Séance du 23 novembre 1999
CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE
DE L'ORGANISATION MONDIALE
DU COMMERCE
Suite du débat sur une déclaration
du Gouvernement
M. le président.
Nous poursuivons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la
conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la conférence des présidents a fixé
à trois heures le temps de parole réservé à tous ceux d'entre nous qui
souhaitaient intervenir dans ce débat. Dans la mesure où nous avons pris un
certain retard, j'invite les orateurs qui doivent encore s'exprimer à la plus
grande concision possible.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier.
Je vais m'efforcer d'accéder à votre souhait, monsieur le président.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la conférence de Seattle,
troisième du genre depuis la création de l'Organisation mondiale du commerce en
1995, sera un moment important pour les nouvelles négociations sur la
libéralisation du commerce mondial.
Je félicite vivement notre collègue Michel Souplet pour son excellent rapport,
fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, et je partage
pleinement la proposition tendant à faire de Seattle l'amorce d'un cycle de
négociations d'un style nouveau.
Il s'agit, en effet, de parvenir à un accord global de négociations, et non
plus à des accords sectoriels, pour aboutir à des solutions équilibrées et
profitables à tous les membres de l'OMC.
Les négociations doivent non pas se restreindre à l'agriculture et aux
services, mais aborder l'ensemble des sujets liés à la libéralisation du
commerce mondial : travail, environnement, sécurité alimentaire,
investissements, concurrence, finances, assurances, etc.
Cette conférence doit tirer les leçons des précédents cycles, qui avaient,
hélas ! vu essentiellement l'affrontement des Etats-Unis et de l'Union
européenne, délaissant les pays en voie de développement.
Il s'agit désormais d'imposer un jeu plus ouvert, afin que le progrès soit
partagé par tous. C'est pourquoi nous pouvons nous féliciter de la prochaine
entrée de la Chine dans l'OMC : il paraissait difficile de laisser de côté 20 %
de la population mondiale !
L'Union européenne dispose d'un poids considérable étant donné sa place
nouvelle sur l'échiquier international. C'est en valorisant son exemple, fondé
sur la prise en compte des différences et des intérêts de chacun de ses pays
membres, que l'Union européenne doit négocier à Seattle, de manière que le
prochain cycle considère justement et équitablement les approches de chacun des
adhérents de l'OMC.
Une attention particulière doit être portée aux pays les plus pauvres. Il
convient non seulement de favoriser leur expression démocratique au sein d'une
instance de « gouvernance mondiale », mais aussi et surtout de faciliter leur
intégration, qui est hautement nécessaire.
Nous le voyons chaque jour davantage, les conflits qui ensanglantent le monde,
qu'ils soient ethniques, religieux, culturels ou économiques, annihilent les
espoirs de développement des populations.
Il s'agit d'accorder une priorité à l'insertion des pays en voie de
développement dans les échanges commerciaux internationaux en tenant compte de
leurs particularismes, tout en opérant une distinction entre pays émergents et
pays les moins avancés, de façon à traiter les uns et les autres de manière
différenciée.
Le libéralisme absolu, sans frein, est une catastrophe pour les pays les moins
avancés, qui voient leurs matières premières brutes, c'est-à-dire leur unique
source de revenu, payées à vil prix.
C'est en facilitant leur intégration dans le concert des pays « riches » que
nous leur éviterons la spirale infernale vers le repli sur soi et la crispation
des différences. Il semble donc indispensable de leur accorder une
représentation démocratique équitable au sein de l'Organisation. Or,
actuellement, nombre de pays en voie de développement ne disposent pas du droit
de vote ou le partagent à plusieurs.
Nous nous posons constamment en « donneurs de leçons » du monde contemporain.
Quelle peut être notre crédibilité auprès de certains pays, notamment ceux du
Sud, si nous ne sommes pas capables de mettre en pratique nos principes
fondateurs au sein des instances décisionnaires mondiales ?
Le développement, comme le souligne le très bon rapport de la députée Béatrice
Marre, est une priorité pour aboutir à un monde multipolaire.
Ainsi que l'a affirmé récemment le ministre des affaires étrangères, « nous ne
pouvons accepter ni un monde politiquement unipolaire, ni un monde
culturellement uniforme, ni l'unilatéralisme de la seule hyperpuissance
américaine ». A cela, poursuivait fort justement M. Védrine, « nous opposons la
définition de la règle du jeu par la négociation et les procédures de règlement
multilatéral des différends ». Et il précisait encore, non moins justement : «
A l'uniformité, nous opposons le droit à la diversité et même sa nécessité.
»
Le nouveau cycle entend imposer une libéralisation du commerce mondial en
postulant que seule la liberté des échanges est facteur de progrès. Je
m'interroge sur l'esprit de cette libéralisation mondiale, sachant que l'OMC a
autorisé l'imposition de droits de douane de 100 % sur certains produits
européens en réaction au refus de l'Union d'importer de la viande aux
hormones.
Je m'interroge également sur l'avenir d'un secteur menacé par la
libéralisation du commerce mondial : la santé.
Les dépenses de santé explosent en Europe, en partie à cause du vieillissement
de la population, phénomène qui est appelé à s'accentuer au cours des décennies
prochaines. Or les négociations de Seattle pourraient conférer une position
hégémonique à des entreprises pharmaceutiques américaines et, à terme,
provoquer la destruction des systèmes européens de protection sociale.
Si ces négociations ne parviennent pas à définir des normes communes,
acceptées par tous et appliquées uniformément, les conséquences humaines,
sociales ou environnementales d'une mondialisation sans règles seront
désastreuses.
Il est nécessaire d'imposer des règles sociales minimales en matière de
commerce international parce que la justice sociale est fondamentale pour
assurer la paix universelle et une croissance économique durable.
Il convient également de renforcer les liens entre la libéralisation
commerciale et la protection de l'environnement et de confirmer le droit du
recours à des mesures restrictives fondées sur le principe de précaution quand
la santé des citoyens, la protection des consommateurs ou la préservation de
l'environnement le justifient.
Nous connaissons les conséquences de la mondialisation sur l'accroissement du
fossé entre pays riches et pays pauvres, mais aussi entre riches et pauvres
d'un même pays.
Ces écarts provoquent une exclusion irrémédiable des plus démunis et amènent
en retour une exacerbation des extrémismes de toute nature : politiques,
sociaux, ethniques, religieux. N'y a-t-il pas des exemples criants et récents
d'une exclusion sociale qui a été récupérée par l'intégrisme religieux et s'est
transformée très vite en guerre civile ?
On peut craindre l'effritement de notre « modèle social » européen, ainsi que
celui de la capacité de nos gouvernements, ou collectivement de notre Union, à
se faire entendre si les accords favorisent une plus grande libéralisation du
marché dépourvue de régulation.
Les prévisions de Marx, annonçant l'échec du capitalisme par ses
contradictions, seraient confirmées si nous n'imposions pas une régulation
pragmatique des lois du marché au lieu et place de leur seule application
brutale.
Il faut aussi que nous fassions prévaloir notre conception de la culture pour
que celle-ci ne soit pas un bien marchand comme les autres. La diversité
culturelle est menacée par l'uniformisation d'une production de masse. Réduites
à des marchandises, les expressions multiples de la création humaine sont
annulées, parce que n'est jugé recevable que ce qui se vend beaucoup et
rapidement.
La richesse de l'humanité est l'expression de la diversité des productions
culturelles, y compris celles qui sont minoritaires. L'imposition d'une
production unilatérale acquise aux valeurs marchandes risque, comme pour le
commerce, d'exacerber les particularismes et les extrémismes.
La culture procède le plus souvent du dialogue entre l'universel et le
particulier.
La reconnaissance des différences de chacun nous fait vivre dans un monde
d'acceptation de l'autre et de meilleure connaissance de soi : c'est la
condition d'une humanité riche de diversité.
En ce qui concerne, enfin, le volet agricole, il s'agit, en opposition avec
les partisans d'une remise en cause de la politique agricole commune réformée -
démantèlement de toute forme de soutien, libéralisation totale des échanges -,
d'adopter une attitude offensive. Il faut que les règles internationales
applicables au commerce des produits agricoles soient complétées et renforcées
sur certains points.
La reconnaissance du principe de multifonctionnalité de l'agriculture
européenne est un préalable pour le respect des espaces ruraux, pour la
protection de l'environnement, pour la qualité des produits et, indirectement,
pour l'emploi.
Il convient également de renforcer les normes de sécurité et de qualité des
aliments, ainsi que de proscrire certaines pratiques restrictives, telles les
modalités contestables de certaines formes d'aides alimentaires ou le recours
abusif aux crédits à l'exportation des produits agricoles.
Notre avenir social, culturel et économique en dépend. Nous devons défendre
nos acquis et nos conceptions du progrès, qui sont avant tout fondés sur le
bien-être humain.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, avec le groupe du Rassemblement démocratique social et européen, je
dis « oui » à Seattle, « oui » à l'Organisation mondiale du commerce, mais à la
condition impérative que la discussion soit globale et que soit mis en place un
système de régulation qui permette aux plus pauvres de ne pas toujours être
écrasés par les plus forts.
On entend dire que la mondialisation profite aux consommateurs et que c'est
donc globalement une très bonne chose. Je n'en suis pas si sûr, car le
consommateur est aussi un homme et la mondialisation fait peu de cas de
l'homme.
Les OPA monstrueuses auxquelles nous assistons depuis quelques années, en
simples spectateurs, et qui ont pour but de prendre le contrôle mondial d'un
secteur économique, ont des conséquences dramatiques sur la vie des hommes :
suppression de dizaines, de centaines, de milliers d'emplois, délocalisations,
vulnérabilité des salariés, notamment des cadres, plans sociaux en série avec
des mises à la retraite anticipées, parce qu'à cinquante-cinq ans, voire
quelquefois à cinquante ans, on n'est plus rentable.
Tout cela n'est pas bien pour l'homme. Tout cela est trop rapide, car les
Etats n'ont pas eu le temps de susciter et d'accompagner d'autres gisements
d'emplois.
M. le président.
Mon cher collègue, j'en suis désolé, mais vous devez conclure !
M. Jacques Pelletier.
Je conclus, monsieur le président !
Pourtant, ces gisements d'emplois existent, nous les voyons naître. Mais il
faudra encore de nombreuses années pour concevoir et aider la mutation de nos
économies et de nos sociétés.
Alors, n'allons pas trop vite dans cette course à la mondialisation et
n'oublions pas que les critères de cohésion et de justice sociales doivent
rester notre priorité absolue, aussi bien au sein de l'Union européenne qu'à
l'échelon de notre planète.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Marc.
M. François Marc.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'enjeu du prochain cycle des négociations de l'OMC sera d'apporter des
réponses aux questions qui préoccupent aujourd'hui les acteurs économiques et
l'opinion publique, en ce qui concerne aussi bien l'organisation des échanges
mondiaux que le meilleur contrôle des transactions, sans oublier la nécessaire
évolution de la transparence et de la démocratie dans la prise de décisions.
S'agissant de cet enjeu multiple, nous avons le sentiment que le mandat confié
aux représentants de l'Union européenne est aujourd'hui clairement affirmé :
nécessité d'un cycle global, multilatéral ; prise en compte, au-delà des
agrégats commerciaux, de tous les principaux paramètres du développement et des
échanges, notamment la propriété intellectuelle.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, attirer plus
particulièrement votre attention sur une question essentielle à mes yeux, celle
de la préservation des intérêts agricoles de la France.
Le rappel effectué le 21 octobre dernier par le Premier ministre et le
ministre de l'agriculture de la position française à l'abord des négociations
de Seattle est assez largement partagé dans le monde agricole.
Par ailleurs, il me paraît essentiel que l'Union européenne ait su dégager,
grâce aux accords de Berlin, un front uni entre Etats membres pour la défense
de la politique agricole commune renforcée. Si la PAC n'avait pas été réformée,
nos négociateurs se seraient présentés à l'ouverture des discussions en
position de faiblesse, privés de soutien politique et dépourvus d'un mandat
crédible de négociation. On peut simplement regretter que le Conseil européen
ne soit pas allé aussi loin que la France l'aurait souhaité, par exemple en
matière de dégressivité des aides.
Si l'on porte attention à ce qui s'est passé depuis l'Uruguay round, on ne
peut manquer de noter que les Américains ont, ces dernières années, renié leurs
engagements de façon permanente, alors que l'Europe a scrupuleusement respecté
les siens, qu'il s'agisse de l'accès au marché, des aides à l'exportation ou du
soutien des prix. Avec les mécanismes des
deficiency payments
et la
compensation des baisses de revenus des paysans, les Etats-Unis en sont
aujourd'hui arrivés à verser des aides publiques à l'agriculture supérieures de
50 % à celles qu'octroient les Européens.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à la suite des récentes décisions de la PAC,
l'agriculture française est aujourd'hui confrontée à un processus d'adaptation
particulièrement exigeant. Conformément aux accords de Berlin, la colonne «
recettes » des producteurs agricoles a, en effet, été amputée de façon
spectaculaire : baisse des prix - moins 20 % pour la viande bovine et moins 15
% pour les produits laitiers - réduction du soutien global et forte diminution
des restitutions à l'exportation.
Certaines régions françaises vont subir de plein fouet ces pertes
considérables de recettes ; je pense, notamment, à la Bretagne - en ce qui
concerne, par exemple, sa spécialisation dans la filière du poulet « grand
export », cette seule production représente 31 000 emplois dans la région - qui
perçoit, à ce jour, 85 % des restitutions versées par l'Union européenne aux
exportateurs avicoles européens.
Pour ce qui est, par ailleurs, des filières laitière ou porcine, l'actualité
démontre, s'il en était besoin, que, faute d'un soutien européen à
l'exportation, la production française va se trouver confrontée à un risque
d'accentuation d'une crise profonde, dont nul ne sait aujourd'hui quel sera
l'aboutissement.
Pour ces évidentes raisons, la PAC réformée doit constituer la limite maximale
du mandat de négociation de la Commission européenne. Contrairement à ce que
réclament les Américains et le groupe de Cairns, il n'est pas imaginable de
voir l'Europe aller au-delà de ce qui a déjà été convenu au sein de la PAC
réformée.
L'Union européenne ne saurait renoncer à toute forme de restitutions aux
exportations : les ventes aux pays tiers constituent, en effet, un débouché
essentiel pour bon nombre de producteurs. L'interdiction totale de toute forme
de subvention obligerait les Etats membres à porter le taux de jachère à des
niveaux insupportables, à durcir le régime des quotas et à démanteler des pans
entiers de l'industrie agroalimentaire, par exemple la filière « volaille
d'exportation ».
Face à l'offensive prévisible des Américains pour réclamer la suppression du
dispositif de la « boîte bleue », les négociateurs européens devront développer
une stratégie de recherche d'alliances destinée à unir les efforts de tous ceux
qui ont intérêt à s'opposer avec fermeté aux pratiques déloyales ou détournées
des Etats-Unis.
Monsieur le secrétaire d'Etat, on ne peut, bien sûr, ignorer la préoccupation
généreuse de rééquilibrage du commerce agricole mondial en faveur des
producteurs des pays en voie de développement : c'est là une ambition louable à
laquelle on ne peut que souscrire.
La mise en oeuvre d'un tel rééquilibrage suppose toutefois, comme condition
préalable, que l'OMC dispose de moyens réels pour préserver ces pays en voie de
développement des appétits sans cesse grandissants des ultra-libéraux.
Il importe par ailleurs que, dans le court et le moyen termes, le modèle
agricole européen soit aidé à reconvertir ses pratiques grâce à la préservation
d'un dispositif financier susceptible de procurer aux agriculteurs des
conditions raisonnables de rémunération.
Il s'agit là, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, d'une
condition essentielle de l'adaptation réussie de l'Europe agricole aux
exigences d'un xxie siècle plus solidaire et plus généreux.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. François.
M. Philippe François.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales est accueilli, il
faut bien le dire, avec plus d'inquiétude que d'espoir par beaucoup de nos
concitoyens. Il est dans notre rôle de tenir compte de cette inquiétude
diffuse, qui porte sur la capacité de ce que l'on commence à appeler le «
modèle européen » à faire face à une ouverture commerciale accrue.
Il y a, bien sûr, le domaine social. La mondialisation des échanges et la
disparition des barrières commerciales paraissent nous placer devant un
redoutable dileme : ou bien remettre en cause notre système de protection
sociale, ou bien voir de nombreuses entreprises européennes délocaliser de plus
en plus tout ou partie de leurs activités.
Il y a également le domaine agroalimentaire, dont on a beaucoup parlé
aujourd'hui. Un accord s'est dégagé au sein de l'Union européenne sur la
reconnaissance du caractère multifonctionnel de l'agriculture européenne qui,
tout en se montrant compétitive, doit participer à l'aménagement équilibré du
territoire, en particulier dans les zones de montagne, doit contribuer à la
vitalité du monde rural et doit aussi, et surtout, répondre aux attentes des
consommateurs en matière de qualité des produits, de sécurité sanitaire et de
protection de l'environnement.
Il est clair que les entreprises agricoles ne peuvent accomplir ces diverses
tâches que leur assigne la collectivité sans bénéficier de soutiens publics
importants. Or, bien que les négociations n'aient pas officiellement débuté,
les soutiens européens à l'agriculture se trouvent d'ores et déjà sur la
sellette, comme s'ils constituaient le principal obstacle au développement du
commerce mondial.
De plus, la condamnation de la Communauté européenne par l'OMC dans l'affaire
du boeuf aux hormones a donné à nos concitoyens le sentiment que le principe de
précaution n'était pas suffisamment pris en compte.
Beaucoup craignent, par ailleurs, que les négociations n'entraînent une remise
en cause de l'« exception culturelle », ce qui conduirait à l'aggravation d'une
forme d'impérialisme dont nous sentons déjà, et depuis longtemps, les
effets.
Enfin, nombreux sont ceux qui s'inquiètent des effets de la mondialisation
accrue des échanges sur l'équilibre des sociétés, devant des phénomènes comme
l'ampleur des mouvements spéculatifs, la multiplication des paradis fiscaux, le
développement de la délinquance financière internationale, entre autres.
Bref, autour des négociations commerciales multilatérales se cristallisent les
inquiétudes sur l'avenir d'un « modèle européen » qui est fait, précisément, de
la recherche d'un équilibre entre l'économique et le social, l'ouverture et
l'identité, la productivité et l'environnement, le marché et la
redistribution.
Dans un tel contexte, l'OMC est une cible facile ; elle devient aisément le
symbole des aspects redoutables de la mondialisation.
Or, de toute évidence, il s'agit là, mes chers collègues, d'une grande
méprise. Certes, le fonctionnement de l'OMC est loin d'être parfait et de
meilleures garanties de transparence et d'impartialité doivent lui être
apportées, mais la création de l'OMC a constitué un progrès : elle a marqué le
succès du multilatéralisme, défendu par les Européens, contre l'unilatéralisme.
Ce sont les Européens, je vous le rappelle, qui sont à l'origine de l'OMC.
En réalité, loin d'être, comme on le dit parfois, l'instrument d'une
dérégulation à tout va, l'OMC est, au contraire, un organe régulateur,
puisqu'elle tend à garantir l'égalité de traitement entre tous.
Enfin, le système de l'OMC laisse aux Etats une marge de manoeuvre entre
l'attribution de compensations aux partenaires lésés ou la mise en
conformité.
Nous devons donc entrer dans les négociations de l'OMC sans complexes.
Je crois d'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
exprimer le sentiment de beaucoup en disant que nous sommes las d'être les
perpétuels accusés des négociations commerciales.
C'est d'abord vrai de l'agriculture. En effet, si l'on tient compte des aides
directes dites « exceptionnelles », mais votées année après année, et des
divers encouragements à l'exportation, les soutiens à l'agriculture aux
Etats-Unis sont largement équivalents à ce qu'ils sont en Europe. Et il faut
beaucoup de mauvaise foi pour affirmer que les aides américaines, quant à
elles, relèvent de la fameuse « boîte verte » censée ne pas créer de
distorsions sur le commerce mondial, tandis que les aides européennes, et elles
seules, seraient au contraire source de distorsions.
Il est vrai que le
FAIR Act
américain a mis en place des aides directes
fondées notamment sur des références historiques par exploitation, donc sans
lien direct avec la production effective. Mais, en réalité, les producteurs
américains dont le revenu est ainsi soutenu peuvent écouler leur production à
un prix artificiellement bas. Et que dire du mécanisme du
marketing
loan,
qui garantit aux producteurs américains de percevoir la différence
entre le prix effectif et un prix de référence ? Grâce à la fixation d'un prix
de référence élevé pour le soja, les surfaces cultivées en soja aux Etats-Unis
se sont accrues de 25 %, entraînant une forte baisse des cours mondiaux.
N'est-ce pas là le type même d'une distorsion ?
L'Union européenne, quant à elle, a déjà engagé avec l'Agenda 2000 une
nouvelle réduction de fait de la préférence communautaire. Dans les
négociations qui vont s'ouvrir, nous n'avons aucune raison d'accepter de faire
figure, une fois de plus, de « mouton noir ». A qui veut-on faire croire que
l'adoption par l'Europe du type d'agriculture des Etats-Unis ou de l'Australie
ferait l'affaire du paysan algérien ou nigérien ? Peut-on dire sérieusement
qu'un dépeuplement encore accru de notre espace rural contribuerait au
développement des pays les moins avancés ?
M. Lucien Lanier.
Très bien !
M. Philippe François.
Je crois que nous devons aborder ces négociations avec détermination, car nos
priorités sont fondées.
Ainsi, vouloir faire appliquer le principe de précaution pour l'utilisation
des biotechnologies dans les produits alimentaires rencontre les préoccupations
de très nombreux consommateurs : au minimum, nous devons obtenir que le
consommateur puisse choisir grâce à un étiquetage approprié.
De même, nous sommes fondés à vouloir que le respect de normes sociales
minimales soit une des questions débattues dans le nouveau cycle. Pouvons-nous
être indifférents, par exemple, au fait que quelque 120 millions d'enfants dans
le monde travaillent à plein temps, se trouvant ainsi privés, entre autres
choses, de toute scolarité ?
Ceux qui prétendent qu'aborder de telles questions relève du protectionnisme
ont, en réalité, une attitude dangereuse. A force de déclarer que c'est être
protectionniste que de se préoccuper de sécurité sanitaire ou de lutte contre
l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile, on finira par accréditer l'idée
que le protectionnisme est une bonne chose !
De même, de très nombreux pays me semblent prêts à admettre avec nous que les
productions culturelles ne peuvent être soumises au régime des marchandises.
Les Européens ne sont pas les seuls à tenir à la diversité culturelle et à
estimer qu'elle justifie un régime d'exception. Vous devez l'affirmer avec
force, monsieur le secrétaire d'Etat.
La cause que nous avons à plaider est bonne, et j'ajouterai que, s'il y a une
occasion à saisir pour affirmer l'existence de l'Europe sur la scène
internationale, c'est bien celle-là. Nous savons tous que la politique
extérieure et de sécurité commune se cherche encore, qu'elle n'en est qu'à ses
débuts. Mais, en matière commerciale, la situation est différente : la
Communauté existe depuis plus de quarante ans, et elle a forgé des intérêts
communs. Le moment est venu pour elle de s'affirmer comme un partenaire à part
entière, qui négocie sur un pied d'égalité.
Devons-nous accepter, par exemple, que l'administration américaine s'engage
dans les négociations sans la mise en place du
fast-track,
qui seul
permet que la négociation ne soit en permanence suspendue aux décisions du
Congrès américain ? Est-il acceptable que nous apprenions, tout d'un coup, que
les Etats-Unis se sont chargés de définir les conditions auxquelles la Chine
pourrait adhérer à l'OMC ?
Mais une approche plus offensive que par le passé des négociations
commerciales suppose aussi des objectifs bien définis et une vigilance des
autorités politiques.
Les travaux du Conseil de l'Union européenne ont, bien mieux que lors des
précédents cycles, précisé les objectifs européens. Je n'insisterai pas sur ces
objectifs, ayant le sentiment que la résolution adoptée par la commission des
affaires économiques du Sénat a mis l'accent sur tous les aspects
essentiels.
Je crois en revanche impératif d'insister sur la vigilance nécessaire des
autorités politiques. Que le Conseil définisse des objectifs justes et
suffisamment précis ne sert de rien si, ensuite, il n'assure pas un contrôle
effectif de la Commission européenne, qui négocie au nom des Quinze.
Nous avons tous en mémoire le compromis de Blair House, qui avait mis le
Conseil devant le fait accompli, et les efforts considérables qu'avait dû
déployer le gouvernement d'Edouard Balladur, après les élections de 1993, pour
obtenir que ce compromis soit rediscuté.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Philippe François.
De telles situations ne doivent plus se reproduire. La Commission, livrée à
elle-même, aura toujours la tentation de conclure des accords au rabais parce
que son rôle institutionnel s'en trouve alors conforté. Si nous voulons que la
volonté du Conseil soit respectée, il faut que les gouvernements s'assurent en
permanence que la Commission rentre bien dans les limites de la mission qui lui
a été confiée.
Mais le devoir de vigilance ne s'impose pas seulement aux gouvernements, il
s'impose aussi aux parlements qui ont, sans sortir de leur rôle, à faire valoir
de manière régulière les préoccupations des populations qu'ils représentent.
A cet égard, il est très positif qu'une présence parlementaire ait été
organisée pour la conférence de Seattle. De même, je me réjouis que le Sénat
ait adopté le principe de la création d'un groupe de suivi des négociations,
associant la commission des affaires économiques et la délégation pour l'Union
européenne, principe que j'avais proposé la semaine dernière au président du
Sénat. Je suis persuadé que, lorsque les parlementaires exercent pleinement
leur mission de contrôle, ils pèsent d'un plus grand poids qu'on ne le croit.
Les négociateurs américains savent très bien mettre en avant les contraintes
que leur impose le Congrès ; pourquoi les négociateurs européens ne
pourraient-ils, eux aussi, faire valoir qu'il existe des parlements et des
opinions publiques en Europe ?
Pour conclure, je voudrais m'en tenir à un simple appel : n'entrons pas dans
cette négociation, comme nous avons eu tendance à le faire dans le passé, avec
pour principale volonté de limiter les dégâts. Nos préoccupations comme notre
conception du commerce international sont justes. Elles renvoient à une
démarche ambitieuse et positive qui peut être partagée par de nombreux pays.
M. le président.
Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe François.
Je termine, monsieur le président.
Je suis convaincu que, si nous faisons l'effort d'explication et de persuasion
nécessaire, nous pourrons aboutir à de vrais progrès dans la direction d'un
commerce international à la fois plus ouvert, mieux régulé, plus équilibré et
plus juste.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
débat doit permettre au Gouvernement de mieux prendre en compte, par
l'intermédiaire de la représentation nationale, les attentes des Français lors
des prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce.
Le Gouvernement a justement souhaité associer des parlementaires à la
délégation qui se rendra à Seattle ; je suis heureux d'y prendre part. Ce sera
une opportunité pour les élus de s'informer et de faire part aux collègues des
autres pays présents dans cette enceinte des inquiétudes et des espoirs de nos
concitoyens.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mon propos portera exclusivement sur le volet
agricole des négociations. Il sera toujours temps de confronter nos points de
vue dans un débat franco-français à l'occasion de la discussion du projet de
loi de finances pour 2000, mais, à Seattle, présentons un front uni.
Quel est l'enjeu de ces négociations pour l'agriculture ? La poursuite ou non
du modèle agricole européen. Comment trouver des points d'accord entre des
modèles d'agriculture expressions de deux philosophies économiques et sociales
différentes ou, du moins, affichées comme telles ?
D'une part, l'Union européenne défend principalement une agriculture
céréalière subventionnée, porteuse d'une vocation sociale et d'aménagement du
territoire. D'autre part, le groupe de Cairns, les Etats-Unis et certains pays
en voie de développement veulent la suppression des barrières douanières et des
aides dans un contexte de cours mondiaux.
Quelles sont les mesures indispensables au regard des structures et des coûts
pour que la France et l'Europe puissent participer à cette compétition à armes
égales ?
Pour ce qui est des structures, il est impossible pour la plupart des régions,
en particulier celles du Sud, d'atteindre la taille dite optimale de 600
hectares à 700 hectares sous peine de désertifier et de dévaster nos
campagnes.
C'est donc sur les coûts qu'il faut agir. En cas de suppression des barrières
douanières, la France et l'Europe subiraient de plein fouet une concurrence
fondée uniquement sur le prix. En effet, les coûts de production de nos
concurrents sont sans comparaison avec les coûts européens, en particulier
français. Seule une forte baisse des charges sociales accompagnée d'une baisse
du prix des intrants permettrait à nos agriculteurs d'être concurrentiels. Le
Gouvernement est-il prêt, monsieur le secrétaire d'Etat, à prendre les mesures
fiscales et de baisse des charges indispensables car vitales ?
Le processus de baisse continue des prix et des subventions, notamment dans le
cadre de l'Agenda 2000, a été extrêmement sévère pour nos agriculteurs. Ce sont
déjà des concessions très importantes faites à nos partenaires des pays
industrialisés ou en voie de développement.
Le Gouvernement a déclaré que les limites fixées à Berlin n'étaient pas
négociables : les agriculteurs comptent sur sa détermination.
Ils ne comprendraient pas, et ils auraient raison, qu'on ne défende pas le
caractère multifonctionnel du modèle agricole européen. Ils ne comprendraient
pas davantage qu'on ignore la sécurité alimentaire et l'environnement. Ils
comprendraient encore moins que l'on veuille une campagne sans paysans.
En conclusion, à Seattle comme ailleurs, l'agriculture ne saurait être traitée
comme n'importe quelle autre activité commerciale. La régulation des échanges
agricoles, indispensable au niveau mondial, doit se faire dans le respect des
identités régionales. C'est la condition de la réussite de ce nouveau cycle.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
« Réintroduire le règne du commercial dans des univers qui ont été construits,
peu à peu, contre lui, c'est mettre en péril les oeuvres les plus hautes de
l'humanité, l'art, la littérature et même la science. » Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est ainsi qu'en octobre
dernier Pierre Bourdieu ouvrait la réunion annuelle des soixante-dix plus
grands dirigeants de l'audiovisuel mondial.
Chacun sait combien notre pays est attaché au principe de l'exception
culturelle dans les négociations internationales, qui, comme l'a très bien dit
Catherine Trautmann, n'est que le « moyen juridique d'atteindre l'objectif de
diversité culturelle ».
Le combat pour l'exception culturelle a été initié par la France en 1993, au
moment des négociations du GATS, l'accord général sur le commerce des services.
Comme l'a rappelé excellemment mon collègue Jacques Bellanger ce matin, les
oeuvres culturelles, le cinéma, les programmes de télévision, le livre ou, plus
généralement, les oeuvres de l'esprit ne sont en aucun cas de simples
marchandises et ne doivent pas être traitées comme des biens comme les
autres.
Les accords de Marrakech, en 1994, ont heureusement permis de maintenir en
dehors du périmètre des négociations commerciales les secteurs de la culture et
de l'audiovisuel. Concrètement, cela signifie que l'Union européenne et tous
les Etats membres restent libres de définir et de mettre en oeuvre
souverainement les instruments de leur politique culturelle et
audiovisuelle.
Seule la confirmation de l'exception culturelle dans les négociations de l'OMC
pourra permettre à l'Europe de défendre son industrie audiovisuelle et sa
création culturelle. Il ne s'agit en rien d'une attitude protectionniste : tous
les pays doivent rester ouverts aux cultures du monde, mais doivent aussi
pouvoir conserver une identité culturelle propre.
Or, l'identité culturelle de la majorité des Etats, et par là même la
diversité culturelle, se trouve menacée par ce que l'on peut appeler « un abus
de position dominante », pour ne pas dire la tentation hégémonique des
Américains. Les chiffres sont éloquents : le déficit des échanges de services
audiovisuels entre les Etats-Unis et l'Europe ne cesse de se creuser depuis dix
ans, passant de 2 milliards de dollars en 1988 à 6,5 milliards de dollars en
1998. La part de marché moyenne des films américains en salle oscille entre 54
% et 92 % en Europe, dont 70 % en France, alors que la part de marché du film
européen aux Etats-Unis n'est que de 3 %.
Faut-il rappeler que depuis les négociations du GATS et en particulier lors
des négociations de l'AMI l'année dernière, les cinéastes, les créateurs de
l'audiovisuel et, plus généralement, les artistes furent de tous les grands
combats en faveur de l'exception culturelle.
Une fois encore, samedi 20 novembre, dans le cadre du forum mondial des
cinéastes à Bastia, les vingt-trois pays présents, dont la France, la
Grande-Bretagne, le Canada et l'Australie, ont signé une déclaration demandant
à leurs gouvernements « de refuser tout accord qui limiterait la capacité des
Etats à réglementer et à soutenir les industries cinématographiques et
audiovisuelles ». Seuls les représentants des Etats-Unis n'ont pas signé cette
pétition, au motif que « l'exception culturelle constituerait un frein à la
libre expression du cinéma américain en Europe ». Au regard des chiffres, voilà
une position pour le moins paradoxale !
C'est pour se prémunir contre un risque d'uniformisation et de standardisation
de la création que les oeuvres de l'esprit doivent pouvoir continuer à
bénéficier d'un traitement d'exception.
Dans le secteur audiovisuel, l'Union européenne ne saurait revenir sur les
acquis de Marrakech : nous devons continuer à refuser tout engagement de
libéralisation de ce secteur et maintenir un régime de dérogations au principe
de la clause de la nation la plus favorisée.
Mon collègue et ami M. Marcel Vidal, rapporteur pour avis des crédits du
cinéma et du théâtre dramatique, souligne dans son rapport les dangers d'un
renoncement à l'exception culturelle : cela « interdirait les accords de
coproduction avec certains pays, ou encore l'instauration de quotas de
diffusion d'oeuvres selon leur origine, ou l'octroi de subventions sélectives
». C'est pourquoi l'Union européenne ne saurait accepter la remise en cause
d'outils d'aide à la création comme la directive Télévision sans Frontières,
Eurimages ou le programme Média.
Il serait également inadmissible d'autoriser la libéralisation du secteur
culturel. Dans le domaine musical par exemple, il nous faut continuer à
protéger les petits labels. Les quotas de diffusion de chansons françaises sont
également nécessaires à la promotion des jeunes talents et des nouvelles
productions dans notre pays. Quant aux services des musées, des bibliothèques
ou des archives, ils ne survivent - faut-il le rappeler ? - que grâce aux
subventions publiques.
Défendre la diversité culturelle s'avère d'autant plus nécessaire avec
l'avènement du numérique et le développement d'Internet.
Dans l'ère numérique, on compte aujourd'hui plus de 400 chaînes de télévision
européennes, alors qu'il y en avait seulement 150 en 1994, et le processus est
loin d'être terminé. Cette révolution technologique devrait logiquement donner
un vrai coup de fouet à la création européenne, à l'industrie européenne des
contenus, mais il n'est pas certain que ces nouveaux médias préféreront
valoriser des contenus nationaux ou européens.
Il y a plusieurs raisons à cela, que vous connaissez bien, mes chers
collègues.
Tout d'abord, les programmes américains, déjà largement amortis sur le
territoire national, se vendent en Europe à des prix défiant toute concurrence.
Pour toutes ces chaînes nouvelles, souvent dotées d'un faible budget, ils sont
évidemment plus attractifs.
Ensuite, le volume des productions européennes, même si de réels progrès ont
été faits ces dernières années, peut sembler insuffisant pour faire face aux
besoins de tous ces nouveaux « tuyaux », si vous m'autorisez cette facilité de
langage.
A cela s'ajoute enfin, et c'est à la fois une cause et un effet, la suprématie
de la langue anglaise, que ce soit dans les programmes audiovisuels et bien
plus encore dans les services proposés sur Internet.
On voit bien qu'il y a là un formidable défi à relever pour nos industries de
contenus du secteur de l'image ou des logiciels. Nous ne devons pas renoncer au
droit de soutenir nos créateurs et leur liberté de création par rapport au
marché mondial.
Quant au développement du commerce électronique, il constitue un enjeu
crucial. Les Etats-Unis tenteront sans doute de faire entrer les services
diffusés sur Internet, et plus particulièrement les services audiovisuels, dans
la catégorie des biens virtuels, des marchandises immatérielles. Les
transactions ne relèveraient plus alors du GATS en tant que services, mais du
GATT, ce qui durcirait les règles de libéralisation applicables.
La France et l'Union européenne soutiennent au contraire que le mode de
diffusion d'un service ne modifie en rien la nature de celui-ci : quel que soit
le support, un film ou un programme audiovisuel mis en ligne reste un film ou
un programme audiovisuel. C'est là le principe de neutralité technologique, qui
doit d'ailleurs être défendu lors du cycle du Millénaire.
Si nous ne parvenons pas à faire valoir ce point de vue dans les négociations,
il y a fort à parier que les Etats-Unis saisiront cette occasion pour
contourner l'exception culturelle et qu'une bonne partie de notre législation
n'y survivra pas.
Par ailleurs, la diffusion d'oeuvres de l'esprit sur Internet soulève d'autres
problèmes. Je pense notamment à la loi sur le prix unique du livre, en vigueur
dans quelques pays de l'Union européenne. Je pense également à la piraterie
qui, particulièrement dans le domaine de la musique, peut mettre en péril toute
la filière de la création. Je pense encore à l'offensive contre le droit
d'auteur et les droits voisins, à laquelle M. Jack Ralite faisait allusion ce
matin, avec le talent que chacun lui connaît. Peut-être pourrez-vous, monsieur
le secrétaire d'Etat, nous apporter quelques élements de réflexion sur ces
questions ?
Quoi qu'il en soit, si l'Union européenne parvient à faire acter l'exception
culturelle, nous savons bien que le combat pour la diversité des cultures ne
s'arrête pas là. Il nous faudra passer à une phase plus offensive. Il est en
effet nécessaire de mieux soutenir les industries de contenus nationaux et de
renforcer les aides financières à la production et à la diffusion en Europe.
En conclusion, je tiens à dire que la mondialisation est un fait et je
souhaite vivement qu'elle soit non pas une fatalité mais plutôt une chance pour
toutes les cultures du monde. Il appartient plus que jamais aux pouvoirs
publics de lutter contre l'homogénéisation et la standardisation des contenus,
de garantir le pluralisme, pour préserver et promouvoir la diversité des
identités culturelles. Nos sociétés ont besoin de vivre dans un imaginaire
vivant, diversifié, sans cesse renouvelé, accessible à tous les individus.
Pour ma part, je souhaite que l'article 27 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme devienne une réalité : « Toute personne a le droit de prendre
part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de
participer aux progrès scientifiques et aux bienfaits qui en résultent. »
Comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, nous devons convaincre
l'ensemble des pays, parties à la négociation de l'OMC, que c'est l'intérêt de
tous. Nous serons au côté du Gouvernement pour l'appuyer dans sa volonté de ne
pas signer un accord qui ne respecterait pas l'exception culturelle.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nul
n'ignore maintenant que parmi les sujets inscrits à Seattle pour l'agenda de ce
nouveau cycle figure notamment la reprise des négociations sur
l'agriculture.
M. Pascal Lamy, le commissaire européen qui mènera les négociations au nom de
l'Union européenne, vient de présenter les grands principes de la position
européenne sur ce dossier hautement sensible : prendre part à l'expansion du
commerce mondial en négociant un abaissement des barrières commerciales,
améliorer les possibilités d'accès au marché pour nos exportateurs, obtenir une
protection pour les produits communautaires dont la réputation de qualité est
liée à une origine ou à une indication géographique, substituer aux subventions
à l'exportation de nouvelles formes de soutien interne et donner à
l'agriculture des fonctions qui ne sont pas toutes des fonctions du marché mais
qui contribuent à l'environnement, à l'aménagement du territoire et à
l'équilibre du tissu social.
Force est de constater que ces principes, issus d'un premier compromis entre
tous les partenaires européens, sont aux antipodes de ceux qui ont été édictés
et présentés par les Etats-Unis et par le groupe de Cairns. En effet, ces
derniers souhaitent remettre en cause ce qui avait été accepté lors du dernier
cycle à Marrakech et exiger une suppression totale des subventions à
l'agriculture.
Il est clair que leur objectif principal et avoué est d'accroître leurs
opportunités commerciales en réduisant la protection et le soutien de
l'agriculture.
Devant ce constat, la négociation ne peut sérieusement démarrer que si la
France parvient à imposer la reconnaissance par nos partenaires et concurrents
du modèle agricole européen.
C'est bien ce modèle agricole, fondé, d'une part, sur la préférence
communautaire qu'il faut rappeler sans cesse, élément central de la politique
agricole commune, et, d'autre part, sur l'affirmation d'une stratégie
exportatrice, qui garantit la qualité de plus en plus affirmée des produits et
la sécurité alimentaire - c'est aussi la vocation de l'agriculture de nourrir
le monde par la qualité, la quantité, la régularité et la proximité - ainsi que
la survie et l'essor de nos secteurs agricoles et agroalimentaires.
Alors que l'agriculture européenne est d'ores et déjà entrée dans la
mondialisation des échanges, l'ouverture des marchés doit être considérée comme
un véritable défi collectif pour l'ensemble de nos partenaires européens.
C'est la raison pour laquelle l'Union européenne se doit de maintenir une
politique agricole spécifique, à l'instar des grands pays producteurs. Face à
la volatilité des cours mondiaux, elle se doit de jouer un rôle efficace dans
l'organisation et la régulation des marchés.
L'enjeu de ces négociations est donc bien économique, la France étant le
premier pays exportateur agroalimentaire en Europe et occupant la deuxième
place sur le plan mondial. Notre pays joue dans ces négociations l'avenir de sa
balance commerciale et doit se situer aux avant-postes de cette position
européenne offensive.
Par ailleurs, l'Union européenne doit être offensive pour obtenir la
protection internationale des produits français, les appellations d'origine
contrôlée, les AOC, les indications géographiques protégées, les IGP, ainsi que
pour obtenir l'extension à d'autres produits de la protection additionnelle
réservée aux vins et spiritueux.
J'observe malheureusement que la politique actuelle du Gouvernement en matière
agricole ne répond pas exactement à cet enjeu essentiel et vital pour
l'économie de notre pays. Pis encore, cette politique affaiblit la position
française à la veille de ces négociations dans le cadre de l'Organisation
mondiale du commerce.
Je pense ici tout particulièrement au projet de budget pour l'année 2000
relatif aux industries agroalimentaires. Il est en effet en baisse de 5
millions de francs pour la Sopexa, qui concerne la promotion des produits
agricoles français, et de 9 millions de francs pour la recherche appliquée aux
industries agroalimentaires.
Cette baisse est d'autant plus alarmante quand on sait que les Etats-Unis ont
débloqué, pour la promotion et le développement de leurs produits alimentaires,
des aides d'un montant de 2,3 milliards de dollars en 1993, puis 6 milliards de
dollars en 1999 ; aujourd'hui, 8 milliards de dollars sont budgétisés pour l'an
2000.
Je pense également au projet de budget du ministère de l'agriculture et de la
pêche pour l'année 2000, qui n'est pas prioritaire aux yeux du Gouvernement,
qui diminue de 0,5 % à structure constante et qui, surtout, est consacré
exclusivement aux contrats territoriaux d'exploitation. Ces derniers se voient
attribuer 950 millions de francs pour leur financement et ce sont autant de
crédits en moins en faveur des actions économiques, notamment pour
l'installation des jeunes agriculteurs, alors que la baisse du nombre de ces
installations prend une allure inquiétante, voire dramatique, dans certains
départements.
S'ajoutent à cette somme, de nouveau, 950 millions de francs d'aides
européennes toujours destinées à financer les contrats territoriaux
d'exploitation.
Ce sont donc près de 1,9 milliard de francs que le Gouvernement engage en
faveur de la mise en oeuvre et du développement de ces nouveaux outils
agricoles, considérés aujourd'hui par une grande majorité des acteurs agricoles
concernés comme des outils antiéconomiques et de véritables usines à gaz
s'agissant de leur mise en place.
Je pense, enfin, au programme de promotion des produits agroalimentaires
européens, d'un montant de 15 millions d'euros, qui est toujours bloqué devant
la Commission européenne et qui, pourtant, serait un véritable levier pour
l'Union européenne à la veille de la réunion de Seattle.
M. Jean Bizet.
C'est exact !
M. Gérard César.
Cette politique menée par le Gouvernement en matière agricole affaiblit donc
la position française dans ces négociations commerciales multilatérales.
Plus largement, ce constat est significatif d'un manque de stratégie
française. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne comprends pas
pourquoi M. Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, ne sera pas
présenté à Seattle, pour ces négociations qui représentent un rendez-vous
capital pour l'agriculture française, alors que d'autres ministres, pourtant
moins concernés, font partie de la délégation française.
Les négociateurs, qui, comme moi, veulent défendre le modèle français
d'exploitations familiales et les emplois dans le monde rural, pour une
agriculture forte et exportatrice, tout en respectant la sécurité alimentaire,
ne doivent pas céder à la facilité. Chacun de nous l'a dit aujourd'hui : les
négociateurs doivent faire preuve de fermeté pendant les négociations qui
risquent d'être longues et ardues. Il en va de nos intérêts agricoles, de nos
intérêts économiques et, bien sûr, de l'intérêt de la France.
(Très bien !
et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants. - M. Bernard Joly applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
lors des négociations de l'Uruguay round, ce n'est que
in extremis,
et
grâce à la position très ferme de la France, que l'Union européenne avait
obtenu d'exclure l'audiovisuel et les services culturels des secteurs sur
lesquels elle s'engageait à proposer des mesures de libéralisation dans les
limites de l'accord général sur le commerce des services.
Nous avions pu croire, alors, que nous avions réussi à faire comprendre et
admettre que les biens culturels n'étaient pas des marchandises comme les
autres, même si nous savions que cette « exclusion » - qui n'était pas vraiment
une exception - devrait être réexaminée lors de la nouvelle négociation du
millénaire.
Cependant, avant même cette échéance, à laquelle nous sommes confrontés
aujourd'hui, la malheureuse entreprise de l'AMI nous a démontré la fragilité de
l'avancée de 1993. Certes, la négociation de l'AMI a finalement capoté, en
grande partie, d'ailleurs, grâce à la mobilisation des créateurs et des
défenseurs de la spécificité culturelle. Mais il n'est guère rassurant
rétrospectivement de constater que nous étions alors engagés dans un processus
de négociation dont personne, apparemment, ne s'était avisé dès l'abord qu'il
mettait en péril l'ensemble des dispositifs nationaux et européens de soutien à
la création, les principes fondamentaux de la propriété littéraire et
artistique et jusqu'au droit de chaque Etat de protéger le pluralisme et
l'indépendance de la presse écrite et audiovisuelle. Vous comprendrez donc,
monsieur le secrétaire d'Etat, que nous souhaitions être assurés que l'on a
bien tiré les leçons de cette aventure.
Nous nous félicitons de voir que, depuis l'Uruguay round, nombre de pays nous
rejoignent dans notre combat pour la sauvegarde du droit à l'expression
culturelle et à la création. Mais le chemin sera long et semé d'embûches. Il ne
suffira pas, je le crains, de nous être présentés en bon ordre sur la ligne de
départ. Nous devrons rester sur nos gardes, faire preuve de vigilance et ne pas
nous cantonner dans une position uniquement défensive.
Nous paraissons aujourd'hui mieux préparés à défendre nos positions. Nous
sommes aussi, c'est l'essentiel, moins isolés que nous ne semblions l'être
voilà quelque années.
D'une part, le mandat donné par le conseil à la Commission donne clairement
mission de maintenir la position prise lors de l'accord de Marrakech.
D'autre part, d'autres pays nous accompagnent, ou nous ont rejoints, dans
notre combat pour la spécificité culturelle. Seuls dix-neuf pays ont fait des
offres de libéralisation dans le secteur des services audiovisuels. Nous avons
d'ailleurs pu constater l'écho que recevaient nos préoccupations dans le monde
francophone, mais aussi dans des Etats du continent américain, en Inde ou en
Australie.
Cela suffira-t-il ? Je n'en suis pas sûr. Nous voudrions aujourd'hui insister
auprès de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que le Gouvernement fasse
preuve à la fois de volontarisme et de vigilance.
Le volontarisme doit se manifester dans plusieurs directions.
Il faut d'abord poursuivre notre effort de démonstration. Nous répétons que
les biens et services culturels ne sont pas des marchandises comme les autres.
On connaît la formule. Nous avons raison, bien sûr, mais, comme le soulignait
déjà André Malraux, le cinéma est aussi une industrie. Et la réalité disparaît
souvent derrière les gigantesques enjeux économiques que représente, à l'heure
de la société de l'information et de l'explosion des moyens de communication,
le marché du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique, des logiciels.
Peut-être devrions-nous rappeler plus clairement que ce qu'il importe de
préserver, ce qui doit échapper aux lois du commerce, de la concurrence, de la
rentabilité, ce sont les actes de création qui sont à l'origine de cette énorme
activité et ne pas les dissimuler derrière les enjeux économiques.
C'est le droit pour chaque pays, pour chaque créateur, de faire entendre sa
voix, d'exprimer le message dont il est porteur, qui reflète son histoire, sa
vision du monde, le génie propre de sa langue et de sa civilisation. En termes
de culture et de création, il n'y a pas d'« avantage comparatif », il n'y a pas
d'économies d'échelle. Et, peut-être, monsieur le secrétaire d'Etat,
ferions-nous mieux passer ce message dans la négociation de l'OMC si nous nous
efforcions d'abord d'en persuader l'ensemble de nos partenaires européens.
Pendant le second semestre de l'an 2000, première année du cycle du
Millénaire, c'est la France qui assumera la présidence de l'Union européenne.
Ne pourrions-nous mettre à profit cette coïncidence pour faire progresser les
politiques communautaires de soutien à la création, pour tenter de persuader la
Commission de ne pas envisager seulement le droit d'auteur comme une entrave à
la libre circulation, pour faire progresser, en somme, la promotion de la
diversité culturelle au sein même de l'Union européenne ?
Quant à notre devoir de vigilance, il doit notamment s'exercer, lors des
négociations, contre les risques de contournement de nos positions. Après Mme
Pourtaud, je veux évoquer, moi aussi, ce dossier.
Nous savons déjà, en effet, que les Etats-Unis s'efforceront de remettre en
cause nos positions sur la diversité culturelle en les cantonnant aux supports
traditionnels et en déplaçant le débat de la libéralisation sur les nouveaux
supports, dont ils souhaitent qu'ils soient couverts par l'accord sur le
commerce des marchandises et non pas par l'accord sur le commerce des
services.
Nous retrouvons là, en somme, le débat sur la convergence sur lequel la
Commission avait pris - on s'en souvient - des positions tout à fait
inquiétantes. L'accord de 1997 sur les télécommunications de base, en
consacrant le principe de la neutralité technologique, allait dans le sens de
la spécificité culturelle. Nous devons donc rappeler que ce principe constitue
une garantie essentielle pour toutes les industries de contenu et pour la lutte
contre le piratage.
Et à ce propos, monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère que la Commission
défendra, au nom de l'Union européenne, la prise en compte des acquis des
traités OMPI, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, de décembre
1996, qui, s'ils n'ont peut-être pas répondu à toutes les attentes, n'en
comportent pas moins des avancées positives en matière de protection du droit
d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
Enfin, la France souhaite, comme l'Union européenne, que la négociation
permette l'élaboration, dans le cadre de l'OMC, de règles sécurisant les
investissements. Sur le principe, je l'avais déjà dit lors du débat que nous
avions eu sur l'AMI, on ne peut nier l'intérêt de définir, au plan
international, des règles susceptibles d'encadrer la libéralisation des
investissements. Mais encore faut-il écarter le risque que ces règles ne
permettent pas, elles aussi, de priver de toute portée nos dispositifs d'aides
à la création. Monsieur le secrétaire d'Etat, cette vigilance est d'autant plus
nécessaire que, dans le cadre de l'OMC, nous ne pourrons pas défendre
nous-mêmes nos intérêts.
J'emprunterai la fin de mon propos à un grand cinéaste de notre temps, Pier
Paolo Pasolini, qui, voilà près de vingt-cinq ans, nous mettait déjà en garde
de façon lucide, et, me semble-t-il, visionnaire, contre ce qu'il appelait « la
normalisation de la culture » pour conclure que ce nouveau modèle « ne se
contente plus d'un homme qui consomme mais prétend par surcroît que d'autres
idéologies que celle de la consommation sont inadmissibles ».
C'est pourquoi la voix de la France telle que nous la concevons doit apporter
à la froideur du calcul marchand ce supplément d'âme, cette vision éthique de
l'homme face à tout ce qui tend à l'uniformiser.
Il ne s'agit nullement d'un quelconque « repli », d'un intégrisme de la
différence, mais d'une quête, en fait, de l'universel, tel que nous le
concevons tous, un universel qui n'est pas l'exclusion des différences et
encore moins la sacralisation d'identités conçues comme irréductibles.
Cet universel que nous revendiquons ne peut s'exprimer qu'à travers une
diversité qu'il transcende sans pour autant l'abolir. Sa perspective, pour
reprendre une phrase elle aussi visionnaire du général de Gaulle, doit
promouvoir « la domination offerte à toutes les âmes sur toutes les matières
».
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, du RDSE, ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
(M. Jacques Valade remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je voudrais d'abord souligner la qualité des interventions,
notamment celles des deux présidents de commission qui ont, à mon sens, bien
présenté et résumé les enjeux de ces prochaines négociations commerciales
multilatérales.
Je ne suis pas étonné par la haute tenue politique de ce débat qui concerne un
sujet essentiel et de très grande actualité : comment conjuguer une plus grande
libéralisation des échanges, porteuse de croissance, avec la régulation
nécessaire de la mondialisation ?
J'ai constaté que dans les interventions des présidents de commission un
consensus quasi général se dégage sur le refus de la politique de la chaise
vide, sur le refus de la frilosité et du repli sur soi. Je me félicite de cette
attitude qui rejoint la mienne et celle du Gouvernement français pour lequel
l'OMC est le lieu nécessaire pour fixer des règles. C'est effectivement,
monsieur Baylet, le lieu du contrat social entre partenaires libres et
égaux.
Comme vous le soulignez, monsieur de Villepin, l'OMC a été conçue précisément
pour mettre en place un système de règles et de transparence dans les échanges
entre les nations et pour éviter les excès redoutés de la dérégulation.
M. Bellanger a indiqué, à juste titre, que, plus le monde se globalise, plus
il a besoin de règles. C'est précisément pour empêcher la loi de la jungle,
c'est-à-dire la domination des plus forts sur les plus faibles, que nous avons
défendu la création de l'OMC qui est l'un des éléments les plus positifs du
bilan du cycle de l'Uruguay.
M. Raffarin a critiqué l'absence de vision de la France sur la mondialisation.
Cette critique ne me paraît pas justifiée et je voudrais le rassurer. Nous
tenons au contraire un discours très clair sur le nécessaire équilibre qui doit
résulter des prochaines négociations entre les objectifs de poursuite de la
libéralisation et la nécessité de répondre aux nouvelles préoccupations de la
société civile qui ont été largement évoquées ce matin, en particulier les
questions environnementales, la sécurité des aliments, le respect de normes
sociales fondamentales et la défense de la diversité culturelle.
Plusieurs d'entre vous ont souhaité un cycle de négociations plus généreux et
plus attentif aux préoccupations des pays en voie de développement. M.
François-Poncet en indiquant qu'il faudrait prendre en compte les intérêts
légitimes, mais pas tous, des pays en voie de développement.
M. Bellanger a évoqué le « devoir de solidarité » en faveur des pays en voie
de développement, tandis que M. Souplet a plaidé pour une meilleure intégration
de ces derniers dans le système mondial.
Nous partageons ces objectifs. Nous soutenons le lancement d'une initiative
vis-à-vis des pays les moins avancés afin que l'ensemble des membres de l'OMC
s'engagent à leur offrir un accès en franchise de droits pour l'essentiel de
leurs produits avant la fin du prochain cycle.
L'Union européenne est en avance dans ce domaine. Nous devons entraîner nos
partenaires dans cette direction.
Par ailleurs, nous estimons indispensable de donner un cadre prévisible au
programme d'assistance technique mis en place par l'OMC. Nous souhaitons donc
inclure ces activités dans le budget régulier de l'OMC.
Enfin, nous souhaitons que soient effectivement mises en oeuvre l'ensemble des
dispositions relatives au traitement spécial et différencié et nous nous sommes
déclarés prêts à examiner, à la demande des pays en voie de développement, dans
le nouveau cycle de négociations, les questions ayant trait au fonctionnement
et à la mise en oeuvre des accords.
En ce qui concerne la position unie de l'Europe, plusieurs d'entre vous -
comme M. Gouteyron voilà encore un instant - ont souligné que l'Europe abordait
ces négociations de façon plus unie qu'elle ne l'avait apparemment été dans le
passé.
C'est une réalité et, comme l'ont souligné MM. Bizet et Baylet, c'est
effectivement notre force. Le négociateur européen, M. Pascal Lamy négocie sur
la base des conclusions qui ont été adoptées par le conseil « affaires
générales » du mois dernier et qui constituent très clairement son « mandat
».
Les ministres des quinze Etats membres seront à Seattle - j'y serai
personnellement - et ce seront eux qui diront
in fine
à la Commission
si le résultat des négociations est acceptable ou non. Je rappelle à cet égard
que tout ne sera bien évidemment pas réglé à Seattle. Si nous arrivons à nous
entendre sur le lancement d'un cycle de négociations, celles-ci dureront au
minimum trois ans. Comme me l'a rappelé ce matin M. Poniatowski, ma tâche ne
sera pas de trois jours, mais bien, en effet, de trois ans au moins ; j'en ai
parfaitement conscience.
Je confirme ce qu'a dit M. Bellanger, c'est-à-dire que nous ne sommes pas
prêts non plus « à concéder des remises en cause fondamentales de nos positions
à Seattle ».
Vous avez souligné à juste titre la nécessité d'être associés au processus de
cette négociation : comme je l'ai rappelé ce matin, ce souhait se concrétisera
par la présence de membres de la Haute Assemblée au sein de la délégation
française à Seattle. Je tiens à réaffirmer que, ainsi qu'il l'a fait avant
Seattle, le Gouvernement poursuivra après Seattle sa politique de transparence.
Je serais, bien sûr, moi-même à la disposition du Parlement pour poursuivre le
dialogue sur ce sujet.
Je vais maintenant essayer de répondre à un certain nombre de questions
spécifiques qui ont été posées et tout d'abord sur l'agriculture.
Je partage tout à fait l'analyse de Jean-Marc Pastor et de François Marc sur
le rôle spécifique de l'agriculture et sur les différentes fonctions qu'elle
remplit, sur ce que nous regroupons sous le thème de « multifonctionnalité de
l'agriculture ».
Comme je vous l'ai indiqué ce matin, l'idée de la multifonctionnalité
synthétise bien nos objectifs. Nous considérons, en effet, que l'agriculture ne
peut être, comme certains le souhaiteraient - en particulier les pays du groupe
de Cairns - banalisée.
Je suis également d'accord avec vous sur la nécessité de mettre tous - je dis
bien « tous » - les soutiens à l'agriculture sur la table des négociations.
Cela concerne en particulier, bien sûr, en particulier les crédits à
l'exportation, l'aide alimentaire, les monopoles d'Etat et d'autres formes
moins transparentes de soutien aux exportations.
M. Huchon a souligné que la réforme de la PAC et l'accord de Berlin
constituaient la base et le socle de la négociation pour l'Union européenne. Je
veux le confirmer à MM. de Montesquiou et César : c'est bien notre position.
Nous serons, comme il l'ont demandé, « attentifs et vigilants » de façon à
préserver le modèle d'agriculture européen. Et j'ai bien compris que c'était
aussi la préoccupation de M. François.
S'agissant de la propriété intellectuelle et des appellations d'origine, j'ai
bien noté la préoccupation, exprimée en particulier par Michel Souplet et
Hubert Haenel, de progresser dans le domaine des appellations d'origine. C'est
aussi notre souci : cela fait partie du mandat de l'Union européenne.
Les questions laissées de côté à la fin du cycle de l'Uruguay devront être
examinées plus à fond, par exemple le dépôt des brevets. Nous nous efforcerons
d'apporter des modifications supplémentaires à l'accord ADPIC - accord sur des
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - tout
en étant très attentifs à ne pas ainsi remettre en cause l'acquis du cycle
d'Uruguay.
J'ai bien noté, enfin, la préoccupation de M. Poniatowski sur les droits
d'auteur et, de façon plus générale, sur la propriété littéraire et
artistique.
J'en viens à un sujet qui nous a beaucoup occupés dans ce débat : la diversité
culturelle.
Je partage totalement l'analyse selon laquelle, comme Jack Ralite l'a
souligné, la culture n'est pas une marchandise comme les autres.
La France a obtenu la reconnaissance de cette réalité dans les conclusions qui
ont été adoptées par le Conseil des ministres européens au mois d'octobre.
M. Haenel a affirmé ce matin que le Gouvernement français avait « reculé » en
parlant maintenant de diversité culturelle au lieu d'exception culturelle. Je
crois sincèrement que le Gouvernement s'est déjà clairement exprimé et expliqué
sur cette question : la diversité culturelle est l'objectif visé, l'exception
culturelle est le moyen d'atteindre cet objectif à l'OMC. Je vous rappelle que
l'expression « exception culturelle » n'a jamais figurée en tant que telle dans
les accords de Marrakech !
C'est précisément parce que nous n'avons pas fait d'offre sur l'audiovisuel
dans le cadre de l'accord sur les services et que nous avons demandé des
dérogations à la clause de la nation la plus favorisée dans ce secteur que nous
pouvons parler d'exception.
Par conséquent, nous avons l'intention de continuer à ne pas traiter de
l'audiovisuel et des politiques culturelles au sein de l'OMC, afin de préserver
notre objectif qui est de sauvegarder la diversité culturelle. C'était aussi le
souhait de Mme Pourtaud, qui a excellement présenté cette problématique.
Quant aux normes sociales fondamentales du travail, plusieurs orateurs,
notamment M. Pelletier, qui y a consacré une part importante de son
intervention, ont souligné la nécessité de les promouvoir au sein de l'OMC.
Certains - je pense à M. Haenel - semblent penser que notre détermination a
faibli en ce domaine. Je puis vous assurer qu'il n'en est rien. Nous
rencontrons cependant clairement une difficulté pour progresser dans cette voie
: elle tient à la très forte opposition des pays en développement à toute
évocation de ce thème à l'OMC. La situation était d'ailleurs, vous vous en
souvenez sûrement, la même à Singapour.
Nous devons poursuivre sans relâche notre travail de persuasion vis-à-vis de
ces pays pour faire valoir que nous ne visons pas, en la matière, des objectifs
« néoprotectionnistes » ou protectionnistes déguisés.
En ce qui concerne le principe de précaution et l'environnement, Gérard Le Cam
a insisté sur l'importance de ce principe et de sa reconnaissance dans le cadre
des prochaines négociations.
Une approche de précaution est en réalité déjà possible à l'OMC dans le cadre
des accords dits SPS et OTC. Néanmoins, il nous faut rechercher une
reconnaissance plus générale du principe de précaution à l'OMC, ce qui peut
prendre différentes formes.
Il faut également mettre l'accent sur la déclinaison et l'approfondissement de
ce principe dans les enceintes appropriées - accords multilatéraux sur
l'environnement,
Codex alimentarius -
et veiller à leur bonne
articulation avec l'OMC.
Ces questions sont essentielles pour nous. Il est important également de ne
pas permettre que cela se retourne contre nous et qu'une utilisation abusive du
principe de précaution aboutisse, par exemple, à une remise en cause des
exportations de produits fabriqués à base de lait cru.
La question de la position des Etats-Unis a été abordée à plusieurs
reprises.
Vous avez soulevé, messieurs les présidents de commission ainsi que plusieurs
d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, cette question compte tenu de
l'absence de
fast track.
Comme vous le savez, l'absence de
fast track
n'empêche pas
juridiquement l'administration américaine de se lancer dans des négociations.
C'était d'ailleurs le cas pour les deux cycles précédents ! Néanmoins, nous
avons bien conscience que cette situation impose à l'administration américaine
de mettre le Congrès dans les dispositions de voter le
fast track
le
moment venu, même au détriment d'intérêts plus larges. Tel est bien le problème
!
C'est pourquoi l'administration américaine adopte un discours offensif sur
l'agriculture, européenne notamment. C'est pourquoi elle plaide également pour
un cycle réduit au minimum et concentré sur l'accès au marché.
Nous sommes bien conscients de cette réalité. C'est pourquoi, comme je le
rappelais tout à l'heure, il est hors de question de prénégocier à Seattle sur
le contenu de la négociation agricole.
De même façon, nous ne serons pas en mesure d'accepter à Seattle, il faut le
dire très clairement, un résultat médiocre et très en deçà de nos ambitions.
S'agissant de la question de l'adhésion de la Chine à l'OMC, plusieurs d'entre
vous - M. de Villepin, M. Haenel, M. Bizet - se sont interrogés sur ses
perspectives et ses conséquences. Nous ne pouvons, bien sûr, que nous féliciter
de ce qui constitue une étape importante avec la signature de l'accord entre la
Chine et les Etats-Unis en vue de l'adhésion chinoise à l'OMC.
Mais il s'agit maintenant que nous poursuivions, pour notre part -
c'est-à-dire pour ce qui concerne l'Union européenne -, nos propres
négociations bilatérales avec la Chine. Nous serons attentifs à ce que les
intérêts proprement communautaires soient pris en compte dans le résultat de
ces négociations, qui ne pourront de toute façon pas être conclues avant
Seattle, ni à Seattle même.
La volonté de la Chine d'adhérer à l'OMC est, en tout état de cause, une
réponse significative par rapport à ceux qui mettent en cause l'intérêt même
pour les pays en développement d'être membre de l'OMC.
La Chine, comme elle l'avait été lors du précédent cycle, sera présente à
Seattle comme observateur. La Commission européenne a cependant clairement
indiqué qu'elle ne serait pas en mesure de négocier et qu'elle ne le pourrait
pas avant la réunion de Seattle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais dire, en conclusion, qu'avec
vous je suis conscient que les négociations du prochain cycle ne sont pas
seulement un enjeu commercial mais qu'elles sont aussi un enjeu planétaire de
croissance mieux partagée, comme l'a indiqué M. Pelletier en exprimant sa
préoccupation envers les pays en voie de développement.
Dans ces négociations, nous devons être offensifs, fermes, sans complexe,
bref, ambitieux sans naïveté, d'autant plus qu'aujourd'hui encore à Genève nous
avons eu le sentiment que, décidément, nous n'avançons guère et que nous ne
disposerons pas de document de travail préalable à la réunion de Seattle
proprement dite.
La cohésion des positions européennes nous aidera cependant - avec la
convergence des points de vue dans notre pays, qui doit nous conforter au sein
de l'Europe - à ce que, dans la grande tradition de notre pays, l'universalisme
et les valeurs d'humanisme soient la réponse commune à la mondialisation.
(Applaudissements.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n°
86 et distribuée.
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