Séance du 18 janvier 2000
LIBERTÉ DE COMMUNICATION
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 392, 1998-1999),
adopté par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre
1986 relative à la liberté de communication. [Rapport n° 154 (1999-2000) et
avis n° 161 (1999-2000)].
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président,
monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le
rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les
sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui la réforme de la loi
sur la liberté de communication préparée par le Gouvernement telle que l'a
adopté en première lecture l'Assemblée nationale.
Avec cette réforme, le service public trouvera les moyens d'une nouvelle
ambition. Avec cette réforme, le système de la régulation audiovisuelle à la
française prendra pleinement en compte la nouvelle donne de la numérisation.
Depuis un demi-siècle déjà, la radio et la télévision se sont imposées comme
la principale source d'information des citoyens, le premier de leur
divertissement et, avec l'école, le plus puissant vecteur de l'éducation, de la
culture et de l'expression des idées.
Une nouvelle mutation des usages audiovisuels est cependant engagée avec
l'essor conjoint des transmissions satellitaires et de la numérisation des
signaux.
Un bouleversement plus puissant encore est en oeuvre avec la convergence de
l'audiovisuel, de la téléphonie et de l'informatique.
Ouverture au monde le plus lointain, mais aussi connaissance du monde le plus
proche : si les frontières géographiques disparaissent, nos concitoyens ne
veulent pas perdre leurs racines. C'est dans le même esprit d'universalité que
nous exigeons que l'information nous renseigne aussi bien sur ce qui arrive à
l'autre bout du monde que sur ce qui se passe dans notre village ou notre
quartier. Devenue européenne, demain peut-être mondiale, la citoyenneté se veut
plus fraternelle et plus intime.
Est-ce à dire que cette facilité de recueillir l'information, de disposer de
toute l'ampleur du savoir humain en temps réel va transformer notre société au
point de faire disparaître toutes les inégalités et progresser l'intelligence
humaine ?
A nous d'en décider : deux espoirs se dessinent devant nous.
Le premier, c'est la fin des inégalités culturelles. Tous ces progrès ne sont
encore accessibles qu'à une petite partie de l'humanité, la plus riche. Bien
sûr, nous pouvons aujourd'hui recevoir plus de trois cents chaînes, mais 80 %
des foyers ne disposent encore aujourd'hui que des seules chaînes hertziennes
gratuites. Dans quelques années, peut-être ne seront-ils que 50 %, mais quand
bien même ils ne seraient que 20 %, 10 %, voire moins, nous devrions leur
garantir une qualité et une diversité de contenus. C'est ainsi que nous
combattrons l'exclusion.
Le second espoir, c'est la diversité de la pensée. En matière économique, les
monopoles sont coûteux pour le consommateur ; en matière de communication, ils
sont pernicieux pour l'esprit. Nous pouvons bénéficier de nouvelles sources de
divertissement, d'information, de culture, multiples et diverses.
Ouvrir notre paysage audiovisuel, faciliter le développement de nouvelles
chaînes du câble, du satellite ou du numérique hertzien, c'est permettre
l'épanouissement de chacun dans la liberté.
Renforcer le contrôle de l'indépendance des rédactions, à l'égard des intérêts
politiques et économiques, c'est favoriser le pluralisme et l'impartialité de
l'information.
Soutenir la production de contenus audiovisuels de qualité, en incitant les
nouvelles chaînes non pas à se contenter de rediffuser des stocks largement
amortis ou des téléfilms américains achetés au kilomètre, mais à investir dans
la création de programmes originaux, c'est défendre la diversité culturelle.
Ce sont bien ces principes que la France défend dans l'arène internationale.
Ce sont bien ces principes qui sous-tendent la loi de développement et de
liberté que le Gouvernement vous soumet aujourd'hui.
Une loi de développement qui permette à nos entreprises publiques et privées
de prendre toute leur part dans le renouveau technique et des services, et
d'affirmer efficacement leur présence sur le marché international.
Une loi de liberté qui garantisse que cet essor soit porteur d'un regain de la
démocratie et d'un épanouissement des forces de la création.
Je sais que beaucoup de sénateurs, au-delà de nos différences d'approche,
partagent avec le Gouvernement l'attachement au service public audiovisuel, à
l'indépendance des autorités de régulation ou au pluralisme de la création.
Je n'ai pas besoin de le souligner, le contexte a profondément changé depuis
le moment où vous avez adopté un projet de loi modifiant la loi de 1986
présenté par mon prédécesseur : le temps écoulé nous permet de nous pencher
aujourd'hui, en temps réel, sur les questions que l'évolution des techniques
nous pose. Qui pouvait alors prévoir la fusion AOL-Time Warner, le
développement de la web-tv ou l'accélération du passage à la télévision
numérique de terre ?
C'est bien dans cet esprit d'adaptation souple aux nouvelles problématiques
que nous ouvrons le débat sur la télévision numérique de terre ou que nous
réfléchirons ensemble au développement des télévisions locales, avec l'objectif
de finaliser ces dispositifs au cour des secondes lectures. Je conçois cette
navette parlementaire comme une chance d'enrichissement du texte qui vous est
soumis. J'en profite pour rendre hommage au remarquable travail qui a été
accompli ici, tout particulièrement par MM. Hugot et Belot, vos rapporteurs,
ainsi que par Mme Pourtaud et par MM. Pelchat et Weber, qui ont examinés très
attentivement ce projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans cette démarche tout à la fois
pragmatique et réfléchie, fondée sur la conviction que l'action publique dans
l'audiovisuel est légitime, cette réforme poursuit trois objectifs : refonder,
développer et réguler.
D'abord, il s'agit de refonder le service public, d'une part pour renouer le
contrat démocratique qui lie les citoyens à leur audiovisuel public et, d'autre
part, pour créer un point d'équilibre et de référence dans un monde
concurrentiel et changeant.
Missions, organisation et moyens sont les trois piliers de ce projet de
loi.
J'ai tenu à ce que la représentation nationale débatte des missions qu'elle
assigne au service public de l'audiovisuel, dans son ensemble et à travers
chacune de ses composantes, dans les nouvelles technologies comme dans ses
aspects plus classiques.
Dans cette volonté de redonner force et ambition à l'audiovisuel public, la
France agit de concert avec tous les pays d'Europe et prendra, dans le cadre de
sa présidence de l'Union, plusieurs initiatives.
En effet, ce que nous défendons ensemble, c'est l'idée qu'un audiovisuel
public fort et diversifié constitue un outil irremplaçable au service de la
démocratie, du développement culturel, de la diversité de la création
audiovisuelle et du rayonnement international. Ce choix s'impose à la fois
comme une exigence de citoyenneté et comme un pari industriel d'avenir.
L'audiovisuel public, par la richesse de ses programmes et de ses
savoir-faire, dispose d'atouts remaquables pour contribuer au développement de
l'offre thématique aussi bien qu'au renforcement de notre présence dans la
compétition internationale de l'information et des programmes. C'est également
lui qui est le mieux placé pour anticiper l'enrichissement des services que
permettra le développement de diffusion numérique hertzienne que nous allons
évoquer.
Aucune chaîne privée ne saurait se substituer au rôle joué par la Sept-Arte en
matière de création, de documentaire ou de fiction, ou par La Cinquième comme
pôle de connaissance, d'éducation et de savoir, et je sais combien votre Haute
Assemblée est attachée au bon fonctionnement et au développement de la chaîne
éducative. Mais il est également décisif que le service public, avec la force
conjuguée de France 2 et de France 3, fasse oeuvre de qualité et d'invention
dans tous les grands genres de programmes à vocation « grand public » :
fictions, bien sûr, mais aussi jeux, sports ou divertissements.
France 2 est la chaîne publique à qui incombe la mission fédératrice la plus
large et qui doit exercer, au plus haut niveau d'exigence, son rôle
d'information nationale et internationale. C'est grâce à la puissance de ce
navire amiral que le secteur public, loin d'être condamné à un destin
subsidiaire, va pouvoir se déployer avec succès dans les nouveaux services et
sur la scène internationale. Enfin, grâce aux moyens que cette loi lui donnera,
France 2 finira de sortir de la crise d'identité et de la crise financière
qu'elle traversait depuis plusieurs années.
Si toutes ces évolutions, si tous ces défis technologiques et sociologiques
plaident pour un développement offensif de l'audiovisuel public, ils permettent
aussi de mesurer les déficiences actuelles de son organisation.
C'est bien pour donner à la télévision publique la plénitude de ses moyens que
j'ai proposé de rassembler ses forces en un véritable groupe industriel et
financier, la fameuse « holding ».
Pourquoi constituer un tel groupe ?
C'est d'abord pour mener une stratégie d'investissement plus efficace, en
particulier dans le numérique, et de développement des programmes.
C'est, ensuite, pour « faire le poids » face à des opérateurs privés d'autant
plus puissants qu'ils s'allient, pour atteindre une véritable dimension
européenne.
C'est, enfin, pour permettre aux chaînes publiques de réaffirmer leur identité
éditoriale au sein d'un même groupe industriel et financier, dans le respect de
leurs missions et de leurs antennes respectives. A côté de France 2, dont je
vous ai indiqué la place centrale, France 3 doit être la chaîne de la
proximité, de l'attachement au territoire et au voisin. Quant à La Cinquième,
j'attends de cette chaîne qu'elle s'adresse à tous les publics, avec une
mission éducative très large, consubstantielle à la notion même de service
public.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous propose que la
Sept-Arte ne fasse pas partie de ce groupe. Il s'agit là d'une décision que,
après mûre réflexion, j'ai soumise au Premier ministre, qui l'a acceptée et
dont il a fait part hier au chancelier allemand. Je souhaiterais vous
l'expliquer.
J'ai été, vous le savez, parmi les premières et les plus ardentes à
m'impliquer, dès l'origine, dans la défense d'Arte, qui, vous ne l'ignorez pas,
a son siège à Strasbourg. Il s'agissait alors pour moi de soutenir un projet
culturel réellement innovant et démocratique, traduction dans les faits de mon
idéal européen.
L'essentiel a donc toujours été et reste, à mes yeux, le développement d'Arte
en France, en Allemagne et en Europe, et je continue à penser que la Sept-Arte
aurait été assez forte pour participer au groupe France Télévision sans perdre
pour autant son identité.
Le projet de loi garantissait l'indépendance éditoriale, l'autonomie
financière et managériale de la Sept-Arte, comme d'ailleurs celle de France 2,
France 3 ou de La Cinquième. Dans ce cadre donc, les revendications de la
partie allemande pouvaient trouver satisfaction à l'intérieur de France
Télévision, grâce à des aménagements, que j'avais proposés tout en veillant à
leur compatibilité avec un bon fonctionnement du groupe. Je me suis cependant
aperçue que les demandes de nos partenaires, qui, en maints points, dépassaient
le cadre prévu par le traité, voire la situation du pôle allemand d'Arte,
risquaient, si nous les satisfaisions intégralement, de nuire à la cohérence de
France Télévision, notamment au niveau de la direction du groupe et de la
Sept-Arte.
Alors, attachée aujourd'hui, comme hier, au maintien du pacte de confiance et
de la sérénité du partenariat sur lequel repose l'existence et l'évolution de
cette chaîne, j'ai préféré choisir une autre solution.
Arte, chaîne européenne de service public, a toute sa place dans le paysage
audiovisuel français : nous veillerons à ce qu'elle bénéficie de tout le
soutien nécessaire à l'extension de sa diffusion, en France et en Allemagne, en
Europe et dans le monde, à l'amélioration de ses moyens de programmes et de
développement, comme j'ai pu déjà le prouver au fur et à mesure des votes des
lois de finances successives depuis 1998. Je suis persuadée de trouver, dans
cet effort pour que l'excellence profite au plus grand nombre, l'appui de tous
ceux qui, dans le milieu intellectuel notamment, se sont mobilisés dès
l'origine pour la Sept et pour Arte et entendent en préserver et développer les
acquis. Nous travaillerons ensemble comme nous l'avons toujours fait.
La Sept-Arte conservera bien évidemment ses liens capitalistiques avec France
Télévision : je rappelle que France 3 détient 45 % de son capital. Nous
pourrons ainsi veiller à une bonne coordination stratégique entre le groupe et
la Sept-Arte.
En effet, regrouper France 2, France 3, La Cinquième et leurs filiales, dont
TV 5 et CFI, mais aussi les nouvelles chaînes thématiques existantes ou à
venir, c'est non pas créer une superstructure administrative, mais mettre en
place un état-major doté des pouvoirs et des moyens nécessaires à la conduite
d'une véritable stratégie.
L'enjeu est de mieux affirmer la richesse éditoriale de l'offre publique de
télévision tout en renforçant l'efficacité économique du service public, de
renforcer sa politique de diversification thématique et, dans les nouveaux
services, d'accroître sa capacité de négociation sur les marchés internationaux
des droits sportifs, d'améliorer sa coopération avec les organes de l'action
audiovisuelle extérieure, CFI et TV 5, dont les chaînes publiques seront
désormais actionnaires majoritaires.
Plus fondamentalement, seule une vision stratégique commune permettra aux
chaînes publiques de se préparer aux nouvelles opportunités qu'offrira le
passage au numérique de terre. J'attends d'elles qu'elles assument pleinement
le rôle moteur qui leur revient dans une telle transition.
Evidemment, une telle réforme de structures serait inachevée si elle ne
s'appuyait pas sur des moyens renforcés. Il fallait non seulement remédier à la
privatisation rampante, c'est-à-dire à la croissance de la part de la publicité
dans les chaînes publiques, mais aussi accroître les moyens de celles-ci.
D'une part, donc, nous maintenons la redevance, véritable « cotisation
citoyenne ». La redevance est la seule ressource qui garantisse, dans la durée,
l'autonomie du fonctionnement de la radio et de la télévision publiques,
notamment à l'égard des aléas propres à toute recette commerciale. C'est
pourquoi l'Assemblée nationale a adopté - et j'espère que le Sénat fera de même
- l'inscription dans la loi comme un principe pérenne de l'obligation, pour
l'Etat, de rembourser intégralement au compte spécial de la redevance le
montant des exonérations, c'est-à-dire 2,5 milliards de francs par an.
Dès l'année 2000, l'audiovisuel public bénéficiera de moyens très nettement
accrus, en progression de 5,3 %, soit environ un milliard de francs - 971
millions de francs très exactement - de moyens nouveaux, bien entendu, au-delà
de la compensation intégrale de la baisse de la publicité décidée pour l'an
2000.
D'autre part, nous diminuons la durée de la publicité autorisée sur les
chaînes publiques. En effet, depuis quinze ans, tous les rapports, tous les
experts, mais aussi beaucoup de téléspectateurs réclamaient la fin des tunnels
pour des raisons de confort d'écoute, bien sûr, mais aussi comme garantie de la
qualité des programmes. Le Gouvernement a donc décidé d'abaisser de 12 minutes
à 8 minutes la durée horaire maximale de la publicité pour France 2 comme pour
France 3. D'ailleurs, depuis le 1er janvier dernier, cette réduction est en
partie effective, puisque le Gouvernement avait souhaité limiter dès 2000 cette
durée maximale à 10 minutes.
Nous le faisons dans la loi, parce qu'il s'agit d'une véritable décision
politique, qui signe l'engagement pris de compenser le manque à gagner en
recettes publicitaires. Il vous appartiendra désormais, au sein du Parlement,
de veiller à ce que cet engagement soit strictement tenu dans le vote comme
dans l'exécution de chacune des lois de finances annuelles.
Tous convenaient que l'accroissement de la part de la publicité dans son
financement menaçait de plus en plus le service public dans l'indépendance et
l'identité de sa programmation.
Décidé à passer aux actes, le Gouvernement a souhaité que les mesures prises
portent des effets clairement perceptibles pour le téléspectateur. Il devait
également veiller à ce qu'elles n'affaiblissent pas le potentiel d'activité des
chaînes publiques. D'où le versement intégral des sommes correspondant à la
perte de recettes publicitaires, mais aussi de celles qui seront nécessaires
pour produire les 350 heures de programmes qui remplaceront la publicité. Cela
représentera 1,5 milliard de francs par an.
Sur les 2,5 milliards de francs de compensation des exonérations, il restera
donc 1 milliard de francs par an aux chaînes publiques pour financer
l'amélioration de leurs programmes et les investissements nécessaires notamment
au passage à la télévision numérique de terre.
Je ferai une remarque à ce propos : la compensation par des exonérations de
redevance, qui sont un élément de notre politique sociale, est une excellente
décision, que beaucoup d'entre vous réclamaient tous les ans et que ce
gouvernement a prise. Elle n'est nullement contradictoire avec une réflexion
sur la redevance, sur son mode de recouvrement, sur son assiette, voire sur son
montant. Cette réflexion est en cours et fera l'objet d'un rapport que le
Gouvernement remettra au Parlement avant le mois de juin prochain.
Redonner à l'audiovisuel public un projet d'avenir, c'est enfin le doter d'un
management
stable et responsable, et lui permettre la maîtrise de son
développement.
Dans ce domaine encore, le Gouvernement vous propose de faire enfin entrer
dans les faits des recommandations dont chacun plaide le bien-fondé mais dont
la mise en oeuvre a toujours été différée. Oui, la loi va enfin porter à cinq
ans le mandat des dirigeants de l'audiovisuel public. Oui, elle va enfin
libérer le service public des aléas d'une gestion budgétaire à courte vue et
lui permettre de maîtriser une véritable stratégie de développement. C'est tout
l'objet des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, novation par
rapport aux aléas de court terme d'une gestion purement budgétaire, mais aussi
garantie d'indépendance pour les dirigeants, possibilité de contrôle
intelligent et efficace pour la tutelle.
Ces deux mesures tendent à promouvoir une profonde modernisation des modes de
gestion et de tutelle des chaînes publiques, où les pouvoirs publics et les
dirigeants des sociétés se trouvent désormais liés par un véritable pacte de
responsabilité mutuelle, pour définir en commun une stratégie et arrêter les
conditions de sa mise en oeuvre.
Missions, organisations, moyens : avec ces trois piliers, la réforme devrait
nous permettre à tous, téléspectateurs et citoyens, de considérer la télévision
publique comme « notre » télévision.
Enfin, la conception du service public que je vous ai exposée justifie, sans
discours supplémentaire, que le projet de loi mette fin au contrat
d'exclusivité de diffusion de France 2 et de France 3 qui avait été consenti au
profit de TPS. Cela n'a rien à voir avec la décision de la Commission
européenne, qui se prononce non pas sur les mêmes bases, mais au nom de règles
de concurrence, et qui n'empêche nullement le gouvernement français de prendre
ses décisions d'actionnaire des chaînes publiques. Nous aurons l'occasion d'y
revenir.
J'en viens au second objectif de cette réforme : développer. En effet,
préparer l'avenir, c'est réunir aujourd'hui les conditions économiques et
juridiques qui permettent à nos entreprises d'entrer dans un nouveau cycle de
développement et de diversification des programmes et des services
audiovisuels.
Comme je l'ai souligné, la réforme du service public s'inscrit tout entière
dans une perspective de développement. Mais cette visée s'étend bien au-delà :
elle concerne l'ensemble des entreprises du secteur et des industries de
programmes.
La réforme induira une action sans précédent de relance économique pour toute
l'économie des médias et pour l'industrie des programmes, grâce à l'apport
additionnel de ressources publiques correspondant aux remboursements des
exonérations. En premier lieu, celui-ci accroîtra de plus d'un milliard de
francs le potentiel propre d'investissement de l'audiovisuel public dans les
programmes et dans les services. Mais, dans le même temps, l'essentiel des
ressources commerciales libérées par la baisse de la publicité pourrait se
transférer, en partie vers les autres médias comme la radio ou la presse écrite
ou les chaînes thématiques, en partie vers les chaînes privées.
Ce double effet suffira à engendrer au total un accroissement d'au moins 500
millions de francs des sommes mobilisées au bénéfice de la production, par le
jeu des obligations d'investissement et de la taxe sur le compte de soutien
auxquelles chaînes publiques et privées sont assujetties.
La réforme apporte par ailleurs des garanties nouvelles en faveur d'un
développement pluraliste de la création audiovisuelle et cinématographique et
du renforcement d'un tissu diversifié de producteurs, distributeurs et éditeurs
indépendants.
S'agissant des grandes chaînes hertziennes, la loi se propose de renforcer
l'efficacité des dispositions en vigueur en matière d'obligations économiques à
l'égard de la production indépendante et pour assurer une plus grande fluidité
des droits.
De plus, les chaînes thématiques du câble et du satellite seront désormais
soumises, elles aussi, à des obligations de contribution à la production de
programmes.
Dans le même temps, câblo-opérateurs et opérateurs de bouquets satellitaires
seront tenus de réserver une place suffisante, dans leur offre de services, à
des éditeurs indépendants.
S'agissant enfin de l'équilibre du paysage radiophonique, le souci de
préserver la pluralité des opérateurs conduit à demander au CSA de veiller à ce
qu'une proportion suffisante de fréquences reste allouée aux radios
associatives et à ce que le public ait accès à des stations généralistes
contribuant à l'information politique et générale.
La loi audiovisuelle comportera également l'ensemble des dispositions
indispensables au développement des services par câble, comme par satellite.
En conformité avec le droit communautaire, le Conseil supérieur de
l'audiovisduel sera désormais habilité à conventionner l'ensemble des chaînes
par satellite établies en France.
En conséquence, les chaînes thématiques diffusées par satellite seront
soumises à un régime d'obligations identiques à celles que supportent les
chaînes distribuées par câble.
Quant aux plates-formes satellitaires, elles feront désormais l'objet d'une
déclaration auprès du CSA, les câblo-opérateurs restant pour leur part
assujettis à un régime d'autorisation que justifie le monopole d'exploitation
dont ils disposent localement.
Par ses propositions d'amendements, la commission des affaires culturelles
montre tout l'intérêt porté par la Haute Assemblée à l'évolution que va
connaître, dans les prochaines années, avec la numérisation de la diffusion, le
secteur de la radio-télévision, et à ses enjeux de toute première importance.
Je souhaiterais donc que nous nous y arrêtions un instant.
La technologie numérique s'installe sur l'ensemble des supports de
communication au public, qu'il s'agisse du satellite, du câble ou de la
diffusion hertzienne. Les opérateurs français, à travers les bouquets satellite
et les réseaux câblés, ont su développer en la matière une véritable expertise,
qui leur permettra de prendre très rapidement position dans la télévision
numérique de terre. La diffusion hertzienne terrestre demeurant, en France, le
mode majoritaire de réception des programmes télévisés, il apparaît difficile
de ne pas en envisager la numérisation. Celle-ci est déjà effective dans
certains pays de l'Union européenne - Grande-Bretagne, Suède - ou en cours de
lancement dans d'autres, tels l'Espagne, les Pays-Bas et l'Italie.
Conscient des enjeux, le gouvernement français a souhaité mener une large
concertation avec l'ensemble des acteurs concernés afin de définir le meilleur
cadre juridique, économique et technique de la numérisation de la diffusion
hertzienne. Un Livre blanc a donc été envoyé à plus de 300 acteurs
socioprofessionnels, et un forum Internet a été ouvert.
J'ai alors confié à M. Hadas-Lebel, conseiller d'Etat et ancien directeur
général de France 2, la présidence d'un groupe de travail réunissant les
administrations concernées et les autorités de régulation. Ce groupe a procédé
au dépouillement des réponses au Livre blanc et au forum Internet. M.
Hadas-Lebel m'a remis, hier soir, son rapport, que j'ai aussitôt adressé à
votre président et à vos rapporteurs.
C'est en s'appuyant sur ce rapport, aboutissement d'un long travail qui a
associé toutes les autorités publiques, tous les opérateurs mais aussi de
simples téléspectateurs, et sur les autres travaux dont il dispose aujourd'hui
que le Gouvernement prendra les décisions nécessaires. Nous aurons l'occasion
de débattre plus longuement de ce sujet lors de la discussion des articles.
Je sais également que la Haute Assemblée est très soucieuse du développement
des télévisions locales, sur lesquelles j'aimerais maintenant vous dire
quelques mots, mesdames, messieurs les sénateurs. Leur développement
correspond, à mon sens, à un véritable approfondissement de notre démocratie et
répond à des aspirations profondes de nos concitoyens.
A la demande du Gouvernement, le CSA a engagé les travaux de planification des
ressources hertziennes. Il ne s'agit pas de renvoyer le développement des
télévisions locales à la période où l'équipement numérique des ménages sera
suffisant pour assurer à lui seul leur équilibre. Au contraire, au vu des
premières étapes de la planification et dès lors qu'aura été confirmée la
décision d'engager le passage au numérique, le CSA sera en mesure de vérifier
quelles fréquences actuellement inemployées pourraient ou non être attribuées à
des projets locaux ou régionaux existants sans compromettre la couverture
territoriale des futurs « multiplexes » numériques.
Je conclurai en évoquant le dernier principe de cette réforme : la régulation.
Ce sera, en effet, contribuer à la modernisation de notre démocratie que de
promouvoir un exercice plus efficace et plus transparent des pouvoirs confiés
aux autorités indépendantes existantes en vue de garantir aux concitoyens un
fonctionnement des médias audiovisuels qui reste concurrentiel, pluraliste et
respectueux du public.
Loi de développement pour l'ensemble de l'économie audiovisuelle, la réforme
entend encourager le renforcement de grands groupes français capables de
s'affirmer, au plan international, dans des conditions qui respectent la
concurrence et le pluralisme.
Il nous a paru nécessaire de renforcer les procédures de régulation déjà en
vigueur, de rendre plus efficace et plus transparent l'exercice des compétences
de chacune des autorités indépendantes, et d'organiser la bonne complémentarité
de leur intervention à l'égard des activités audiovisuelles.
Le Gouvernement a notamment considéré que l'ensemble des mouvements
économiques affectant l'audiovisuel ne permettaient plus de maintenir ce
secteur à l'écart du contrôle des concentrations. Afin de prendre pleinement en
compte les exigences propres au pluralisme, il est donc proposé que de telles
concentrations soient soumises au contrôle du Conseil de la concurrence, mais
avec une consultation systématique du CSA.
De même, le projet de loi élargit l'information économique dont disposera le
CSA à propos du candidat et de ses principaux actionnaires, lors de
l'attribution des fréquences hertziennes. Il précise également les critères lui
permettant de ne pas recourir à la « reconduction automatique » instaurée par
la loi Carignon, et améliore la transparence de cette procédure lorsqu'elle est
utilisée.
Je veux le souligner pour finir : ce sont bien l'auditeur et le
téléspectateur, l'usager et le citoyen, qui sont les vrais destinataires de
l'ensemble de notre réforme.
De ce point de vue, j'attache le plus grand prix à plusieurs des dispositions
du projet de loi qui concourent à faire prévaloir, à l'égard de l'ensemble des
opérateurs, les droits essentiels du téléspectateur.
Je pense, notamment, à la transposition dans notre droit interne de la
directive européenne en ce qui concerne la protection des mineurs ou le droit
d'accéder à une diffusion en clair des événements d'importance majeure.
C'est aussi le respect de l'usager qui conduit à confier au Conseil supérieur
de l'audiovisuel le soin de veiller à l'indépendance de l'information
audiovisuelle à l'égard des intérêts économiques des actionnaires. Le Conseil
disposera à cet effet d'un droit d'information sur les marchés publics pour
lesquels ces derniers auront soumissionné. Il devra également rechercher avec
les opérateurs les dispositions les mieux adaptées pour garantir l'indépendance
des rédactions : médiateurs, sociétés de journalistes, code de déontologie
devraient ainsi, je l'espère, contribuer à renouveler la relation de confiance
qui s'impose entre les médias et leur public.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est, vous l'aurez constaté, dans un
esprit constructif que je souhaite que nous travaillions ensemble, au cours de
ce débat, pour faire progresser ce projet de loi. Je suis, pour ma part,
fermement déterminée à aboutir à un texte efficace, traduisant dans les faits
les grands principes auxquels nous sommes pareillement attachés. Pour modeste
qu'il soit, mon objectif est l'expression d'une grande ambition : c'est chaque
téléspectateur, chaque citoyen que j'entends placer au coeur de cette réforme.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de
l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
(M. Paul Girod remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Hugot,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous
présenter, au nom de la commission des affaires culturelles, le projet de loi
relatif à la liberté de communication et les modifications que le Sénat
pourrait lui apporter afin de le dynamiser quelque peu. Je souhaite ainsi que
notre discussion puisse faire avancer un certain nombre d'options que vous
avez, madame la ministre, évoquées, notamment dans le domaine du numérique
hertzien.
La réflexion concernant l'audiovisuel public a d'ores et déjà permis des
novations utiles, que nous aimerions saluer. C'est ainsi que la première
perspective de ce projet de loi vise à inscrire clairement l'audiovisuel public
dans le cadre d'un groupe industriel public. C'est une option majeure qui
concerne un ensemble d'entreprises dont il importe d'assurer la capacité de
développement dans le cadre de la concurrence actuelle et des nouveaux
dynamismes suscités par les évolutions technologiques.
Voilà deux ans, le projet de loi de M. Douste-Blazy avait d'ores et déjà prévu
la fusion de La Cinquième et de la Sept-Arte. Par ailleurs, sur proposition de
sa commission, le Sénat avait adopté, en première lecture, la création d'une
société holding regroupant France 2 et France 3 et, d'emblée, cette dernière a
démontré son utilité. Enfin, le groupe France Télévision, que vous souhaitez
promouvoir, madame la ministre, devrait étendre le groupement, au-delà de
France 2 et de France 3, à la société résultant de la fusion de La Cinquième et
de la Sept-Arte.
Je ne peux pas vous cacher notre surprise d'avoir constaté dans quelle
situation vous avez été placée en devant prendre une décision qui,
manifestement, a connu des évolutions au cours des dernières semaines. Nous
attendrons donc l'approfondissement du débat pour savoir si ces évolutions
tiennent, pour l'essentiel, à une interprétation indiscutée de nos engagements
internationaux ou si elles relèvent d'une qualité de nos relations
diplomatiques qui a pu se trouver en défaut à un moment ou à un autre.
Quoi qu'il en soit, la perspective de ce groupe industriel se trouve
partiellement affectée par cette nouvelle donne. Mais des perspectives
nouvelles peuvent s'ouvrir et nous ne voulons pas en sous-estimer la
richesse.
La fixation des moyens des différentes sociétés est organisée, avec les
adaptations consécutives aux décisions récentes, dans le même esprit de
regroupement puisque France Télévision serait attributaire de la part de
redevance affectée au groupe et la répartirait entre ses filiales.
Le problème reste donc bien aujourd'hui celui du périmètre et,
a priori,
nous pensions que toutes les chaînes publiques, notamment en matière
d'audiovisuel intérieur, avaient vocation à entrer dans un groupement
industriel, commercial et financier assurant à chacune des chaînes rapprochées
une dynamique nouvelle alors même, bien sûr, qu'il s'agissait d'éviter une
sorte de mutualisation des pertes.
C'est la raison pour laquelle nous pouvons concevoir que, en attendant que
l'actionnaire principal de RFO donne à cette chaîne les moyens - sur tous les
plans - de remplir ses fonctions, cette chaîne de l'outre-mer garde pour
l'instant des relations contractuelles avec le reste du groupement.
En raison d'une certaine improvisation, les décisions prises à l'égard de la
Sept-Arte pourraient ne pas manquer d'infléchir, madame la ministre, le
développement de cette chaîne qui, au-delà de toutes les garanties apportées
sur la ligne éditoriale, sur la ligne financière, sur la ligne « manageriale »,
si j'ose dire, semble exiger une vie autonome. Finalement, cette chaîne pourra
sans doute être parfaitement ajustée, comme vous le suggérez, à un
développement européen plus large au-delà du couple binational franco-allemand.
Peut-être est-ce là une chance compte tenu des nouvelles perspectives qui
s'ouvrent.
La deuxième innovation importante à laquelle nous souhaitons apporter notre
soutien est l'inscription dans la loi du principe du remboursement des
exonérations de redevance.
Nous savons, les uns et les autres, que ce principe vaut par notre sincérité
et notre loyauté, qui sont réelles. Quelle que soit la contrainte de
l'annualité budgétaire, il y donc là un rappel qui permettra effectivement au
Parlement de rappeler les engagements pris.
Une troisième innovation particulièrement séduisante concerne la mise en place
de contrats d'objectifs et de moyens. C'est une initiative et un instrument que
nous reconnaissons d'emblée et sans restriction comme très utiles.
L'audiovisuel public a en effet besoin que l'actionnaire principal fasse
preuve, en la matière, d'un véritable engagement et qu'il soit demandé aux
gestionnaires de rendre des comptes. Une mesure de ce type avait d'ailleurs été
avancée dans le cadre du projet de loi Douste-Blazy.
Ces trois innovations méritent d'être soulignées et accompagnées.
En revanche, je ne cacherai pas que j'ai le sentiment que deux autres mesures
pourraient rendre plus aléatoire le basculement de l'audiovisuel public dans la
société de l'information.
En premier lieu, la réduction législative de la durée horaire des messages
publicitaires risque d'altérer les effets de la réforme au moment où nous
mettons en place des contrats d'objectifs ou s'engageraient l'actionnaire
principal, l'Etat, et les gestionnaires des chaînes. A mon avis, les mêmes
garanties doivent être offertes aux deux parties, Etat et chaînes, pour que
soit assuré le nécessaire abondement de ressources d'origine publique en
contrepartie de l'exigence réitérée d'une réduction des recettes propres de
type publicitaire.
Si cette perspective de légalisation de la réduction de la durée horaire des
messages publicitaires a un caractère emblématique qui ne peut manquer
d'exprimer une volonté politique, on pourrait probablement inscrire cette
exigence dans le cadre des contrats d'objectifs de façon plus ajustée et plus
efficace.
Par ailleurs, dans le cadre d'une responsabilisation du groupe industriel
auquel nous pensons, la liberté de partenariat du service public - alors même
que nous voyons tout ce que la culture d'entreprise de France Télévision a pu
gagner au dialogue instauré au sein de TPS - me paraît incompatible avec
l'exclusivité tout en exigeant de la part des chaînes privées une obligation de
portage, autre façon de contourner le droit de l'audiovisuel public en tant que
groupe industriel, de distinguer ses partenaires, et pourquoi pas ? de négocier
ses partenariats.
La contribution du Sénat pourrait porter essentiellement sur trois domaines
sur lesquels je voudrais insister.
Tout d'abord, nous avons voulu, après nos collègues de l'Assemblée nationale,
faire preuve nous aussi d'imagination concernant la définition des missions de
service public. Là où nos collègues ont d'emblée emprunté la voie des
définitions par extension en énumérant, sous forme d'inventaire, des missions
particulièrement emblématiques et séduisantes, nous préconisons des définitions
où, d'une façon plus ramassée et plus synthétique, nous traçons les contours du
service public, dans la perspective même des conditions qui rendent ces
définitions nécessaires : nous devons pouvoir opposer aux instances
européennes, lorsque nous sommes interrogés sur l'affectation de moyens publics
à l'audiovisuel - qui est un secteur concurrentiel - un lien consubstantiel
entre des missions et des moyens nécessaires, de telle sorte que ces missions
soient véritablement le propre du service public. Nous pourrons ainsi être à
l'abri de critiques et de remises en cause quant à l'affectation de moyens
publics sur des fonctions susceptibles d'être largement partagées.
Notre deuxième initiative pourrait concerner l'entrée de l'audiovisuel public
dans la société de l'information. A cet égard, il est clair que la
participation de l'audiovisuel public à TPS, je le disais tout à l'heure, lui a
permis de prendre la mesure parfois de son retard, et souvent de ses handicaps.
Faire participer l'audiovisuel public en toute priorité aux nouvelles conquêtes
de la diffusion hertzienne numérique est, me semble-t-il, l'occasion de faire
rebondir ce grand service auquel nous sommes attachés, dans un juste partage
avec les grands partenaires nationaux qui ont su faire de l'usage de
l'analogique hertzien une réponse très adaptée à la diversité des besoins de
notre public. La réflexion est engagée, mais les décisions doivent maintenant
être prises.
La troisième initiative concerne les relations des organismes publics et de
leur actionnaire unique, l'Etat. En effet, l'audiovisuel public devra désormais
se mettre au diapason des évolution gourmandes en moyens, en investissements -
et donc, peut-être, en nouvelles capitalisations - des entreprises.
L'une de nos propositions consistera, notamment, à faire en sorte que l'Etat
prenne ses responsabilités dans la désignation du président du groupe France
Télévision, et ce dans le cadre, toujours éclairé, des propositions du CSA, qui
pourrait présenter une liste d'au moins deux noms et de quatre noms au plus,
sachant qu'il s'agirait des administrateurs que le CSA serait amené à désigner
dans les conseils d'administration de ces organismes. Il nous semble ainsi
qu'un choix à partir d'une liste dressée par le CSA et impliquant l'Etat -
peut-être le ministre de la culture en particulier, madame la ministre - dans
la désignation du président permettrait d'aborder ces périodes de grande
évolution et de risque financier important avec encore plus d'efficacité.
Le deuxième volet du projet de loi, c'est la transposition des directives
européennes, en particulier de certaines dispositions de la directive «
Télévision sans frontières ». Il n'y a pas grand-chose à en dire. Il s'agit
d'obligations auxquelles nous aurions dû nous plier depuis longtemps.
Dans ce domaine, nous proposons un amendement qui tend au respect scrupuleux
de nos engagements européens.
Le troisième volet de la loi a trait à la régulation du secteur privé. Vous
avez, madame la ministre, rappelé deux idées fortes en la matière : assurer la
primauté des contenus sur les supports et encourager le renforcement des grands
groupes français dans des conditions qui respectent la concurrence et le
pluralisme.
Le projet de loi prévoit ainsi des mesures favorables à la fluidité du marché
des droits et à l'indépendance des producteurs par rapport aux diffuseurs. Cela
nous paraît utile, et nous accompagnerons donc vos initiatives.
En ce qui concerne la régulation des diffuseurs, le projet de loi ouvre de
bonnes perspectives. Peut-être nos collègues de l'Assemblée nationale ont-ils,
voulant trop bien faire, traité de façon quelque peu contradictoire, par leurs
amendements, l'idée qui nous paraissait être l'idée originelle.
L'octroi au Conseil de la concurrence d'une compétence de droit commun en
matière de contrôle des concentrations économiques dans l'audiovisuel nous
paraît être une excellente idée. Elle converge avec la conclusion de nos
propres réflexions, et nous en sommes heureux. Le rapport, présenté en décembre
dernier, du groupe de travail de la commission des affaires culturelles du
Sénat faisait, en effet, la même préconisation.
En revanche, la commission a été extrêmement réservée à l'égard des
dispositions supposées garantir l'indépendance de l'information envers les
candidats aux marchés publics, notamment à l'égard de celles qui limitent la
portée du dispositif de reconduction automatique des autorisations de diffuser
les services de radio et de télévision sur les fréquences hertziennes
terrestres et de celles qui réduisent la liberté des distributeurs du câble et
du satellite de gérer leur offre en fonction d'un contexte économique de plus
en plus ouvert et concurrentiel.
Dans la plupart de ces domaines, la rédaction initiale du projet de loi était
peut-être plus raisonnable que celle qui nous est parvenue.
En matière de reconduction automatique des autorisations, la procédure a été
rendue plus transparente, un régime de déclaration préalable a été institué
pour le satellite et les procédures de modification des plans de service du
câble ont été assouplies. Mais nos collègues de l'Assemblée nationale ont,
semble-t-il, finalement modifié au fond le projet de loi en y introduisant une
dose massive de dirigisme qui en change l'équilibre.
En effet, là où vous parliez encore tout à l'heure, madame la ministre, de
renforcement de la régulation, le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale
présente une réduction draconienne et délibérée des pouvoirs de régulation ; là
où le projet de loi portait création d'un régime souple et libéral de
codiffusion satellitaire, le texte institue maintenant une sorte de procédure
d'autorisation à laquelle il ne manque plus que le nom.
Je crois que tout cela répond assez mal à la demande de sécurité, de
pragmatisme et de dynamisme exprimée par la communication audiovisuelle ou au
système de plus en plus ouvert et concurrentiel qui se met en place. Peut-être
ce texte nous arrive-t-il un peu trop coloré de soupçons puisque, aussi bien,
ce n'est pas une couleur que nous avions reconnue au projet de loi initial.
La commission propose donc de rééquilibrer le projet en fonction de quelques
principes : promouvoir la diversité et la concurrence, assurer la transparence
des décisions, renforcer le rôle du CSA et libérer l'initiative des
opérateurs.
Je vais conclure ma présentation en évoquant les nouveaux modes de
communication audiovisuelle et, évidemment, en mettant en avant l'effort de
réflexion que le Sénat a voulu faire pour répondre, de façon très citoyenne et
très partagée, aux attentes de la communication contemporaine face à
l'évolution technologique que favorise la numérisation.
L'examen du projet de loi offre au Sénat la possibilité de prendre une
initiative - elle vient, bien sûr, en doubler d'autres tout aussi respectables
et que nous allons découvrir - celle de lancer la diffusion hertzienne
numérique de terre, qui est sans doute, à horizon prévisible, l'une des
dernières frontières à franchir dans le nouveau monde de la communication
audiovisuelle.
Premier point : pourquoi faut-il lancer le numérique de terre aujourd'hui ? A
cela, trois raisons principales.
D'abord, je l'ai évoqué tout à l'heure, pour ouvrir au secteur public la porte
de la société de l'information, du numérique, du multimédia. Il y a là une
occasion de rebondir et peut-être d'éviter les difficultés de la stagnation,
qui se traduit parfois par la régression.
Ensuite, pour offrir au public une gamme de services traditionnels et
innovants la plus diversifiée et la plus large possible. Le réseau de diffusion
numérique hertzien terrestre devra, à terme, avoir une couverture territoriale
équivalente à celle du réseau analogique actuel. Il permettra d'offrir au
public les services de proximité que la diffusion satellitaire ne permettrait
de mettre en place qu'à un coût exorbitant au regard de leur audience
potentielle.
Enfin, tirant parti de la numérisation dans l'exploitation des fréquences,
pour libérer certaines fréquences et en faciliter l'allocation à d'autres
usages. Nous pensons, bien sûr, à la téléphonie mobile, par exemple, les
fréquences hertziennes terrestres restant une ressource rare.
Le deuxième point que je souhaite aborder est celui de la méthode que nous
avons retenue pour lancer le numérique hertzien.
Nous proposons d'adopter un régime juridique qui rendra visible aux opérateurs
les conditions dans lesquelles le basculement aura lieu, qui précisera leurs
droits, leurs obligations, les possibilités qui leur seront offertes d'accéder
aux fréquences, et qui fixera les priorités à respecter afin que le paysage
audiovisuel corresponde à l'équilibre souhaité par l'autorité politique.
Chacun a un rôle à jouer en la matière, et avant tout les opérateurs, qui vont
mettre en place chez nous cette nouvelle dimension de l'audiovisuel. La
diffusion hertzienne analogique a permis de montrer leurs capacités, leur
combativité, leur compétitivité ; il importe de leur montrer le cadre dans
lequel ils peuvent continuer à agir en tant qu'entrepreneurs.
Le régulateur aura notamment la responsabilité d'attribuer les canaux aux
services, même s'il nous semble que l'attribution de la fréquence -
l'utilisation numérisée nous permet de parler de multiplex à chaque fréquence -
peut relever d'équilibres où le politique a son mot à dire pour prendre en
compte les opérateurs publics et privés en mesure de jouer le rôle de chef
d'orchestre sur chacune des fréquences.
En ce qui concerne le politique, le législateur a, comme c'est son rôle, à
mettre en place un régime juridique qui rende possible le développement de
l'opération. Nous ne doutons pas que le Gouvernement a conscience de sa
capacité à impulser, à proposer un point de départ au lancement de cette
nouvelle économie. A mon sens, le plus tôt sera le mieux.
Quoi qu'il en soit, la commission n'a pas une démarche dirigiste. Elle propose
d'inscrire dans la loi les conditions juridiques d'une mobilisation de
l'ensemble des intéressés. A chacun, ensuite, de prendre ses responsabilités en
fonction de sa vision de l'avenir de la communication audiovisuelle, et il n'y
aura de numérique hertzien terrestre que lorsque chacun - politique,
régulateur, opérateur - sera convaincu qu'il est incontournable et même
désirable, au point de ne pas trop tarder.
Pour avoir, comme d'autres dans le Livre blanc, interrogé largement les
partenaires, pour avoir cherché, en tant que rapporteur, à prendre un maximum
de contacts - une trentaine en tout, à la mesure de nos moyens et du temps qui
nous était imparti - je puis témoigner, madame le ministre, que, manifestement,
les opérateurs sont mobilisés, qu'ils attendent.
Si les résultats du rapport que vous avez bien voulu nous faire remettre ont
fait naître chez vous une conviction compatible avec ce que nous avons ressenti
chez les opérateurs, il y a tout lieu de penser que nous sommes à la veille de
décisions importantes.
Quels sont - et j'en terminerai par là - les choix politiques qui nous ont
guidés dans l'élaboration de ce régime juridique ? Ils sont au nombre de
quatre.
Premièrement, favoriser la constitution rapide d'une offre significative de
services et l'engagement des opérateurs nationaux, publics et privés, de la
télévision hertzienne terrestre, en accordant à ces opérateurs une priorité
d'accès aux fréquences numériques. Je dirai presque qu'il faut un mouvement
national des grands opérateurs, publics et privés pour que cela réussisse.
Deuxièmement, instituer un système d'autorisation des offres, et non des
services, le CSA ayant peut-être même vocation à promouvoir des normes en la
matière, ne serait-ce que pour ouvrir ces multiplex aux indépendants, voire tel
multiplex ayant plus une vocation de télévision de proximité aux indépendants
de la télévision de proximité. Je pense notamment aux agglomérations. Si nous
retenons cette proposition, c'est parce qu'elle nous paraît le mieux
correspondre à la logique technique et économique de la diffusion numérique.
Troisièmement, favoriser la diversité du paysage numérique et l'émergence de
la communication télévisuelle locale en prévoyant, comme j'en faisais état à
l'instant la présence d'un nombre minimum de services indépendants du
distributeur dans les multiplex nationaux.
Enfin, quatrièmement, réserver un multiplex aux services locaux et prévoir la
possibilité de faire figurer un ou plusieurs services locaux indépendants dans
les trois multiplex distribués par les diffuseurs nationaux.
Au fond - j'en reviens au début de notre propos, qui était consacré au service
public - le dernier principe consiste simplement à octroyer la part la plus
large au secteur public, en lui attribuant deux multiplex sur les six qui
seront disponibles et en lui confiant, par ailleurs, le rôle de chef
d'orchestre de la distribution du multiplex destiné aux services locaux, qu'il
pourrait partager avec les éditeurs indépendants de services locaux.
Voilà, madame la ministre, un rapport qui ne reprend pas l'intégralité des
apports de votre projet de loi, mais qui s'inscrit d'emblée dans le dialogue et
dans une critique constructive. Nous osons espérer que vous serez attentive à
nos propositions - vous avez évoqué tout à l'heure le travail d'échanges avec
le Parlement, qui semble avoir été un choix médité de votre part - afin que,
sur ce projet qui incite à la réflexion, nous puissions, les uns et les autres,
prendre notre part dans les avancées de l'audiovisuel français, et ce dans le
respect - que cela soit bien clair - de notre tradition, qui confie au secteur
public comme au secteur privé une part du développement. C'est un fait de
culture qui doit pouvoir être préservé, notamment grâce à la conception que
nous avons de l'attribution des futurs multiplex.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Claude Belot
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
ministre, mes chers collègues, notre collègue Jean-Paul Hugot s'est longuement
exprimé sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui.
Madame la ministre, la position de la commission des finances participe tout à
fait du même esprit. Nous savons tous que vous avez à inscrire la loi
d'aujourd'hui dans la durée, alors que le présent lui-même est incertain, que
la vérité d'hier n'est déjà plus celle d'aujourd'hui - vous nous l'avez
démontré en évoquant un fait très récent - et qu'elle n'est peut-être pas celle
de demain. Je traite toujours ces sujets avec beaucoup d'humilité, me souvenant
qu'il y a trois ou quatre ans, lorsque je m'y suis intéressé, nombre de beaux
esprits considéraient que la révolution numérique n'en était pas une
puisqu'elle n'aurait pas lieu...
Madame le ministre, je sais que vous vous livrez à un art très difficile mais
il faut être lucide face à de tels sujets, et prendre la mesure de l'exercice
lorsque l'on décide de créer une société nouvelle, France Télévision, insérée
dans un holding banalisé ; même si elle ne compte qu'un actionnaire unique,
cette société anonyme sera soumise, comme les autres, aux règles du droit
commun.
Je citerai maintenant quelques chiffres, que vous connaissez tous
d'ailleurs.
Le nouveau groupe qui vient de naître aux Etats-Unis représente une
capitalisation boursière de 1 700 milliards de francs, soit le budget de l'Etat
français. La capitalisation cumulée des quatre autres entreprises américaines
qui viennent maintenant après ce premier groupe est supérieure à la
capitalisation de celui-ci.
Les groupes français, en ce domaine, sont bons : les trois groupes cotés au
marché représentent une capitalisation cumulée de 220 milliards de francs.
C'est relativement important. Les sociétés Canal Plus, M6 et TF1 sont
considérées comme des valeurs de croissance porteuses de plus-values et de
profits, et d'ailleurs leur entrée au CAC 40 est à l'ordre du jour du conseil
d'administration de la société qui administre le CAC. Ces groupes peuvent, par
une simple augmentation de leur capital, qui sera souscrite, doubler celui-ci
en quelques jours et le faire passer de 220 milliards de francs à 440 milliards
de francs. C'est un art très facile pour une société en croissance dans des
domaines considérés comme porteurs, notamment celui des technologies nouvelles.
C'est là que se situe tout l'enjeu. Le groupe audiovisuel de la commission des
finances, que je préside depuis six mois, a essayé d'y voir clair en France et
aussi hors de nos frontières pour bien comprendre ce qui se passait. En effet,
le modèle est mondial. Les images vont, viennent, se vendent, s'achètent. Nous
pouvons, avec des rebonds satellitaires, envoyer ou recevoir des images du
monde entier, et ce en temps réel, instantanément. C'est dans ce monde que nous
vivons.
Alors, il faut dire les choses très simplement. A l'unanimité, ce groupe de
travail de la commission des finances a, dans sa diversité, énoncé une chose
simple et qui va dans le sens de ce que vous souhaitez : il faut maintenir en
France un audiovisuel public fort.
(M. Pelchat applaudit.)
Il le faut
parce qu'il est possible d'informer différemment, voire de désinformer, de
distraire différemment, et même peut-être d'éduquer différemment. En France,
c'est un véritable enjeu. Nous sommes porteurs d'une très grande civilisation
et nous devons en être des usufruitiers responsables à un moment où le monde
évolue rapidement. Nous devons avoir les moyens d'un service public audiovisuel
à hauteur de l'enjeu. Voilà ce que dit le groupe de travail.
J'ai cité tout à l'heure un certain nombre de chiffres : 1 700 milliards de
francs pour le nouveau groupe américain, le plus important... et les
regroupements ne sont peut-être pas terminés ; 220 milliards de francs pour le
secteur privé français, sans compter les nouveaux éléments de Canal Satellite.
Vous envisagez de doter France Télévision à hauteur de 1,5 milliard - 1,8
milliard de francs.
La commission des finances, par ma voix, vous recommande, madame le ministre,
de faire tout ce que vous pourrez. L'Etat actionnaire ne doit pas se contenter
de mots et d'afficher des ambitions : il doit prendre la mesure de la
difficulté et vous donner les moyens de capitaliser à bonne hauteur cette
nouvelle société.
Nous souscrivons totalement à votre démarche sous réserve que la
capitalisation soit au bon niveau - je vous ai donné les niveaux de la
concurrence française et étrangère. Certes, nous ne les atteindrons jamais mais
il faudrait aller bien au-delà de ce que vous prévoyez.
Vous prenez d'ailleurs un risque en banalisant le statut de la nouvelle
société. Si cette dernière perd les trois quarts de son capital - compte tenu
des résultats des exercices antérieurs, cela peut être très vite fait - il
serait du plus mauvais effet que tel ou tel quotidien exhorte l'Etat
actionnaire à le reconstituer et que celui-ci y consente. C'est le droit commun
des sociétés anonymes. L'Etat peut peut-être se permettre des libertés, mais
vous savez comme moi que tout finit par se savoir. C'est une responsabilité que
vous prenez, mais c'est aussi un engagement que vous devez tenir.
S'agissant des moyens, les réflexions sont simples. L'audiovisuel public ne
peut vivre que du produit de la redevance, ou de crédits budgétaires qui sont
exceptionnels, et les situations exceptionnelles ne doivent pas perdurer. Le
produit de la redevance n'évoluera plus si l'on ne modifie pas son montant. Il
restera au niveau qu'il a atteint aujourd'hui, grâce au Sénat d'ailleurs, qui a
voté un amendement permettant de croiser les fichiers de la taxe d'habitation
et de la redevance : les rentrées sont meilleures, il y a moins de fuites. Le
Sénat avait pris ses responsabilités ; il avait bien fait. Vous en profitez,
ainsi que les sociétés de télévision publiques.
Il y aura également les ressources tirées de la publicité. Mais si l'audience
baisse, les ressources baissent aussi ; c'est déjà le cas pour le deuxième
semestre de l'année 1999.
Il y aura peut-être encore la question des droits audiovisuels, et je voudrais
saluer votre initiative puisque vous avez osé toucher à ce qui était considéré
comme un principe établi. La télévision française, contrairement aux
télévisions de nombreux autres pays, devait remettre, au bout de trois ans, le
fruit de ses productions à l'Institut national de l'audiovisuel, institution
fort respectable mais dont la vocation est avant tout d'être un archiviste et
non pas un commerçant.
Les chaînes resteront propriétaires de leurs oeuvres ; elles pourront produire
et elles pourront vendre. La BBC recueille l'équivalent de plusieurs milliards
de francs au titre des droits audiovisuels. Ma conviction est qu'il faudra
aller un peu plus loin, jusqu'au
copyright,
mais c'est un sujet
difficile à débattre avec l'ensemble des contributeurs à la création dans
l'audiovisuel comme dans d'autres domaines.
Il faut vendre des produits audiovisuels français à l'étranger et il faut en
vendre beaucoup plus. Aujourd'hui, mes chers collègues, une seule émission -
Fort Boyard
- représente le quart de l'exportation française de
l'audiovisuel. Bien qu'elle soit de qualité et qu'elle soit produite dans mon
département, je considère qu'il devrait y en avoir beaucoup plus.
Le Gouvernement fait donc un effort en matière de droits audiovisuels ; il
prend des décisions qui vont dans la bonne direction, et c'est très bien.
La commission des finances a également souhaité inscrire dans la loi une plus
grande transparence en matière de ressources afin que les chaînes - mais cela
vaut également pour les radios - nous donnent le détail de celles-ci. En effet,
elles ont tendance à ne nous donner comme ressources que ce qu'elles reçoivent
de la redevance ou de l'Etat ; le reste, c'est leur cuisine ! Le Parlement doit
être clairement informé, et la commission des finances a déposé un amendement
en ce sens.
Mais il y a aussi un enjeu de démocratie. La France n'échappera pas à
l'émergence des télévisions locales. Vous en avez d'ailleurs tout à fait
conscience, madame le ministre, et vous l'avez dit tout à l'heure très
clairement. Les télévisions locales, les télévisions de proximité,
correspondent à une attente et à un vrai enjeu démocratique. Si nous disposions
de télévisions de proximité au moment des prochaines élections municipales, je
suis sûr que l'information de nos concitoyens et de nos électeurs en serait
profondément changée. Il faut avoir le courage d'affronter cette question,
comme on a eu le courage un jour de créer des radios locales.
Pourquoi ne pas créer des télévisions locales, sachant que cet investissement
est dérisoire compte tenu de l'enjeu ? Aujourd'hui, pour 150 000 francs, on
peut avoir un matériel d'émission numérique qui couvre 30 ou 40 kilomètres. Je
l'ai vu fonctionner en Italie, où il en existe 500 ou 600, je crois. Il y en a
au Canada et dans de nombreux pays. Pourquoi pas en France ? Là aussi, la
commission des finances a adopté un certain nombre d'amendements allant dans ce
sens.
Je vous ai écouté très attentivement, madame le ministre, particulièrement sur
ce sujet. Aujourd'hui, nous élaborons une loi pour un certain temps. Je crois
qu'il serait sage d'inscrire dans cette loi des dispositions qui permettront de
créer des télévisions locales, en sachant qu'elles ne pourront être créées que
le jour où il y aura une fréquence, ce qui laissera le CSA faire son métier en
dressant l'inventaire des fréquences.
Si on laisse passer cette occasion, si on laisse passer l'opportunité de cette
loi, on n'aura plus de loi ensuite mais on aura des fréquences disponibles.
Cela, à mon avis, on peut le savoir assez facilement et rapidement.
Madame le ministre, vous voyez dans quel état d'esprit le Sénat aborde cette
discussion. Il a le sentiment d'une loi importante, dont il entend discuter
avec un esprit de responsabilité, d'ouverture et de projection dans l'avenir.
Je souhaiterais que vous acceptiez nos amendements qui, le moment venu, quand
il y aura une fréquence disponible, permettront de créer ces télévisions
locales.
Dans le même esprit, s'il y a un jour une télévision de proximité, il faudra
que les collectivités locales, avec un cahier des charges bien clair, puissent
les soutenir. Cela évitera de renouveler l'expérience des radios libres
uniquement associatives, qui ont été, vous le savez, accaparées par un certain
nombre de groupes parce que, si la volonté des associations est grande, leur
capacité à gérer ne l'est pas toujours autant. Et c'est NRJ et d'autres radios
qui ont tout simplement récupéré certaines radios locales afin de constituer
leur réseau. Elles sont devenues de superbes affaires ; l'une d'entre elles
sera très bientôt cotée en bourse. C'est la consécration de l'association
créatrice qui est devenue autre chose.
Il faudra donc faciliter la création de ces télévisions locales, voire avec le
soutien des collectivités. Aujourd'hui, ces dernières le font par le biais de
leurs budgets de communication. Je peux, dans mon département, financer telle
opération dans le cadre d'un budget de la communication. Mais ce n'est pas
strictement de la communication que de faire un film documentaire sur tel ou
tel aspect important de mon département. Aux termes de la loi, le département
peut décider de le faire s'il y trouve un intérêt, mais en l'imputant sur un
budget de communication, ce qui est tout à fait inadapté.
L'amendement que nous présenterons en ce sens aurait un avantage, celui de la
clarté et de l'honnêteté, en définissant le cadre dans lequel doit s'inscrire
ce type d'opération.
Vous voyez, madame la ministre, que la commission des finances a examiné ce
projet de loi avec beaucoup d'intérêt et de bienveillance, et elle rend hommage
au travail de la commission des affaires culturelles. Et puis, elle souhaite
vraiment la réussite de l'entreprise France dans ce domaine. Notre pays s'est
toujours honoré lorsqu'il s'agissait de créer et a toujours eu un savoir-faire
dont l'expression la plus moderne, aujourd'hui, est précisément l'audiovisuel.
Dans ce domaine-là, nous avons la capacité de réussir. Pour réussir, il faut
que nous ayons une vision qui nous permette d'anticiper, il faut que nous ayons
toujours en tête une certitude : le numérique va très vite gagner du terrain
et, dans quelques années, le paysage audiovisuel français sera complètement
modifié. Il est indispensable de permettre la création de beaucoup d'images,
pour les Français, mais aussi pour les vendre dans le monde entier. Il est
nécessaire aujourd'hui d'être à la hauteur de cette industrie qui est en train
de naître et dans laquelle nous pouvons tout à fait réussir si nous nous en
donnons les moyens.
Tel est l'esprit dans lequel la commission des finances a examiné ce projet de
loi, soutien sur l'essentiel et une démarche créatrice.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste, républicain et citoyen, 16 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voici des mois
qu'il est débattu, à mon avis dans des cercles trop restreints - France 2 et
France 3 auraient dû organiser des débats significatifs - de l'avenir du
secteur public de l'audiovisuel.
L'énoncé, déjà, interroge : « secteur public ». Pourquoi pas « service public
», même si une allusion au terme « service » est ajoutée au titre III ?
Les mots ont de l'importance. Céder sur les mots, c'est céder sur les choses
!
Qui dit « service public » évoque ses valeurs constitutives.
Je me souviens à cet égard des mots prononcés par François Léotard à
l'Assemblée nationale, en 1986 : « Le service public est mort. C'est un astre
mort dont la lumière nous parvient encore, mais qui est mort. » Dans la foulée,
il avait réduit la notion de service au mot secteur, c'est-à-dire à une
signification purement économique.
Je crois que l'on ne peut bâtir un nouveau service public de l'audiovisuel
sans remettre en cause la loi ultra libérale de François Léotard, qui a vendu
la composante la plus forte du service public au secteur privé, sans remettre
en cause les bourgeons, comme la loi Carignon créant la pérennisation de la
reconduction automatique des fréquences et l'élargissement du pouvoir des
groupes de communication sur les chaînes de télévision par la règle des 49 %,
deux mesures que les libéraux britanniques ont caractérisé à l'époque comme une
logique du « capitalisme de la rente ».
Dès votre annonce du débat, madame la ministre, les états généraux de la
culture se sont sentis responsables en pensée et en actes, et ont tout de suite
considéré que la première grande mesure d'une loi sur le service public de
l'audiovisuel devait être l'abrogation de la loi « Léotard », qui a formaté
depuis treize ans cette belle chose qu'est la télévision, cette belle invention
humaine qui est devenue essentielle à la vie sociale et culturelle de notre
moderne société.
Dans le débat à l'Assemblée nationale, j'ai bien sûr trouvé, de votre fait ou
du fait des parlementaires de la majorité - dont je suis activement et
chaleureusement, et ce pour construire - des déclarations et des amendements
traduisant les préoccupations démocratiques de celles et ceux qui considèrent
l'avènement d'un droit à la communication comme la naissance d'un droit
fondamental de notre société, laquelle doit maîtriser les moyens de se
représenter elle-même, de communiquer avec elle-même et avec le monde.
Mais le socle étant la loi Léotard, comment ces greffes démocratiques
vont-elles prendre ?
Oui, le socle doit être revu. Il n'y a pas de fatalités et les dangers
potentiels de l'accord AOL-Time Warner et la dimension du nouveau groupe
n'infirment pas cette position.
Non, il n'y a pas de fatale fatalité qui s'imposerait comme bornage du débat.
C'est l'idée qui a guidé les états généraux de la culture dans leur travail
pour une nouvelle loi.
Tout d'abord, un groupe d'étude de sept, puis de quinze personnes s'est réuni,
ensuite une journée de synthèse avec 100 participants s'est déroulée ici même,
au Sénat. Telle est la source du texte que j'ai déposé et qui doit faire
l'objet d'une discussion.
Il ne suffit pas de mentionner ce texte, monsieur le rapporteur, pour être
quitte. Ce texte est une composante de la pluralité d'approches de
l'audiovisuel et il doit être pris en considération. Il est différent, c'est
vrai, du texte gouvernemental. Il s'oppose à l'esprit du texte « Léotard » et à
ses suites.
Il part de cinq attendus : il combat, je le répète, l'idée de fatalité, et ce
qui s'est passé à Seattle est un atout de ce point de vue ; il considère la
communication comme un besoin essentiel, comme un droit universel ; il
appréhende la télévision comme un rapport social entre une société et son
imaginaire, comme une représentation du monde que se donne, à certains moments,
une collectivité - tout le contraire d'un instrument au service de pouvoirs
politiques ou économiques ; il constate que la télévision, et pour longtemps
encore, est la première pratique culturelle et de loisir des Français, qui lui
consacrent en moyenne trois heures et demie par jour et qui, en tant que
téléspectateurs, sont autodidactes ; il pointe que, aujourd'hui, la question de
la régulation de la télévision se pose moins face au pouvoir politique que face
au pouvoir économique - « un peuple qui abandonne son imaginaire aux grandes
affaires se condamne à des libertés précaires », déclaraient, dès 1987, les
états généraux de la culture.
Tout cela, ainsi que la bataille pour l'exception culturelle - à laquelle vous
avez tant pris part, ici et partout, avec détermination, madame la ministre -
et le recul de l'idée de fatalité, poussent à poser avec réalisme la question
d'un « nouveau code de la route », d'un « code de la route de l'imaginaire des
peuples », qui a besoin d'élaboration locale, nationale, européenne et
internationale, c'est-à-dire d'un « sommet de Rio » de la pensée, de l'esprit
et de la culture et je renouvelle ici la proposition que j'ai faite au Premier
ministre, M. Lionel Jospin, qu'un tel sommet se tienne à Paris à la fin de 2000
ou au début de 2001.
Avant d'épeler notre texte de loi, abordons la question des nouvelles
technologies, en proposant d'ailleurs de prendre la décision nationale d'entrer
dans l'ère numérique.
Les nouvelles technologies occupent légitement le devant de la scène, mais
aussi parfois comme un alibi.
On ne peut tout à fait légiférer sans tenir compte du numérique ou d'Internet,
mais j'ai parfois l'impression d'être face à une conception téléologique de
l'histoire : les technologies comme progrès continu, sans préciser de quel
progrès il s'agit.
« Toujours plus fort, toujours plus loin, toujours plus vite, dans une course
à la nouveauté permanente. »
« L'histoire de l'Art n'est pas l'histoire du pinceau », disent les auteurs
d'un beau et profond ouvrage,
Cinéma et dernières technologies.
Les deux dimensions ne coïncident pas et l'alibi novateur de l'un sert de
masque à la régression de l'autre. Les nouvelles technologies peuvent servir à
l'idéologie de la table rase, à une approche magique de l'histoire balançant
entre l'Apocalypse et la prophétie : les lendemains numériques qui chantent
!
Je pense qu'il faut tenir le plus extrême compte des nouvelles technologies,
mais les décideurs politiques que nous sommes doivent se garder d'être
impliqués dans un déterminisme technique qu'ils structurent tout en le
subissant : là comme en économie, il n'y a pas de fatale fatalité.
Je ne pense pas comme M. Minc, qui proclame : « Le marché est naturel comme la
marée », ni comme M. Madelin, qui déclame : « Les technologies sont naturelles
comme la gravitation universelle. » Pour moi, marché et technologies sont des
inventions humaines à maîtriser et non des faits surhumains à subir, et, à
l'automne, les états généraux de la culture, en coopération avec le Métafort
d'Auvervilliers, que vous soutenez, tiendront ici même un colloque
international intitulé : « Technologies, culture et humanité ».
Alors, notre loi, qui va s'exprimer dans plusieurs amendements, en voici les
grands traits.
C'est une loi en quinze articles, définissant une véritable responsabilité
publique et sociale en matière audiovisuelle à tous les niveaux de la société,
c'est une loi créant une dynamique de « publicisation », construite comme une
alternative à la « mercantilisation » généralisée.
Cela signifie mixité public-privé, avec un pilotage par un puissant secteur
public, par des finalités d'intérêt général et des critères d'efficacité
sociale et économique appliqués à tous les acteurs, par la démocratie et la
construction d'un espace public de la communication, c'est-à-dire par le
mouvement social : les utilisateurs-citoyens, les professionnels, les créateurs
et les personnels.
Pour enclencher cette responsabilité publique et sociale, processus éloigné de
toute institutionnalisation, notre texte se veut une loi spécifique sur
l'audiovisuel.
Une loi spécifique sur Internet doit venir en discussion, et le plus vite sera
le mieux. L'IRIS, dans sa réunion du 27 mai dernier, a avancé des
recommandations utiles, tout comme le sommet mondial de l'UNESCO, tout comme
une lettre de seize importantes organisations professionnelles sur les droits
de propriété littéraire et artistique, qui ne sont pas le
copyright
,
monsieur Belot, qui rapportiez le texte au nom de la commission des
finances.
Notre loi met au centre de tout les contenus et leur création, et c'est
fondamental quelle que soit la technologie, la télévision comme la radio, qu'on
oublie trop souvent.
L'audace de la création comme luxe de l'inaccoutumance et l'élan du pluralisme
comme tension vibrante sont des enjeux de civilisation face à la situation
actuelle où cette inaccoutumance, cette tension vibrante sont souvent aplaties,
assagies, aseptisées, atomisées, pour ne pas dire dissoutes.
Liberté de création et de recherche - je milite notamment pour que soit
stoppée la mutilation de cette dimension à l'INA... pluralisme des idées, des
expressions, des esthétiques - les articles 3, 4 et 5 analysent en profondeur
cette démarche comme une mission de service public, comme une exigence
spécifique visant à éveiller les regards, mieux, à nourrir l'avenir du regard,
avec en son coeur, pour tous, le troublant tumulte de l'histoire pluraliste des
images, des connaissances, des créations et, parmi elles le cinéma, le
théâtre... Tout cela contribue à créer l'espace où le « je » peut advenir un «
je » se mêlant aux autres, un « je » pouvant accueillir plus d'une tendresse,
en tout cas un « je » à la recherche d'un pluriel.
Nous sommes pour une télévision mutine, libérée du
star system
et de
l'audimat. C'est à partir de cette démarche que nous voulons traiter, comme
vous, madame la ministre, spécifiquement la chaîne Sept-ARTE, expérience
originale de confrontation à l'altérité, cette immense question
contemporaine.
Bien sûr, tout cela implique l'exception culturelle, qui n'est pas un
enfermement archaïque, mais une ouverture sans pareil, qui doit se fortifier et
gagner des domaines comme la santé, l'éducation, l'environnement, le sport, le
vivant, autrement dit faire passer l'homme et la femme avant le « fric » ! Mais
cela implique une capacité de production et de création. C'est là qu'il faut
bien mesurer les implications de l'accord AOL-Time Warner.
Ce groupe d'abonnés et de contenus à prétention et à réalité mondiales, bâti
sur le péage et sur les portefeuilles de droits, a bien saisi l'importance de
la question des contenus, mais à sa manière, celle du
business,
quitte à
y ajouter des fleurs culturelles.
La France et l'Europe, trop constamment pingres jusqu'ici en ce domaine - le
plan média, pour me limiter à lui, va bientôt être une « sucette » dans le
contexte international - ont à faire un saut de pensée et un saut
d'investissement.
Je pense d'ailleurs que M. Prodi aurait besoin de réfléchir à ce qu'il dit. Je
le cite : « La force de la culture américaine est symboliquement exprimée par
les
mass media
. Elle est en effet considérée par certains comme capable
de constituer la référence unitaire de l'Europe à la recherche de son âme. Il
n'y a rien de scandaleux dans cette hypothèse, notamment parce que les
équilibres futurs du monde reposent sur une coopération toujours plus étroite
entre l'Europe et les Etats-Unis dans les domaines de la politique, de
l'économie et de la défense, ce qui présuppose une certaine affinité en ce qui
concerne les grandes lignes des modèles d'intégration de la société. »
Moi, je pense avec Aragon que l'avenir « c'est ce qui dépasse de la main
tendue », et je tends la main aux artistes américains comme aux artistes de
tous les pays du monde. Mais M. Prodi, qui ignore superbement le Sud et l'Est,
nous propose la politique de la main coupée, c'est-à-dire une politique sans
avenir.
Je préfère m'en tenir à Lucien Febvre : « L'Europe est une civilisation. Rien
de plus mouvant sur terre qu'une civilisation, rien qui ne vive plus
dangereusement. »
Vous comprendrez donc pourquoi notre article 9 est consacré au soutien de la
production audiovisuelle nationale - je pense à la SFP, mais aussi à beaucoup
d'autres choses - et notre article 11 à une politique européenne de la
production et de la distribution.
Ici et en Europe, il faut « culbuter » les seuils de financement. Nous
affirmons l'objectif d'intérêt national et d'intérêt européen de 1 % du PIB en
cinq ans dans les industries du contenu. Produire des programmes audiovisuels,
mais aussi des logiciels pour les programmes interactifs est un enjeu majeur,
clé de l'avenir de l'audiovisuel.
Je sais, madame la ministre, que vous avez fait prendre un tournant au
financement du service public. Il était en danger. Par rapport au PIB, nous
étions au dernier rang européen avec la Grèce. Alors que le volume de
production originale de fictions nationales diffusées a augmenté de 15 % en
Allemagne entre 1996 et 1998, de 25 % en Angleterre et de 85 % en Espagne, il a
diminué de 21 % en France.
Toutes les statistiques avancées lors de la réunion organisée au Sénat par nos
collègues MM. Weber et Pelchat allaient dans le même sens.
Oui, vous avez commencé à corriger cette situation, mais il faut aller plus
loin et plus vite, car l'annualité budgétaire précarise le service public. Je
défendrai un amendement ayant pour objet de demander au Gouvernement la
présentation, d'ici à un an, d'un rapport au Parlement visant à l'augmentation
du financement de l'audiovisuel public. Si l'on pense au numérique, c'est
décisif et incontournable.
Avant de conclure, je souhaite énumérer les dimensions de la démocratie que
nous avançons : démocratisation du CSA - article 14 - en particulier de son
conseil d'administration, dans lequel entreraient les artistes et les experts
du quotidien ; création de comités régionaux de l'audiovisuel ; constitution
auprès du CSA et des CRA de collèges consultatifs ; démocratisation des
conseils d'administration des chaînes - article 13, article 8 - par la
représentation des personnels, des usagers, des créateurs ; pour les sociétés
privées, les salariés sont aussi représentés ; démocratisation des pratiques -
article 8, article 1er, article 4. Cela va de la non-reconduction automatique -
j'ai noté que vous l'aviez fait - des autorisations de conventions avec des
opérateurs privés aux limitations à 25 % de la part du capital d'une entreprise
du secteur audiovisuel à un même groupe, en passant par le pluralisme et ses
garanties, et le bornage du droit à la concurrence par le principe supérieur
d'exception culturelle.
Ajoutons le domaine du local et de ses enjeux pour la télévision en France,
avec l'objectif de faire de la télévision avec les gens et non sur les gens.
Dès décembre 1988, les états généraux étudiaient cette question en liaison avec
leur charte de l'audiovisuel.
Le problème se pose encore plus avec le numérique hertzien. Nous devons
réfléchir aux travaux de la coordination des médias libres créée en 1999, à
l'expérience belge et à son articulation avec le service public. Le 31 janvier,
un colloque permettra d'en débattre encore à l'Assemblée nationale. Faisons en
sorte que la loi prenne en compte ce problème d'avenir en pensant à
l'expérience contradictoire des radios libres, positive pour la démocratie
participative et l'expression citoyenne, et négative avec la mise en réseau
commerciale, ce qui implique la non-cessibilité des fréquences.
En conclusion, ma proposition de loi ose se libérer des seules règles d'un jeu
qui ne serait qu'économiquement profitable et socialement tolérable, se nourrit
de valeurs à l'heure exacte de la conscience, va au devant des désirs et
plaisirs, des savoirs et vouloirs des citoyens et des créateurs. Elle veut que
la pensée et l'imaginaire ne restent pas à quai, mais gagnent la haute mer, là
où le vent est favorable à l'aventure humaine, dont la télévision est partie
prenante dès qu'elle n'a pas l'imprudence de mépriser les rêves, qu'elle
choisit autre chose que la morale du présent asservissante de l'énergie
d'avenir. Cette proposition de loi tend à donner un départ nouveau pour la
télévision.
Ces artistes des états généraux - dont je me fais le porte-parole - sont,
diront certains, de doux rêveurs, des utopistes éloignés du terrain. Voilà
douze ans que nos utopies reçoivent toujours confirmation du réel, dont l'une
des composantes est l'action des artistes.
Mais, je le sais, cela ne peut pas venir de vous, madame la ministre.
Je me souviens, au moment du GATT, d'une délégation des états généraux au
Parlement européen. Nous avions eu l'idée de reprendre la tradition
strasbourgeoise du Moyen Age, quand étaient mis sur un bateau, au milieu du
Rhin, ceux qui pensaient dans la marge. On appelait même ce bateau, pour
fustiger ses passagers, « la nef des fous ». Vous nous aviez prêté, en tant que
maire, citoyenne et militante de la culture, un bateau. Nous avions tenu
colloque au milieu de l'Ill avant d'aborder le Parlement.
Aujourd'hui, au moment où s'ouvre à Biarritz le Festival international de
programmes audiovisuels, le FIPA, avec la démonstration des étonnants talents
qui existent dans le monde de la télévision ici et partout, par ma voix c'est
un peu la même chose qui se passe et chacun et chacune sait bien que c'est la
marge qui tient le texte.
Je paraphraserai Saint-Exupéry pour le mot de la fin. Si notre projet diffère
du vôtre, madame la ministre, loin de le léser, il l'augmente.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je reprendrai
quelques points concrets, dont un certain nombre ont déjà été évoqués lors de
l'assez long débat que nous avons eu au mois de février 1997 à l'occasion de
l'examen d'un projet de loi dont l'intitulé était exactement le même.
A l'époque, j'avais longuement explicité mes réserves quant au projet de
fusion entre La Cinquième et Arte. Je suis donc satisfait de voir le
Gouvernement ne pas donner suite à ce projet, un peu tard certes, mais je crois
que c'est la sagesse.
J'ajoute que la coordination assurée par le président commun entre Arte et La
Cinquième a eu des effets bénéfiques à la fois sur La Cinquième et surtout sur
Arte elle-même, notamment sur sa programmation, qui, de l'avis général, est
désormais débarrassée des scories que certains désignaient comme du « gauchisme
d'avant-garde un peu trop élitiste ». Les programmes d'Arte ont une qualité que
la plupart des auditeurs, dont moi-même, reconnaissent.
Je ne doute pas que vous aurez à coeur de défendre et de développer les
qualités de cette chaîne - plus exactement de ce groupement européen d'intérêt
économique franco-allemand - au niveau européen.
La finalité de La Cinquième est tout autre. Elle est résolument axée sur le
savoir, la formation et l'emploi. Nous l'avions ainsi dénommée au sein de la
commission sénatoriale que je présidais, dont mon collègue Trégouët était le
rapporteur et qui avait préparé un rapport qui n'est pas resté sur une étagère
puisqu'il est à l'origine de cette réussite à laquelle, malheureusement, des
moyens toujours trop limités, selon moi, ont été consacrés.
Nous avions aussi évoqué la possibilité de renforcer cette chaîne en
l'adossant à une fondation. Cette suggestion a été écartée, sans avoir jamais
fait l'objet d'un débat. Pourtant, elle permettait de rassembler de façon
permanente les divers ministères concernés - ils sont nombreux ! - l'ensemble
des régions, qui sont très directement concernées par la formation
professionnelle, à laquelle elles consacrent beaucoup d'argent, et le monde
économique.
Il convient aussi de donner à La Cinquième une dynamique particulière : celle
du numérique. Nous avons en effet toujours insisté au Sénat sur la Banque de
programmes et de services, la BPS, que je qualifierai de bibliothèque nationale
numérisée des programmes relatifs au savoir, à la formation professionnelle et
à l'éducation, véritable réplique numérique de la Bibliothèque nationale de
France.
Cette banque n'est qu'à l'état d'embryon. Elle correspond pourtant à une
nécessité absolue en ce début de siècle. Elle est essentielle, tant pour le
rayonnement international que pour régler les problèmes liés à la
téléformation, à la télééducation, à la télémédecine, etc.
J'en viens maintenant à France Télévision et à l'exclusivité donnée à TPS.
En février 1997, j'avais déjà dit combien il était choquant de voir qu'une
télévision publique, financée pour une grande part par de l'argent public, soit
ainsi liée à une chaîne privée. A l'époque, cela pouvait encore se justifier,
Canal + étant en situation quasi monopolistique. Ce n'est plus le cas.
Ce n'est pas l'avis d'un commissaire de Bruxelles qui modifiera ma position,
d'autant qu'il fait abstraction de ces nombreux téléspectateurs français
abonnés, par exemple, à CanalSatelllite, qui, placés dans les zones d'ombre,
sont privés du fruit de leur redevance. Je m'étonne qu'ils ne se plaignent
qu'auprès de leurs élus, et non devant les tribunaux.
Je crois que les monopoles doivent être limités aux seuls secteurs où ils sont
indispensables, ce qui n'empêche pas la discussion entre les chaînes publiques
et les opérateurs des bouquets satellites quels qu'ils soient.
J'aborderai maintenant la question de l'audiovisuel et de l'Internet.
La numérisation développe une convergence dont nous mesurons les effets aux
grandes manoeuvres qui se développent sur le plan industriel. On a déjà évoqué
le fait que le groupe Time Warner a été absorbé par une jeune société, AOL,
jeune mais qui a crû rapidement et qui n'existait pas à l'époque où Time Warner
était déjà un géant !
En France, la liaison programmée entre Canal + et Lagardère ne fait que
commencer.
Pourquoi ? Simplement parce que toutes les données - sons, images fixes,
images animées... - sont touchées par la numérisation. Beaucoup d'opérations
importantes, que ce soit dans le domaine de la publicité ou dans celui du
commerce international, vont nécessiter un renforcement de tous les services
correspondants je pense entre autres aux services de télécommunication,
d'informations, aux services audiovisuels, etc. qui vont se mélanger, via
l'Internet.
De plus, les canaux de diffusion, qui véhiculent tout et n'importe quoi, se
multiplient : diffusion filaire - fil de cuivre avec le coaxial ou fibre
optique -, diffusion par satellites et même diffusion par réseau de
raccordement numérique asymétrique avec l'ADSL.
On peut donc s'interroger - c'est mon cas - sur les autorités dont nous
disposons, telles que le CSA ou l'ART, qui sont issues du passé et qui, compte
tenu du développement prodigieux des technologies, vont probablement être
amenées à coopérer davantage, voire à se fondre.
Nous disposons, en plus, d'un établissement public de l'Etat, l'Agence
nationale des fréquences, et de la Commission supérieure du service public des
postes et télécommunications, qui réunit des sénateurs, des députés et des
personnes de l'art. Cette commission me paraît particulièrement intéressante
parce qu'elle permet aux différents ministères, à ceux qui posent des questions
- cela peut être le CSA ou l'ART - d'obtenir des réponses, en tout cas d'en
débattre, ce qui contribue à améliorer le système. Il serait par conséquent
opportun soit de trouver pour l'audiovisuel quelque chose d'équivalent, soit -
ce qui serait mieux - de procéder à une fusion pour élargir ses compétences. Je
présenterai d'ailleurs un amendement dans ce sens.
Par l'Internet, on peut désormais téléphoner. On commence aussi à faire de la
radio et de la télévision.
D'après la loi, jusqu'à ce jour, dès qu'il s'ouvre un site Web ou même une
page personnelle, il faudrait le signaler au CSA. Mais comment le CSA
pourrait-il traiter des millions de demandes par jour ?
Une régulation s'impose néanmoins pour régler les problèmes qui se posent et
qui se poseront de plus en plus quand on fait de la télévision sur l'Internet -
c'est déjà le cas à Sophia-Antipolis -, car cette transmission ne nécessitant
aucune fréquence, il n'est nullement nécessaire que le CSA accorde une
fréquence.
Quand ces diffusions vont se multiplier - ce qui est certain compte tenu de
l'intérêt de la télévision de proximité et de la sélectivité des publics que
permet l'Internet - il faudra bien trouver une formule pour que ces télévisions
de proximité et thématiques puissent se développer tout en faisant l'objet d'un
contrôle.
Dans le domaine des télévisions numériques hertziennes, la répartition des
fréquences pose, à mon sens, un problème - qui a d'ailleurs été évoqué à la
page 20 du rapport Hadas-Lebel, que j'ai reçu hier - celui de leur
attribution.
Le rapport Hadas-Lebel fait état de procédures d'affectation, en évoquant
uniquement l'audiovisuel comme s'il allait de soi que les bandes VHF et UHM
devaient rester le domaine réservé de l'audiovisuel.
Toutes ne peuvent pas être affectées à l'audiovisuel. Il faut prendre en
compte d'autres services, tels que la télémédecine, la diffusion relative aux
différents niveaux de formation, au savoir... Là encore, je proposerai une
modification de la loi afin qu'elle soit sur ce point mise à l'heure du
numérique.
Enfin, je voudrais m'associer au vibrant et brillant plaidoyer que vient de
prononcer notre collègue Jack Ralite : compte tenu de toutes ces nouvelles
potentialités, il est absolument nécessaire, c'est indiscutable, de faire des
efforts financiers en faveur de la création audiovisuelle et multimédia - je
mélange les deux volontairement -, convergence et numérisation obligent !
Madame la ministre, vous avez très brillamment démarré les opérations, en
conjonction avec votre collègue Christian Pierret, secrétaire d'Etat à
l'industrie. Il convient de renforcer votre action, et pas seulement, à mon
sens - bien que cela soit nécessaire -, pour accroître les moyens des chaînes
audiovisuelles publiques. Il faut également multiplier les opérations d'aides
au cinéma et à la création en général.
En effet, avec l'amélioration des techniques, l'augmentation des canaux de
diffusion filaires ou satellitaires, avec l'amélioration de toutes les
procédures qui permettent de passer de la création à la diffusion par la
numérisation, quantités de potentialités existent en matière de créativité, de
richesse, d'emplois. Nous devons favoriser leur développement en aidant
prioritairement les jeunes équipes débutantes, et ce à un coût relativement
modeste par rapport au coût traditionnel de la création d'un film, par exemple.
Ce faisant, nous trouverons une solution pour l'emploi, en particulier pour
l'emploi des jeunes ; nous trouverons des solutions pour développer les
activités de création et de jeux, qui, dans bien des cas peuvent favoriser
l'intégration dans les quartiers difficiles. Nous aurons enfin la joie de
disposer d'une formation par la pratique - la main à la pâte - pour nos jeunes
qui, en la matière, se montrent très créatifs et dont l'environnement peut être
suffisamment solide pour que leurs produits soient de qualité, repris par les
chaînes régionales ou thématiques et exportables.
Tels sont, madame la ministre, les quelques points sur lesquels je voulais
insister, en vous remerciant d'y accorder toute votre attention.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a dix
jours AOL, géant de l'internet, estimait que, pour poursuivre sa croissance, il
lui fallait s'allier au premier groupe mondial de communication présent dans
tous les métiers, de la presse à la télévision en passant par le cinéma et le
disque, Time Warner. Eclatante démonstration de ce que nous sommes quelques-uns
à avoir souvent affirmé à cette tribune et que rappelait Hervé Bourges jeudi
dernier : « La grande bataille qui va se livrer dans les prochaines années au
niveau mondial sera plus que jamais celle des contenus ! »
Adapter le secteur de la communication à ces bouleversements en pensant à
l'avenir de nos industries de programme est donc bien un enjeu majeur pour
notre pays. Toute la difficulté consiste à résoudre la contradiction entre deux
objectifs tout autant fondamentaux l'un que l'autre : d'une part assurer à nos
groupes français de l'audiovisuel, publics et privés, les moyens de défendre
leur place dans la compétition internationale, d'autre part garantir la liberté
de choix aux citoyens téléspectateurs, c'est-à-dire préserver notre identité
culturelle et assurer le pluralisme.
Nous pensons comme vous, madame la ministre, que, pour concilier ces deux
grands objectifs, il est indispensable de renforcer le service public, de
réaffirmer les pouvoirs de l'autorité de régulation, d'harmoniser les règles
entre les différents modes de diffusion, câble et satellite, et de préparer
l'arrivée du numérique hertzien. Cependant, il nous faut aussi mieux soutenir
notre industrie de programmes, améliorer la circulation des droits et favoriser
l'accès des éditeurs indépendants et des programmes de proximité à la
diffusion.
Au sein d'un univers de plus en plus concurrentiel, votre projet de loi
engage donc tout d'abord, madame la ministre, le renouveau du service public de
l'audiovisuel. Il est en effet essentiel de garantir l'équilibre entre le
secteur public et le secteur privé dans notre paysage audiovisuel et en même
temps de permettre aux téléspectateurs non seulement « d'écouter », mais aussi
de « voir la différence ».
Le secteur public doit constituer un pôle industriel puissant, capable
d'affronter la concurrence des groupes français et étrangers. C'est ce que
prévoit le projet de loi, d'une part, en rassemblant le secteur public et,
d'autre part, en clarifiant et en accroissant ses financements.
La création de la
holding
France Télévision, qui devrait regrouper les
chaînes publiques, vient enfin donner corps et existence juridique à un
rapprochement engagé en 1992 avec la création de l'entité France Télévision.
Il s'agit non pas de tenter un retour nostalgique à l'ORTF, comme certains
voudraient le laisser croire pour minimiser l'importance de votre réforme, mais
plutôt d'anticiper des évolutions inéluctables, de jeter un pont vers
l'avenir.
Je dirai d'emblée quelques mots sur le problème délicat de la fusion entre
Arte et La Cinquième, prévue en 1996 par le gouvernement d'Alain Juppé
essentiellement pour des raisons d'économies budgétaires, et de son intégration
effective dans la holding.
Nos partenaires allemands, vous l'avez rappelé tout à l'heure, estiment
contraire au traité franco-allemand de création d'Arte l'intégration de la Sept
Arte dans la holding. Vous avez choisi d'en prendre acte, madame la ministre,
et il me semble que vous avez eu raison : l'imposer au nom de considérations
juridiques, c'était risquer de porter atteinte à l'entente et à la confiance
entre les équipes, facteur essentiel de la réussite de cette aventure
unique.
La création de la holding va permettre de réaffirmer les missions de service
public, mais aussi de mieux envisager la complémentarité des différentes
antennes. La ligne éditoriale de chaque chaîne gagnera en clarté, France 2 sera
confirmée comme la grande télévision généraliste de service public alors que
France 3 et la Cinquième ont des dominantes plus spécialisées, l'une tournée
vers la proximité et les régions, l'autre vers les programmes éducatifs.
Le plan de développement du service public, sous la responsabilité directe de
la holding, gagnera en cohérence. Des complémentarités pourront être mises en
oeuvre en matière d'investissement dans le numérique, de chaînes ou de services
thématiques, de distribution de programmes en ligne, mais également en ce qui
concerne l'international. Vous l'avez signalé, TV5 et CFI sont, en fait, des
filiales de France Télévision. Peut-être pourrait-on envisager l'intégration
des autres participations de la SOFIRAD afin de rassembler les efforts du
secteur public à l'exportation ?
Pour ceux qui demeurent sceptiques, le modèle de la BBC, ensemble de chaînes
généralistes et thématiques étroitement liées sous une présidence unique, est
un exemple de réussite, en particulier pour l'international.
Permettez-moi néanmoins, mes chers collègues, de formuler une remarque à
l'intention de notre rapporteur : le renforcement du secteur public et sa
crédibilité sont fondés sur son indépendance par rapport au pouvoir
politique.
La rupture du cordon ombilical opérée par la loi de 1982 est une chose
acquise. Il est surprenant de voir notre rapporteur la remettre en cause. Sans
d'ailleurs oser vraiment le présenter comme tel, il propose un système complexe
qui revient
in fine
à faire nommer le président de France Télévision par
le Gouvernement.
Pour conclure sur ce chapitre, je dirai que la réaffirmation des missions du
service public lui permettra pleinement, je l'espère, par son exemplarité en
matière de programmes, d'être un moteur pour l'ensemble du secteur audiovisuel.
En d'autres termes, je crois que le service public doit naturellement remplir
un rôle de régulateur du paysage audiovisuel. Il s'agit bel et bien d'imposer
une autre forme de télévision, outil de création et d'innovation, qui assure la
liberté de choix du téléspectateur.
De telles missions justifient pleinement, madame la ministre, votre réforme du
financement de l'audiovisuel public, qui gagnera en clarté sans pour autant
affaiblir les chaînes publiques.
Celles-ci seront moins dépendantes des recettes publicitaires. Rappelons
qu'entre 1992 et 1998 les recettes publicitaires de France 2 ont augmenté de
60,5 % et celles de France 3 de 185,9 %. Leur part dans le budget de ces deux
chaînes publiques est passée de 33 % en 1992 à près de 50 % en 1998.
Il faut bien constater que, pour atteindre les objectifs de recettes
publicitaires inscrits dans la loi de finances, France 2 et France 3 ont dû, au
fil des années, calibrer leur programmation pour satisfaire aux exigences des
annonceurs.
En proposant d'abaisser de 12 à 8 minutes la durée horaire maximale de la
publicité pour France 2 et France 3, vous avez donc choisi, madame la ministre,
de mettre un coup d'arrêt à l'emprise grandissante des annonceurs sur
l'élaboration des grilles de programmes. M. le rapporteur propose de supprimer
cette disposition fondamentale du projet de loi. J'espère que le Sénat ne le
suivra pas.
Il faut en effet que France Télévision prenne davantage de risques aux heures
de grande écoute. Je crois d'ailleurs que la transition est déjà amorcée
puisque la directrice générale de France 2, Michèle Cotta, vient d'annoncer que
dix nouvelles émissions sont en préparation pour, d'ici au mois de septembre,
conforter l'image de la chaîne autour des thèmes culturels, des magazines et de
l'information.
Il était évidemment indispensable de compenser intégralement cette baisse de
recettes commerciales par un accroissement des moyens publics. Au cours des
deux prochaines années, 2,5 milliards de francs supplémentaires seront ainsi
réinjectés dans le budget des chaînes publiques grâce au remboursement des
exonérations de redevance. Serpent de mer des lois de finances, ces
remboursements seront définitivement affectés au budget de l'audiovisuel
public. C'est là une avancée importante du présent projet de loi.
Au-delà de cette compensation, on compte sur un surplus net de un milliard de
francs, qui sera exclusivement consacré aux développements technologiques et
aux programmes.
Cependant, pour que le service public puisse lutter à armes égales avec le
secteur privé, nous devons réfléchir à la manière de garantir l'augmentation
régulière des crédits d'année en année.
Il ne suffit pas, en effet, d'inscrire dans le projet de loi l'allongement à
cinq ans des mandats des dirigeants de l'audiovisuel public et la conclusion
avec l'Etat de contrats d'objectifs et de moyens. Il faut aussi donner au
secteur public les ressources financières nécessaires à une action stratégique
de long terme. Pour mémoire, car nous l'avons souvent répété dans cette
enceinte, je rappelle que le budget de la BBC est une fois et demie supérieur à
celui de France Télévision et celui des chaînes publiques allemandes, deux fois
et demie supérieur à celui de nos chaînes.
Je pense, pour ma part, qu'il faudra prévoir l'augmentation pluriannuelle des
moyens de nos chaînes publiques, ainsi que la capitalisation de la holding
France Télévision, pour lui permettre d'assurer ses missions de
développement.
Au demeurant, comme vous l'avez dit, madame la ministre, toutes les mesures
figurant dans ce projet de loi n'ont de sens que mises au service du citoyen
téléspectateur.
Selon une enquête de la SOFRES effectuée en décembre 1998, 83 % des Français
estiment qu'il y a trop de publicité à la télévision et 70 % d'entre eux
estiment que la réduction de la publicité sur France 2 et France 3 serait « une
bonne chose ». De tels chiffres n'ont rien de surprenant lorsque l'on sait que
la durée de publicité diffusée sur les chaînes publiques entre dix-neuf heures
et vingt-deux heures a augmenté de plus de 65 % en cinq ans. Cette baisse de la
durée de la publicité permettra de restituer aux téléspectateurs près de trois
cent cinquante heures de programmes par an !
Dans l'univers numérique, les programmes du service public doivent également
rester accessibles à tous les citoyens. C'est pourquoi nous souhaitons, à la
différence, là encore, de M. le rapporteur, la fin de l'exclusivité des chaînes
publiques sur TPS et son obligation réciproque, le
must carry
,
c'est-à-dire l'obligation pour tous les bouquets de les reprendre, sauf si
elles s'y opposent.
J'ajouterai que la transposition de la directive Télévision sans frontières
dans notre droit français permettra l'accès gratuit des citoyens aux événements
d'importance majeure, trop souvent confisqués jusqu'à présent, particulièrement
en matière sportive, par les chaînes cryptées.
Par ailleurs, pour garantir le pluralisme, il faut donner au CSA, allié au
Conseil de la concurrence, un nouveau pouvoir de contrôle économique, avec
saisine automatique par le ministre, contrairement là encore à ce que propose
le rapporteur. Comme je l'ai dit voilà un instant, nos groupes de
communication, à l'exception du nouveau pôle Canal + Lagardère, ne sont pas
encore de taille européenne et doivent pouvoir se développer. Néanmoins, parce
que la culture et l'information ne sauraient être des produits comme les
autres, il est nécessaire que des contrôles puissent s'exercer, que des verrous
soient opposées.
Je constate malheureusement que le rapporteur n'aime pas la transparence. Il
propose en effet au Sénat de supprimer toutes les dispositions visant à
permettre au CSA de faire la clarté sur les liens entre opérateurs de
communication et marchés publics ainsi que les dispositions destinées à assurer
l'indépendance de l'information au regard des intérêts économiques des
actionnaires. Du même mouvement, il propose de revenir au système de
reconduction automatique de la loi Carignon, que le projet de loi supprimait
fort opportunément.
Autre disposition très importante du projet de loi : les opérateurs du câble
et du satellite obéiront le plus possible à des régimes d'obligation similaires
ou, du moins, harmonisés.
Nous devons également, me semble-t-il, répondre à l'attente des Français en
matière de programmes locaux. Le succès de ces programmes est certain comme en
témoigne l'audience des décrochages de France 3 et de M 6 ou celle des
télévisions locales du câble, qui atteint parfois des scores dont TF 1 n'ose
même pas rêver.
Les télévisions locales, lorsqu'elles existent, même embryonnaires sur le
câble, rapprochent les citoyens en récréant le sentiment d'appartenance à une
région, un département, une ville ou un quartier. Elles inventent une nouvelle
manière d'utiliser la télévision au service de la communication sociale. Ce
rôle peut d'ailleurs certainement être mieux rempli par des structures
associatives, comme c'est le cas pour les radios, que par des sociétés
commerciales, orientées vers les profit.
Pour toutes ces raisons, il nous faut donner un statut légal au tiers secteur
audiovisuel et organiser les conditions juridiques et économiques de son
existence. L'amendement déposé à l'Assemblée nationale par Yves Cochet, qui
permet au CSA d'imposer aux opérateurs du câble de laisser un canal aux
associations locales, doit être complété par des mesures visant à autoriser les
associations à faire de la télévision sur le réseau hertzien. C'est ce que nous
proposerons à travers un certain nombre d'amendements.
Enfin, le projet de loi doit permettre de renforcer notre industrie des
programmes, vecteur de notre identité culturelle.
Grâce à la généralisation du numérique, les moyens de diffusion sont passés de
la rareté à l'abondance. Il est essentiel qu'à cette multiplication des tuyaux,
câble, satellite, Internet, corresponde une augmentation de l'offre de
programmes.
J'espère que, comme moi, mes chers collègues, vous souhaitez échapper à ce
monde idéal selon AOL, que deux journalistes d'un grand quotidien national ont
décrit récemment de la manière suivante : « Le pari d'AOL - Time Warner est que
l'abonné se satisfera des informations de CNN pour l'informer, qu'il choisira
un film du catalogue Warner, commandera le dernier album de Cher ou de Madonna
et qu'il sera un fan de la série
Friends,
autant de produits du nouveau
groupe AOL ».
Il est certain que, si nous ne voulons pas laisser le champ libre aux
programmes américains ou noyer les télespectaeurs sous les rediffusions, il
faut que notre industrie de programmes puissent relever le défi.
A cette fin, le projet de loi présente plusieurs mesures indispensables.
D'abord, les obligations économiques des grandes chaînes hertziennes à l'égard
de la production indépendante seront renforcées.
Ensuite, la fluidité des droits de diffusion sera mieux assurée. Nous
proposerons, d'ailleurs, de compléter ce dispositif par un amendement.
De plus, les chaînes thématiques du câble et du satellite seront soumises,
comme les chaînes hertziennes, à des obligations de production de
programmes.
Enfin, il est essentiel de mieux garantir l'accès des éditeurs indépendants à
la diffusion, que ce soit sur le câble, sur les plates-formes satellitaires ou
sur les éventuels futurs bouquets hertziens numériques. Il n'est pas acceptable
que les distributeurs aient le droit de vie et de mort sur les chaînes.
Le projet de loi renvoie à un décret la fixation du pourcentage minimal de
programmes indépendants que devront accueillir les opérateurs du câble ou du
satellite. A l'inverse du rapporteur, j'estime que ce pourcentage doit être
fixé par la loi et ne saurait être inférieur à un tiers de l'offre francophone.
Dans le même esprit, nous devrons garantir aux éditeurs une durée minimale des
contrats de distribution.
Pour préparer l'avenir, un chapitre reste à écrire, vous l'avez dit, madame la
ministre, sur le numérique hertzien terrestre. Le Gouvernement fera connaître
prochainement ses propositions sur la base du rapport Hadas-Lebel mais, d'ores
et déjà, le groupe socialiste du Sénat a procédé à de très nombreuses
auditions. Je voudrais, à cet égard, formuler quelques remarques et poser
quelques jalons.
Il nous semble indispensable que la France ne reste pas à l'écart du
développement de ces nouveaux réseaux qui devraient permettre de mettre à la
disposition de nos concitoyens trente-cinq à quarante-cinq chaînes ou services,
sous réserve qu'ils s'équipent d'un récepteur numérique. Ces nouveaux espaces
seront très utiles au développement de chaînes locales commerciales ou
associatives. La plupart des pays européens se sont déjà engagés dans cette
voie et nos industriels fabricants de téléviseurs ou diffuseurs ont acquis un
savoir-faire reconnu. La réussite dépendra de l'offre de programmes
supplémentaire qui sera ainsi rendue disponible.
Pour que les Français s'engagent massivement dans la démarche d'équipement
susceptible de faire descendre le prix des nouveaux téléviseurs à des niveaux
comparables à ceux des prix des téléviseurs analogiques et pour que les
éditeurs de services et les groupes de communication acceptent d'investir dans
les nouveaux réseaux, il faut que le Gouvernement et le Parlement fixent
rapidement les règles du jeu.
Quatre principes, à titre personnel, me semblent importants.
Tout d'abord, un calendrier clair et pas trop lointain pour l'arrêt de la
diffusion analogique doit être établi. Il doit être assorti d'une obligation de
couverture intégrale du territoire par les opérateurs, la diffusion terrestre
pouvant être complétée par la diffusion satellitaire.
Doit en outre être assurée la garantie, pour le service public, d'une place
proportionnelle à celle qu'il occupe aujourd'hui dans l'espace analogique.
Le service public doit cependant être soumis à l'obligation de fournir une
vaste gamme de services gratuits puisque financés par la redevance.
En ce qui concerne l'épineux problème du mode d'attribution des fréquences,
notre rapporteur et le CSA ont, me semble-t-il, des positions assez opposées.
Selon moi, là encore, il convient de chercher à concilier le développement
industriel de nos groupes audiovisuels et le pluralisme, ce qui suppose de
laisser une place importante aux éditeurs indépendants et aux programmes
locaux.
Ne pourrait-on décliner le modèle de la distribution satellitaire tel qu'il
ressort du projet de loi et des amendements que nous étudierons ? Les groupes
pourraient organiser librement leur offre et la commiercialisation de celle-ci
au sein d'un multiplex mais chaque opérateur de multiplex devra accueillir un
pourcentage minimal de programmes fournis par des éditeurs indépendants, qui ne
saurait être inférieur à 30 %.
Cela implique que le CSA veille à ce que les programmes locaux et les
programmes du tiers secteur audiovisuel trouvent leur place au sein de cette
offre indépendante et que l'opérateur du multiplex soit obligé de
commercialiser, en même temps que ses propres services, l'offre indépendante,
le CSA devant également faire en sorte que chaque multiplex offre des
programmes différents des autres.
Mais je pense que nous aurons tout loisir, madame la ministre, de débattre des
choix possibles pour le numérique terreste lors de la deuxième lecture et je
souhaite que le projet de loi ne sorte pas défiguré de son examen par le Sénat.
Nous devons, en effet, faire en sorte que ce texte tant attendu par les
opérateurs entre en vigueur le plus tôt possible.
Pour finir, je livre à votre méditation les réflexions qu'inspirait à
Dominique Wolton la récente fusion AOL-Time Warner : « Dans la communication,
le plus simple sera toujours du côté des techniques, et le plus compliqué du
côté des hommes et des sociétés. Il faut éviter de croire que l'omniprésence
des réseaux et des ordinateurs suffira demain à créer une société de liberté,
de tolérance et de solidarité. »
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, mon propos
sera relativement bref, car l'essentiel de la pensée de mon groupe sera rappelé
par mes collègues MM. Richert et Hérisson. C'est en fait avant tout à titre
personnel que je souhaite intervenir sur un problème très particulier.
Mais je veux d'abord faire part de ma satisfaction devant le ton de ce
débat.
C'est en 1958 que j'ai, pour la première fois, à l'Assemblée nationale,
participé à un débat sur l'audiovisuel ; à l'époque on parlait encore de la TSF
! Depuis, j'ai assisté à je ne sais combien de débats sur ce sujet, toujours
passionnants mais souvent aussi très passionnés, parfois aux limites de la
tolérance.
Or, aujourd'hui, à part quelques flèches, légitimes venant d'une bouche
féminine
(Sourires),
j'ai l'impression que ce débat a de la hauteur.
Je suis heureux de voir avec quelle attention Mme le ministre nous écoute.
Mais je tiens à lui dire qu'elle a l'art de se faire désirer. La vitesse à
laquelle les données techniques évoluent et la nécessité d'une remise en cause
incessante qui en découle expliquent sans doute la prudence dont elle a fait
preuve en retardant régulièrement la tenue de ce débat. Après tout, si c'est
pour un mieux, pourquoi pas ?
Il s'agit surtout d'aborder les grands problèmes de l'audiovisuel comme l'a
fait M. Laffitte et, une fois de plus, d'étudier les conditions de
développement d'une radio-télévision de service public que, madame le ministre,
vous voulez ouverte, efficace et surtout susceptible de répondre aux nécessités
de notre époque.
Madame le ministre, je connais la difficulté de votre tâche et je souhaite que
l'on puisse, à l'avenir, traiter de ces problèmes dans la transparence, ce qui
n'a pas toujours été le cas au cours des dernières décennies. Je le dis
tranquillement, même si cela déplaît à la gauche ou à la droite : sur ce plan
au moins, elles peuvent être solidaires !
(Nouveaux sourires.)
S'agissant de la transparence, deux exemples me viennent à l'esprit.
Le premier est très ancien. J'ai retrouvé une interview qu'avait accordée en
1960 le directeur général de l'époque, M. Chavanon, dans laquelle celui-ci
avouait : « Après deux années d'exercice, je commence à comprendre comment
fonctionne la maison. » Hélas ! quelques jours plus tard, il était remplacé.
(Nouveaux sourires.)
Le second est tout récent. M. Marc Tessier, le nouveau président, déclarait
dernièrement au
Journal du dimanche :
« L'organigramme était tel à mon
arrivée qu'il m'arrivait de ne pas savoir qui faisait quoi. »
Décidément, il y a une certaine continuité dans l'opacité au sein de cette
maison !
Mais ce n'est pas sur les réformes de structures que je souhaite intervenir.
Au demeurant, ces réformes font généralement l'objet de l'essentiel de nos
débats. Bien sûr, elles sont nécessaires, car tout évolue, et nous avons déjà
entendu dans cet hémicycle des voix éminentes nous expliquer avec science et
talent pourquoi il faut y procéder.
Le point que je souhaite aborder ce soir, il n'en est jamais question dans les
débats parlementaires. Relisez les comptes rendus des débats passés et vous
verrez qu'on n'y évoque jamais des programmes. On parle essentiellement des
évolutions techniques, de la prospective, de la gestion, mais les choix
programmatiques ne sont presque jamais discutés dans cette enceinte.
Or, on le sait, les Français passent en moyenne trois heures à trois heures et
demie par jour devant le petit écran. Il faut y ajouter le temps passé à
écouter la radio. Et le phénomène va encore s'amplifier avec les nouvelles
technologies. Plus que jamais, l'information, la distraction et l'instruction
vont s'emparer de nos « lucarnes ».
Des questions fondamentales demeurent néanmoins sans réponse : qui donne les
impulsions ? Qui décide des sélections ? Qui est maître de l'écran ? Certes,
quelques personnes très honorables, qui détiennent un mandat éphémère, sont
désignées à cette fin. Mais ce n'est pas suffisant pour réfléchir à une grande
politique programmatique de la télévision ou de la radio ! Le principal
concerné est tout de même le public. Mais où et quand celui-ci fait-il entendre
sa voix ? J'attends toujours qu'on me le dise !
Certains répondront : il y a l'audimat. Que l'on ne me parle pas de l'audimat,
qui donne des renseignements d'ordre quantitatif et non qualitatif ! L'audimat
indique si le poste est ouvert ou pas, il ne dit rien de l'appréciation que le
téléspectateur ou l'auditeur porte sur tel ou tel programme, du succès que
celui-ci remporte et de l'intérêt qu'il présente.
D'autres évoqueront les médiateurs. Que l'on ne me parle pas, non plus, des
médiateurs, qui sont certainement d'excellentes personnes, mais qui sont
d'abord la voix de la direction avant d'être celle des téléspectateurs.
(Mme
le ministre fait un signe de désapprobation.)
Si, madame le ministre, je
vous l'assure. Moi - contrairement à vous, sûrement - j'ai le temps d'examiner
les fruits de leur activité. Si vous le voulez, je vous ferai parvenir quelques
extraits.
En tout cas, lors de sa séance du 27 février 1997, le Sénat avait adopté, sur
ma proposition, un amendement tendant à instituer, auprès des organes
dirigeants des sociétés de l'audiovisuel public, un comité consultatif
d'orientation des programmes réunissant ce que j'appelle des « téléspectateurs
actifs ».
Bien entendu, la question demeure de savoir comment aurait été composé ce
comité. On ne veut plus des associations de téléspectateurs, car, dit-on, elles
ne réunissent que peu de membres. C'est un cercle vicieux ! Si elles ne sont
jamais consultées, si elles n'ont pas de responsabilités, le nombre de leurs
adhérents sera toujours extrêmement réduit !
En revanche, cet argument ne vaut pas pour les membres du corps enseignants,
les parents d'élèves, les mouvements familiaux. Il est légitime que leurs
représentants puissent s'exprimer ! Si vous n'en voulez pas, madame la
ministre, ce qui m'étonnerait d'ailleurs beaucoup, dites-le carrément !
Pour justifier mon propos, je veux évoquer un incident qui m'a profondément
heurté, car il est révélateur d'une certaine conception du service public et du
mépris dans lequel on tient quelquefois le Parlement.
Je précise tout de suite que l'observation qui va suivre ne vise pas la
direction actuelle de France Télévision. Il faut laisser à celle-ci le temps de
prendre la dimension des problèmes, et ses premières décisions me paraissent
aller dans la bonne direction ; je suis bien placé pour le savoir puisque je
fais partie du conseil d'administration.
Certes, l'amendement dont je parlais tout à l'heure et qui jetait les bases
d'un comité d'orientation des programmes a été rejeté par l'Assemblée
nationale. Mais il avait tout de même inquiété la direction de France
Télévision de l'époque. Celle-ci avait ouvertement fait savoir qu'elle était en
opposition totale avec la proposition du législateur et, sans aucune hypocrisie
- elle eut au moins ce mérite - elle a allumé un contre-feu. En effet, sans que
ce soit nulle part prévu dans les textes, elle a créé de toutes pièces deux
comités d'orientation, un pour France 2 et un autre pour France 3, comités
composés d'ailleurs de gens de grande qualité : universitaires, rédacteurs en
chef en exercice, académiciens, journalistes spécialisés ayant des rapports
étroits avec la maison, savants, anciens hauts fonctionnaires, prix Nobel,
conseillers littéraires, producteurs, réalisateurs. Bref, ce sont, par
excellence, des comités élitistes.
En un an, ces deux comités ont tenu deux réunions, dont une pour le baptème !
Peut-être y en aura-t-il une troisième pour l'enterrement, après le vote de la
nouvelle loi par l'Assemblée nationale et le Sénat !
M. Belot, en sa qualité de rapporteur spécial du budget de l'audiovisuel, et
moi-même, en tant que membre du conseil d'administration de France Télévision,
avons demandé que nous soient communiqués les comptes rendus des travaux de ces
deux comités. Nous n'avons, ni l'un ni l'autre, jamais obtenu satisfaction. Or
ce sont ces travaux qui sont censés être pris en considération pour orienter
les programmes.
Ce n'est pas l'opacité, c'est de la clandestinité ! C'est très grave dans la
mesure où il s'agit de ce que regardent les téléspectateurs, en particulier nos
enfants.
Je n'insiste pas, car j'espère que le nouveau comité qui sera créé, si
toutefois le texte est modifié, ne présentera pas les mêmes défauts.
L'Assemblée nationale propose d'instaurer un conseil d'orientation - c'est une
expression à la mode ! - des programmes composé de quarante téléspectateurs -
on dirait l'Académie française ! - tirés au sort sur le plan national, et qui
siégerait deux fois par an, la première fois en s'adjoignant les membres du
conseil d'administration, ce qui porterait à cette occasion l'effectif de
l'assemblée en question à cinquante-deux personnes !
Cinquante-deux personnes pour deux ou trois heures de réunion deux fois pas an
: je souhaite bien du plaisir à celui qui présidera ce comité ! Comment
pourra-t-on étudier sérieusement une politique de programmes avec un tel comité
? On est passé d'un comité élitiste à un comité populiste. Je dis « populiste »
car on recourt maintenant au tirage au sort. On se croirait à la cour d'assises
!
Je formulerai maintenant quelques objections.
Premièrement, si ce conseil se réunit deux fois par an, on ne voit pas, je le
répète, comment il pourra travailler sérieusement, la première fois avec
cinquante-deux membres et la seconde fois avec quarante membres.
Deuxièmement, cette commission serait composée de quarante téléspectateurs
assujettis à la redevance, c'est-à-dire que l'on exclut les économiquement
faibles, tous ceux qui, faute de moyens, sont dispensés de payer la redevance
et qui sont souvent les plus nombreux devant le petit écran, car il faut bien
tuer le temps... On est quand même en république, et en république sociale, et
je ne peux imaginer que la gauche se rallie à cela. Là encore, je suis persuadé
que l'on y réfléchira et que ce texte sera amendé.
Troisièmement, on innoverait en instaurant un nouveau système de démocratie :
le tirage au sort. Je n'ai jamais vu cela, sauf, comme je l'ai dit voilà un
instant, pour les jurys d'assises. J'adresse une véritable mise en garde, car
si nous prenons l'habitude de faire confiance au tirage au sort pour désigner
les membres d'assemblées de cette importance, où irons-nous ? J'espère que l'on
ne tirera pas au sort, un beau jour, les candidats-sénateurs ! Faire confiance
au hasard, c'est, à mon avis, aboutir au bazar ! Nous ne pouvons accepter une
philosophie qui, de fil en aiguille, aboutirait à la démocratie du loto. C'est
en effet la démocratie du loto que de recourir au tirage au sort pour désigner
ceux qui se pencheront sur nos programmes de télévision.
Méfions-nous aussi des surprises que peuvent amener les loteries.
Demandera-t-on l'opinion de personnes qui sont peut-être anarchistes, ou
fascistes, et qui seront désignées ainsi ?
Voilà ce que je voulais vous dire très simplement. J'ai préféré en effet
concentrer mon propos sur un seul point très précis.
Madame le ministre, j'ai confiance dans le sérieux de la réflexion que vous
apporterez en seconde lecture à mes observations. Nous sommes prêts à
collaborer à l'élaboration d'un autre système de comité de programmes.
Simplement, madame le ministre, il faut tout de même que ce texte corresponde à
quelque chose de digne, à ce qu'en attendent à la fois notre culture, notre
démocratie et notre histoire. Nous avons bien mérité cela !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
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