Séance du 25 novembre 1999
LOI DE FINANCES POUR 2000
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2000,
adopté par l'Assemblée nationale (n°s 88 et 89, 19999-2000).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, nous voici réunis de nouveau pour parler de
politique budgétaire.
Pour la commission des finances, la politique budgétaire est une affaire de
choix et de volonté. Elle ne doit pas se borner à constater, fussent-ils
satisfaisants, les résultats ou les dividendes d'une bonne conjoncture.
Nous avons, et je vais m'efforcer de le montrer, des raisons de craindre que
ce budget ne soit un budget des occasions manquées et que la belle conjoncture
- nous nous félicitons tous de voir notre pays en bénéficier - ne soit pas mise
à profit comme il le faudrait.
Nous voyons les entreprises évoluer quotidiennement et nous sommes obligés de
constater que la sphère privée de l'économie diverge de plus en plus de la
sphère publique.
Celle-ci requiert, nous le savons tous, des réformes de fond, des réformes de
structure. L'Etat ne peut plus demeurer, à l'approche de l'an 2000, ce qu'il
est depuis 1945.
Nous avons devant nous des échéances évidentes comme celle de la nécessaire
réforme des retraites, mais, sur ces sujets de fond, nous ne voyons venir que
des réflexions supplémentaires, des concertations, des discussions et des
rapports.
Ce que des chiffres tout à fait précis et indiscutables nous permettent
d'observer, c'est que nous avons atteint le niveau historiquement le plus élevé
en matière de prélèvements obligatoires, ceux-ci apparaissant maintenant dans
deux lois financières : la loi de finances et la loi de financement de la
sécurité sociale, laquelle met en jeu des masses dépassant en importance celles
de la loi de finances.
Nous constatons aussi que ces prélèvements obligatoires servent à financer des
dépenses publiques qui ne baissent pas, avec un déficit budgétaire dont la
diminution est très soigneusement - trop soigneusement, à mon sens - « lissée »
dans le temps.
M. Claude Estier.
Il vaut mieux le diminuer que l'augmenter, tout de même !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout dépend de la conjoncture dans laquelle on se
situe, monsieur Estier. Il faut comparer des choses comparables !
La commission des finances, fidèle à ses principes de volontarisme, vous
proposera, mes chers collègues, un autre chemin que celui que le Gouvernement
nous soumet.
En termes d'objectifs, nos préconisations visent à réduire le poids des
charges qui pèsent sur l'économie, à améliorer la compétitivité des
entreprises. Pour cela, on le sait bien, il faut circonscrire le champ de la
sphère publique. Il faut non seulement dépenser moins, mais aussi et surtout
dépenser mieux.
En termes de méthode, monsieur le ministre, nous pensons qu'il convient de
renouveler l'approche de ces discussions financières. Il s'agit de les situer
dans la durée, et non pas seulement dans l'annualité budgétaire. Il faut
surtout aborder l'ensemble de la sphère publique, c'est-à-dire, en particulier,
l'Etat et les organismes sociaux.
Il n'est pas acceptable que les assemblées parlementaires n'aient pas une
discussion globale sur un état consolidé des recettes issues des prélèvements
obligatoires et sur leur affectation.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous savons bien que les deux lois, loi de
financement et loi de finances, sont de nature différente, l'une fixant des
objectifs, l'autre autorisant des dépenses, mais nous savons tout autant que
les prélèvements obligatoires naissent de part et d'autre, qu'ils pèsent
globalement sur l'économie et qu'ils sont à la charge des mêmes contribuables
ou redevables.
C'est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, d'examiner notre
proposition de méthode et d'envisager, pour de futures échéances, cette
présentation consolidée des prélèvements obligatoires, de telle sorte que l'on
ne voie pas renaître à un endroit ce que l'on a supprimé à un autre, de telle
sorte que cesse ce que nous avons appelé le « jeu de bonneteau fiscal » dont
vous nous régalez depuis des semaines.
(Sourires.)
Monsieur le ministre, il faut aussi que cette approche soit comparative.
Vous qui êtes désormais amené, de par vos fonctions, à passer sans cesse d'un
continent à un autre savez bien que les frontières en matière d'appréciation
des finances publiques et de marche de l'économie ont à présent une valeur
toute relative. Dès lors, l'important est de savoir comment on se situe par
rapport aux autres et ce que l'on fait des chances objectives dont notre pays
peut aujourd'hui profiter.
Tel est le cadre général, mes chers collègues, dans lequel la commission des
finances a entamé l'examen du projet de budget pour 2000, et je vais maintenant
présenter rapidement les principales étapes de notre raisonnement.
Nous avons tout d'abord cherché à appréhender le contexte macroéconomique dans
lequel nous nous situons.
Celui-ci est caractérisé par une croissance en volume du produit intérieur
brut estimée à 2,8 % pour 2000. Pour l'année 1999, nous venons de l'apprendre,
la croissance du PIB s'établira à 2,7 %. Nous pouvons donc compter sur une
croissance très significative et sur les ressources qui en sont directement
issues.
Bien entendu, cette conjoncture nationale ne saurait être séparée de son
environnement. De ce point de vue, il est bon, monsieur le ministre, de
rappeler en quelques mots les hypothèses sur lesquelles vous vous êtres fondé
pour bâtir les équilibres de ce projet de loi de finances.
Tout d'abord, vous considérez, comme la plupart des observateurs, que
l'évolution mondiale de l'économie ne devrait pas être affectée par des
discontinuités nouvelles. Vous vous situez dans l'hypothèse, au pire, d'une
décélération douce de l'économie aux Etats-Unis. Vous vous situez aussi dans
l'hypothèse d'une absence de nouvelle crise financière dans le monde, notamment
en provenance de la zone asiatique. Mais cela ne change rien aux dangers
objectifs qui restent présents dans le monde d'aujourd'hui.
Je prends l'exemple d'un pays que vous avez analysé en profondeur, le Japon :
chacun sait que son taux de déficit public et le poids de son endettement sont
autant de facteurs de fragilité susceptibles de jouer si des circonstances
imprévues survenaient. Ce sont là des éléments qu'il convient de garder à
l'esprit : la possibilité d'une conjoncture moins favorable ou de
discontinuités dans l'évolution de l'économie mondiale.
S'agissant de la France, les analystes de l'économie, y compris ceux qui nous
observent de l'étranger, mettent le plus souvent en avant les handicaps
structurels qui pourraient conduire notre pays à des évolutions moins heureuses
que celles que nous appelons de nos voeux.
Parmi ces handicaps structurels, j'évoquerai, d'abord, un marché du travail
qui reste trop cloisonné, du fait, notamment, des insuffisances de notre
appareil de formation et de l'inadéquation de certains systèmes de prestations
d'assistance qui engagent à rester dans l'inactivité et non à reprendre le
travail.
J'évoquerai, ensuite, une situation des finances publiques qui n'est pas
complètement redressée et qui peut effectivement constituer un handicap
structurel pour notre pays. A cet égard, je me permettrai de rappeler une
évidence : l'économie connaît des cycles, et l'on ne reste pas toujours sur des
tendances favorables ; les retournements de cycles arrivent bien un jour, que
ce soit sur le plan national, européen ou mondial.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Aurons-nous fait jouer comme nous le pouvons et comme
il le faudrait les facteurs contracycliques que la politique budgétaire doit
mettre en oeuvre ? N'aurons-nous pas des regrets, n'aurez-vous pas des regrets,
monsieur le ministre, lorsque le retournement de cycle apparaîtra, et il
apparaîtra bien un jour ?
C'est une question qu'il faut poser : utilisons-nous comme il le faut les
ressources de la croissance pour préparer un avenir qui sera peut-être plus
rigoureux ?
Je voudrais maintenant, là encore très cursivement, aborder les conditions de
l'équilibre du projet de loi de finances tel que votre document les fait
apparaître.
Selon votre projet, la croissance engendre environ 80 milliards de francs de
recettes supplémentaires. Vous en consacrez un cinquième à la hausse des
dépenses, une moitié à la baisse des prélèvements - mais cela inclut 14
milliards de francs de la baisse d'impôts qui avait déjà été décidée dans le
passé - un quart seulement à la réduction du déficit, et il reste 5 % pour des
effets comptables.
Nous pensons, monsieur le ministre, au sein de la commission des finances, que
la réduction du déficit budgétaire de 1999 à 2000 ne reflète pas un effort
suffisant.
Il est symbolique à cet égard que, de 1999 à 2000, la réduction du déficit
soit inférieure à ce qu'elle était de 1998 à 1999. Vous freinez l'effort au
lieu de l'amplifier, comme la conjoncture le permettrait.
Les hypothèses que vous prenez sont des hypothèses quelque peu décalées par
rapport au pacte de stabilité sur lequel votre gouvernement s'est engagé voilà
un an. Je rappelle qu'il évoquait 2,5 points de déficit public pour 2,5 points
de croissance du produit intérieur brut, et ce dans l'hypothèse prudente. Or,
en réalité, nous aurions 2,8 points de croissance et 2,4 points de déficit
public, ce qui signifie que l'utilisation de la croissance pour réduire le
déficit est freinée par rapport aux hypothèses du pacte de stabilité
européen.
Cette année, chacun sait que l'exécution de la loi de finances de 1999 a été
favorable, voire très favorable. Nous avons échangé nos chiffres respectifs par
communications interposées.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je préfère les
miens !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je ne souhaite absolument pas que cela puisse faire
l'objet de polémiques, car il ne s'agit que d'arithmétique et il n'y a pas
lieu, mes chers collègues, de polémiquer sur l'arithmétique.
M. Henri de Raincourt.
C'est vrai !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En lisant votre récent communiqué, monsieur le
ministre, ce qui est un honneur rare pour un rapport de la commission des
finances, j'ai eu le sentiment,...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mérité !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... que nous avions touché juste et à un endroit qui
fait mal.
(Rires sur les travées du Rassemblement pour la République.)
Or le calcul que nous avons effectué est à la portée de tout un chacun ;
il est extrêmement simple : il se fonde sur les profils d'exécution des années
précédentes, 1995 à 1998. Il n'est pas affecté, contrairement aux termes de
votre communiqué, par ce que vous appelez « les phénomènes calendaires », car
il repose sur les chiffres du 31 juillet. Ce calcul arithmétique aboutit à une
vraisemblance de plus-values nettes de recettes fiscales comprise dans une
fourchette de 30 milliards de francs à 40 milliards de francs.
M. Josselin de Rohan.
C'est la cagnotte !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela ne prend pas en compte les phénomènes de report
d'une année à l'autre, qui sont naturellement à la discrétion du
Gouvernement.
La Cour des comptes elle-même ne s'est pas fait faute de relever, pour ce qui
concerne l'année 1998, un comportement un peu manipulateur des chiffres -
permettez-moi de le dire - qui consiste à utiliser les dégrèvements à bon
escient en fin d'exercice et les reports sur l'exercice suivant, également à
bon escient, pour que l'on ne soit pas en mesure de rattacher à l'année en
cours toutes les recettes de la gestion de l'année en cours.
Voilà quelques considérations sur la conjoncture.
A présent, par rapport aux autres, comment nous situons-nous ? Notre niveau de
déficit public est toujours plus élevé que dans le reste de l'Union européenne.
L'écart qui existera en l'an 2000 entre la France et l'Allemagne, qui est à la
moyenne de la zone euro, restera supérieur à 0,4 point de PIB, soit près de 40
milliards de francs de différence.
Quant à la dette publique, sa stabilisation dans le produit intérieur brut
nous paraît fragile et, là aussi, votre volontarisme nous semble insuffisant.
Certes, l'Etat devrait revenir, en 2000, à un excédent primaire, ce qui
signifie tout simplement, pour les non-spécialistes, qu'il n'empruntera plus
pour financer sa dette. C'est assurément une bonne chose. Mais il continuera
tout de même à emprunter 50 milliards de francs pour solder son fonctionnement,
ce qui serait naturellement interdit à la plus petite comme à la plus grande de
nos communes.
Il faut tout de même rappeler que le volume des emprunts qui seront levés sur
les marchés de capitaux en 2000 s'élève à 622,5 milliards de francs, ce qui
doit notamment permettre de rembourser des emprunts venus à échéance ; à
concurrence de 407 milliards de francs. Telle est la réalité de l'endettement
public !
Pardonnez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que le fait de voir
l'endettement public dépasser le chiffre retenu par les critères de Maastricht
en 1999 est, pour nous, très alarmant. La situation de nos finances publiques
présente encore de nombreux signes inquiétants. Un déficit public structurel
subsiste ; il est analysé dans mon rapport écrit. Il démontre bien la nécessité
d'engager des réformes plus profondes de l'appareil d'Etat. Là encore, les
comparaisons internationales ne sont pas à notre honneur.
Il faut également déterminer, dans ce projet de budget, quelles sont les
vraies priorités de votre gouvernement. Il s'agit de priorités en faveur non
pas des dépenses d'investissement mais des dépenses de fonctionnement.
Dans une masse globale de dépenses de l'Etat qui augmente de près de 1 % en
valeur, lorsque l'on considère les dépenses de fonctionnement et les dépenses
d'investissement, on constate que la rubrique la plus pénalisée concerne les
investissements militaires, qui diminuent de 5,5 %.
M. Emmanuel Hamel.
C'est très grave !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est très grave, en effet, pour l'avenir, pour
l'indépendance de notre pays et pour sa place en Europe.
On observe aussi que l'ensemble des dépenses d'investissement marquent le
pas.
La vraie priorité du Gouvernement, c'est la fonction publique : les dépenses
s'élèvent à 675 milliards de francs, soit 40 % du budget de l'Etat ; elles
augmentent de 3,5 %, à peu de choses près. Autrement dit, la seule augmentation
des dépenses de rémunération du personnel de l'Etat représente, en chiffres
bruts, 22,5 milliards de francs.
Monsieur le ministre, tout cela nous conduit évidemment à porter une
appréciation qui ne peut pas ne pas être marquée par quelques inquiétudes,
surtout lorsque nous voyons ce qui se passe en matière de recettes,
c'est-à-dire de prélèvements obligatoires.
Vous nous avez promis, ou plutôt votre prédécesseur, avec l'habileté
dialectique que nous lui connaissions et qui lui était coutumière, des baisses
d'impôt tout à fait exceptionnelles. A la vérité, ce projet de budget comporte,
certes, une mesure de baisse fiscale, mais une seule, et pour près de 20
milliards de francs : le taux réduit de TVA pour le secteur du logement. En
dehors de cette mesure, que constatons-nous ?
Vous corrigez, de manière coûteuse, votre erreur de l'an dernier sur le droit
au bail, que vous avez modifié de manière exagérément complexe alors que
personne ne vous le demandait. Cela coûte des milliards de francs à l'Etat et
mécontente nombre de propriétaires et de locataires.
Nous observons aussi ce jeu étonnant entre la loi de financement de la
sécurité sociale et la loi de finances initiale. Une surtaxe exceptionnelle et
provisoire avait été créée sur les bénéfices des entreprises. Elle est
supprimée par la loi de finances ! Elle est immédiatement rétablie, par ce jeu
de « bonneteau fiscal », dans la loi de Martine Aubry.
Ainsi, les bonnes nouvelles qu'annonçait votre prédécesseur se trouvaient,
pour certaines d'entre elles du moins, aussitôt contredites par les positions
plus ingrates de sa collègue ministre de l'emploi et de la solidarité !
C'est donc la contribution sur les bénéfices des sociétés qui, par pur hasard,
vient prendre la place de la surtaxe exceptionnelle et provisoire.
C'est le même raisonnement ou la même pratique extrêmement condamnable que
nous observons à propos d'un nouvel impôt, créé l'année dernière par la loi de
finances, qui disparaît du budget de l'Etat pour être réinstauré dans la loi de
financement de la sécurité sociale, à savoir la taxe générale sur les activités
polluantes, dont l'assiette va s'enfler d'année en année
(M. le ministre
rit)
de manière à devenir une contribution de rendement tournant
complètement le dos à l'idée d'une écotaxe,...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est Nostradamus
!
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... une taxe sans le moindre effet sur les
comportements des pollueurs.
Monsieur le ministre, tout cela aboutit à un taux de prélèvements obligatoires
de 45,3 % du PIB en 1999. Nous sommes en effet dans le peloton de tête pour le
taux de prélèvements obligatoires, avec 2,5 points de plus que l'Allemagne et 8
points de plus que la moyenne de tous les pays de l'OCDE.
Ces comparaisons, monsieur le ministre, devraient inciter le Gouvernement à la
modestie et le conduire à entrer dans une démarche fondamentale de réforme,
plutôt que de s'octroyer le mérite de réductions d'impôts qui ne sont
qu'illusoires ou qui ne sont que des effets d'annonce.
Par rapport à ce constat, bien entendu, les positions de la commission des
finances doivent marquer des options totalement différentes.
Nous estimons qu'aujourd'hui la priorité doit être donnée à la diminution des
prélèvements obligatoires. Mes chers collègues, il faut en finir avec ce que je
m'étais amusé à appeler le « théorème de DSK » : les impôts baissent, mais les
prélèvements obligatoires augmentent. Il faut en finir avec ces méthodes ! Il
faut aussi dépenser mieux tout en dépensant moins et, naturellement, il faut
respecter nos engagements internationaux et gagner en compétitivité.
Cette démarche devrait nous conduire à remettre en cause un certain nombre de
méthodes traditionnelles dans l'examen des lois de finances.
Nous pouvons nous demander si nous sommes toujours, en termes de finances
publiques, sous la Ve République. En effet, en matière de finances publiques,
la Ve République comporte un texte fondateur : l'ordonnance du 2 janvier 1959
portant loi organique relative aux lois de finances. Cette ordonnance repose
sur un principe de base l'universalité budgétaire : toutes les recettes sont
affectées à toutes les dépenses.
Or, avec deux lois de finances, une loi de financement de la sécurité sociale
et le budget de l'Etat, les contours variant de manière arbitraire de l'une à
l'autre, sommes-nous encore dans le cadre tracé par l'ordonnance du 2 janvier
1959 ? Cette ordonnance, nous n'en percevons plus que les contraintes les plus
formelles, les plus réductrices de l'initiative parlementaire. A la vérité, si
nous voulions faire notre travail de parlementaire en profondeur, si nous
voulions aller jusqu'au bout de l'exercice que nous ambitionnons, il nous
faudrait pouvoir changer la structure de la dépense publique et celle des
recettes de l'Etat, toutes choses que nous ne pouvons pas faire.
Nous avons, au cours des deux années précédentes, monsieur le ministre - nous
ne renions rien de cet exercice, qui était indispensable - procédé à un
réexamen des dépenses ; nous avons essayé de montrer la façon dont devrait se «
retailler », selon nous, le volet des dépenses. Cet exercice de pédagogie
était, je le répète, indispensable.
Aujourd'hui, s'agissant de la loi de finances pour 2000, nous souhaitons
braquer les projecteurs dans une direction un peu différente, celle des
prélèvements obligatoires.
Nous avons beaucoup de modifications à apporter au volet des recettes de la
loi de finances. Nous avons donc présenté un grand nombre d'amendements, qui
reflètent notre démarche progressive vers une vraie réforme fiscale.
Mais nous estimons aussi qu'il faut apprécier, de manière assez globale,
l'efficacité de la politique conduite par l'Etat et examiner, département
ministériel par département ministériel, les politiques conduites, pour porter
un jugement sur leur conformité ou non à nos principes de gestion et aux
valeurs que nous défendons dans l'action politique.
Pour aller dans le sens d'une véritable diminution des prélèvements
obligatoires, nous considérons, par exemple, qu'en matière d'impôt sur le
revenu il faut se livrer à un certain nombre de remises en cause.
Nous nous demandons pourquoi vous considérez comme une évidence le fait que
tout le bénéfice de la croissance doive rester à l'Etat. En effet, le barème de
l'impôt progressif n'évolue qu'au rythme de la hausse des prix, alors que la
croissance est réelle et tout à fait substantielle. Pourquoi ne pas en rendre
une fraction aux contribuables ? Pourquoi, tout simplement, ne pas appliquer
aux contribuables une indexation différente du barème, comme vous acceptez de
la faire - insuffisamment, à notre gré - vis-à-vis des collectivités
territoriales pour l'évolution de la dotation globale de fonctionnement ?
Si l'on regarde l'impôt sur le revenu, on constate qu'il y a beaucoup à faire,
notamment pour aller dans le sens de la politique familiale que nous appelons
de nos voeux. Si l'on considère l'imposition du patrimoine, là encore, on
constate qu'il y aurait beaucoup à faire pour éviter que les patrimoines ne se
délocalisent, pour éviter de faire de votre impôt chéri, monsieur le ministre,
je veux dire l'impôt de solidarité sur la fortune, un impôt à rendement
décroissant. A cet égard, je ne peux que me référer ici à certaines lignes d'un
rapport récent écrites par un député apparenté communiste, M. Jean-Pierre
Brard.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est toujours
mieux que Jacques Attali !
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Certes, M. Brard est l'auteur ou le promoteur
d'amendements que je condamne, mais, au moins, il a eu la franchise d'écrire
que l'ISF était un impôt à rendement décroissant et que la matière imposable
était en train de fuir compte tenu des excès constatés en ce domaine.
Non, monsieur le ministre, il n'est pas correct, il n'est même pas conforme à
nos principes constitutionnels, que l'on puisse réclamer à certains
contribuables plus que leur revenu !
Sur ces sujets, notre discussion ne manquera pas d'être nourrie de beaucoup
d'arguments.
En ce qui concerne la fiscalité des entreprises, nous voudrions rappeler au
Sénat que, depuis 1997, ce ne sont pas moins de douze mesures d'aggravation des
charges des entreprises qui ont été décidées par la majorité qui vous soutient,
monsieur le ministre.
Nous ne comprenons pas que l'on équilibre la loi de finances avec de nouvelles
pénalisations fiscales. Je prends l'exemple des remontées de dividendes au sein
des groupes. Dans le monde d'aujourd'hui, la plupart des entreprises sont
organisées en groupe. Mais ce sont 4 milliards de francs qui sont ainsi pris au
passage pour compenser des mesures qu'il a fallu concéder à tel ou tel élément
de votre majorité plurielle.
Monsieur le ministre, nous ouvrirons naturellement, dans la discussion de ce
projet de loi de finances, un volet « collectivités territoriales » qui nous
permettra de poser les vrais problèmes de gestion de nos collectivités
territoriales.
C'est à l'occasion de la loi de finances, mais aussi de la discussion du
projet de loi tenant compte des résultats du recensement, que nous vous dirons
quelles sont nos attentes et quels sont nos souhaits pour améliorer le
dispositif proposé.
Enfin, en ce qui concerne les crédits ministériels, je voudrais rappeler les
principes sur lesquels nous nous sommes fondés.
Nous avons tout d'abord examiné les conditions de gestion de chaque ministère.
Nous nous sommes demandé si la rationalisation progressait ou non, en
particulier par rapport à nos précédents travaux.
S'agissant de l'éducation nationale, je n'aurais garde d'oublier le récent
rapport de la commission d'enquête présidée par M. Adrien Gouteyron qui
dénonçait l'existence d'une trente et unième académie virtuelle.
(Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
S'agissant, par ailleurs, des dépenses de gestion courante, nous
considérons qu'il est du devoir des ministres de freiner leur évolution et de
promouvoir des redéploiements. Nous estimons qu'un bon budget doit préparer
l'avenir et qu'il y a, dans la dépense publique, des éléments positifs qui
peuvent témoigner de cette volonté de préparer l'avenir.
De ce point de vue, nous regrettons que, dans nombre de domaines, et tout
particulièrement dans celui de la défense, l'investissement soit pénalisé.
En définitive, monsieur le ministre, au terme d'un examen dont je viens
simplement de rappeler les grands traits, voici ce que j'aurais tendance à vous
dire, ou à vous redire : vous avez bien de la chance d'avoir une telle
conjoncture, de bénéficier de telles recettes,...
M. Roland du Luart.
Assurément !
Mme Hélène Luc.
Ce n'est pas de la chance !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... d'avoir pour principal problème de trouver les
moyens de cacher votre cagnotte, alors que d'autres ont connu un sort
inverse.
Encore une fois, monsieur le ministre, vous avez une très grande chance.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Mais tirez-en profit dans
l'intérêt de la France. Ne faites pas un budget de facilité reposant uniquement
sur la conjoncture ; ayez le courage de préparer l'avenir, et pas seulement les
prochaines élections !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, je siège au Sénat depuis sept ans et j'ai l'honneur de saluer,
au banc du Gouvernement, le sixième ministre de l'économie des finances.
M. Henri de Raincourt.
Ça use !
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Six ministres en sept ans, c'est
un rythme soutenu pour qui veut analyser dans la durée, comme c'est
indispensable, l'évolution de nos finances publiques.
Mais il est sans doute plus difficile encore, pour chacun de ces ministres,
d'inscrire son analyse et son action dans le long terme.
Au fond, votre projet de budget traduit bien, monsieur le ministre, cette
limite ou cette difficulté.
J'ajoute, comme l'a expliqué avec talent M. le rapporteur général, qu'il est
désormais nécessaire d'examiner ce projet de loi au regard de l'ensemble de la
politique des finances publiques, sauf à n'avoir qu'une vision tronquée de la
situation. Mon propos fera donc aussi référence aux dispositions contenues dans
le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mes chers collègues, l'examen auquel nous sommes conviés concerne, certes, le
projet de budget pour la seule année 2000, mais cet exercice n'a de sens que
s'il tient compte des enseignements du passé pour s'inscrire dans une
perspective d'avenir.
S'agissant brièvement des enseignements du passé, comment oublier, monsieur le
ministre, qu'arrivant au Sénat en 1992 je fus saisi d'effroi par les tragiques
conséquences budgétaires liées au choc conjoncturel si violent qui frappa notre
économie, choc que, sept ans après, et malgré la somme d'efforts accomplis,
nous n'avons toujours pas surmonté ?
Tout au long de ces sept années, je n'aurai connu, comme vous, que la lente,
douloureuse et ingrate remontée de l'enfer budgétaire vers un équilibre que
nous ne parvenons pas à retrouver.
Et pourtant, monsieur le ministre, nous aurions peut-être pu disposer, à
l'époque, de réserves pour amortir ce choc, puisque nous sortions de ces années
bénies de croissance durant lesquelles l'indolente ambition du gouvernement de
M. Rocard visait à vouloir absolument dépenser plus, selon le concept célèbre
de la réhabilitation de la dépense publique.
Fort de cet enseignement, je me demande aujourd'hui si le budget que vous nous
présentez ne s'inspire pas de la même idée : dépensons toujours plus,... on
verra bien demain,...
Si votre projet de budget a une apparence flatteuse, il n'est, hélas !
qu'illusion, comme l'indiquait à l'instant M. le rapporteur général.
A court terme, tout va bien, semble-t-il, dans le périmètre du seul Etat. Le
déficit budgétaire se réduit de 20 milliards de francs. Les dépenses sont
apparemment stables en volume. Nourries par une conjoncture favorable, les
recettes devraient progresser de 2,7 %. La dette diminuerait, en proportion de
la richesse nationale. Comme l'a dit M. le rapporteur général, on peut même
supposer que la situation serait meilleure encore que le Gouvernement ne veut
bien le dire puisque, en 1999, les recettes seront probalement largement
supérieures à la prévision de la loi de finances initiale.
Nous en reparlerons à l'occasion de la discussion du collectif et du projet de
loi de règlement. Le déficit pourrait se réduire de plusieurs milliards de
francs supplémentaires. Je ne vous en fais pas reproche, et je m'en réjouis
avec vous.
(Sourires.)
Cela étant, au-delà de cette apparence flatteuse, qu'en est-il, mes chers
collègues, de la réalité ?
La réalité, ce sont des prélèvements qui ne cessent de croître. L'arbre de
quelques baisses ciblées de TVA ne saurait cacher la forêt de taxes et de
cotisations supplémentaires en tout genre qui apparaît dans l'implacable
augmentation du taux de prélèvements obligatoires enregistrée depuis 1997.
Monsieur le ministre, votre réduction du déficit ne s'appuie sur aucun effort
; elle repose exclusivement sur la facilité, et quelle facilité ! Ce sont
naturellement des prélèvements supplémentaires. Vous devrez admettre
prochainement que ceux-ci augmentent toujours, pour atteindre le record
historique de 45,6 % ou 45,7 % du produit intérieur brut de 1999.
Vous aviez promis de réduire les impôts, vous aurez fait le contraire ! En
paroles, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le
revenu, il n'est question que d'allégements, mais, en actes, nous ne voyons que
des augmentations.
Quant à la taxe générale sur les activités polluantes, quant à la contribution
additionnelle sur les bénéfices des sociétés, ce sont bien des impôts nouveaux
qui, dès 2001, coûteront aux contribuables 18 milliards de francs
supplémentaires.
Pourtant, et je veux y insister, dès l'automne 1997, le Gouvernement nous
annonçait la réduction des prélèvements obligatoires pour l'année suivante, et
chaque année, depuis, ces prélèvements ont augmenté. Par rapport au programme
de stabilité, notifié à Bruxelles simplement au mois de décembre dernier - ce
n'est pas ancien, monsieur le ministre - vous allez prélever 70 milliards de
francs de plus que prévu en 1999, et vous ne réduirez le déficit que de 20
milliards de francs. C'est tout de même une importante « perte en ligne »,
comme on dit chez moi.
M. Roland du Luart.
Et comment !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Toujours prompt à vous chercher
des circonstances atténuantes, je me suis donc demandé pourquoi vous ne
réduisiez pas les prélèvements, puisque vous l'aviez promis.
Votre intention aurait pu être vertueuse ; vous auriez pu vouloir davantage et
plus vite réduire le déficit, et donc la dette ; vous auriez pu vouloir lancer
des grands investissements.
Mais pas du tout ! Vous ne réduisez pas les prélèvements tout simplement parce
que vous ne réduisez pas les dépenses. Comme l'impôt est égal aux dépenses, il
augmente avec elles : vouloir plus de dépenses, c'est vouloir plus d'impôts.
Vous engagez toujours des dépenses nouvelles et vous engagez chaque fois des
dépenses inappropriées.
Prenons l'exemple, devenu caricatural, des 35 heures. Le coût en sera de 4
milliards de francs en l'an 2000 pour l'Etat et, au total, de 65 milliards de
francs pour les contribuables. Je vous épargne l'augmentation des dépenses de
la fonction publique, sinon pour relever qu'elle représente tout de même 22,5
milliards de francs. Et que dire, en cette période de prospérité dont vous vous
glorifiez par ailleurs, de l'augmentation de 10 milliards de francs des moyens
de la lutte contre les exclusions ?
Monsieur le ministre, vous ne parviendrez jamais à réduire les impôts si vous
engagez en permanence des dépenses nouvelles. Aucun discours sincère sur la
baisse des prélèvements ne sera possible et sérieux tant que vous ne réduirez
pas les dépenses.
Mais, au fond, souhaitez-vous les réduire, ces dépenses ? A l'évidence, non !
(M. le ministre s'esclaffe.)
Finalement, vous confondez les buts de l'Etat avec ses moyens. Vous confondez
l'intérêt général de la nation avec l'intérêt de ceux qui ont en charge de la
servir. Vous accablez d'impôts le secteur privé et l'emploi privé pour
préserver des privilèges du secteur public et de l'emploi public.
L'exemple de la SNCF illustre bien cette situation. Chacun connaît sa dette et
son déficit. Alors, mes chers collègues, qu'est ce qui est le plus urgent, la
satisfaction des voyageurs ou le passage aux 35 heures des cheminots ?
M. Josselin de Rohan.
Il ne les font même pas !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous imaginez la réponse : les
cheminots d'abord ; pour le service au public, on verra plus tard !
Mme Hélène Luc.
C'est incroyable d'entendre des choses pareilles !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
D'une manière générale, le
Gouvernement serait bien inspiré de ne pas confondre l'intérêt de l'Etat avec
celui de la fonction publique, en veillant notamment à ce que l'évolution de la
masse salariale de cette dernière ne soit pas inversement proportionnelle à la
durée du travail.
S'agissant des dépenses, le plus préoccupant est de constater que les crédits
de fonctionnement augmentent toujours davantage, au détriment de
l'investissement. L'Etat s'endette pour financer les dépenses courantes. En
cette année de croissance promise, le déficit de fonctionnement s'établira à
environ 50 milliards de francs. Au total, la dette publique devrait croître de
plus de 158 milliards de francs en 2000. En huit ans, mes chers collègues, le
niveau des investissements publics sera passé de 2,8 % à 1,8 % du produit
intérieur brut.
Si le niveau des investissements du budget général était, en 2000, celui de
1992, vous disposeriez, monsieur le ministre, de 90 milliards de francs. Vous
pourriez ainsi construire des autoroutes, et aussi l'autoroute ferroviaire
Lyon-Turin, au lieu de ne faire qu'en parler. Vous pourriez aussi financer le
canal Seine-Nord ou moderniser les équipements dont notre armée a besoin, et là
je me tourne vers M. le président de Villepin.
L'investissement, c'est l'avenir et, en réalité, avec votre projet de budget,
vous ne préparez pas l'avenir.
Pensez à certaines périodes passées où des gouvernements cigales laissèrent la
France fort dépourvue quand la bise fut venue !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Oh ! Et le loup
et l'agneau ?
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
« Pour rester, en période de
basse conjoncture, en deçà du seuil de 3 % de déficit public dans le produit
intérieur brut, il est nécessaire qu'en période de croissance le déficit soit
substantiellement et rapidement résorbé. » Je fais mienne cette maxime,...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
De qui est-elle ?
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... tant elle est pleine de
prévoyance. Or, cette maxime est la vôtre, monsieur le ministre ; elle figure à
la page trente-sept de votre rapport pour le débat d'orientation budgétaire
pour 1999, que vous nous avez présenté en mai 1998.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faudrait le faire !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous avez raison, monsieur le
rapporteur général, il faudrait effectivement le faire. Nous essayons d'aider
M. le ministre à le faire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous sommes à votre disposition, monsieur le
ministre.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
N'oubliez pas, monsieur le
ministre, que, lorsque le vent de croissance est contraire, quand il freine
l'action du Gouvernement, la chute peut être brutale ; en une seule année, les
recettes de l'Etat s'effondrent, les dépenses s'envolent et le solde explose en
un déficit abyssal.
Souvenons-nous de 1992 : les recettes avaient chuté de 70 milliards de francs
par rapport aux prévisions, les dépenses du budget général avaient bondi de 23
milliards de francs et le déficit s'était creusé de 115 milliards de francs.
Puis la spirale de l'enfer s'était aussitôt emballée et avait emporté, sur la
même trajectoire, l'année 1993, qui s'était traduite par un effondrement des
recettes de 107 milliards de francs et une poussée des dépenses de 30 milliards
de francs supplémentaires. Le déficit, quant à lui, s'était, en une seule
année, dégradé de 181 milliards de francs par rapport aux prévisions.
Or, vous ne nous proposez, aujourd'hui, de réduire le déficit que de 20
milliards de francs par an. A ce rythme, il faudrait sept ans au moins pour
compenser le déficit creusé en une seule année.
Ce que vous montriez comme un exemple à ne pas suivre lors du débat
d'orientation budgétaire pour 1999 est soudain devenu le modèle de votre
politique budgétaire.
Ainsi, à l'issue d'une septième année consécutive de réduction du déficit, le
Gouvernement n'ambitionne que de revenir au niveau de celui de 1992, qui, à
l'époque, était pourtant considéré comme désastreux.
Ce rappel illustre, monsieur le ministre, la légitimité de la critique qui
vous est faite de vous hâter bien trop lentement dans la réduction du
déficit.
Si, je vous l'accorde, en 1992, on pouvait en effet ne pas prévoir la terrible
récession de 1993 ; en revanche, en 1999, vous ne pouvez pas ignorer les chocs
auxquels la France doit faire face dans un avenir immédiat. Ces chocs, que
chacun connaît, ce sont la sortie du dispositif des emplois-jeunes, les
retraites privées et, surtout, les retraites publiques, ainsi que l'avenir de
l'assurance maladie dans un pays vieillissant.
Votre gouvernement pouvait, pour son imprévoyance, avoir une excuse en 1992 ;
il n'en aura aucune demain. En effet, nous ne sommes plus face à un risque de
quelques dizaines de milliards de francs. Si des réformes ne sont pas
entreprises, c'est une impasse de plusieurs milliers de milliards de francs qui
se profile à l'horizon pour les générations du prochain siècle.
Nous ne sommes pas face à un risque de retournement conjoncturel ; on peut
espérer que l'euro nous en préservera. Nous sommes face à la certitude d'un
choc structurel d'une violence absolue.
Pourtant, l'augmentation du coût des retraites publiques sonne comme un
avertissement dès le présent projet de budget : plus de 12 milliards de francs,
soit une augmentation de 6,8 %, c'est-à-dire sept fois plus que pour l'ensemble
des dépenses publiques. Elles augmenteront, en francs constants, de quelque 80
milliards de francs au cours des dix prochaines années.
Alors même que nos déficits restent les plus élevés de l'Union européenne, que
leur niveau n'est pas encore revenu à celui d'avant la crise du début des
années quatre-vingt-dix, que nous continuons à financer toujours notre
protection sociale à crédit, que notre dette publique atteint 5 500 milliards
de francs, le Gouvernement, monsieur le ministre, semble ne s'inquiéter que des
35 heures.
La France est menacée de chocs financiers d'une extrême violence, certes pas
l'an prochain mais dès 2005. Que fait le Gouvernement pour y faire face ? Rien
!
Non, votre projet de budget ne révèle aucune prise de conscience de la
réalité, de l'importance et de l'urgence des enjeux !
Pour le Sénat, monsieur le ministre, la noblesse de la politique est
d'éclairer nos compatriotes sur les vrais enjeux, sur leur avenir et celui de
leurs enfants et petits-enfants, qu'elles qu'en soient les difficultés et,
parfois, l'ingratitude.
Que de réformes n'aurez-vous reportées ! En le disant ainsi, je n'ai
naturellement pas voulu vous froisser, ni votre personne ni même le
Gouvernement. J'ai simplement voulu vous dire qu'à l'analyse des sept années
qui viennent de s'écouler, comme des projections que nous sommes déjà en mesure
de faire pour les années à venir, vous utilisez mal le vent de la croissance
qui vous porte, vous croquez les fruits de la croissance avant même qu'ils
soient mûrs,
(M. le ministre rit)
vous consommez le blé en herbe, vous
utilisez ce rendez-vous budgétaire comme une sorte d'exercice de communication,
alors que vous devriez engager les réformes de structure indispensables pour
que la France réussisse.
Monsieur le ministre, méfiez-vous des chances insolentes ! Pour quelles
durent, il faut les mériter. A défaut, elles se vengent.
Pour ce qui concerne la majorité de notre commission des finances, l'illusion
budgétaire sympathique et souriante que vous lui proposez ne la séduit pas.
Notre commission des finances est décidée à consacrer toute son énergie, sa
foi, son courage, sa détermination à faire de la politique vraie et
responsable, c'est-à-dire éclairer l'avenir, offrir les voies et moyens du
progrès, en croyant à l'intelligence, à la fierté, à la dignité des Français et
en sollicitant celles-ci parce que c'est la grandeur de la France.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le
rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, nous entamons un débat,
un vrai débat, sur le projet de loi de finances pour 2000. D'emblée, je
voudrais dire, reprenant les propos de M. le rapporteur général, que ce projet
de budget est une affaire de choix et de volonté.
Nous avons fait le choix de la croissance, d'une croissance partagée et nous
avons la volonté de moderniser l'Etat.
Ce n'est pas le budget des occasions manquées, pour reprendre l'expression de
M. le rapporteur général ; c'est le budget des réussites nouvelles. La réussite
en témoigne. En effet, jamais depuis longtemps, dans notre pays, les
entreprises et les particuliers n'ont eu une telle confiance dans l'avenir.
La réussite, c'est la création, par nos entreprises, de 650 000 emplois depuis
juin 1997, à partir du moment où M. Dominique Strauss-Kahn, auquel je rends
hommage devant vous, a eu la responsabilité, sous l'autorité du Premier
ministre, M. Lionel Jospin, de la politique économique et industrielle de notre
pays.
La réussite et la nouveauté, c'est que, à partir de l'an prochain, la dette
publique va enfin reculer, pour la première fois depuis vingt ans.
Aussi, monsieur le président de la commission des finances, vous n'avez pas le
monopole de l'avenir. Beaucoup d'hommes politiques ont parlé de la réduction de
la dette. Eh bien, nous, nous allons parvenir à la réduire.
La France n'entrera pas à reculons dans le millénaire prochain, contrairement
à ce que laissait penser l'état d'esprit qui régnait à l'été 1997, quand la
perspective de l'euro et la stagnation économique étouffaient tout optimisme,
toute confiance dans le destin de notre pays.
Nous avons retrouvé le goût de la réussite - quand je dis « nous », c'est
l'ensemble du pays, ce sont les entrepreneurs, les consommateurs, ceux qui
travaillent - et l'appétit de croissance, nous avons fait du plein-emploi une
idée neuve, après le marasme que notre pays a connu depuis de début de la
décennie.
Monsieur le président de la commission des finances, vous avez évoqué les
enseignements du passé. Ils sont clairs : entre 1993 et 1997 - mais je pourrais
remonter à 1992, puisque c'est le moment où vos amis et vous-même avez pris des
responsabilités importantes - nous avons vécu une période de croissance rompue,
certes par une crise internationale, mais aussi par une politique économique
inadaptée. En effet, chacun se souvient de la hausse de deux points de la TVA,
qui a brisé net le ressort de la croissance qui repartait de nouveau.
M. Claude Estier.
Eh oui !
Mme Hélène Luc.
Ils l'oublient !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais vous avez gardé l'argent !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Entre 1997 et
2000, année qui fait l'objet du présent projet de budget, nous sommes passés de
la croissance rompue à la croissance retrouvée.
Nous croyons à la nécessité de faire des réformes structurelles, mais nous les
faisons dans la croissance, alors que la période antérieure était celle des
réformes velléitaires, ou même de l'absence de réformes structurelles, sans la
croissance. Les Français ont choisi en 1997 et les entreprises, les
consommateurs et les épargnants ont choisi en 1999. Il ont choisi entre le
passé et l'avenir, entre la nostalgie et le volontarisme.
Je vais développer brièvement, en répondant aux interrogations que M. le
président de la commission des finances et M. le rapporteur général ont
formulées, le contenu du présent projet de budget, en commençant par ce qui
l'inspire véritablement, c'est-à-dire une volonté de croissance durable.
Cette croissance durable est aujourd'hui une perspective tout à fait crédible.
Je ne reviendrai pas sur nos débats de l'an dernier, où un scepticisme certes
courtois mais aigu régnait quand étaient évoquées les perspectives de
croissance étayant le projet de budget pour 1999. Je constate qu'à l'excès de
pessimisme d'alors - je me tourne vers vous, monsieur le rapporteur général
-...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous n'avons pas remis en cause vos hypothèses !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oh si !
M. le président.
Ne vous laissez pas interrompre, monsieur le ministre.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'accepte les
interruptions lorsqu'elles sont constructives. Mais, en l'occurrence, il suffit
de lire le compte rendu des débats publié au
Journal officiel
voilà un
an pour constater que vous regardiez la croissance avec un air narquois.
Je ne veux pas revenir sur 1999, si ce n'est pour dire un mot des recettes
fiscales. Les années 1998 à 2000 auront été, et je crois que personne n'en
doute, les trois meilleures années de cette fin de siècle.
M. Yves Fréville.
Ça, c'est vrai !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La croissance
française entre 1997 et 2000 a été plus rapide que sur l'ensemble des sept
années antérieures. Pour 2000, nous avons retenu une perspective de croissance,
vous l'avez noté, monsieur le rapporteur général, de 2,8 %, qui se situe au
centre d'une fourchette de 2,6 % à 3 %, afin de tenir compte des incertitudes
qui demeurent et sur lesquelles vous avez porté un jugement lucide. Si nous
pensons que l'an prochain nous aurons une bonne croissance, c'est parce que
nous partons d'une idée simple : notre croissance ne dépend plus exclusivement
de ce qui se passe autour de nous, elle dépend de plus en plus de ce qui se
passe chez nous.
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes, l'an
prochain, nous aurons, comme c'est le cas actuellement, selon toute
probabilité, une bonne progression de nos exportations. Le fait que, malgré une
croissance assez forte, nous ayons encore des excédents commerciaux
substantiels constitue bien la preuve que notre économie est compétitive et que
nos entreprises, malgré le fardeau que vous dénoncez des prélèvements
obligatoires, sont dynamiques sur les marchés étrangers comme sur le marché
français.
Notre croissance repose sur un socle de demande intérieure solide, qui est
fondé sur la consommation des ménages mais pas seulement sur celle-ci.
Puisque vous aimez les citations, et je le comprends fort bien, je citerai ce
que dit le Fonds monétaire international dans son dernier rapport sur la France
: « Le cercle vertueux confiance-emploi-consommation-croissance semble être au
coeur de la meilleure performance relative de la France, comparée à celle de
ses principaux partenaires européens. » Le Fonds monétaire international, que
je ne prends pas comme un arbitre de nos débats, mais qui d'ordinaire est
relativement sévère par rapport aux performances de notre économie, porte sur
ce point un diagnostic qui est fondamentalement juste.
D'ailleurs, si l'on se fie aux experts internationaux, la France sera, l'an
prochain, en tête de la croissance des grands pays européens et mondiaux. L'an
prochain, si l'on en croit le Fonds monétaire international, c'est notre pays
qui, parmi les pays du G7, aura la médaille d'or de la croissance...
M. Philippe Marini.
rapporteur général.
Et la médaille d'or des prélèvements !
M. le président.
Poursuivez, monsieur le ministre.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Oui, monsieur le
président, vous avez raison, ce ne sont que des taquineries !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous complétons l'information de
l'assemblée !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je comprends tout
à fait que le fait qu'une telle croissance succède à une telle morosité vous
fasse un tantinet de peine !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais non !
Mme Hélène Luc.
On dirait pourtant que si !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais nous nous
réjouissons tous que notre pays ait, l'an prochain, la médaille d'or de la
croissance du G7.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Absolument !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
L'OCDE nous
prédit cet avenir enviable pour 2001. Pour la Commission européenne, qui vient
de publier ses propres prévisions, nous sommes tout à fait dans le peloton de
tête.
Ce matin - pour ne pas commenter l'actualité ! - les comptes trimestriels ont
montré une croissance de 1 % pour le seul troisième trimestre, ce qui laisse
augurer d'un bon second semestre.
Et il n'est pas exclu, il est même possible, que soit finalement approchée la
perspective de 2,7 % de croissance sur laquelle reposait la loi de finances
pour 1999. Or, souvenez-vous que cette perspective, nous l'avions arrêtée avant
les chocs asiatique, japonais et russe, qui nous ont frappés de plein fouet. Je
crois donc que les perspectives de croissance sont bonnes.
Par vos images météorologiques, vous voudriez nous convaincre, monsieur le
président de la commission, que ces perspectives de croissance ne sont
alimentées que par des vents favorables venant du large, par des alizés qui
gonfleraient nos voiles, je constate qu'elles sont aussi alimentées par une
politique économique qui les stimule et par le dynamisme de nos entrepreneurs,
et je tiens à rendre hommage à ces derniers pour le rôle qu'ils jouent dans
l'accroissement des richesses et pour leur responsabilité dans les nombreuses
créations d'emplois que j'ai évoquées.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cette politique, pourquoi ne
l'avez-vous pas mise en oeuvre en 1992 ?
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cela dit, cette
perspective de croissance est confrontée à un certain nombre de risques sur
lesquels M. le rapporteur général a eu raison d'insister. Je pense notamment à
l'économie américaine, dont chacun admire les performances puisque, par rapport
à l'économie française, elle a accumulé depuis vingt ans vingt points de
croissance, pour parler comme les spécialistes.
Prenons garde à ne pas oublier l'aléa que constitue l'aggravation du déficit
extérieur américain, qui finit par poser question. Nous avons choisi la
prudence en retenant une hypothèse de 2,8 % et nous avons ouvert cette
fourchette pour tenir compte d'un éventuel ralentissement sensible de
l'économie américaine l'an prochain.
Mais, quel que soit le jugement porté sur les Etats-Unis, je voudrais dire
que, si la dernière décennie de ce siècle a été une décennie américaine, j'ai
la volonté - unanimement partagée ici, me semble-t-il - que la prochaine
décennie voie le réveil du Vieux Continent, le réveil de l'Europe.
Je ne m'attarderai pas sur la situation du Japon, qui est effectivement source
d'incertitudes, car la sortie de la déflation de cette grande économie n'est
pas complètement assurée. Quoi qu'il en soit, en dépit des aléas extérieurs,
nous pouvons être confiants pour l'an prochain.
L'économie est cyclique, me direz-vous. Nous devons, me semble-t-il, profiter
de cette période de croissance, croissance qui ne doit pas seulement aux
éléments extérieurs, mais aussi à la volonté des entrepreneurs, des
consommateurs, des épargnants français et probablement aussi un peu au
Gouvernement, pour conforter nos chances de la prolonger.
Certes, il est difficile d'extrapoler à partir d'une courte période.
Toutefois, grâce à l'existence de l'euro et, au-delà, de l'euro 11,
c'est-à-dire de la réunion des ministres des finances des onze pays de la zone
euro, grâce à la Banque centrale européenne, nous allons renforcer notre
capacité à coordonner les politiques économiques européennes dans le domaine
budgétaire comme dans le domaine monétaire, ce qui devrait soutenir la
croissance.
Il est très important de continuer à jouer à la fois sur des taux d'intérêt au
plus bas niveau possible et sur une gestion très rigoureuse des finances
publiques en persévérant dans la voie de la réduction de l'endettement des
administrations publiques.
Il ne suffit pas d'avoir une bonne politique macroéconomique en France ni même
en Europe. Nous devons aussi relever les capacités de croissance de notre pays,
ce que les économistes appellent le potentiel de croissance. Sur ce point, je
voudrais souligner deux réformes structurelles que le Gouvernement et la
majorité entendent conduire en priorité.
La première réforme concerne les nouvelles technologies. Souvenez-vous, en
1997, alors que le Minitel régnait encore en maître, M. le Premier ministre -
et je pense que M. Dominique Strauss-Kahn a participé à ce nouvel élan - a
annoncé son intention de faire entrer avec détermination la France dans l'âge
des nouvelles technologies, ce que l'on appelle « la révolution numérique ».
Si nous avions pris beaucoup de retard, notamment par rapport aux Etats-Unis,
l'action entreprise par le Gouvernement, le dynamisme des entreprises,
l'appétence des consommateurs pour ces nouvelles technologies nous permettent,
me semble-t-il, de surmonter progressivement ce handicap.
Je présenterai au premier semestre de l'an prochain un projet de loi sur la
société de l'information pour donner à cette nouvelle dynamique des règles et
en conforter la croissance.
La seconde réforme concerne l'emploi. Vous-mêmes, monsieur le président de la
commission, monsieur le rapporteur général, avez convenu qu'une croissance
forte et durable ne suffira pas pour revenir au plein emploi.
Deux actions complémentaires sont tout à fait essentielles.
Il faut d'abord accompagner le retour à l'emploi de ceux qui ont été exclus du
marché du travail. Croyez bien que ce sera une dimension importante de la
réforme des prélèvements directs, taxe d'habitation et impôts sur le revenu,
que le Gouvernement va mettre en chantier l'an prochain pour que sa trace soit
imprimée dans les budgets pour 2001 et 2002.
Outre ce premier effort de caractère tout à fait essentiel, il faut aussi
doter nos entreprises, notre économie de toute la main-d'oeuvre qualifiée dont
elle a besoin. Pour ce faire, nous devons renforcer l'effort de formation
initiale et de formation continue.
Voilà des champs d'actions structurelles tout à fait essentiels sur les
nouvelles technologies et sur l'emploi.
Puisque l'objet de ce débat est bien le budget et pas uniquement l'économie
générale, je tiens à vous dire qu'une sérieuse politique des finances publiques
contribue à une croissance durable.
De ce point de vue, permettez-moi de vous présenter rapidement ce que je
pourrais appeler le « triangle d'or » de la politique des finances publiques,
en rappelant que vous avez lancé l'un et l'autre un appel pour que l'on débatte
non seulement du budget de l'Etat, mais aussi du budget de la sécurité
sociale.
Pour ce faire, nous avons deux occasions que nous pourrions utiliser mieux à
l'avenir que par le passé.
D'abord, le programme à moyen terme des finances publiques que le Gouvernement
doit adresser à nos partenaires européens au début de l'année et dont nous
avons débattu l'an dernier en commission des finances.
Ensuite, le débat d'orientation budgétaire, qui nous réunit au printemps et
qui pourrait d'autant plus être élargi au-delà du seul budget de l'Etat que les
documents et éléments que le Gouvernement vous fournit à cette occasion
couvrent l'ensemble du champ.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Rendez-vous est pris !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Quels sont les
trois côtés du « triangle d'or » des finances publiques ?
La base du triangle, c'est l'évolution maîtrisée des dépenses publiques, car,
contrairement à ce que vous avez dit l'un et l'autre, nous suivons bel et bien
une politique de maîtrise de la dépense de l'Etat.
Comparons l'évolution de la dépense de l'Etat en francs constants de 1997 à
2000, 0,3 % par an, à ce qu'elle était entre 1993 et 1997 - références que je
prends un peu au hasard
(Sourires)
à savoir 1,6 ou 1,7 % par an.
Puisque vous voulez donner au Gouvernement des leçons de vertu, ce qui est
votre droit le plus strict, ...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Non, pas de leçons de vertu !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... je voudrais
vous inciter à dépasser les comparaisons dans l'espace, auxquelles le
rapporteur général vous invite, pour faire aussi des comparaisons dans le
temps.
Nous voulons que l'évolution des dépenses de l'Etat soit maîtrisée et
prévisible. Nous avons conscience que la fixation d'une norme en matière de
dépenses de l'Etat, indépendamment de la conjoncture, permet de mieux organiser
la dépense publique à court et à moyen terme, tout en stabilisant la
conjoncture si d'éventuelles difficultés surviennent.
Le deuxième côté du triangle, c'est la baisse des impôts. Quelles que soient
les contorsions auxquelles vous vous livrez dans la présentation, il est
indéniable que le budget qui vous est soumis comporte 40 milliards de francs de
baisse d'impôts. L'Assemblée nationale nous a aidés à en faire un peu plus,
mais c'est, bien évidemment, la majorité de l'Assemblée nationale.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Les Français n'en voient guère
la traduction !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et ils savent ce qu'ils paient !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je serai plus
explicite dans un instant.
Je crois que cette baisse d'impôts de 40 milliards de francs est bonne pour
l'économie et pour l'emploi. Puisque vous vous souciez de l'avis de nos
compatriotes, ils se rendent bien compte que la TVA sur les travaux d'entretien
du logement, par exemple, diminue.
Troisième et dernier côté de ce triangle d'or des finances publiques, la
réduction du poids de l'endettement public.
Je l'ai dit en introduction : pour la première fois depuis vingt ans, le ratio
de la dette publique rapportée à la production nationale va baisser l'an
prochain. J'ai eu l'occasion de feuilleter dans la presse le compte rendu d'une
étude que le Sénat a commandée à l'Office français des conjonctures
économiques. Dans ce document, un très beau graphique montre qu'en pourcentage
du produit intérieur brut la dette publique plafonne, en 1999, pour diminuer
ensuite. Les meilleurs experts que vous convoquez pour servir votre cause, qui
est une noble cause,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La cause de la France !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... reconnaissent
ainsi très clairement que la dette publique va indéniablement diminuer.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous empruntez néanmoins pour le
fonctionnement !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pourquoi la dette
publique diminue-t-elle ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Elle ne diminue pas assez !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Tout simplement
parce que les déficits publics diminuent.
M. Marini nous incite fort justement à nous livrer à des comparaisons
internationales. Or, si nous comparons la baisse des déficits publics de
l'ensemble des administrations entre 1997 et 2000, le chiffre est, pour la
France, de 1,7 point de produit intérieur brut.
C'est la baisse la plus rapide de tous les pays de l'Union européenne. Certes,
le déficit initial était assez élevé, mais n'attendez pas que je plaide
coupable pour les chiffres de juin 1997 !
Je crois donc que nous allons très nettement dans la bonne direction. Notre
politique forme un tout : il est clair que la maîtrise de la dépense publique
et la stratégie de désendettement alimentent notre capacité à faire baisser les
impôts des Français.
A ce stade, je ferai justice d'une querelle, évidemment courtoise, qui nous
oppose sur les plus-values des recettes pour 1999.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. le rapporteur
général, qui est un prince de l'extrapolation
(Exclamations sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants),...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est que de l'arithmétique simple !
Mme Hélène Luc.
Reconnaissez que l'image est belle !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
L'arithmétique
vous envoie parfois dans le décor !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le juge de paix tranchera !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. le rapporteur
général, qui a donc poursuivi les courbes de recettes jusqu'à la fin du mois de
juillet, a estimé que, si les choses continuent de la sorte, il y aura des
plus-values de recettes de 30 à 40 milliards de francs.
J'aimerais que vous ayez raison, monsieur le rapporteur général, mais,
malheureusement, mon caractère prudent et réaliste, par rapport à votre
tempérament impétueux et romantique...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ne vous engagez pas trop !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... en matière de
recettes fiscales, me conduit à être beaucoup plus circonspect.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous verrons bien !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dans le collectif
que je vous soumettrai bientôt et que M. le président de la commission a
évoqué, nous tablons sur un surplus de recettes de 13 milliards de francs en
1999,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce sera bien au-delà !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
...
essentiellement au titre de l'impôt sur le bénéfice des sociétés et, pour une
moindre part, au titre de l'impôt sur le revenu, la TVA subissant toutefois le
fait que la hausse des prix prévue à hauteur de 1,3 % dans la loi de finances
pour 1999 ne sera plus que de 0,5 % ou de 0,6 %. Or, chacun comprendra que, si
le chiffre d'affaires du pays croît en valeur un peu moins vite que prévu, les
recettes de TVA, elles aussi, progressent un peu moins vite que prévu.
Nous aurons l'occasion d'en débattre ; je n'entrerai pas dans une querelle
technique à propos des phénomènes calendaires, car cela lasserait la Haute
Assemblée. Quoi qu'il en soit, il est vrai que l'administration fiscale a été
plus performante et qu'un certain nombre de contribuables ont acquitté leur
impôt sur le revenu au mois de septembre alors qu'ils le faisaient
habituellement au mois d'octobre.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pas plus cette année que les autres années !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
De plus, vous
savez bien qu'au mois de décembre les entreprises paient un acompte, qu'elles
ont la possibilité de moduler.
Voilà pourquoi, par rapport à l'optimisme exacerbé de votre rapporteur
général, je conserve une attitude de prudence et de sagesse.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pourquoi ne baissez-vous pas les impôts ?
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ces baisses
d'impôt, parlons-en !
Certaines d'entre elles, chacun de vous le sait, ont été décidées l'an dernier
- peut-être pas toujours par vous - dans le cadre de la loi de finances.
Il en est ainsi, par exemple, de la suppression progressive de la taxe
professionnelle, qui, l'an prochain, va toucher un million d'établissements,
c'est-à-dire près de 90 % des contribuables, et qui va se poursuivre. On peut
en attendre, à terme, une création d'emplois estimée par les professionnels
entre 18 000 et 25 000.
De même, nous avions demandé, pour entrer dans l'euro, une contribution
temporaire aux grandes entreprises. Celles qui réalisent moins de 50 millions
de francs de chiffre d'affaires, qui créent le plus d'emplois et qui ont
souvent une situation financière plus difficile, n'étaient pas visées et nous
avions promis que, pour les autres, cette contribution serait temporaire, comme
d'ailleurs celle de 1995. Nous tenons notre engagement : nous la supprimons.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ils vont passer à la caisse
autrement !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous recréez cette contribution à côté !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
rapporteur général, je sens que vous êtes impatient de dialoguer, et je vous
réponds très volontiers : ce qui est créé à côté, c'est une contribution
sociale sur les bénéfices...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Voilà !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... qui, avec la
taxe générale sur les activités polluantes - dont vous avez parlé, monsieur
Lambert - sert à financer des baisses de cotisations sociales.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais la contribution sera payée par les mêmes !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certaines
entreprises, vous le verrez en examinant le projet de loi de financement de la
sécurité sociale, acquitteront moins de cotisations sociales : il s'agit de
celles qui emploient beaucoup de main-d'oeuvre et qui signent des accords de
réduction du temps de travail ; d'autres, en revanche, paieront un tout petit
peu plus : il s'agit de celles qui font des bénéfices particulièrement
importants et de celles qui ont des activités quelque peu polluantes. Mais
c'est un jeu à somme nulle et il est trop facile de citer les impôts que l'on
augmente sans citer les cotisations que l'on baisse en contrepartie.
M. Roland du Luart.
La somme est nulle en masse !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
En effet, la
somme est nulle en masse, monsieur du Luart.
Nous avons également pris trois mesures fiscales en faveur du logement.
La baisse de 20,6 % à 5,5 % de la TVA sur les travaux d'entretien dans les
logements représente près de 20 milliards de francs. Cette demande émanait, à
l'origine, du groupe socialiste, mais le président de votre commission des
finances, alors qu'il était rapporteur général, avait plaidé en ce sens, et je
me souviens aussi, monsieur Marini, que vous aviez vous aussi souhaité que
cette baisse intervienne. Le voeu était donc unanime, non seulement à
l'Assemblée nationale mais aussi au Sénat.
Ce voeu, pour être concrétisé, supposait une négociation européenne difficile.
Dominique Strauss-Kahn a réussi cette négociation et, aujourd'hui, le voeu est
devenu réalité. Chaque année, dix millions de familles pourront bénéficier de
cette mesure, tandis que 263 000 entreprises et 1 130 000 salariés vont trouver
une activité supplémentaire grâce à elle.
A ce sujet, certains ont craint que les artisans ne mettent une partie de la
baisse dans leur poche, pour parler familièrement. Mon ministère a procédé à
une enquête sur ce point et le résultat est clair : 92 % des artisans enquêtés
- et l'enquête a été faite très sérieusement - ont répercuté la baisse de la
TVA. Par conséquent, je crois que les professionnels ont joué le jeu. Le
Gouvernement leur a fait confiance, et je crois que les consommateurs, eux
aussi, peuvent leur faire confiance.
Une deuxième mesure a été prise sur proposition du ministre de l'équipement,
des transports et du logement, M. Gayssot, avec la suppression en deux ans du
droit de bail pour les locataires. Cet impôt vieillot, peut-être sympathique,
remontait au xviiie siècle et frappait d'une taxe de 2,5 % tous les loyers. Or,
dès le 1er janvier prochain, les locataires qui paient un loyer de moins de 3
000 francs par mois - soit 90 % des locataires et 95 % des occupants de
logements sociaux - paieront 2,5 % de moins. Je crois que c'est une bonne
nouvelle pour la solidarité, pour le pouvoir d'achat et, indirectement, pour
l'emploi.
Dernière mesure, nous avons baissé les droits de mutation, ce que l'on appelle
familièrement les frais de notaire. Nous avons ainsi aligné les frais payés par
les particuliers sur ceux qui sont payés par les entreprises. Il y a là un
levier qui peut permettre à de jeunes ménages d'accéder à la propriété.
Par ailleurs, d'autres baisses d'impôt vont intervenir, même si vous nous
reprochez d'avoir peu d'imagination en la matière.
Pour les entreprises nouvelles, nous avons supprimé l'impôt payé au moment de
la création de l'entreprise, impôt injuste puisque l'entreprise n'avait pas
encore fonctionné. Par ailleurs, nous avons abaissé les droits de mutation sur
les fonds de commerce de 12 % à 4,8 %. Vous le voyez, le Gouvernement est
capable de se porter au-devant des non-salariés !
Nous avons aussi supprimé l'imposition forfaitaire de 5 000 francs pour 180
000 petites entreprises réalisant moins de 500 000 francs de chiffre
d'affaires.
Et je passerai rapidement, pour ne pas lasser votre attention, sur la
fiscalité écologique et sur le fait que nous poursuivons l'effort de
relèvement, 7 centimes par 7 centimes, du prix du gazole pour réduire peu à
peu, en sept ans, l'écart entre ce carburant et le super sans plomb, afin de le
ramener à l'écart européen. Je souligne d'ailleurs au passage que, pour la
deuxième année, la fiscalité sur le super sans plomb ne change pas : puisque
vous aimez les comparaisons, monsieur le rapporteur général, sachez que nous
sommes l'un des rares pays de l'Union européenne à ne pas recourir à la
facilité de la fiscalité pétrolière.
J'en terminerai avec les impôts en répondant à M. Marini, qui nous a parlé de
mesures fiscales importantes.
J'ai eu l'occasion, monsieur le rapporteur général, de feuilleter rapidement
votre excellent rapport. J'y ai vu des mesures comme la baisse de la TVA sur
les pompes funèbres, l'assouplissement du régime des tontines, l'abaissement
des taux des plus-values de cession de 16 % à 15 %. L'inspiration est tout à
fait claire, mais je ne sais pas si vous arriverez à 40 milliards de francs
avec ce genre de mesures !
Le débat que nous aurons ensemble éclairera les mesures importantes que le
Gouvernement a prises dans le budget pour 2000. Nous aurons aussi l'occasion
d'évoquer, dans la perspective du budget pour 2001, nos réflexions en matière
d'impôt sur le revenu et de taxe d'habitation - impôts qui pèsent sur nos
compatriotes, y compris les plus modestes - en vue d'accroître la justice
fiscale et de développer l'emploi.
Vous vous êtes inquiété, monsieur le rapporteur général, à propos de l'impôt
de solidarité sur la fortune. Je veux vous rassurer : les recettes de 1999 vont
progresser de 10 %. Cet impôt n'est donc pas encore aussi décadent que vous le
souhaitiez.
Je voudrais maintenant dire un mot très rapide des dépenses pour souligner
que, derrière la stabilité des dépenses en volume qui vous est proposée pour
2000, il y a une profonde réforme de structure : nous réorientons la dépense
publique, monsieur le président de la commission des finances, car nous avons
la volonté de dépenser mieux. Nous n'avons pas la volonté farouche d'amoindrir
le service public en dépensant moins, mais nous voulons dépenser mieux, c'est
vrai, c'est-à-dire consacrer plus d'argent à l'emploi et à la solidarité, car
c'est, je le crois, un bon investissement économique et social pour
l'avenir.
C'est ainsi que le budget de l'emploi et de la solidarité était, en 1997,
inférieur à la charge de la dette, mais aussi au budget de la défense. Dans le
projet de budget qui vous est soumis - je crois que c'est significatif - il
devient le deuxième budget de l'Etat, derrière le budget de l'éducation
nationale.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ce n'est pas rassurant !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cela ne vous
rassure pas ? Moi, je trouve que c'est un pari sur l'éducation, sur la
formation, sur l'emploi et sur la solidarité, et je crois que l'Etat a une
responsabilité en la matière. Peut-être la niez-vous, mais nous ne sommes pas,
de ce point de vue, du même côté.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nous consacrons
davantage, pour notre part, à l'emploi et à la solidarité.
Allez-vous remettre en cause, dans vos propositions budgétaires, la couverture
maladie universelle ?
M. Roland du Luart.
Elle n'est pas financée !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est une
question intéressante à poser ! Nous, nous considérons que c'est une réforme
majeure.
Allez-vous remettre en cause les crédits supplémentaires que nous consacrons à
la politique de la ville, alors que vous dénoncez fréquemment, et à juste
titre, les incidents qui ont lieu ici ou là ?
Allez-vous dénoncer les crédits supplémentaires que nous accordons à la
justice, à la protection judiciaire de la jeunesse, par exemple ?
Refusez-vous de majorer les crédits de la sécurité ? Le Gouvernement, lui, a
fait de la sécurité une de ses priorités, ce qui se traduit par un
accroissement des capacités d'investissement de la police de 38 % l'an
prochain, en vue notamment d'améliorer, de rénover et de construire des
commissariats de police dans les zones difficiles.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cela représente combien en
valeur ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le taux de la délinquance augmente aussi !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Quant au budget
de la défense, je vous garantis d'ores et déjà qu'il est parfaitement
compatible avec les deux objectifs fondamentaux que sont la
professionnalisation et les grands programmes d'équipement.
M. Xavier de Villepin.
Il est en baisse !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Par ailleurs,
augmenter les crédits de la culture et de l'audiovisuel public ou les crédits
consacrés à l'environnement et à l'aménagement du territoire, c'est faire
autant d'investissements d'avenir.
En matière de dépenses, je terminerai par l'importante question qu'a posée le
président de la commission des finances à propos des dépenses d'équipement.
Je ne peux m'empêcher de rappeler qu'entre 1993 et 1997 les dépenses
d'équipement ont baissé de 20 %, alors que, toutes sources de financement
public confondues, les crédits d'équipement sont repartis à partir de
1997,...
M. Jacques Oudin.
Grâce aux collectivités locales, pas grâce à vous !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... et je suis
prêt à vous en donner la preuve, monsieur Oudin ! Ainsi, en matière de contrats
de plan Etat-régions, le Gouvernement a pris une décision généreuse en ajoutant
à la première enveloppe de 95 milliards de francs sur la période 2000-2006 une
deuxième enveloppe de 25 milliards de francs. Ce sont donc 120 milliards de
francs que l'Etat va consacrer à l'équipement du pays entre 2000 et 2006, soit
une somme sans commune mesure avec ce qui avait été affecté antérieurement.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La période est plus longue !
M. Jean Delaneau.
Cinq ans !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Par ailleurs, au
lieu d'être concentrés dans une très forte proportion sur un équipement routier
qui confinait parfois à la route vicinale,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Oh !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... ces contrats
de plan vont porter sur des dépenses prioritaires dans les domaines de
l'éducation ou de la formation, ou encore sur la politique de la ville.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
On voit que vous ne circulez
pas, monsieur le ministre !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faut sortir de Paris !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il y a des régions où vous
n'êtes pas venu depuis longtemps !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je connais une
région qui vous est sympathique et où les embarras de circulation ne sont pas
aussi élevés que vous semblez le dire !
M. Jean Delaneau.
Venez à Tours !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Venez dans l'Oise, monsieur le ministre !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Au-delà du débat
local, je veux simplement vous dire qu'en matière d'investissements l'ampleur
des crédits inscrits dans les prochains contrats de plan Etat-régions montre
bien que nous avons le souci d'équiper le pays dans le domaine routier, dans le
domaine ferroviaire, dans le domaine urbain, dans le domaine de l'éducation et
de la recherche.
Enfin, je devrais vous montrer que, en matière de gestion des finances
publiques, nous faisons des efforts tout à fait importants. Comme ni M. le
président de la commission des finances ni M. le rapporteur général n'y ont
consacré trop de temps, trouvant peut-être que le Gouvernement ne réalisait pas
suffisamment d'efforts, je souhaitais en dire quelques mots.
M. Alain Lambert
président de la commission des finances.
Vous pouvez faire mieux, c'est
cela ?
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nous faisons sans
doute mieux qu'avant, mais nous pouvons certainement faire mieux encore, je
vous l'accorde.
Ces dépenses supplémentaires dont j'ai parlé pour les budgets prioritaires
sont financées intégralement par des redéploiements. Il y a là une démarche
pratique, qui correspond d'ailleurs à la théorie que M. le président de la
commission et M. le rapporteur général ont développée : dans chaque projet de
budget, les dépenses ont été échenillées en fonction d'objectifs à atteindre,
et nous avons adopté une démarche nouvelle pour un tiers des projets de budget,
ne nous contentant pas d'aligner des moyens, mais annonçant des résultats à
atteindre. Il s'agit là, à mon avis, d'une optique tout à fait intéressante.
C'est le passage d'une culture de moyens à une culture de résultats : nous
partons du service public, de la qualité et de l'ampleur que nous souhaitons
lui donner, pour calculer ensuite au plus juste les moyens correspondants. Cela
me semble important.
Cette démarche a aussi une dimension pluriannuelle, et le ministère dont j'ai
maintenant la responsabilité, après Dominique Strauss-Kahn, a innové dans ce
domaine. Ainsi, des contrats sur trois ans sont élaborés pour la direction
générale des impôts et pour la direction des relations économiques extérieures
: des objectifs en matière de gains d'efficacité à obtenir sont quantifiés et,
en échange, une bien plus grande liberté de gestion est accordée aux
responsables de ces deux belles administrations. Mais vous verrez aussi,
mesdames, messieurs les sénateurs, en examinant le projet de budget du
ministère de l'intérieur, que nous avons proposé pour quatre préfectures une
globalisation des crédits. Les préfets concernés, que j'ai rencontrés, en sont
tout à fait satisfaits.
Voilà quelques-unes des réformes que nous avons engagées. Peut-être ne
sont-elles pas spectaculaires, mais je pense que nous révisons en profondeur la
structure et la gestion des dépenses de l'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'intime conviction - l'élan de la
croissance et la qualité des réformes de structures qui sont menées le
confirment - que le projet de budget pour 2000 vise à rendre notre pays plus
fort, plus juste, et qu'il s'inscrit pleinement dans la perspective que le
Premier ministre a fixée, c'est-à-dire le retour au plein emploi à la fin de la
prochaine décennie.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
.
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet
au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 117 minutes ;
Groupe socialiste, 96 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 67 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 60 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 35 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 27 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
13 minutes.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous apporter
une précision.
Craignant que ma mémoire ne me trompe, j'ai repris le procès-verbal de la
séance du 19 novembre 1998, page 4620 du
Journal officiel.
Je citerai
deux phrases de l'intervention que je faisais l'année dernière dans les mêmes
circonstances : « Or, nous observons que le cadrage macro-économique que nous
soumet le Gouvernement est un cadrage volontariste - cela ne nous déplaît pas
nécessairement - mais qu'il a été fixé à la fin du premier semestre de 1998,
avant qu'interviennent ou se précisent certains aléas extérieurs. »
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
CQFD !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Plus loin, je poursuivais : « Monsieur le ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat, la majorité sénatoriale ne remet pas en cause le
cadrage macro-économique que vous proposez. Ce cadrage est volontariste, et
nous le prenons comme tel. »
Monsieur le ministre, nous n'avons pas remis en cause, l'année dernière, vos
hypothèses économiques.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous ferai,
moi aussi, de belles citations.
M. le président.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est
toujours périlleux d'intervenir dans la discussion budgétaire immédiatement
après le rapporteur général, le président de la commission des finances.
M. Emmanuel Hamel.
Et le ministre !
M. Roland du Luart.
Bien sûr !
La précision, la pertinence et la pugnacité de leurs propos conjugués ne
laissent souvent à leurs successeurs que le choix entre la répétition et la
paraphrase.
Mais la pédagogie ne va pas sans insistance, non plus que la persuasion sans
explication.
C'est pourquoi je souhaite présenter, au nom du groupe des Républicains et
Indépendants, les principales observations que lui inspire le projet de loi de
finances soumis à l'examen du Sénat.
L'euphorie d'une croissance retrouvée et, semble-t-il, solide pour les
semestres à venir a pour effet, habituel mais malencontreux, d'occulter les
problèmes de fond de l'économie française, que ce soit en matière budgétaire ou
fiscale. Ainsi, le Gouvernement n'a pas voulu tirer les conséquences de
l'expérience budgétaire de M. Michel Rocard et il est en train d'en répéter
exactement les erreurs les plus coûteuses.
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes et permettent de répondre aux trois questions
essentielles : les problèmes budgétaires de fond sont-ils en voie d'être réglés
? La politique budgétaire suivie nous permet-elle d'affronter un retournement
de conjoncture ? Les effets à terme des mesures prises depuis trois ans ont-ils
été correctement appréciés ? Je m'efforcerai de répondre brièvement à cela.
Tout d'abord, il n'y a pratiquement pas de réduction sensible du déficit
structurel : les trois années de gestion de la majorité plurielle - 1998, 1999
et 2000 - se traduisent par une baisse de 0,5 point de PIB seulement de ce
déficit structurel, alors que cette baisse avait atteint 2 points - quatre fois
plus d'efforts ! - pour les trois années 1994, 1995 et 1996. Cela a d'ailleurs
été reconnu ici-même par M. le ministre lors du débat d'orientation
budgétaire.
Par ailleurs, et en supposant que la croissance se poursuive sans accrocs
jusqu'en 2004, le déficit public, exprimé en termes de besoin de financement
des administrations, sera à cette date du même ordre de grandeur que celui que
connaissait la France avant le ralentissement conjoncturel qui a culminé en
1993. C'est l'enseignement que nous livre la projection macroéconomique
commandée par la délégation pour la planification, sur laquelle reviendra sans
doute mon collègue Joël Bourdin.
Enfin, et avant même de tenir compte des déformations structurelles liées au
financement des retraites, des flux considérables de dépenses nouvelles ont été
lancées depuis trois ans, qu'il s'agisse des 35 heures, des emplois-jeunes ou
des effectifs et des rémunérations de la fonction publique, dépenses nouvelles
qui produiront à plein leurs effets dans quelques années.
Ainsi, à moyen terme, nous pourrions être de nouveau à 3 % de déficit : 1,5 %
de déficit budgétaire et 1,5 % de besoin de financement public lié au problème
des retraites.
Au total, non seulement la France demeure l'un des plus mauvais élèves de
l'Europe des Quinze sur le plan budgétaire - le journal
Les Echos
plaçait ce matin notre pays à l'avant-dernière place - mais les conditions
d'une crise budgétaire dans les années à venir sont, à mon avis, réunies : pas
d'action résolue sur le déficit structurel, diminution insuffisante du déficit
global pour nous mettre à l'abri d'un retournement conjoncturel et facilité
financière au niveau des mesures nouvelles.
Dans ces conditions, nul satisfecit n'est à délivrer aux gestionnaires en
place. On demeure par ailleurs confondu devant les commentaires apportés au
projet de budget pour l'an 2000 : alors que les problèmes sont, à mon sens,
devant nous, les discussions sur l'utilisation des plus-values fiscales
occupent le devant de la scène, à tel point qu'un sondage montrerait sûrement
qu'une majorité de nos compatriotes estiment que nous sommes en situation
d'excédent budgétaire permettant toutes les largesses.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est vrai !
M. Roland du Luart.
En disant cela, mes chers collègues, je ne souhaite ni provoquer, ni
pontifier, ni persifler, cela s'entend. Mais je tiens le pari. A titre
d'exemple de notre inculture économique collective, déjà dénoncée par François
Furet, parmi d'autres, je lis dans un sondage publié avant-hier que seul un
Français sur quatre sait que, dans le système actuel, toutes les cotisations
versées par les actifs sont utilisées pour payer les retraites actuelles. Bref,
trois Français sur quatre semblent imaginer que leurs cotisations sont « mises
de côté » pour payer leurs retraites à venir.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances,
et M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Eh oui !
M. Roland du Luart.
Il y a là, mes chers collègues, un défi redoutable à relever par les
parlementaires et par tous les gouvernements, actuel et à venir : élever le
niveau des connaissances économiques de base de tous nos compatriotes en leur
offrant des débats clairs et courageux.
Les discours catastrophes sur l'Europe, sur la mondialisation, sur les
multinationales, trouvent ainsi en France un terreau idéal, celui de
l'inculture économique. Le ministre des finances l'a très bien démontré pour
l'OMC. Je n'en veux personnellement pour preuve que les commentaires déplacés
qui ont été commis après l'annonce du plan social triennal de Michelin. Il y a
là aussi une exception française dont nous n'avons nul lieu d'être fiers, car
elle nous conduit à affronter l'avenir à reculons.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Trois exemples sur les entreprises illustreront mon propos.
Tout d'abord, s'agissant de Michelin, dont la commission des finances a
auditionné le président, la semaine dernière, aucun commentateur n'a relevé que
cette entreprise n'a procédé, sur les vingt dernières années, qu'à 186
licenciements par désignation sur 25 000 suppressions de postes, ni que sa
productivité sur le continent européen est inférieure de 15 % à 20 % à celle de
ses grands concurrents, ni même qu'elle a longtemps soutenu l'usine Wolber
implantée à Soissons en rachetant sa production au-dessus de son prix de
revient pour la revendre à perte.
Je cesse mon énumération pour souligner le comportement singulier du
Gouvernement et de sa majorité qui « surfent » sur un mécontentement populaire
entretenu à dessein et annoncent qu'il faudra supprimer les aides publiques en
cas de compression des effectifs d'entreprises bénéficiaires, alors même que ce
raisonnement est globalement fallacieux et que des financements importants sont
débloqués pour aider Peugeot et Renault à repyramider leurs effectifs.
Comprenne qui pourra !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ah oui !
M. Roland du Luart.
J'en viens à mon deuxième exemple concernant les entreprises : si l'on prend
en compte l'ensemble des placements d'actions sur le marché primaire en France
en 1999, on s'aperçoit que 20 % seulement des titres placés à Paris, cette
année, ont été achetés par des investisseurs résidents, contre 30 % par des
Américains, 20 % par des Anglais et 30 % par des investisseurs du reste du
monde. Même si le placement en actions est devenu une activité largement
mondialisée, on ne peut qu'être perplexe devant la faible place des
investisseurs nationaux.
Mais ce phénomène s'explique : nous payons le prix fort d'une surtaxation de
l'épargne à risques, d'une absence de fonds de pension et d'une attitude
rétrograde à l'égard des entreprises privées.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très juste !
M. Roland du Luart.
Nous préparons ainsi les conditions d'un appauvrissement à terme de notre
pays, et il me semble pour le moins paradoxal que les efforts considérables de
productivité consentis par nos ouvriers et par nos cadres aillent à 80 %
rémunérer cette année des actionnaires étrangers. Cela aussi, il faudrait
l'expliquer clairement à nos compatriotes.
Le troisième et dernier exemple concernant les entreprises s'inscrit dans le
prolongement immédiat du précédent.
Prenons quatre grandes entreprises, privatisées depuis peu, à savoir le Crédit
local de France, Pechiney, la Seita et Aérospatiale. Regardons quelle sera
demain leur nationalité juridique : belge, canadienne, espagnole et
néerlandaise.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Intéressant !
M. Roland du Luart.
Là encore, je me garderai de tout chauvinisme primaire. Mais nous devrions,
mes chers collègues, nous interroger plus en profondeur sur l'avenir de nos
grandes entreprises au regard de notre fiscalité et de notre droit social.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances,
et M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Cette liste pourrait être plus large encore si les présidents français de
grandes entreprises mondiales, ceux que nous auditionnons en commission des
finances, ne consacraient tous leurs efforts à maintenir leur siège social sur
le sol national. Songeons, par exemple, à la fusion Rhône-Poulenc-Hoechst : je
me réjouis que le siège social d'Aventis soit à Strasbourg ; mais la majorité
du capital finalement détenue par nos partenaires allemands rend-elle cette
situation durable ? Je forme en tout cas des voeux pour qu'il en aille ainsi
longtemps.
L'avenir de notre pays est pourtant lié à celui de nos entreprises. C'est
l'inventivité, le courage et le dynamisme de nos ouvriers, techniciens, cadres
et patrons qui constituent notre richesse, notre matière première renouvelable.
Et c'est pourquoi nous devons nous attacher à promouvoir, selon des modalités
propres à notre génie national, ce que l'ambassadeur américain Félix Rohatyn
appelle le « capitalisme populaire », comme aux Etats-Unis, dont les systèmes
de retraite des fonctionnaires possèdent 7 000 milliards de dollars d'actions,
et où 80 millions d'Américains détiennent des titres financiers.
Un seul exemple de ce « capitalisme populaire » est la société de transports
rapides UPS, qui vient d'être introduite en bourse aux Etats-Unis. Cette
société, qui emploie 300 000 personnes et compte 60 000 employés participant au
capital, a vu, depuis sa création, 30 000 de ses employés devenir millionnaires
en dollars, alors qu'ils avaient commencé, pour la plupart, comme chauffeurs de
camion.
Bien sûr, la situation des Etats-Unis n'est pas idyllique, mais il convient
d'examiner lucidement les causes de leur succès, et d'en tirer des leçons pour
la France.
Première leçon : la fiscalité doit s'attacher à favoriser la création et le
financement des entreprises. Depuis trois ans, des atermoiements continuels ne
nous permettent pas de disposer convenablement des deux outils qui ont fait
leurs preuves : les stock-options et les fonds de pension.
La fiscalité de l'épargne à risques a été alourdie, la fiscalité des
entreprises rendue instable, toujours plus complexe et pénalisante pour les
groupes en situation de concurrence internationale.
L'harmonisation européenne, c'est inquiétant, fait du sur-place, ce qui
pourrait compromettre la stabilité, voire, hélas ! la pérennité de l'euro. Nous
devrions donc nous attacher résolument à créer une convergence fiscale
européenne, comme nous l'avons fait en matière budgétaire et monétaire.
Deuxième leçon : même en préservant une nécessaire spécificité nationale, le
succès économique appelle, et le droit communautaire exige, une libéralisation
adaptée de toutes les activités en réseau, qu'il s'agisse des transports, de
l'énergie ou des télécommunications. La lenteur et la pusillanimité dont la
France fait étalage m'inquiètent vivement quand j'observe les exemples
européens. Malgré les travaux de nos collègues Revol et Larcher, pour ne
prendre que deux exemples, nous nous plaçons délibérément dans une position
difficile, génératrice d'ajustements douloureux pour EDF, La Poste ou la
SNCF.
Troisième leçon : la résorption quasi miraculeuse du chômage, qu'on nous
annonce pour dans 10 ans environ, n'ira pas de soi. La projection à l'horizon
2004, réalisée par l'Observatoire français des conjonctures économiques pour le
compte de la délégation pour la planification, indique clairement que, en 2004,
après cinq années de forte croissance, le chômage sera encore à son niveau
structurel, soit de l'ordre de 9 %.
Nous avons donc à consentir des efforts importants pour rendre la croissance
plus créatrice d'emplois, à moins que ce ne soit un mal français lié à nos
rigidités, car, avec des mesures proprement françaises, nous enregistrons un
taux de chômage qui est du double de celui des pays anglo-saxons. Et je
m'interroge sur les raisons.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Roland du Luart.
La mise en oeuvre des 35 heures, et plus particulièrement son financement, ira
à l'encontre du but recherché. Et ce n'est un secret pour personne que les
grands cabinets d'audit internationaux considèrent cette mesure comme un
facteur négatif à prendre en considération pour toute décision d'investissement
en France ». Je cite Merril Lynch, dans son bulletin du 1er juillet 1999.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous avez de
bonne lectures !
M. Roland du Luart.
Au total, et pour conclure mon propos, le projet soumis à notre examen est
loin d'emporter la conviction. C'est un budget sans ambition, qui ne s'attaque
pas aux trois difficultés majeures : la maîtrise des dépenses, la résorption du
déficit et la décrue des prélèvements obligatoires. M. Marini, rapporteur
général et M. Lambert, président de la commission des finances, l'ont
excellemment démontré.
La croissance que nous enregistrons est une croissance nourrie du dynamisme de
nos partenaires, du rattrapage des années quatre-vingt dix consacrées à la
préparation de la France à l'euro et de la situation monétaire rendue possible
par l'avènement de la monnaie unique. Prétendre qu'elle trouve ses racines dans
une politique nationale avisée, c'est commettre une erreur d'analyse que je
juge grave.
Cette croissance retrouvée aurait dû se traduire par une politique budgétaire
et fiscale ambitieuse. Ce n'est pas le cas. Je ne puis que le regretter pour
mon pays et pour mes compatriote. Bien entendu, vous l'aurez compris, le groue
des Républicains et Indépendants ne pourra voter ce projet de budget en l'état.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE. -
M. le président de la commission et M. le rapporteur général applaudissent
également.)
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de
budget pour l'an 2000 permettra-t-il de dépenser mieux pour prélever moins ?
J'en doute sincèrement et vous-même, monsieur le ministre, n'en êtes pas si
sûr. En effet, la véritable question que Bercy se pose, en cette fin d'année
1999, est plutôt de savoir comment continuer à dépenser tout en réduisant un
petit peu le déficit et surout en donnant beaucoup l'illusion de moins
prélever.
Le Gouvernement dit qu'il va réduire les prélèvements obligatoires, alors
qu'ils atteignent un record historique. Il annonce que les impôts vont baisser,
alors que l'impôt sur le revenu augmente, l'impôt sur les sociétés augmente,
tous les impôts augmentent, d'au moins 33 milliards de francs au total.
Bref, ce budget de la France est celui en Europe, où les impôts diminuent le
moins et où la maîtrise des dépenses est la moins assurée. N'étant pas
stabilisées, ces dernières, en fait, n'augmentent pas de 0,9 %, ainsi que vous
l'affirmez, mais de près de 3,5 %, ce qui trahit un manque certain de courage
en pleine reprise de la croissance économique mondiale.
Nous le savons tous, nos finances publiques souffrent de deux défauts
principaux - l'excès des prélèvements, d'une part, et des déficits publics,
d'autre part - sans pour autant parvenir à diminuer les inégalités sociales de
la nation.
Nos prélèvements obligatoires continuent de croître. En effet, contrairement
aux affirmations et aux annonces, les prélèvements obligatoires ont augmenté,
depuis 1997, d'au moins 0,7 % du PIB.
Vous avez dit aux ménages, en 1997, que leurs prélèvements allaient diminuer
d'environ 24 milliards de francs. En 1999, le prélèvement supplémentaire par
ménage s'est ainsi élevé à 3 000 francs en moyenne, tandis que les prévisions
de recettes, dans le même temps, engendreront des rentrées supplémentaires de
160 milliards de francs - près de 100 milliards de francs pour la TVA, 40
milliards de francs pour les impôts sur le revenu et 20 milliards de francs
pour la TIPP.
Où sont donc ces allégements promis par le Gouvernement ? Qui peut croire que
vous parviendrez à tenir vos promesses en 2001 en matière d'allégements
d'impôts sur le revenu, de baisse de la taxe d'habitation et de la TVA ? A
juste titre, les citoyens ne les reçoivent que comme autant de promesses
électorales.
Pourquoi n'y a-t-il pas de baisses d'impôt à l'horizon 2000 ? La raison est
simple : la dépense publique n'est pas maîtrisée par votre gouvernement.
Monsieur le ministre, la première lacune de ce projet de budget est l'absence
de maîtrise des dépenses publiques, clé de la réduction du déficit et de
l'endettement. Force est en effet de constater une aggravation sensible de la
pression fiscale subie par les Français - je l'ai dit, hélas ! champions
d'Europe en la matière - et le vécu fiscal de plus en plus douloureux de nos
compatriotes.
Ainsi, à la fin de 1997, 23 milliards de francs d'impôts supplémentaires -
votés sous forme de mesures urgentes à caractère fiscal et financier - ont fait
passer aux prélèvements obligatoires la barre des 46 %, permettant à l'Etat de
détenir une « cagnotte » de 15 à 20 milliards de francs pour 2000 et 2001 du
fait de la CSG de l'abondance des rentrées fiscales et sociales de l'année
1999, qui croîtront, une fois de plus, plus vite que le PIB.
Peut-être nous expliquerez-vous que la surestimation de l'inflation minore
l'évolution réelle du PIB, ce qui justifierait l'absence de baisse des
prélèvements. Mais il devrait en être tout autant pour les impôts. Si au moins
cette augmentation des prélèvements obligatoires en 1999 était compensée par
une baisse importante du déficit public !
En tout cas, il est évident que les prévisions de recettes fiscales pour 2000
sont très prudentes, voire minorées alors même que c'est maintenant que les
réformes en profondeur doivent être menées.
Monsieur le ministre, ce manque de rigueur budgétaire a pour conséquence une
croissance de notre endettement public.
A juste titre, je m'inquiète de la réduction trop lente de nos déficits
publics lorsque l'on constate que la dette totale de l'Etat a atteint 4 250
milliards de francs en 1998, soit une hausse de 8,1 % par rapport à 1997.
De plus, vous annoncez pour l'an prochain une diminution du déficit budgétaire
de 20 milliards de francs, ce qui porterait l'ensemble des déficits publics de
2,9 % à 1,8 % du PIB. Or, nous avons dépassé, fin 1997, le seuil de 60 % de
dette publique par rapport au PIB, ce qui est le maximum fixé par le « funeste
» traité de Maastricht,...
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Philippe Darniche.
... et ce seuil a été constamment franchi depuis. Par cet effort insuffisant,
nous restons les mauvais élèves de l'Union européenne et ne pourrons demeurer
longtemps à la remorque de nos partenaires économiques.
Même si ce projet de budget pour 2000 comporte plusieurs effets d'annonce de
baisses d'impôt, aucune d'entre elles n'est forte, massive et structurelle. Les
deux « réformettes » fiscales du budget pour 2000, qui sont, d'une part, la
baisse de la TVA sur les travaux d'entretien dans le logement et, d'autre part,
la poursuite de la réforme de la taxe professionnelle, ne rendent pas votre
copie plus digeste.
La baisse de la TVA sur les travaux d'entretien, mesure en soi intéressante,
est la seule bonne nouvelle de ce budget.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est déjà ça
!
M. Philippe Darniche.
Je la voterai, car elle a le triple avantage d'améliorer les logements, de
lutter contre le travail au noir, de favoriser l'économie nationale. Cependant,
sa mise en oeuvre est confuse, car les textes d'application sont encore
imprécis et méritent de meilleurs éclaircissements.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On va améliorer cela !
M. Philippe Darniche.
Par ailleurs, je n'accorde que peu de confiance au chiffrage par Bercy de la
baisse d'impôts correspondante. En effet, les 19 milliards de francs annoncés
sont manifestement surestimés, car ce montant ne prend pas en compte les
recettes à attendre d'un surcroît probable de travaux confiés à des
professionnels.
En ce qui concerne les entreprises, l'avantage net de la réforme de la taxe
professionnelle est de seulement 2 milliards de francs ; en effet vous reprenez
2 milliards de francs avec l'augmentation de la cotisation minimale à la valeur
ajoutée, 1,2 milliard de francs avec l'accroissement de la cotisation nationale
de péréquation, 2 milliards de francs avec la suppression de la réduction pour
embauche et investissement, 2 milliards de francs avec les économies sur
l'écrêtement à la valeur ajoutée et 2,7 milliards de francs de surcroît d'impôt
sur le bénéfice du fait que la taxe professionnelle est déductible, soit au
total 10 milliards de francs.
Monsieur le ministre, ce que vous donnez d'une main, vous le reprenez
largement de l'autre. Et je passe sur les 4,3 milliards de francs de la
cotisation Aubry sur les bénéfices, sur les 4,2 milliards de francs
d'augmentation de la quote-part pour frais et charges à intégrer au produit des
participations des sociétés-mères et sur les 1,5 milliard de francs au titre de
la réduction de l'avoir fiscal, soit un supplément de prélèvements de 10
milliards de francs, sans compter l'extension de l'écotaxe de 3,2 milliards de
francs ni la future taxe sur les heures supplémentaires de 8 milliards à 10
milliards de francs.
En résumé, la baisse de la pression fiscale sur les entreprises n'est pas au
rendez-vous.
En ce qui concerne les familles, l'année 2000 ne sera pas non plus pour elles
- et je le regrette profondément - une année favorable. Vos mesures fiscales
sont pénalisantes et résolument « anti-familles ». Vous nous l'avez déjà prouvé
dans un passé récent en les pénalisant par l'abaissement du plafond du quotient
familial et par la diminution de la réduction d'impôt pour emplois
familiaux.
J'en appelle aujourd'hui, au nom des familles de France et aux côtés des
associations familiales, à une prise de conscience politique en faveur d'une
véritable politique familiale, généreuse et ambitieuse.
J'en reviens à la dépense publique. En consacrant 54 % de son PIB à la dépense
publique, la France bat tous les records des pays développés. Ainsi, le budget
du Gouvernement privilégie les dépenses de fonctionnement - dont la progression
de 1,62 % est supérieure à celle du budget lui-même - et sacrifie l'avenir au
présent, comme le démontre un budget d'investissement insuffisant, avec moins
de 80 milliards de francs pour l'investissement civil et 160 millards de francs
en comptant l'investissement militaire.
Dans le même temps, rien n'est fait pour juguler certaines dépenses : par
exemple, les effectifs de la fonction publique ne baissent pas, et aucune
réflexion prospective n'est conduite en ce domaine.
Pourtant, monsieur le ministre, le retour de la croissance devrait encourager
l'Etat à se réformer et à engager des réformes de structure en matière de
baisse des prélèvements obligatoires.
En revanche, vous n'avez pas hésité à freiner exagérément l'augmentation des
dotations de l'Etat aux collectivités locales, qui pourtant sont à ses côtés
dans le combat pour l'emploi. On a rarement vu un budget si mauvais pour les
communes, les départements et les régions
(M. le ministre lève les bras au ciel),
ainsi que l'a déclaré notre
éminent confrère, Daniel Hoeffel, vice-président de l'Association des maires de
France, en s'adressant, hier soir, au Premier ministre, lors du congrès des
maires.
Le recensement général fait apparaître deux millions de Français de plus, qui
induisent pour l'Etat des recettes supplémentaires, mais aussi, pour lui et
pour les collectivités, des charges nouvelles. La DGF devrait donc être abondée
des sommes nécessaires à l'occasion de chaque recensement général, comme le
prévoit expressément la loi de 1993, soit, en l'espèce, d'environ 1,5 milliard
de francs. Or, vous avez décidé de ne pas appliquer la loi et d'étaler la
majoration sur trois ans, de sorte que 200 millions de francs seulement sont
inscrits pour 2000. Je le déplore avec amertume.
La réforme de la taxe professionnelle, telle que l'applique le Gouvernement,
représente un marché de dupes pour les collectivités locales et se referme sur
celles-ci comme un piège financier et fiscal. En effet, en ne relevant que de
0,8 % la première dotation de compensation de la taxe professionnelle apparue
en 1999, vous les pénalisez, alors que cette dotation devrait être indexée sur
l'inflation et la moitié de la croissance, soit un peu plus de 2 %. Enfin,
l'autonomie fiscale des collectivités locales, qui figure pourtant à l'article
72 de la Constitution, est progressivement remplacée par des dotations d'Etat,
dont l'évolution relève, pour l'essentiel, de contraintes budgétaires.
Vous me permettrez, monsieur le ministre, d'émettre maintenant quelques
remarques visant particulièrement les crédits de la formation au sein du budget
du ministère de l'emploi et de la solidarité, ainsi que les crédits du budget
de la santé.
Tout d'abord, je traiterai de la formation professionnelle.
A ce sujet, je voudrais insister sur la trop forte illisibilité du système de
formation professionnelle pour ceux qui devraient en être les bénéficiaires.
Comment un jeune faiblement qualifié ou un chômeur de longue durée peut-il s'y
retrouver dans un tel maquis d'organismes ?
Par ailleurs, je m'interroge sur la possibilité d'instaurer une véritable «
formation professionnelle tout au long de la vie » avec une « employabilité »
qui dépend de sa propre formation, comme le prévoit un dispositif qui date de
1971. Les besoins ont changé, nous le savons, et le temps presse pour adapter
et moderniser les règles applicables en matière de validation des compétences
et organiser le droit individuel à la formation. Tout cela nécessite des fonds,
et vos propositions budgétaires sont insuffisantes pour 2000.
Monsieur le ministre, le congé individuel de formation ne mérite-t-il pas une
grande réforme ? J'estime, pour ma part, qu'il est essentiel d'assurer dans
notre pays l'adéquation entre l'offre de formation et les attentes des
intéressés comme des entreprises. A quoi sert de bien former s'il n'y a pas de
débouchés ? La formation doit pouvoir déboucher sur un emploi, être pour le
salarié une occasion d'épanouissement et de meilleure insertion.
J'affirme par ailleurs qu'il est nécessaire de baisser les charges sur les bas
salaires pour relever les salaires directs les plus modestes. Comment peut-on
prétendre, dans une période de plein retour à la croissance, que l'on réduit
les inégalités, alors que le nombre de titulaires du RMI continue de
s'accroître au rythme de près de 8 % l'an, que les emplois créés sont, pour 40
%, des emplois d'intérim précaires et que les écarts de revenus et de
patrimoines ont recommencé à se creuser ?
Aujourd'hui, la baisse des charges sur les bas salaires - personne n'en
conteste le bien-fondé - est financée aux deux tiers par la hausse de l'impôt
sur les tabacs et, pour une part plus faible, par la taxation des activités
polluantes, des lessives, des détergents, c'est-à-dire par une aggravation de
la fiscalité, alors qu'elle devrait être gagée par des économies sur les
dépenses.
Pour ce qui concerne les crédits du budget de la santé, nous savons tous que,
s'ils sont en forte progression, c'est, hélas ! parce que l'exclusion augmente
en France.
Cette hausse découle principalement de la mise en place de la CMU - que
personne ne conteste - et de l'accroissement des crédits consacrés au RMI.
En revanche, l'augmentation des crédits accordés à la prévention de la
toxicomanie, qui fait des ravages de plus en plus importants chez nos jeunes, à
la prévention de l'alcoolisme et du suicide ainsi qu'à l'aide aux personnes
handicapées est beaucoup moins spectaculaire.
Je pense, en particulier, aux parents d'enfants handicapés ou malvoyants, qui
attendent une vraie politique ambitieuse de scolarisation de leurs enfants. Les
structures d'accueil, les moyens de transport et de locomotion restent
insuffisants. Le problème est particulièrement douloureux s'agissant des 14 000
autistes qui, en 1997, restaient à la charge de leurs familles.
Il est donc urgent de réviser la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions
sociales et médico-sociales.
Je constate, en outre, que l'évolution de l'allocation aux adultes handicapés,
dont le montant est de 3 540 francs mensuels, reste indéniablement plus lente
que celle du SMIC brut. Sa revalorisation dans le projet de budget pour 2000
aurait été éminemment souhaitable.
Quant à la loi du 10 juillet 1987, j'insiste - comme chaque année - sur les
carences de son application. Notamment au sein des services de l'Etat,
l'objectif d'intégration professionnelle de 6 % pour les travailleurs
handicapés physiques est loin d'être atteint dans notre pays. Nous connaissons
tous des situations très pénibles auxquelles vos services n'apportent pas de
réponse, au mépris du respect de la loi.
Monsieur le ministre, votre budget pour l'an 2000 est celui des occasions
manquées, comme l'a si bien indiqué notre excellent rapporteur général, M.
Philippe Marini, c'est aussi celui du gaspillage de nombreuses marges de
manoeuvre données par la croissance mondiale à la France.
Cette croissance offre des recettes supplémentaires qu'au lieu d'affecter au
remboursement de la dette le Gouvernement gâche en effectuant des dépenses
nouvelles. Or, personne ici ne sait si notre croissance se poursuivra encore
longtemps au rythme actuel et quand s'effectuera l'inévitable retournement de
la conjoncture internationale. Les lendemains risquent d'être très douloureux.
Comme vous, je souhaite que ce retournement intervienne le plus tard
possible.
Je persiste à croire que, bénéficiant d'une conjoncture économique
particulièrement favorable, vous auriez pu diminuer les prélèvements fiscaux
afin de favoriser durablement le redémarrage économique de nos entreprises, en
France et à l'étranger.
Au fil des ans, vos amis et vous-même n'avez proposé que des « saupoudrages »,
que quelques allégements très ciblés, dépourvus de ligne directrice et sans
véritable perspective d'avenir.
(M. le ministre sourit.)
Votre budget pour 2000 ne comporte ni vraie baisse des impôts ni vraie
réduction des dépenses, alors qu'il est grand temps pour notre pays d'en finir
avec cet excès de pression fiscale par une politique résolue et simultanée de
simplification à l'égard des entreprises et d'allégement à l'égard des
ménages.
Comme l'ensemble de mes collègues non inscrits, au nom desquels j'interviens
aujourd'hui, je voterai comme le souhaite la commission des finances. Je tiens
d'ailleurs à remercier son président et ses différents rapporteurs pour
l'excellente qualité de leur travail.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une économie
en croissance, des recettes fiscales abondantes, un commerce extérieur en
excédent, un chômage en régression,...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Merci !
M. Josselin de Rohan.
... tel est le contexte dans lequel s'inscrit le projet de loi de finances que
nous sommes appelés à examiner.
Nous ne pouvons que nous louer de cette conjoncture, qui s'accompagne d'un
faible taux d'inflation et du maintien des taux d'intérêt à un niveau bas.
Il nous paraît légitime que le Gouvernement revendique sa part de succès
devant ces heureux résultats, puisqu'on lui attribuerait certainement la
responsabilité de l'échec dans un autre environnement. Voyez que nous débutons
gentiment !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Honnêtement !
M. Josselin de Rohan.
La loi de finances reflète-t-elle l'heureuse orientation de notre économie
?
On pourrait le croire, si l'on s'en tenait aux annonces gouvernementales. Le
déficit budgétaire diminue et les impôts devraient être réduits de 39 milliards
de francs pour l'an 2000 : 27 milliards de francs pour les personnes physiques
et 12 milliards de francs pour les entreprises.
Cité par le journal
Le Monde
du 18 septembre dernier, votre
prédécesseur, monsieur le ministre, déclarait en présentant à la presse le
projet de loi de finances pour l'an 2000 : « Avec un déficit réduit de 1,7
point de PIB entre juin 1997 et l'an 2000, la France fait mieux que les cinq
plus grands pays européens, mieux que la moyenne des Quinze, mieux que la
moyenne des Onze. »
On aurait donc bien mauvaise grâce à témoigner de réserves.
Pourtant, comme le soulignent un certain nombre d'analystes, ainsi que M. le
rapporteur général dans son excellent rapport et son très brillant exposé, la
réalité est beaucoup plus contrastée.
La France conserve son retard par rapport à la moyenne européenne et, bien
qu'elle dispose d'une croissance plus forte pour ce qui est de la maîtrise des
finances publiques, les déficits publics devraient se situer à 2,9 % du PIB en
1999, contre 1,9 % en moyenne dans la zone euro. Quant au poids des dépenses
publiques dans la richesse nationale, il demeure plus élevé en France que
partout ailleurs : 53,2 % du PIB, contre 48 % dans l'ensemble de la zone euro
et 32 % aux Etats-Unis.
Lors de sa déclaration à l'Assemblée nationale, le 19 juin 1997, M. le premier
ministre s'exprimait en ces termes : « J'ai dit mon attachement à la
stabilisation des prélèvements obligatoires, qui ont fortement augmenté au
cours des trois dernières années. Si la croissance le permet, mon objectif, à
terme, est de les diminuer. »
Qu'en est-il aujourd'hui ? Alors qu'en 1996 le taux des prélèvements
obligatoires atteignait 44,8 % du PIB avec une croissance faible, il atteint
45,3 % avec un taux de croissance beaucoup plus élevé. Nous sommes à 2 points
de plus que la moyenne de la zone euro et à près de 7 points de plus que la
moyenne des pays de l'OCDE.
La Banque centrale européenne n'a pas manqué de rappeler que la reprise de la
croissance devrait « offrir des opportunités pour accélérer les réformes
structurelles nécessaires à l'assainissement budgétaire ». C'est à l'aune de
ces objectifs qu'il faut juger le projet de loi de finances.
Le projet de loi conduit-il à la maîtrise des dépenses publiques ? Amorce-t-il
les réformes permettant le développement de notre économie ? C'est tout le
débat !
Nous aurions souhaité, monsieur le ministre, qu'une rigueur calviniste
présidât à l'élaboration du budget ; nous sommes encore loin du compte.
M. Emmanuel Hamel.
Rigueur luthérienne conviendrait mieux !
M. Josselin de Rohan.
Je ne vous soutiendrai pas sur ce point, mon cher collègue ; il me semble
qu'en matière de dépenses publiques la doctrine calviniste est un peu mieux
établie !
D'abord, la réduction de la dépense publique est un concept étranger à la
gauche, qu'elle soit singulière ou plurielle ; ensuite, le Gouvernement a joué
des possibilités que lui offrait le double système de financement de la
sécurité sociale et de l'Etat pour opérer des transferts de charges d'un volet
sur l'autre, ce qui occulte la réalité des finances publiques, ainsi que l'ont
très justement souligné M. le président de la commission des finances et M. le
rapporteur général du budget.
Faute de pouvoir examiner un compte consolidé, vous l'avez indiqué, monsieur
le rapporteur général, nous disposons d'un projet de loi qui donne au
Gouvernement les apparences de la vertu, le projet de loi de finances, et d'un
autre dans lequel il laisse la bride à sa nature dépensière et taxatrice, le
projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le ministre de l'économie
et des finances joue le rôle du Dr Jeckyll, celui des affaires sociales de Mr
Hyde - je devrais plutôt dire, en l'occurrence, de Mrs Hyde - mais, au total,
l'important est de savoir ce que supportent comme charges les contribuables.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ce n'est pas très
courtois !
M. Josselin de Rohan.
Marchons-nous vers la parité, oui ou non ? Il n'y a tout de même pas de sexe
faible quand il s'agit d'exercer des fonctions gouvernementales, ou alors je ne
comprends plus rien !
Il eût été normal que les Français jouissent pleinement des dividendes de la
croissance en bénéficiant d'une diminution de leurs impôts.
M. le rapporteur général a apporté la démonstration que les recettes fiscales
étaient minorées puisqu'en 1999 le produit des impositions dépasserait de 30
milliards de francs ce qui avait été annoncé.
Je sais qu'il est devenu le « prince de l'extrapolation », mais vous n'avez
pas apporté la démonstration qu'il avait tort, monsieur le ministre ! Tout se
passe, a-t-il remarqué, comme si le Gouvernement se constituait une réserve,
sans doute pour certaines échéances, au lieu d'apporter un soulagement immédiat
aux contribuables.
Si l'on tient compte du fait que, l'an prochain, les entreprises devront
acquitter, au titre du financement de la sécurité sociale, l'écotaxe et la
contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, on voit bien que le
Gouvernement reprend d'une main ce qu'il a accordé de l'autre.
Félicitons-nous toutefois des allégements accordés pour les transmissions
d'entreprise. Ce que les socialistes, hier, avaient voulu avec succès, hélas !
rendre inconstitutionnel est devenu aujourd'hui orthodoxe, mais il y a au Ciel
plus de joie pour le pécheur qui se repent que pour les actes de 999 justes
!
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est une
citation de Calvin ?
(Sourires.)
M. Josselin de Rohan.
Non, mais je sais, monsieur le ministre de l'économie et des finances, que,
votre culture religieuse étant très étendue, vous aurez vous-même identifié
l'auteur.
Réjouissons-nous de la diminution des taux de TVA pour les travaux réalisés
dans les logements mais étonnons-nous de voir qu'un particulier qui veut
installer sa cuisine puisse acquitter une TVA de 5,5 % - tant mieux pour lui !
- tandis que les matériaux, eux, seront taxés à 20,6 %. Il y a encore des
progrès à faire !
Si l'on prend l'exemple de la taxe professionnelle, on constate que, si les
entreprises peuvent se prévaloir, pour 2 milliards de francs, de la suppression
progressive de la base salaires de l'assiette de la taxe professionnelle, la
réforme leur coûtera en fait 10 milliards de francs, du fait de l'augmentation
de la cotisation minimale à la valeur ajoutée, de l'accroissement de la
cotisation nationale de péréquation, de la diminution de la compensation puis
de la réduction pour embauche et investissement, des économies sur l'écrêtement
de la valeur ajoutée et du surcoût de l'impôt sur les bénéfices du fait de la
déductibilité de la taxe professionnelle ! Connaissez-vous beaucoup d'Etats
modernes qui possèdent une telle panoplie ?
Le Gouvernement nous annonce pour l'an 2000 une stabilisation des dépenses en
volume. Nous observons, en premier lieu, qu'après une réduction des dépenses en
1997, la hausse a repris dès 1998 et la Cour des comptes a souligné un dérapage
de 0,9 point. Le budget de 1999 avait prévu une inflation de 1,3 % ; or, le
chiffre de l'inflation attendu pour 1999 devrait être de 0,5 %.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eh oui !
M. Josselin de Rohan.
Les dépenses auront augmenté non pas de 1 % mais de 1,8 %, soit trois fois
plus que l'inflation constatée.
Le résultat est là : rapportée au PIB, la dépense publique représente 54 % en
1999, soit le taux le plus élevé des pays industrialisés.
En outre, la stabilisation des dépenses annoncée par le Gouvernement ne prend
pas en compte les modifications importantes apportées au périmètre des dépenses
inscrites au budget de l'Etat.
Ainsi, les postes de dépenses qui risquent de connaître les progressions les
plus importantes dans l'avenir sont débudgétisés et renvoyés soit à des fonds,
soit au budget de la sécurité sociale. Je mentionnerai le fonds pour
l'allégement des charges sociales créé pour le financement des 35 heures et le
fonds pour le financement de la couverture maladie universelle.
Le financement de ces fonds se fera notamment par le transfert des droits sur
les tabacs, de la TGAP initiale créée en 1999, dont l'assiette est étendue, et
de la contribution sur les mutuelles et les organismes de prévoyance.
L'ensemble des recettes ainsi débudgétisées devrait figurer au budget de
l'Etat. Il convient d'y ajouter les prélèvements sur recettes en faveur des
collectivités locales et de l'Union européenne venant en déduction des
ressources brutes de l'Etat. De même, doivent être pris en compte les
remboursements et dégrèvements d'impôts dont les provisions ont été
surestimées. Au total, leur montant est estimé à plus de 50 milliards de
francs, ce qui, ajouté au montant des dépenses du budget, donne une progression
de celles-ci de plus de 3 %.
Cette modification de la structure et du périmètre du budget de l'Etat remet
en cause un principe du droit budgétaire qui veut, pour qu'une affectation soit
justifiée, qu'il existe un lien entre la recette et la dépense concernées. Dans
le cas du transfert des droits sur les tabacs et de la TGAP, il n'existe aucun
lien avec l'allégement des charges sur les bas salaires.
La stabilisation des dépenses budgétaires dissimule une progression des
dépenses hors charges d'intérêt de la dette. La réduction de l'inflation et des
taux d'intérêt a permis une réduction de 2,5 milliards de francs de la charge
de la dette. Les dépenses hors charges d'intérêt et les prélèvements sur
recettes progressent de 33 milliards de francs.
L'analyse de la composition structurelle de la dépense permet de constater
qu'en 2000, de nouveau, la progression des dépenses résulte des seules dépenses
de fonctionnement. Les documents budgétaires montrent que celles-ci augmentent
de 17,2 milliards de francs, c'est-à-dire de 2,8 %, soit plus de trois fois la
hausse des prix. Ce chiffre témoigne bien de l'absence de maîtrise des dépenses
publiques par le Gouvernement.
De même que les dépenses de fonctionnement continuent de progresser, vous
l'avez souligné, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la
commission, les dépenses d'investissement sont constamment réduites. Pour 2000,
cette réduction est de 2 %, puisque les crédits inscrits aux titres IV et V du
budget passent de 164,8 milliards à 161,5 milliards de francs. Rapportées au
total des dépenses du budget, les dépenses d'investissement représentent 9,58 %
en 2000, contre 9,86 % en 1999. La baisse continue !
La moitié de ces dépenses d'équipement concernent la défense nationale. Il
reste donc, sur un total de dépenses de l'Etat de 1 591,2 milliards de francs,
6,1 milliards de francs pour les routes, 5 milliards de francs pour
l'équipement et la construction des universités et 4,9 milliards de francs pour
l'industrie. Ces chiffres sont à rapprocher des 14 milliards de francs que
coûteront les retraites de la SNCF en l'an 2000.
Notons pour l'anecdote que le transfert des droits sur les alcools, opéré par
le gouvernement Balladur, du budget de l'Etat au budget de la sécurité sociale
avait été qualifié à l'époque par le parti communiste de « véritable trahison »
qui rognait sur les acquis sociaux. Que devraient dire nos collègues
appartenant à ce parti devant les transferts actuels ? Ne craignez rien, ils
voteront sagement le budget !
Le projet de loi de finances est l'occasion des rendez-vous manqués.
le gouvernement Jospin commet la même erreur que le gouvernement Rocard : le
refus de désendetter l'Etat alors que la bonne santé de notre économie dégage
des surplus fiscaux. Avec un taux de la dette publique dépassant les 60 % du
PIB, notre pays ne respecte plus les critères fixés par le traité de
Maastricht.
Vous nous annoncez, monsieur le ministre, une réduction de 0,6 % point pour
l'an 2000, mais, dans le même temps, M. le rapporteur général nous précise que
vous solliciterez le marché pour 622 milliards de francs. L'effort de réduction
de la dette est plus faible que pour 1999, alors que, pourtant, vous disposez
d'excédents fiscaux plus importants et que, de plus, vous empruntez pour
couvrir vos dépenses de fonctionnement.
Mais c'est dans le domaine fiscal que votre politique semble la moins
novatrice.
D'année en année, notre système fiscal devient de plus en plus complexe,
opaque et lourd. Il est source de délocalisation, il décourage les initiatives
et pénalise le succès. Beaucoup le reconnaissent, même dans vos rangs. N'est-ce
pas M. Fabius - mais demeure-t-il pour vous une référence ? - qui avertit que
ce sont les impôts plus que les efforts de l'opposition qui conduiront à la
défaite électorale de la gauche ?
M. Marc Massion.
Qui « conduiraient » !
M. Josselin de Rohan.
Jusqu'à présent, cependant, vos timides velléités de réforme ont avorté dans
l'oeuf. Peut-être est-ce cette menace qui a conduit le Premier ministre à
promettre des allégements pour les prochaines années. Encore ces promesses
sont-elles entourées de tant de circonlocutions, de précautions, et préparées
par tant de synodes, que leur réalisation paraît bien problématique !
Votre prédécesseur, avec une lucidité dont je confesse que nous avons manqué,
a tenté de remettre en cause le déplafonnement de l'ISF, mais c'était attenter
aux principes les plus sacrés, et cela ne se fera pas.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Un péché capital
!
M. Josselin de Rohan.
Le même, ainsi que M. Allègre, s'était engagé devant notre assemblée à revoir
la fiscalité sur les stock-options ; le niveau des actions possédées par
l'ex-dirigeant d'une grande entreprise conduit à remettre la réforme aux
calendes, parce que nous avons une nouvelle politique fiscale : la politique
fiscale émotionnelle.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et
ad hominem !
M. Josselin de Rohan.
Entre-temps, pas moins de dix-sept taxes, selon notre collègue Jacques Oudin,
ont été créées ou aménagées, entre 1997 et 1999, pour financer la sécurité
sociale et la réduction du temps de travail.
Et, tenez-vous bien, entre 1981 et 1997, quatre-vingt mesures fisales ont
changé six fois le régime des prélèvements sociaux appliqués à l'épargne !
Dans le domaine de la fiscalité locale, la situation devient franchement
intolérable. L'Etat ne cesse de transférer de nouvelles charges. Ainsi régions
et départements sont-ils sans cesse conviés à participer au financement des
CTE, des universités, des livres scolaires, des routes dites nationales, des
gares, de la restructuration des arsenaux, pour ne prendre que quelques
exemples.
Mais on observe simultanément qu'au terme de la réforme de la taxe
professionnelle, en 2003, plus de 50 % des recettes de fonctionnement des
communes proviendront de l'Etat par l'intermédiaire de concours existants et de
dotations compensatoires pour les allégements consentis à telle ou telle
catégorie de contribuables. A quoi il faut ajouter les compensations de la
réduction des droits de mutation et, demain, celles de la taxe d'habitation.
A terme, la situation des collectivités locales deviendra intenable, car leurs
ressources dépendront des dotations de l'Etat calculées en fonction de ses
contraintes budgétaires et dont l'indexation est, au surplus, déconnectée de la
croissance. Devenues variables d'ajustement des budgets de l'Etat, elles
devront accroître leur fiscalité pour continuer à financer leurs engagements.
L'alourdissement des impôts locaux est chaque jour très mal ressenti par les
contribuables. La territorialité de l'impôt, qui est tout de même l'un des
fondements de notre droit fiscal, devient aujourd'hui un vain mot.
Il faut mettre fin à cette dérive et entreprendre une réforme de la fiscalité
locale qui permette aux collectivités locales de disposer de recettes
spécifiques, évolutives et importantes, faute desquelles leur autonomie est un
leurre, faute desquelles la décentralisation est vidée de tout son sens.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Josselin de Rohan.
Pourquoi ne pas engager une réflexion approfondie sur ce point et demander à
une commission composée de représentants des régions, des conseils généraux,
des maires et des deux assemblées ainsi que d'experts qualifiés d'analyser la
situation de la fiscalité locale à l'aube d'un nouveau siècle et d'effectuer
des propositions de mise en ordre et de réforme ?
Une chose est certaine, nous ne pouvons aborder les défis qui nous attendent
au siècle prochain avec une fiscalité aussi archaïque, compliquée et
impopulaire.
Grâce aux analyses très pertinentes et aux recommandations très judicieuses de
la commission des finances, de son président et de son rapporteur général, que
nous félicitons pour leur remarquable travail, nous savons à quels principes
devrait obéir une bonne loi de finances : la baisse des prélèvements
obligatoires, le meilleur contrôle de la dépense publique, la réduction du
déficit budgétaire et de l'endettement.
Nous ne trouvons pas, dans le projet qui nous est présenté, une traduction
suffisante de ces objectifs.
Pour cette raison, nous voterons un projet remanié et enrichi des amendements
proposés par la commission des finances, mais aussi dépouillé de toutes les
dispositions malencontreuses qu'il recèle. En votant le projet tel qu'il
devrait être et non point tel qu'il est, nous ferons non seulement un acte de
pédagogie, mais aussi un acte de foi, car il s'agira par là même d'esquisser et
de poser les fondements d'une politique alternative.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
A vous en croire, monsieur le ministre, le projet de loi de finances pour 2000
serait le premier dans la voie d'une programmation pluriannuelle des finances
publiques qui devrait se caractériser par une baisse des impôts, une dépense
publique maîtrisée, un déficit et un taux d'endettement réduits.
Ces trois piliers constituent la clé de voûte de cette programmation et de la
modernisation de la gestion publique, affirmez-vous.
Vous venez, dans votre intervention, de le confirmer en tant que ministre,
désormais à part entière, de l'économie, des finances et de l'industrie. A ce
propos, je me permets de vous adresser toutes mes félicitations pour cette
nomination.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est trop gentil
!
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est donc au ministre que je m'adresse, ministre qui, au nom du Gouvernement,
souhaite des orientations budgétaires valables pour toute une période.
Pour juger d'un tel choix, voyons déjà ce qu'a donné le budget de 1999, qui
préparait ces nouvelles orientations.
Vous affirmez que plus de 13 milliards de rentrées supplémentaires ont été
enregistrées, avec une croissance du PIB de 2,2 % à 2,5 % et une hausse de 1 %
des dépenses. Beaucoup d'observateurs estiment que ce supplément de rentrées
sera plus important. Pour l'an 2000, vos prévisions ne sont-elles pas minorées
?
Ma première question sera donc simple : à combien estimeriez-vous cet
excédent, puisque vous faites un choix de croissance supérieure et que vous
optez pour une dépense publique de progression nulle ?
Il devrait donc dépasser 13 milliards de francs si l'on en croit votre
prédécesseur qui, lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, affirmait
que la confiance des Français se renforçait, du consommateur au chef
d'entreprise, et que la consommation alimentant la croissance était la plus
forte des pays européens, provoquant les félicitations du FMI. Comme autres
motifs de satisfaction, la France réaliserait la meilleure croissance pour l'an
2000 de tous les pays du G 7, y compris les USA. L'emploi salarié aurait
progressé de 3 %, contre 0 % en Allemagne et 1 % en Italie.
Confirmez-vous cette vision optimiste de la situation ? Je vous pose cette
question pour mieux appréhender l'utilisation qui pourrait être faite de cet
excédent primaire permettant un accroissement de certaines dépenses et
répondant aux besoins notamment de l'emploi et des revenus des Français les
plus défavorisés.
Mon propos n'est nullement de porter critique sur la confiance que peut avoir
un ministre des finances dans son projet de budget. Rassurez-vous. Je
n'emprunterai pas les chemins de M. Marini,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quelle surprise !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... qui vous prédisait l'an dernier tant de malheurs et qui s'est fortement
trompé, avec votre contribution, chers collègues de la majorité sénatoriale.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Vous prévoyiez avec beaucoup de certitude une croissance de l'ordre de 1,5 % à
2 % au plus.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je n'ai jamais dit cela !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Elle aura été de 2,3 % à 2,5 %.
Avec scepticisme, vous prétendiez que la hausse des prix était sous-estimée.
Elle n'a été que de 1 %. Vous notiez que les recettes fiscales ne seraient pas
atteintes et que de nouveaux impôts s'imposeraient. Or, les recettes ont été
excédentaires.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je n'ai jamais dit cela !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
S'agissant de l'excédent primaire envisagé dans le budget pour 2000 - j'en
viens à ma seconde question, qui est complémentaire de la première -, comment
entendez-vous l'utiliser ? Vous avez prévu des mesures nouvelles, que je
voudrais examiner.
La baisse des impôts se traduira par la suppression progressive de la part des
salaires de la taxe professionnelle, la suppression de la contribution de
solidarité sur l'impôt sur les sociétés, compensée par une nouvelle
contribution sur les bénéfices des sociétés de plus de 5 millions de francs,
donc loin d'être équivalente. La baisse n'aura que peu d'influence sur le
contribuable moyen ; elle concerne surtout entreprises et sociétés.
En revanche, la baisse de TVA à 5,5 % sur les travaux d'entretien sera
intéressante pour les ménages et pour l'emploi. La suppression du droit au bail
entraînera une baisse de loyer pour 80 % des locataires. Il s'agit d'une mesure
très positive.
La suppression de quarante-neuf petits impôts désuets compliquant la vie des
citoyens et rapportant peu à l'Etat constitue plutôt une modernisation. Avec la
réduction de l'imposition sur le chiffre d'affaires inférieur à 500 000 francs,
cela fait plusieurs mesures apportant quelque amélioration à la vie de certains
contribuables.
Nous ne négligeons pas non plus l'augmentation de certains budgets - celui de
l'environnement pour 8,6 %, celui de la justice pour 4 %, celui de la culture
pour 1 %, mais aussi celui de la sécurité - tout en considérant que
l'augmentation de 3,3 % du budget de l'éducation nationale est loin des besoins
réels. Cet ensemble de mesures entraînent une augmentation de 0,9 % du budget
de l'Etat.
Nous sommes cependant bien obligés de noter que ces mesures ne tiennent
nullement compte de certains appels pressants.
Des accords salariaux interviendront dans la fonction publique, à n'en pas
douter, et il faudra les honorer.
Des effets budgétaires relatifs à des négociations sur la réduction du temps
de travail inévitables interviendront si l'on en juge par les mouvements qui
s'engagent dans la fonction publique.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé à plusieurs reprises que le service
public est au coeur de notre modèle social, qu'il nourrit la croissance,
garantit l'égalité des chances et redonne espoir, mais que l'Etat est au coeur
du service public, fondement de la République, enfin, que la réforme devrait
être au coeur de l'Etat, avec des usagers plus exigeants, des technologies qui
évoluent et des impôts qui diminuent. « Il faut donc, avez-vous dit, dépenser
mieux ».
Nous ne pouvons que souscrire à cette démonstration. Mais je me méfie de
l'adverbe « mieux ». La droite aussi l'emploie, en l'associant dans son rêve
budgétaire à un autre adverbe : « moins ». Elle dit : « moins et mieux ».
Vous dites, monsieur le ministre, vouloir dépenser mieux. Mais en y associant
« plus », je suppose !
Car, si vous voulez introduire une modernisation de l'ensemble de notre
appareil d'Etat, dans l'immédiat, elle devra se traduire par des créations
d'emplois, entraînant d'ailleurs à plus long terme un surcroît de recettes.
Le secteur public a besoin d'une politique de dépenses ambitieuse, productrice
de croissance, répondant aux besoins de la population. Je reviendrai tout à
l'heure sur cette notion de dépense publique devant être réduite, mais je
voudrais sans attendre évoquer deux problèmes à ce propos.
Premièrement, le financement de l'hôpital public se révèle fort insuffisant et
injuste pour les hôpitaux, dont la majoration de la dotation a été réduite à la
portion congrue, amputée par ailleurs d'un versement à la CNRACL.
Nous vous demandons de revoir votre position à cet égard et de verser un
complément à la CNRACL sans le faire transiter par la dotation des hôpitaux.
Deuxièmement, un examen attentif des effets de la réforme de la dotation
globale de fonctionnement attribuée aux collectivités territoriales
s'impose.
En 1993, prétextant de la dégradation de la situation économique, le
gouvernement Balladur nous avait en effet proposé une réforme de la dotation
globale de fonctionnement dont la caractéristique essentielle avait été de
limiter la progression réelle de cette importante dotation budgétaire.
La dotation a connu ensuite une progression pour le moins erratique, tandis
que la mise en oeuvre du pacte de stabilité a conduit à gager une plus forte
progression de cette dotation sur la réduction des autres, singulièrement sur
celle de la dotation de compensation de la taxe professionnelle.
La mise en oeuvre du pacte de croissance et de solidarité, malgré les
correctifs qu'elle a apportés à la situation antérieure et les mesures qui
l'ont accompagnée - je pense à la majoration de la dotation d'aménagement et
des dotations de solidarité - ne peuvent cependant nous faire oublier
l'essentiel : la nécessité d'une nouvelle réforme de la dotation globale de
fonctionenment, plus respectueuse du rôle des collectivités locales dans la vie
économique et sociale du pays et non simple variable d'ajustement de la
situation des comptes publics. De nombreuses collectivités locales éprouvent
encore bien des difficultés pour boucler leur budget. C'est le cas de la plus
grande ville de mon département, Argenteuil, qui est d'ailleurs la plus grande
ville d'Ile-de-France.
La meilleure preuve ne nous en est-elle pas fournie cette année, où la relance
de la croissance se traduit, du fait de l'économie générale de la dotation, par
une régularisation négative sur les dotations précédemment votées, que les
mesures adoptées par l'Assemblée nationale n'ont fait que corriger ?
Permettez-moi de revenir sur ma deuxième question.
Comment envisagez-vous d'utiliser l'excédent budgétaire puisque le chiffrage
des mesures nouvelles que vous proposez est très loin d'atteindre les recettes
fiscales supplémentaires prévisibles.
Nous attendons votre réponse, car une alternative, et une seule, se présente :
ou bien cet excédent participera encore à la réduction des déficits, ou bien le
budget prendra en compte un apport, réel et efficace, pour réduire les
inégalités, le chômage et favoriser la consommation.
A ce propos, je tiens à vous dire, monsieur le ministre, que, si nous ne
sommes pas des partisans d'un déficit galopant et s'enflant, nous ne souhaitons
pas non plus voir brandir celui-ci comme un étendard symbolisant une austérité
renforcée, payée par la dépense sociale. Le premier élément de l'alternative
est l'application directe du pacte de stabilité monétaire européen. Le surplus
de recettes devrait être affecté en grande partie à la réduction des déficits,
et c'est ce que vous proposez. Mais le mouvement est pervers. En effet, pour
endiguer l'effet boule de neige de la dette, on en fait naître une autre,
engendrant des restrictions d'activités et de la dépense publique sociale.
N'est-ce pas tout le sens des injonctions du président de la Banque centrale
européenne, qui s'oppose à tout débat remettant en cause le freinage ou le
blocage des dépenses publiques à destination des hommes, que ce soit en matière
de formation, d'éducation, d'insertion dans l'emploi, d'aides sociales, de
santé ou de logement ?
Confirmez-vous que vous envisagiez de diminuer le déficit en utilisant les
recettes fiscales supplémentaires dans le supplément de recettes en 2000 ?
Dans la nouvelle répartition que vous envisagez disparaît l'augmentation des
dépenses publiques, devenue nulle, pour ne plus laisser place qu'à une baisse
modeste des impôts et à une diminution beaucoup plus importante des
déficits.
Nous aimerions nous tromper, monsieur le ministre.
Pour notre part, nous pensons que l'efficacité des dépenses publiques passe
par une programmation hardie d'objectifs d'emplois, de promotion et
d'insertion. La programmation de leur freinage entraînera, au contraire, la
stagnation ou la récession.
Ainsi, la deuxième branche de l'alternative, que nous faisons nôtre, se fonde
sur une politique de dépense publique productive de croissance et d'emplois,
répondant aux besoins de la population.
Cette politique passe par un engagement des entreprises et non par une
diminution de la part des contributions sociales qui leur incombent.
Les aides au patronat atteignent le niveau record de 170 milliards de francs,
auxquels il faudra ajouter 110 milliards de francs accordés aux entreprises
pour alléger le coût des 35 heures, ce qui représente 12 000 francs par an et
par salarié.
La bourse, les stock-options et les profits des entreprises n'ont jamais été
aussi florissants. Jamais les plus riches n'ont été si riches.
Le CAC 40 a dépassé les 5 000 points.
Les plus-values des stock-options attribuées au plus haut encadrement des plus
grandes sociétés françaises, soit 28 000 personnes, atteignent 45,4 milliards
de francs. Les bénéfices des plus grands groupes français ont progressé de
façon exceptionnelle : ainsi, ceux de Renault ont augmenté de 63 %, ceux de la
BNP de 23 % et ceux de Saint-Gobain de 20 %.
Les bénéfices des trente premières entreprises françaises ont augmenté en
moyenne de 30 % et, parmi elles, le secteur bancaire a enregistré 74 milliards
de francs de profits en 1998.
Une partie de ces profits doit revenir à la nation et faire l'objet de
taxations nouvelles et d'intégration dans un calcul de l'impôt mettant à
égalité de prélèvements salaires et profits et permettant aux plus démunis
d'accéder à une meilleure répartition des richesses.
Nous déposerons des amendements à ce sujet.
Je ne ferai qu'une seule remarque, mais elle est de taille : si l'on considère
le montant des dividendes distribués par les entreprises privées pour l'année
1997, on note qu'il se révèle supérieur en valeur absolue à celui de la masse
salariale. Le profit se révèle supérieur aux salaires ! Il peut donc absorber
cotisations sociales et augmentations des salaires, rendant possible
augmentation du pouvoir d'achat et consommation.
Partant de ces analyses, des propositions nouvelles peuvent être formulées.
Nous proposons de mieux définir un dispositif démocratique et rigoureux de
prévention des licenciements, licenciements dont la plupart demeurent fondés
sur la seule recherche du profit.
Nous suggérons également une revalorisation des minima sociaux pour faire
reculer pauvreté et exclusion et pour permettre une meilleur réinsertion.
Or, l'INSEE vient de le noter, la population défavorisée a tendance à
augmenter et ses ressources à diminuer, sans beaucoup d'espoir de réinsertion ;
10 % de la population semble condamnée à stagner dans une quasi-misère. Un
certain nombre de salariés payés à un SMIC insuffisant basculent dans cette
pauvreté. Un clivage inquiétant apparaît. Dans ces conditions, la prime de
départ de 300 millions de francs en stock-options attribuée à M. Jaffré est une
réalité scandaleuse comparée à la pauvreté croissante.
Le budget de la France doit tout faire pour réduire cet écart de plus en plus
humiliant pour notre société.
Nous pensons également que, malgré l'augmentation des crédits du budget de
l'éducation nationale, un nouvel effort serait bien nécessaire pour contribuer
au rattrapage des retards persistants et à l'institution de formes nouvelles
d'aides, là où ces retards se confirment.
Tout d'abord, la réforme tant attendue de l'impôt sur le revenu doit
s'engager. La réduction trop importante du nombre des tranches pénalise les bas
revenus tout en ne frappant pas suffisamment les plus hauts revenus.
Le Gouvernement a encore repoussé la révision de la taxe d'habitation,
pourtant devenue nécessaire pour en assurer la modernisation et la rendre plus
juste. Un nouvel impôt émerge : la contribution sociale généralisée. La
fixation d'un seuil n'est-elle pas devenue nécessaire pour les petits revenus
: salaires et retraites ?
M. le Premier ministre vient d'annoncer la réforme de l'impôt sur le revenu et
de la taxe d'habitation pour 2001 en des termes que nous ne pouvons
qu'approuver. Nous regrettons que ce ne soit pas pour 2000 que le Gouvernement
l'ait décidée.
De même, des dispositifs antispéculatifs ne s'imposent-ils pas pour que les
revenus du capital soient taxés au même titre que ceux du travail ?
L'avoir fiscal été réduit de 45 % à 40 %. Nous vous proposons de le réduire
plus fortement, ce qui pourrait entraîner un gain de plusieurs milliards de
francs.
L'impôt de solidarité sur la fortune ne rapportera cette année que 13
milliards de francs. Il ne prend toujours pas en compte les richesses réelles.
Cet impôt devrait inclure les biens professionnels. Le rendement pourrait en
être doublé et atteindre les 28 milliards nécessaires au paiement du revenu
minimum d'insertion, aboutissant à un équilibre de sagesse et de justice.
Revenu minimum d'insertion égale impôt de solidarité sur la fortune : quelle
belle formule de solidarité ! Je vous propose, mes chers collègues, de
l'adopter.
Les impôts indirects conservent toujours un poids élevé. Ils alimentent
l'injustice fiscale. Dans l'attente d'une baisse généralisée, ne faudrait-il
pas, je vous le redemande avec insistance, monsieur le ministre, ramener à 5,5
% la TVA applicable à certains produits et activités sensibles ? Je pense, en
particulier, aux produits alimentaires de consommation courante, à la
restauration, aux activités de main-d'oeuvre, ainsi qu'aux réseaux de chaleur,
dont les 39 sites de géothermie restant en fonctions, de façon à préserver
l'expérimentation de la seule énergie propre, énergie dont nous aurons bien
besoin, demain, pour lutter contre l'effet de serre.
Le principe du prélèvement sur le mouvement des capitaux semble acquis par la
majorité plurielle. Pourquoi, dès lors, refusez-vous de débattre de la loi
Tobin ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quelle loi ? Une loi du Congrès américain ?
M. Alain Lambert,
président de la commission de finances.
Ne prenez pas vos exemples aux
Etats-Unis !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je sais où cela vous fait mal, messieurs !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pourquoi allez-vous chercher des professeurs
américains ?
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Pourquoi, monsieur le ministre, refusez-vous de débattre de la taxe Tobin et,
dans les instances internationales dont nous sommes membres, d'en demander
l'application au monde entier pour l'an 2000 ?
Cette taxe, imaginée en 1972 par James Tobin, consiste à taxer de 0,1 % à 0,5
% les transactions de change entre les monnaies pour décourager la circulation
financière purement spéculative. Moralement juste, elle peut se révéler
efficace dans l'action de résistance au processus fondamental d'appropriation
de la plus-value, c'est-à-dire des richesses réelles destinées au capital. Elle
pourrait constituer une barrière efficace pour empêcher des sommes gigantesques
de circuler et de constituer une véritable dictature des marchés financiers.
Pourriez-vous me dire, monsieur le ministre, si vous prévoyez de la soumettre
au Parlement pour une mise en oeuvre réelle, et, si oui, dans quel délai ?
Enfin, notre groupe déposera des amendements ayant pour objectif d'aider
l'investissement favorable à l'emploi en freinant la spéculation, de rendre
possible plus de justice fiscale et de réduire les inégalités, enfin, de donner
des moyens supplémentaires aux collectivités territoriales.
Nous attendrons la fin du débat pour nous déterminer, car je sais, monsieur le
rapporteur général, que vous envisagez de troubler le jeu...
MM. Alain Lambert,
président de la commission de finances
et
Philippe Marini,
rapporteur général.
Oh !
(Sourires.)
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... en affirmant une position différente, même si c'est de façon moins brutale
que l'an passé.
Amputer les budgets, même ceux que vous trouviez insuffisants, n'était ni
logique ni rentable ; je qualifierais même cette démarche de « politique de
gribouille ».
Cette année, vous voulez compléter la notion de réduction par celle de qualité
: faire un meilleur budget avec moins de dépenses.
La démonstration, je vous le dis, sera délicate !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le rôle de l'opposition de s'opposer !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Quant à nous, nos propositions viseront à faire mieux en qualité, mais aussi
en engagement de crédits. La dépense est noble, efficace, productrice de
richesses si elle est utilisée pour l'emploi, l'investissement, le pouvoir
d'achat du plus grand nombre. C'est ce que nous nous efforcerons de démontrer
tout au long de ce débat.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
abordons le débat budgétaire avec retard. Ce retard est peut-être justifié,
mais les raisons qui ont été avancées à cet égard ne m'ont pas totalement
convaincu. Quoi qu'il en soit, cette situation nous enferme dans des
contraintes de calendrier qui ne peuvent que déboucher sur des difficultés
quant à l'examen d'un certain nombre de textes, et je voudrais qu'il soit bien
clair que le Gouvernement en portera seul la responsabilité.
Une autre anomalie de cette discussion tient au fait que, à l'intérieur même
du temps qui lui est consacré, nous allons devoir procéder à la deuxième
lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale et à l'examen du
texte sur l'incorporation du résultat du recensement pour la répartition des
dotations de l'Etat aux collectivités territoriales.
Que signifie, monsieur le ministre, la conjonction de ce retard et de cette «
thrombose » de textes, à la lumière d'une lecture attentive des articles 45 et
47 de la Constitution ? Avez-vous vraiment la volonté - je veux le croire ! -
de laisser le Sénat débattre de ce budget en toute sérénité et de manière
approfondie afin qu'il puisse jouer son rôle dans notre démocratie ? C'est une
question que l'on peut se poser face à un certain nombre de contraintes
calendaires.
Cette désagréable sensation, au moment d'aborder cette décision qui est la
plus importante de l'année, est renforcée par la consistance même des documents
qui vont nous occuper vingt jours durant.
Avant d'en venir au sort réservé aux collectivités locales et à l'aménagement
du territoire, permettez-moi quelques remarques liminaires et une réflexion sur
ce qui s'avère être une exception française, chaque jour plus importante,
exception aussi réelle et sérieuse que celle que nous revendiquons - et très
bientôt, de nouveau, à Seattle - cette exception culturelle à laquelle nous
sommes fortement attachés.
Cette autre exception française, vis-à-vis de l'Europe comme du monde entier,
c'est le niveau de nos prélèvements obligatoires en général et le poids
excessif de notre fiscalité en particulier, un poids que, quoi que vous en
disiez, monsieur le ministre, ce budget va encore aggraver.
Mes remarques liminaires porteront sur le malaise que l'on peut ressentir à
l'observation globale de votre projet. Très honnêtement, j'en retire pour ma
part le sentiment d'entrer avec lui dans un univers artificiel aux décors
riches de trompe-l'oeil. Je me permettrai de vous en donner quelques exemples,
qui me paraissent révélateurs d'un certain désordre, au moins intellectuel.
Le déficit annoncé, de 215,4 milliards de francs, est à rapprocher de la
réalité financière de l'instant que nous vivons. On pourrait espérer infiniment
mieux. Dès lors, il y a deux solutions : ou bien vous pensez que la croissance
va marquer le pas ou bien, puisque l'on pourrait pratiquement déjà clore
l'année 1999 avec ce chiffre, vous peignez en noir ce que vous concevez en
rose.
(Sourires.)
On se demande pourquoi, surtout si l'on rapproche ce trompe-l'oeil d'un autre
trompe-l'oeil, qui opère, lui, en sens inverse -
Le Point
vient fort
opportunément de le dénoncer cette semaine - et qui consiste à peindre en rose
ce qui est en réalité noir, c'est-à-dire l'évolution du chômage, dont le taux
est astucieusement manipulé par les transferts de catégories et les radiations
à tout va !
Trompe-l'oeil aussi, cette affirmation d'une baisse de la fiscalité dont, si
je sais lire, une part importante vient de l'arrivée à terme de la surtaxe
d'impôt sur les sociétés.
Cela me fait penser, monsieur le ministre, à cette pratique, fort justement
dénoncée par le code de commerce, qui consiste, pour un commerçant, à augmenter
ses prix pour pouvoir solder après.
Si vraiment vous considérez comme un allégement fiscal la venue à terme d'une
surtaxe temporaire, on peut tout de même se dire qu'il y a quelque part quelque
chose qui ne marche pas très bien !
Trompe-l'oeil encore, cette réforme des 35 heures, considérée comme
essentielle - elle est, paraît-il, la cause du retard du débat budgétaire - qui
est d'ailleurs en train de faire exploser le secteur parapublic : La Poste, la
SNCF, tout le monde est en grève parce que le passage aux 35 heures n'est pas
vraiment prévu, pas très bien intégré, parce que chacun pense qu'on travaillera
31 heures quand on travaillait auparavant 35 heures. Bref, tout cela semble
s'engager dans un certain désordre.
En tout cas, on cherche en vain le financement de ce que sera l'incidence des
35 heures sur le budget de l'Etat.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Bonne question !
M. Paul Girod.
A moins qu'il ne faille le trouver dans un nouveau trompe-l'oeil, celui que M.
le rapporteur général appelle avec bonheur le « jeu de bonneteau fiscal » : il
s'agit de promener ce financement, pour le privé - pas pour le public, je le
reconnais - du côté de la sécurité sociale, en faisant apparaître toute une
série de nouvelles taxes qui, par leur émergence même, réduisent à néant ce qui
reste de la modération fiscale annoncée dans le budget
stricto sensu.
Trompe-l'oeil toujours que l'évolution de notre endettement, qui ne cesse de
progresser à partir de déficits publics qui demeurent les plus élevés de
l'Union européenne. De par leur structure, ils sont de 0,8 point de PIB
supérieurs à la moyenne de la zone euro. C'est ainsi que le coût de la dette
devient supérieur au rendement des actifs financiers de l'Etat. Cela devrait
logiquement amener le Gouvernement à alléger le poids du secteur public.
Malheureusement, il n'en est rien ! Certains budgets - enseignement supérieur,
enseignement scolaire, fonction publique, pour ne citer que les principaux -
malgré les imprévoyances concernant les 35 heures, voient leurs dépenses de
fonctionnement atteindre des sommets.
De plus, une éventuelle intégration des emplois-jeunes au sein de la fonction
publique augmentera aussi - et cela non plus n'est toujours pas prévu - le
poids du fonctionnariat français.
Bref, la France prélève toujours plus, pour toujours plus de dépenses
courantes : 50 milliards de francs d'endettement supplémentaire, si j'ai bien
lu, vont alimenter des dépenses courantes. Quel gestionnaire sérieux peut
justifier cela au moment précis où le « retour à bonne fortune », expression
bien connue en matière commerciale ou industrielle, que constitue la croissance
prescrirait de faire l'inverse ?
Monsieur le ministre, de quelles imprécations ne couvre-t-on pas les chefs
d'entreprise qui, pour employer exactement la même technique, conduisent leur
établissement à la faillite et leur personnel au chômage !
Compte tenu des défis qui nous attendent, qui ont été longuement décrits, mais
auxquels votre projet de budget ne prépare pas, craignez de voir vos propres
amis joindre leurs voix déçues aux nôtres, le moment venu. Vous voulez nous
considérer comme de perpétuelles Cassandre. Or, nous ne faisons que décrire la
réalité.
J'ai d'ailleurs vaguement le sentiment que M. Fabius commence déjà à le
comprendre et se prépare à s'exprimer en ce sens.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il est plus sévère que nous !
M. Paul Girod.
A l'heure où la concurrence est mondiale et s'exacerbe, où elle s'étend au
domaine fiscal, la situation de notre pays dans ce domaine reste critique :
alors que les prélèvements obligatoires, au sein de l'Union européenne,
représentent en moyenne 42,4 % du PIB, nous en sommes, en France, à 45,7 %,
probablement plus, en tout cas largement au-dessus du Royaume-Uni, de
l'Allemagne, de l'Italie - c'est-à-dire nos principaux concurrents - du
Portugal ou de la Grèce.
Tout le monde le sait, nos concitoyens attendent une baisse significative du
total des prélèvements fiscaux. Puisque la conjoncture économique est
favorable, ils n'accepteront pas très longtemps d'être surtaxés, car épargnants
et entrepreneurs ne doivent pas faire les frais - et je m'adresse ici à
certains de nos collègues - d'une conception trop égalitariste de la justice
sociale.
A cause du poids excessif de notre fiscalité, à quoi assistons-nous ? A la
fuite des hommes et à celle des capitaux. Les charges sociales et la fiscalité
sont confiscatoires, les administrations sont omnipotentes et tentaculaires,
les procédures sont trop complexes : autant d'obstacles à la consommation, à
l'investissement et à l'emploi.
La croissance doit impérativement s'accompagner d'un formidable mouvement
d'allégement de la fiscalité, en même temps que du redressement de la balance
financière de l'Etat. Ne nous y trompons pas, cet allégement est la seule
méthode qui soit à même de redynamiser et d'encourager ceux qui, par leurs
compétences et leur motivation, sont susceptibles de résorber le chômage, en
particulier celui des jeunes, ou d'éviter le départ de ces derniers.
Gardons toujours présent à l'esprit que nous avons perdu près de 60 000
informaticiens, partis vers des pays que l'on décrit comme socialement
terrifiants : les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, où ils ont préféré s'installer
plutôt que de travailler chez nous.
Si nous ne changeons pas de mentalité sur la manière dont nous encadrons nos
entreprises et les créateurs d'initiative, nous continuerons à subir cet exode
des cerveaux.
Monsieur le ministre, faute de changer notre conception même de la notion de
dépenses publiques, de leur affectation comme de leur alimentation, nous allons
vers des lendemains qui « déchantent ».
La seconde partie de mon propos portera sur le sort qui est réservé à
l'aménagement du territoire et aux collectivités locales.
Tout d'abord, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur la manière
dont il appréhende les zonages qui ont été institués par la loi dite « loi
Pasqua » de 1995 et par le pacte de relance pour la ville de 1996. A ce jour,
l'un des principaux problèmes tient à l'absence de chiffrage de leur coût
budgétaire.
En outre, le projet de loi de finances pour 2000 prévoit une prorogation des
exonérations de charges fiscales et sociales dans les zones de revitalisation
rurale. On peut certes s'en réjouir. Mais je trouve regrettable, monsieur le
ministre, que cette prorogation soit limitée aux quatre prochaines années. Il
est évident que la remise d'un rapport, dans les prochains mois, sur
l'évaluation de ces exonérations serait particulièrement bienvenue. On ne peut
pas faire l'économie d'un rapport d'étape sur l'efficacité d'une mesure qu'on
prolonge un peu à l'aveugle, en la limitant, non moins à l'aveugle, dans le
temps.
Enfin, dès l'an prochain, le Sénat sera très attentif aux conséquences des
résultats du recensement de 1999 sur le périmètre des zones de revitalisation
rurale qui est défini en fonction de critères de population. Pour les
territoires qui vont perdre leur éligibilité à ce statut, il faudra veiller à
ce que des mesures de substitution soient prises en leur faveur.
L'aménagement du territoire nécessite, nous le savons tous, une participation
active des entreprises. C'est d'ailleurs ce qui justifie la réglementation
différentielle appliquée en matière d'aide à ces dernières, différentielle
puisqu'elle varie d'une zone à l'autre, d'une collectivité à l'autre. Cette
technique vise à faire en sorte que, en cas de délocalisation, les entreprises
se dirigent vers les zones les plus fragiles.
A cet égard, il est un peu paradoxal qu'une des zones qui va être ainsi
considérée comme fragile se trouve située en plein coeur de la région
parisienne, tandis que d'autres régions en pleine désertification, de par leur
éloigement ou de par leur manque de voies de communication, ne sont pas
suffisamment retenues à ce titre.
Le soutien à l'activité en zone rurale demeure plus que jamais nécessaire. Le
Gouvernement, associé au Parlement, doit encourager la réalisation
d'infrastructures et la mise en place de mécanismes financiers et fiscaux
permettant de réduire ces inégalités et les écarts de richesse entre les
différentes parties du territoire national.
Nous venons d'assister à un extraordinaire numéro à propos des dotations
complémentaires dans les contrats de plan. Ce sont des chèques tirés sur
l'avenir. On nous promet qu'ils seront honorés. Je veux bien le croire !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il est vrai que,
par le passé...
M. Paul Girod.
Mais, à voir ce qui s'est passé depuis deux ans, je ne saurais avoir des
certitudes à cet égard.
Cela dit, monsieur le ministre, ce que je constate, c'est que la part
d'investissement dans le budget de l'Etat baisse tous les ans et que ce n'est
pas du meilleur augure pour le respect des engagements que l'on prend en ce
moment, à travers les contrats de plan, à grands effets d'annonce.
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Paul Girod.
Cela peut faire partie aussi des motifs de désillusion à venir, provoquant
l'émergence de voix qui ne manqueront pas de vous rappeler ce que vous avez
dit.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Encore du trompe-l'oeil !
M. Paul Girod.
Si nous n'avons pas les moyens de recréer de la vie dans les zones qui sont
actuellement en difficulté, nous n'arriverons à rien. Encore une fois, au-delà
des annonces, il faudra observer les réalités.
Mon intervention serait incomplète si je laissais de côté les dispositions du
projet de budget relatives aux collectivités locales et à la
décentralisation.
Pour 2000, l'imputation budgétaire en faveur des collectivités locales devrait
s'établir à 291 milliards de francs. Les comparaisons ne sont pas commodes, ne
serait-ce qu'en raison des 4 milliards de francs de DGD qui vont disparaître du
fait de l'application de la loi sur la couverture maladie universelle. Non
seulement cela trouble les calculs, mais, de surcroît, monsieur le ministre, je
vous le signale au passage, cela met un certain nombre de départements et leurs
communes devant des difficultés inextricables dans la mesure où ils avaient,
pour des raisons évidentes - y compris pour des raisons d'application stricte
des règles budgétaires - l'habitude d'appeler les contingents avec un an de
décalage.
Force est de constater que, en matière de finances locales, il n'y a pas de
grande mesure phare, en dehors de la contrepartie financière du projet de loi
relatif à la prise en compte des résultats du recensement général de 1999 pour
la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités.
Les résultats du recensement mettent en évidence toute une série de choses -
nous en reparlerons lorsque nous examinerons le projet de loi en question - en
particulier les limites de la conception actuelle de la dotation globale de
fonctionnement, qui n'est pas du tout la conception de départ et encore moins
celle que les élus locaux espèrent légitimement voir mise en oeuvre.
La répartition se fait à partir d'un certain nombre de critères
contraignants. Surtout, elle ne prend pas en compte la réalité de ce qu'est le
service de proximité aux habitants, dont le nombre augmente globalement, et qui
est assuré par les collectivités territoriales. En effet, la DGF dans son
ensemble a été enfermée dans une enveloppe normée qui ne tient pas compte de
l'évolution réelle des charges des collectivités territoriales, surtout quand
l'Etat leur transfère de nouvelles charges.
Monsieur le ministre, la stratégie du Gouvernement ne peut pas consister à
renforcer le contrôle sur les collectivités territoriales. Sous prétexte
d'atténuer les effets négatifs, sur telle ou telle catégorie de nos
concitoyens, de certaines caractéristiques propres aux impôts locaux, l'Etat se
transforme de plus en plus en contribuable local majeur. Le fait qu'il se
substitue à la libre administration des collectivités locales, à travers une
liberté fiscale que la Constitution leur reconnaît, conduit l'Etat à leur
reprocher en permanence l'évolution de ce qu'il appelle son effort - qui est en
réalité la conséquence de ses propres choix - et à en profiter pour ensuite «
gauchir » - pas de chance, le mot vous va trop bien ! - la répartition des
sommes concernées afin que lesdites collectivités soient contraintes d'obéir à
sa politique et à ses choix généraux.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Les pauvres !
M. Paul Girod.
Les changements politiques, les foucades et les décharges de l'Etat en matière
financière sur les collectivités territoriales, assortis de cette substitution
de l'Etat au contribuable local et à la liberté fiscale des collectivités,
aboutissent à une situation qui, comme l'insécurité judiciaire des maires, a
été fortement exposée avant-hier, hier et même sans doute aujourd'hui lors du
congrès de l'Association des maires de France.
Toutes ces caractéristiques donnent à votre projet de budget, monsieur le
ministre, un certain nombre de contours incertains que j'ai du mal à cerner.
Parmi les membres du groupe du Rassemblement démocratique social et européen,
certains, pour des raisons tenant à leur engagement personnel, voteront ce
texte. Mais la plupart d'entre nous observerons l'évolution législative avec
prudence. Ils se rallieront sans doute aux avertissements que vous dispensent
en permanence M. le rapporteur général et M. le président de la commission des
finances. Le moment venu, c'est-à-dire dans quelque vingt jours, ils verront
quel sort ils feront au texte. Je ne suis pas certain qu'ils n'auront pas
essayé, au passage, de dissiper les zones d'ombre, de dénoncer les
trompe-l'oeil, afin que leur vote soit fondé sur l'honnêteté intellectuelle.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
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