Séance du 8 février 2000
SIGNATURE ÉLECTRONIQUE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 488, 1998-1999)
portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et
relatif à la signature électronique. [Rapport n° 203 (1999-2000).]
Je vous rappelle que le rapport de la commission des lois sur ce projet porte
également sur deux propositions de loi (n°s 244 et 246, 1998-1999) de M. Louis
Souvet et plusieurs de ses collègues visant à valider l'évolution
jurisprudentielle en matière de preuve par écrit et à reconnaître la valeur
probatoire d'un message électronique et de sa signature.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président, mesdames
et messieurs les sénateurs, le projet de loi portant adaptation du droit de la
preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique
est l'un des volets essentiels de l'action actuellement menée par le
Gouvernement pour adapter la législation aux nouveaux enjeux de la société de
l'information. Il est destiné à faire entrer le droit français de la preuve,
confronté au progrès technique, dans l'ère des technologies de
l'information.
Comme l'a souligné le Conseil d'Etat dans son rapport de juillet 1998 intitulé
Internet et les réseaux numériques,
l'heure est en effet venue de
reconnaître la valeur juridique des outils utilisés dans le nouveau monde
virtuel pour réaliser des transactions électroniques : le document et la
signature électroniques.
Cette affirmation n'est pas gratuite. Elle se nourrit du constat du
développement impressionnant du commerce électronique sur l'internet,
principalement du commerce interentreprises, mais aussi du commerce en
direction des particuliers. A cet égard, le commerce électronique représente un
premier enjeu économique capital.
Mais, dès lors que la fourniture des biens et services existe sur le réseau,
se pose la question de la validité des contrats de vente passés sous forme
électronique. C'est là le second enjeu : celui de la sécurité du cadre
juridique dans lequel s'opèrent les transactions, de façon à protéger les
consommateurs.
Plusieurs organisations internationales se préoccupent de la reconnaissance du
document et de la signature électroniques. La Commission des Nations unies pour
le droit commercial international a adopté, en 1996, une loi type sur le
commerce électronique, destinée à créer un environnement juridique plus sûr
pour le commerce électronique.
Le Parlement et le Conseil de l'Union européenne ont adopté, le 13 décembre
1999, la directive sur un cadre communautaire pour les signatures
électroniques. Une directive sur certains aspects juridiques du commerce
électronique a, quant à elle, fait l'objet d'un accord politique, le 7 décembre
dernier.
Le projet de loi que nous discutons aujourd'hui se fonde sur de nombreux
travaux, au premier rang desquels les rapports du Sénat, celui du Conseil
d'Etat, et celui qui a été remis au garde des sceaux en septembre 1997,
intitulé :
L'Ecrit et les nouveaux moyens technologiques au regard du droit,
et qui émane de la mission de recherche « Droit et justice », qui avait
constitué un comité d'experts pour réfléchir sur cette question.
Ce groupe de huit universitaires a proposé une réforme du code civil que
beaucoup attendaient et qui m'a semblé pleine de promesses. Au nom du
Gouvernement, je tiens à rendre hommage à la remarquable qualité de leur
travail.
Le projet de loi discuté aujourd'hui comporte deux volets particulièrement
novateurs : l'un sur l'écrit sous forme électronique, l'autre sur la signature
électronique.
Il consacre, tout d'abord, l'écrit sous forme électronique comme mode de
preuve.
Je ne développerai pas longuement les inconvénients de la situation actuelle
résumés parfaitement dans le rapport de votre commission. Le Conseil d'Etat le
soulignait dans le rapport déjà cité : « Le fait qu'un message électronique
puisse, en l'état actuel des textes, être assimilable à l'un des écrits visés à
l'article 1341 du code civil demeure très contesté. »
Par conséquent, la nécessité d'une réforme étant reconnue, il restait à
déterminer les modalités qu'elle pouvait revêtir.
Le projet de loi procède en deux étapes pour assurer la reconnaissance
juridique du document électronique comme mode de preuve : dans un premier
temps, il modifie la notion de preuve littérale ou par écrit, afin d'y inclure
le document électronique ; dans un second temps, il précise la valeur juridique
attribuée à cette preuve littérale sous forme électronique.
Pour faire entrer l'écrit électronique dans le droit, un certain nombre de
solutions auraient pu être envisagées, mais elles n'ont pas été retenues par le
projet de loi.
On aurait pu abandonner l'actuel système de la preuve légale en matière civile
en laissant au juge la liberté d'apprécier la valeur des preuves qui lui sont
apportées. D'autres pays que le nôtre ont adopté cette façon de voir et
nous-mêmes nous la pratiquons en certaines matières, notamment en droit
commercial ou en droit admi-nistratif.
Cette solution n'a cependant pas été retenue, non pas parce qu'elle laisserait
au juge la liberté d'apprécier la valeur de la preuve qui serait produite
devant lui, mais parce qu'elle laisserait aux parties la responsabilité de
choisir de se préconstituer une preuve ou non et ainsi de choisir le mode de
preuve des conventions qu'elles concluent.
La préconstitution de la preuve mérite d'être conservée. Elle remplit une
fonction utile de mise en alerte de celui qui souscrit des obligations. Et, dès
lors qu'on la maintient, il convient d'assurer l'égalité des parties face au
risque de la preuve.
On aurait pu aussi ériger les messages électroniques au rang de commencement
de preuve par écrit. Mais cette solution n'est pas statisfaisante, car elle
obligerait les parties à rechercher d'autres éléments de preuve. Elle
consacrerait aussi une hiérarchie entre la preuve électronique et la preuve
traditionnelle, peu conforme avec l'objectif de non-discrimination assigné aux
législateurs nationaux par la directive pour un cadre commun sur les signatures
électroniques.
La consécration d'une différence de nature entre la preuve électronique et la
preuve traditionnelle par acte sous seing privé aurait été très en deçà de
l'objectif, mentionné dans l'exposé des motifs, de facilitation des
transactions électroniques, assigné à la réforme du droit de la preuve.
Le projet de loi est plus audacieux : il tend à faire entrer la preuve
électronique dans le code civil par la grande porte, en lui reconnaissant la
qualité de preuve complète, se suffisant à elle-même. Il a donc privilégié une
logique d'assimilation.
Dans le discours préliminaire au projet de code civil, Portalis affirmait
clairement que « l'écriture est, chez toutes les nations policées, la preuve
naturelle des contrats ». Depuis l'ordonnance de Moulins, au xvie siècle, la
preuve littérale a supplanté la preuve par témoignage.
Dans la lecture qui est faite de l'article 1341 du code civil, l'écrit a fini
par se confondre avec son support papier, ce qui explique que les documents
informatiques n'aient pu, jusqu'à présent, être identifiés à des actes sous
seing privé.
Cette confusion entre l'écrit et son support est toutefois contestable. Défini
dans le langage courant comme tout « système de représentation de la parole et
de la pensée par des signes conventionnels tracés et destinés à durer »,
l'écrit s'oppose à l'oral et sa durabilité le distingue de la fugacité du
langage. « Les paroles s'envolent, les écrits restent ». Opposé à l'oral,
l'écrit n'est pas, dans le langage courant, réservé au support papier. Peu
importe que l'écrit soit rédigé sur le papier, sur la pierre ou sur le marbre.
Les tablettes des Crétois ou les papyrus des Egyptiens sont là pour en
témoigner.
D'ailleurs, la jurisprudence relative au procédé de rédaction des actes sous
seing privé montre que les juristes ont également adopté une définition large
de la notion d'écrit. Par exemple, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un
arrêt du 27 janvier 1846, rendu à propos d'un testament rédigé par un berger
qui ne disposait que d'un crayon, a jugé que « dans son acception légale, le
mot écrire signifie tracer des lettres, des caractères ; que la loi n'a
spécifié ni l'instrument ni la matière avec lesquels les caractères seraient
tracés ».
Que l'écrit ne dépende ni de l'instrument ni de la matière sur laquelle il est
rédigé, cela résulte de la jurisprudence ultérieure, qui a admis la validité
des actes passés sur les supports matériels les plus divers, tels qu'une
enveloppe, une machine à écrire et même du papier hygiénique. Mais cette
liberté de choix de l'instrument et du support n'a pas été jusqu'à présent
étendue aux « supports virtuels ».
L'innovation conceptuelle majeure du projet de loi consiste à redéfinir la
preuve littérale afin de la rendre indépendante de son support.
Le projet de loi élève clairement les documents électroniques au rang de la
preuve littérale. A cette fin, il insère, dans la section du code civil
consacrée à cette preuve et dans un paragraphe relatif aux dispositions
générales précédant les paragraphes consacrés à l'acte authentique et à l'acte
sous seing privé, un article 1316 nouveau.
Désormais, la preuve littérale ne s'identifie plus au papier. Elle ne dépend
pas non plus des modalités de sa transmission, ce qui signifie que l'écrit
reste un écrit même s'il est transféré ou stocké sous forme électronique, à
condition qu'il puisse être à nouveau intelligible.
La validité de l'écrit électronique est toutefois subordonnée à certaines
conditions, qui seront énoncées à l'article 1316-1 du code civil.
L'admission de l'écrit sous forme électronique en tant que preuve au même
titre que l'écrit sur support papier est donc consacrée à la double condition
que puisse être identifié celui dont il émane et que les conditions dans
lequelles il est établi et conservé en garantissent l'intégrité.
Une fois l'admissibilité comme mode de preuve de l'écrit électronique
clairement reconnue, il restait à définir, dans le système actuel de la preuve
légale, la nature de la force probante attachée à ce mode de preuve. En somme,
il fallait répondre à la question du régime de la preuve contraire.
Comment prouver contre et outre l'écrit électronique ?
Là encore, certaines solutions ont été écartées.
On aurait pu dire comme le législateur du Québec en 1993 que « le document
reproduisant les données d'un acte juridique inscrites sur support informatique
pouvait être contredit par tous moyen ».
Mais cela reviendrait à consacrer un statut juridique d'infériorité de la
preuve électronique, contraire à l'équivalence affirmée à l'article 1316
nouveau, et peu compatible avec l'importance économique de cette nouvelle
preuve et à la généralisation de son utilisation pour les échanges sur
l'internet.
La pertinence de ces objections a conduit le Gouvernement à reconnaître à
l'écrit sous forme électronique exactement la même force probante que l'écrit
traditionnel.
Lorsqu'il n'est pas signé, il aura la force probante très limitée accordée aux
écrits sur papier non signés, qui constituent de simples indices laissés à la
libre appréciation du juge. Lorsqu'il est signé et qu'il aura été préétabli
spécialement pour constater un acte générateur de droits et d'obligations,
l'acte sous forme électronique aura exactement la même force probante que
l'acte sous seing privé.
Conformément aux dispositions de l'article 1341 du code civil, il ne pourra
pas être combattu par des témoignages ou des présomptions, mêmes graves,
précises et concordantes, mais seulement par un autre acte, authentique ou sous
seing privé.
Cela fait naître une seconde question : comment régler le conflit entre une
preuve littérale sous forme électronique et une preuve littérale traditionnelle
?
Cette question est résolue par le projet de loi, qui insère un article 1316-2
dans le code civil.
Cette disposition laisse au juge le soin de régler les conflits de preuve
littérale. Elle a pour effet de supprimer toute hiérarchie entre la preuve sous
forme électronique et la preuve littérale traditionnelle.
Redéfinition de la preuve littérale pour englober dans cette notion l'écrit
électronique, reconnaisance expresse de l'admissibilité comme mode de preuve de
l'écrit électronique, consécration de l'identité de force probante entre l'acte
sous seing privé électronique et l'acte sous seing privé sur support papier,
ces trois objets font du projet de loi un texte particulièrement novateur.
Toutefois, la signature étant une condition d'existence de l'acte, la réforme
assimilant l'écrit électronique à l'écrit papier serait privée de toute portée
si elle ne s'accompagnait pas d'une reconnaissance d'un équivalent électronique
à la signature manuscrite.
Le second volet du projet de loi concerne la reconnaissance de la valeur
juridique de la signature électronique.
Bien que le droit impose fréquemment qu'un acte soit signé et aussi surprenant
que cela paraisse, aucun texte ne définit actuellement ce qu'il faut entendre
par le terme de « signature ».
Sans doute y a-t-il de ces évidences qui ne se définissent pas ! D'ailleurs,
le projet de loi ne se risque pas à donner une définition générale de la
signature qui s'appliquerait aussi bien à la signature manuscrite qu'à la
signature électronique.
En revanche, il définit la fonction générale de la signature, puis il donne
une définition de la seule signature électronique.
Le projet de loi introduit un nouvel article 1322-2 au code civil qui
constitue une définition générale des fonctions de la signature. Il prévoit,
sans distinction entre la signature manuscrite et la signature électronique,
que « la signature nécessaire à la perfection d'un acte sous seing privé
identifie celui qui l'appose et manifeste son consentement aux obligations qui
découlent de cet acte ».
Cet alinéa établit clairement la double fonction assignée à la signature :
identification de l'auteur de l'acte et manifestation de son consentement au
contenu de cet acte.
Le projet de loi définit également la signature électronique.
Le deuxième alinéa de l'article 1322-2, qui traite du cas où la signature est
électronique, précise les conditions que celle-ci doit remplir pour se voir
reconnaître une valeur juridique, mais en des termes généraux, de manière à
pouvoir s'adapter aux évolutions techniques qui peuvent intervenir. Lorsqu'elle
est électronique, la signature « consiste en l'usage d'un procédé fiable
d'identification garantissant son lien avec l'acte sur lequel elle porte ».
A l'exigence de bon sens tenant à la fiabilité du processus employé, le projet
de loi ajoute celle d'un lien indissociable entre la signature et le message.
Il n'est en effet pas possible d'accorder une valeur juridique à une signature
si elle n'est pas indissolublement liée au contenu qu'elle a pour fonction
d'approuver.
Dès lors qu'elle remplit ces conditions, la signature électronique se voit
reconnaître la même valeur juridique qu'une signature manuscrite, quel que soit
le procédé utilisé.
La fiabilité du procédé utilisé devra en principe être prouvée, sauf si elle
peut être présumée parce que ce procédé répond à des exigences fixées par le
pouvoir réglementaire.
Enfin, le projet de loi institue à ce même article 1322-2 du code civil une
présomption de fiabilité en faveur des signature électroniques répondant à des
exigences fixées par décret.
Comme le souligne votre rapporteur avec raison, ces décrets seront
particulièrement importants puisqu'ils mettront en oeuvre les dispositions de
la directive sur les signatures électroniques, notamment celles qui sont
relatives à l'intervention des prestataires de services de certification. Le
marché de la certification est en considérable expansion, et il convient de le
réguler.
Les décrets devront organiser, conformément à la proposition de directive, un
régime d'accréditation volontaire des autorités de certification et préciser
les exigences concernant les dispositifs de création de signature. Il faudra
fixer les conditions de sécurité que devront remplir les prestataires de
service de certification.
Je précise, afin d'éviter toute équivoque sur le rôle de ces prestataires,
que, dans l'optique de la directive, ceux-ci seront chargés de délivrer des
certificats électroniques garantissant le lien entre l'identité d'une personne
et un dispositif permettant de vérifier la signature électronique émise par
cette personne. Leur rôle est donc d'« identifier » le signataire, mais en
aucun cas de certifier le contenu des messages.
Le projet de loi déposé par le Gouvernement fait clairement entrer le droit de
la preuve dans l'ère numérique. Certains ont craint qu'il n'accorde une place
trop importante à l'écrit électronique. D'autres, au contraire, ont estimé que
ce projet de loi devrait être étendu aux actes authentiques.
Telle est la position de votre commission des lois, qui a adopté un amendement
sur ce point, amendement à la fois audacieux et mesuré.
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je vous
remercie !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
En effet, votre commission
entend ne pas limiter la réforme à l'acte sous seing privé mais poser d'ores et
déjà le principe selon lequel l'acte authentique peut être dématérialisé et sa
signature apposée sous la forme électronique.
Il s'agit là d'une question essentielle qui touche à l'authenticité. Défini
par l'article 1317 du code civil comme l'acte reçu par un officier public ayant
le droit d'instrumenter avec les solennités requises, l'acte authentique tire
une force toute particulière de l'intervention d'un tiers investi d'une mission
d'intérêt général. Ce tiers est un témoin privilégié de l'opération constatée
dans l'acte et du respect des exigences de forme. Par la confiance qu'il
inspire, l'acte authentique constitue le meilleur garant de la sécurité
juridique.
Il faut donc veiller tout particulièrement à ce que sa dématérialisation ne
remette pas en cause les garanties d'authenticité dont il est revêtu.
Il faut trouver, pour l'acte authentique, un nouveau formalisme électronique
qui se substituerait aux exigences actuelles liées à un support papier.
Il est clair que cette substitution exige un travail d'approfondissement sur
le double plan juridique et technique. Cela suppose qu'il soit pleinement
démontré que les exigences de l'authenticité peuvent être pleinement préservées
dans un environnement dématérialisé.
Il faut aussi tenir compte de la diversité des actes authentiques qui ne se
limitent pas aux actes notariés, mais englobent d'autres actes juridiques comme
les actes de l'état civil, les jugements, et qui obéissent à des règles
formelles différentes.
C'est pourquoi le Gouvernement s'était proposé de procéder par étapes et, tout
en étant pleinement acquis à l'extension du principe de la dématérialisation
aux actes authentiques, de limiter dans un premier temps la réforme à ce qu'il
est d'ores et déjà possible de réaliser.
En cela, d'ailleurs, il rejoignait les travaux communautaires entrepris en
matière de commerce électronique puisque, comme vous le savez, la directive
européenne qui a fait l'objet d'un accord politique n'impose pas la
dématérialisation des actes émanant de détenteurs de l'autorité publique.
Votre commission des lois propose de procéder autrement en rendant possible
juridiquement, dans notre code civil, une dématérialisation de l'acte
authentique, tout en renvoyant à des décrets en Conseil d'Etat la question de
sa mise en oeuvre pratique.
Cela me paraît sage. En effet, à la différence de l'acte sous seing privé, qui
ne doit être conservé que pour une durée limitée de trente ans au maximum,
l'acte authentique a vocation à être conservé pour une durée illimitée. La
technologie utilisée doit donc garantir la pérennité de l'acte.
Or les technologies électroniques actuelles ne permettent de garantir la
conservation des informations que pour une durée limitée, en raison de leur
obsolescence rapide.
Certes, il est possible de faire passer les informations d'un support sur un
autre au fur et à mesure des évolutions, mais la récupération de l'information
devra être sécurisée.
Or, les conditions techniques d'une dématérialisation des actes authentiques
ne sont pas réunies.
A cet égard, le Gouvernement souscrit totalement à l'opinion de M. le
rapporteur, qui a insisté, au cours des débats en commission, sur le fait que
sa proposition ne modifie pas les règles de fond régissant l'établissement des
actes authentiques, notamment la comparution, c'est-à-dire la présence
personnelle du signataire dans l'étude de l'officier public chargé de
recueillir son consentement et de conférer l'authenticité à l'acte.
En tout cas, le Gouvernement souscrit à l'idée d'inscrire le principe de la
dématérialisation. Cela évitera de modifier ultérieurement le code civil, tout
en renvoyant à plus tard les conditions matérielles de sa réalisation.
Cette solution est pleinement conforme à nos objectifs communs.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la position du Gouvernement sur
ce projet de loi, qui est un peu aride et pas forcément « parlant », mais qui
est nécessaire à l'adaptation de notre pays aux temps modernes.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine
aujourd'hui en première lecture le projet de loi « portant adaptation du droit
de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature
électronique », et le titre est ici important.
Saisie de ce texte, la commission des lois a également été amenée à étudier
deux propositions de loi présentées par M. Louis Souvet et plusieurs de ses
collègues : l'une vise à valider l'évolution jurisprudentielle en matière de
preuve par écrit ; l'autre tend à reconnaître la valeur probatoire d'un message
électronique et de sa signature.
L'intérêt soutenu et permanent du Sénat pour les technologies modernes - en
témoigne le nombre de rapports qui y ont été consacrés et que mentionne mon
propre rapport - permet d'affirmer qu'il est particulièrement légitime que le
Sénat soit, le premier, saisi de ce projet de loi.
Par ce texte, il est proposé d'admettre en mode de preuve des documents
électroniques mais aussi de prévoir que, sous certaines conditions, leur force
probante équivaudra à celle des documents sur support papier.
L'idée fondamentale du texte est d'accorder à une signature électronique la
même confiance qu'à une signature manuscrite ; tel est le coeur du sujet.
La signature électronique permet à l'émetteur de sceller son document et
éventuellement de le crypter.
La commission des lois, après y avoir beaucoup réfléchi, est parvenue à la
conclusion que le cryptage correspond à la signature, par l'émetteur, de chaque
mot du texte. C'est donc une avancée importante par rapport à la signature qui
est apposée au bas d'un texte, car la signature électronique est intimement
mêlée au texte.
Le destinataire et l'émetteur doivent détenir des clés gérées par un logiciel
spécifique de création de signature.
Pour donner à cette signature électronique les mêmes avantages et les mêmes
effets qu'une signature manuscrite, il fallait réformer le code civil et,
surtout, le droit de la preuve.
Mais il fallait se garder de bouleverser les règles fondamentales du code
civil en matière de preuve, car nous avons un système de preuve légale et, dans
certains cas seulement, de preuve libre. Nous devons donc nous contenter
d'ajouter des règles précises à la preuve des actes sur support électronique.
L'acte électronique avec signature électronique fera donc, si le Parlement en
décide ainsi, son entrée dans le code civil.
Quelle est la situation actuelle ?
Notre droit n'est pas adapté aux échanges électroniques, et il n'y a rien de
surprenant à cela si l'on se souvient qu'il date, pour l'essentiel, de 1804. Le
statut juridique des messages électroniques n'est pas précisément défini et ses
effets ne sont pas clairement reconnus par les tribunaux, tout particulièrement
lorsqu'il s'agit d'actes sous seing privé pour des engagements supérieurs à 5
000 francs - pour lesquels un écrit est nécessaire -, des actes authentiques,
des actes devant être établis en double exemplaire.
En matière commerciale, la preuve est libre. L'acte électronique pourrait
donc, en principe, en cette matière, être recevable comme preuve. C'est
d'ailleurs pourquoi la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un
arrêt de principe du 2 décembre 1997, avait admis l'écrit électronique pour
servir de commencement de preuve par écrit. Mais il faut préciser que cela ne
s'appliquait qu'à la télécopie. L'arrêt n'a d'ailleurs pas complètement dissipé
l'ambiguïté.
Il est donc, à tous égards, nécessaire de légiférer.
Cette nécessité est renforcée par l'existence d'une proposition de directive
sur le commerce électronique.
Le Sénat vient d'ailleurs d'adopter une résolution sur la proposition de
directive européenne tendant à faire admettre les documents électroniques dans
la législation des Etats membres.
Il existe surtout, désormais, une directive sur la signature électronique, qui
est beaucoup plus précise, notamment en ce qu'elle donne une définition de ce
type de signature. Elle la définit fort justement comme « une donnée sous forme
électronique qui est jointe ou liée logiquement à d'autres données
électroniques et qui sert de méthode d'authentification ».
La directive recourt à la notion de signature électronique « avancée », selon
une expression malheureuse qui résulte de la traduction rapide d'un mot
anglais. On peut considérer qu'il s'agit d'une signature complexe, fondée sur
un certificat qualifié. Le certificat qualifié désigne la technique qui est
admise comme étant à l'abri à la fois des erreurs et des malversations.
Selon la directive, les Etats membres veillent à ce que les signatures
électroniques avancées fondées sur un certificat qualifié produisent les mêmes
effets que des signatures manuscrites et soient recevables comme preuves en
justice.
Remarquons au passage que la directive a été adoptée le 13 décembre 1999 et
que le présent projet de loi a été adopté en conseil des ministres le 1er
septembre 1999 : la France n'est donc pas en retard ! Elle est même en avance
!
Le projet de loi n'a pas pour objet d'étendre la liberté de la preuve d'une
manière générale ni de créer de nouvelles exceptions à la preuve écrite. Il
n'établit pas non plus une hiérarchie entre le support papier et le support
électronique.
C'est pourquoi la commission des lois, après avoir constaté que le texte
répondait aux préoccupations exprimées à travers les deux propositions de loi
que j'ai évoquées, a approuvé les cinq orientations du projet de loi :
premièrement, redéfinir la preuve littérale indépendamment du support utilisé ;
deuxièmement, prononcer l'équivalence entre support électronique et support
papier ; troisièmement, donner au juge - sur un plan pratique, c'est
indispensable - le pouvoir de régler les conflits de preuves qui peuvent
résulter de cette équivalence ; quatrièmement, autoriser les conventions sur la
preuve, conformément au principe de la liberté contractuelle ; cinquièmement,
apporter une définition générale de la signature à l'occasion de la
reconnaissance de la signature électronique.
Mais le texte témoigne d'une approche prudente. Cette reconnaissance n'est
acquise que si la signature en question répond à certaines exigences de
fiabilité, définies par décret en Conseil d'Etat.
C'est d'ailleurs la nécessité de la vérification de la fiabilité des
techniques, définie par décret en Conseil d'Etat, qui me permettra de proposer
au Sénat, au nom de la commission des lois, l'extension de l'usage de la
signature électronique aux actes authentiques.
La commission des lois a cependant bien insisté sur le fait qu'elle ne voulait
pas porter atteinte à la fameuse distinction entre écrits exigés
ad
validitatem,
c'est-à-dire à peine de nullité, et écrits exigés
ad
probationem.
Notre commission souhaite qu'il ne soit pas touché à l'architecture, bien
établie, de notre législation concernant la validité des actes et les
consentements. Seules les règles de preuve des actes doit demeurer en cause.
Cette prudence nous autorise à considérer qu'il n'y a pas de risque à permettre
d'ores et déjà l'extension aux actes authentiques de l'usage de la signature
électronique, dans la mesure où des décrets en Conseil d'Etat préciseront les
modes opératoires et définiront les techniques fiables. Au fond, ce que l'acte
authentique doit garantir, c'est la comparution et l'authenticité, mais aussi
la conservation de la minute.
Ce projet de loi, tel que nous l'avons amendé, nous paraît donc respectueux
des règles et de l'architecture générale du droit de la preuve français, tout
en introduisant dans le code civil français cet élément indispensable de
modernité. Le Sénat sera heureux, j'en suis persuadé, de l'approuver.
(Applaudissements.)
M. le président.
Mes chers collègues, à la suite de l'excellent exposé de M. le rapporteur, je
tiens à rappeler l'intérêt que le Sénat, toujours à la pointe de la réflexion
dans le domaine des nouvelles technologies, attache à la reconnaissance dans
notre droit de la valeur probatoire des documents électroniques et de la
signature électronique.
Sur un plan pratique, les sénateurs peuvent d'ores et déjà déposer
amendements, questions et propositions de loi ou de résolution par messagerie
électronique.
En outre, le conseil de questure et le bureau viennent d'autoriser le
lancement d'une procédure d'appel d'offres en vue de la réalisation d'un projet
d'informatisation de la chaîne des amendements - dit « projet AMELI », ou «
amendements en ligne » - qui permettra le dépôt des amendements par la voie du
site Internet et la mise à disposition de tous les intervenants au processus
législatif d'un jeu d'amendements permettant une consultation sélective.
Les solutions retenues dans le projet de loi dont nous allons débattre
confortent ces initiatives, prises à la demande du président du Sénat.
Pour toutes ces raisons, nous porterons le plus grand intérêt aux dispositions
de ce texte et à leur application.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 40 minutes ;
Groupe socialiste, 33 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 24 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 21 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
examinons aujourd'hui le projet de loi portant adaptation du droit de la preuve
aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique.
La Haute Assemblée, vouée aux nouvelles technologies - je tiens à le souligner
devant M. le président - va donc prendre la mesure du phénomène très récent que
représentent les transactions électroniques de toutes sortes et s'efforcera
d'étendre la définition de la preuve littérale, c'est-à-dire de la preuve par
l'écrit, aux documents électroniques. Mais, dans toutes les formes de média
moderne, l'écrit, c'est aussi l'écran.
Les mesures prévues par ce projet de loi constituent une avancée non
négligeable sur cinq points que je rappellerai brièvement, puisque M. le
rapporteur les a cités.
Premièrement, il s'agit d'étendre la définition de la preuve littérale afin de
couvrir l'écrit et l'écran.
Deuxièmement, il est proposé de reconnaître explicitement la valeur juridique
du document électronique comme mode de preuve, au même titre que le support
papier.
Troisièmement, pour ce qui concerne le règlement des conflits de preuve
littérale, ce texte autorise le juge à déterminer au cas par cas, selon la
vraisemblance des éléments qui lui sont fournis, quelle est la preuve littérale
qui doit l'emporter sur l'autre.
Quatrièmement, comme la jurisprudence a reconnu la possibilité de passer des
conventions sur la preuve dérogeant aux règles supplétives contenues dans le
code civil, il nous appartiendra de consacrer, par la voie législative, le
principe de validité de telles conventions.
Enfin, cinquièmement, la définition de la signature électronique doit figurer
sur tout document électronique pour qu'il soit validé. Cette signature doit non
seulement renseigner sur l'identité de l'auteur mais aussi manifester, parce
que là est la difficulté rencontrée dans le domaine de l'électronique,
l'adhésion du signataire au contenu de l'acte.
Je me réjouis qu'après avoir abordé voilà peu de temps des directives plus
anciennes, le Sénat puisse, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi,
procéder à l'adaptation d'une directive européenne récente. Nul n'ignore que le
Sénat est une assemblée particulièrement en avance.
(Sourires.)
Je salue
à cet égard le groupe « prospective » créé à l'initiative de MM. Trégouët et
Laffitte, qui rassemble deux cents sénateurs sur trois cent vingt.
Nous connaissons tous l'importance du développement de l'internet pour notre
pays. Il est intéressant de souligner l'un des constats de la mission Lorentz,
selon lequel le nombre des internautes a fait en un an un bond très
significatif. A la fin du deuxième trimestre de 1999, il avait en effet plus
que doublé, passant de 2,7 millions à 5,7 millions. L'institut Médiangles
estimait lui aussi que la France comptait à la fin de l'an dernier près de 6
millions d'internautes âgés de plus de quinze ans qui se sont personnellement
connectés à partir de leur domicile, de leur lieu de travail ou d'un
établissement d'enseignement - école, collège, lycée ou université - au moins
une fois en un mois.
C'est dire qu'il n'est pas aujourd'hui nécessaire d'être sénateur pour être en
mesure de réaliser des échanges électroniques, de disposer d'un « bureau
électronique », d'entreprendre des démarches administratives, mais aussi
d'effectuer des transactions commerciales électroniques, et cela à un coût
accessible à tous.
C'est sur les conséquences de ce texte sur le cybercommerce que j'axerai plus
particulièrement mon intervention.
Dans son rapport, M. Lorentz précisait que le montant des ventes par Internet
devrait dépasser celui des ventes par Minitel, pour atteindre environ 4
milliards de francs auprès des 75 sites marchands les plus actifs.
Pour le moment, le commerce électronique est d'abord un échange
interentreprises - je n'aime guère utiliser l'expression anglaise pourtant
facile à traduire
business to business.
Son chiffre d'affaires atteint
un montant de 7,3 milliards de francs, contre 1,2 milliard de francs pour le
commerce des particuliers.
Les particuliers ne se contentent plus, comme au début du commerce
électronique, d'acheter des livres sur le net. J'en veux pour preuve qu'il
existe aujourd'hui 900 sites marchands grand public, sur lesquels 87 % des
achats concernent l'informatique et le tourisme. D'autres sites, ceux qui sont
notamment relatifs aux enchères, à la bourse et à l'assurance, sont également
très visités.
Force est de constater que le développement du commerce électronique en France
n'atteint pas encore le niveau de certains pays européens ou américains. Dans
leur rapport sur la grande distribution, nos homologues de l'Assemblée
nationale MM. Jean-Paul Charié et Jean-Yves Le Déaut citent une enquête selon
laquelle 55 % des consommateurs américains ont déjà utilisé l'achat en
ligne.
Ils poursuivent en précisant qu'AOL, entré dans le monde français avec Time
Warner et EMI, a vendu en 1999 pour plus de 10 milliards d'euros - ma référence
est en dollars, mais ces deux monnaies ont la même valeur, - dont 2,5
milliards, mes chers collègues, uniquement au moment des fêtes de fin d'année.
Aussi ce phénomène prend-il une ampleur considérable.
En termes d'aménagement économique dans notre pays, il est intéressant de
souligner que le tissu des PME-PMI peut accéder directement, sans aucune
difficulté, au commerce en ligne.
Il va de soi que si les échanges ne se développent pas davantage en France
c'est pour une raison clairement définie. Tous les consommateurs de la toile
s'accordent à vouloir une plus grande sûreté des échanges. C'est cette absence
de protection que les consommateurs français perçoivent avec une acuité
particulière.
Ils ont d'autant plus besoin d'être rassurés que le commerce évolue et
qu'aujourd'hui les échanges commerciaux dépassent l'échelon local, régional,
national, voire européen, pour se dérouler à l'échelon planétaire. En
contrepartie, les risques encourus sont donc de dimension vertigineuse, je
serais même tenté de dire de dimension illimitée !
Il y a donc une nécessité impérieuse à légiférer afin de rendre ces
transactions électroniques plus fiables, plus sûres et donc plus attractives.
Le projet de loi que nous examinons va dans ce sens.
Si l'avancée de ce projet de loi consiste bien à donner une définition de la
signature électronique en précisant qu'elle doit répondre à une double
fonction, renseigner sur l'identité et prouver l'adhésion au contenu, comment
nous assure-t-il que c'est le bon signataire qui a utilisé la bonne signature ?
Comment savoir si la signature électronique qui valide un document n'a pas été
- j'emploie un terme qui relève du vocabulaire courant - « usurpée » ?
Les internautes français se montrent particulièrement méfiants - le faible
taux de ceux qui effectuent leurs achats sur Internet l'illustre bien - car ils
ont parfaitement pris conscience de la faille dans laquelle ils n'ont, pour le
moment, pas l'intention de s'engouffrer.
De nombreuses questions se posent et peu de réponses nous sont réellement
aujourd'hui données, même si de très grandes compagnies françaises qui
travaillent sur les cryptages et les algorithmes de cryptage ont réalisé des «
percées » significatives.
Comment savoir quel est réellement notre interlocuteur ? Une telle signature
électronique ne peut-elle être piratée ? Qui nous assure du contraire ? Ce
texte nous donne-t-il des assurances sur un des éléments essentiels de la
signature, à savoir la véritable intention de signer ? Je crois qu'il est
encore permis de douter.
Comme le font remarquer certains avocats spécialisés dans le cyber-commerce :
« Il faut que le signataire ait voulu s'engager en créant un acte. En cas de
litige, la preuve de l'intention de signer doit être rapportée. »
En effet, il faut pouvoir prouver que le signataire a signé de façon
volontaire. Pour ma part, me fiant au vieil adage qui veut qu'un homme averti
en vaut deux et que deux précautions valent mieux qu'une, je préconiserais,
comme le font certains spécialistes, une procédure de signature par « double
clic » : d'une part, la signature digitale sur la souris, d'autre part, le
code. Nous aurons l'occasion d'en parler de nouveau.
J'exprime la même crainte concernant les modifications qui peuvent être
apportées à un document. M. le rapporteur vient de parler du dépôt du document.
J'ai bien compris que la signature électronique était indissociablement liée à
l'ensemble du texte. Ainsi, la moindre modification du texte faite par une
personne ne détenant pas les clés de la signature doit pouvoir être détectée
par le destinataire du document.
Pour cela, et j'y insiste, il faut donc un double niveau de sécurisation.
C'est là qu'interviennent les certificats qualifiés prévus par la directive
européenne et qui authentifient la signature électronique. Ces certificats sont
délivrés par les tiers de certification, apportant notamment au destinataire
une garantie quant à l'origine des données. La directive a prévu intelligemment
la responsabilité des tiers de certification pour tout préjudice causé par
l'utilisation d'un certificat inexact ou invalide.
Les préconisations de l'Union européenne en la matière vont, me semble-t-il,
plus loin et contribuent ainsi efficacement au développement du commerce
électronique.
Le projet de loi est nécessaire, comme nous l'avons dit. Il marque une avancée
non négligeable dans l'encadrement des relations et des échanges électroniques
se manifestant par l'existence d'un document électronique.
Cependant, comme je crois l'avoir souligné dans mon intervention, il ne faut
pas faire preuve de naïveté sur ce sujet. Les mesures que nous allons adopter
ne sont qu'un premier pas - le rapporteur, M. Jolibois, l'a très bien dit - et
demandent des garanties, des assurances, des certifications que nous ne
réclamons pas systématiquement, mais dont nous avons besoin en l'espèce et que
nous n'avons toujours pas.
Madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, le Gouvernement nous a par
ailleurs prévenus qu'en juin - sous réserve de confirmation du calendrier -
nous discuterions d'un texte organisant, préparant et facilitant ce que l'on
appelle la « société de l'information » : la maison du commerce électronique et
des échanges électroniques s'est en quelque sorte construite - et continue de
se construire - sans plan d'architecte. En tout cas, je ne connais pas le nom
de l'architecte mondial ! Mais le besoin d'échanges est là et la maison
électronique mondiale existe.
Aujourd'hui, nous posons une serrure sur la porte d'entrée de notre maison de
l'information électronique. Ce n'est pas une démarche anodine, ce n'est pas une
démarche inintéressante. Nous devrons évidemment tous, dorénavant, faire en
sorte que la maison soit harmonieuse, grande, accueillante, confortable et
ouverte à tous.
Telle sera, au Sénat, l'ambition du groupe du Rassemblement pour la
République, qui votera tous les amendements allant dans ce sens de
l'accessibilité.
(Applaudisssements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, comme le soulignait avec raison M. Jolibois, chargé de
rapporter le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, la Haute Assemblée
peut s'enorgueillir de mener une réflexion de qualité sur les nouvelles
technologies. La première lecture de ce projet de loi au Sénat en atteste, tout
comme la modernisation de nos méthodes de travail, dont vient de nous informer
M. le président.
Le concept de nouvelle technologie devient aujourd'hui bien difficile à manier
: sommes-nous certains de ne pas évoquer, au moment où nous parlons, un aspect
déjà vieilli de telle ou telle application ? Les choses vont tellement vite
dans ce domaine !
Il devient dès lors hasardeux de légiférer sur les nouvelles technologies dans
un secteur, les lois, qui appelle circonspection et pérennité, à l'inverse de
ce qui nous occupe avec le texte que nous examinons.
Pour autant, il nous faut à présent braver quelques inquiétudes et prendre
toute la mesure des implications de l'informatique et de la téléphonie dans
notre vie quotidienne pour l'introduire dans la loi et dans le code civil.
Le développement de l'informatique, l'émergence de l'internet et de l'intranet
entraînent la multiplication des documents électroniques échangés.
Ainsi, en 1998, les échanges commerciaux étaient estimés à 800 milliards de
francs, sur lesquels le commerce électronique
via
l'internet ne
représentait qu'un milliard de francs.
La non-matérialité des données électroniques est un facteur qui participe à
l'inquiétude de nombre de nos concitoyens dans l'utilisation de cette forme
d'échange commercial.
Le projet de loi relatif à la signature électronique permettra, si nous
l'adoptons, de répondre en partie à ces inquiétudes.
Dans ses grandes lignes, le projet de loi modifie le code civil afin
d'admettre comme mode de preuve les documents électroniques et prévoit que,
sous conditions, la force probante des documents électroniques sera équivalente
à celle qui est reconnue aux supports papier.
Ainsi, la preuve écrite est définie de manière suffisamment générique afin de
pouvoir s'adapter aux différentes évolutions technologiques.
Je juge restera chargé de régler les conflits de preuves dans les cas où un
écrit électronique viendrait en conflit avec un document sur support papier. On
peut s'attendre à de nombreux contentieux, qui ne manqueront pas de nourrir une
abondante jurisprudence !
Au-delà des documents électroniques eux-mêmes, le projet de loi qui nous est
soumis prévoit une définition de la signature qui englobe la signature
manuscrite et la signature électronique.
Un décret en Conseil d'Etat déterminera les conditions de fiabilité de la
signature électronique.
La commission des lois élargit le dispositif proposé, puisqu'elle souhaite que
soient admissibles comme preuve des actes authentiques établis et conservés sur
support électronique.
A noter - il convient de le rappeler au risque de n'être pas parfaitement
compris - que, pour les actes authentiques, cette modification ne remet pas en
cause le principe de comparution des intéressés devant l'officier public.
J'indiquerai pour mémoire que cette comparution permet de vérifier le
consentement des intéressés à l'acte.
La commission propose également de définir le statut de la signature
électronique de l'officier public.
Enfin, la commission prévoit que la force probante des actes établis sur
support électronique est subordonnée à des conditions de validité. Cette
dernière modification devrait permettre au juge d'apprécier les conditions de
la validité, sans pour autant poser le principe d'une supériorité probante du
document écrit sur le document électronique.
Ce projet de loi, au contenu très novateur, devrait permettre de consolider
l'assise du document électronique dans notre dispositif de preuve.
Pour autant, peut-on en déduire que l'ensemble des problèmes soulevés par le
document électronique sont ainsi gommés. Ce serait aller un peu vite !
Sur le terrain de la conservation des documents, par exemple, nul ne peut dire
aujourd'hui la durée de conservation d'un document électronique. En outre, du
fait même de l'évolution technologique, les logiciels de demain pourront-ils
déchiffrer les documents vieux de plusieurs dizaines d'années ?
La suspicion engendrée par le document électronique se nourrit de ce type de
questions qui restent trop souvent sans réponse pour ceux de nos concitoyens
qui ne sont pas férus d'informatique.
Un autre aspect inquiétant, pour nombre de ceux qui pratiquent un peu les
transactions électroniques, tient à l'irréversibilité des manipulations
informatiques.
Qui n'a jamais, en utilisant un logiciel de messagerie électronique, envoyé un
message par erreur ?
A cet égard, ne conviendrait-il pas, madame le garde des sceaux, monsieur le
ministre, de doter le commerce électronique des mêmes garanties que celles qui
sont prévues par le droit commun des transactions commerciales, à savoir la
possibilité pour l'acheteur de se rétracter dans un délai raisonnable ?
La signature électronique pose quant à elle question et nous souhaiterions
savoir quelles seront les orientations de notre pays en la matière.
En effet, les Etats-Unis confient à des opérateurs privés le soin de jouer le
rôle de tiers de certification.
La gestion des clefs de certification demande des compétences particulières.
En outre, dans l'optique d'une croissance considérable des transactions
via
le réseau Internet, tout individu devra, dans un futur proche, utiliser un
tel procédé. C'est pourquoi nous considérons, pour notre part, que la gestion
des clefs de certification de signature électronique devrait ressortir à la
compétence publique.
L'enjeu de la démocratisation d'Internet passe par la création de ce nouveau
type de service public. De plus, la certification est une chose trop importante
pour que son crédit puisse être remis en question. Pour cette raison, elle ne
peut être confiée au secteur marchand.
Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, une agence nationale de certification
chargée de l'administration des clefs de certification, à l'instar de
l'Autorité de régulation des télécommunications, en charge de réguler ce
dernier secteur ?
Cette démarche serait de nature à rassurer les signataires électroniques et
permettrait à chacun de posséder, moyennant une contribution modeste perçue
sous forme de redevance, une signature électronique labellisée par le service
public.
Comme je l'indiquais au début de mon intervention, l'entrée pleine et entière
de la signature électronique et du document électronique dans notre code civil,
rendue nécessaire aujourd'hui, ne permettra pas de lever bien des incertitudes
en matière de document électronique.
Pour autant, le texte qui nous est proposé nous paraît, pour peu que l'on
éclaircisse la question des tiers de certification, équilibré et adapté aux
évolutions à venir de la technologie.
Nous serons, pour notre part, attentifs au décret qui permettra de définir la
fiabilité d'une signature électronique.
Compte tenu de ces réflexions, les membres du groupe communiste républicain et
citoyen adopteront le présent projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, le projet de loi relatif à la signature électronique que nous
discutons aujourd'hui est une étape importante, je dirai même essentielle, de
l'entrée de la France dans la société de l'information.
Depuis la publication du rapport établi au nom de l'Office parlementaire des
choix scientifiques et technologiques, au début de 1997, rapport que j'avais
intitulé
La France dans la société de l'information : un cri d'alarme et une
croisade nécessaire,
car nous étions très en retard malgré l'habitude du
minitel, une prise de conscience importante a eu lieu, notamment au sein du
Sénat, cela a été rappelé, mais aussi de la part des gouvernements qui se sont
succédé, en particulier de l'actuel gouvernement.
Les effets économiques, culturels et politiques sont immenses. C'est dans une
nouvelle ère que l'humanité est en train d'entrer, à une vitesse qui paraît à
beaucoup excessive et qui inquiète, et qu'il convient de maîtriser.
Le problème que nos évoquons aujourd'hui peut paraître très technique à un
double titre : sur le plan juridique et sur le plan informatique. Il s'agit,
d'une part, de techniques juridiques complexes, liées à des choses très
anciennes - l'échange, le contrat, la preuve de volonté des partenaires, les
actes écrits, dont l'ancienneté est attestée par l'archéologie... - qui
recouvrent de nombreux aspects concernant la preuve, la volonté - point qui a
été abondamment évoqué. Il s'agit, d'autre part, de l'irruption de la
numérisation, qui permet le transport, le stockage, la gestion à distance,
parfois la manipulation de textes, de données, d'images et de sons à la vitesse
de la lumière, sur les ondes ou dans des fibres, dans le monde entier,
instantanément.
D'un point de vue technique, ce n'est pas simple. Cela nécessite des
contrôles. Compte tenu des possibilités d'intrusion par des
hackers,
il
faut adapter la technologie. Cet aspect technique transparaît aussi bien dans
la présentation du projet de loi que dans les analyses qu'en a faites M. le
rapporteur.
La présentation par M. le ministre des relations avec le Parlement de votre
projet de loi, madame la ministre, a bien démontré l'importance stratégique de
cet aspect très technique. L'excellent rapport de notre collègue Charles
Jolibois, caractérisé par la rigueur, le sérieux et l'esprit d'ouverture qui
président toujours aux travaux du Sénat, me paraît exemplaire. Avec brio, M. le
rapporteur a montré qu'il est d'accord, fondamentalement, avec l'ensemble du
texte et de son esprit, et il a suggéré une audacieuse extension.
Avec sérénité, il a même démontré qu'il s'agissait non pas d'une modification
de fond de notre code civil, mais d'une précision sur l'adaptation de la notion
d'écrit à la modernité de l'écrit numérique, laissant à des décrets ou
circulaires les nécessaires adaptations que l'évolution irréversible des
techniques, qui galopent toujours, rendront inéluctables.
Depuis 1997, une loi en Allemagne et un décret en Italie existent sur cette
question.
La signature digitale allemande a, selon moi, indiscutablement permis à
l'Allemagne de rattraper une partie du retard qu'elle avait par rapport à
d'autres pays, notamment la France, où la pratique du minitel, qui est très
développée, a entraîné un chiffre d'affaires non négligeable dans le domaine de
ce que l'on appelle le
e.business.
Madame la ministre, vous avez préparé le présent projet de loi avant la
signature à Bruxelles de la directive européenne. Ce texte est d'abord examiné
par le Sénat. Nous vous en sommes très reconnaissants car, comme cela a été
indiqué à différentes reprises, le Sénat a toujours souhaité - M. le président
vient de le rappeler - être un modèle en ce domaine.
Il s'agit d'un texte essentiel.
Je n'insisterai pas sur l'importance, en matière de développement durable,
d'emploi et d'aménagement du territoire, des nouvelles technologies de
l'information et de la communication, et sur la généralisation de leur
pratique.
On sait que la transversalité de ces techniques rend leur usage indispensable
dans tous les secteurs de l'industrie, du commerce et des services. Outre les
industries de logiciels, des matériels et des télécommunications, certes très
importantes, sont également concernés tous les usages, donc tous les emplois.
Nous le savons tous, du fait de l'avènement de ces nouvelles technologies, des
millions d'emplois seront détruits ou modifiés dans le monde entier, et des
emplois, en nombre supérieur peut-être, seront créés. Votre projet de loi,
madame la ministre, permettra qu'ils soient créés aussi, et surtout, dans notre
pays.
Dans notre impatience, quelques amis et moi-même avons voulu montrer que, en
l'occurrence, le train de sénateurs était un TGV.
(Sourires.)
Nous avons
préparé une proposition de loi n° 114, qui vise à généraliser, dans
l'administration, l'usage de l'internet et des logiciels libres. Ne pouvant
obtenir une discussion conjointe de ce texte avec les propositions de loi que
nous examinons aujourd'hui, nous avons préparé des amendements à votre projet
de loi pour montrer, en particulier à nos collègues de l'Assemblée nationale,
ce qui pourrait être fait pour que l'administration montre véritablement
l'exemple et soit un moteur puissant pour moderniser la France.
La nouvelle économie se caractérise non seulement par la création de nouvelles
entreprises, nombreuses, petites, liées à Internet, mais aussi et surtout par
une rapidité d'action. Quand on demande à des petites sociétés telles que j'en
connais, notamment à Sofia-Antipolis, en assez grand nombre, ce qui leur
importe le plus, elles répondent : « Désormais, nous trouvons les capitaux que
nous voulons. En revanche, notre environnement n'est pas habitué à réagir avec
la rapidité nécessaire. En particulier, nous avons le sentiment que les
administrations et les collectivités locales ne réagissent pas avec la même
rapidité que celle que nous impose la concurrence internationale. Nous vivons à
un rythme qui nous est imposé par nos amis californiens ou japonais. Or nous
avons le sentiment qu'une partie de l'administration ne nous aide pas. »
C'est la raison essentielle pour laquelle nous avons estimé, madame la
ministre, qu'il était utile de développer en même temps une action incitative
forte auprès de l'administration. Certes, vous allez probablement me rétorquer
que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie prépare
actuellement un projet de loi sur l'introduction de la France dans la société
de l'information. Mais nous avons tenu à montrer dans quelle direction nous
pourrions aller, par exemple en demandant que les administrations, les
collectivités locales, puissent utiliser la messagerie électronique pour
communiquer entre elles, et que cette messagerie puisse être systématiquement
utilisée s'agissant des appels d'offres pour les marchés publics.
Nous avons même voulu aller plus loin en considérant qu'il faudrait, au fond,
que l'utilisation de la messagerie soit systématique, dans la mesure où il en
découlerait une grande transparence, y compris sur le plan des relations entre
les administrations, les collectivités locales, d'une part, les citoyens,
d'autre part, la généralisation de l'usage des messageries électroniques
entraînant, en effet, une transparence très forte.
Nous avons d'ailleurs expérimenté cette transparence dans la préparation de
notre proposition de loi : ayant mis cette dernière sur Internet, comme c'est
maintenant assez largement le cas au Sénat, nous avons obtenu plus de 1 400
contributions, pour la plupart très intéressantes ! C'est dire qu'une nouvelle
forme de démocratie s'instaure grâce à l'utilisation systématique
d'Internet.
C'est la raison pour laquelle je défendrai un certain nombre d'amendements sur
ce projet de loi, qui, au demeurant, recueille l'assentiment unanime du groupe
du RDSE.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Marc.
M. François Marc.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, nul ne peut nier que la France est à présent bien ancrée dans
la société de l'information : on comptera, en effet, près de 10 millions
d'internautes dans notre pays à l'horizon 2001 ; l'industrie française des
technologies de l'information et des communications est au quatrième rang
mondial en termes de chiffre d'affaires et représente d'ores et déjà plus de 5
% du PIB français.
Le Gouvernement, par une politique volontariste menée depuis deux ans, a
largement encouragé et accompagné ce mouvement.
Si l'entrée dans la société de l'information est acquise, son emblème,
l'Internet, pose avec acuité la question de sa régulation juridique. Le
développement des supports numériques entraîne en effet des problèmes nombreux
et nouveaux que les cadres juridiques actuels ne peuvent toujours résoudre.
C'est à ce stade que la loi doit jouer son rôle.
La mise en place de lois, de normes juridiques, trouve sa justification dans
la nécessité d'encadrer la vie en société, afin d'assurer l'effectivité des
droits et libertés mais aussi des obligations de chacun.
Or, les sociétés sont, par définition, en constante évolution, et, en toute
logique, les normes juridiques doivent suivre ces évolutions, permettre
d'encadrer les situations nouvelles. L'entrée dans l'ère numérique est une
évolution majeure pour nos sociétés ; nos cadres juridiques doivent, en
conséquence, l'appréhender de façon optimale.
Face à ce constat, de nombreux pays ont déjà adapté leur droit au nouveau
contexte de dématérialisation des échanges ; les Etats-Unis s'emploient à poser
des normes juridiques pour riposter à la multiplication des conflits d'intérêts
nés des transactions électroniques.
En définitive, en France comme ailleurs, on doit admettre que la
dématérialisation des échanges impose une mutation des règles juridiques. Le
projet de loi sur la signature électronique propose à ce titre une évolution
essentielle et nécessaire de notre droit ; il n'est cependant qu'un des volets
d'une grande réforme visant à encourager autant qu'à encadrer le développement
des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Afin de mieux comprendre le cheminement ayant conduit au projet de loi que
nous étudions aujourd'hui, il semble intéressant de se référer à l'analyse que
la commission des Nations unies pour le droit commercial international a
entamée - il faut le rappeler - dès 1985 et qui a abouti, en 1996, à l'adoption
d'une loi type sur le commerce électronique.
Cette commission des Nations unies est, en fait, la première organisation à
s'être interrogée sur les implications du développement des transactions
électroniques.
Elle s'est appuyée sur un double constat qui peut être très facilement
transposé à notre contexte national.
Tout d'abord, dans un certain nombre de pays, la législation régissant les
communications et l'archivage de l'information est inadaptée ou dépassée, car
elle n'envisage pas le recours au commerce électronique. Dans certains cas, la
législation impose directement ou indirectement des restrictions à
l'utilisation des moyens modernes de communication, par exemple en prescrivant
l'emploi de documents « écrits », « signés » ou « originaux ». Il fallait, tout
d'abord, reconnaître la valeur juridique des opérations électroniques.
Par ailleurs, outre leur reconnaissance, il semblait nécessaire d'assurer la
sécurité juridique de ces opérations afin de permettre l'utilisation la plus
large possible du traitement automatique de l'information dans le commerce
international.
Face à ce double constat, la commission des Nations unies a conclu à la
nécessaire adaptation du droit civil et commercial au développement du commerce
électronique et a ainsi réexaminé les exigences légales à la valeur probatoire
des enregistrements électroniques.
La loi type de 1996, découlant de ces conclusions, a ainsi permis d'offrir aux
législateurs nationaux un ensemble de règles permettant de surmonter un certain
nombre de ces obstacles et de créer un environnement juridique plus sûr pour le
commerce électronique.
Ce constat démontre, s'il est besoin, l'obsolescence du droit civil et
commercial français.
Il faut en effet rappeler que les dispositions du code civil sur la preuve ont
été rédigées en 1803, exploitées en 1804, à une époque où le papier était le
seul support utilisé pour constater l'existence et le contenu des contrats et
pour en faire la preuve.
Le cadre juridique a depuis lors - il faut l'avouer - assez peu évolué et
repose en résumé sur deux règles bien connues : d'une part la preuve
réglementée du code civil, l'article 1341 dudit code exigeant une preuve écrite
préconstituée de l'acte juridique lorsque l'obligation a une valeur égale ou
supérieure à 5 000 francs ; d'autre part, la preuve libre du commerce,
l'article 109 du code du commerce disposant que, « à l'égard des commerçants,
les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en
soit autrement disposé par la loi. »
Aucune disposition ne permet donc de statuer clairement sur la validité des
supports électroniques. Il appartient en ce sens au juge de définir au cas par
cas la force probatoire des documents.
Depuis quelques années, on assiste cependant à une inflexion de cette
conception à travers différents textes : la loi du 11 février 1994 a ainsi
ouvert aux entreprises la possibilité de remplacer des décisions écrites par un
message électronique équivalent ; le décret du 2 février 1999 a permis la mise
en ligne de formulaires administratifs.
Il s'agissait là de premiers pas tout à fait opportuns.
Mais, malgré ces évolutions, les incertitudes du droit civil actuel ont
justifié une réforme législative afin que la sécurité juridique nécessaire au
développement des transactions électroniques soit pleinement assurée.
Le gouvernement français, conscient du retard de notre pays, a souhaité, par
une démarche volontariste, se mettre en cohérence avec les chantiers
internationaux et communautaires.
Le projet de loi sur la signature électronique que vous nous soumettez, madame
la ministre, est ainsi un enjeu essentiel pour adapter notre droit à la
dématérialisation des échanges. Ce texte vise à faire entrer le droit de la
preuve, confronté au progrès technique, dans l'ère des nouvelles technologies.
Encadrées par la loi, les transactions électroniques seront ainsi gagées de
confiance, ce qui sera sans conteste un moteur de croissance du commerce
électronique.
Comme cela nous a été rappelé tout à l'heure, le projet de loi procède en deux
étapes pour reconnaître juridiquement la force probatoire du document
électronique.
Dans un premier temps, il nous est proposé de modifier la notion de preuve
littérale ou par écrit afin d'y inclure le document électronique.
Il eût été possible de conférer à la preuve électronique un statut
d'exception, et donc d'infériorité par rapport à la preuve littérale classique.
Le projet de loi s'est voulu plus ambitieux. Il n'a pas voulu faire de la
signature électronique une « sous signature ».
L'innovation majeure que vous proposez consiste donc à redéfinir la preuve
littérale afin de la rendre indépendante de son support.
Dans la lecture actuelle de l'article 1341 du code civil, la preuve par écrit
est inhérente à son support : la preuve littérale est définie comme désignant
une écriture apposée sur un support tangible. Cette assimilation entre support
matériel et preuve littérale ne permettait donc pas jusqu'à présent
d'identifier des transactions informatiques comme étant des actes sous seing
privé ou des actes authentiques.
De ce fait, même si la jurisprudence a eu historiquement une interprétation
large de l'écrit, les supports virtuels n'ont cependant jamais été considérés
comme des supports conférants une force probatoire aux documents.
Ainsi, le projet de loi résout un premier problème lié au développement des
transactions électroniques en élevant les documents électroniques au rang de
preuve littérale. Lorsque ce document est signé et qu'il aura été préétabli
spécialement pour constater un acte générateur de droit et d'obligations, il
aura donc valeur instrumentaire et pourra être allégué d'une force probante
équivalente à l'acte sous seing privé ou à l'acte authentique. En cas de
conflit entre preuves littérale et électronique, le législateur confère enfin
au juge le soin de statuer sur un pied d'égalité laquelle est la plus
vraisemblable.
Le second volet du projet de loi tend, quant à lui, à une reconnaissance de la
valeur probatoire de la signature électronique, pendant nécessaire à la probité
des écrits électroniques.
Dans son acceptation traditionnelle, la signature consiste dans l'apposition
manuelle d'une marque distincte destinée à s'approprier le contenu d'un
acte.
Déjà, la jurisprudence avait admis la validité des conventions portant sur la
signature électronique en matière de paiement par carte bancaire, par
exemple.
Le projet de loi dont nous sommes saisis franchit une nouvelle étape en
reconnaissant la validité juridique de tout procédé de signature électronique
fiable, tout en faisant bénéficier certaines signatures de présomption de
fiabilité.
Ce second volet adapte ainsi par anticipation la directive européenne, adoptée
le 29 novembre 1999, proposant un cadre commun pour les signatures
électroniques.
Ce projet de loi révolutionne, par conséquent, le droit de la preuve en le
faisant entrer dans l'ère numérique.
Son approche générale ne lui donne cependant pas vocation à résoudre toutes
les questions juridiques nées des transactions électroniques, très nombreuses
au demeurant.
Trois questions semblent, à ce titre, fondamentales : la pertinence de la
différenciation entre l'écrit et l'oral ; la question de l'intelligibilité, de
la durabilité des écrits électroniques et la question de l'intégrité des écrits
électroniques.
Tout d'abord, concernant la redéfinition de la preuve littérale, beaucoup
d'experts s'interrogent sur la validité de la disctinction entre écrit et
oral.
On peut aujourd'hui, en effet, numériser facilement des messages oraux ;
seront-ils reconnus au même titre que les écrits électroniques ? La loi laisse
penser que oui, mais qu'en sera-t-il lors de conflit entre preuves ?
Par ailleurs, la question de l'intelligibilité de l'écrit électronique, de son
intégrité et de sa durabilité se pose, elle aussi, avec acuité. Qui nous dit,
par exemple, que disquettes et cédéroms ne seront pas totalement obsolètes dans
dix ans ?
Le projet de loi stipule que la probité de l'écrit électronique sera
conditionnée à un mode d'établissement et de conservation de nature à en
garantir l'intégrité. Cette difficulté a donc été prise en compte, et il
appartiendra au pouvoir réglementaire d'en assurer l'effectivité.
Enfin, la dernière question fondamentale est celle de la fiabilité des écrits
électroniques. Comment reconnaître la fiabilité d'un document électronique
lorsque l'on sait que les pirates informatiques font preuve de toujours plus
d'ingéniosité pour détourner les systèmes de sécurité ?
Cette exigence de fiabilité est prise en compte dans le projet de loi. Il
appartiendra, ici aussi, au pouvoir réglementaire d'en définir l'application
concrète. C'est en effet par décret que les critères de fiabilité seront
définis, et ce en fonction des évolutions technologiques. C'est une condition
nécessaire à la sécurité juridique des transactions qui n'a pas été oubliée. En
ce sens, le Gouvernement s'inspirera bien entendu des critères déterminés par
la directive européenne.
Les questions que suscite cette évolution de notre droit sont, par conséquent,
riches et multiples. Elles sont également incontournables, car elles
conditionnent l'entrée effective de notre pays dans l'ère du numérique.
Le Gouvernement a insufflé une nouvelle portée au droit de la preuve. Il est
certain que c'est avec la même volonté et la même rigueur qu'il sera très
prochainement conduit à donner une coloration concrète à cette loi.
Par ailleurs, n'oublions pas que l'adaptation du droit de la preuve aux NTIC,
les nouvelles technologies de l'information et de la communication, n'est qu'un
élément de la réforme globale engagée par le Gouvernement afin d'assurer
l'entrée de la France dans la société de l'information. Lionel Jospin a en
effet rappelé, lors de l'université d'été de la communication à Hourtin, le
devoir de la France d'engager l'adaptation de son cadre législatif à la société
de l'information.
Cette nécessité s'est traduite par la mise en place d'une réforme de grande
ampleur afin de mettre notre droit en cohérence avec les évolutions
technologiques.
Par le présent projet de loi, le Gouvernement respecte ses engagements, et
d'autres projets sont d'ailleurs annoncés.
Cette réforme globale a été engagée sur la base d'une démarche
interministérielle et a donné lieu à une consultation publique afin de prendre
en considération les attentes et les préoccupations des acteurs, tant publics
que privés. Voilà qui atteste de la volonté de concertation dont fait preuve le
Gouvernement.
Les réponses aux exigences du temps présent devront s'organiser autour de
trois axes majeurs : il importe d'abord d'assurer la liberté des communications
en ligne en clarifiant les droits et responsabilités de chacun ; il s'agit
ensuite de favoriser l'accès du plus grand nombre aux réseaux des nouvelles
technologies de l'information ; enfin, sachant que le développement des NTIC
entraîne une dématérialisation croissante des échanges, la sécurité juridique
des acteurs devra être assurée par la sécurité et la loyauté des transactions
en ligne.
Certains éléments constitutifs de cette réforme ont été d'ores et déjà traités
dans des textes distincts.
Le projet de loi sur les signatures électroniques que vous nous soumettez
aujourd'hui est le premier volet de ce mouvement législatif. Il permettra
d'assurer la loyauté et la sécurité des transactions en ligne, gage de
développement du commerce électronique.
Un avant-projet de loi sur la protection des données à caractère personnel est
en cours de réalisation, afin de transposer une directive communautaire
relative à la protection des données personnelles impliquant la modification de
la loi de 1978, dite « Informatique et libertés ».
Enfin, un projet de loi plus global sur la société de l'information viendra
compléter cette réforme. Cette dernière pierre du dispositif devra concourir à
une meilleure prise en compte de trois préoccupations fondamentales : la
liberté de communication, la sécurité des transactions électroniques et la
protection des contenus et des droits d'auteur.
Ainsi, on ne peut évaluer la portée du projet qui nous est soumis aujourd'hui
indépendamment de son intégration dans un mouvement législatif de grande
ampleur.
Madame la ministre, le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui est,
en résumé, une première pierre posée à un édifice beaucoup plus ambitieux. Il a
pour objectif de reconnaître la valeur juridique des outils utilisés dans le
monde virtuel, à savoir l'écrit et la signature électroniques, pour réaliser
des transactions. La sécurité juridique des transactions en ligne ainsi assurée
permettra, sans nul doute, de conforter le développement du commerce
électronique.
Le groupe socialiste se félicite de la volonté de réforme ainsi concrétisée
par le Gouvernement, auquel il apportera tout son soutien pour ce projet de loi
qui participe pleinement de l'ancrage de la France dans l'ère du numérique.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes
chers collègues, que peut-on ajouter sur ce sujet après tant de propos savants
et d'interventions de qualité ?
Pour ma part, je commencerai par dire combien j'ai apprécié le travail mené
par Charles Jolibois, notre rapporteur, et par la commission des lois : le
rapport qui nous est présenté nous éclaire sur les enjeux d'un texte qui nous
ouvre des voies, des perspectives, et qui doit permettre à notre droit de
s'adapter aux évolutions de notre environnement technologique mais aussi
international.
Le texte qui nous est soumis peut paraître « aride » - c'est le mot utilisé
par M. Vaillant tout à l'heure - mais, au fond, lorsqu'on y songe, il porte sur
un élément essentiel de la vie en société puisqu'il traite de la confiance. Or,
sans confiance, il n'y a ni échanges ni progrès économique ; sans confiance, il
n'y a ni paix ni concorde entre les hommes dans leur vie contractuelle. C'est
dire si ce texte nous appelle à une vue élevée et à un sens aigu des
responsabilités.
Je fais miennes les approches de M. le rapporteur et je me contenterai donc de
souligner certains des aspects les plus importants du texte qui nous est
soumis.
Le premier de ces aspects concerne la prééminence de l'écrit. Personnellement,
je considère que cet élément est essentiel. Il ne faut pas qu'il y ait le
moindre brouillage du message : j'affirme la nécessité de la prédominance de la
preuve par écrit.
Tout autre est la question du support de l'écrit. Il est vrai, vous l'avez
très bien dit, monsieur le rapporteur, qu'une assimilation s'est opérée, au fil
du temps, entre l'écrit et son support traditionnel, le papier. Mais rien
n'oblige - j'allais dire : au contraire - à rester rivé sur cette confusion qui
priverait l'écrit de toutes les avancées technologiques.
Je suis de ceux qui pensent qu'un écrit doit être juridiquement défini
séparément de son support en toutes circonstances, afin, précisément, de donner
à cet écrit les meilleures chances d'avenir. Voilà qui me conduit à me
prononcer de manière solennelle pour une égalité parfaite entre le support
électronique et le support papier. Toute autre solution intermédiaire
risquerait de marginaliser notre droit de la preuve, qui mérite de rester un
modèle pour le monde plutôt qu'un repoussoir.
L'importante question de la fiabilité du support doit naturellement retenir
l'attention du pouvoir réglementaire, dont elle relève, mais elle ne saurait
entretenir dans la loi la moindre confusion entre l'écrit lui-même et son
support. Or, à la lecture d'un texte, on s'aperçoit que, au hasard d'un mot, on
confond écrit et support. Le projet de loi vient donc à propos, puisqu'il
définit la preuve littérale - que vous avez voulu également définir comme
preuve par écrit - en la rendant tout à fait indépendante de son support.
S'agissant, en revanche, du point d'insertion dans le code civil de ce support
électronique, il est vraiment indispensable - et je crois que vous avez bien
fait de modifier le texte à cet égard - de ne laisser s'introduire aucune
confusion entre support et acte : le support n'est qu'un support, il n'est pas
un acte juridique, qu'il soit d'ailleurs un suppport électronique ou un support
papier.
M. le rapporteur a bien voulu prendre en compte ces données en prévoyant que
l'acte authentique pourra être dressé sur support électronique. Je lui en rends
hommage : sa position marque bien que le support reste sans effet sur les actes
juridiques, qu'ils soient publics ou privés.
S'agissant de la définition générale de la signature et de la reconnaissance
de celle-ci, je veux aussi souligner que le rapporteur et la commission ont eu
raison de proposer d'insérer ces dispositions dans la définition générale des
actes, autrement dit de prévoir que cette définition ne soit pas différente
selon la nature de l'acte, qu'il soit authentique ou sous seing privé, qu'il
s'agisse d'un support électronique ou d'un support papier.
J'entendais tout à l'heure M. le ministre dire que nous serait proposée une
définition de la signature électronique. Il me semble, personnellement,
souhaitable - mais nous pourrons en reparler à l'occasion de la discussion des
articles - que la signature ne connaisse qu'une définition dans notre droit.
M. le rapporteur pose une autre question supérieurement intéressante : faut-il
accorder à la signature manuscrite une valeur supérieure à celle de la
signature électronique ? Comme il le sait, personnellement, je ne le recommande
pas, car je préfère affirmer en tout point l'égalité entre support papier et
support électronique.
Vous avez indiqué, devant la commission des lois, que vous ne faisiez pas ce
choix dans la mesure où « il aurait été contraire au droit communautaire » ;
mais je perçois comme une forme de regret sous votre habile plume et je
souhaite contribuer à atténuer, peut-être, ce regret en vous disant que,
personnellement, j'ai été souvent consterné par le caractère absolument
dérisoire des mentions manuscrites qui sont parfois exigées pour parfaire le
consentement d'un contractant.
Dans la réalité, telle qu'elle est vécue sur le terrain, le manuscrit
n'apporte aucune sécurité au contractant. Parfois, bien au contraire, ce
dernier écrit de sa main une formule absconse qui protège son vis-à-vis plus
que lui-même. La vraie supériorité, pour apprécier la plénitude d'un
consentement et le fait que la partie qui s'engage a parfaitement mesuré la
portée de son engagement, résulte dans la présence au contrat d'un tiers qui
engage sa propre responsabilité sur la validité de ce consentement.
Cette importante question n'est pas traitée par le présent texte, mais elle le
sera lors de la transposition de la directive sur le commerce électronique. Je
souhaitais cependant profiter de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui
pour dire, d'ores et déjà, mon étonnement de voir souvent le législateur
moderne que nous sommes, dans son ardente volonté de protéger le consommateur,
se donner bonne conscience en le bardant d'une batterie d'instruments sans
effets réels pour sa sécurité, mais dont il ne manque pas, malheureusement, de
supporter le coût.
J'en termine avec la distinction faite dans l'exposé des motifs entre
valeur
ad solemnitatem
et valeur
ad probationem
pour réaffirmer
que, si le support est indépendant de l'acte, il n'y a pas lieu de distinguer
entre ces deux écrits. Sans doute convient-il plutôt de s'interroger sur le
point de savoir si l'écrit électronique signifie, dans l'esprit de ceux qui
utilisent ce vocable, qu'il s'agit d'un écrit signé à distance ! Ce que, pour
ma part, je réfute puisque, dans l'état actuel de la technologie utilisée pour
le traitement de texte, le support électronique précède presque toujours le
support papier, de sorte que l'écrit papier n'est le plus souvent que l'édition
d'un document élaboré et conservé sur suppport électronique. Dès lors, rien
n'interdit de penser que se généralisera demain l'écrit électronique signé non
à distance mais en présence des contractants.
On ne peut traiter la question de l'écrit électronique sans évoquer, même d'un
mot, la question de sa conservation. Vous l'avez souligné à juste titre,
monsieur le rapporteur, il est parfois étonnant d'observer les experts débattre
de techniques toutes plus sophistiquées pour garantir la pérennité du support
électronique sans jamais s'interroger sur ceux qui auront en charge sa
conservation afin d'en faire la représentation à tout moment, et dans la
durée.
Je pense que les choix faits par notre commission des lois vont nous permettre
d'introduire dans notre code civil des éléments essentiels pour assurer à
l'écrit un grand avenir. En effet, ce dernier est sans doute le gage de la
sécurité juridique de nos contemporains et de la confiance qui permet à la fois
le développement économique et la paix entre les hommes.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées du RDSE et sur
certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues,
l'avènement d'Internet n'est pas un long fleuve tranquille. Il s'apparente
plutôt à un véritable raz-de-marée technologique qui emporte tout sur son
passage et fait chavirer nos certitudes économiques, juridiques et
culturelles.
Choc des titans, qui voit des entreprises que l'on croyait invincibles se
faire absorber à coups d'OPA et de centaines de milliards de dollars ou d'euros
!
Choc des cultures, qui voit la nouvelle économie imposer ses valeurs et le
monde s'ouvrir à une concurrence sans limites !
Choc des valeurs, qui voit des principes juridiques centenaires remis en cause
en quelques années, voire en quelque mois.
Tout va très vite, ... trop vite, penseront certains !
Le phénomène est planétaire. Rien ni personne ne semble pouvoir échapper à la
révolution des technologies de l'information et de la communication.
Dans ces conditions, on peut s'interroger sur l'utilité de légiférer en la
matière, tant sont différentes l'unité de temps parlementaire et l'unité de
temps technologique. Une loi risque d'être dépassée avant même d'être
définitivement adoptée.
Légiférer pour quoi ? Légiférer sur quoi ?
Que nous le voulions ou non, nous sommes contraints d'accompagner le mouvement
général, sauf à céder à une « tentation albanaise », dont nous connaissons par
avance les conséquences.
L'enjeu est en effet majeur pour nos entreprises et pour nos emplois, donc
pour tous les Français.
L'émergence et le développement rapide de nouvelles technologies de
communication conduisent à une révolution des circuits et des méthodes de
distribution et de vente.
Ainsi, le commerce électronique via Internet et les réseaux d'échange de
données informatisées représente pour la France un chiffre d'affaires estimé,
en décembre 1999, à 1 300 millions de francs.
La Commission européenne estime que le chiffre d'affaires pour l'Europe
pourrait atteindre 340 milliards d'euros en 2003.
La France ne peut, naturellement, rester à l'écart de ce virage économique,
qui s'annonce aussi majeur que la révolution industrielle. Nous avons le devoir
d'adapter notre législation à la nouvelle donne économique.
Or, le commerce électronique se caractérise par la dématérialisation des
échanges et, par voie de conséquence, impose une adaptation globale du
droit.
Cela concerne aussi bien le droit des contrats que le droit fiscal, le droit
de la consommation ou celui de la propriété intellectuelle.
Le projet de loi présenté aujourd'hui au Sénat apporte une pierre au nouvel
édifice juridique.
Il procède à une adaptation du droit de la preuve, en intégrant l'écrit
électronique parmi les documents littéraux admis en droit français comme mode
de preuve.
Il reconnaît à cet écrit la même valeur probante que l'acte sous seing privé
sur support papier, lorsque celui-ci satisfait à un certain nombre de
conditions techniques permettant d'identifier de façon certaine son auteur et
de s'assurer que l'acte ne peut pas être altéré.
Enfin, il définit la signature électronique comme une des réponses au besoin
de sécurisation des échanges et des biens immatériels.
L'objet de ce texte ne pose pas, en soi, de problème. La législation en la
matière est attendue, notamment par les professionnels.
Toutefois, ce projet de loi est limité dans sa portée et par le contexte dans
lequel il s'inscrit.
Le texte est tout d'abord limité dans sa portée, car il se contente de poser
des principes et renvoie à des décrets pour ce qui est des modalités techniques
de sécurité.
Or, la sécurité constitue un enjeu essentiel tant pour les consommateurs que
pour les prestataires de services. Comme le rappelait M. Lambert, elle est à la
base d'une confiance mutuelle qui conditionne le développement futur du
commerce électronique : sans sécurité, les consommateurs hésiteront à utiliser
leur carte de crédit sur Internet ou à communiquer des informations
personnelles ; sans assurance, des entreprises refuseront de commercialiser
leurs produits sur les réseaux.
La fiabilité du nouveau dispositif juridique dépend donc largement de celle du
dispositif technique. Or, tout est loin d'être réglé.
Malgré la belle assurance dont font preuve beaucoup d'informaticiens,
l'actualité fourmille d'exemple de systèmes de sécurité piratés, « cassés »,
contournés, biaisés.
La cryptologie fait l'objet d'une rude compétition entre les entreprises
spécialisées dans ce domaine, toujours à la recherche de nouveaux
perfectionnements des systèmes.
Mais cette cryptologie doit aussi subir la compétition de ceux qui cherchent à
en percer les secrets, pour des raisons plus ou moins avouables.
Pour illustrer mon propos, je rapporterai juste l'exemple suivant : il y a
quinze jours, une grande entreprise française a subi une tentative de
déstabilisation via Internet. Elle consistait à envoyer de faux messages
électroniques compromettants prétendument échangés entre les cadres de cette
société.
La sécurité des données et l'authentification de leurs auteurs sont donc un
enjeu majeur non seulement pour le commerce électronique mais pour l'ensemble
des informations transmises sur les différents réseaux de communication.
La désinformation peut, en effet, faire des dégâts d'autant plus importants
qu'une fausse nouvelle peut faire le tour de la planète en quelques secondes.
C'est une « arme » particulièrement efficace, car il est souvent difficile de
prouver qu'il s'agit d'un faux. Ou alors il est trop tard, car le mal est déjà
fait, et nous savons que la rumeur informatique a déjà fait des victimes.
La douce expression d'« intelligence économique » laisse entrevoir l'âpreté
croissante des rapports entre les différents acteurs en raison du développement
exponentiel des nouvelles technologies.
On comprend donc l'enjeu considérable que représente pour les sociétés le
souci de se protéger. La sécurité des données est un combat permanent et
probablement sans fin. Il y a là, à mon sens, un vrai problème, sur lequel je
veux insister.
L'informatique est une science exacte, mais elle ne le reste pas longtemps. A
ce sujet, je m'interroge sur les conditions de conservation des documents
électroniques. La durée de conservation des actes est de dix ans en matière
commerciale et de trente ans en matière civile.
M. Charles Jolibois souligne fort justement dans son rapport que la
conservation des moyens de preuve sur support électronique pose le problème de
l'inégalité entre les parties. Elle risque, en effet, d'être unilatérale, seuls
les professionnels disposant des moyens techniques d'archiver les documents
électroniques sur une longue durée, c'est-à-dire celle de la prescription.
En raison de l'évolution très rapide des techniques, il est difficile de
garantir que l'intéressé disposera bien, au moment voulu, des interfaces
logicielles et matérielles requises pour accéder simplement à la lecture du
document sur support électronique établi dix ans plus tôt.
Je m'interroge, pour ma part, sur un autre risque, lui aussi lié à l'évolution
galopante de la technologie.
La cryptologie s'apparente à une course de vitesse. Grâce à des moyens
considérables, il est possible que les systèmes de protection gardent une
longueur d'avance sur leurs « poursuivants ». Mais qu'en est-il d'un document
électronique conservé pendant plusieurs années ? Comment, en effet, garantir
l'inviolabilité d'un acte protégé à l'aide d'un logiciel de cryptologie conçu
il y a cinq ou dix ans, et donc, par définition, totalement dépassé ?
J'aimerais savoir si le Gouvernement a étudié cet aspect du problème.
De manière plus générale, madame le garde des sceaux, j'attire votre attention
sur la vigilance dont vous devrez faire preuve lors de l'élaboration des
décrets qui fixeront les conditions de fiabilité de la signature électronique.
La confiance dans les réseaux est en effet indispensable au bon développement
des transactions électroniques. Or, la sécurisation doit s'effectuer sur deux
tableaux : normatif et technique. L'un ne doit pas aller sans l'autre.
La seconde limite de ce projet de loi est, évidemment, son caractère
national.
Nous savons tous que le commerce électronique ignore les frontières. Une
législation purement nationale serait inadaptée à un média mondial et, par voie
de conséquence, largement inopérante. Dans ces conditions, l'avenir du commerce
électronique dépend principalement d'une harmonisation de la législation sur le
plan international.
L'Europe s'est déjà attelée à cette tâche, comme l'a rappelé notre rapporteur.
De même, malgré Seattle, les négociations sur le commerce électronique ont
repris au sein de l'Organisation mondiale du commerce.
A ce sujet, je veux souligner la nécessité qu'il y a à ne pas entraver la
liberté qui est à la base du développement d'Internet. Il ne faudrait pas qu'un
excès de régulation étouffe un marché source de croissance et d'emplois pour
l'avenir.
Le cadre juridique des nouvelles technologies de l'information doit favoriser
la compétitivité des entreprises françaises à l'échelon mondial et non pas les
pénaliser.
Les Etats doivent également encourager les acteurs du marché à
s'autodiscipliner, sans vouloir multiplier les règles dans tous les domaines.
Le groupe des Républicains et Indépendants sera très vigilant sur ce point.
C'est dans cet esprit que nous accueillons ce projet de loi, ainsi que les
excellentes propositions de notre rapporteur.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je veux remercier l'ensemble des intervenants qui se sont exprimés
pour soutenir ce projet de loi, qui fait entrer par la grande porte l'écrit
électronique dans le code civil.
Tout le monde a souligné l'importance de ce projet pour favoriser le commerce
électronique et sécuriser les transactions. Je le répète après bien d'autres
ici, sous des dehors très techniques, ce projet de loi est très novateur.
Certes, il reste de nombreux problèmes techniques non encore résolus, telles
la conservation des supports, la possibilité pour l'acheteur de se rétracter,
la certification, etc. Ils devront, à l'évidence, faire l'objet d'études et
d'expertises complémentaires avant que les textes réglementaires soient
pris.
Mais ces interrogations ne doivent pas nous empêcher d'avancer, car il nous
faut adapter notre législation.
Vous le savez, le programme gouvernemental pour la société de l'information
est une priorité affichée depuis plus de deux ans par le Premier ministre.
C'est la raison pour laquelle - c'est à remarquer, car ce n'est pas très
fréquent - le texte qui vous est présenté a été soumis au conseil des ministres
avant que la directive communautaire ait été adoptée, en décembre dernier.
La philosophie de ce texte est que l'écrit doit rester au centre de la
confiance et de la sécurité juridique. C'est là le modèle absolu du droit de la
preuve. Mais je crois qu'il était essentiel de le séparer de son support. Cette
distinction entre acte et support permet d'englober tous les actes, qu'ils
soient sous seing privé ou authentiques.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er