
pour la gauche, une exigence. Nous sommes attachés à des institutions rénovées,
à un Sénat moderne, féminisé, ouvert sur le monde réel, en phase avec la
société, bref...
M. Alain Gournac.
A gauche !
M. Guy Allouche.
... un Sénat du xxie siècle.
M. Patrice Gélard.
Un Sénat qui ne servira à rien !
M. Patrick Lassourd.
A gauche toute !
M. Guy Allouche.
C'est parce que nous sommes attachés à un Sénat digne du xxie siècle que nous
accomplirons et réussirons cette réforme. Mes chers collègues, un simple rappel
: vous ne vouliez pas de la décentralisation.
M. Louis Boyer.
Vous n'étiez pas encore au Sénat quand nous l'avions commencée ! Vous n'avez
pas de mémoire !
M. Guy Allouche.
Monsieur Boyer, vous n'allez tout de même pas me dire que c'est vous qui
l'avez faite ! En 1982, vous et les vôtres n'étiez pas au pouvoir !
M. Louis Boyer.
Mais en 1974, oui ! Elle a été initiée en 1974 !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie, ne dialoguez pas.
M. Guy Allouche.
La décentralisation, et rendons hommage, une fois encore, à Gaston Defferre, à
M. Pierre Mauroy et à François Mitterrand, vous n'en vouliez pas !
M. Louis Boyer.
Ce n'est pas vrai !
M. Guy Allouche.
Aujourd'hui, vous vous en faites les défenseurs naturels, comme si vous étiez
les pères de cette réforme.
Demain, vous aurez le non-cumul et vous l'aurez mérité !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures
cinq, sous la présidence de M. Paul Girod.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD