Séance du 24 novembre 1999
POLITIQUE EUROPÉENNE
EN MATIÈRE DE SPORT
Discussion d'une question orale
européenne avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec
débat suivante :
M. Hubert Haenel expose à Mme le ministre de la jeunesse et des sports que
l'arrêt Bosman de la Cour de justice des Communautés européennes a profondément
modifié les conditions dans lesquelles s'exercent certaines activités
sportives, avec le risque de compromettre les valeurs sportives et le rôle
social et éducatif du sport.
Il souligne par ailleurs que l'efficacité de la lutte contre le dopage paraît,
dans certains cas, entravée par une insuffisante harmonisation des pratiques au
sein des Etats membres de l'Union européenne.
Il estime nécessaire, en conséquence, une reconnaissance dans le droit
européen de la spécificité des activités sportives et la mise en oeuvre de
mesures permettant de restaurer l'éthique du sport.
Observant que les réflexions menées à l'échelon européen n'ont guère eu
jusqu'à présent de suites concrètes, il demande quelles initiatives sont
envisagées par le Gouvernement pour favoriser la mise en place d'un cadre
européen plus protecteur des valeurs sportives. (N° QE-6.)
La discussion de cette question orale européenne s'effectuera selon les
modalités prévues à l'article 83
ter
du règlement.
La parole est à M. Haenel, auteur de la question.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous aurez
beau chercher dans les traités constitutifs, vous ne trouverez aucun passage
intégrant le sport dans le champ des compétences communautaires.
Pourtant, nul ne contestera, je pense, qu'une réflexion sur l'avenir du sport
doit aujourd'hui dépasser l'échelon national pour intégrer nécessairement la
dimension européenne et même mondiale.
Nous savions depuis longtemps que, sous certains de ses aspects, cette
activité relevait du droit communautaire. C'est ce qu'avait déjà jugé la Cour
de justice en 1974 à propos de son aspect économique. Cette soumission du sport
aux règles communautaires, l'arrêt Bosman nous l'a récemment rappelée, au grand
dam de beaucoup d'observateurs qui y ont vu - je le rappelle dans ma question
orale - un risque de compromettre les valeurs du sport et son rôle
socio-éducatif.
Envisagée sous cet angle, l'Europe serait une menace.
Mais on peut aussi voir les choses sous un autre aspect et se dire que le
sport évolue, que cette évolution va plutôt vers le pire que vers le mieux, et
que, peut-être, une action transnationale pourrait inverser la tendance. Dans
cette optique, l'Europe devient alors une chance.
Voilà pourquoi je considère que la réflexion sur le contenu d'une politique
européenne en matière de sport se décline en deux interrogations. Comment
éviter des dangers ? Comment saisir une chance ?
Beaucoup a été dit et écrit sur les dangers que le droit communautaire, tel
qu'il est interprété par l'arrêt Bosman, ferait courir à l'éthique du sport.
Sans en sous-estimer les conséquences, je ne fais pas partie de ceux qui
voient en cette décision l'oeil d'un cyclone jurisprudentiel appelé à balayer
les fondements du modèle sportif européen.
Parmi ces fondements, je citerai notamment la prédominance de l'amateurisme,
du bénévolat, de la pratique désintéressée.
Je citerai également l'organisation autour d'un système de fédérations
nationales et européennes, sommet d'une pyramide dont la base, à savoir les
clubs, constitue le facteur incontournable d'un principe d'éducation, de
cohésion sociale, de santé publique, d'épanouissement : celui du sport pour
tous.
Je citerai enfin - l'énumération pourrait être bien plus longue - la
solidarité entre le sport professionnel et le sport amateur. Cette solidarité,
à laquelle participent également l'Etat et les collectivités locales, permet à
tant de clubs de promouvoir le sport non pour son aspect lucratif, mais pour ce
qui reste avant tout sa raison d'être : une détente et un ciment social.
Ces valeurs sont-elles menacées par le droit communautaire ? Quatre ans après
l'arrêt Bosman, nous pouvons, me semble-t-il, relativiser les réactions
alarmistes que cet arrêt avait suscitées ?
On avait par exemple affirmé en 1995 que, par ses conséquences sur le régime
des transferts des joueurs, l'arrêt Bosman sonnait le glas des petits clubs,
pour lesquels les indemnités de transfert constituent une ressource
essentielle. Les services de la Commission européenne nous disent aujourd'hui
que beaucoup des petits clubs « s'en tirent correctement en se concentrant sur
d'autres possibilités de recette ».
On avait également affirmé que, la clause de nationalité ne pouvant
s'appliquer aux sportifs ressortissants d'un Etat membre de l'Union, les
résultats au niveau professionnel ne tiendraient plus qu'à des considérations
financières. Le succès d'un club aurait dépendu non plus en partie de son
aptitude à former des sportifs de talent, mais de sa capacité financière à les
recruter. Les clubs, disait-on également, auraient pu être formés exclusivement
d'étrangers, ce qui, on le conçoit aisément, n'aurait guère contribué à
promouvoir le sport comme facteur de formation de l'identité nationale.
Pourtant, avec le recul et à la lumière des faits, on constate qu'une infime
minorité de sportifs « s'expatrient » et que les clubs, notamment de football,
demeurent pour l'essentiel composés de nationaux.
On a donc peut-être exagérément noirci le tableau après l'arrêt Bosman.
Doit-on pour autant céder à l'optimisme ? Certainement pas. Si j'ai pris
l'initiative de poser aujourd'hui une question orale avec débat, c'est bel et
bien parce que plusieurs points me préoccupent.
Pour ne point allonger mon propos, je me bornerai à en citer deux, ne doutant
pas que, après les interventions des différents orateurs inscrits dans la
discussion, un inventaire quasi exhaustif des risques aura été dressé.
Première inquiétude : le financement de ce que j'appellerai les « petits clubs
» et le risque d'un creusement du fossé qui les sépare des « grands clubs ».
J'ai parlé tout à l'heure de la question des transferts pour dire que les
services de la Commission semblaient en relativiser la portée. Le problème
financier existe néanmoins, mais, à mon avis, se pose plutôt au niveau de la
rémunération des sportifs : les indemnités des transferts ayant été quasiment
supprimées, la surenchère entre les clubs porte aujourd'hui sur les salaires,
qui peuvent atteindre des montants faramineux.
De petits clubs ne pourront faire face longtemps à cette concurrence. La
Commission européenne en est bien consciente, et le commissaire responsable,
Mme Viviane Reding, a récemment annoncé son intention de soutenir les petits
clubs.
Ma première question, madame la ministre, est donc la suivante : comment et
sur quelle base juridique l'Union européenne pourrait-elle aider les petits
clubs ?
Mon second point d'inquiétude concerne la dialectique sport-concurrence.
Si, en tant qu'activité économique, le sport doit être soumis aux règles
communautaires de la concurrence, quelles en seront les conséquences au niveau
des aides publiques ? Va-t-on vers une interdiction pour les collectivités de
subventionner leurs clubs ? Si oui, il y a lieu de redouter la réaction des
opinions publiques. Je vous pose donc la question, madame la ministre : peut-on
éviter cette interdiction ?
C'est une question complexe, car je ne crois pas que l'on puisse y répondre en
proposant de faire échapper purement et simplement le sport au droit
communautaire de la concurrence. Une telle exonération serait lourde de
conséquences : une fédération pourrait, par exemple, imposer le port de la même
marque de chaussures à tous les sportifs participant à une manifestation, ce
qui paraît difficilement concevable. Je souhaite savoir, madame la ministre, si
vous pensez que l'on peut sortir de cette impasse et comment.
Je veux à présent envisager l'autre aspect de la question en insistant sur les
avantages que le sport pourrait tirer de l'Union européenne.
Le sport, chacun en est conscient, évolue. Sa dimension économique, dopée - si
j'ose dire - par la mondialisation des manifestations, ne cesse de croître,
comme en témoigne l'augmentation souvent vertigineuse des droits de
retransmission télévisée et des recettes publicitaires telles que celles qui
proviennent du parrainage.
C'est l'ère du toujours plus : toujours plus d'investissements, toujours plus
d'argent et donc, pour rentabiliser tout cela, toujours plus d'exigences en
termes de performances.
En définitive, des sportifs professionnels doivent aller au-delà de ce que la
résistance humaine peut naturellement supporter. Eux qui devraient être pour
tous, notamment pour les jeunes, des modèles, eux qui devraient incarner
l'éthique du sport et ses valeurs de loyauté et d'intégrité sont montrés comme
des tricheurs, comme des exemples à ne pas suivre. Ce ne sont plus des héros,
ce sont des briseurs de rêve... Sans parler des conséquences pour la santé des
sportifs eux-mêmes.
Le problème du dopage n'est pas nouveau. Il n'est pas non plus, heureusement,
le fait de tous les sportifs professionnels. Mais l'évolution du sport, en
particulier la multiplication des compétitions internationales et la mobilité
accrue des sportifs dans le cadre communautaire, lui confère une nouvelle
dimension.
La réglementation nationale, qu'elle soit édictée par l'Etat ou par les
fédérations, ne peut à elle seule enrayer ce cancer qui mine la crédibilité du
sport. Une action internationale est donc nécessaire, et la récente création
d'une Agence mondiale antidopage, sous l'égide du Comité international
olympique, constitue dans son principe un indéniable progrès.
L'Union européenne participera à cette Agence.
Mais elle peut aussi, nonobstant l'absence de dispositions propres au sport
dans les traités, conduire une action autonome en s'appuyant, par exemple, sur
les compétences en matière de santé, d'éducation et - pourquoi pas ? - de
coopération policière et judiciaire.
Des propositions ont tout récemment été émises par le groupe européen
d'éthique, que préside Mme Noëlle Lenoir, saisi de la question par la
Commission européenne. Elles concernent notamment l'introduction de mesures
spécifiques aux sportifs dans la réglementation relative à la santé et à la
sécurité des travailleurs, le développement de la médecine sportive et
l'adoption d'un code européen de bonne conduite. Alors que la Commission,
saisie de la question du dopage par le Conseil européen de Vienne, s'apprête à
son tour à avancer des solutions, nous souhaiterions, madame la ministre,
recueillir votre sentiment sur ces propositions.
Pour en terminer avec le dopage, je dirai que, à mes yeux, c'est une question
qui relève avant tout de la responsabilité des ministres des sports.
Madame la ministre, je suppose - peut-être fais-je erreur - que vous partagez
ce sentiment. Dans ce cas, j'aimerais que vous nous indiquiez comment, selon
vous, les ministres en charges du sport pourraient conserver cette compétence
si le dopage était uniquement traité sous l'aspect sanitaire ou policier.
Je ne saurais terminer mon propos sans évoquer une autre dérive du sport, aux
conséquences parfois dramatiques : le hooliganisme.
La dernière coupe du monde de football a rappelé à ceux qui auraient pu
l'avoir oublié que les démons des années quatre-vingt n'avaient pas disparu.
Le phénomène est d'autant plus inquiétant que les semeurs de trouble peuvent
aujourd'hui, dans l'espace Schengen, et sauf utilisation de la clause de
sauvegarde, franchir les frontières sans aucun contrôle. Peut-être ce point
relève-t-il plus de vos collègues chargés de la justice ou de l'intérieur, mais
je ne doute pas, madame la ministre, que vous ayez des éclaircissements à
apporter au Sénat sur ce que pourrait faire l'Europe pour lutter contre la
violence dans les stades et autour de ceux-ci.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'Europe,
berceau de l'olympisme, ne peut pas faire l'économie d'une action ambitieuse
dans le domaine du sport.
L'heure des choix a sonné. C'est maintenant qu'il nous appartient,
parlementaires nationaux, quelle que soit notre place dans l'hémicycle, de
faire entendre notre voix. Tel était en tout cas mon objectif lorsque j'ai
décidé de déposer la question orale dont nous débattons aujourd'hui.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Herment.
M. Rémi Herment.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question de
notre collègue Hubert Haenel nous donne l'occasion d'aborder le problème de
l'harmonisation de la politique sportive au sein de l'Union européenne. Elle
nous donne également l'occasion de préciser que la France a un rôle majeur à
jouer dans la définition des objectifs de l'Union, notamment en ce qui concerne
la lutte contre le dopage.
Les évolutions récentes observées dans les activités sportives ont soulevé de
nombreux problèmes qui ont eu un retentissement important sur les citoyens
européens, et ce, d'abord, parce que le sport est l'un des domaines qui les
concerne directement.
Plus de la moitié d'entre eux pratiquent régulièrement un sport, soit dans les
700 000 clubs qui existent dans les Etats membres, soit de manière
individuelle.
Près de deux millions d'éducateurs, de moniteurs, de bénévoles consacrent leur
temps à l'animation de la vie sportive. Ce ne sont pas seulement des
techniciens : leur rôle d'éducation, d'insertion sociale est essentiel au
moment où nos sociétés connaissent des problèmes de cohésion sociale et
d'identité culturelle importants. Ce sont eux qui inculquent les valeurs
sportives, valeurs fondamentales de la vie en société : respect d'autrui,
égalité des chances, goût de l'effort, esprit d'équipe et de solidarité. Je
tiens ici à leur rendre un hommage appuyé.
Mais, depuis quelques années, tout le monde le perçoit, le sport est confronté
à des phénomènes qui remettent en cause une éthique et des principes
d'organisation que ces animateurs cherchent à promouvoir sur le terrain.
Violence dans les stades, dopage, exploitation des jeunes sportifs, recherche
de bénéfices financiers rapides : tous ces maux, communs à la plupart des pays
européens, ont terni quelque peu l'image du sport et l'ont réduit parfois à une
simple valeur économique.
Pourtant, sport et marché ne sont pas incompatibles. Il serait même illusoire
de vouloir lutter contre la présence de l'argent dans le sport. Mais il
convient de s'interroger sur la façon de concilier la dimension économique du
sport, aujourd'hui incontournable, avec sa dimension éducative, populaire,
culturelle et sociale.
Je pense que ce travail de conciliation ne peut-être traité que de façon
globale, c'est-à-dire au niveau de l'Union européenne, voire au niveau
international.
La pratique et l'organisation du sport dans les différents Etats membres font
apparaître des caractéristiques fortes, qui nous montrent qu'il existe une
approche européenne du sport reposant sur des principes communs.
Trois phénomènes expliquent les tensions qui affectent cette approche et, tout
d'abord, l'accroissement de la popularité du sport en termes de pratique et de
spectacle. Au total, 37 milliards de téléspectateurs ont suivi la dernière
Coupe du monde de football, soit près de 600 millions de téléspectateurs par
match. Cette popularité des spectacles offerts par le sport a un effet
d'entraînement important sur les pratiques sportives des citoyens.
Deuxième phénomène : l'internationalisation du sport. En 1999,
soixante-dix-sept championnats du monde, cent deux championnats européens ont
été organisés sur le territoire de l'Union.
Enfin, troisième phénomène : le développement sans précédent de la dimension
économique du sport avec, notamment, l'augmentation exponentielle des droits de
retransmission télévisés, la hausse des salaires et des montants des transferts
des sportifs professionnels.
Voilà des sujets de méditation.
A titre d'exemple, le montant des droits de télévision, négociés par le CIO
était de 441 millions de dollars en 1992. Il approchera 1,3 milliard de dollars
pour les jeux Olympiques de Sydney en 2000.
Ces phénomènes ont apporté des éléments positifs, notamment en termes de
création d'emplois. Cependant, ils sont à la source de tensions qui sont en
totale contradiction avec l'esprit sportif. La performance a, aujourd'hui, non
seulement un prix mais aussi un coût.
En 1896, date du rétablissement des jeux Olympiques, le baron Pierre de
Coubertin déclarait : « Je rebronzerai une jeunesse veule et confinée, son
corps et son caractère par le sport, ses risques et ses excès. J'élargirai sa
vision et son entendement par le contact des grands horizons sidéraux,
planétaires, historiques. »
Un siècle plus tard, il ne reste plus grand-chose de cette belle morale
aristocratique. Le sport a ses parrains. Quelques grandes disciplines sont
vendues comme n'importe quel produit auquel on aura préalablement appliqué des
règles classiques de marketing. Dans ces conditions, le sportif devient un
porte-drapeau, non seulement de son pays, de sa région ou de sa ville, mais
aussi de la marque qui le soutient. La nécessité de faire des résultats sous la
pression des sponsors est l'une des causes majeures de l'expansion du
dopage.
Je ne reviendrai pas sur les cas de dopage chez les sportifs de haut niveau
qui ont fait la une des médias ces dernières années. Je tiens à saluer
l'initiative du Gouvernement, qui a souhaité qu'une loi permette de mieux
lutter contre ce fléau. Pourtant, je pense qu'il est indispensable qu'une
réglementation plus large soit établie en cette matière, parce que le dopage
non seulement menace le sport en tant qu'institution sociale, mais compromet
les valeurs éthiques fondamentales que sont la loyauté, l'esprit d'équipe,
l'intégrité et la transparence.
La protection de la santé de l'athlète est également mise en péril par les
pressions énormes exercées sur l'intéressé pour qu'il améliore sans cesse ses
performances, dans le contexte de la mondialisation et de la commercialisation
du sport.
Le dopage soulève ensuite de graves problèmes de déontologie médicale. En
effet, comment peut-on accepter que l'on fasse appel aux médecins sportifs pour
qu'ils améliorent les résultats ? Un code de bonne conduite en ce domaine
serait le bienvenu en Europe.
Enfin, la question du dopage est fondamentale dans le cas des jeunes
sportifs.
L'emprise de la drogue étant associée au culte de la performance, les jeunes,
de ce fait, sont les plus exposés. Ce phénomène ne se limite pas seulement aux
athlètes de haut niveau mais touche de plus en plus les plus jeunes, qui
prennent exemple sur leurs aînés, le sport véhiculant et incarnant les valeurs
auxquelles ceux-ci s'identifient. A cet égard, il me semble que l'Union
européenne devrait élaborer une directive sur la protection des enfants et des
adolescents dans le sport en vue de la préservation de leur santé.
Plus généralement, il est nécessaire de fournir des informations actualisées
et claires aux athlètes et futurs athlètes quant aux risques liés au dopage.
Le Gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, pourrait être à
l'origine de ces initiatives de bon sens et inciter l'Union à mener une
politique active de prévention, de sensibilisation et d'éducation.
Certes, un premier pas a été franchi avec la création de l'Agence mondiale
antidopage, qui débutera son activité dès le 1er janvier 2000. Entité
transparente et indépendante, créée sur l'initiative commune du CIO et des
gouvernements, elle devra jeter les premières bases d'une politique et d'une
activité antidopage efficace et globale.
Mais, pour mener à bien cette lutte contre le dopage sportif, la contribution
de tous les gouvernements est nécessaire, outre celle des fédérations et
associations sportives. L'Union européenne a un rôle central à jouer dans ce
domaine. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour que la France tienne
une place majeure dans cette initiative.
Enfin, le groupe de l'Union centriste auquel j'appartiens souhaite insister
sur l'importance du rôle de l'Union européenne dans la définition des moyens à
mettre en oeuvre pour développer la coopération entre les Etats membres dans le
domaine du sport et pour intégrer ce dernier dans les différentes politiques
communautaires.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens
d'abord à remercier vivement M. Haenel d'avoir suscité ce débat sur la
politique européenne en matière de sport ; il vient à point nommé.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de la discussion de la proposition de
loi portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques
et sportives, que je rapportais, l'internationalisation du sport exige
d'intervenir au niveau européen si l'on veut légiférer efficacement.
Le sport connaît depuis quelques années des mutations de grande ampleur. Ces
évolutions dont, pour la plupart, il convient de se féliciter, ont cependant
provoqué des tensions et des dérives préoccupantes.
La première, la plus grave, c'est l'essor dramatique du dopage dont on connaît
en partie les causes avec le développement du sport spectacle, la pression des
intérêts financiers, qui incite à surcharger les calendriers des compétitions
pour maximiser les droits de diffusion et les recettes publicitaires de
soutien.
La logique commerciale tend à reléguer le sport amateur et de loisir au second
plan, au profit de professionnels rentables, la solidarité financière entre
sport professionnel et sport amateur étant remise en cause.
Les jeunes sportifs les plus doués sont très tôt conduits vers le sport de
haute compétition, au risque de fragiliser leur santé physique et mentale, au
détriment parfois de leurs études et de leurs chances d'insertion ou de
réinsertion dans la vie active.
Au sein même du sport professionnel, les inégalités entre pays s'accroissent,
les sportifs de haut niveau n'hésitant pas à s'expatrier pour répondre à des
offres de plus en plus alléchantes, quelquefois surprenantes sur le plan
financier.
Alors, que faire ? Et qu'attendre, en ce domaine, d'une intervention
communautaire ?
Je voudrais d'abord dire, mes chers collègues, que l'on ne peut pas - et que
l'on ne doit pas - tout en attendre. Loin de moi, en effet, l'idée de nier la
responsabilité et les compétences des autorités nationales. Malheureusement,
elles ont quelquefois tendance à fermer les yeux sur des agissements
contestables. On dit, par exemple, que certains Etats membres n'insistent pas
trop pour que les clubs sportifs s'acquittent de leurs dettes sociales ou
fiscales.
Je crois aussi que l'on a souvent tendance à définir très largement
l'autonomie du mouvement sportif, qui se justifie certes quand il s'agit de
l'organisation des compétitions, de la définition de règles techniques ou de la
sélection des athlètes, mais qui ne doit pas pour autant conduire à le faire
bénéficier dans d'autres domaines d'un régime d'exception.
Il faut cependant, malheureusement, être réalistes : certains excès, certains
abus, certaines pratiques contestables ne pourront pas être éliminés à
l'échelon d'un seul pays, car les efforts de « moralisation » des uns peuvent
malheureusement se traduire par des avantages concurrentiels pour les autres.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire lors d'autres débats, madame la
ministre, je ne crois pas aux seules vertus du bon exemple.
Pour autant, il ne me paraît ni possible ni souhaitable de proposer d'élaborer
une « politique sportive commune ». C'est pourquoi j'ai trouvé intéressantes
deux initiatives récentes de la Commission européenne, qui, sans empiéter sur
les compétences des Etats membres, me paraissent aller dans le sens de «
solutions communes » à certains des problèmes que pose le développement du «
sport-spectacle ».
J'évoquerai en premier lieu le dialogue qui s'est noué entre la Commission
européenne et la Fédération internationale de football - la FIFA - sur certains
aspects de la réglementation de cette dernière.
La Commission a ainsi mis en cause, dans une communication de griefs à la
FIFA, certaines dispositions de son règlement relatives au statut des joueurs
et au régime des transferts. Elle a également contesté l'interdiction de porter
devant les juridictions ordinaires les contentieux afférents au règlement de la
FIFA et l'obligation pour les fédérations nationales de faire figurer la même
clause dans leur règlement.
Cette communication de griefs, qui se fondait sur l'article 85 du traité,
semble avoir été prise au sérieux par la FIFA, qui a annoncé la création d'un
groupe de travail chargé de réfléchir notamment à la protection de la formation
et aux transferts en cours de contrat.
Je ne sais pas, madame la ministre, où en est ce groupe de travail. Si vous
avez des informations à nous communiquer sur ce sujet, j'en serai heureux.
Mais nous connaissons tous, mes chers collègues, les effets pervers du système
des transferts, en dehors même du fait qu'ils correspondent à des « ventes » et
des « achats » de joueurs qui me paraissent bien éloignés de l'éthique sportive
et de l'éthique tout court.
Ils contribuent à l'inflation démentielle des rémunérations, car le club «
acheteur » espère toujours rentrer dans ses frais à l'occasion d'une « revente
» avantageuse. Ainsi se creusent l'écart et les inégalités entre les clubs «
riches », qui peuvent acheter et rémunérer des « vedettes », et ceux qui n'en
ont pas les moyens. Du même coup, se creuse un autre fossé : celui qui sépare
les joueurs aux salaires astronomiques et les autres, qui ne sont pas toujours
moins talentueux.
Ils encouragent, enfin, la multiplication des agents ou intermédiaires de
toute nature, qui sont souvent, au bout du compte, les principaux bénéficiaires
des transferts.
Si la Commission réussit à imposer leur limitation, la moralisation du sport
professionnel et l'éthique sportive y gagneront beaucoup.
Je crois aussi que cela pourra contribuer, dans les Etats membres, à la
solution des problèmes que posent le trafic de jeunes joueurs ou l'inégale
aisance financière des clubs.
La seconde orientation de la Commission que je trouve intéressante, c'est la
réflexion qu'elle a entreprise sur la spécificité sportive, dont on parle
beaucoup mais dont personne ne donne de définition, sans doute d'ailleurs parce
que chacun a la sienne.
Cette réflexion porte notamment sur l'application, compte tenu de cette
spécificité, des règles de la concurrence au sport, et elle me semble comporter
des aspects très positifs.
J'ai noté, par exemple, que la Commission, dans la ligne de l'arrêt Bosman,
admettait que la spécificité sportive exigeait le maintien d'un équilibre entre
les clubs, la préservation de l'égalité des chances et de l'incertitude des
résultats.
Les conclusions qu'elle en tire me paraissent tout à fait en cohérence, madame
la ministre, avec les préoccupations que nous avons tous. La Commission
manifeste ainsi le souci d'un dédommagement équitable des clubs formateurs.
Elle reconnaît la légitimité de l'interdiction pour les clubs appartenant à un
même propriétaire de participer à une même compétition. Elle admet aussi la
vente en commun des droits de retransmission télévisée, pourvu qu'elle
s'accompagne d'une redistribution équitable, notamment pour les petits clubs,
du produit de cette vente.
Spécificité, égalité des chances, incertitude des résultats - sans laquelle le
sport de compétition ne serait plus qu'une mascarade - harmonisation des
législations fiscales, équité, solidarité, éthique, lutte contre le dopage :
autant de notions qui me font dire combien le débat de ce matin sur la
politique européenne en matière de sport arrive au bon moment, un moment qui
est en vérité un tournant décisif pour l'avenir du sport.
Nous avons déjà beaucoup travaillé sur ce sujet dans notre pays, notamment à
travers l'étude de la proposition de loi en cours de discussion. Il nous reste
cependant à franchir quelques obstacles. Mais, madame la ministre, mes chers
collègues, je suis persuadé que, avec l'endurance que nous avons acquise, avec
la volonté et la détermination qui nous habitent, nous réussirons, maintenant
en étroite relation avec les fédérations sportives, à entraîner nos partenaires
européens dans ce combat qui ne concerne pas que le football mais qui intéresse
aussi bien d'autres disciplines susceptibles d'attirer notre jeunesse, pour son
plus grand bien et, pourquoi ne pas l'avouer, pour notre plaisir, en
particulier, quand nous vibrons au succès de nos représentants dans les
compétitions internationales, comme cela s'est passé récemment avec le rugby,
l'escrime, le cyclisme et, bien entendu, le football.
Une tâche considérable, un grand chantier nous attendent. Il est de notre
devoir d'y consacrer une très grande partie de notre énergie.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Murat.
Je remarque que ce sont tous les sportifs qui s'expriment ce matin !
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon.
Il n'est que de voir comment ils montent à la tribune !
(Nouveaux
sourires.)
M. le président.
Je vous incluais dans le nombre, monsieur Fauchon !
M. Pierre Fauchon.
Je ne m'y risque pas ! Je connais mes limites !
(Nouveaux sourires.)
M. Jean Faure.
Il a d'autres talents !
M. le président.
La parole est donc à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat.
Il y a les sénateurs de fond et les sénateurs de sprint !
(Nouveaux
sourires.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de nos jours,
les valeurs sportives théorisées par Pierre de Coubertin sont-elles devenues de
simples alibis ? Appartiennent-elles à un passé révolu ?
Bien entendu, le sport continue, au niveau amateur, de promouvoir le respect
d'autrui, l'apprentissage de la tolérance, l'acquisition d'un mode de vie sain,
le goût de l'effort et le dépassement de soi.
A mes yeux, le sport est aussi un facteur d'intégration, de cohésion sociale
et d'aménagement du territoire. Pour preuve : une enquête réalisée en 1996 a
constaté que le sport en Limousin représentait environ 2 900 emplois à temps
plein, soit 1 % environ de l'emploi régional.
Mais nous voyons en même temps apparaître les aspects négatifs du sport :
dopage, intolérance, violence, nationalisme exacerbé, recherche à tout prix du
profit financier non seulement par l'athlète, mais bien plus encore par son
entourage, dont les agissements heurtent bien souvent l'éthique, voire la
morale.
C'est pourquoi les Etats se doivent de préserver les missions d'intérêt
général qui lui sont attribuées. Ils doivent intervenir pour faire cesser le
dopage ou encore pour encadrer la surenchère financière. Ils doivent être, dans
ce domaine aussi, non pas dictateurs ou spectateurs, mais acteurs du progrès
social en protégeant les sportifs.
Car c'est bien la dimension humaine du sport qui est aujourd'hui remise en
cause. Nous devons absolument protéger le sportif contre tout risque de porter
atteinte à sa santé ou à son intégrité pour une gloire éphémère et une fortune
dont, bien souvent, il ne profitera pas. Nous devons le protéger, y compris
contre lui-même.
Tout le monde s'accorde à constater que le sport est instrumentalisé par les
médias et la publicité, qu'il est saisi par le marché. Cela permet de
comprendre le quasi-abandon des principes fondateurs de l'olympisme et une
recomposition de ce champ autour de valeurs marchandes. Sur ce point, je
prendrai l'exemple des droits de retransmission télévisuelle.
En 1984, ces droits, concernant le football français, représentaient 5
millions de francs. En 1996, ils atteignaient 700 millions de francs ;
aujourd'hui, ils dépassent le milliard de francs.
De même, un sport comme le rugby a dû changer ses règles pour attirer toujours
plus de téléspectateurs non avertis, et ce au mépris de son histoire, de ses
traditions et de son génie propre.
Ainsi, cette dérégulation économique altère l'éthique du sport tout à la fois
dans son fondement objectif, c'est-à-dire la règle sportive comme facteur de
régulation, et dans son fondement subjectif, c'est-à-dire le système de valeurs
communément associé au sport. Les manifestations sportives sont en train de
devenir une affaire de spectacle, où le sport ne sert plus que de prétexte à
des opérations commerciales de promotion des sponsors.
Faut-il en déduire que la préservation des valeurs sportives implique que le
sport échappe totalement à l'emprise des relations monétaires ? Bien sûr que
non !
Force est de reconnaître que le marché a permis, entre autres, une
démocratisation des pratiques en leur fournissant des moyens matériels et
financiers. En outre, la construction de nouveaux équipements sportifs ou leur
réfection nécessitent des investissements importants, que les collectivités
locales petites ou moyennes ne peuvent plus financer seules.
Pour toutes ces raisons, il me semble que les apports financiers extérieurs
sont nécessaires. Ils doivent pouvoir s'effectuer aussi bien par l'acquisition
de parts sociales que par un sponsoring transparent.
Cependant, à mes yeux, le marché ne doit constituer qu'un moyen. La finalité
du sport, c'est-à-dire sa pratique en dehors de la compétition, ne doit pas
être abandonnée à la seule logique du marché.
Non, le sport ne doit pas devenir une « pompe à fric » pour des capitaux
d'origine non identifiée ou pour des fonds de pension californiens !
Dans un marché non régulé, que deviendrait la glorieuse incertitude du sport ?
A terme, le sport ne remplirait plus son rôle dans la politique de la ville,
l'aménagement du territoire et la santé publique.
Afin que la concurrence sportive entre les clubs soit la plus ouverte
possible, la compétition économique doit, selon moi, être encadrée, fût-ce au
prix de l'affirmation d'une exception sportive, car il y va de l'avenir du
sport lui-même. Nous avons le devoir sacré, mes chers collègues, de transmettre
à notre jeunesse la culture du sport que nous avons héritée de nos aînés.
Or c'est précisément le principe d'une telle régulation qui est remis en cause
par le droit communautaire. Je pense tout particulièrement à la vente
collective des droits de retransmission, à la libre circulation des joueurs,
ainsi qu'aux championnats fermés, véritables jeux du cirque modernes où
l'événementiel et le profit immédiat priment sur la sécurité, voire la morale
des athlètes.
La gestion du sport professionnel par une société privée, en dehors du système
fédéral, le précédent commissaire européen chargé de la concurrence, M. Karel
Van Miert, y était favorable. Cette liberté d'entreprendre consiste, pour un
groupement non sportif, à créer une nouvelle compétition dans un secteur
monopolistique. Tel était le projet de
Media Partners
: créer une ligue
européenne de football qui assurerait une présence parmi l'élite, durant trois
saisons au moins, à dix-huit clubs invités sur des critères de notoriété, et
sans qu'ils aient besoin de se qualifier. Je tiens à préciser que cette
suppression de tout aléa sportif a séduit les investisseurs dont le souci
spéculatif s'accommode de plus en plus mal des risques de non-accession à la
Ligue des champions.
Mais cette possibilité ouverte par l'Union européenne fait peser de lourds
risques sur le modèle sportif européen.
Premièrement, elle pourrait entraîner une dévaluation des championnats
nationaux, désertés par les principaux clubs et, par conséquent, par les
meilleurs athlètes.
Deuxièmement, elle pourrait se traduire par un déclin, voire une disparition,
à terme, des compétitions internationales en raison de l'indisponibilité des
joueurs retenus par leurs calendriers de matchs très lucratifs dans les clubs
et qui refuseront les sélections nationales.
Troisièmement, elle représenterait une menace pour la survie du lien entre
sport et nation, qui me paraît d'autant plus important pour la cohésion
nationale depuis la fin du service national obligatoire et la lente agonie des
compétitions scolaires et universitaires.
Quatrièmement, elle risquerait de provoquer une rupture avec le modèle
européen, fondé sur la qualification, la promotion ou la relégation, au profit
du système américain, basé sur l'invitation et le
lobbying.
Enfin, cinquièmement, elle pourrait entraîner une rupture entre le sport de
haut niveau et le sport amateur censé être porteur de valeurs culturelles,
éducatives et sociales, ce qui aurait pour conséquence d'accroître la fracture
sociale dans nos cités.
Face à cette évolution, il me paraît indispensable que les institutions
communautaires prennent en compte la spécificité sportive. Du reste, en 1993,
une disposition de ce genre avait été prise dans le domaine culturel, lors des
accords du GATT. A l'époque, il avait été mis en avant que les lois du marché
ne pouvaient pas s'appliquer « à tout ce qui touche à l'esprit et au corps
».
Les Etats membres de la Communauté européenne devront trouver une solution
sur, au moins, quatre questions fondamentales : le modèle sportif européen, le
sport et la télévision, le sport facteur d'aménagement du territoire, ainsi que
le sport et la politique sociale, plus particulièrement dans son rôle essentiel
pour la mise en oeuvre de la politique de la ville.
Madame la ministre, je me propose d'envisager avec vous quelques pistes de
réflexion sur ces difficultés.
En ce qui concerne le modèle sportif européen, je suis très attaché à sa
construction pyramidale et aux missions d'intérêt général attribuées aux
fédérations.
C'est pourquoi, même si une telle approche se heurte aux dispositions des
traités communautaires, il me paraît nécessaire de renforcer la place des
fédérations. Du reste, cela pourrait être inclus dans l'exception sportive
défendue par la France auprès de ses partenaires européens.
Nous devons, me semble-t-il ; conserver le modèle d'une seule fédération par
discipline et par Etat membre. En effet, si plusieurs fédérations assuraient
les missions d'intérêt général, quelle position occuperaient-elles ? Cela
pourrait occasionner des conflits de compétences dont les conséquences seraient
catastrophiques, en particulier dans le contrôle du dopage.
Mais cela ne signifie pas que je souhaite un
statu quo
sur cette
question, Bien au contraire, j'estime qu'il est indispensable - nous en avons
déjà parlé dans cet hémicycle - de séparer l'argent public consacré à la
formation des jeunes, à la promotion du sport, et l'argent privé généré par les
activités commerciales organisées autour des compétitions.
Il pourrait être envisagé de leur appliquer le système dit de
l'
umbundling
, c'est-à-dire de leur imposer une séparation comptable
entre les actions de promotion du sport et les activités commerciales
organisées autour du club.
En outre, étant donné les risques que j'ai évoqués précédemment, je suis
défavorable à l'apparition des compétitions fermées. En effet, les championnats
fermés vont rompre la solidarité entre le sport amateur et le sport
professionnel. C'est pourquoi l'Union européenne n'a aucun intérêt à se
rapprocher du modèle américain. A mes yeux, les compétitions fermées font
définitivement partie du monde du
show business
.
En ce qui concerne les relations entre le sport et la télévision, je suis très
attaché au maintien de la vente collective de ces droits, car cela permet de
maintenir l'égalité financière dans le sport européen.
De même, il me semble important que les fédérations conservent leur rôle
monopolistique. Mais plusieurs pistes d'adaptation de ce système doivent, là
aussi, être envisagées.
Tout d'abord, pour assurer une certaine transparence, cette vente des droits
de retransmission pourrait s'effectuer au moyen d'un appel d'offres.
Ensuite, en ce qui concerne la redistribution de ces droits, il pourrait être
envisagé d'appliquer au sport européen une technique inspirée du système de la
dotation globale de fonctionnement, la DGF.
Bien sûr, la situation actuelle de la DGF est loin d'être satisfaisante, mais
elle permet de lisser les différences entre collectivités locales dans une
optique d'aménagement harmonieux de notre territoire. Ainsi, nous pourrions
envisager que les droits de retransmission serviraient à financer un « fonds de
solidarité sportive ». Cette dotation serait reversée aux associations
sportives. Elle serait calculée, pour une part, en fonction du nombre de
licenciés et des résultats des clubs aux championnats nationaux et
internationaux et, pour une autre part, au regard de son action dans le cadre
de la politique de la ville pilotée par la commune où le club a son siège.
Telles sont, madame la ministre, les quelques interrogations et propositions
que je souhaitais évoquer sur la politique européenne en matière de sport.
En amont de la conférence d'Helsinki, je vous remercie de bien vouloir
indiquer à la Haute Assemblée votre position sur ces propositions. Elles ont
pour seul objet de conserver au sport sa dimension humaniste et pédagogique et,
enfin, de permettre que le sport, véritable contrat sociétal, reste pour notre
jeunesse la meilleure école de la vie.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'objet de
notre débat ne nous éloigne guère de la discussion que nous avions hier, ici
même, en ce qui concerne les prochaines rencontres de Seattle. En effet, dans
le cadre de la construction européenne, vous avez eu le mérite, madame la
ministre, d'ouvrir le débat sur le dopage à l'échelle européenne avec les
ministres de la jeunesse et des sports. Toutefois, en dépit des efforts que
vous avez pu accomplir, bien des travaux restent à réaliser, bien des objectifs
à faire partager pour parvenir à une politique sportive commune.
La tâche ne sera pas aisée, nous le savons ; vous nous aviez prévenus. Les
difficultés que nous-mêmes rencontrons parfois au sein de notre Parlement pour
parvenir à un accord - je pense, notamment, à notre dernier débat sur les
activités physiques et sportives, mais il est normal qu'il y ait des
discussions - laissent imaginer la complexité de la tâche à entreprendre dès
lors qu'il s'agit de partager à plusieurs pays des points de vue sinon
concordants à tout le moins semblables.
L'Europe occidentale, qui constitue le berceau du sport mondial - les
principaux sports et la pratique que nous connaissons aujourd'hui sont, en
effet, issus de notre continent - doit faire face à bien des défis, alors même
que les valeurs qui fondent traditionnellement le sport font partie intégrante
de l'héritage culturel européen et sont reconnues en tant que telles par le
Conseil de l'Europe.
Certes, des avancées et des perspectives se font jour et, aujourd'hui, la
situation nous éloigne de l'arrêt Bosman - je rappelle qu'il autorisait la
libre circulation des joueurs - même si le principe demeure, ou encore de la
situation qui découlait des orientations de la précédente Commission.
La voie d'une exception sportive se dégage. Mais nous savons qu'en cette
affaire - l'exception culturelle nous en donne encore l'exemple - il faut
toujours non seulement rester extrêmement vigilants, mais encore reprendre bien
des fois le bâton de pèlerin pour défendre une idée de l'Europe fondée sur
d'autres valeurs que celles du marché.
Votre action a d'ores et déjà permis, madame la ministre, qu'une prise de
conscience se fasse jour. Votre projet de loi relatif à la lutte contre le
dopage a montré le chemin à nos partenaires s'agissant de l'intérêt de conduire
une politique commune en la matière.
Du même coup, le 2 juin dernier, les quinze ministres européens des sports
évoquaient la mise en oeuvre d'une politique sportive commune et la notion
d'exception sportive prenait alors corps. Mais ce n'est que le début du combat
à Seattle où des parlementaires communistes seront présents. Ils défendront
cette conception.
Pour conduire une politique sportive commune, il nous faut oeuvrer dans le
cadre à la fois d'une réglementation commune et d'une perception commune des
enjeux sportifs dans nos différents pays. L'avancée de l'une de ces actions
découlera essentiellement de notre capacité à faire progresser l'autre.
La France est attachée - vous l'avez évoqué maintes fois, madame la ministre -
à la préservation d'un certain nombre de valeurs qui fondent la qualité de son
mouvement sportif. Celui-ci tire sa force et son originalité, par exemple, du
mouvement associatif. Il est donc raisonnable que le mouvement associatif soit
pleinement reconnu, car il participe à la valorisation de l'ensemble des
activités sportives de notre pays, du sport pour tous au sport de haut
niveau.
La démocratie, l'égalité, la solidarité sont, elles aussi, des valeurs
essentielles à la pleine expression du mouvement sportif. Les orientations
européennes pour le sport doivent en tenir compte.
La dimension sociale du sport, en Europe et au-delà, doit encore être affirmée
avec force, afin de ne pas couper le sport de masse du sport de haut niveau,
celui-ci tirant sa force de celui-là. Cette dimension sociale ne peut être
posée de manière immanente. Elle impose pour notre pays un certain nombre de
mesures d'accompagnement fiscales, budgétaires et, bien entendu, sociales.
L'Europe elle-même n'a-t-elle pas à prévoir les moyens de valorisation de
cette dimension sociale, afin de permettre une harmonisation des politiques
conduites, voire une coopération pour les pays où la mise en place d'une telle
politique reste encore fragile ?
La dimension économique du sport doit aussi être prise en compte pour mesurer
toute l'importance de celui-ci. Le sport dans notre pays - mais aussi dans
l'ensemble des pays de l'Union européenne - est générateur d'emplois, tant dans
le secteur privé que dans ce que l'on nomme le « troisième système », à savoir
l'économie sociale.
L'enjeu, et ce n'est pas le moindre, consiste à trouver un équilibre entre les
deux secteurs, afin de laisser à la politique publique du sport sa juste
place.
L'économie sociale ne doit pas être entravée par l'économie de marché. Nous
savons combien les logiques de l'une et de l'autre sont différentes.
D'ailleurs, à ce titre, le principe de l'« exception sportive », à l'identique
de l'« exception culturelle », doit prévaloir au sein et à l'extérieur de
l'Union européenne, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, par
exemple.
Ce bref aperçu des travaux auxquels la Commission européenne se doit de
répondre donne une idée de l'ampleur des tâches qui restent à accomplir pour
parvenir à conduire une politique harmonieuse en matière sportive, soucieuse de
l'originalité de chacun des Etats membres.
Encore n'ai-je pas abordé la question de la formation des sportifs, celle de
la coopération européenne des établissements de formation. Nous avons commencé
à en discuter avec la dernière proposition de loi sur le statut des clubs
sportifs ; nous y reviendrons lors de l'examen du texte en seconde lecture. Il
s'agit d'un aspect important de la politique sportive européenne et il est
urgent de régler ce problème.
Le projet de loi relatif à la lutte contre le dopage a montré, je l'indiquais
à l'instant, madame la ministre, mes chers collègues, la voie et la nécessité
qu'il y avait à construire une politique commune du sport dans les pays de
l'Union européenne. Nous savons, nous l'indiquions alors, combien cette
question est importante. Sur ce tracé ébauché, il nous faut construire
encore.
Notre capacité à progresser à l'échelon national sur des dossiers comme le
dopage, la violence dans le sport, le statut de clubs sportifs, les droits de
retransmission audiovisuels et leur mutualisation, le sport de masse, les
femmes et le sport, le sport au travail, le sport à l'école, etc., peut
permettre de montrer la voie de ce que signifie, pour notre pays, la notion «
d'exception sportive ».
Ne fûmes-nous pas les précurseurs de la notion d'exception culturelle, comme
l'a montré notamment l'action menée par Jack Ralite avec les artistes au sein
des états généraux de la culture ? Cette notion transcende aujourd'hui les
clivages politique traditionnels.
Le marché ne doit pas être le parangon de l'ensemble des activités humaines :
nous y perdrions, à n'en pas douter, en humanité.
Le sport ne serait plus une discipline culturelle comme les autres. Les
millions de jeunes qui se sont rassemblés spontanément sur les Champs-Elysées
et dans tout le pays lorsque l'équipe de France a gagné la Coupe du monde de
football et ceux qui sont allés récemment célébrer la demi-finale de la Coupe
du monde de rugby ont fêté l'exploit sportif, et non pas l'argent, bien que
celui-ci occupe une trop grande place dans le sport. C'est ce que nous avons
dit à Mme Fontaine, présidente du Parlement européen, lorsque nous nous sommes
rendus à Strasbourg, sur l'invitation du président du Sénat.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
Mme Hélène Luc.
Nous avons également dit à MM. Barnier et Lamy, qui ont le projet de faire
adopter des textes non plus à l'unanimité mais à la majorité, combien nous
tenions à la première solution.
La construction européenne doit encore moins servir d'outil à déconstruire nos
législations nationales pour nous faire avancer dans le sens d'une prééminence
du marché et de règles libérales assez peu conformes aux intérêts du mouvement
sportif dans son ensemble.
Les dernières orientations de l'Union européenne iront-elles dans le bon sens
? Oui, si nos parlements nationaux se saisissent de ces questions avec la
volonté de promouvoir d'autres choix que ceux qui visent à faire de l'économie
pour l'économie.
Cela aussi, nous l'avons dit à Mme Fontaine.
Nous savons pouvoir compter sur votre détermination, madame la ministre. Vous
pouvez de même compter sur notre soutien pour avancer pas à pas dans la
construction d'une politique sportive européenne soucieuse de préserver
l'ensemble des valeurs du mouvement sportif. Je parle au nom des sénateurs du
groupe communiste républicain et citoyen, mais aussi, je le sais, d'un certain
nombre de mes collègues dans cette assemblée.
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
Mme Hélène Luc.
En 1894, grâce aux efforts de Pierre de Coubertin, notre pays relançait les
jeux Olympiques modernes. Depuis cette date, l'olympisme a connu un succès
planétaire et pris une dimension universelle.
L'an 2000 doit être l'occasion pour l'humanité tout entière de redonner ses
valeurs au sport. Voilà un combat ambitieux pour les filles et les garçons de
notre pays, pour les enfants comme pour les parents. Il nous incombe à présent
de donner du sens à une conception du sport en Europe qui soit fidèle à
l'héritage culturel européen. Quelles que soient les difficultés de la tâche,
notre pays sera à l'honneur.
(Applaudissements.)
M. Hubert Haenel.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou, dont l'ancêtre, le maréchal d'Artagnan,
grand escrimeur, n'était sponsorisé par personne !
(Sourires.)
M. Aymeri de Montesquiou.
Hélas !
M. Pierre Fauchon.
Sinon par le cardinal de Richelieu, peut-être par le Père Joseph, en sous-main
!
(Nouveaux sourires.)
M. le président.
Surtout pas par le cardinal de Richelieu !
(Rires.)
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le président
de la délégation pour l'Union européenne a souhaité que nous débattions
aujourd'hui de la politique européenne en matière de sport, en particulier de
l'arrêt Bosman, du dopage et du modèle sportif européen.
Il est très heureux que nous ayons cette volonté de débattre sur des sujets
proches des préoccupations des citoyens et accessibles à tous.
M. Hubert Haenel.
Oui !
M. Bernard Murat.
En effet !
M. Aymeri de Montesquiou.
Une déclaration relative au sport était annexée au traité d'Amsterdam. Qui le
sait ? Sachons intéresser les citoyens à cette évolution qui les concerne. En
effet, plus du quart des ressortissants communautaires pratiquent un sport.
Notre débat de ce jour a lieu dans un contexte général de réflexion sur
l'avenir du sport sur les plans tant national qu'européen et international.
Sur le plan national, nous avons voté, voilà un mois, une proposition de loi
portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et
sportives, créant notamment les sociétés anonymes sportives professionnelles et
protégeant les sportifs professionnels mineurs. Nous attendons avec impatience
votre projet de loi, madame la ministre. Il nous est promis depuis longtemps.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur son inscription à l'ordre du jour
?
Le sport prend progressivement sa place dans la construction européenne. La
Commission, dans son rapport, reconnaît cinq fonctions au sport : éducative,
sociale, culturelle, ludique et de santé publique. Dans trois semaines, lors du
Conseil européen d'Helsinki, il incombera aux chefs d'Etat et de gouvernement
de fixer les nouveaux objectifs politiques de l'Union en matière de sport.
Sur le plan international, il y a longtemps que les sportifs, singulièrement
les sportifs professionnels, savent que leur terrain de jeux dépasse les
frontières. La conférence interministérielle de l'Organisation mondiale du
commerce, qui s'ouvre à la fin de la semaine, nous rappelle, si besoin était,
qu'aucun secteur n'est exclu de la mondialisation.
Le débat d'aujourd'hui s'inscrit dans cette triple dimension, mais concerne
plus particulièrement la dimension européenne.
En effet, sur le plan communautaire, l'arrêt Bosman, rendu par la Cour de
justice des communautés européennes, met en application le principe de la libre
concurrence pour les joueurs de football professionnels. Il nous appartient
d'évaluer l'impact de cet arrêt sur le sport européen et national. L'arrêt
Bosman fragilise-t-il le modèle européen du sport professionnel ? Cet arrêt
prend uniquement en compte la réalité du monde du football professionnel dans
un marché européen construit sur la libre concurrence. Cet arrêt inquiète les
autres disciplines, car les évolutions du football ont souvent préfiguré les
évolutions générales.
Partons de la réalité sportive en Europe, et singulièrement en France. Les
sportifs de très haut niveau sont souvent pluriactifs : en plus d'un
entraînement intensif au sein d'un club, ils exercent parfois une autre
activité dans une entreprise ou dans une collectivité locale. D'autres sont
étudiants. Pour prendre l'exemple d'un sport aussi populaire que le rugby, en
particulier chez notre collègue Bernard Murat,...
M. Bernard Murat.
Eh oui !
(Sourires.)
M. Aymeri de Montesquiou.
... il n'y a que quatre-vingt-dix joueurs professionnels en France sur les
sept cents joueurs sous contrat.
Mais qu'en sera-t-il pour l'avenir ? Devant le risque du développement de la
logique du marché et de son extension à d'autres disciplines sportives, il nous
appartient de proposer des correctifs pour éviter que les sportifs ne soient
considérés comme une simple marchandise. Ainsi, la question du transfert de
sportifs ne saurait s'envisager sans indemnisation du club d'origine, qui a
montré un véritable rôle de formation. C'est ce que la récente proposition de
loi a prévu pour les jeunes sportifs. Ces modifications doivent être mises en
oeuvre dans le cadre communautaire.
Par ailleurs, madame la ministre, vous avez su démontrer qu'à partir d'une
initiative française le sport européen savait s'unir pour défendre ses valeurs
sur le plan mondial. Permettez-moi de vous en féliciter. La lutte contre le
dopage fait l'unanimité en termes d'éthique sportive. Elle suppose une pratique
sportive nouvelle, même au niveau professionnel.
Si le but du sportif est de toujours se dépasser, qu'il soit amateur ou
professionnel, cela ne doit plus être à n'importe quel prix. Le dopage a une
incidence décisive sur l'image du sport.
Il faut savoir que la durée de vie moyenne d'un joueur de football américain
est de cinquante-quatre ans. En conséquence, bien que ce sport soit l'un des
plus populaires aux Etats-Unis, plus de 40 % des joueurs professionnels de ce
sport presque exclusivement américain sont étrangers. Sur le plan éducatif,
quels parents sont prêts à prendre le risque que leurs enfants s'investissent
dans un sport au risque qu'ils y perdent la santé ? Sur le plan financier,
quels sponsors accepteront de s'associer à des sports qui se sont salis ? Les
fédérations ont un rôle central d'information et une grande responsabilité dans
l'efficacité du message.
Les nombreux appels recueillis sur la ligne téléphonique antidopage depuis un
an montrent qu'aucun sport ni aucun type de pratiquant n'est totalement
épargné. Votre initiative a recueilli l'approbation de vos collègues européens
et a permis aux quinze d'arrêter une position commune. Une extension à
l'échelle mondiale était indispensable, sous peine de laisser s'installer
l'incohérence et de voir annihilés tous ces efforts. Après une forte
mobilisation du Comité olympique international, l'Agence mondiale antidopage,
l'AMA, a vu le jour le 10 novembre dernier, à Lausanne - son siège provisoire -
et c'est une excellente chose.
L'exemple de la lutte contre le dopage illustre bien la défense possible d'une
conception européenne du sport.
Elle est fondée également sur une large pratique du sport amateur,
l'implication de bénévoles et un équilibre entre amateurs et professionnels. A
l'intérieur d'un même sport, il faut une interaction entre les professionnels
et les amateurs, qui forment un tout. Les succès des équipes de France
professionnelles sont très motivants pour les jeunes amateurs. On ne peut
accepter un clivage à l'intérieur d'un même sport avec, d'un côté, les sportifs
professionnels et, de l'autre, les amateurs, ce qui conduirait à considérer les
premiers comme des produits marchands et à enfermer les seconds dans un
ghetto.
Tous les sports ayant valeur d'exemplarité, veillons aussi à ce que les
champions aient des statuts comparables pour éviter le clivage entre les sports
commerciaux et les sports confidentiels. Est-il bien normal, en effet, que
Patrice Martin, champion du monde de ski nautique pour la douzième année, soit
obligé de travailler à mi-temps ? Si la pluriactivité est souhaitable et peut
aider à la reconversion du sportif, elle ne doit pas non plus être une
obligation qui handicape celui qui doit s'entraîner.
Madame la ministre, il vous est demandé de faire des propositions sur les
relations entre le sport et le droit européen. Permettez-moi d'exprimer une
réflexion sur le rôle des fédérations.
La reconnaissance de la spécificité du sport européen doit couvrir la totalité
du sport, qu'il soit amateur ou professionnel. Comment concilier la liberté de
circulation des travailleurs que sont les joueurs professionnels avec le droit
de regard des fédérations ? Il serait irréaliste de revenir sur la libre
circulation des sportifs professionnels en Europe. Cependant, leur activité
doit se poursuivre dans le cadre des fédérations, qui ont deux responsabilités
majeures : d'une part, la lutte contre le dopage, qui ne pourra être menée à
bien que si elles s'impliquent totalement ; d'autre part, la formation, pour le
sport amateur comme pour les petits clubs qui devront être en grande partie
financés par les recettes issues, entre autres, des retransmissions télévisées.
En retour, il est souhaitable que la puissance publique accompagne l'évolution
des fédérations vers toujours plus de compétence et de transparence.
Permettez-moi enfin d'insister sur deux points qui concernent plus
particulièrement notre pays.
Il est évident que la pratique du sport scolaire et universitaire est tout à
fait insuffisante dans notre pays. Les Etats-Unis, qu'il m'arrive de critiquer
en politique étrangère, ont su faire du sport une matière essentielle de leur
enseignement. Dans ce pays, le sport fait partie intégrante de la formation,
car il donne le sens de la compétition et - donc - constitue une véritable
école de la vie.
Cette compétition induit obligatoirement le terme de « sélection ». Ne
pensez-vous pas que proscrire ce terme de tout le cursus scolaire et
universitaire est une incohérence vis-à-vis de la formation à travers le sport
? J'aimerais connaître votre position au sujet du mot « sélection », dont
l'utilisation paraît tellement sulfureuse. J'aimerais aussi et surtout
connaître les mesures que vous comptez prendre pour valoriser le sport à
l'école et dans le cursus universitaire.
Je tiens également à souligner que le sport en France est pénalisé par les
charges sociales, la fiscalité et les dispositions de la loi Evin touchant à la
publicité et au parrainage.
Pour ce qui est des deux premiers points, on peut souhaiter un lissage
européen et imaginer qu'il soit inéluctable. Pour ce qui est de la loi Evin,
dont les ambitions sont louables mais les résultats contestés par le récent
rapport du commissariat général du Plan, elle est pénalisante, car, dans la
médiatisation des événements sportifs majeurs, elle place les entreprises
françaises et les produits régionaux en état d'infériorité par rapport à leurs
concurrents.
Madame la ministre, nous défendrons d'autant mieux l'identité européenne
sportive à l'extérieur que nous saurons créer à l'intérieur une harmonisation
des conditions d'une concurrence sans distorsion.
Le Conseil européen d'Helsinki rapprochera les politiques sportives en Europe.
Les jeux de Sydney seront une excellente illustration de la lutte contre le
dopage que vous avez initiée.
Madame la ministre, vous pourriez compter sur le groupe du RDSE pour soutenir
une politique qui soulignerait le rôle majeur du sport dans la formation de
notre jeunesse, prendrait une part active au maintien d'une éthique sportive et
défendrait le modèle sportif français et européen.
(Applaudissements sur les
travées du RDSE, du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en Europe,
l'augmentation constante du nombre de pratiquants sportifs et la popularité
croissante de certaines disciplines, comme le football, ont placé le sport au
coeur d'enjeux économiques et financiers qui le conduisent à être de plus en
plus confronté à la matière juridique.
Or, la multiplicité des règlements des instances sportives, des législations
nationales, du droit européen, et par-delà leur manque d'homogénéisation,
créent parfois des problèmes d'articulation : l'arrêt de la Cour de justice des
Communautés européennes en date du 15 décembre 1995, dit arrêt Bosman, a une
valeur d'exemple bien malheureuse à cet égard.
Concrètement, il a entraîné une spéculation sur les meilleurs jeunes sportifs,
favorisant leur départ vers de grands clubs européens. Au-delà, cet arrêt peut
permettre le pillage des meilleurs éléments des centres de formation, car ces
derniers ne disposent pas des moyens financiers pour les retenir.
Cet arrêt a suscité une grande émotion au sein du monde sportif et a donné de
l'Europe l'image mauvaise d'une technocratie bien éloignée des réalités du
sport, voire contre les intérêts éthiques du sport. Certaines réactions ont
ainsi laissé croire que l'Europe menait une politique de laisser-faire fondée
sur la libre concurrence.
Or, dès 1991, la Commission européenne a adopté une communication visant à
établir des lignes directrices pour l'action communautaire dans le domaine du
sport ; au-delà, elle a rendu possible la création d'un Forum européen du
sport, enceinte de dialogue privilégiée entre la Commission et les
organisations sportives.
En 1992, une charte européenne sur le dopage a été adoptée par le conseil des
ministres de la santé, premier élément d'une lutte qui allait malheureusement
se révéler sans effet.
Plus récemment, en 1998, un rapport de la DG X a défini cinq fonctions du
sport qui constituent sa spécificité : fonction éducative, fonction de santé
publique, fonction sociale, fonction culturelle et fonction ludique.
Ce rapport a permis une prise de position nécessaire par les Chefs d'Etat et
de gouvernement lors du Conseil européen de Vienne en décembre 1998, tant sur
la lutte contre le dopage que sur la nécessité de sauvegarder les structures
sportives actuelles et de maintenir la fonction sociale du sport dans le cadre
communautaire, ce qui constituait déjà un engagement fort.
La rencontre des ministres européens des sports à Paderborn, en juin, et les
premières assises du sport de l'Union européenne ont donné des pistes de
réflexion en vue de l'établissement d'un nouveau rapport que la Commission doit
soumettre au Conseil européen d'Helsinki en décembre, dont nous attendons
beaucoup, et qui a servi de base de travail à la réunion des directeurs du
sport des Etats membres, du 18 au 20 octobre à Helsinki. Leurs conclusions
renforcent le principe de la spécificité sportive et ses nécessaires exceptions
à la libre concurrence. Plusieurs points sont plus particulièrement
notables.
Outre l'intégration sociale des jeunes, la reconnaissance et la comparaison
des diplômes obtenus et des formations reçues dans les différents pays sont
essentielles. De plus, dans la politique de l'emploi de l'Union européenne pour
2000, le sport devra être inscrit dans les lignes directrices comme un domaine
horizontal dans la promotion des initiatives d'emploi et des innovations dans
les Etats membres. Un observatoire européen des métiers du sport et de
l'animation, comme pour l'observatoire des innovations en éducation et en
formation, pourrait être mis en place dans ce cadre.
A été aussi réaffirmé le fait que le sport, en tant que phénomène populaire et
promoteur de la démocratie, reste un moyen efficace pour renforcer la
solidarité ainsi que les échanges entre les peuples européens et, au-delà,
l'affirmation d'une réelle citoyenneté européenne.
Prenons exemple sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse, dont j'ai bien
noté, madame la ministre, la hausse des crédits alloués dans le projet de
budget pour 2000. Cet organisme doit être développé afin qu'il devienne une
véritable force de propositions. Les rencontres devraient être plus régulières,
et plus spécifiques à certains thèmes. D'ailleurs, ne pourrait-on pas l'élargir
à d'autres pays de la Communauté, ou créer un office européen qui aide aux
échanges ?
De même, le Parlement européen des jeunes devrait-il être pérennisé. Pourquoi
ne pas envisager une assemblée européenne des jeunes sportifs ?
Ces quelques exemples montrent que la prise de conscience, de la part des
ministres européens des sports et du Conseil de l'Europe, sur l'urgence
d'harmoniser les politiques des pays européens doit se renforcer.
Mais revenons à l'arrêt Bosman, fondé sur deux principes du traité de Rome :
la non-discrimination et la libre circulation des travailleurs. Il est clair
que ces principes ne peuvent s'appliquer au sport, car ils ne tiennent pas
compte des rôle éducatif, culturel et moral de celui-ci.
En effet, les manifestations sportives sont fondées, pour le respect de
l'équité, sur la différenciation des participants en fonction de leur sexe, de
leur âge ou de leur catégorie de poids et, pour les sports d'équipe, sur des
notions d'identité, de cohésion, de représentation d'une ville, d'un
département, d'une région ou, pour les équipes nationales, d'un pays.
En prenant en compte la spécificité du sport, la Cour de justice pourrait
prendre un autre arrêt et revenir de façon explicite et volontaire, comme elle
l'a déjà fait dans d'autres cas, sur sa décision antérieure.
Par ailleurs, les différents scandales sur le dopage, l'attitude parfois
contradictoire des fédérations sportives, ont pu laisser penser à un certain
désintérêt de l'Europe sur cette question. Or, le 1er janvier 2000, l'Agence
mondiale antidopage verra le jour grâce à vos efforts, madame la ministre,
auprès de vos homologues européens à Lausanne, en février dernier, puis à
Paderborn.
Néanmoins, son fonctionnement et son évolution devront être suivis de près
afin que son efficacité soit régulièrement améliorée.
Les principes fondamentaux du sport, la compétition, l'engagement individuel,
le dépassement de soi, la volonté, la loyauté, l'hygiène de vie et la santé, ne
doivent pas céder la place à la recherche d'une suprématie, d'un écrasement de
l'adversaire, sous la pression des sponsors et des médias.
L'attrait de l'argent, de la célébrité, du pouvoir, tend à faire primer
l'intérêt particulier sur l'intérêt général.
De même, sans rappeler les Jeux de 1936, ces cinquante dernières années ont
été souvent marquées par l'intérêt démesuré de puissances politiques pour les
compétitions sportives, entre l'Est et l'Ouest en particulier. Le nombre de
médaillés devait refléter le bien-fondé de tel ou tel régime, ce qui a induit
de nombreuses dérives et favorisé notamment le dopage des athlètes.
C'est aujourd'hui le rôle de la puissance publique de remédier à ces
tendances, et celui de notre Gouvernement de proposer des mesures pour un
règlement communautaire en matière sportive. Il est indispensable qu'à
l'échelon européen l'accent soit mis sur certains points qui nous semblent
essentiels.
L'Union européenne doit favoriser le dialogue entre les pays européens, les
organisations sportives européennes et internationales, mais aussi les
organisations non gouvernementales, les ONG, et les associations d'éducation
populaires, afin que le sport soit toujours pris en compte dans sa fonction
humaniste et citoyenne.
Pourquoi ne pas lancer un programme d'équipements sportifs européen pour
permettre l'accès à la pratique sportive de l'ensemble de la population,
licenciée ou pas ?
Le bénévolat, parce qu'il reste au coeur du développement du sport européen,
doit être renforcé, car il traverse aujourd'hui une crise importante. Le manque
de moyens, de disponibilité, de reconnaissance et le sentiment d'inégalité face
au sport professionnel entraînent un déficit croissant des effectifs pour
l'encadrement. Il convient donc d'agir rapidement en sa faveur, tant à
l'échelon national qu'à l'échelon européen. Un règlement portant statut de
l'association européenne parallèlement à celle des statuts européens pour les
mutuelles et les coopératives pourrait être adopté.
Enfin, la formation professionnelle et la protection des jeunes sportifs
doivent également constituer une priorité.
S'il est bon de légiférer sur le sport comme vous le prévoyez, il est
indispensable, et possible, d'harmoniser la réglementation à l'échelon
européen, en faisant reconnaître la spécificité du sport.
Nous attendons donc beaucoup du Conseil européen d'Helsinki. Tout le travail
de préparation réalisé en amont depuis plusieurs années par les instances
européennes, par les instances sportives et par les ministres nationaux du
sport devra permettre des avancées importantes pour l'action communautaire.
Les réflexions approfondies de la DG X et l'implication de Mme Reding,
commissaire européenne chargée du sport, y contribueront sans aucun doute.
L'harmonisation des règlements dans un cadre sûr et stable est une des clés du
maintien de la fonction sociale du sport en Europe, et la France doit continuer
à jouer en ce sens son rôle d'impulsion. Nous comptons sur vous, madame la
ministre, et vous réaffirmons notre soutien pour que l'Union européenne
continue d'évoluer dans le bon sens, et dans les meilleurs délais possible.
Agir est aujourd'hui une urgence.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord vous remercier très sincèrement
de la qualité des réflexions et des propositions que vous venez d'exposer. Je
ne sais si je pourrai toutes les reprendre mais je les ai toutes notées.
Elles touchent à la préservation des structures associatives du sport dans les
pays de l'Union européenne, et notamment des valeurs éducative et sociale de
celui-ci. Vous y êtes attachés. Vous le savez, je le suis également.
C'est pourquoi je souhaiterais d'emblée évoquer tout le chemin qui a été
parcouru au cours des dernières années.
Jusqu'à une période relativement récente, le sport associatif est resté absent
des enjeux européens. La seule enceinte où l'on parlait de sport au sein de la
Commission européenne était la direction générale chargée de la concurrence
économique, et la seule doctrine en vigueur était tout simplement d'appliquer
au sport les mêmes règles qu'à toute activité marchande.
Cette approche a eu de graves conséquences. Elle a conduit à une
multiplication des recours. L'arrêt Bosman en a été l'exemple le plus
révélateur. A ce propos, je crois que les conséquences de cet arrêt sont, hélas
! plus graves que vous semblez le penser, monsieur Haenel.
Si l'on ne peut pas reprocher à un sportif, bien au contraire, d'avoir envie
de faire une expérience dans un autre pays ou à un pays d'accueillir des
sportifs étrangers pour participer aux compétitions sportives, il faut tout de
même bien voir que le nombre des transferts, parfois plusieurs par saison, au
risque de nuire à la carrière des sportifs, est important. Mais il faut surtout
mesurer le déséquilibre qui s'installe entre continents, entre pays d'un même
continent, entre clubs d'un même pays sur le seul critère des possibilités
financières. Vous avez raison, monsieur de Montesquiou, cela peut s'étendre
très vite à d'autres sports qui sont en train de se professionnaliser, vous
avez évoqué à cet égard l'avenir du rugby.
Nous assistons à une déréglementation extrêmement préoccupante. Un système
s'installe, qui bloque l'argent en haut de la pyramide, au niveau du
professionnalisme, au détriment, comme vous l'avez dit, monsieur Bordas, du
club local, du club amateur. Cela nuit aux clubs qui font l'effort de
formation, puisque l'on achète maintenant des sportifs de plus en plus jeunes.
Mme Luc a souligné l'importance de ces clubs de formation pour le développement
et les résultats du sport dans notre pays.
A partir de ce constat, un certain nombre de pays, dont la France, ont fait
progresser une idée nouvelle : le sport ne peut être réduit à une activité
marchande. Son rôle économique n'est pas niable, vous avez raison de le
souligner, monsieur Herment, mais ses structures ne pourront être sauvegardées
que par une approche spécifique au sein de l'espace communautaire.
Au mois de mai 1998, lorsque mes collègues ministres des sports de l'Italie,
de l'Espagne, du Portugal et moi-même, nous nous sommes rendus devant la
Commission européenne, c'est le commissaire à la concurrence qui nous a reçus.
Aujourd'hui, grâce à l'action des Etats, qu'il faut poursuivre, Mme Reding est
présentée dans la presse comme « la commissaire chargée des sports ». Ce fait
n'illustre-t-il pas combien la situation a évolué en deux ans et demi ?
Mais, comme vous l'avez dit, madame Luc, les problèmes demeurent.
Nous sommes donc à présent engagés dans une nouvelle phase : celle de la
reconnaissance des spécificités du sport au regard de l'application des règles
communautaires.
Ces spécificités tiennent à la nature et à la finalité du sport, à la place
originale de cette activité humaine comme élément constitutif d'une culture,
d'une identité, d'un engagement individuel et collectif, d'une solidarité et
d'une citoyenneté active.
De ce point de vue, la réunion des ministres des sports qui s'est tenue à
Paderborn, les 1er et 2 juin dernier a constitué un acte fondateur. En effet,
pour la première fois, les ministres des sports des quinze pays de l'Union
européenne ont unanimement exposé, dans des termes concrets, ce que recouvre
cette notion de spécificité. La France a ainsi demandé - je cite les
conclusions adoptées - que cette approche spécifique soit reconnue « dans
l'application des règles de la concurrence et du marché intérieur, dans les
mesures de l'Union européenne relatives au sport et à la télévision ainsi que
dans les actions communautaires de l'Union européenne sur le sport ». Je suis
heureuse de vous informer que lors du Conseil formel des ministres de la
jeunesse qui s'est tenu hier à Bruxelles, nous avons adopté une résolution
destinée à ce que les activités sportives soient considérées pour leur rôle
éducatif et prises en compte par le programme jeunesse de l'Union
européenne.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Cela me conduit d'ailleurs à
examiner avec beaucoup d'attention les propositions de M. Lagauche sur
l'assemblée européenne des jeunes sportifs ou l'élaboration d'un statut à
l'échelon de l'Union européenne concernant la situation des bénévoles.
Nous avons aussi demandé - je cite toujours les conclusions adoptées - que
cette approche spécifique soit reconnue « dans l'intérêt que porte l'Union
européenne à l'action des Etats membres et des organisations sportives sur la
protection des sportifs mineurs, la formation des jeunes, le rôle social et les
fonctions de solidarité du sport ». Nous pourrions ajouter - vous avez raison,
madame Luc - la place des femmes dans le sport et la pratique du sport au sein
des entreprises.
Certes, ces conclusions n'ont pas valeur de décision. Il était cependant
indispensable de parvenir à cette volonté commune pour déboucher ensuite sur
des actes communs.
Au Conseil européen de Vienne, en décembre dernier, comme vous l'avez
souligné, monsieur Lagauche, les chefs d'Etat et de gouvernement avaient invité
la Commission européenne à préparer un rapport « dans l'optique de la
sauvegarde des structures actuelles du sport et du maintien de la fonction
sociale du sport dans le cadre communautaire ».
Dans quelques jours, le président de la Commission doit présenter lors du
Conseil d'Helsinki deux communications importantes : l'une sera consacrée à la
sauvegarde des structures actuelles du sport et l'autre à la lutte contre le
dopage.
Il appartiendra ensuite au Conseil européen de décider quelle suites donner à
ce rapport.
Comment avancer ? Trois exemples illustrent la façon dont pourrait se
concrétiser l'approche européenne nouvelle positive que vous avez appelée de
vos voeux, monsieur Haenel, pour sauvegarder les structures actuelles du
sport.
Le premier exemple concerne l'arrêt Bosman. Comment endiguer ses effets
négatifs et revenir à un juste équilibre ? Comment préserver la diversité du
sport de haut niveau à travers le monde, sans remettre en cause la liberté de
mouvement des sportifs ? Je pense que la réponse relève d'une responsabilité
conjointe et complémentaire de mouvement sportif international et de l'Union
européenne. En d'autres termes, il appartient aux fédérations internationales,
notamment à la FIFA pour le sport le plus planétaire, de déterminer les règles
sportives capables d'assurer un équilibre entre le respect des libertés
individuelles et la préservation des politiques de formation et de sélection
nationale.
Parallèlement, l'Union européenne doit apporter un soutien politique à cette
démarche et prendre toutes dispositions nécessaires pour appuyer cette nouvelle
règle sportive.
Je sais que le président de la FIFA a eu des contacts avec la Commission
européenne. Je dois moi-même rencontrer prochainement M. Blatter pour examiner
avec lui la façon dont cette complémentarité peut s'exercer dans l'intérêt du
sport.
Le deuxième exemple concerne les monopoles dont bénéficient aujourd'hui les
fédérations sportives pour l'organisation des compétitions et le principe de la
vente collective des droits de télévision.
Ces droits sont aujourd'hui menacés par des projets concurrentiels privés que
vous avez cités, monsieur Murat, comme la Superligue de football, ou par
l'exigence de certains clubs qui entendent négocier eux-mêmes directement les
droits à la place de leur fédération.
Vous avez raison, monsieur Murat, si de tels projets aboutissaient, ils
remettraient très gravement en cause la cohésion du sport et le bon
fonctionnement des championnats nationaux et internationaux.
La position de monopole des fédérations dans ces domaines doit donc être
préservée si elle répond à un critère sportif - l'organisation des compétitions
- et si les fédérations redistribuent l'argent acquis en direction de
l'ensemble de la pratique sportive.
D'ailleurs, monsieur de Montesquiou, le dernier volet de la refonte de la loi
de 1984, qui arrivera effectivement en février 2000, va prévoir un prélèvement
de 5 % sur les droits de télévision pour alimenter les pratiques amateurs.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Cela signifie qu'un avis négatif
de la Commission à l'égard de tout projet de compétition privée et fermée ou de
toute remise en cause des droits des fédérations doit être clairement rendu.
Je mets toutefois le mouvement sportif en garde contre le risque de voir les
fédérations européennes sportives multiplier elles-mêmes les compétitions en
suivant l'exemple de ceux qui voulaient organiser la Superligue de football.
Mais je suis profondément convaincue qu'il faut maintenir l'ensemble des
pouvoirs des fédérations, qui sont avant tout des associations et dont le rôle
sera renforcé par le futur projet de loi.
Le troisième exemple concerne certains dispositifs nationaux visant à
favoriser les clubs locaux, les « petits clubs », et les fonctions sociales du
sport. Après avoir parlé de la redistribution d'un prélèvement de 5 % sur les
droits de télévision, je voudrais maintenant mentionner les subventions
publiques.
Je pense en effet qu'il faut, comme le prévoit la proposition de loi qu'à
adoptée le Sénat, rétablir les subventions publiques aux clubs professionnels à
partir du moment où ces sommes sont utilisées dans l'intérêt général, par
exemple, la formation des jeunes ou le développement de l'emploi dans les
clubs.
Je suis d'avis que la Commission se doit d'admettre le maintien de ces
subventions dans ce cadre et j'ai bon espoir qu'elle prenne une décision en ce
sens.
Ces trois exemples, parmi bien d'autres, me conduisent à vous faire part d'une
interrogation : de quoi a besoin la reconnaissance du sport en Europe ? Est-ce
d'un cadre juridique unique pouvant donner lieu à des directives dans tous les
domaines ou est-ce au contraire de la reconnaissance du bien-fondé de certaines
décisions échappant aux règles communautaires, d'un développement des
coopérations entre les Etats membres et d'une recherche d'harmonisation des
dispositifs nationaux qui comportent des dimensions européennes ? Vous devinez,
monsieur Bordas, que je penche plutôt en faveur de la seconde solution.
M. Hubert Haenel.
Moi aussi !
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Ainsi, si nous avons réalisé des
avancées majeures dans le domaine de la lutte contre le dopage, d'autres sujets
touchant aux valeurs essentielles du sport et à l'éthique devraient également
faire l'objet de réglementations harmonisées.
Je pense notamment à la protection de la santé des sportifs, aux transactions
sur les mineurs et aux conditions de transfert dans le sport professionnel.
Par ailleurs, des règles communes de transparence et de bonne gestion incluant
des mécanismes de contrôle devraient permettre de garantir l'équité des
compétitions.
Sur ma proposition, un projet est en cours d'élaboration au sein de l'Union
européenne de football car nous sommes, monsieur Bordas, - vous avez eu raison
de le souligner -, dans une situation de concurrence déloyale au niveau du
sport professionnel en Europe.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
J'en viens à présent à la lutte
contre le dopage : chacun reconnaît aujourd'hui que l'attitude déterminée de la
France a créé une dynamique de mobilisation pour de nombreux Etats.
Ces efforts et cet engagement sont à l'origine de la conférence mondiale sur
le dopage qui s'est tenue du 2 au 4 février 1999 à Lausanne, à l'initiative du
Comité international olympique, et qui vient d'aboutir à la création d'une
Agence mondiale antidopage, sur une base d'indépendance et de transparence.
Les quinze Etats membres ont pris une part très importante, non seulement à la
mise en place de l'Agence, mais surtout à la définition de ses missions et à
son élargissement à toutes les régions du monde.
D'ailleurs, lors de la rencontre qui vient de se dérouler à Sydney avec les
pays des cinq continents, les Etats-Unis d'Amérique ont adopté une résolution
appuyant cette démarche. Il ne vous a sûrement pas échappé que tel n'était pas
le cas voilà quelques mois, voire quelques semaines.
Les conditions sont donc réunies pour que l'Agence soit opérationnelle durant
l'année 2000. C'est un succès significatif, qu'il faut mettre au crédit de la
persévérance de la France, qui a su entraîner dans son sillage les autres
membres de l'Union européenne.
Cela dit, la responsabilité de l'Union européenne ne doit pas se limiter à sa
présence dans l'Agence. Au niveau des Etats, il est désormais indispensable que
la coopération s'élargisse, notamment au domaine de la prévention, comme l'a
souligné M. Herment, et à celui de la recherche scientifique et médicale sur
l'amélioration de l'efficacité des contrôles, la détection des produits
interdits et la connaissance des effets à long terme de certaines substances
illicites.
Enfin, l'Union européenne dispose de compétences et d'outils qui doivent
pouvoir être mis au service de la lutte contre le dopage.
Nous avions d'ailleurs souligné, à Paderborn, qu'il était « nécessaire que les
dispositifs communautaires actuels de coopération policière, judiciaire et
douanière intègrent dans leur champ d'action la lutte contre les trafics de
produits dopants ».
C'est donc aux Conseils européens compétents qu'il appartient d'intégrer dans
ces dispositifs communautaires des mesures spécifiques à la lutte contre le
dopage. Je pense qu'il importe toutefois que les ministres des sports restent
les coordonateurs de cette action.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Tout d'abord, cette action ne peut
se mener qu'en collaboration avec le mouvement sportif. Or, qui sont les mieux
à même de travailler à cette complémentarité, sinon les ministres des sports ?
Je crois qu'il faut maintenir la sanction et la responsabilité sportive sans
négliger les suites policières et judiciaires consacrées aux filières, ni le
travail de prévention naturellement assorti et d'un volet « santé ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, il arrive que la violence se déchaîne dans,
autour et parfois sur les stades, non seulement à l'occasion de grands matchs,
mais aussi lors de matchs opposant des cadets au niveau départemental.
Pour surmonter cette violence qui concerne notamment les jeunes, je pense que
nous avons surtout besoin d'une présence beaucoup plus importante d'adultes
qualifiés et d'éducateurs. Nous y travaillons avec la mise en place d'un
dispositif qui nous a amenés à recruter pour la Seine-Saint-Denis une
quarantaine de personnes.
Dans la mesure où le hooliganisme fait intervenir des formes de violence
organisée, la réponse ne peut être que policière.
Nous disposons en France et d'une législation qui nous donne des moyens
d'action et qui est, à mon sens, trop peu utilisée, notamment pour sanctionner
certains groupes de supporters qui, soit commettent des actions d'une extrême
violence, soit tiennent des propos xénophobes ou racistes dans les enceintes
des stades.
La loi Alliot-Marie que nous avons encore renforcée lors de la dernière Coupe
du monde de football autorise la double peine en permettant d'interdire à
certains supporters l'accès aux stades. Il faut vraiment que les victimes
portent plainte et que les clubs prennent leurs responsabilités pour que ces
dérives soient sanctionnées.
Plus généralement, après les événements dramatiques survenus en 1986 et 1987
dans les stades en Belgique et en Grande-Bretagne, des coopérations avaient été
engagées pour prévenir de tels incidents. Considérablement renforcées au cours
de la préparation de la Coupe du monde, elles ont permis l'identification de
groupes de
hooligans,
et favorisé l'intervention très rapide des
policiers et des juges pour que la comparution de ces individus ait lieu dans
la journée. Il faut développer ces formes de coopération.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque nous avons engagé notre politique
de lutte contre le dopage ou lorsque nous avons proposé de protéger les droits
des sportifs mineurs - je dis « nous », parce que nous nous sommes retrouvés
sur les valeurs du sport dans cette enceinte - certaines voix nous prédisaient
un sombre avenir. A les en croire, la France était promise à l'isolement, nos
résultats s'en trouveraient affaiblis, bref, notre politique était vouée à
l'échec.
En dépit de ces sombres prédictions, des législations nationales de lutte
contre le dopage sont désormais en débat devant les Parlements nationaux
d'Italie, des Pays-Bas et de Suède. Le gouvernement britannique vient de
retenir un dispositif de taxation de 5 % des droits de télévision dans le
football pour les redistribuer aux clubs amateurs. La lutte contre
l'exploitation des sportifs mineurs est désormais engagée en France, en
Belgique, aux Pays-Bas et en Italie. Avec votre soutien et vos contributions,
je ne doute pas que nous marquerons de nouveaux points pour promouvoir une
conception de l'Europe au service du sport, dans le respect de l'ensemble de
ces valeurs.
D'autres sujets ont été abordés. C'est ainsi que M. de Montesquiou a évoqué le
sport à l'école et à l'université.
Je partage son inquiétude quant à la pratique même de l'éducation physique qui
exigerait plus d'heures, notamment à l'échelon du primaire où nous devons
véritablement trouver une solution.
Je suis, moi aussi, préoccupé par la vitalité des associations scolaires et
universitaires à l'égard desquelles j'ai adopté des mesures d'aide. Vous pouvez
compter sur moi pour prendre, en collaboration avec le mouvement sportif,
d'autres initiatives afin de permettre à ces associations sportives de trouver
un nouveau développement.
Je vous remercie du travail accompli durant cette matinée, qui va nous
permettre d'avancer vers une réelle prise en compte du sport dans l'Union
européenne.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux,
nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quinze, est reprise à quinze
heures.)