Séance du 24 février 2000
ÉPIZOOTIE D'ENCÉPHALOPATHIE
SPONGIFORME BOVINE
Discussion d'une question orale européenne
avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec
débat suivante :
M. Hubert Haenel interroge M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur
les voies pour sortir de la crise liée à l'épizootie d'encéphalite spongiforme
bovine. Il lui demande quelles conditions lui semblent nécessaires pour une
levée de l'embargo sur le boeuf britannique, quelles sont les perspectives de
mise en place à l'échelon européen d'un système d'étiquetage obligatoire
assurant une complète traçabilité, quel est son sentiment vis-à-vis du projet
de création d'une autorité européenne indépendante en matière de sûreté
alimentaire et, plus généralement, comment le respect du principe de précaution
pourraît être mieux garanti dans le processus de décision communautaire.
La parole est à M. Haenel, auteur de la question, président de la délégation
du Sénat pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
questions de sécurité alimentaire ont pris, au cours des dernières années, une
très grande importance dans les préoccupations de nos concitoyens, à la suite
notamment de deux crises, la crise dite de la « vache folle », il y a quatre
ans, puis, l'année dernière, celle de la dioxine contenue dans des poulets
belges. Les cas de listériose suscitent également l'alerte de manière
récurrente nous vivons actuellement ce phénomène.
On pourrait juger que cette préoccupation croissante a, malgré tout, quelque
chose de paradoxal car, pour plusieurs aspects, la sécurité alimentaire a
beaucoup progressé par rapport à un passé qui, dans ce domaine, est souvent
idéalisé. Mais il est vrai que, si les risques alimentaires « classiques » sont
mieux maîtrisés, les nouveaux risques qui se sont manifestés sont apparus
particulièrement inquiétants, d'autant plus peut-être qu'ils étaient entourés
de très nombreuses incertitudes.
La confiance des consommateurs s'en est trouvée ébranlée. A juste raison, ils
ont le sentiment que, dans les conditions actuelles de production et de
distribution, certains risques alimentaires sont difficiles à maîtriser.
Identifier les causes, recenser et localiser les produits à risques est devenu
une opération souvent très complexe. La vogue actuelle des produits biologiques
est une des expressions de cette inquiétude.
Les questions de sécurité alimentaire sont un enjeu majeur de santé publique.
Elles ont aussi, même si, naturellement, ce type de préoccupation vient
ensuite, des aspects économiques. Lorsqu'une affaire concernant le domaine de
l'alimentation est évoquée dans les médias, il en résulte très souvent une
crise de confiance dont les effets économiques peuvent être très lourds. Que
l'on songe à l'affaire, très récente, du Morbihan.
Tout concourt donc à ce que le principe de précaution soit placé au coeur de
l'action publique dans ce domaine.
Il est vrai que ce principe n'est pas simple à définir et surtout à appliquer,
car il comporte des aspects qualitatifs qui peuvent donner lieu à des
appréciations différentes.
Le principe de précaution repose en effet sur deux principaux critères : il
doit être invoqué, d'une part, si l'on est en présence de grandes incertitudes
scientifiques et, d'autre part, si le dommage que l'on redoute est grave et
irréversible. On voit bien que de tels critères laissent une marge
d'interprétation, qui peut d'ailleurs être plus ou moins grande selon les
cas.
Le Gouvernement a mis en avant le principe de précaution pour justifier le
maintien de l'embargo sur la viande bovine britannique.Dans cette affaire, on
est effectivement dans une situation où les deux critères du principe de
précaution s'appliquent.
Les incertitudes scientifiques sont de grande ampleur. Comme le directeur
général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, M. Hirsch,
que la délégation pour l'Union européenne a entendu il y a quinze jours, nous
l'a confirmé, le nombre des modes de contamination, la durée d'incubation de la
maladie, l'étendue du risque, sont autant de points sur lesquels l'incertitude
règne. Et l'on sait que les évaluations sur le nombre total de personnes qui
pourraient contracter la maladie en Grande-Bretagne vont de quelques centaines
à plusieurs centaines de milliers. Par ailleurs, la gravité du dommage
potentiel est maximale, puisque, malheureusement, on ne dispose aujourd'hui
d'aucun remède contre les maladies à prions.
La Commission européenne et le comité scientifique directeur européen semblent
avoir adopté, quant à eux, une interprétation plus faible du principe de
précaution puisqu'ils ont estimé, en substance, que la France n'avait pas
suffisamment prouvé qu'il y avait aujourd'hui de plus grands risques à
consommer du boeuf français. Ainsi, la France justifie sa position en mettant
en avant les nombreuses incertitudes qui subsistent, tandis qu'à l'échelon
européen on réclame des preuves, des certitudes, sur l'existence d'un risque
spécifique dans le cas du boeuf britannique.
Or, aujourd'hui, il existe des certitudes sur un des modes de contamination,
la contamination par voie alimentaire ; il existe de fortes présomptions quant
à une transmission possible de la vache au veau, et il existe des doutes sur
l'existence d'autres modes de contamination. Or, si ces derniers doutes
s'avéraient fondés, il y aurait des risques bien plus grands dans le cas du
boeuf britannique, puisque la Grande-Bretagne ne pratique pas l'abattage
systématique des troupeaux où un cas a été décelé. Mais, plutôt que des
preuves, ce que nous pouvons mettre en avant, ce sont des doutes.
On voit donc qu'il n'y a pas accord sur l'interprétation du principe de
précaution ou, si l'on préfère, sur la manière de l'appliquer dans ce cas ; et
c'est finalement la Cour de justice des Communautés européennes qui sera
appelée à arbitrer.
Nous ne savons aujourd'hui ni quand la Cour tranchera, ni quelle sera la
portée de sa décision. Sur l'application du principe de précaution, il se peut
très bien qu'elle ne se prononce elle-même qu'avec beaucoup de précautions !
Il ne serait donc pas opportun de se borner à attendre passivement la décision
de la Cour. Il importe, au contraire, que, sans renier en rien son attitude de
vigilance, la France montre qu'elle s'emploie à sortir de cette crise, qui
continue à peser sur nos relations avec le Royaume-Uni.
Mais sortir de cette crise n'est possible que « par le haut », en amenant la
Communauté européenne dans son ensemble à adopter des mesures telles qu'elles
restreignent à l'avenir le risque de conflit entre le principe de précaution et
celui de la libre circulation des marchandises.
Plusieurs pistes de réflexion peuvent être évoquées, qui sont, monsieur le
ministre, autant de demandes de précisions que je souhaite vous adresser.
Ne pourrait-on, tout d'abord, rechercher un accord sur la portée du principe
de précaution ? Ce principe est certes reconnu par le droit communautaire,
puisque l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne le
mentionne. Mais aucune précision n'est apportée sur son contenu. Un moyen de
rapprocher les points de vue pourrait être de rechercher un accord à quinze sur
des lignes directrices pour l'application de ce principe. La France a déjà
apporté une contribution à ce débat en octobre dernier, avec le rapport
présenté par M. Kourilsky et Mme Viney. La Commission européenne, quant à elle,
a présenté au mois de janvier une communication sur le recours au principe de
précaution, qui constitue également une contribution importante.
Sur cette base, ne pourrait-on mener une réflexion collective, qui pourrait
aboutir à une approche commune plus précise de l'application du principe de
précaution ? Cela me paraît d'autant plus souhaitable que la Communauté met en
avant le principe de précaution dans les négociations internationales,
notamment vis-à-vis des Etats-Unis au sujet de l'utilisation des hormones.
L'Union ne serait-elle pas plus crédible vis-à-vis de l'extérieur si elle se
montrait capable de dégager plus clairement une doctrine commune et de la
mettre en oeuvre pour son propre marché intérieur ?
Une deuxième piste de réflexion est, bien sûr, la proposition de la Commission
européenne de créer une autorité alimentaire européenne, qui pourrait être un
aspect important de la recherche d'une approche commune des questions de
sécurité alimentaire. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des
précisions sur le sentiment du Gouvernement à l'égard de cette proposition de
la Commission ? Etes-vous favorable au principe de la création d'une telle
autorité ? La conception avancée par la Commission européenne pour les
compétences et les pouvoirs d'une telle autorité vous paraît-elle satisfaisante
?
Un autre domaine où il paraît souhaitable de progresser est celui de
l'étiquetage des produits. Certes, face à un risque grave et qui, dans l'état
actuel des connaissances, concerne tous les publics, l'étiquetage ne peut sans
doute à lui seul constituer une solution. Cependant, un système développé
d'étiquetage apparaît comme un moyen non seulement de mieux informer le
consommateur, mais surtout de garantir une traçabilité suffisante et, ainsi, de
réduire globalement les risques sanitaires. Or, il semble que les discussions
sur l'étiquetage obligatoire ne progressent pas très vite.
Comment se fait-il, monsieur le ministre, que ces négociations aient tendance
à piétiner et peut-on espérer que cette situation va bientôt se débloquer ?
J'aborderai un dernier point. La position « en flèche » que nous avons adoptée
nous expose particulièrement à la critique. Elle nous impose d'être
exemplaires. Or, le rapport d'inspection publié au début de ce mois par
l'Office alimentaire et vétérinaire de l'Union européenne suggère que ce n'est
pas toujours le cas. Selon ce rapport, l'interdiction d'utiliser des farines
animales pour l'alimentation des ruminants n'aurait été appliquée en France
qu'avec retard, et ne serait toujours pas complètement appliquée. Par ailleurs,
le dispositif français laisserait passer des cas où une encéphalite spongiforme
aurait pu être suspectée.
Dans ce domaine également, monsieur le ministre, nous souhaiterions connaître
le sentiment du Gouvernement. Ces critiques sont-elles fondées ? Ne
risquent-elles pas de renforcer l'argumentation des Britanniques sur l'identité
des risques de part et d'autre de la Manche ?
En posant ces différentes questions, on l'aura compris, mon propos n'est pas
de conforter les présentations les plus alarmistes. Dans une affaire où les
incertitudes scientifiques restent considérables, la prudence est de mise, mais
le discernement l'est également. Nous devons viser à réduire toujours plus les
risques, sachant qu'un monde où ils auraient disparu complètement ne serait pas
le monde réel.
L'essentiel me paraît être que la France, sans rien céder de l'approche
exigeante adoptée à l'égard de l'ESB, s'attache à ce que cette crise ait une
issue positive pour la Communauté dans son ensemble, en conduisant à une
approche commune rigoureuse, qui est de l'intérêt de tous les consommateurs
européens comme des producteurs.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le lundi 7
février 2000, la France était accusée de ne pas respecter les règles liées aux
mesures nécessaires à la protection du consommateur contre la maladie dite « de
la vache folle » et, surtout, de continuer à utiliser des farines animales
interdites dans les aliments pour le bétail.
Ces accusations graves figurent dans un rapport rédigé par des experts
vétérinaires européens qui ont effectué en 1999 une tournée en France dans des
fermes, des abattoirs, des usines d'aliment du bétail ainsi que dans des
services vétérinaires départementaux.
Ce rapport dénonce plusieurs défaillances qui nous ont choqués, parmi
lesquelles des déclarations tardives de cas suspects d'ESB. Il dénonce
également le manque de formation et d'information des inspecteurs des abattoirs
et des exploitants, l'inefficacité de la coordination et du suivi des arrêtés
liés aux instructions administratives et aux moyens de vérification internes.
Il relève encore que le prélèvement d'échantillons n'est pas suffisant eu égard
au volume de production et que, par exemple, l'inscription « interdit pour
l'alimentation des ruminants » sur les sacs de farine n'est pas respectée.
Sachez, monsieur le ministre, que les conclusions de ce rapport furent
ressenties comme un coup de boomerang : la France, par votre voix, avait donné
une ligne de conduite à l'Europe entière en traçant une voie courageuse, en
tentant d'assurer la transparence, la protection et la garantie sanitaire, et
elle se ferait piéger ! Nous ne comprenons plus ! Nous avons besoin de vos
lumières !
En préambule à tout débat sur l'ESB, il est nécessaire de confirmer
l'importance du principe de précaution, qui doit continuer de s'appliquer en
France et qui doit être développé en Europe. Que font aujourd'hui les autres
Etats dans ce domaine ? Où en êtes-vous des discussions avec les Quinze sur la
nécessité de déterminer des critères minimaux quant à la protection ?
Plusieurs pistes, plusieurs recommandations, plusieurs espoirs existent,
certes. Mais quelle autorité européenne, demain, pourra enfin réguler ces
questions de sécurité alimentaire ? Monsieur le ministre, quelle est votre
position sur ce point ?
Beaucoup d'attentes sont liées à l'accroissement du dépistage, et la France a
décidé, le 23 janvier dernier, de lancer un vaste programme de dépistage par la
mise en place d'un test de surveillance sur l'ensemble du territoire. Un an
après la Suisse, la France est le deuxième pays à engager une opération de ce
type. Quarante mille bovins à très haut risque devraient être les premiers
concernés par la mesure. Mais le type de test susceptible d'être utilisé - il
en existerait trois - ne semblerait pas, à ce jour, complètement déterminé.
De son côté, la Commission européenne n'a encore pris aucune décision sur le
principe même de ce test. Pourtant, la France a demandé à Bruxelles, lors de
discussions menées sur la levée ou non de l'embargo sur le boeuf britannique,
de mettre en place un test de dépistage européen. Pourquoi y a-t-il encore des
réticences et comment peut-on peser sur la décision ?
Les animaux sélectionnés pour le dépistage seront vraisemblablement des
animaux conduits à l'équarrissage, c'est-à-dire des bêtes mortes, ou des
animaux ayant dû être abattus d'urgence et pour lesquels la cause de la mort
n'aura pas toujours été clairement établie. On n'a donc pas retenu en France
les mêmes principes qu'en Suisse, où il est procédé à un dépistage aléatoire
sur un certain nombre de bovins apparemment en bonne santé et qui sont conduits
à l'abattoir.
Pourquoi la France n'a-t-elle pas opté pour cette solution ? Pourquoi cette
restriction alors que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments
saisie de cette question avait suggéré une méthode de dépistage plus large ?
Je traiterai maintenant de la tranparence, sujet que nous avons largement
évoqué lors de la discussion de la loi d'orientation agricole et qui intéresse
au plus haut point le consommateur.
Que fait-on pour renforcer la traçabilité des produits ? Le premier conseil
européen de l'agriculture de l'an 2000 a montré l'existence d'un
quasi-consensus sur la traçabilité, une majorité de pays se déclarant
favorables à l'idée de faire savoir aux consommateurs où l'animal est né, où il
a été élevé et abattu.
La traçabilité impose d'organiser rapidement l'étiquetage.
Presque tous les pays se sont prononcés pour la mention sur l'étiquette de
l'Etat membre d'origine lorsque l'animal est né, a été élevé et abattu dans un
même Etat. Mais lorsque ces phases ont eu lieu dans différents Etats de la
Communauté, les positions divergent.
L'Italie et l'Irlande voudraient que l'étiquette porte la mention « origine
communautaire européenne », ce qui n'assure absolument pas la transparence, des
animaux étant engraissés, en Belgique notamment, grâce à l'utilisation
d'hormones et de bien d'autres produits. Cela me rappelle certaines bouteilles
de vin étiquetées d'« origine communautaire », ce qui, très sincèrement, n'est
pas de nature à me réconforter !
(Sourires.)
En revanche, la France, comme le Danemark, la Suède, la Finlande ou
l'Allemagne, souhaite la mention sur l'étiquette de tous les Etats membres
concernés par les différentes étapes de la vie du bovin, ce qui est une bonne
chose, monsieur le ministre.
A ce sujet, je rappelle que j'avais déposé une proposition de loi voilà trois
ans et demi. Je l'avais défendue devant votre prédécesseur et notre assemblée
avait bien voulu la retenir. Elle portait sur la traçabilité des bovins au
moyen, entre autres, de puces.
Cette approche avait fait l'objet d'une démarche plus spécifique au niveau
européen et trois expérimentations ont été décidées par les instances
européennes.
Où en sommes-nous de ces expérimentations, monsieur le ministre ? Quand ce
type d'approche pourra-t-il définitivement être arrêté à l'échelon européen
?
M. Hubert Haenel.
Bonne question !
M. Jean-Marc Pastor.
L'étiquetage est une question fondamentale s'agissant de la transparence et de
la traçabilité. Une question que je connais bien, car je m'intéresse depuis
quelques années à la filière de la viande bovine.
A ce propos, et me fondant sur mon expérience, je veux vous faire part d'une
affaire survenue dans mon département. Après quelques déclarations que j'ai
faites à propos de la traçabilité, le juge s'est intéressé à un groupe
d'éleveurs et de marchands, dans le cadre d'une filière
hispano-belgo-française. A cette occasion, il a pu mettre en évidence des
pratiques pour le moins douteuses en matière d'étiquetage. Il est notamment
apparu qu'une même boucle avait été utilisée onze fois !
Après un tel exemple, comprenez que le discrédit plane sur un certain nombre
de méthodes d'étiquetage ! Il faut donc impérativement étudier attentivement
les conclusions des expérimentations européennes et les mettre effectivement en
oeuvre.
Qu'attend-on, au niveau européen, pour enclencher ce premier processus, qui
serait une étape importante, me semble-t-il, pour mettre fin définitivement à
cette interrogation ?
Enfin, sur le principe de précaution, qui est, me semble-t-il, fondamental
également, je ne veux pas non plus oublier d'évoquer un point marginal, lié à
la fois à la chaîne du froid et à des pratiques culinaires. Il n'est pas
toujours possible de suivre l'évolution des produits et vous pourriez
peut-être, monsieur le ministre, avec d'autres partenaires, donner un certain
nombre de conseils, surtout quand il s'agit de produits destinés à des
collectivités.
Telles sont les questions que je tenais à vous poser, et qui sont à verser au
débat que vous avez accepté d'ouvrir ce matin sur ce problème concernant les
Françaises et les Français.
Je dirai un mot pour terminer d'un dossier ô combien délicat : la filière de
la viande bovine en Europe est - je ne le dirai pas trop fort, et seulement
parce que nous sommes entre nous
(Sourires)
- le deuxième financeur des
mafias après la drogue. Cela soulève de réelles interrogations !
(Marques
d'étonnement sur plusieurs travées.)
Je tiens à votre disposition un
certain nombre de rapports fort inquiétants à ce sujet.
La traçabilité reste incontestablement un des points auquel je suis
particulièrement attaché. Cet aspect très délicat demandera une forte volonté
politique française - et je sais que vous l'avez, monsieur le ministre - mais
aussi européenne. Nous nous interrogeons à ce propos sur tous les
lobbies
qui existent depuis fort longtemps dans ce secteur.
Le consommateur doit être aujourd'hui rassuré, et l'éleveur aussi, ne
l'oublions pas. Il y va de l'avenir de nos élevages extensifs...
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Jean-Marc Pastor.
... de veaux sous la mère, spécificité bien française. Pouvez-vous, monsieur
le ministre, nous donner quelques apaisements ?
(Très bien ! et
applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Herment.
M. Rémi Herment.
En décidant, le 8 décembre dernier, après avoir étudié l'avis de l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments, de ne pas lever l'embargo sur
l'importation de viande bovine britannique, vous avez fait le choix, monsieur
le ministre, de l'application stricte et maximale du principe de précaution.
Il est, certes, difficile de contester une décision pour la défense de
laquelle on se retranche derrière l'argumentation de la sécurité des
consommateurs et de la santé publique.
Néanmoins, ce choix comporte un certain nombre de conséquences. Il met surtout
en lumière la nécessité de doter l'Europe d'instances spécifiques de prise en
charge de la politique de sécurité sanitaire, afin d'éviter les distorsions
d'appréciation scientifique entre les différents membres de l'Union
européenne.
Pour mémoire, il est bon de rappeler qu'environ une quarantaine de pays
n'appartenant pas à l'Union européenne interdisent l'importation de boeuf
britannique.
En Europe, l'Allemagne n'a pas encore ouvert ses frontières et se retranche
derrière les
Länder
pour des raisons constitutionnelles.
L'affaire du boeuf britannique ne serait-elle qu'une querelle d'experts ?
La Grande-Bretagne affirme maîtriser le risque et s'appuie, pour sa défense,
sur le DBES, le schéma d'exportation basé sur la date.
La Commission européenne s'appuie, de son côté, sur l'avis de son comité
scientifique directeur et estime que la viande anglaise ne présente pas de
danger.
A l'inverse, l'AFSSA, dans son premier avis du 30 septembre 1999, note que
l'évaluation des risques de l'ESB pour l'homme présente plus de doutes que de
certitudes.
En substance, les experts français relèvent que le risque « que la
Grande-Bretagne exporte des viandes de bovins contaminés ne peut être considéré
comme totalement maîtrisé puisque certains paramètres d'ordre épidémiologique
ou pathogénique sont encore insuffisamment connus ».
Dans son avis du 6 décembre, l'AFSSA maintient ses positions.
D'une part, elle précise que si les mesures relatives aux cohortes sont,
certes, de nature à diminuer le risque, elles ne s'appliquent à une cohorte
qu'après l'apparition du premier cas clinique, ce qui autorise l'entrée dans la
chaîne alimentaire humaine de produits provenant d'animaux en incubation, la
durée d'incubation moyenne étant estimée à cinq ans.
D'autre part, les résultats de tests permettant de déceler,
post mortem
la maladie chez un animal n'ayant pas encore présenté de signes cliniques ne
seront disponibles, au mieux, qu'au cours du second semestre 2000.
En d'autres termes, plusieurs incertitudes demeurent quant à la maîtrise du
risque infectieux, et les réponses scientifiques définitives ne pourront pas
être connues, au mieux, avant plusieurs mois.
En conséquence, politiquement et éthiquement, comment pouvons-nous vous
reprocher, monsieur le ministre, un choix qui repose sur la sécurité sanitaire
des consommateurs et qui, il faut le reconnaître, recueille à l'évidence le
soutien de l'opinion publique ?
Le lourd passif du scandale du sang contaminé et le traumatisme collectif
qu'il a engendré ne peuvent que renforcer l'adhésion des Français à une
solution qui met en avant la santé publique. Il est bon de rappeler, pour
mémoire, que c'est précisément l'affaire du sang contaminé qui est à l'origine
de la réorganisation du système de l'expertise scientifique dans notre pays.
Néanmoins, la décision du maintien de l'embargo, suite à l'avis de l'AFSSA, a
engendré un certain nombre de conséquences sur les plans tant politique que
commercial et démontre bien la nécessité de traiter les problèmes européens à
l'échelon européen.
Fallait-il argumenter sur les incertitudes scientifiques et s'opposer, dès
novembre 1998, à ce que les scientifiques bruxellois conseillent à la
Commission européenne de lever l'embargo sur la viande bovine britannique ?
A cette date, en effet, les ministres de l'agriculture des Quinze avaient
donné leur feu vert de principe à la levée de l'embargo. Lors de cette réunion,
la France s'était abstenue. N'aurait-elle pas dû demander aussitôt une
expertise scientifique européenne, pour éviter d'avoir à se retrancher
uniquement derrière un avis franco-français ?
La France se trouve donc aujourd'hui dans une double impasse : d'un côté, un
conflit stérile avec la Grande-Bretagne et la Commission européenne ; de
l'autre, le risque d'ouverture d'une procédure juridictionnelle et - pourquoi
pas ? - d'une condamnation par la Cour de justice des Communautés
européennes.
Cette situation s'avère plus ou moins embarrassante au moment où la France
s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne, en juillet 2000.
S'agissant des conséquences commerciales de cette décision, des mesures de
rétorsion - c'est-à-dire de boycott des produits français - ont déjà été
prises, et d'autres sont à craindre de la part des consommateurs britanniques.
Le risque, si l'embargo venait à perdurer, serait d'en ressentir les effets
négatifs au travers une diminution de nos exportations et d'une baisse
éventuelle de la part agroalimentaire de notre balance commerciale.
La solution pour éviter les distorsions d'appréciation scientifique et les
risques de tension diplomatique entre les pays membres de l'Union européenne
sur ces questions est sans doute d'envisager la création d'une agence
européenne de l'alimentation réunissant les experts scientifiques des
différents pays, bien entendu sur le modèle de l'AFSSA.
M. Hubert Haenel.
Oui !
M. Rémi Herment.
Toutefois, il existe un autre problème, celui des farines de viande et d'os,
principale voie de contamination de la maladie de la vache folle.
C'est l'information le plus dérangeante du rapport établi à la suite d'une
inspection de la Commission européenne réalisée en France du 31 mai au 4 juin
1999 à propos de la maladie de la vache folle, de la tremblante du mouton et de
l'interdiction des farines animales.
Ce rapport révèle en effet que des bovins atteints de l'ESB sont susceptibles
d'entrer dans la chaîne alimentaire et que les vaches françaises peuvent encore
manger des farines de viande interdites.
En effet, depuis juillet 1996, les protéines d'origine animale - à l'exception
du lait - sont interdites dans l'alimentation des ruminants. Deux arrêtés de
1998 obligent les fabricants à inscrire sur les sacs de farine de viande : «
Pas pour les ruminants ». Or cet étiquetage n'était pas respecté dans les deux
usines que les inspecteurs européens ont visité en mai et juin 1999.
Plus grave, l'analyse d'échantillons d'aliments destinés aux bovins a mis en
évidence des traces de farines de viande. Si aucun contrôle n'est réalisé par
les autorités françaises dans les silos des fermes ou les camions qui livrent
les aliments, comme le note le rapport, il y a un risque que ces aliments pour
ruminants et les rations pour animaux monogastriques se mélangent.
Monsieur le ministre, n'est-il pas urgent d'obtenir une homogénéité des
farines animales au niveau européen ?
Les farines animales, considérées comme le principal vecteur de la maladie de
la vache folle, ne doivent plus être données aux ruminants depuis 1990 en
France. Pourtant, elles sont toujours incorporées dans l'alimentation des
porcs, de la volaille et des poissons d'élevage. Comment peut-on admettre qu'en
Europe une majorité de pays continuent de fabriquer ces farines animales avec
les matériaux à risque que constituent les cadavres ? Il faut absolument que
ces pratiques cessent.
Je ferai une dernière remarque pour conclure : il faut mettre un terme à la
psychose ! Environ 170 vaches ont été abattues pour rien car, en fait, ces
bêtes n'étaient pas porteuses de la maladie ; elles ont été abattues avant même
que les résultats des analyses soient connus. Cela n'est pas admissible ! Le
dernier exemple remonte à la semaine dernière dans le Morbihan. Les examens
neurologiques réalisés sur le bovin suspect de l'abattoir de Sourn ont révélé
que l'animal était indemne d'ESB après que le troupeau entier eut été abattu.
(M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Serait-ce une nouvelle
forme de persécution des éleveurs ?
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'annonce de
nouveaux cas d'ESB en ce début d'année et l'impératif de santé publique qui
impose aux pouvoirs publics la recherche de la protection maximale du
consommateur justifient pleinement le présent débat et l'initiative de notre
collègue Hubert Haenel.
En effet, après les paroxysmes de mars 1996, lors de l'embargo sur le boeuf
britannique, et de cet été, au moment de la levée de l'embargo, nous sommes à
un nouveau point culminant de la crise de la « vache folle », et cela pour les
raisons, relativement récentes, suivantes : d'une part, depuis le mois de
décembre, à la suite d'études américaines, on sait que l'agent bovin est
responsable de la nouvelle variante de la maladie humaine de Creutzfeldt-Jacob
; d'autre part, malgré les différentes mesures adoptées, parfois très
contraignantes, comme, en France, l'abattage de l'ensemble du troupeau en cas
de détection d'un animal contaminé, l'épidémie n'est pas éradiquée.
Les inquiétudes en termes de risques pour la santé des hommes sont donc
aujourd'hui grandes, et nous devons continuer de rechercher la meilleure
réponse possible aux nombreuses interrogations qui se posent à nous. Plus
particulièrement, la multiplication des cas de « vache folle » chez des animaux
nés après l'interdiction en 1990 de l'utilisation des farines animales dans
l'alimentation des bovins laisse planer des doutes graves, notamment sur les
modes de transmission de la maladie.
Six cas nouveaux d'ESB ont été dénombrés en France depuis ce début d'année. Au
total, depuis 1991, 87 cas ont été recensés sur un cheptel de 21 millions de
têtes.
Mais ce ne sont là que des chiffres. La sécurité alimentaire ne se mesure pas
avec des chiffres ou des pourcentages, qui ne sont pas représentatifs de la
gravité possible de l'épidémie, notamment pour l'homme. La sécurité alimentaire
s'apprécie en fonction d'un risque possible et non certain : c'est là que
réside toute la difficulté, en particulier celle du discours et du choix
politiques.
Cependant, on le conçoit aisément, le consommateur ne peut qu'être gravement
préoccupé par une maladie encore largement mystérieuse, qui le concerne dans
son quotidien et qui s'inscrit dans un contexte d'alertes répétées, relatives
par exemple à la
listeria,
à la dioxine ou au boeuf aux hormones.
Face à cette situation, tout l'enjeu consiste à savoir comment agir de la
manière la plus adaptée possible, c'est-à-dire de façon efficace et
proportionnée.
Dans cette perspective, de nombreuses interrogations se posent et c'est leur
réponse qui nous permettra de tirer les leçons de la crise de la « vache folle
» et de mieux protéger nos concitoyens.
Mon propos s'articulera donc autour de trois axes : l'organisation du
dépistage, l'évolution de notre réglementation nationale, la gestion de crises
similaires au niveau européen.
Premièrement, le développement du test, rapidement et à grande échelle, est
très important, car il va permettre de garantir aux consommateurs que des
animaux infectés n'entrent pas dans la chaîne alimentaire.
Le test français mis au point par le Commissariat à l'énergie atomique paraît
particulièrement compétitif et sa sensibilité permet de pouvoir espérer une
détection des animaux infectés avant l'apparition des signes cliniques.
Deux décisions doivent maintenant être prises : d'une part, le passage à
l'application à grande échelle, par exemple à l'abattoir ; d'autre part, la
pratique d'un test sur des animaux vivants.
Dans cette perspective, le plan annoncé au mois de janvier par Mme Gillot doit
être opérationnel dans les plus brefs délais et devrait pouvoir s'appliquer à
l'ensemble des animaux abattus.
Nous pouvons encore améliorer notre système de traçabilité, d'information et
de protection du consommateur dans notre pays.
Sur ce point, j'aimerais poser plusieurs questions au Gouvernement.
Quelle réglementation pourrait être mise en place pour les produits dérivés,
tels la viande hachée ou les plats cuisinés ?
Quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux recommandations contenues
dans le rapport de M. Kourilsky et de Mme Viney sur le principe de précaution ?
Parmi les nombreuses suggestions intéressantes contenues dans ce rapport, je
retiendrai l'idée de l'élaboration d'un statut applicable aux experts ou encore
celle qui consiste à faire participer davantage le citoyen-consommateur à la
décision.
Si, dans le récent rapport qu'ils ont rédigé à la suite de la mission qu'ils
ont accomplie en France en mai-juin 1999, les vétérinaires européens ont émis
un
satisfecit
global sur notre structure de surveillance, ils n'en
dénoncent pas moins plusieurs faiblesses que nous pourrions utilement corriger.
Que compte répondre le Gouvernement aux recommandations émises par ces experts
vétérinaires ?
Enfin, c'est aujourd'hui une évidence de dire que la crise de la « vache folle
» a été une crise européenne. En réalité, plus fondamentalement, la
construction européenne et notre choix d'une intégration politique sont en jeu
: paradoxalement, du fait de la gravité de la crise, nous avons une chance à
saisir pour rendre l'Europe plus proche des citoyens ; à cette fin, l'Europe
doit s'engager résolument dans une politique de santé publique qui ne soit pas
considérée comme antinomique de la politique économique et qui soit expliquée à
tous les Européens.
L'actuelle Commission paraît très mobilisée sur ce sujet ; on ne peut que
partager sa volonté de mettre en place, à cours terme, une agence européenne de
la sécurité alimentaire ainsi que son objectif d'atteindre le niveau le plus
élevé possible de protection des consommateurs européens. Cependant, en
complément de cette initiative, plusieurs autres mesures pourraient être
arrêtées, et le plus vite serait le mieux.
Le fonctionnement de ce que l'on a appelé la « comitologie bruxelloise » -
notamment, le comité scientifique directeur - suscite notre inquiétude.
Pourquoi, par exemple, la Commission n'a-t-elle pas hésité à lever l'embargo
alors que, dès le 29 juillet 1999, elle avait connaissance du résultat des
tests suisses qui montrent que des animaux cliniquement sains mais infectés ont
pu entrer dans la chaîne alimentaire ? Plus fondamentalement, pourquoi ce
comité dispose-t-il de peu d'experts en maladies à prion ?
Est-il, d'autre part, raisonnable de continuer à dire que l'épidémie ne s'est
pas propagée à d'autres cheptels européens ? En dehors du Royaume-Uni, un
embargo strict a été décrété à l'égard des produits portugais, mais qu'en
est-il pour les autres pays ?
Il paraît donc urgent d'organiser un système de surveillance épidémiologique
ainsi qu'un système d'alerte efficace et contrôlé, au moins entre les pays de
l'Union européenne.
Enfin, sachant que l'alimentation est un facteur de transmission, n'est-il pas
temps d'harmoniser en Europe le mode de fabrication des farines animales ?
Pour conclure, je dirai que la crise de la « vache folle » a montré, dès le
début, la difficulté, éprouvée en particulier par le Gouvernement, à gérer des
situations complexes dans un contexte d'incertitude des analyses
scientifiques.
De nombreuses questions se posent encore aujourd'hui, mais elles ne doivent
pas nous empêcher d'agir pour la plus grande sûreté des consommateurs.
Prioritairement, il nous faut aller vite dans la détection de la maladie et
dans la recherche sur son mode de transmission.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi
que sur certaines travées du RDSE. - M. Le Cam applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décision
de maintenir l'embargo sur la viande de boeuf britannique a été une mesure de
prudence, conforme au principe de précaution.
Les incertitudes qui continuent à entourer le mode de transmission de l'ESB,
l'ignorance de l'ampleur des risques dans laquelle nous restons, les doutes sur
la possibilité d'assurer rapidement la traçabilité des produits originaires du
Royaume-Uni conduisaient à juger prématurée une levée de l'embargo dès la fin
de l'année dernière. Les consommateurs n'auraient pas compris que la libre
circulation des produits semble passer avant la recherche de la sécurité
sanitaire.
Nous pouvons d'ailleurs observer que l'Allemagne ne se hâte nullement de lever
l'embargo. Certes, le système fédéral permet à son Gouvernement d'assurer la
Grande-Bretagne de sa bonne volonté tandis que les Länder empêchent la levée de
l'embargo ; mais, en pratique, le résultat est le même : la viande britannique
ne peut pas plus pénétrer en Allemagne qu'en France.
En Grande-Bretagne même, le rapport sur l'ESB demandé par le Gouvernement, qui
devait être présenté à la fin mars, vient de faire l'objet d'un report de six
mois, ce qui montre bien qu'il n'est facile pour personne de faire le point sur
un sujet où les zones d'ombres sont aussi nombreuses.
Mais la position claire adoptée par la France lui donne aussi des
responsabilités. Nous ne pouvons demander à nos voisins ce que nous ne ferions
pas nous-mêmes.
Le lancement d'un programme national de dépistage est ainsi dans la logique de
notre position. Toutefois, nous ne devons pas ignorer les dangers
psychologiques qui y sont liés.
Logiquement, une campagne de dépistage ne devrait-elle pas être organisée à
l'échelon européen plutôt qu'à l'échelon national ? Si la France, après la
Suisse, est le seul pays à se lancer dans un tel programme, les comparaisons
risquent d'être faussées. Les pays qui n'auront pas fait le même effort de
vérité risquent d'apparaître comme des pays dont les produits seraient plus «
sûrs » que les nôtres.
De même, une harmonisation ne serait-elle pas souhaitable en ce qui concerne
les tests de détection, de manière que les résultats aient la même fiabilité
d'un pays à l'autre, à supposer naturellement que l'effort de dépistage
s'étende à l'ensemble de la Communauté ?
L'effort d'harmonisation devrait également s'étendre au classement des pays.
C'est à partir d'un ratio entre le cheptel et le nombre de cas d'ESB qu'il
convient de dire si un pays peut être considéré comme indemne et non en
raisonnant en termes bruts.
Soyons clairs : une campagne de dépistage a toutes les chances d'aboutir à la
découverte d'un nombre un peu plus important de cas d'ESB. C'est naturellement
une bonne chose en termes de santé publique, car le risque pourra être alors
mieux appréhendé et ainsi mieux maîtrisé ; encore faut-il que l'opinion soit
préparée, qu'elle soit correctement informée, ce qui suppose un effort de
communication.
Les médias ont le goût du sensationnel : pour éviter que des dérapages ne se
produisent, mieux vaut réfléchir par avance à une communication définie en
association avec tous les partenaires intéressés, la profession agricole, les
industriels, la distribution, de manière à adresser un message cohérent,
équilibré, évitant d'affoler sans raison les consommateurs.
La confiance des consommateurs passe par un effort de clarification et de
pédagogie. C'est évidemment difficile lorsque, comme c'est le cas pour l'ESB,
les incertitudes restent encore nombreuses. Mais du moins doit-il être possible
de mettre fin à certaines suspicions, comme celle qui entourent les
process
de fabrication - je précise bien
« process »,
monsieur le ministre
- dans la filière fromagère ; concernant la transmission verticale de la
maladie. Mieux vaut prendre les devants que de laisser circuler certaines
informations pouvant susciter des rumeurs.
Une clarification s'impose également en matière d'alimentation animale.
Les deux crises majeures que nous avons connues en matière de sécurité
alimentaire - l'ESB et la présence de dioxine dans des poulets - prennent
toutes deux leur source dans des problèmes concernant l'alimentation animale
et, plus précisément, dans l'utilisation pour l'élevage de coproduits, farines
et graisses animales. Doit-on continuer à autoriser cette utilisation ?
Certes, je le reconnais, l'interdiction des coproduits dans l'alimentation
animale serait une mesure coûteuse ; une estimation déjà ancienne en chiffrait
le coût annuel à 5 milliards de francs.
Non seulement le prix des produits de l'élevage augmenterait inévitablement,
avec des répercussions sur le consommateur, mais encore il serait nécessaire de
développer fortement les importations de protéines végétales, notamment de
tourteaux de soja, ce qui rendrait l'agriculture communautaire plus dépendante
de l'agriculture américaine.
Par ailleurs, la destruction pure et simple des coproduits aurait elle-même un
coût élevé, avec des incidences sur l'environnement. La compétitivité de
l'élevage français et européen se trouverait affectée par rapport à des
concurrents qui continueraient à recourir aux coproduits pour l'alimentation
animale, y compris pour leurs exportations vers l'Europe.
Ces objections ne peuvent être ignorées. Mais pouvons-nous prendre le risque
d'une nouvelle crise liée à l'alimentation animale ?
Dans le domaine alimentaire, la sensibilité des consommateurs est très vive.
Le rapport rendu public au début du mois de février par la Commission
européenne a de nouveau sensibilisé et troublé nos concitoyens : nous
aimerions, monsieur le ministre, recueillir votre sentiment sur ce point.
Des crises de confiance peuvent avoir des effets disproportionnés ; leur coût
final peut être très supérieur à celui des mesures de prévention même si, au
départ, ces dernières paraissent lourdes. Ne devons-nous pas, à l'égard des
farines animales, nous montrer aussi rigoureux qu'à l'égard des hormones de
croissance ?
Certes, s'il est scientifiquement et techniquement possible de continuer à
utiliser les farines animales dans l'alimentation des filières porcine et
avicole, encore faut-il que leur production et leur usage soient clairement
encadrés sur la base d'un cahier des charges précis et que les contrôles soient
effectifs et réguliers, car l'élimination des risques sanitaires est
incompatible avec une politique à géométrie variable.
Encore faut-il également que ce cahier des charges contraigne de la même
manière tous les producteurs européens et que les contrôles aient partout dans
la Communauté le même sérieux. Ces conditions ne sont-elles pas difficiles à
remplir ?
Nous savons que l'agence française de sécurité sanitaire des aliments,
l'AFSSA, a créé un groupe de travail sur l'alimentation animale. Sans doute
peut-on espérer que ses recherches apporteront bientôt des lumières
supplémentaires sur certains points.
Au demeurant, il paraît nécessaire que, dès que possible, le Gouvernement
prenne position une fois pour toutes sur ce sujet afin que les entreprises
sachent à quoi s'en tenir et que les consommateurs ne reçoivent pas des signaux
contradictoires à peu d'intervalle. Il faut qu'une attitude à la fois claire et
stable soit adoptée sur l'ensemble de l'alimentation de toutes les filières
animales.
La même exigence de transparence, s'accompagnant d'une information adaptée,
doit s'appliquer aux mesures concernant le retrait des matériels à risque
spécifié. Le durcissement des règles envisagé dans ce domaine à l'échelon
national est une mesure de prudence à laquelle nous souscrivons.
Il convient en même temps de bien la présenter aux consommateurs : elle doit
aboutir à renforcer la confiance et non à favoriser une suspicion généralisée à
l'égard de tout ce qui relève du « cinquième quartier ».
En un mot, il est nécessaire d'avoir une véritable gestion de la communication
s'inscrivant dans la durée et intégrant une totale cohérence entre les
ministères concernés de manière à éviter que la rigueur maximale que la France
doit s'imposer n'ait pour conséquence paradoxale de désorienter des
consommateurs insuffisamment informés.
Une dimension importante de l'effort de transparence et d'information est
manifestement la mise en place à l'échelon communautaire d'un système
d'étiquetage obligatoire comprenant l'ensemble des mentions pertinentes pour
éclairer le consommateur et assurer la traçabilité des produits.
Il y a sans doute de réelles difficultés techniques à mettre en place un
système fiable, effectivement appliqué dans toute la Communauté européenne.
Mais, compte tenu de l'importance de cet élément si nous voulons sortir un jour
de la crise actuelle, il est malgré tout préoccupant de voir les négociations
progresser si lentement et prendre une direction peu satisfaisante.
Si l'on doit s'orienter provisoirement vers un étiquetage obligatoire minimal
et attendre plusieurs années pour voir se mettre en place un système répondant
vraiment aux besoins, comment espérer surmonter les problèmes actuels dans des
délais raisonnables ? Pourriez-vous nous expliquer, monsieur le ministre, les
raisons qui empêchent d'avancer plus rapidement dans ce domaine ?
Avant de conclure, je souhaiterais évoquer le problème posé par le régime
fiscal des indemnisations perçues par les producteurs dont le troupeau entier
doit être abattu lorsqu'un des bovins s'est révélé atteint par l'ESB. Nous
devons veiller à bien adapter ce régime aux problèmes des éleveurs qui vont
devoir reconstituer leur troupeau. Je ne plaide pas pour une exonération
fiscale complète, qui serait, j'en conviens, difficile à justifier. Mais un
aménagement du régime fiscal de ces indemnisations aurait l'avantage
d'introduire une certaine souplesse dans la gestion financière d'un événement
dont il est parfois difficile d'estimer l'ampleur.
En conclusion, je voudrais surtout souligner que la crise de l'ESB et les
nouveaux développements qu'elle a connus l'année dernière appellent une
politique de longue haleine, qui doit être comprise par les consommateurs et
concertée avec l'ensemble des professionnels du secteur. Il s'agit de
construire ou de reconstruire une relation de confiance, dans un climat de
transparence et de rigueur.
Dans un domaine où les rumeurs alarmantes et les simplifications abusives sont
chose facile, définir et surtout maintenir une telle politique ne sera pas
chose aisée. Mais, compte tenu de la décision que nous avons prise à juste
raison de maintenir l'embargo sur la viande britannique, nous sommes condamnés
à nous montrer paticulièrement irréprochables. Ce faisant, nous contribuerons à
ce que la production européenne devienne synonyme de qualité, ce qui me paraît
être le meilleur gage de son avenir.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Le Cam
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens,
tout d'abord, à me féliciter de l'organisation de ce débat concernant
l'épidémie de l'encéphalopathie spongiforme bovine tant les questions liées à
la sécurité alimentaire et à la qualité des produits destinés à la consommation
sont de plus en plus des enjeux majeurs pour notre société.
L'épidémie de listériose, dont le Gouvernement a révéler l'ampleur tragique il
y a quelques jours, montre une fois de plus qu'il devient urgent de renforcer
les mesures de prévention, les contrôles, le cas échéant les sanctions, et
l'information des consommateurs à tous les stades des filières : production,
transformation, distribution et commercialisation.
En tout état de cause, les différentes crises alimentaires et sanitaires qui
ont frappé notre pays depuis plus de dix ans, et particulièrement au cours de
ces derniers mois, illustrent l'échec d'un modèle d'agriculture intensif,
productiviste, qui privilégie la rentabilité immédiate sur les considérations
humaines et environnementales, modèle où l'agriculteur se trouve souvent
instrumentalisé par les fournisseurs, les intégrateurs, les grands groupes de
l'
agro-business,
et où il ne maîtrise pas toujours les intrants
proposés.
De ce point de vue, je ne suis pas convaincu que nous ayons tiré toutes les
leçons de la crise de la « vache folle ». Si, partout en Europe, dans des
proportions certes différentes selon les pays, on a cherché à améliorer les
techniques de dépistage des cas d'ESB, force est de constater que l'élevage
intensif, la recherche des techniques permettant de réduire au-delà du
raisonnable les cycles de production, la course effrénée à la baisse des prix,
pour s'aligner sur les cours mondiaux, continuent d'avoir leurs adeptes, malgré
les dérives régulièrement constatées depuis plusieurs années.
A l'évidence, la décision prise en 1990 d'interdire le recours, pour
l'alimentation des bovins, à des farines animales ne peut suffire à remettre en
cause la logique d'un système productiviste qui a conduit les producteurs
anglais et européens à nourrir leur bétail de façon à en accélérer la
croissance. De même, la décision de l'Union européenne - après la France -
d'instaurer, en mars 1996, un embargo sur le boeuf britannique ne peut suffire
à se prémunir durablement contre les effets d'une libéralisation des échanges
qui a facilité une circulation sans entrave de produits contaminés et
potentiellement dangereux.
Or les réformes successives de la politique agricole commune de 1992 et de
1999, qui ont abouti à une baisse des prix garantis sur la viande bovine et les
produits laitiers, incitent les agriculteurs à réduire leurs coûts de
production et donc à privilégier des méthodes intensives.
S'il doit exister, au niveau européen, une réelle volonté de garantir aux
consommateurs, autant que faire se peut, des produits sans danger pour leur
santé, cela passe obligatoirement par la garantie, pour les producteurs
eux-mêmes, d'un pouvoir d'achat suffisant à partir de prix rémunérateurs.
C'est pourquoi j'éprouve quelques inquiétudes lorsque j'entends parler d'une
nécessaire culture du risque dans le domaine alimentaire, alors que, dans le
même temps, on élude sciemment le besoin ressenti, tant par les consommateurs
que par les producteurs, de mettre fin aux excès du productivisme agricole.
Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de revenir à je ne sais quel âge d'or
de l'agriculture, ce qui aurait pour effet d'accroître notre dépendance
alimentaire ; il s'agit, dans notre esprit, de promouvoir et de soutenir un
type d'exploitation à dimension humaine, en favorisant l'installation des
jeunes, en facilitant la transmission des biens agricoles et en décourageant
l'extension des grandes exploitations.
Une agriculture plus soucieuse de l'environnement et de l'aménagement du
territoire, à même d'assurer un revenu décent aux exploitants, n'est-elle pas
le meilleur gage - même si ce n'est pas le seul - d'une alimentation saine et
de qualité ?
Si chacun peut convenir que le « risque zéro » n'existe pas, encore faut-il
s'assurer que l'ensemble des moyens scientifiques, humains, financiers et
techniques sont mis en oeuvre pour limiter l'insécurité sanitaire et
alimentaire.
Or, là encore, l'attitude de la Commission de Bruxelles dans le traitement de
la crise est des plus contestables. Au-delà des négligences dont elle s'est
rendue coupable dès le début de la crise et qui aboutissent à sacrifier les
objectifs de santé publique sur l'autel du marché unique, il est permis de
penser que, depuis le 1er octobre dernier, date à laquelle a été décidée la
levée de l'embargo sur la viande bovine britannique, la Commission européenne
n'a pas contribué, tout au contraire, à favoriser une sortie de la crise par le
haut.
En l'espèce, il s'agit non pas seulement de dénoncer les insuffisances de
Bruxelles, mais aussi, plus globalement, de s'interroger sur les fondements de
la construction européenne, qui interdit à un pays de faire valoir le principe
de précaution alors même que des incertitudes sérieuses et fondées demeurent
sur les conséquences néfastes, pour les consommateurs, d'une décision.
En effet, alors que les gouvernements français et britannique ont tenté, à
plusieurs reprises, de trouver des solutions permettant d'obtenir des
assurances sur les contrôles effectués outre-Manche, la Commission de Bruxelles
n'a eu de cesse d'attiser les oppositions et de contraindre la France à
l'isolement.
Comment comprendre autrement les attaques répétées de la Commission européenne
à l'encontre de la France, notamment par le biais de la mise en cause de notre
système de dépistage, alors qu'elle-même rejetait, voilà six mois, la
proposition française d'interdire l'utilisation des farines animales et
préconisait de reporter à 2003 l'instauration de l'étiquetage obligatoire ?
Aussi faut-il se féliciter de la position du Gouvernement français qui, sans
se laisser enfermer dans une stérile rivalité franco-britannique, a su résister
aux offensives de la Commission, en prenant le risque d'une mise en demeure par
la Cour de justice des Communautés européennes.
A ce jour, tout porte à croire que la France a eu raison de se démarquer de
ses partenaires et de faire valoir, en la matière, le principe de subsidiarité.
En effet, différents éléments, tels que la découverte récente d'une deuxième
victime française de la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou la
révélation d'une étude de spécialistes américains et écossais attestant la
transmission probable de la maladie de la « vache folle » à l'homme, ne peuvent
que conforter la position de fermeté prise par la France et rendre crédibles
les recommandations de l'AFSSA.
Les auteurs de cette même étude appelaient en outre l'Europe à ne pas
sous-estimer l'ampleur de la crise sanitaire et à réviser ses procédures
d'expertises. Et un conseiller du gouvernement britannique déclarait il y a peu
que plusieurs centaines de milliers de personnes pourraient être concernées par
l'épidémie de l'ESB.
Lorsqu'on sait enfin que la France était, avant l'embargo, le principal
importateur des bovins d'outre-Manche, il paraît légitime pour la France
d'opposer le principe de précaution à la libre circulation des marchandises,
quitte, si nécessaire, à remettre en cause les traités européens.
Du reste, le ralliement escompté de l'Allemagne peut constituer, pour le
Gouvernement, un soutien précieux dans ses démarches et son combat en faveur de
la santé des consommateurs.
Le refus de lever l'embargo, s'il doit être maintenu, n'est cependant pas, à
lui seul, de nature à rassurer pleinement nos concitoyens sur la filière bovine
française. De lourdes interrogations demeurent en effet.
Ainsi, comment expliquer le nombre toujours important de cas de vache folle en
France, et qui concernent pour l'essentiel des bovins nés après l'interdiction
des farines ? A l'évidence, la transmission maternelle, d'une part, et les
contaminations croisées accidentelles à partir de farines destinées aux
volailles et aux porcs, d'autre part, ne sont pas des explications
suffisantes.
A ce sujet, monsieur le ministre, a-t-on mesuré l'importance des entrées de
farines britanniques sur notre territoire entre 1990 et 1996 en dépit de la
réglementation ?
L'interdiction totale des farines animales ne doit-elle pas être sérieusement
envisagée, puisqu'il est aujourd'hui avéré qu'elles sont à l'origine de
l'épidémie ? Une telle interdiction suppose que soit, en contrepartie,
développée sur notre sol la production de protéines végétales à partir du maïs
ou du soja si l'on souhaite limiter le recours aux céréales d'origine
américaine, qui présentent elles-mêmes des risques potentiels.
A tout le moins, des moyens financiers doivent être débloqués au plus vite
pour renforcer nos connaissances sur le degré de nocivité de ces farines, sur
l'évolution des maladies à prion, sur leurs modes de transmission de l'animal à
l'homme et entre espèces animales. Ne faudrait-il pas, à cet égard, remettre en
cause l'épandage de déjections de volailles ou de porcs sur des sols où
pâturent des bovins ?
Ces efforts pourraient être prioritairement consentis par l'Union européenne.
La présidence française, au cours du second semestre de cette année, doit
permettre d'accélérer ce processus.
Nous soutenons, quant à nous, l'idée d'une agence européenne de sécurité
sanitaire et alimentaire qui aurait pour vocation non pas de se substituer aux
instances nationales, mais de favoriser, entre les Etats membres, une
coordination et une harmonisation des contrôles, des expertises et des systèmes
d'alerte, dans le respect des prérogatives de chaque Etat.
Par ailleurs, le système d'étiquetage des bovins à l'aide de boucles
auriculaires ne mérite-t-il pas d'être amélioré ou complété dès lors que, comme
l'indique une récente enquête du journal
l'Humanité,
ce procédé est,
Jean-Marc Pastor l'a déjà dit, aisément falsifiable et interchangeable ?
Enfin, ne conviendrait-il pas que la traçabilité, qui permet de connaître le
nom de l'éleveur ou de l'engraisseur, le lieu de naissance et l'âge de
l'animal, intègre également le type d'alimentation fournie à celui-ci ? Cette
pratique permettrait d'épargner à une partie des éleveurs certains effets de la
crise, qui frappe de façon uniforme l'ensemble des producteurs, y compris ceux
qui élèvent leurs bovins à l'herbe. Ces derniers pourraient ainsi retrouver la
confiance du consommateur.
Il convient de rappeler à ce propos que la traçabilité occasionne un surcroît
de travail non négligeable pour les éleveurs. La traçabilité serait donc
encouragée par une élévation des cours.
En conclusion, il me semble que l'opacité dans le secteur de
l'agro-alimentaire ou la rétention d'informations - pratiques qui ont trop
longtemps prévalu dès l'apparition de toutes les épidémies - vont à l'opposé
des exigences des consommateurs, qui sont aussi des citoyens et ont le droit de
connaître les risques qu'ils courent. Peut-on prétendre favoriser une « culture
du risque » en infantilisant ou en déresponsabilisant les consommateurs ? Je ne
le crois pas !
La transparence doit permettre, à l'inverse, de réconcilier durablement
producteurs et consommateurs, dont les préoccupations peuvent converger, et de
responsabiliser l'ensemble des acteurs de la filière agro-alimentaire,
notamment la grande distribution, qui contraint les producteurs à brader leurs
produits, sans que les consommateurs y gagnent.
La façon dont l'Europe saura gérer cette crise dépend aussi, pour une part, de
l'issue des négociations internationales de l'OMC qui nous opposent aux
Etats-Unis. Si l'Union accepte aujourd'hui que, sur son territoire, circulent
des produits qui comportent un risque reconnu pour la santé humaine, quels
arguments pourrons-nous faire valoir pour, demain, interdire l'importation de
boeufs hormonés et de produits génétiquement modifiés ?
Il est donc indispendable - et je rejoins ici le souci manifesté par M. Haenel
dans sa question - qu'à l'occasion de cette crise l'Europe sache donner du
contenu au principe de précaution et mettre celui-ci en oeuvre si l'on souhaite
le voir triompher parmi les règles du commerce mondial.
C'est pourquoi je pense que la position de la France, loin d'être une affaire
franco-française, sera utile à toute l'Europe et même au-delà.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes. - M. Haenel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président
de la délégation à l'Union européenne a souhaité, avec raison, que nous
débattions aujourd'hui des modalités de mise en place d'une plus grande sûreté
alimentaire au niveau communautaire. La crise dite de la « vache folle » en est
la motivation majeure. Je me réjouis que nous ayons ainsi l'occasion d'exprimer
les inquiétudes de nos concitoyens et de chercher ensemble des solutions.
Je ne reviendrai sur l'actualité préoccupante des cas de listériose que pour
rappeler que nous avons, à l'évidence, une obligation de résultat quant à la
diminution des risques alimentaires.
Quel que soit le domaine, la notion de risque est un élément de la vie
quotidienne. Il n'y a pas de risque zéro ! Toutefois, si l'on ne peut imaginer
d'alimentation, de pratique sportive ou de conduite automobile avec un risque
nul, certains risques peuvent être évités ou, en tout cas, fortement diminués.
C'est sur cette marge que nous devons travailler et améliorer la sécurité.
Dans la logique du marché unique, la question de la sûreté alimentaire relève
du domaine communautaire. C'est bien dans ce cadre que les solutions doivent
être recherchées. Le principe de subsidiarité, auquel nous sommes tous
attachés, peut et doit être appliqué ici, mais simplement et avec bon sens.
La crise de l'ESB, qui préoccupe les citoyens de l'Union européenne depuis
plus de quatre années, est significative. Elle témoigne de la difficulté des
Etats membres à gérer une grave crise dans un esprit communautaire.
Monsieur le ministre, nous regrettons tous, je pense, le durcissement des
relations entre la France et la Grande-Bretagne - non pas uniquement sur les
terrains de rugby !
(Sourires)
- qui se caractérise, d'un côté, par le
maintien de l'embargo, de l'autre, par des mesures de rétorsion.
Le principe de précaution est sage, parce qu'il y a doute, mais il est
statique.
Je sais que la demande d'étiquetage précis mentionnant l'origine britannique
de la viande est au coeur des négociations actuelles. Le Gouvernement français
s'engage-t-il, si la Grande-Bretagne accepte l'étiquetage, à lever l'embargo,
ou conditionne-t-il cette levée à d'autres exigences ?
La mise en place de cet étiquetage justifierait, me semble-t-il, la levée.
D'une part, elle permettrait de respecter les règles de la libre circulation
des produits à l'intérieur de l'espace communautaire. D'autre part, elle
responsabiliserait les citoyens français, qui pourraient choisir en toute
connaissance des risques. De surcroît, si l'on raisonne en termes d'échanges
commerciaux, cette mesure mettrait fin aux mesures de rétorsion qui nous ont
été préjudiciables et ont affecté les relations entre nos deux pays.
Au demeurant, dans les pays n'ayant pas mis en place d'embargo, les
consommateurs ont fait preuve de la plus absolue des prudences, et les ventes
de viande bovine britannique y ont été quasi nulles.
Il s'agit de sûreté alimentaire et de santé, mais c'est également toute
l'organisation du secteur agro-alimentaire national qui est en jeu.
Monsieur le ministre, les sorties du circuit alimentaire réglementé, avec les
risques qu'elles comportent, sont réelles. Dans mon département, comme sans
doute dans le vôtre, certains habitants commencent à s'organiser pour être sûrs
de l'origine et de la qualité de la viande : connaissant des éleveurs fiables,
ils leur achètent à plusieurs un veau, ou un porc, et contournent ainsi les
bouchers.
Ce risque d'un retour à l'autarcie sans contrôle vétérinaire, paradoxal,
soulignons-le, à l'heure de la mondialisation, démontre que nous devons
d'urgence trouver les moyens de rassurer les consommateurs, en particulier les
parents, qui craignent pour leurs enfants.
Monsieur le ministre, le 18 novembre dernier, dans une question écrite,
j'avais attiré votre attention sur la mise en place d'une traçabilité
rigoureuse des OGM aux échelons communautaire et français.
Aujourd'hui, cette question se pose non pas uniquement pour le boeuf
britannique mais aussi pour l'ensemble des produits alimentaires. Nous devons
être favorables à la création d'une autorité européenne indépendante en matière
de sûreté alimentaire. Néanmoins, les politiques ne doivent pas uniquement se
reposer sur les techniciens et déléguer leurs responsabilités. Nous devons donc
également décider de mettre en place une traçabilité systématique des produits,
matérialisée par un étiquetage précisant obligatoirement les différentes étapes
de transformation.
Je n'ignore pas les dificultés techniques d'une telle proposition. Il s'agit
d'un chantier important, à en juger par l'âpreté des négociations pour parvenir
à un accord sur l'étiquetage du seul chocolat.
Les enjeux économiques sont importants. La France aura-t-elle avantage à cette
mise en place ? A première vue, cet étiquetage systématique pourrait sembler
pénalisant, étant donné la spécificité et la diversité de nos produits, tels
que nos fromages non pasteurisés ou nos charcuteries. Cependant, cette
traçabilité systématique permettra sans doute de garantir la fiabilité de nos
produits, reconnus pour leur saveur, et de préserver leur notoriété.
Prenons l'exemple bien connu du foie gras. A ce jour, il est possible de
trouver des foies « origine Sud-Ouest » alors que seule la mise en conserve a
été réalisée dans cette région. L'ambiguïté est totale pour le consommateur,
qui est dupé. Il n'y a qu'une solution : préciser les différents stades de la
transformation, et donc indiquer la zone d'élevage de l'oie ou du canard, sa
nourriture, le lieu d'abattage et le lieu de mise en conserve. Ainsi le
consommateur pourra-t-il faire la différence et choisir en toute clarté, en
toute sécurité.
Monsieur le ministre, je vous demande de prendre au nom de la France une
initiative forte. Ainsi, au prochain conseil des ministres de l'agriculture des
20 et 21 mars, défendrez-vous le principe d'un étiquetage obligatoire précisant
les différentes étapes de fabrication de tout produit alimentaire ?
Demanderez-vous qu'une proposition en ce sens soit soumise au conseil par la
Commission européenne, et qu'elle le soit dans les meilleurs délais ?
Cette décision aura une incidence sur le futur de notre industrie
agroalimentaire mais sera aussi la réponse aux inquiétudes de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis, moi aussi, de l'occasion qui
nous est donnée, grâce à ce débat, de faire ensemble le point sur le difficile
problème de l'ESB et de la crise de la vache folle. Dans vos interventions,
tout à la fois sérieuses et intéressantes, vous avez soulevé nombre de
questions auxquelles je vais m'efforcer de répondre franchement.
La sécurité sanitaire des aliments est une légitime attente du consommateur,
qui s'exprime puissamment jour après jour, et, en la matière, les pouvoirs
publics ont une incontournable responsabilité.
Face à cette double réalité de l'attente des consommateurs et de la
responsabilité des pouvoirs publics, le Parlement a décidé, voilà deux ans, de
rénover le dispositif national d'évaluation des risques en créant l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments et le comité national de sécurité
sanitaire.
Il est d'ailleurs opportun que notre débat ait lieu aujourd'hui : nous sommes
au terme, ou presque, de la première année d'existence de l'AFSSA, ce qui m'a
donné l'occasion de faire, tôt ce matin, le point avec son directeur général ;
hier, le comité national de sécurité sanitaire faisait lui-même le point sur
divers sujets, dont ceux que nous évoquons ce matin.
L'action doit bien sûr s'inscrire dans la durée, et elle doit encore être
améliorée mais, d'ores et déjà, le dispositif a fait la preuve de sa pertinence
et de son efficacité. Je me réjouis de constater les effets positifs de la
décision du Parlement de créer une agence indépendante de l'évaluation des
risques, qui a su asseoir sa crédibilité : elle est aujourd'hui reconnue,
nationalement et même internationalement, pour sa capacité de conseil et
d'évaluation des risques alimentaires.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Pour ce qui concerne le cas
plus particulier qui nous préoccupe, celui de l'encéphalopathie spongiforme
bovine, l'ESB, l'évaluation et la gestion du risque sont évolutives dans la
mesure où la connaissance scientifique sur le sujet, encore largement
insuffisante, est en pleine évolution. Le risque n'en est que plus difficile à
appréhender.
Je ne prendrai qu'un exemple parmi plusieurs, celui des voies de
transmission.
Aujourd'hui, deux voies de transmission de l'ESB sont couramment admises : la
voie alimentaire et la voie naturelle de la vache au veau. Toutefois, les
scientifiques n'excluent pas totalement la possibilité d'une troisième voie de
transmission, et nous sommes obligés de tenir compte de cette interrogation,
qui pèse beaucoup dans la gestion du risque.
Il est donc nécessaire - et c'est la première conclusion - de maintenir et
même de développer les recherches sur l'ESB.
Le Gouvernement s'était engagé à élaborer un programme de recherches, en
étroite collaboration entre le secrétariat d'Etat à la santé et à l'action
sociale, le ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de
technologie et le ministère de l'agriculture et de la pêche. Ce programme de
recherches se poursuit à un haut niveau, avec pour objectif d'éliminer le plus
vite possible les zones d'incertitude.
A ces données - attente des consommateurs, responsabilité des pouvoirs
publics, dispositifs rénovés et connaissance scientifique évolutive - il faut
en ajouter une autre : la mutation que connaît actuellement, en France et en
Europe, l'agriculture.
L'agriculture abandonne progressivement la course au productivisme, lequel a
eu son utilité dans le passé - pour devenir une agriculture plus citoyenne,
plus respectueuse de l'environnement et, surtout, plus soucieuse de la qualité
des produits, de leur traçabilité et de la sécurité alimentaire. Or cette
démarche, qui est d'ailleurs largement encouragée par la loi d'orientation
agricole adoptée l'an dernier par le Sénat, facilite l'action politique.
Je vais maintenant aborder les divers aspects du problème, en commençant par
la levée de l'embargo, que vous avez, les uns et les autres, cité comme un
élément déterminant.
Quand la France a refusé, l'an dernier, de lever l'embargo sur le boeuf
britannique, elle l'a fait sur le fondement d'un avis scientifique de l'AFSSA.
Cependant, si l'AFSSA a évalué le risque, c'est le Gouvernement qui l'a géré.
Cette distinction entre l'évaluation du risque, confiée à un organisme
indépendant, et sa gestion, qui, dans une démocratie, doit rester de la
responsabilité du gouvernement, est fondamentale : au cours de l'évolution de
l'AFSSA dans notre « paysage » administratif et politique, la frontière devra
être mieux établie. Les scientifiques évaluent le risque, mais il appartient
aux responsables politiques, je le répète, de le gérer et de prendre les
décisions.
Quand nous avons pris la décision de ne pas lever l'embargo, nous avons
évidemment pris en compte l'évaluation du risque faite par l'AFSSA, mais, en
conscience, nous avons dû intégrer d'autres éléments : des éléments juridiques,
tels que le risque d'être traduits devant la Cour de justice européenne, et des
éléments de caractère économique, que certains d'entre vous ont évoqués, à
savoir le risque d'une tension commerciale avec le Royaume-Uni et de mesures de
rétorsion éventuelles.
Ces éléments, nous avons dû les intégrer, même si, au bout du compte, ils
n'ont pesé que peu de poids dans la décision de maintenir l'embargo.
Lorsque nous avons pris cette décision, nous avons émis certaines conditions
susceptibles, si elles étaient réunies, de permettre la levée de l'embargo.
Notamment, et je réponds précisément à M. de Montesquiou - il nous semblait
qu'au moins deux critères supplémentaires devaient être remplis, à savoir la
mise en oeuvre de test, et l'étiquetage obligatoire.
Des tests sont en effet disponibles maintenant, sur le marché, ils n'existent
que depuis quelques semaines, mais peuvent être produits de manière
industrielle. Nous demandons donc à l'Union européenne de décider leur mise en
oeuvre à grande échelle, c'est-à-dire pas seulement en France et en
Grande-Bretagne, mais sur l'ensemble du territoire européen - pour que cette
mise en oeuvre soit pertinente, il faut en effet pouvoir atteindre toutes les
régions touchées - et suivant des protocoles unanimement reconnus par les
scientifiques.
La Commission s'engage dans cette voie d'une manière qui ne saurait recueillir
notre accord à ce stade, du fait des réticences de certains Etats, dont
l'attitude peut se résumer par l'expression : « Circulez, y'a rien à voir ! »
Ces Etats qui affirment n'être pas touchés par l'ESB sont évidemment réticents
à une mise en oeuvre à grande échelle de tests sur leurs cheptels qui
pourraient contredire cette formation, et ils s'efforcent d'ôter toute
pertinence scientifique à ce programme, en faisant porter celui-ci sur des
échantillons quantitatifs et qualitatifs qui ne sont pas pertinents en termes
scientifiques.
Certes, les discussions se poursuivent, mais, même si la Commission européenne
est favorable à la mise en place de tests, il est à craindre que celle-ci ne
soit pas assez large.
Quant à l'étiquetage, nous avons en effet demandé l'adoption d'une règle
communautaire. Je vais répondre précisément à une véritable interrogation, car,
d'une certaine manière, ce ne sont pas les Britanniques qui sont en cause,
c'est l'Europe.
Les Britanniques sont persuadés que leur viande est la meilleure et la plus
sûre du monde. Ce n'est donc pas un problème pour eux de l'exporter avec
l'étiquette « viande britannique », et l'on pourrait facilement s'entendre avec
eux. Nous, ce que nous voulons, c'est nous prémunir contre le commerce
triangulaire. On peut par exemple imaginer que le Royaume-Uni exporte son boeuf
vers les Pays-Bas, que les Néerlandais retirent l'étiquette et réexportent la
viande en France. Nous n'aurions alors aucune garantie sur son origine.
Il est donc nécessaire d'arrêter une règle européenne pour éviter toute dérive
en cas de commerce triangulaire,...
M. André Rouvière.
Très bien !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
... ce qui m'amène à la mise en
place au niveau communautaire d'un système d'étiquetage obligatoire.
Ce système, décidé en avril 1997, devait être mis en oeuvre au 1er janvier
2000, mais, lorsque ce sujet a été abordé au conseil de l'agriculture européen
au cours du dernier trimestre de 1999, je me suis trouvé très isolé pour
demander le respect de cette échéance, tellement isolé que l'échéance est
passée et que la mise en oeuvre de ce texte a été repoussée... à une date
ultérieure !
Dans un premier temps, la Commission avait demandé un report à 2002, voire à
2003. Mais, devant la très forte résistance de la France que j'ai exprimée, il
a été accepté de mettre en oeuvre l'étiquetage obligatoire de la viande bovine
au 1er janvier 2001. Puis, grâce, non pas à un miracle, mais au jeu
démocratique au sein des institutions européennes, la situation a évolué : le
Parlement européen a refusé, et, pour la première fois dans son histoire, sa
présidente a saisi le conseil agricole européen d'un fax dans lequel il lui
était reproché, s'agissant d'un processus de codécision, de prendre une
décision de report de l'étiquetage obligatoire de la viande bovine contraire au
souhait du Parlement européen, qui lui demandait donc de remettre en cause
cette décision.
Le Conseil agricole européen suivant a tenu compte de la pression du Parlement
: à nouveau saisi du dossier, il a avancé la date de la mise en place de
l'étiquetage obligatoire au 1er septembre 2000.
Les choses avancent donc. Je me suis publiquement réjoui de cette pression du
Parlement européen, qui va dans le sens souhaité par la France. Je me suis
réjoui que le processus ait été accéléré. Mais, bien entendu, il faut veiller
au grain, afin que la date fixée pour l'étiquetage obligatoire de la viande
bovine en Europe soit bien le 1er septembre 2000 et qu'il s'agisse d'un
véritable étiquetage, affichant une vraie traçabilité, c'est-à-dire qui précise
à la fois le lieu de naissance, le lieu d'élevage et le lieu d'abattage. Cette
étiquetage ne doit pas être vidé de sa substance, ce que certains demandent.
Ils souhaitent en effet un faux étiquetage... une fausse bonne idée, si j'ose
dire.
Ce travail est en cours. La pression exercée par la France est, grâce au
Parlement européen, plus forte.
Cela me conduit à dire quelques mots sur les expérimentations en cours, et
notamment sur l'identification électronique, monsieur Pastor.
Ce type d'identification - et plusieurs départements français ont contribué à
cette expérience - est en fin d'expérimentation et nous en aurons les résultats
dans les prochains mois.
Au passage, je souhaiterais apporter quelques précisions sur la fraude
généralisée qui afficherait l'étiquetage par le « trafic de boucles ».
Ces boucles que vous voyez aux oreilles de nos bovins sont testées par
l'Institut français de l'élevage. Elles sont solides. Quand elles sont
arrachées - on peut toujours imaginer une fraude - leur réutilisation sur un
autre bovin les fragilise et elles tiennent moins bien. J'ajoute que ces
boucles ne constituent qu'un des éléments de la traçabilité parmi d'autres,
notamment le passeport et le fichier national des données de l'élevage. Ce
système nous permet de croiser les informations et, éventuellement, de déceler
la fraude.
J'en viens au contexte européen dans lequel nous évoluons. Nous fondons
beaucoup d'espoirs sur l'évolution du paysage européen, notamment sur les
propositions faites par la Commission, dans l'optique du Livre blanc, de mettre
en place, à l'échelon communautaire, une autorité alimentaire européenne. A cet
égard, un certain nombre de questions restent encore en suspens, s'agissant
notamment de la saisine de cette autorité. Sera-t-elle de la seule
responsabilité de la Commission européenne, ou existera-t-il des possibilités
d'autosaisine ? Par ailleurs, comment la coordination entre l'autorité
alimentaire européenne et les agences nationales existantes, par exemple la
nôtre, sera-t-elle assurée ?
Je voudrais indiquer que, à ce stade, la France est d'autant plus favorable à
la création de cet organisme que c'est elle qui l'a proposée l'année dernière
par la voix de M. Bernard Kouchner, qui était alors secrétaire d'Etat à la
santé et à l'action sociale, et qui avait exprimé, au nom de la France, notre
souhait d'avancer sur ce dossier.
En attendant, la France s'impose à elle-même des mesures et essaie de
progresser dans la voie d'une plus grande rigueur et d'une plus grande sécurité
alimentaire.
Je reviens à la question des tests puisque, en attendant les décisions
européennes en cette matière, nous avons décidé de mettre en oeuvre dans les
toutes prochaines semaines un programme de 40 000 tests. A ce propos, nous
attendons l'avis du « comité Dormont » de l'AFSSA, spécialisé dans l'étude de
l'ESB et qui avait d'ailleurs été créé avant celle-ci, qui doit nous remettre
un protocole d'échantillonnage. En effet, comme je vous l'ai expliqué tout à
l'heure, nous ne voulons pas que ces tests soient une sorte de « poudre aux
yeux » destinée à rassurer l'opinion, nous souhaitons qu'ils nous permettent de
travailler scrupuleusement et rigoureusement, sur le plan scientifique, à la
connaissance de la maladie.
Ces tests auront deux objectifs. Le premier, c'est un objectif quantitatif de
meilleure évaluation de l'ampleur de l'épidémie, qui devra sans doute être
revue à la hausse, car nous allons forcément découvrir des cas qui n'auront pas
encore été déclarés. Le second, c'est un objectif qualitatif de connaissance de
cette maladie, notamment quant à l'éventuelle troisième voie de
transmission.
Donc, nous voulons que ces tests soient pertinents sur le plan scientifique et
nous attendons du comité Dormont qu'il nous fournisse en quelque sorte un
cahier des charges scientifique pour ces tests.
Evidemment, ce programme aura plus de pertinence scientifique si l'on fait
porter ces tests sur des cheptels à risque - par exemple les animaux morts dans
des conditions inconnues - ainsi que sur des régions à risque. En effet, il est
plus pertinent d'aller rechercher les cas d'ESB dans les cheptels localisés
dans des département qui ont connu plusieurs cas, voire plusieurs dizaines de
cas, que dans d'autres départements - que je connais bien par ailleurs - où il
n'y a pas eu un seul cas.
Il faut donc que ce protocole soit géographiquement et techniquement
pertinent. Nous avons fait le point hier, en comité national de sécurité
sanitaire. Ce protocole devrait aboutir d'ici à une semaine ; il sera transmis
et nous nous mettrons en marche.
D'ores et déjà, un groupe de travail interministériel prépare la mise en
oeuvre de ces tests, qui sera lourde financièrement, lourde techniquement et
lourde, je me permets de vous le dire, mesdames, messieurs les sénateurs, en
termes de communication bref, lourde à tous égards.
Elle sera lourde techniquement car un test, en l'occurrence, c'est un
prélèvement sur le système nerveux central, c'est-à-dire sur le cerveau. Autant
dire que cela ne peut pas être fait par n'importe qui : ce prélèvement doit
être réalisé par des vétérinaires, dans des conditions particulières. Donc, 40
000 tests, cela veut dire 40 000 manipulations précises.
La mise en oeuvre de ces tests sera également lourde financièrement. Pas
tellement au niveau du coût, d'autant que, compte tenu de l'appel d'offres
international que nous allons obligatoirement lancer pour départager les trois
tests existants - à savoir le test irlandais, dénommé « Enfer », le test suisse
- le Prionics - et le test français qui n'a pas encore de nom mais qui est issu
du CEA et de la concurrence ainsi créée, les coûts sont en train de baisser.
Mais si la mise en oeuvre de ces tests révèles des cas de « vache folle », nous
devrons en tirer les mêmes conclusions qu'aujourd'hui, c'est-à-dire abattre le
troupeau et indemniser l'éleveur concerné. Cela représente, par rapport au
budget initial du ministère de l'agriculture que je vous avais présenté, un
surcoût qui pourrait, en fonction des résultats des tests, osciller entre 120
millions et 180 millions de francs.
Quand pourrons-nous pratiquer un test de manière systématique sur tous les
animaux abattus ? Cela me paraît aujourd'hui, et de l'avis des scientifiques, à
la fois très lourd et illusoire du point de vue de la sécurité sanitaire.
Selon les scientifiques, ces tests qui sont fiables, ne révèlent pas
systématiquement la maladie. En effet, ils ne permettent de la déceler que sur
une période donnée, de quelques mois. Ils permettront, certes, une meilleure
approche puisque, aujourd'hui, on attend que la maladie soit déclarée.
Toutefois, cette approche ne sera pas suffisamment pertinente.
Il ne faut pas ériger une fausse barrière de sécurité pour les consommateurs.
Il ne faut pas faire croire que l'instauration de tests garantirait
systématiquement la sécurité sanitaire de la viande. Nous devons disposer de la
meilleure connaissance possible sans pour autant semer des illusions.
En revanche, toujours selon les scientifiques, c'est sur l'utilisation des
matériels à risque spécifique dans la fabrication des farines animales que nous
devons obtenir la meilleure sécurité alimentaire. Nous avons déjà fait ce
travail. Les grandes dates sont 1990, avec l'interdiction des farines animales
pour les bovins, et 1996, année à partir de laquelle ont été interdits les
matériels à risque spécifique dans la fabrication des farines animales pour les
porcs et les volailles.
Nous sommes en train d'étudier l'idée de passer, après l'interdiction des
matériels à risque spécifique de type 1, à l'interdiction des matériels à
risque spécifique de type 2, pour assurer encore une meilleure sécurité
sanitaire des produits entrant dans la composition des farines animales.
Notre démarche est exemplaire sur le plan européen. En effet, certains pays
d'Europe mettent encore des matériels à risque spécifique de type 1 - ils
incorporent des cadavres d'animaux - dans les farines animales.
Lors de chaque conseil européen, je demande que nous fassions en sorte
d'obtenir une meilleure cohérence sur le plan européen dans la fabrication des
farines animales. On ne doit pas accepter que certains continuent à mettre des
MRS de type 1 dans ces farines.
Nous continuons donc à avancer en même temps sur une interdiction éventuelle
des MRS de type 2. Nous envisageons de prendre cette décision. A ce propos,
nous avons saisi l'AFSSA, qui nous a remis un rapport ces jours derniers.
Je ne veux pas que l'on sème l'illusion en instaurant une telle interdiction
alors que ne serait pas mis en place parallèlement un système de garantie à
l'importation permettant d'assurer que ce que nous interdisons pour la
fabrication des farines animales en France n'est pas utilisé dans des
importations de farines animales pour lesquelles ne seraient pas respectées les
mêmes garanties. Nous sommes en train d'examiner l'intérêt de cette rigueur
supplémentaire. Nous nous appliquons à nous-mêmes ces mesures, qu'il s'agisse
des tests ou des MRS.
Je voudrais dire un mot des contrôles et, en particulier, répondre à ceux
d'entre vous qui ont cité le cas du Morbihan, qui a défrayé la chronique ces
derniers jours.
Je ne sais pas si je dois dire aux agriculteurs bretons, et en particulier aux
éleveurs bretons, que je les aime pour ôter tout doute. Ils ont eu le sentiment
qu'il y avait un complot contre l'agriculture bretonne, un supercomplot contre
les éleveurs bretons.
M. Alain Gérard.
C'est vrai !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je tiens à dire ici
solennellement qu'il n'en est rien et que, au contraire, j'ai fait preuve en
l'occurrence, dès le début, d'une très grande prudence.
Quand cette affaire est apparue sur la place publique et dans la presse, je me
suis permis de formuler trois commentaires.
Premièrement, à la question de savoir s'il y avait eu une volonté de fraude,
de dissimulation d'un animal malade par l'éleveur, ou par le commerçant qui,
intervenant entre l'éleveur et l'abattoir, avait acheté la vache et l'avait
revendue - avec une marge au passage ! - j'ai indiqué qu'il appartenait non pas
à moi mais à la justice de répondre. Personnellement, j'ai dit : je ne me
prononce pas sur le sujet. Par conséquent, contrairement à ce que l'on m'a fait
dire, je n'ai jamais évoqué de manipulation en amont. J'ai dit que je n'en
savais rien, que ce n'était pas à moi de le dire, mais à la justice.
Deuxièmement, à la question de savoir si la vache était malade, j'ai dit qu'il
ne m'appartenait pas non plus de répondre. Etait-elle elle atteinte de l'ESB ?
Encore une fois, ce n'était pas à moi de le dire. Nous avons effectué des
prélèvements et nous allons opérer des contrôles. Dès le début de l'affaire,
j'ai dit que je n'en savais rien, et à juste raison puisque,
in fine
,
les tests se sont révélés négatifs, démontrant que la vache n'était pas
atteinte de la maladie de l'ESB.
Troisièmement, les contrôles ont-ils bien fonctionné ? J'ai répondu : oui,
puisqu'ils ont permis de retirer cette vache du circuit de distribution pendant
la durée des contrôles. A cet égard, monsieur Herment, je vous l'affirme, ce
troupeau n'a pas été abattu. C'est encore dans le cadre de la grande paranoïa
collective qu'il a été dit qu'un troupeau avait été abattu pour rien. Jamais on
n'abat un troupeau avant d'avoir connaissance du résultat du test, avant de
savoir si la vache était atteinte ou non de la maladie de l'ESB. Je démens
formellement l'information selon laquelle le troupeau aurait été abattu. Il
n'en a rien été !
M. Jean-Marc Pastor.
Très bien !
M. Raymond Courrière.
C'est clair !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
En conclusion, je souhaiterais
évoquer brièvement plusieurs points à caractère international.
S'agissant de la Commission européenne, je pense sincèrement que celle
d'aujourd'hui n'est pas la même que la précédente. Romano Prodi et son équipe
ont su tirer les leçons de la crise qui a affecté la commission précédente
qu'il s'agisse du mode de fonctionnement ou des objectifs qu'ils poursuivent,
même si les choses sont bien sûr encore perfectibles. Toutefois, le seul fait
que le premier acte symbolique de la Commission ait été de nommer un
commissaire chargé de la sécurité alimentaire des consommateurs est un signe
positif. Que son deuxième acte ait été de faire rédiger et de publier un Livre
blanc sur la sécurité alimentaire est un deuxième signe positif. Qu'elle ait
souhaité, dans ce Livre blanc, créer une autorité indépendante européenne est
un troisième signe positif.
Je pense donc qu'il faut encourager les efforts de la Commission, même si,
dans le même temps, certaines mauvaises habitudes perdurent.
Ainsi, s'agissant du rapport de l'Office alimentaire et vétérinaire, l'OAV,
auquel plusieurs d'entre vous ont fait allusion, le Gouvernement français a été
très choqué. En effet, la Commission européenne a rendu public ce rapport sans
y inclure les réponses de l'administration française et de l'Etat français.
C'est d'autant plus dommageable que, en l'occurrence, ces réponses sérieuses et
circonstanciées montraient, preuves à l'appui, que près de 80 % des
affirmations de l'OAV et de ses enquêteurs étaient purement et simplement
erronées.
Ce genre de méthodes doit prendre fin. Les trois ministres concernés du
Gouvernement français - Mme Lebranchu, Mme Gillot et moi-même - s'apprêtent
d'ailleurs à exprimer une protestation très forte auprès de la Commission.
Que la France ne lève pas l'embargo sur le boeuf britannique, qu'elle veuille
aller plus vite que la musique - en tout cas que la musique européenne - sur
l'étiquetage et mettre en oeuvre un programme de tests à grande échelle ! cela
dérange sans doute ! Mais, dans la pratique démocratique, il faut éviter de
recourir à de tels procédés ; type de pratique, c'est-à-dire de rapports très
contestables, simplement pour décrédibiliser la parole de la France. Cette
situation doit cesser, et je vous remercie de l'avoir tous indiqué à votre
manière.
La présidence française interviendra dans ce contexte dans à peine quatre
mois. La sécurité sanitaire des aliments sera bien évidemment l'une de nos
priorités. Nous trouverons sur la table un certain nombre de dossiers, tels que
l'étiquetage, qui devra être mis en place au 1er septembre et pour lequel une
décision devra donc être prise en juillet au plus tard, les problèmes soulevés
par les matériels à risque spécifique, les MRS, qui font l'objet d'un débat au
sein de la Communauté et le dossier de l'Agence européenne de sécurité
sanitaire des aliments. Nous aurons donc de traduire concrètement dans les
faits nos priorités.
Le dernier point de mon intervention portera sur l'OMC.
Les discussions n'ont pas encore repris mais cela ne saurait tarder. Je ne
m'étendrai pas sur le sujet, car ce n'est pas l'objet de ce débat. Je ferai
simplement remarquer que l'arbitrage demandé par les Américains à l'OMC à
propos du boeuf aux hormones nous a été défavorable sur la forme mais non sur
le fond. En effet, nul n'a contesté l'idée que nous puissions invoquer le
principe de précaution en arguant du caractère dangereux pour la santé de ces
viandes aux hormones ; il nous a simplement été reproché de ne pas en apporter
la preuve.
Il est vrai, reconnaissons-le, que l'Union européenne et la Commission ont
tardé à lancer ces études scientifiques. Dix-sept sont actuellement en cours,
dont certaines dans des laboratoires français. Je pense, d'après certaines
informations, que, dans le courant de l'année 2000, ces études apporteront la
preuve du caractère cancérigène de certaines de ces substances, notamment du 17
bêta-oestradiol.
Les Américains ne peuvent pas nous reprocher d'invoquer le principe de
précaution, puisque eux-mêmes s'en prévalent : vous savez sans doute que les
Américains eux-mêmes, à la suite de la crise de l'ESB, maintiennent un embargo
non pas sur le seul boeuf britannique, mais sur l'ensemble du boeuf européen,
au nom du principe de précaution !
J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'indiquer au ministre de l'agriculture
américain que, dans la mesure où les Etats-Unis invoquaient, à juste titre,
comme l'Union européenne, le principe de précaution, il faudrait se mettre
d'accord les uns et les autres sur les règles internationales permettant
d'invoquer ce principe sans fausser le commerce mondial. Dans cette affaire, il
y a non pas des innocents et des coupables, mais des personnes essayant de
défendre chacune à leur manière la sécurité de leurs consommateurs.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments
d'information que je voulais vous communiquer. Certes, je pourrais parler
encore des heures sur ces sujets difficiles et cruciaux pour la sécurité de nos
consommateurs, mais je bousculerais alors l'ordre du jour du Sénat !
(Sourires.)
En tout cas, ce débat, dont je tiens à vous remercier, nous aura permis
d'aller au fond des choses et de poser des questions actuellement très
importantes. Je me tiens à votre disposition pour le reprendre quand vous le
souhaiterez.
(Applaudissements.)
M. Jean Chérioux.
Il faut notamment remercier l'auteur de la question, M. Haenel !
M. le président.
Je tiens à remercier, d'une part, la délégation pour l'Union européenne et son
président d'avoir organisé un tel débat, et, d'autre part, les orateurs et M.
le ministre d'y avoir participé. Ce débat démontre bien la préoccupation du
Sénat s'agissant de sécurité alimentaire, tant sur le plan européen que pour la
filière et les consommateurs.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je constate que le débat est clos.
L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux
; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quinze heures,
sous la présidence de M. Christian Poncelet.)