Séance du 23 novembre 1999
CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE
DE L'ORGANISATION MONDIALE
DU COMMERCE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur la Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à
Seattle.
Mes chers collègues, compte tenu de l'importance du débat que nous allons
avoir et aussi du nombre et de la qualité des intervenants - le représentant du
Gouvernement, deux présidents de commission, dix-neuf orateurs pour plus de
trois heures - je vous propose, si nous n'avons pas terminé à treize heures, de
reprendre notre débat à seize heures, pour l'achever aux alentours de dix-sept
heures.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, je vais vous présenter, au nom du Gouvernement, les
perspectives des prochaines négociations commerciales multilatérales et les
objectifs de notre pays et de ses partenaires européens.
Je suis très heureux de venir devant vous aujourd'hui, car ce débat nous
permettra d'établir une analyse plus précise de la situation, moins d'une
semaine avant la conférence de Seattle.
Je le suis d'autant plus que vous avez déjà effectué un travail important sur
les prochaines négociations à l'occasion du rapport de M. Michel Souplet sur
trois propositions de résolution qui furent présentées, réunies et adoptées par
la commission des affaires économiques et du Plan.
Le souhait du Sénat d'être associé à cette négociation, souhait qui se
concrétisera d'ailleurs par la présence de membres de la Haute Assemblée au
sein de la délégation française, rejoint le désir du Gouvernement, manifesté
depuis plusieurs mois, d'aborder ces négociations dans la transparence, à
l'égard des élus comme de la société civile.
Nous croyons en effet qu'à l'ampleur des enjeux de la mondialisation, qui
concerne chacun de nos concitoyens, doivent correspondre, de la part des
gouvernements, des méthodes nouvelles de consultation et d'information, pour
que les positions prises par notre pays ne reflètent pas seulement les
convictions de quelques-uns mais expriment les intérêts de tous.
Avant d'aborder la négociation proprement dite, permettez-moi d'éclairer deux
aspects généraux du fonctionnement et du rôle de l'Organisation mondiale du
commerce sur les plans institutionnel et économique.
Le premier volet est le rôle institutionnel de l'OMC.
Sur le plan institutionnel, il faut bien comprendre que l'OM n'est pas une
organisation supranationale, elle est une organisation interétatique,
respectueuse de la souveraineté et fonctionnant sur le modèle du contrat
social, un contrat social international.
Les règles issues de l'OMC sont le fruit de la volonté des Etats : ce qu'ils
n'acceptent pas n'a pas force de droit. L'OMC n'impose aucun engagement, sinon
celui de respecter ses engagements librement consentis.
Même lorsqu'il s'agit de fixer les règles d'ouverture commerciale, grâce à
l'OMC, nous pouvons nous accorder sur des concessions équilibrées. Dans tous
les domaines, nous pouvons donc considérer que l'existence de l'OMC nous
permet, selon le mot célèbre, de substituer « à la liberté qui opprime, la
règle qui libère ».
Le fonctionnement contractuel de l'OMC appelle naturellement une fonction
juridictionnelle pour régler les différends dans l'application des clauses du
contrat.
Des critiques se sont exprimées sur le caractère interne, « endogène », de
l'ORD, l'Organe de règlement des différends, qui, étant dans l'OMC, serait à la
fois juge et partie.
Certains évoquent, par souci de cohérence des institutions internationales, un
recours des décisions de l'Organe de règlement des différends auprès de la Cour
internationale de justice.
Permettez-moi de remarquer que seulement un tiers des membres de
l'Organisation des Nations unies a accepté que leurs différends soient
normalement soumis à la Cour internationale de justice, alors que les 134
membres de l'OMC reconnaissent la juridiction de l'ORD.
En termes d'efficacité et de légitimité, l'avantage est clairement en faveur
de l'OMC.
Je me suis déjà exprimé sur les évolutions que doit connaître l'ORD en termes
de transparence, d'accès au droit pour les pays pauvres, d'évolution du système
des sanctions, qui doit concilier efficacité et justice. Il n'est en effet pas
normal que des secteurs, des entreprises et, en définitive, des hommes et des
femmes subissent les conséquences de litiges auxquels ils n'étaient nullement
parties. Le recours à des compensations, voire à des astreintes, me semble
devoir être étudié.
D'une manière plus générale, je voudrais souligner que l'existence de l'ORD
ne doit pas nous conduire à un gouvernement économique des juges sur le plan
international.
C'est pourquoi les Etats, certes instruits par la jurisprudence de l'ORD,
doivent réexaminer périodiquement le cadre normatif sur lequel les juges
s'appuient. C'est d'ailleurs une des activités fondamentales de l'OMC que de
revisiter ses propres règles.
En bref, la critique externe de l'OMC est stimulante, mais c'est de
l'intérieur de l'OMC que l'on pourra vraiment faire progresser la régulation
économique dont nous avons besoin.
J'en arrive au second volet, le rôle économique de l'OMC. Là s'opposent une
thèse et une antithèse.
La thèse est celle de la théorie économique, confirmée par beaucoup
d'observations concrètes.
En s'engageant dans l'échange international, qui permet d'accroître la taille
du marché, un pays produira plus, avec une meilleure productivité et avec des
coûts plus faibles. Dans le même temps, les consommateurs bénéficient d'une
gamme plus large de biens, à des prix moins élevés.
Des études récentes réalisées dans un grand nombre de pays ont montré que les
économies ouvertes bénéficiaient d'un taux de croissance supérieur à celui des
économies fermées.
L'antithèse considère que la logique du marché ne doit pas être la logique de
la vie : c'est la différence entre l'économie de marché et la société de
marché.
L'homme ne peut en effet être réduit à une pure dimension d'agent économique,
voulant toujours plus de production ou de consommation.
A l'individualisme du marché, on oppose à juste titre l'existence de
communautés de vie et de traditions, propres à chaque pays, qui ne doivent pas
se dissoudre dans la globalisation et l'uniformisation.
Comment résoudre cette contradiction ? Comment trouver une synthèse entre ces
points de vue ?
Il faut se souvenir que les théories du libre-échange sont nées avec la
révolution industrielle et correspondent bien à la nature des objets techniques
: un bien industriel, une machine sophistiquée par exemple, n'exprime pas une
tradition, n'est pas issu d'une culture spécifique à un pays.
Pour ce type de biens, la libéralisation, la spécialisation, les économies
d'échelle sont globalement positifs. Et l'on peut en dire de même pour certains
services, comme les services financiers.
Mais, pour d'autres biens, les biens culturels, les services publics,
l'agriculture également, le raisonnement froidement économique ne peut
s'appliquer sans restrictions.
Je ne dis pas qu'il doit être totalement rejeté : personne ne peut être
sérieusement partisan d'une autarcie totale en matière culturelle ou agricole.
Mais, dans ces domaines, il faut trouver un équilibre entre le respect des
identités et l'ouverture raisonnable aux échanges.
C'est ce qui inspire la position du Gouvernement dans les négociations de
l'OMC : libéraliser de manière équitable ce qui peut l'être et protéger en même
temps nos valeurs, notre organisation sociale, l'équilibre de notre territoire,
dans la perspective d'un monde de diversité, d'un monde multipolaire.
M. Emmanuel Hamel.
Protégez-les avec fermeté !
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat.
Le reste est question de moyens, qui peuvent être
divers. A l'OMC, nous parlons d'agriculture, mais nous n'y négocions pas sur la
culture : chaque domaine a sa spécificité.
Je tenais à rappeler ces considérations générales qui me semblent importantes
pour comprendre la logique du fonctionnement de l'OMC.
J'en viens maintenant à la préparation de Seattle. A quelques jours de la
conférence, la situation se caractérise par une forte incertitude. Le processus
qui s'est engagé au début du mois de septembre ne permet pas de déterminer avec
précision le contenu d'une plate-forme commune. Plus précisément, nous
attendons aujourd'hui encore le premier texte opérationnel qui devra servir de
base à nos travaux à Seattle.
Beaucoup d'entre vous pourraient considérer cette situation - assez inédite à
la veille d'une grande conférence internationale - comme un signe de faiblesse
de l'OMC. Je crois qu'il s'agit de l'effet conjoint de causes diverses.
L'OMC a changé cette année de directeur général à l'issue d'un processus de
décision qui a été difficile, comme vous le savez.
L'administration américaine se trouve en année pré-électorale, dépourvue du
Fast-track,
même si cette dernière n'est pas nécessaire au lancement de
négociations, et soumise à un jeu complexe à l'égard du Congrès : tous ces
facteurs n'ont pas contribué à permettre aux Etats-Unis d'assurer aussi
efficacement que l'on aurait pu le souhaiter les responsabilités de pays
d'accueil et de président de la Conférence ministérielle.
Enfin, l'OMC est réellement devenue, comme je l'ai dit, une Organisation
démocratique au sein de laquelle quelques-uns ne peuvent décider pour tous.
Cela ne renforce pas l'efficacité immédiate de l'organisation, mais établit, au
contraire, sa légitimité, que je crois tout aussi indispensable pour une
organisation internationale.
Il s'ensuit que la réunion de Seattle aura à répondre, avec succès, je
l'espère, à un défi inédit : non pas seulement boucler les derniers détails
d'une négociation, mais en établir l'équilibre lui-même. Il est donc probable
que les Etats et les ministres aient à travailler sur place sur les grands
chapitres du cycle, parallèlement à la conférence générale proprement dite.
Quels sont les points de vue en présence ?
Les pays en développement ont fait de la question de la mise en oeuvre des
accords de l'Uruguay un préalable au lancement du prochain cycle. Ils
considèrent qu'ils n'ont pas retiré du cycle de l'Uruguay les avantages qu'ils
étaient en droit d'attendre. Ils estiment avoir été contraints de signer des
accords à la négociation desquels ils n'avaient pas été suffisamment
associés.
En réalité, ces reproches ne sont pas tous fondés. Certains pays, on peut le
comprendre, font porter à l'OMC, comme vecteur de la libéralisation, une
responsabilité dans l'émergence de la crise asiatique ou, plus généralement,
dans la persistance du mal-développement. C'est un peu le sens des conclusions
des travaux du G 77 qui s'est réuni l'automne dernier à Marrakech.
Je crois que ces difficultés ont bien d'autres causes, des causes financières
et monétaires, à l'égard desquelles l'OMC n'a que peu de contrôle, ainsi que
des causes internes liées au rythme sans doute trop lent des réformes
politiques et juridiques qui doivent accompagner la modernisation de
l'économie. Là aussi, l'OMC n'a que peu de prise. C'est sans doute dans une
meilleure coordination de toutes les institutions internationales que nous
devrons, dans l'avenir, chercher des remèdes.
Même si nous ne devons pas avoir mauvaise conscience, car l'Europe en
particulier a respecté ses engagements de Marrakech, nous devons être attentifs
aux demandes des pays en développement. Nous sommes ouverts à certaines de
leurs revendications et nous sommes prêts à des décisions immédiates à Seattle,
en particulier en faveur des pays les moins avancés.
L'OMC met en oeuvre un traitement spécial et différencié au bénéfice des pays
en développement. La plupart des accords prévoient la possibilité de périodes
de transition. Nous devons en parallèle faire un effort particulier
d'assistance technique pour permettre aux pays en développement de remplir
leurs engagements et de tirer tous les bénéfices de leur participation au
système multilatéral.
Nous devons dans le même temps être attentifs à ne pas rouvrir les accords de
Marrakech et les équilibres atteints à cette occasion. Les pays émergents ont
bénéficié des accords de Marrakech. La part des pays en développement dans les
échanges mondiaux est passée de 12 % à 20 % entre 1970 et 1998. Mais les
disparités restent fortes. La libéralisation des échanges doit bénéficier à
tous. Tel est l'objectif que défend l'Union européenne à l'OMC.
La question de la différenciation entre les pays en développement méritera
d'être traitée dans le cadre du prochain cycle. Il importe que les pays les
moins avancés aient un traitement plus favorable - c'est une des propositions
de l'Union européenne pour Seattle - et que les pays émergents avancés
contribuent davantage au système multilatéral. Beaucoup d'entre eux conservent
des barrières douanières élevées qui pénalisent les pays moins intégrés dans
l'échange international.
Le groupe de Cairns, de son côté, non sans le soutien implicite des
Etats-Unis, a tenté d'imposer un préalable agricole à toute discussion générale
avec l'Union européenne. L'Australie et la Nouvelle-Zélande, en particulier,
ont à la fois exigé de fixer dès Seattle les points d'arrivée de la négociation
agricole et refusé de progresser sur les autres sujets de la négociation.
L'Union européenne, appuyée par différents partenaires, dont le Japon et la
Corée, s'est refusée à cette négociation agricole et à cette prise en otage de
l'ensemble du cycle.
L'Europe rappelle que l'objectif doit rester, à Seattle, de s'entendre sur une
programme de négociation et non de traiter au fond des différents sujets.
Les Etats membres de l'Union européenne sont solidaires sur cette ligne. Les
résultats du Conseil de Berlin d'avril dernier et les conclusions du Conseil «
affaires générales » du 26 octobre, rappelées lors du Conseil du 15 novembre,
sont la base de la position communautaire.
L'Union européenne est prête à reprendre les négociations sur l'agriculture,
conformément aux engagements pris à Marrakech. Nos préoccupations relatives aux
sujets agricoles non commerciaux - le développement rural, l'environnement, la
sécurité alimentaire, par exemple - devront être prises en compte dans la
négociation.
L'idée de la multifonctionnalité de l'agriculture synthétise bien nos
objectifs. Nous considérons, en effet, que l'agriculture ne peut, comme
certains le souhaitent, être banalisée car son rôle social et environnemental
est spécifique.
Nous ne pouvons admettre que, dans le domaine agricole, une libéralisation
sans limites aboutisse à ce que, emportés dans la course à la productivité, des
agriculteurs de moins en moins nombreux s'épuisent dans une guerre des prix qui
ne profitera qu'à quelques multinationales de l'agro-industrie.
Cette position de la France et de l'Europe en faveur de la multifonctionnalité
de l'agriculture, de son rôle productif mais aussi de son caractère structurant
pour l'ensemble de la société, n'est pas issue de la seule définition de nos
intérêts. Ce que nous défendons ici, c'est un modèle équilibré, c'est la
protection des spécificités nationales, qui correspondent aux intérêts des
agriculteurs du monde entier, y compris de ceux des pays les moins
développés.
Par rapport aux Etats-Unis, dont les ambitions sont limitées à un cycle
étroit, l'Union européenne continue à militer en faveur d'une approche globale
de la négociation et d'un engagement unique.
Le débat actuel sur le projet de déclaration de Seattle confirme que la
globalité est seule de nature à équilibrer les intérêts de tous les membres de
l'OMC.
L'approche américaine, centrée sur la libéralisation de l'agriculture, des
services et de certains secteurs industriels prédéterminés dans l'enceinte de
l'APEC, n'est évidemment pas à même de satisfaire les demandes des pays en
développement, ni, bien sûr, celles de l'Union européenne.
Elle n'est pas davantage susceptible de répondre aux ambitions de l'Union
européenne dans la recherche d'un équilibre entre la dynamique de l'ouverture,
d'une part, et l'exigence de régulation du système commercial international,
d'autre part.
La France et l'Union européenne ont aussi mis l'accent sur la nécessité de
renforcer le système commercial.
Le lancement de négociations sur des principes de base relatifs à
l'investissement direct étranger, à la concurrence et à la transparence dans
les marchés publics peut constituer une première étape de cet approfondissement
des règles multilatérales.
Beaucoup de pays considèrent que ces sujets servent de prétexte à l'Europe
pour « charger la barque » et retarder la conclusion du cycle. Nous devons leur
montrer que ces thèmes sont, au contraire, dans l'intérêt de tous.
Avec des règles meilleures sur les marchés publics, les pays peuvent lutter
contre la corruption et faire jouer, pour une bonne gestion des finances
publiques, les offres nationales et étrangères. Avec des règles sur
l'investissement, les Etats pourront attirer des capitaux en leur offrant un
cadre juridique stable et équitable. Avec des règles sur la concurrence, ils
pourront mieux lutter contre l'emprise des grandes firmes multinationales.
Ces progrès du droit économique international sont nécessaires, mais ne
pourront être que graduels. C'est sur le long terme que l'OMC pourra contribuer
à établir des disciplines librement consenties, complètes et efficaces dans ces
domaines.
Nous souhaitons que la conférence de Seattle, sous une forme que la
négociation devra déterminer, constitue une étape importante pour faire
progresser ces sujets.
L'OMC doit aussi répondre aux préoccupations des opinions publiques sur les
thèmes de la sécurité des aliments, des questions sanitaires, de
l'environnement. La question du boeuf aux hormones ou le commerce
transfrontalier des organismes génétiquement modifiés appellent
incontestablement des clarifications.
Dans ces questions d'environnement, nous devons chercher un juste milieu entre
deux extrêmes : légiférer sur l'environnement à l'OMC, dont ce n'est pas le
rôle, et, à l'opposé, se désintéresser du sujet. Ce que nous proposons, c'est
que le comité de l'environnement de l'OMC fasse beaucoup plus rapidement
qu'aujourd'hui des propositions aux ministres pour clarifier l'articulation
entre les règles commerciales et les accords multilatéraux sur l'environnement
et entre le travail de l'OMC et celui d'autres institutions comme
l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO,
ou l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS.
Cette meilleure cohérence du système international doit permettre d'améliorer
les réponses que nous pouvons apporter aux problèmes transversaux : le
développement durable, la lutte contre les inégalités et le besoin d'équité,
les problèmes de santé publique ou le respect des normes sociales
fondamentales. Certains de ces sujets ne peuvent être abordés que conjointement
par des organisations internationales comme le Fonds monétaire international,
le FMI, et la Banque mondiale.
C'est aussi le cas pour les normes sociales : nous plaidons pour
l'établissement d'un forum conjoint et permanent entre l'OMC et l'Organisation
internationale du travail, l'OIT. Nous sommes convaincus que des progrès ne
pourront être réalisés que sur la base d'une collaboration effective entre les
deux organisations, la définition des normes devant, bien entendu, continuer à
incomber à l'OIT.
Sur les politiques économiques et la gouvernance dans les pays en
développement, nous avons engagé l'OMC dans un programme de coopération avec
les institutions de Bretton Woods dans le cadre de la politique plus générale
menée par Christian Sautter en faveur du renforcement de leur rôle
régulateur.
Sur la santé, l'OMC et l'OMS doivent procéder à une identification des
questions de santé publique liées au commerce. Les deux organisations tiendront
une session de travail conjointe le 1er décembre à Seattle sur ces questions et
auront l'occasion de présenter publiquement leur programme de coopération.
S'agissant de la diversité culturelle, enfin, l'impulsion de la France a
permis l'adoption à l'UNESCO, par cinquante-huit ministres, d'une déclaration
sur la spécificité de la culture.
La globalité à laquelle nous sommes attachés pour le prochain cycle de Seattle
n'est donc pas seulement la clé d'une négociation purement commerciale. Elle
doit répondre aux questions qui préoccupent les pays en développement et les
opinions publiques. Elle vise à renforcer la capacité des Etats à maîtriser les
conséquences de la mondialisation. Elle est l'occasion d'amorcer une réflexion
qui s'impose sur l'avenir du système international.
L'OMC, tout le monde le reconnaît, n'est pas responsable d'une mondialisation
qui, si nous savons la maîtriser, est un atout pour la croissance économique et
le développement.
Mais cette organisation, dont la France et l'Union européenne ont souhaité la
création, est perfectible. Elle doit servir davantage à la régulation. En
l'absence de règles, et comme l'a déclaré le Premier ministre, la loi de la
jungle l'emporterait.
L'OMC doit s'ouvrir davantage aux préoccupations des citoyens et à la demande
de transparence de la société civile. Elle doit faire la preuve qu'elle est
capable de répondre aux attentes de tous ses membres.
L'accord entre les Etats-Unis et la Chine adresse un signal positif pour
l'OMC, à la veille de Seattle. L'Union européenne, qui soutient cette adhésion,
devra s'assurer que les bases en sont conformes à ses intérêts.
Au total, ce développement récent témoigne de l'attractivité de l'OMC en
renforçant son universalité. Plus de trente pays sont engagés actuellement dans
des processus d'adhésion, parmi lesquels la Russie et l'Arabie Saoudite.
En attendant Seattle, l'Union européenne devra donc continuer à travailler
pour un accord sur un agenda large. Pendant la conférence, elle recherchera un
ensemble de décisions équilibrées.
Le Gouvernement sera, à Seattle, en contact permanent avec les parlementaires
présents, bien entendu.
Nous abordons cette conférence avec calme et détermination. Notre ligne doit
être d'obtenir une déclaration opérationnelle qui ouvre, ou laisse ouvertes,
les options auxquelles nous tenons. L'exercice ne sera pas aisé, car l'OMC
décide sur la base d'un consensus entre 135 membres souverains.
Nous avons beaucoup à gagner à une reprise des négociations. Si nous avons à
répondre à des questions difficiles, nous disposons de la durée : la conférence
de Seattle doit marquer le démarrage d'un prochain cycle. Seattle sera donc le
point de départ d'un travail de négociation qui se poursuivra pendant plusieurs
années et que nous mènerons avec la même résolution et le même souci de
transparence qui nous ont guidés jusqu'ici.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques et
du Plan.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans un
article du mois de juillet, Jacques Attali demandait que l'on en finisse avec
l'OMC, et c'est par milliers que des représentants des organisations non
gouvernementales fustigeront dans quelques jours, dans les rues de Seattle,
l'Organisation mondiale du commerce et le cycle de négociations qu'elle
s'apprête à lancer.
Faut-il donc vouer l'OMC et le round du Millénaire aux gémonies ?
Personnellement, je ne le crois pas, ni vous non plus, monsieur le secrétaire
d'Etat, si je vous ai bien suivi.
Certes, on peut s'interroger. Le moment est-il bien choisi pour lancer un
nouveau cycle ? N'aurait-il pas fallu, au préalable, faire le bilan du
précédent ? Je comprends que l'on en débattre.
Il reste que la France et l'Union européenne ont deux bonnes raisons de ne pas
s'en prendre de façon idéologique à l'Organisation mondiale du commerce. La
premièr est économique, la seconde politique.
Le verdict de l'économie est clair, en tout cas à mes yeux, même si je sais
qu'il arrive qu'on le conteste, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire
d'Etat.
Pourquoi le verdict de l'économie est-il clair ? Parce que la France et
l'Europe doivent l'essentiel de leur prospérité, depuis la Deuxième Guerre
mondiale, au développement des échanges internationaux.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
C'est vrai !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Les
chiffres sont sans ambiguïté : depuis la fin des années cinquante, c'est-à-dire
depuis le début des cycles du GATT, les échanges mondiaux ont été multipliés
par dix-sept, la production mondiale par quatre et le revenu par habitant de la
planète par deux. Cela signifie clairement que c'est le commerce international
qui a tiré et qui tire la croissance, celle de l'économie mondiale et, plus
encore, celle de l'Europe et de la France. Les échanges internationaux sont le
moteur de l'économie, et non l'inverse.
Ce disant, bien entendu, je n'oublie pas le cortège des tragédies dont le
libre-échange est responsable, notamment en France : le textile, la chaussure,
les chantiers navals, la sidérurgie. Dans mon département comme dans bien
d'autres, j'ai vu les dégâts !
Mais, lorsqu'on fait le bilan, que constate-t-on ? On constate que la
Communauté européenne, avec 20 % des exportations mondiales contre 16 % pour
les Etats-Unis et 11 % pour le Japon, s'est hissée au premier rang des
puissances commerciales de la planète. On constate que la France, sans renoncer
à ses valeurs, s'est solidement installée au quatrième rang des grands
exportateurs mondiaux, et même au troisième rang pour les exportations de
services. On constate que 5 millions d'individus, soit 22 % de sa population
active, doivent leur emploi à l'activité exportatrice de nos entreprises. Le
chômage continue de nous assiéger, c'est vrai, mais chacun sait qu'il a, pour
l'essentiel, des causes structurelles internes, auxquelles il faudra bien, tôt
ou tard, s'attaquer.
Arrêtons donc de conspuer le libre-échange, dont nos entreprises sont les
premières bénéficiaires ! Constatons que la France est devenue structurellement
exportatrice, structurellement compétitive, et que les partisans du repli et
les nostalgiques du protectionnisme font fausse route.
Voilà une première raison, économique, de ne pas aborder à reculons la
négociation qui va s'ouvrir.
Il y en a une seconde, qui est politique. L'OMC, mes chers collègues, n'est
pas seulement chargée de promouvoir le libre-échange ; elle a pour mission d'en
être le régulateur et l'arbitre. Or, l'intérêt de l'Europe et de la France est
de voir les échanges internationaux encadrés par des règles claires et
contraignantes. Le grand progrès de l'OMC par rapport au GATT est de comporter
une procédure obligatoire de règlement des conflits commerciaux.
L'Europe n'a rien à gagner à la loi du plus fort, à la loi de la jungle. Une
Communauté de quinze pays, au sein de laquelle les décisions sont lentes et
difficiles à prendre, est congénitalement mal armée face aux pressions
unilatérales d'un pays comme les Etats-Unis. La sagesse nous commande d'opter
pour des procédures multilatérales qui s'imposent à tous les pays et qui les
placent tous à égalité.
N'oublions pas que c'est l'Europe, et non les Etats-Unis, qui a fait naître
l'OMC. Bien des différends nous opposent et nous opposeront à cette
organisation ; il demeure que l'Europe et l'OMC ont partie liée.
Soyons donc positifs et offensifs dans notre approche du cycle du Millénaire !
Ce qui ne signifie pas, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il faille être
complaisant ou naïf, bien au contraire.
La première des naïvetés consisterait à être dupe de l'ambiguïté américaine.
Je m'étonne, à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas
relevé l'incertitude fondamentale qui pèse sur la position des Etats-Unis. Le
président et son administration veulent que le cycle du millénaire s'ouvre à
Seattle et progresse, ensuite, le plus rapidement possible. Mais ils ont
besoin, pour négocier, d'un mandat que le Congrès leur a jusqu'ici refusé.
Négocier avec les Etats-Unis sans que la procédure dite du
fast track
ait été votée serait une grave erreur. C'est un véritable piège dans lequel il
ne faut pas tomber. Le Congrès serait alors libre, en effet, de remettre en
cause les résultats de la négociation, après sa conclusion, obligeant le
président à revenir devant ses partenaires étrangers pour leur arracher une
nouvelle série de concessions.
Le cycle du Millénaire peut, certes, s'ouvrir pour la forme dans quelques
jours ; mais il ne peut s'agir que d'un prologue. Les négociations sérieuses
devront attendre que le prochain occupant de la Maison-Blanche ait obtenu du
Congrès les pouvoirs obstinément refusés au président Clinton. On me permettra
d'ajouter que le rejet par le Congrès des Etats-Unis du traité sur
l'interdiction des essais nucléaires ne peut que nous inciter à la plus grande
fermeté sur ce point.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Une fermeté, monsieur le secrétaire d'Etat, qui s'imposera tout autant sur
d'autres points essentiels, que vous avez d'ailleurs relevés.
Le plus important concerne sans doute l'esprit même de l'exercice qui va
débuter. Pour l'Europe et pour la France, il doit s'agir d'une négociation d'un
nouveau type, différente des précédentes, parce que les temps ont
fondamentalement changé.
L'agriculture ne peut plus être considérée, ainsi qu'elle l'a été jusqu'ici,
comme exclusivement productrice de denrées alimentaires. Son caractère
multifonctionnel doit être explicitement reconnu. Sans une agriculture vivante,
il n'y a, en Europe, ni paysages, ni aménagement du territoire, ni équilibre
entre l'espace urbain et l'espace rural, un équilibre pourtant vital pour des
sociétés confrontées, dans leurs banlieues, à d'angoissants défis sociaux.
En défendant la politique agricole commune, monsieur le secrétaire d'Etat,
vous défendrez beaucoup plus que des intérêts ; vous défendrez un modèle de
civilisation auquel il ne peut pas être question de renoncer.
Il en va de même - est-il besoin de le souligner ? - de la culture, parce
qu'elle touche à l'identité même de notre pays et qu'on ne saurait la livrer à
une logique mercantile ou financière.
Agriculture et culture nous opposent aux Etats-Unis. L'environnement et la
prise en compte de normes sociales nous opposeront, sachons-le, au tiers monde,
qui y voit une forme déguisée de protectionnisme.
Autant dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que la négociation sera longue,
agitée et qu'elle n'aura évidemment d'intérêt pour nous, vous l'avez dit, que
si elle est globale et équilibrée.
Elle devra, bien entendu, prendre en compte les intérêts légitimes - ils ne le
sont pas tous ! - des pays en voie de développement, y compris ceux de la
Chine, dont l'adhésion désormais probable à l'OMC conférera, à l'évidence, à la
négociation une portée sensiblement accrue.
Pour l'Europe, la partie sera difficile. La Communauté devra veiller à ne pas
se laisser isoler. Elle devra surtout maintenir entre ses membres, dont les
intérêts et les sensibilités, nous le savons bien, sont souvent divergents, une
cohésion sans faille. Ce sera peut-être l'essentiel, monsieur le secrétaire
d'Etat, de votre tâche.
Si elle y parvient, le cycle du Millénaire, au lieu d'engendrer les
catastrophes que certains annoncent, pourrait, au contraire, inaugurer une ère
nouvelle, où liberté et réglementation des échanges s'équilibreraient dans le
cadre de procédures contraignantes et d'arbitrages impartiaux. Un objectif
aussi ambitieux est-il atteignable ? C'est loin d'être certain. Mais ce qui est
évident, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est qu'il est dans l'intérêt de
l'Europe et de la France d'y travailler sans faiblesse.
(Applaudissements
sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales
qui doit être lancé lors de la toute prochaine conférence ministérielle de
l'OMC revêt une importance que nous savons tous considérable.
C'est pourquoi mes premiers mots seront pour remercier la conférence des
présidents du Sénat et le Gouvernement d'avoir accepté la suggestion que
j'avais formulée d'organiser ce débat devant la Haute Assemblée à la veille de
l'ouverture de la conférence de Seattle.
Car il va de soi que le Parlement doit être en mesure de s'exprimer sur une
échéance aussi importante, comme il devra, demain, être tenu précisément
informé et régulièrement consulté, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le
déroulement de ce cycle du Millénaire.
Je me contenterai, ce matin, de formuler deux séries d'observations de portée
générale sur les enjeux de ces nouvelles négociations commerciales
internationales, avant de vous poser, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques
questions précises, avec l'espoir que vos réponses seront de nature à mieux
éclairer le Sénat.
La conférence de Seattle exige une attention et une vigilance toutes
particulières. Elle ne justifie pas pour autant - mon collègue et ami Jean
François-Poncet l'a dit - un alarmisme excessif, ni des discours hostiles à
l'Organisation mondiale du commerce elle-même ou prônant un refus de participer
à des négociations où nous devons, au contraire, faire entendre notre choix
haut et fort pour mieux défendre nos intérêts.
C'est précisément parce que la mondialisation suscite, légitimement, beaucoup
de préoccupations et de critiques que la communauté internationale dans son
ensemble doit l'entourer de règles plus précises et plus équitables.
C'est parce que le développement du commerce international a été et demeure le
moteur et le stimulant de la croissance mondiale que ces négociations doivent
être entreprises et les réactions frileuses écartées.
C'est parce que la France est la quatrième puissance commerciale mondiale et
le troisième exportateur de services que la politique de la « chaise vide »
desservirait gravement nos propres intérêts.
L'Organisation mondiale du commerce a été précisément conçue pour mettre en
place un système de règles et de transparence dans les échanges entre les
nations et pour éviter les excès redoutés de la dérégulation. L'OMC,
rappelons-le, est la première institution internationale qui dispose d'un
véritable pouvoir d'arbitrage entre les intérêts contradictoires des nations.
Et il n'est pas sans intérêt de souligner que les Etats-Unis, en adoptant la
mise en place de ce règlement, ont accepté là ce qu'ils ont systématiquement
refusé pour toute autre juridiction internationale.
Ne confondons donc pas le danger et le remède qui lui est apporté. Il est
légitime de vouloir corriger les excès potentiels d'une mondialisation
galopante. Mais c'est précisément l'OMC qui constitue l'instrument le plus
adapté pour y parvenir.
Dans ce cadre, le cycle du Millénaire revêtira une importance exceptionnelle.
Ces nouvelles négociations multilatérales sont singulières par rapport aux
nombreux rounds qui les ont précédées - non pas forcément plus importantes, car
je crois que le cycle de l'Uruguay, qui a débouché sur les accords de Marrakech
et sur la création de l'OMC, est celui qui a provoqué les changements les plus
forts.
Toutefois, ces négociations seront différentes au moins à deux titres.
D'abord, parce qu'elles sont aujourd'hui appelées à s'étendre à des sujets -
et la France le veut ainsi - comme les normes environnementales, sociales et
alimentaires, encore plus sensibles pour les opinions publiques, et qui
revêtent, de ce fait, une importance politique encore accrue.
Ensuite, parce que les pays en développement détiennent aujourd'hui une place
numériquement prépondérante parmi les 134 membres que compte l'OMC ; les
négociations doivent, dès lors, être plus équilibrées et ne peuvent plus se
limiter à un dialogue, ou à un affrontement, entre Européens et Américains.
Comment analyser, dans ces conditions, les enjeux réels du prochain cycle de
négociations pour notre pays et pour l'Union européenne dans son ensemble ?
Je crois tout d'abord que l'objectif majeur de cette négociation devra être de
convaincre nos peuples du bien-fondé d'une libéralisation équitable et
maîtrisée des échanges. Cela suppose une approche à la fois plus humaine et
ambitieuse de ce cycle du Millénaire. Cela justifie l'approche large, défendue
par l'Union européenne, d'un cycle complet de négociations. Il est nécessaire
qu'y soient discutés non seulement les questions relatives à l'agriculture et
aux services, mais aussi les nouveaux sujets nécessaires à une meilleure
maîtrise du phénomène de mondialisation : normes fondamentales du travail,
liens entre commerce et environnement, questions de sécurité alimentaire. Il
faudra aussi préserver et promouvoir la diversité culturelle, en particulier
lorsque sera abordée - il faudra bien le faire, monsieur le secrétaire d'Etat -
la définition d'un accord multilatéral relatif aux investissements.
Cette approche large des négociations justifie aussi l'exigence européenne
d'un cycle global et d'un engagement unique, refusant tout accord partiel avant
la fin des négociations. Cette approche est en effet seule gage d'équilibre :
le compromis est nécesssaire, et seule cette globalité permet le pilotage
politique indispensable pour que les différentes parties obtiennent des
résultats de la négociation des bénéfices comparables et équilibrés.
Un autre objectif de ce nouveau cycle devra être, à mes yeux, de tenter de
conforter le mécanisme de règlement des différends. L'Organe de règlement des
différends constitue une avancée du droit, illustrée par le caractère équilibré
de ses décisions. C'est ainsi que les Etats-Unis ont été, en septembre dernier,
mis en demeure de modifier leur dispositif fiscal d'aide aux entreprises
américaines à l'exportation. Il reste que le système, hybride dès lors que
l'OMC ne dispose pas de bras séculier pour contraindre les Etats responsables,
demeure perfectible. Il faut donc saisir l'opportunité qui s'offre d'améliorer
le mécanisme de règlement des différends, en particulier en professionnalisant
le recrutement des juges que constituent les « panélistes » et en renforçant la
transparence du système.
Par-delà ces données générales, j'évoquerai, monsieur le secrétaire d'Etat,
quelques questions ponctuelles ; les réponses qui y seront apportées
conditionneront demain le déroulement des négociations puis la mise en oeuvre
des résultats du cycle du Millénaire.
Pouvez-vous d'abord nous donner des précisions, point que M. Jean
François-Poncet a rappelé, sur les positions de l'administration américaine ?
En particulier, le fait que le président Clinton n'ait pas obtenu du Congrès la
procédure de ratification simplifiée que constitue le
fast track
ne
risque-t-il pas de réduire, au cours du prochain cycle, les capacités de
négociation américaines ?
Où en est-on, par ailleurs, à la suite du récent accord sino-américain, quant
aux perspectives d'adhésion de la Chine à l'OMC ? Si elle est la dernière-née
des grandes institutions internationales, l'OMC, pour être un arbitre
incontestable, doit pouvoir s'imposer à tous. Il me paraît donc souhaitable
qu'une puissance comme la Chine ne reste pas en dehors de l'organisation.
Troisième question : dans quelle mesure les futures négociations de l'OMC
pourront-elles influer sur les relations priviligiées - je le souligne - entre
les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique et de l'Union européenne,
relations dont les dispositions - celles de la convention de Lomé - sont
actuellement en cours de renouvellement ? Plus généralement, dans quelle mesure
le cycle du Millénaire permettra-t-il aux pays en voie de développement de
trouver leur place sur la scène commerciale internationale ?
Mon dernier appel concernera, monsieur le secrétaire d'Etat, l'indispensable
association du Parlement au déroulement des prochaines négociations. Une
meilleure information des parlementaires sur les grandes négociations
internationales est, dans un monde de plus en plus « global », devenue une
nécessité. Il ne s'agit pas en l'occurrence, pour le Sénat ou l'Assemblée
nationale, d'empiéter sur les pouvoirs de l'exécutif. Il s'agit, dans l'intérêt
de tous, de permettre aux parlementaires de jouer pleinement leur rôle
d'information, d'explication et de sensibilisation auprès de nos concitoyens
qui seront directement concernés par les résultats des prochaines négociations.
Ne l'oublions pas : la force diplomatique et la marge de manoeuvre dans les
négociations dépendront, de plus en plus, dans l'avenir, du soutien des
opinions publiques.
Ainsi seulement parviendra-t-on, par-delà l'OMC, à promouvoir l'approche
humaine de la mondialisation qui est indispensable.
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
développement du commerce international, l'extension du marché à l'ensemble de
la planète et les révolutions technologiques bouleversent la configuration du
capitalisme et les formes traditionnelles d'intervention des Etats pour
l'encadrer. Si la richesse globale progresse grâce à l'essor du commerce
mondial, les acteurs économiques changent de dimension, en particulier face aux
Etats nations qui perdent régulièrement leur influence.
Les inégalités entre les pays et au sein même des Etats se creusent sans que
nous sachions toujours trouver les outils nécessaires satisfaisant à la fois la
solidarité et l'efficacité économique.
Les nouvelles tensions qui apparaissent, les nouvelles situations
conflictuelles ou les nouvelles contradictions que nous devons résoudre
deviennent globales et plus lourdes de conséquences pour nos avenirs
puisqu'elles se généralisent à l'ensemble de notre planète. C'est sans doute
pourquoi les problèmes de l'environnement et le principe de précaution prennent
maintenant une place si importante. Et plus le monde se globalise, plus il a
besoin de règles. Plus la mondialisation se renforce, plus ses règles doivent
s'appliquer à tous.
Aussi, la tendance à l'intervention minimale propre à l'idéologie néolibérale
ne peut que renforcer le marché par rapport à une société démocratique et
conduit à un individualisme destructeur des valeurs de vie en commun, de
liberté et de cohésion. Les Etats nations se replient sur eux-mêmes ou
disparaissent, faute d'être autre chose qu'une coquille vide incapable de
répondre aux phénomènes qui dépassent les frontières nationales. C'est ici que
la construction européenne prend toute sa dimension.
Nous refusons le choix d'une France recroquevillée sur son passé et frileuse
de l'avenir. Nous refusons le choix d'une France rapetissée, réduite au
souvenir d'elle-même. Nous refusons le choix d'une France monégasque. Jamais
notre pays n'est aussi grand que lorsqu'il choisit le chemin de l'universalité.
Nous voulons la France de Jaurès et de Briand. Nous voulons la France de René
Cassin et de Jean Monnet, actrice de l'Europe, inscrite dans le monde,
promotrice de la solidarité.
Ceux qui endorment aujourd'hui les Français avec la belle légende d'Astérix et
Obélix n'oublient qu'une chose : ils n'ont pas la potion magique et, surtout,
ils ne sont pas tombés dedans quand ils étaient petits.
M. Emmanuel Hamel.
C'est une question de volonté !
M. Jacques Bellanger.
Si le somnifère agissait, le conte de fées deviendrait un cauchemar au réveil.
La France et l'Europe ont besoin de leur commerce extérieur, ne serait-ce que
pour revenir au plein emploi.
Nous ne serons donc pas de ceux qui montrent du doigt l'OMC pour en faire la
responsable de la mondialisation.
Messieurs les souverainistes, vous faites sur ce point le poirier : la tête en
bas, les pieds en l'air !
M. Emmanuel Hamel.
C'est une injure à l'avenir de la France !
M. Jacques Bellanger.
Lorsque M. Abitbol affirme que les décisions de l'OMC sont à 90 % en faveur
des Etats-Unis, il a tout faux !
M. Emmanuel Hamel.
L'injure n'est pas un argument !
M. Jacques Bellanger.
Les Etats-Unis ont perdu neuf procédures et en ont gagné onze ; l'Union
européenne en a perdu cinq et remporté huit. En outre, si elle était confirmée
en appel, il faudrait rajouter aux procédures perdues par les Etats-Unis celle
des « FSC », les dispositifs fiscaux américains d'aide à exportation, et ce
n'est pas une petite petite affaire !
Souvenons-nous : après la guerre, le GATT devient le pilier commercial du
système d'économie libérale de Bretton Woods. Il enregistre une multitude
d'accords souvent bilatéraux, parfois multilatéraux, de secteur ou
géographique. Petit à petit, se dégage une forme de jurisprudence, de démarches
et d'approche générale débouchant sur les conclusions de l'Uruguay round et
l'accord de Marrakech créant l'OMC. Ainsi se constitue l'embryon d'une
réglementation commerciale internationale qui va prendre un essor imprévu du
fait de la volonté d'universalité de l'OMC et de l'existence en son sein d'un
système impliquant le retrait des mesures reconnues comme illégales ou, à
défaut, le paiement de compensations ou même de sanctions par les parties qui
enfreindraient les règles.
Nous disposons aujourd'hui d'un outil qui peut apparaître comme un prélude à
un nouvel ordre juridique mondial en matière de commerce international. Ses
normes sont-elles satisfaisantes ? C'est une autre histoire, et nous y
reviendrons, mais, face à la jungle du « tout est permis » et du non-contrôle,
du libéralisme sauvage, nous disposons d'un instrument de régulation de la
mondialisation. Loin de le condamner dans son principe, nous entendons situer
notre combat en son sein pour une plus grande justice, pour une plus grande
équité et une meilleure solidarité.
Organiser les règles d'échange des marchandises, c'est d'abord les définir,
les caractériser, voire les différencier.
Nous refusons l'uniformisation et la marchandisation des sociétés. Les oeuvres
de l'esprit et les cultures ne sont pas des marchandises. Les vecteurs
matériels qui les supportent et les transmettent doivent donc faire l'objet
d'un traitement particulier et je laisserai à ma collègue Danièle Pourtaud le
soin d'intervenir sur ce sujet.
La santé n'est pas une marchandise.
Le travail n'est pas une marchandise.
La définition des droits en ces domaines et le respect de normes minimales
sociales et sanitaires doivent générer des règles spécifiques. Nous devons
aussi prendre en compte l'état de développement de nombreux pays.
Ces normes particulières doivent s'accompagner d'un devoir de solidarité et
de la définition d'étapes. Nous voulons le commerce et l'aide, et non pas le
commerce sans l'aide.
Nous proposons l'ouverture commerciale aux pays les moins avancés et une aide
généreuse, comme en témoigne l'initiative du Conseil européen de Cologne sur
l'annulation de la dette des pays les plus pauvres.
Nous souhaitons que les pays riches suivent l'exemple de l'Union européenne et
que l'accord de Seattle, s'il y en a un, garantisse l'accès au marché en
exemption des droits au plus tard à la fin du nouveau cycle de négociations
pour la plupart des produits exportés pour les pays les moins développés.
Cette proposition peut être considérée comme une étape vers la libéralisation
multilatérale. Elle doit donc être complétée par la mise sur pied
d'intégrations régionales permettant à ces pays de développer leur marché
intérieur et leurs exportations sur des bases compétitives, afin de rendre ces
pays plus indépendants et plus aptes à défendre leur propre position. La
compatibilité entre régionalisme et multilatéralisme doit être assurée.
L'environnement non plus n'est pas une marchandise. Mais nous avons un petit
acquis d'avance puisque, contrairement aux normes fondamentales du travail, la
nécessité de liens entre le commerce et l'environnement a été reconnue. Le
principe de précaution figure même, timidement, dans deux accords de l'OMC.
Il nous faut toutefois constater que l'OMC a plutôt tendance à considérer les
réglementations nationales de l'environnement comme des formes déguisées de
protectionnisme et à ne pas prendre en considération les grands principes de
Rio. Il y a donc encore beaucoup à faire en ce domaine.
De plus, les initiatives récentes visant à établir un droit à polluer
négociable et donc - pourquoi pas ? - une bourse des droits à polluer ont des
aspects profondément choquants.
Nous nous félicitons de la décision prise par le Gouvernement conduit par
Lionel Jospin de s'opposer à l'accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI,
qui était par trop favorable aux multinationales. Il leur donnait le droit de
porter plainte contre les pratiques qu'elles jugeaient discriminatoires des
Etats, et ces mêmes Etats n'obtenaient pas les garanties nécessaires pour
préserver leur capacité réglementaire, notamment en matière sociale. Bref,
c'était un mauvais accord dans un cadre inadapté, et un accord d'ailleurs
contesté aussi par les pays en voie de développement.
Ce n'est pas le principe de l'accord qui a été rejeté. Ce sont ses modalités
inadmissibles et inapplicables. Il est donc souhaitable de définir de nouvelles
règles multilatérales concernant l'investissement.
Ces règles doivent assurer la stabilité de l'investissement direct étranger
dans le monde, définir strictement les critères de développement durable
applicables aux différents types d'investissement, préserver, dans le cadre
défini, les capacités des pays d'accueil en matière réglementaire et être
prises dans une instance où les pays en voie de développement sont représentés.
L'OMC me paraît souhaitable.
Il restera ensuite à définir l'outil en charge de la régularisation concrète
des investissements. La logique conduirait à profiter de l'expérience acquise à
l'OMC.
Nous avons plusieurs fois souligné qu'une des forces de l'OMC était son
système de règlement des conflits composé d'une première instance, les groupes
spéciaux ou panels, et d'une seconde instance d'appel. Nous souhaitons
toutefois formuler sur ce point deux remarques et recueillir l'avis du
Gouvernement.
Avant la création de l'OMC en 1995, les négociations commerciales se passaient
dans une confidentialité organisée. Les progrès accomplis par l'OMC sont
incontestables, mais ils restent trop limités aux gouvernements, et sans doute
même à certains gouvernements.
Nous souhaitons pour notre part rendre l'OMC plus citoyenne, ce qui signifie
que la société civile et en particulier les ONG puissent faire valoir leur
point de vue au cours des négociations sans que le caractère
intergouvernemental de l'OMC soit remis en cause. Nous espérons ainsi
introduire dans le processus de décision les notions de droit et de protection
des consommateurs.
Nous souhaitons également que l'accès au recours des pays les moins développés
soit facilité.
Nous sommes en train de voir apparaître, à partir des règlements des
différents conflits, une véritable jurisprudence en matière de commerce
international. Le Gouvernement partage-t-il ce sentiment et en est-il satisfait
? Comment peut-on concilier la nature consensuelle de l'OMC et la construction,
à partir de ses instances, d'un début de droit international en matière de
commerce ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, les enjeux de la conférence de Seattle sont
d'une grande importance. Sur la route du monde futur, nous sommes à la croisée,
du moins à une croisée des chemins. Il est de notre intérêt, de l'intérêt de
l'Union européenne, qu'un accord puisse être trouvé et, bien entendu, d'abord
sur l'ordre du jour et son contenu.
Nous avons développé notre conception d'une mondialisation maîtrisée avec une
OMC qui est l'instrument d'une véritable régularisation du commerce
international. Nous savons qu'à Seattle les divergences seront sérieuses. Les
Etats-Unis ont aussi des intérêts à préserver, et c'est bien naturel. Mais les
conditions politiques prévalant dans ce pays adossées à un calendrier électoral
leur feront préférer un débat très encadré dans un délai très restreint.
Les pays en voie de développement, faute d'un vrai bilan des accords de
Marrakech, souhaitent limiter les ambitions des négociateurs et obtenir des
résultats concrets immédiats. Nous ne pourrons pas concéder des remises en
cause fondamentales de nos positions.
Faute de compromis acceptable, ne conviendrait-il pas alors de laisser « du
temps au temps » ? Nous serons ainsi en plein accord avec le Premier ministre
lorsqu'il déclare : « Rien n'est acquis quand tout n'est pas acquis. »
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
après avoir entendu nos deux présidents de commission, MM. Jean François-Poncet
et Xavier de Villepin, je crois que nous aurions pu arrêter là le débat, car
ils ont tout dit, ou du moins ils ont exprimé ce que pense la très large
majorité des sénateurs.
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est vrai !
M. Michel Souplet.
Au nom du groupe de l'Union centriste, je voudrais toutefois dire que je me
réjouis qu'un tel débat ait lieu au sein de la Haute Assemblée et que l'on
reconnaisse, enfin, l'importance de l'avis du Parlement. Car il ne faut pas
oublier que les décisions qui seront prises lors du prochain cycle de
négociations auront d'inévitables implications sur la législation française.
J'ai noté d'ailleurs avec satisfaction votre affirmation, monsieur le
secrétaire d'Etat, lors du dernier débat sur l'OMC à l'Assemblée nationale,
selon laquelle le Gouvernement tiendrait informé régulièrement le Parlement de
l'avancée des discussions de Genève. Je souhaite qu'en plus de l'information le
Gouvernement tienne compte de la volonté du Parlement et de ses
propositions.
Nous avons entendu de tout sur l'OMC et sur ses prétendus méfaits à l'approche
des prochaines négociations du nouveau cycle du Millénium. Je constate
néanmoins que le Gouvernement a aujourd'hui une approche plus réaliste qu'il
n'a pu l'avoir auparavant. Quelques électrons libres - et c'est tant mieux
s'ils sont libres - continuent de fustiger cette organisation qui, je vous le
rappelle, doit sa mise en place non pas aux Etats-Unis, mais à l'insistance de
la France en particulier. Au contraire, cette puissance, qui nous donnera bien
du fil à retordre, aurait souhaité conserver seule cet accord provisoire
qu'était le GATT.
J'observe également que l'on ne peut porter notre discussion autour des seuls
Etats-Unis, bien au contraire. Cela s'explique par les récents différends que
nous avons eus avec eux. Je pense, par exemple, au commerce de la banane.
A ce propos, j'ai toujours été surpris qu'un pays qui ne produit pas de
bananes se batte avec autant d'énergie, essentiellement pour les intérêts
commerciaux de grands groupes internationaux à dominante américaine. Ce fut le
cas du boeuf aux hormones, du boycott de certains produits français, des
surtaxes infligées sur certains produits.
Pourtant, on sait que l'Union européenne a remporté plus de « panels » qu'elle
n'en a perdus. A cet égard, puisque l'un des nouveaux sujets que l'Union
souhaiterait aborder lors du prochain cycle est la concurrence, il me semble
souhaitable de porter notre attention sur une éventuelle réforme du système des
sanctions.
En effet, lorsqu'un Etat se sent victime de barrières à l'entrée de la part
d'un autre Etat, il peut saisir l'organe de règlement des différends, sorte de
système juridictionnel de l'OMC qui statue et constate ou non l'existence d'une
violation des obligations prévues par les accords de l'OMC. Or, dans le cas où
l'Etat mis en cause ne révise pas sa position, l'Etat victime est autorisé à
prendre des mesures de rétorsion, d'où la mise en place de barrières à l'entrée
légitimes. On assiste donc, comme l'écrivait Mme Frison-Roche dans un quotidien
du soir, à un système hybride, entre le pur rapport de forces et un système de
droit où la victime ne disposerait pas de la sanction.
Quelles en sont les conséquences ?
Dans l'affaire du maintien de l'interdiction d'importation du boeuf aux
hormones produit par les Américains, ce ne sont pas les producteurs qui ont
bénéficié de la barrière à l'entrée qui sont pénalisés ; ce sont les
producteurs de roquefort, de foie gras...
Je cite Mme Frison-Roche : « ... ainsi, les producteurs de roquefort voient
leur possibilité d'exportation obérée pour sanctionner un comportement qui a
bénéficié aux producteurs européens de boeuf. Le sens commun mais aussi le
coeur des règles qui légitiment une répression ont du mal à l'admettre. Dans le
contexte du droit pénal, on pourrait dire que cela n'est pas juste. » Il est
donc important que le sujet soit abordé lors du prochain cycle afin de penser à
une réforme du système des sanctions.
Pour clore le débat sur le rôle des Etats-Unis - et Dieu sait si c'est une
obsession pour chacun, tous courants politiques confondus - on ne peut que
s'étonner de leur attitude isolationniste et protectionniste alors que, selon
les dernières estimations de l'OCDE, publiées la semaine dernière, la reprise
de l'économie mondiale se confirme et devrait se poursuivre, cela grâce à la
vigueur inattendue de la croissance américaine associée à une reprise plus
forte que prévue au Japon ainsi qu'en Corée et à une légère amélioration des
perspectives en Europe. On n'ose pas imaginer quelle aurait été leur attitude
dans un contexte économique moins favorable pour eux !
Cependant, il ne faut pas oublier que les Américains raisonnent dans un
contexte de future campagne électorale et n'évaluent donc pas de la même façon
que nous la part des risques et la part des opportunités dans les sujets que
l'Union européenne veut mettre sur la table des négociations. Mais cela ne
serait peut-être pas seulement le fait de l'administration américaine, car nous
sommes dans un état d'esprit constructif, à la différence du Congrès, qui, lui,
serait agressif, qui n'a d'ailleurs pas donné de mandat de négociation globale
à l'administration américaine ; cela vous a été rappelé à deux reprises à
l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat.
Quels sont donc les points de discorde ? Alors que les Etats-Unis veulent
négocier secteur par secteur, l'Union européenne et la France, en particulier,
sont favorables à un cycle global de négociations, au terme duquel aucun accord
sectoriel ne serait possible avant la conclusion d'un accord global. Comme le
souligne le Premier ministre, « rien n'est acquis tant que tout n'est pas
acquis ». Sur ce point, il n'y a aucune divergence entre le chef de l'Etat et
le chef du Gouvernement.
Par ailleurs, les Américains ne veulent s'en tenir qu'au
built-in-agenda,
c'est-à-dire à l'agenda incorporé de Marrackech, qui ne comprend que les
services et l'agriculture. Lors de la dernière conférence ministérielle à
Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à
l'agenda du prochain cycle et l'Union européenne soutient cette demande. Elle
est claire sur ce point et souhaite que les membres de l'OMC parviennent à
s'accorder sur un ordre du jour élargi.
Elle juge ainsi indispensable que soient discutés des droits de douane sur les
produits industriels, de la protection de la propriété intellectuelle - j'y
reviendrai tout à l'heure, car ce sera l'occasion d'insister sur la nécessaire
protection des indications géographiques ; mon collègue Jean Huchon ne m'en
voudra pas trop si je déborde légèrement sur le volet agricole -...
M. Jean Huchon.
Si !
(Sourires.)
M. Michel Souplet.
... des marchés publics, des obstacles techniques aux échanges, ainsi que de «
nouveaux sujets » que l'on doit lier au commerce international, tels que les
normes fondamentales du travail, l'environnement, la sécurité alimentaire,
l'investissement et le droit de la concurrence.
Je ne reprendrai pas tous les thèmes ; je dirai simplement que des droits de
douane, s'ils sont l'un des obstacles à de meilleurs échanges commerciaux, ne
sont plus ceux qui provoquent les plus grandes distorsions. Ce à quoi l'Union
européenne doit s'attaquer, c'est à des mesures moins transparentes auxquelles
certains pays ont recours pour maintenir leur marché fermé et protéger leurs
entreprises, moins compétitives, de la pression de l'étranger.
Ainsi, ce nouveau cycle doit aboutir à l'élaboration de règles garantissant
l'application transparente du droit de la concurrence par tous les pays. En
effet, on ne peut plus permettre aux grosses entreprises de s'adonner à des
pratiques discriminatoires ; je pense notamment aux ententes à l'importation,
pratiques qui restreignent fortement l'accès aux marchés.
Dans les sujets déjà abordés lors du dernier cycle, il y a aussi le droit de
la propriété intellectuelle. Le traité de Marrakech comprend un accord sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, dit
ADPIC. Celui-ci concerne tous les produits, qu'ils soient naturels ou
manufacturés, agricoles ou industriels, avec une protection renforcée pour les
vins et spiritueux.
Cet accord constitue une avancée majeure dans la protection internationale des
droits de propriété intellectuelle qu'il s'agisse des droits d'auteur, des
marques, des indications géographiques, des dessins et modèles, des brevets,
etc.
Un apport de cet accord est de définir à l'échelon international l'indication
géographique et de permettre de fédérer 135 pays autour de cette définition.
L'indication géographique « sert à identifier un produit comme étant originaire
du territoire d'un Etat membre, d'une région ou d'une localité de ce
territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique
déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine
géographique ».
Le principe majeur de cette protection générale est d'éviter la tromperie ou
la confusion que pourrait provoquer chez le consommateur une utilisation
incorrecte ou indue d'une indication géographique ou d'une concurrence
déloyale.
Pour ce qui concerne particulièrement les vins et spiritueux, et qui touche
particulièrement la France, il existe une protection additionnelle dite «
objective », c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire de prouver une tromperie
au consommateur ou un acte de concurrence déloyale.
Cependant, la protection des indications géographiques connaît des limites du
fait de l'existence d'exceptions telles que, notamment, les noms d'appellation
considérés comme génériques ou semi-génériques, comme le « chablis californien
», ou le « champagne canadien ».
Sous prétexte que les accords ADPIC ne prévoient pas une obligation d'aboutir,
certains Etats tardent à négocier. Le rendez-vous de Seattle doit être
l'occasion de relancer ce débat. L'Union européenne doit être offensive : une
protection internationale plus efficace des indications géographiques
renforcera la compétitivité des exportations agro-alimentaires, tout en
valorisant une agriculture de haute qualité.
Dans les thèmes souhaités par l'Union européenne figure la prise en compte des
craintes éprouvées par nos concitoyens sur les effets de la globalisation, des
craintes relatives à l'environnement et à la protection des consommateurs. Pour
ce qui concerne la protection des consommateurs, je pense notamment au principe
de précaution consacré par la conférence de Rio et relevant de conventions
internationales. Or ce principe n'est pas spécifiquement mis en oeuvre par les
règles de commerce international et il faut donc d'urgence inciter à une
adaptation de l'accord sanitaire et phyto-sanitaire.
L'OMC autorise ses membres à prendre les mesures sanitaires et
phyto-sanitaires qu'ils jugent nécessaires pour protéger la santé et le
bien-être de leurs concitoyens. Le traité d'Amsterdam a consacré la protection
des consommateurs comme l'un des objectifs fondamentaux de l'Union européenne.
Celle-ci doit donc tout mettre en oeuvre pour que la discussion internationale
établisse des méthodes communes d'évaluation des risques et définisse des
règles pour renforcer et appliquer le principe de précaution.
Par ailleurs, le cycle doit être bénéfique à l'environnement.
Un récent rapport de l'OMC, daté du 14 octobre dernier, fait état pour la
première fois des conséquences négatives que peut avoir le commerce sur
l'environnement. Les généralisations manichéennes sont autant le fait du milieu
des affaires que celui des militants écologistes : le commerce est déclaré soit
bon, soit mauvais pour l'environnement alors que, dans la réalité, la vérité
est à mi-chemin des deux affirmations.
On doit avoir en tête que le commerce, l'environnement et le développement ont
des relations triangulaires, les deux premiers éléments s'épaulant mutuellement
en faveur du développement durable. Pour ce faire, il sera nécessaire de passer
en revue des préoccupations actuelles relevant de domaines aussi divers que le
changement climatique, la biodiversité et, ce qui préocuppe particulièrement
l'Union européenne, la compatibilité de l'éco-étiquetage avec les règles de
l'OMC.
Enfin, et ce n'est pas parce que je l'évoque en dernier que c'est un sujet qui
m'importe moins, je souscris à la volonté de l'Union européenne de mieux
intégrer les pays en développement. Ceux-ci n'ont pas la capacité compétitive
d'accéder au marché mondial et, contrairement aux arguments du groupe de Cairns
et des Etats-Unis, la libéralisation des échanges n'est pas favorable aux
producteurs et aux économistes de ces pays. Bien que les pays en voie de
développement représentent 20 % environ des produits manufacturés dans le
monde, la plupart savent depuis longtemps les rôles seconds qu'on leur fait
jouer sur la scène économique mondiale.
C'est pourquoi je souscris à la volonté de l'Union européenne de prendre en
compte l'ensemble des besoins et des préoccupations spécifiques de ces pays au
travers de ce que l'Union européenne appelle « le programme de développement de
l'OMC ». Ce programme propose notamment la franchise de droits pour les pays
les moins avancés, les PMA, la négociation de droits systématiques plutôt que
limités à certains secteurs.
En effet, les négociations doivent porter sur tous les secteurs présentant un
intérêt pour les pays en développement et, dans les nouveaux domaines tels que
l'investissement et la concurrence, elles doivent également prendre en compte
les problèmes liés au développement. En d'autres termes, j'affirme que la
question du développement dans la libéralisation du commerce est un des thèmes
récurrents des négociations.
Puisque j'évoque une meilleure intégration des pays en développement, parmi
les thèmes que l'on doit lier au commerce international, figure également celui
des normes fondamentales du travail. C'est un sujet délicat, car on sait bien
que les pays en développement pratiquent ce que nous appelons un « dumping
social », notamment au travers du travail des enfants. Nos pays industrialisés
ne peuvent pas l'accepter pour des raisons simplement morales. Cependant, les
pays en développement ne souhaitent pas que la question des normes sociales
soit soulevée à Seattle. En effet, ils considèrent que c'est porter atteinte à
leur avantage comparatif, et l'on ne sait jamais si ces normes sont évoquées
par les pays industrialisés par souci moral ou bien pour justifier des
pratiques protectionnistes.
L'Union européenne, quant à elle, souhaite promouvoir les normes fondamentales
du travail définies par les conventions de l'organisation internationale du
travail, l'OIT sur le travail des enfants, le travail forcé, la liberté
d'association, la non-discrimination, normes qui sont la garantie d'une
distribution équitable des bénéfices de la croissance et d'une amélioration des
conditions sociales. C'est pourquoi elle insiste pour que l'OIT obtienne le
statut d'observateur à l'OMC.
« Mondialisation, globalisation... peu importe le nom que l'on invoque et que
l'on utilise por effrayer nos concitoyens et diaboliser l'OMC. Il faut dire que
le contexte s'y prête, et l'on a observé une forte effervescence sur les
affaires agricoles et sanitaires, notamment en France dernièrement.
On en connaît bien l'origine : les affaires de la vache folle, de la
dioxine... Certains semblent oublier que nous évoluons dans un monde
caractérisé par l'interdépendance économique et qu'il n'est pas de l'intérêt de
la France ni de l'Union européenne de pratiquer la « chaise vide » - M. de
Villepin l'a souligné précédemment - voire de sembler aveugles à certains
moments de notre existence.
Cependant, il ne faut pas non plus avoir l'autre vision manichéenne du
libre-échange, souvent considéré comme synonyme de loi de la jungle.
Si l'Union européenne a pris l'initiative de faire campagne pour l'ouverture
d'un nouveau cycle de négociations commerciales dès 1997, c'est qu'elle estime
que le système d'échanges multilatéral doit être mieux organisé et plus
libéralisé pour répondre à la globalisation grandissante de l'activité
économique. Je cite, en effet : « Un cycle global, offrant un ensemble
équilibré d'avantages pour tous les membres de l'OMC, pourra concilier les
demandes antagonistes de croissance économique, d'intégration plus poussée des
pays en développement, de protection de l'environnement et de développement
social, et renforcera davantage un système d'échanges basé sur des règles.
Poursuivre l'un de ces objectifs au détriment des autres conduira
inévitablement à une approche déséquilibrée ».
Le commerce stimule la croissance économique, laquelle crée des emplois. Sur
les cinq dernières années de l'Uruguay round, la richesse mondiale a augmenté
de 3 % par an, en grande partie grâce à une croissance du commerce
international. Il ne faut pas oublier qu'en France un emploi sur quatre dépend
directement ou indirectement du commerce extérieur.
L'Union européenne doit être ferme dans ses positions. Elle doit se faire des
alliés dans toutes les régions du globe. Elle doit être le fer de lance de la
mise en place d'un monde nouveau.
Avant de conclure, je voudrais formuler trois remarques complémentaires.
Premièrement, nous sommes des libéraux, mais parfaitement conscients que le «
tout-libéralisme », c'est la loi de la jungle ! Nous assistons actuellement à
ce phénomène au niveau des monopoles de fait de groupes multinationaux de la
distribution.
La loi de la jungle, c'est la mort du plus faible ; c'est une conception de la
liberté que nous rejetons.
Deuxièmement, dans le domaine agricole, l'Europe a accepté deux réformes de la
PAC qui ont conduit à une meilleure maîtrise du marché, à une plus grande
qualité des produits et à une amélioration évidente de l'environnement. Ce
furent des contraintes coûteuses pour les agriculteurs de l'Europe. Qu'ont fait
les Etats-Unis pour essayer, dans la même période, de se rapprocher de nous
?
Dans les négociations à venir, il conviendra d'intégrer le résultat des deux
réformes de la PAC comme un à-valoir important apporté dans la balance.
Enfin, troisièmement, nous venons d'assister à un revirement extraordinaire de
la position de la Chine, qui, à terme, rejoindrait l'OMC. Personnellement, si
je m'en réjouis, je n'exclus pas l'émergence de difficultés nouvelles et
importantes inhérentes au poids d'un pays détenant à lui seul le cinquième de
la population et un potentiel de production considérable.
En conclusion, je dirai qu'il est du devoir de l'Organisation mondiale du
commerce de redorer son blason et de restaurer sa légitimité. A travers le
monde, le libre-échange est contesté et l'Organisation rendue responsable des
maux de la mondialisation. Elle doit reconnaître la nécessité d'introduire des
changements, elle doit s'ouvrir davantage et, au passage, devenir plus
transparente.
Le Parlement, c'est la voix du peuple et le Gouvernement ne doit pas
l'ignorer.
Que serait la France, aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu l'Europe ? Que
serait-elle, demain, s'il n'y avait pas une ouverture plus grande sur le monde
?
Je défends cependant la légitimité de l'OMC et, comme son nouveau directeur
général, Mike Moore, je pose la question : comment l'absence de règles
pourrait-elle rendre la mondialisation plus acceptable et à qui pourraient
s'adresser les petits et les faibles avec l'espoir d'être entendus ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
propos que je m'apprête à tenir, au nom du groupe des Républicains et
Indépendants, s'inscrivent tout à fait dans la ligne tracée, à la fois par le
président Jean François-Poncet et par le président Xavier de Villepin.
Les enjeux de la conférence de Seattle nous concernent en effet directement.
De toute évidence, il ne s'agit pas de renoncer aux bienfaits du commerce
international comme le disait M. François-Poncet, soyons positifs sans être
naïfs. N'oublions pas que, derrière le « tout commerce » de Montesquieu, il y a
aussi un violent rapport de force ; soyons-y attentifs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, trois enjeux principaux me semblent présider à
cette discussion : élargir la négociation ; résister à l'offensive américaine ;
enfin, définir la vision française de la mondialisation.
Elargir la négociation : sur ce sujet bien des choses ont déjà été dites.
Certes, ne limitons pas à l'agriculture et aux services les sujets inscrits aux
débats de Seattle. De toute évidence, doivent figurer également les normes
sociales et environnementales. C'est une question majeure pour les relations
économiques internes à l'Europe. Il est clair que les limites à la course
effrénée à la compétitivité et à la productivité sont, d'une part, les normes
sociales, d'autre part les normes environnementales. Dans nos économies, on ne
peut parler de compétitivité sans intégrer les charges liées à celle-ci.
Si les choses sont évidentes pour l'espace européen, pour les pays en voie de
développement, on ne peut se satisfaire de la vision d'un développement d'où
seraient absents le droit à des statut sociaux respectables ou le droit à la
sécurité alimentaire.
Quelle est cette vision stratégique des Etats-Unis qui consisterait, d'une
part, à diminuer les aides au développement et, d'autre part, à vouloir
sous-estimer les aspects social et environnemental dans le monde en
développement ? La conquête de liberté de ces pays ne passe-t-elle pas aussi
par des statuts sociaux et par des normes environnementales ? Cette notion
américaine de la qualité sélective est choquante. Elargissons donc la
négociation !
En deuxième lieu, résistons à l'offensive américaine contre la PAC.
Il est évident que les accords négociés à Berlin, sous l'autorité du Président
de la République, sont pour nous importants puisqu'ils posent des grands
principes auxquels nous sommes attachés.
Les Etats-Unis, eux, ont toujours la même obsession : ils distribuent 8
milliards de dollars à leurs fermiers et, parallèlement, demandent à l'Europe
de baisser ses subventions à l'agriculture ! Derrière cette stratégie de
l'alignement systématique, on voit bien leur volonté de faire baisser les cours
mondiaux.
Si l'on considère qu'il faut faire pression sur le commerce des matières
premières pour faire baisser les prix, que devient notre élevage, que devient
notre production de fromages si riche en diversité ?
M. Ladislas Poniatowski.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Il est clair que la ressource tirée de l'agriculture ne peut être fondée sur
cette seule loi du prix mondial le plus bas. Pensons au rôle structurant de
notre territoire que joue l'agriculture et aux activités économiques qu'elle
génère !
Je n'ajouterai pas d'autres considérations sur ce sujet, M. François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques, ayant tout dit en
indiquant qu'il s'agissait d'un modèle de civilisation.
N'oublions pas non plus notre combat pour la qualité. Il va de soi que la
reconnaissance, notamment des signes de qualité, c'est la reconnaissance des
forces de l'agriculture française.
Il importe donc d'élargir les négociations, de résister à l'offensive
américaine contre la PAC, mais aussi - et ce sera le troisième point de mon
intervention - de définir la vision française de la mondialisation. Monsieur le
secrétaire d'Etat, je ne vois pas, aujourd'hui, dans les réflexions
gouvernementales, quelle est la vision de la France sur la mondialisation. Or,
sans vision, on ne peut maîtriser la situation !
Pour beaucoup de Français, cette mondialisation est à la fois un espoir et un
choc. Le visiteur qui se promène dans les rues de Pékin et qui découvre que
l'on peut y installer, en quelques mois, cinquante McDonald's, s'interroge :
comment est-il possible que cette société multiséculaire, avec sa langue
hermétique, se laisse ainsi pénétrer ? Ce n'est pas le Poitou qui pourra
résister si Pékin s'agenouille !
(Sourires.)
Au fond, cette mondialisation nous préoccupe beaucoup. Mais quelles sont
nos ripostes ? Quel est le message de la France face à cette mondialisation ?
Ce message, nous le trouverons dans notre histoire et aussi chez nos penseurs.
Jean Baudrillard disait : Le mondial et l'universel ne vont pas de pair, ils
seraient plutôt exclusifs l'un de l'autre. C'est ce message de l'universel qui
est la vraie réponse à la mondialisation, parce la conquête de l'universel se
réalise non pas par l'uniformisation, mais par la singularité. Telle doit être
la réponse française !
Que signifie, concrètement, la recherche d'un message français qui soit un
message d'identité et d'ouverture ? Cela veut dire qu'il nous faut effectuer
trois choix.
Tout d'abord, nous devons choisir la diversité culturelle contre
l'uniformisation. Il est évident que la banalisation aboutit à la stérilité de
la France ; je ne développerai pas ce sujet, mon collègue Ladislas Poniatowski
y fera allusion tout à l'heure, au nom de notre groupe. Défendons cette
diversité culturelle !
Défendons, ensuite, une éthique des nouvelles technologies ! Leur formidable
développement représente, certes, des avantages, mais aussi des risques.
On voit bien cette logique qui s'installe et que je pourrais qualifier,
schématiquement, de logique du « con-con » : du concept au consommateur,
directement, en supprimant toutes les médiations, tous les intermédiaires.
S'agissant de la production, instituons les magasins d'usine ! Pour
l'enseignement à distance, dispensons-le sans professeurs ! Plus l'intervention
humaine disparaîtrait et plus on serait moderne. Sont-ce là les schémas de
l'avenir qui nous sont proposés ?
Pour lutter contre cette fracture technologique qui nous menace, il faut
injecter en permanence de l'éthique humaine dans ces dispositifs.
M. François Trucy.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Tel est l'un des messages français ! Nous qui avons le sens du droit et la
modernité, faisons en sorte qu'une éthique des nouvelles technologies permette
d'anticiper cette nouvelle fracture technologique, fracture non seulement
sociale, mais également internationale.
Enfin, outre la diversité culturelle et l'éthique des nouvelles technologies,
il nous faudra effectuer un troisième choix : la valorisation des structures à
taille humaine.
Aujourd'hui, partout dans le monde s'affirme le fait PME : il n'est pas un
seul gouvernement qui ne pense pas que l'avenir de l'emploi dans son pays
repose sur le développement des PME. Pourtant, si, à l'heure actuelle, le fait
PME est reconnu mondialement, il est terriblement menacé par le gigantisme et
les concentrations. Il convient donc d'assurer une protection mondiale du fait
PME, qui est lui-même un fait mondial.
Faisons en sorte que les logiques de la concentration trouvent des limites par
des dispositifs antitrusts. Tant qu'à prendre modèle sur les Etats-Unis,
appliquons une disposition qui introduise des limites au gigantisme et à la
concentration, afin de valoriser les structures à taille humaine.
Si les structures à taille humaine, si les organisations économiques et
sociales à taille humaine sont partout remises en cause, il est évident que
tout ce qui fait la France sera remis en cause, parce que, par définition, la
France est porteuse de structures à taille humaine. Veillons à ce que le
gigantisme ne nous affaiblisse pas et que l'on trouve cette approche humaine
dont parlait tout à l'heure M. de Villepin.
C'est sans doute au travers de cet humanisme libéral que la France doit
reconquérir ce message de l'universel, qui aura une dimension internationale et
qui sera différent du message de la mondialisation.
Pour la France, il ne peut être question d'avoir une autre vision que celle
qui passe par l'acceptation de l'autre, mais qui, en aucune façon, n'oblige au
renoncement de soi-même.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
quelques jours de la conférence de Seattle, les orientations qui ont été prises
ces dernières semaines par le Gouvernement ne sont rien d'autre qu'un catalogue
de bonnes intentions destiné à rassurer ceux qui s'inquiètent, à juste titre,
en France, en Europe et chez nombre de nos partenaires francophones, de la
dérive mondialiste.
Evidemment, ces négociations auraient pu se dérouler, comme les précédentes,
dans l'indifférence générale, si des crises financières répétées - comme celles
d'Asie du Sud-Est ou de Russie - si le déferlement de l'américanisation, si la
dépossession rampante des souverainetés nationales et si le mépris de la santé
de l'humanité, pour le seul profit de quelques multinationales, n'avaient
accéléré la prise de conscience des peuples qui souffrent de ces maux.
En conséquence, mes propos s'orienteront autour de plusieurs constats pour
déboucher sur un appel au sursaut national par une politique française
clairement affichée de la « chaise vide » à Seattle.
Sur la forme, mon premier constat est, avant tout, celui de l'incompréhension
et de la consternation.
En effet, la réunion de cette conférence internationale n'est rien d'autre
qu'une convocation, qu'un « diktat » des Etats-Unis sur leur territoire, dans
la ville de Boeing et de Microsoft, avec comme objectif unique d'asseoir
toujours davantage leur suprématie, sous couvert d'une mondialisation synonyme
de colonisation et de vassalisation. En réalité, mes chers collègues, quelle
est donc l'urgence de s'y précipiter, alors que chacun sait que les accords de
Marrakech sont loin d'être tous entrés en vigueur et que ceux qui le sont n'ont
fait l'objet d'aucune évaluation, en particulier auprès des pays de l'Est ?
Il est temps d'affirmer clairement la nécessité de dénoncer les ravages de la
mondialisation et de défendre nos intérêts nationaux contre l'agressivité avec
laquelle les autorités américaines entendent gouverner le monde.
Chacun sait bien, en effet, que la négociation se terminera, comme par le
passé, à leur profit. Mieux vaudrait freiner le mouvement que l'accélérer !
L'Union européenne accepte de répondre à cette convocation, parce que cet
engagement figure dans les accords de Marrakech. Mais y figuraient également le
boeuf aux hormones et la banane jamaïcaine, que, sous la pression de l'opinion
publique, l'Union européenne a rejetés !
L'urgence est non pas de faire céder les derniers garde-fous, mais, bien au
contraire, de préserver toutes les civilisations du globe et de combattre les
iniquités économiques et sociales qu'engendrent de tels accords.
Enfin, c'est non pas la France, quatrième puissance commerciale mondiale et
troisième exportateur de services, qui participera à ces discussions, mais
l'Union européenne, par la voix - comble de l'ironie ! - d'un de nos
compatriotes. Ainsi, la nation qui représente plus de quarante-cinq Etats
francophones s'en remet totalement à lui, qui n'aura de comptes à rendre ni au
Parlement français ni aux citoyens français, mais seulement à la Commission.
Les Américains doivent admettre qu'outre l'agriculture et les services d'autre
sujets doivent être inclus dans les négociations pour que l'OMC joue un rôle
dans la résolution des problèmes surgissant dans une économie mondialisée.
Que devons-nous attendre du représentant américain aux négociations, Charlene
Barshefsky, qui a averti que l'Europe, déjà premier importateur mondial, serait
sous forte pression américaine et asiatique à Seattle pour abandonner ses
subventions agricoles et ses aides à l'exportation ? Sachant qu'un agriculteur
américain touche, en moyenne, deux fois plus d'aides et de crédits à
l'exportation qu'un agriculteur européen, les agriculteurs français s'opposent
catégoriquement à toute renonciation en ce sens.
Les sacrifices qui leur ont été imposés par l'Agenda 2000 et la réforme de la
PAC de 1992 doivent donc impérativement constituer une limite à ne pas dépasser
et non pas être le point de départ de négociations en matière de prix et de
maîtrise des productions agricoles.
Pour faire entendre notre voix - ce qui ne sera pas le cas - nous aurions dû
combattre ceux qui s'opposent à notre démarche, trouver des alliés et tisser
des partenariats solides et durables pour faire front à l'OMC sur des dossiers
et dans des secteurs où les Etats-Unis, puis la Chine, joueront simultanément
le rôle de meneurs et d'arbitres.
Un seul exemple suffit : au nom de quel principe de « libre-échange » les
entreprises textiles et de maroquinerie - je connais le cas dans mon
département - qui n'ont rien à y voir, devraient-elles être sanctionnées et
pénalisées par une « liste noire » de représailles commerciales américaines
dans un conflit qui leur est étranger et qui oppose, depuis des années, l'Union
européenne aux Etats-Unis dans la « guerre de la banane » ?
Il ne suffit pas, mes chers collègues, à l'épreuve de l'histoire, de se
souvenir de celui qui a dit « non ». Il importe d'agir par des actes
symboliques et efficaces pour éviter de passer le reste de son temps à dire «
amen » à tout.
Je persiste à penser qu'il est toujours possible, pour un pays comme le nôtre,
de s'affirmer en toute souveraineté, de bâtir des partenariats solides par un «
espace économique francophone » fort, avec les pays d'Europe centrale et
orientale, les pays en voie de développement désabusés par la pente néfaste de
l'ultralibéralisme destructeur pour leur économie et leur société, de même
qu'il est possible à nos concitoyens de s'opposer à une mondialisation
incontrôlée, intolérable et inacceptable qui condamne les modèles régionaux et
les identités nationales.
Je m'oppose ici à ceux qui pensent haut et clair, à Matignon, à Bruxelles, à
Washington, et demain à Seattle, qu'une libéralisation plus poussée et le
développement des échanges dans le cadre de l'OMC pourraient stimuler la
croissance. Ce qui est bon pour les Américains ne l'est pas obligatoirement
pour les Européens et les Français.
Pour conclure, mes chers collègues, je poserai une seule question aux membres
du Gouvernement et de notre assemblée : Pourquoi faut-il participer à un sommet
et faire le voyage de Seattle où l'ordre du jour est imposé par les Etats-Unis
qui privilégient leurs propres dossiers ?
M. Jacques Bellanger.
C'est faux !
M. Philippe Darniche.
Par conséquent, je demande solennellement ici, d'abord, l'établissement d'un
bilan détaillé des cinq années d'application des accords de Marrakech, afin de
tirer les leçons de la superpuissance américaine en matière de libéralisation
agricole, ensuite, l'affirmation du refus de tout mandat global sur la
libéralisation indifférenciée des services, enfin, et surtout, le report de la
négociation.
En effet, ce sommet de Seattle, qui succède au cycle de l'Uruguay et marque le
lancement d'un cycle nouveau, celui du « Millénaire », doit devenir non pas
celui de l'endormissement, mais bien celui du réveil des nations européennes et
des souverainetés face à la domination américaine.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel.
Et bruxelloise !
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
aucune négociation commerciale multilatérale n'a soulevé, jusque dans l'opinion
publique, autant de questions, de polémiques, d'inquiétudes et d'espoirs que le
cycle de discussions au sein de l'OMC qui s'ouvrira dans quelques jours à
Seattle.
C'est donc avec une attention extrême que nous prenons part à cet ultime
débat, qui achève, pour nous, un travail préparatoire déjà entamé au sein de la
délégation pour l'Union européenne, que j'ai l'honneur de présider.
Face à l'ampleur des sujets abordés et à la mesure des enjeux, nous ne
pouvions envisager que le Sénat demeure à l'écart de la préparation de ce grand
rendez-vous. Toutefois, en accord avec la commission des affaires économiques,
nous avons choisi de concentrer notre réflexion sur les « nouveaux sujets » qui
figureront peut-être, avec l'accord de nos partenaires, à l'ordre du jour de la
conférence.
Il ne faut pas y voir pour autant un quelconque désintérêt de notre part pour
les questions agricoles, qui seront, quoi qu'il arrive, au coeur des futures
discussions ; cela répond à un simple souci d'efficacité et de bonne
répartition des rôles.
Tout d'abord, il me paraît important de souligner combien la création de l'OMC
a constitué un progrès réel dans l'organisation et la régulation du commerce
international ; MM. de Villepin et François-Poncet l'ont fort bien indiqué.
En effet, quel projet pouvait être plus ambitieux que celui qui consiste à
réunir autour d'une même table la quasi-totalité des pays de la planète pour
élaborer ensemble, par consensus, les règles régissant les échanges mondiaux
afin de promouvoir le développement économique et la prospérité de tous les
partenaires ?
Dans un monde de plus en plus gouverné par les flux financiers et commerciaux,
qui peut refuser l'idée selon laquelle il faut fixer en commun des règles
transparentes et fiables ? Comment ne pas se réjouir que l'on permette aux
entreprises et aux acteurs économiques d'opérer dans un cadre défini, sans
crainte d'un revirement brutal de la politique commerciale de tel ou tel Etat
?
Bien sûr, je n'aurai pas la naïveté de croire que le tableau est aussi idéal.
Nous savons bien que l'égalité théorique des partenaires ne résiste pas à la
réalité des rapports de forces.
C'est pourquoi notre délégation s'est déclarée avec force en faveur de
l'orientation retenue par l'Union européenne pour faire de l'intégration des
pays en développement dans le commerce international le point central et
prioritaire de cette négociation.
Il est incontestable que l'écart s'est encore creusé entre pays riches et pays
pauvres depuis la création de l'OMC. On peut comprendre que les économies en
devenir se soient estimées lésées par une institution qui leur semble faite
pour les pays industrialisés.
Or, détenant la majorité au sein de l'OMC, les pays en développement
constituent, cette fois, une force nouvelle, avec laquelle il faudra compter,
dans la négociation qui va s'ouvrir.
En disposant d'une tribune, ils éviteront que ce nouveau cycle ne soit une
réédition du dialogue réducteur Europe-Etats-Unis, que l'on a tant critiqué
durant le cycle d'Uruguay.
Pour autant, il est essentiel que l'Union européenne parle d'une seule voix à
Seattle, et c'est avec satisfaction et soulagement que nous avons accueilli
l'annonce de la définition d'une position commune aux Quinze. L'ambition
affichée par les Etats membres pour cette grande échéance aurait en effet été
gravement atteinte si les dernières divergences n'avaient pu être surmontées.
Comment en effet espérer convaincre nos partenaires du bien-fondé d'un ordre du
jour élargi si nous avions nous-mêmes été dans l'incapacité de nous entendre
?
Toutefois, et c'est souvent le cas lorsqu'on élabore un compromis, la
rédaction finale n'a pas toujours la précision et l'exigence souhaitées par ses
initiateurs. En l'occurrence, la France - mais pas la France seule - s'est
trouvée à la pointe sur deux dossiers difficiles sur lesquels j'aimerais
m'arrêter un instant.
Le premier d'entre eux - et ce sujet est définitivement devenu le cheval de
bataille français - c'est l'exception culturelle, la diversité culturelle
devrais-je peut-être dire aujourd'hui puisque c'est la terminologie qui figure
désormais dans la déclaration européenne. Lors de sa récente audition devant la
délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Moscovici nous a assuré que
cette nouvelle formulation n'était que l'expression plus consensuelle d'une
même réalité.
Nous n'avons pas été entièrement convaincus par cet argument. Le sentiment
unanime a été de considérer que la « promotion de la diversité culturelle »
constitue un net recul par rapport à ce que la France avait obtenu à l'issue
des accords de Marrakech en voyant consacrée l'exception culturelle.
Notre souhait est qu'il soit clairement affirmé que les oeuvres de l'esprit ne
peuvent être assimilées aux marchandises et qu'elles doivent être, de ce fait
même, exclues des négociations, et ce dans tous les volets de celles-ci, en
particulier si devait être engagée l'élaboration d'un accord multilatéral
relatif aux investissements.
Nous n'avons pas oublié les avatars de l'accord multilatéral sur
l'investissement, l'AMI, qui, avant d'être ajourné dans l'attente de la future
négociation de Seattle, avait provoqué de grandes inquiétudes, notamment auprès
des professionnels du monde de l'audiovisuel en raison des risques qu'il
pouvait présenter pour le financement d'oeuvres culturelles. Nous attendons
donc la même vigilance de l'Union européenne lorsque ce sujet sera abordé.
Ce faisant, il n'est pas question, pour nous, d'émettre des réserves sur le
bien-fondé de l'établissement d'un cadre multilatéral relatif aux
investissements.
Bien au contraire, j'y vois l'intérêt de fixer les règles permettant d'assurer
à l'apporteur de capitaux un climat stable et prévisible, sécurisant
l'investissement direct à l'étranger, notamment dans les pays en développement
qui en sont trop rarement les destinataires.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Très bien !
M. Hubert Haenel.
Le second point dur de la négociation à Quinze a été l'opportunité de définir
des normes sociales minimales que s'engageraient à respecter les différents
partenaires à l'OMC. Je rappelle que cet « élément social » avait déjà été
abordé lors d'une précédente conférence de l'OMC, à Singapour. Il s'était alors
heurté à la résistance des pays en voie de développement face à ce qu'ils
considéraient - faut-il dire totalement à tort ? - comme une menace
protectionniste des pays industrialisés.
Cette question, d'une grande complexité, soulève de très nombreuses
interrogations.
Les solutions de compromis trouvées à Quinze consistent à proposer à nos
partenaires l'instauration d'un forum permanent entre l'Organisation mondiale
du commerce et l'Organisation internationale du travail, l'OIT, chargé « de
promouvoir une meilleure compréhension » de ces questions et de conduire « un
dialogue de substance » entre toutes les parties intéressées. On notera au
passage le flou de cette déclaration.
Pensez-vous vraiment, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette nouvelle
manière de dire les choses ait quelque chance de faire progresser la situation
dans le monde du travail ? Il avait déjà été décidé, à Singapour, une
coopération entre l'OMC et l'OIT sur ce thème, sans qu'il en résulte de
réalisation concrète. Je n'ai pas le sentiment d'une réelle différence entre
ces deux approches. Mais peut-être pourrez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat,
nous apporter les apaisements nécessaires.
Je n'ai pas l'intention d'évoquer devant vous l'ensemble du champ possible de
la future négociation, même si de nombreux aspects ont retenu notre attention,
par exemple la confirmation du principe de précaution ou les engagements de
respect de l'environnement dans la perspective d'oeuvrer pour la promotion d'un
développement durable.
Je souhaiterais toutefois insister sur un point auquel nous avons été très
sensibles lors de nos travaux au sein de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne : la propriété intellectuelle.
En dépit des progrès acquis à Marrakech, de nombreux domaines restent encore
insuffisamment protégés. Je pense, ici, à la reconnaissance des appellations
d'origine.
Notre délégation a été unanime pour souhaiter que l'Europe obtienne, durant
les négociations, la reconnaissance de ses produits, qui sont fréquemment
copiés ou dont les noms sont usurpés par les producteurs d'autres pays
partenaires.
C'est la même préoccupation que nous avons exprimée à l'unanimité voilà
quelques semaines, lors de l'examen des conditions d'entrée en vigueur de
l'accord commercial conclu avec l'Afrique du Sud, par lequel l'Union européenne
risque d'accorder à cet Etat des conditions d'échange très favorables, y
compris dans le secteur du vin, sans avoir obtenu en contrepartie d'engagements
fermes sur le respect des appellations d'origine de certains alcools
spécifiquement produits sur son territoire : porto, sherry, ouzo, grappa...
Avant de conclure, j'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous poser une
question et vous présenter une requête, qui va tout à fait dans le sens des
propos déjà tenus par M. de Villepin.
La question est d'actualité : nous avons appris récemment la signature d'un
accord entre la Chine et les Etats-Unis qui préfigurerait, a-t-on dit, l'entrée
imminente de ce nouveau partenaire au sein de l'OMC. Qu'en est-il exactement ?
Je sais que vous avez déjà abordé ce sujet dans votre discours liminaire,
monsieur le secrétaire d'Etat, mais il serait intéressant pour le Sénat que
vous le développiez davantage.
Ma requête est la suivante : j'ai parlé tout à l'heure de cet échange à trois
partenaires - Europe, Etats-Unis et pays en développement - qui constitue
probablement la caractéristique première de ce « cycle du Millénaire ».
Cependant cette observation n'est peut-être pas tout à fait exacte. Un
quatrième interlocuteur est aujourd'hui présent. Il s'agit des opinions
publiques qui se sentent directement concernées par les conséquences qu'auront
les négociations dans leur vie quotidienne : sur la qualité de l'environnement,
sur la sécurité de l'alimentation, sur le respect de l'identité
culturelle...
Nos concitoyens - comme les nationaux de nos Etats partenaires - veulent être
tenus informés de l'évolution de ces négociations, et c'est bien légitime.
C'est pourquoi je souhaite que le Gouvernement puisse nous rendre compte avec
régularité des développements de ces discussions durant les trois années - et
peut-être davantage encore si, comme je l'espère, l'OMC fait preuve d'ambition
dans la fixation de ses objectifs - que durera le cycle du Millénaire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
dans une semaine, les représentants des 135 pays membres de l'Organisation
mondiale du commerce se réuniront à Seattle pour lancer un nouveau cycle de
négociations multilatérales.
L'accord de Marrakech, signé le 15 avril 1994, prévoyait, en effet, avant
janvier 2000, une reprise des négociations sur les questions relevant notamment
de l'agriculture et des services.
A l'inverse des Etats-Unis qui souhaitent limiter l'ordre du jour de l'OMC à
ce programme dit incorporé, l'Union européenne propose de le compléter par de
nouveaux sujets tels que l'investissement, l'industrie, les marchés publics, le
droit de la concurrence, l'environnement et les normes sociales.
Autant dire que le calendrier et le contenu de la conférence ministérielle,
présidée, je le rappelle, par les Etats-Unis, sous le haut patronage de Boeing
et Microsoft, seront en grande partie déterminés par les deux premières
puissances commerciales : les Etats-Unis et l'Europe. Les pays en voie de
développement, auxquels on prétend vouloir accorder une place plus importante,
risquent, en réalité, d'être ramenés à un rôle d'alibi ou de faire-valoir, au
profit de tels ou tels intérêts, dans la perspective d'une confrontation entre
pays riches dont ils n'ont à attendre aucun avantage.
Malgré les dissensions qui apparaissent d'ores et déjà entre les Etats-Unis et
l'Union européenne, il existe un consensus général sur le principe d'une
libéralisation accrue des échanges commerciaux, censée favoriser le
développement et la croissance économique.
Si telle est la réalité, pourquoi, de part et d'autre de l'Atlantique,
refuse-t-on de procéder, comme nous ne cessons de le demander, à un audit
global sur les accords de Marrakech et les conséquences de la mondialisation
libérale ?
Si, effectivement, la libre concurrence était la seule source de richesse et
de bien-être, au profit de l'humanité, comment expliquer la montée de ce
puissant mouvement populaire de résistance à la mondialisation capitaliste ?
Quelques chiffres valent mieux que de longs discours. Ainsi, en quarante ans,
alors que le commerce mondial n'a cessé de s'accélérer, l'écart de revenu entre
les 5 % des personnes les plus riches de la planète et les 5 % les plus pauvres
a plus que doublé. Les trois personnes les plus riches du monde ont accumulé
une fortune supérieure au PIB total des quarante-huit pays les plus pauvres. De
750 millions à 900 millions de personnes sont sous-employées et plus d'un
habitant sur six ne mange pas à sa faim. Dans le même temps, les places
boursières explosent et - on le constate chaque jour - réalisent des records en
matière de transactions.
Dès lors, une question simple se pose : pourquoi le développement des échanges
au lieu de profiter au progrès humain engendre-t-il, au contraire, un
accroissement des inégalités entre pays riches et pays pauvres ?
Pis, les zones de misère s'élargissent au Sud, alors que des pans entiers de
nos économies du Nord disparaissent, laissant place à un tissu social et
territorial déstructuré, à un chômage de masse qui touche toutes les couches de
la société et à un environnement profondément dégradé.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont récemment déposé
sur le bureau du Sénat une proposition de résolution sur l'OMC, dans laquelle
ils demandent à la Commission européenne de réaliser un tel bilan et de ne
prendre aucun engagement tant que celui-ci ne sera pas achevé. Cette idée - je
m'en félicite - a été réintroduite, bien que de façon atténuée, dans la
résolution qui a été adoptée par la commission des affaires économiques le 10
novembre dernier.
De même, nous pensons qu'une profonde transformation et une démocratisation de
l'OMC sont indispensables. D'abord, dans ses objectifs : les principes de
coopération, de solidarité et de partage juste et équilibré des richesses
doivent prévaloir sur la logique de mise en concurrence des économies
nationales. Ensuite, dans son mode de fonctionnement : les pays du Sud doivent
être en mesure de faire valoir leurs exigences, de même que l'OMC doit s'ouvrir
aux syndicats, aux organisations non gouvernementales, au monde associatif, à
ce que l'on appelle plus largement la société civile. Enfin, dans sa procédure
juridique : l'organe de règlement des différends devrait reposer sur des
critères de transparence, de justice, d'égalité de traitement et prendre en
compte les aspects sociaux, environnementaux et sanitaires des sujets qu'il
traite. Nous proposons que l'ORD devienne un organisme paritaire composé des
responsables nationaux, des représentants des salariés, des agriculteurs, des
associations de défense des consommateurs et de protection de
l'environnement.
Notre groupe défend depuis plusieurs années une autre proposition : la
taxation des mouvements de capitaux spéculatifs à l'échelon mondial - la taxe
Tobin - dont le produit serait réaffecté à l'aide au développement des pays les
plus pauvres. La France s'honorerait, je le pense, en défendant cette noble
cause, dans le cadre d'une instance internationale dont la vocation est,
dit-on, de réguler l'économie mondiale.
Force est de constater que le mandat confié au commissaire européen, M. Pascal
Lamy, est loin de répondre à nos attentes. Il est en effet traversé d'une
contradiction fondamentale entre, d'une part, la volonté de relayer les
aspirations des populations sur la qualité de l'environnement, la sécurité
sanitaire et alimentaire, la sécurité d'emploi et de formation et, d'autre
part, la recherche frénétique de nouveaux marchés pour satisfaire les
multinationales implantées en Europe.
Si elle présente l'avantage d'un certain consensus apparent entre les Quinze,
cette orientation contradictoire contribue, selon nous, à rendre peu lisible et
finalement peu crédible le message de l'Europe qui pousse au libéralisme et à
l'accélération de l'ouverture des marchés, mais pose des questions légitimes
sans formuler des propositions précises, résolument offensives.
Ce double visage de l'Europe montre que la mobilisation des citoyens européens
- salariés du public et du privé, chômeurs, artistes, agriculteurs et
consommateurs - contre la « marchandisation du monde » a ouvert une brèche dans
la toute-puissance du capital.
La victoire sur l'AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement, dont la
signature aurait signifié la soumission définitive des politiques nationales
aux marchés financiers, constitue un point d'appui pour renforcer et poursuivre
le combat contre le libéralisme.
Quant au volet agricole du mandat européen, loin de nous rassurer, il nous
préoccupe, tant il semble prêter le flanc aux velléités des Etats-Unis.
Les accords de Berlin de mars 1999 sur la politique agricole commune, la PAC,
anticipent sur les négociations de l'OMC et, d'une certaine manière, font le
jeu des Américains.
Que sont ces accords, sinon l'acceptation d'un alignement progressif des prix
garantis communautaires sur les cours mondiaux, la diminution des aides
publiques à l'agriculture et la mise en cause de la préférence communautaire ?
Ce sont là autant de concessions faites aux Américains, avant même le début de
toute négociation !
Si l'enjeu est de sauvegarder la PAC, il s'agit cependant d'une PAC diminuée,
affaiblie, privilégiant la conquête des marchés extérieurs au détriment de
l'emploi agricole, de l'aménagement du territoire, de la préservation des
ressources naturelles et de la qualité des produits.
L'Europe sort également affaiblie par deux décisions récentes de l'OMC
consécutives aux conflits de la banane et du boeuf aux hormones.
Les nouvelles propositions de la Commission européenne pour réformer le marché
de la banane et les accords préférentiels avec les pays d'Afrique, des Caraïbes
et du Pacifique constituent un triste aveu d'impuissance face à l'hégémonisme
américain.
Enfin, s'agissant du conflit qui oppose les Etats-Unis et l'Europe sur le
boeuf hormoné, comment l'Union européenne peut-elle, de façon crédible,
invoquer le principe de précaution, lorsqu'on constate qu'au sein même de
l'Europe ce principe est sacrifié puisqu'il sera désormais autorisé de mettre
en vente la viande bovine britannique dont personne, à ce jour, ne peut
affirmer qu'elle ne comporte aucun risque pour la santé des consommateurs ?
Tout au contraire, il est nécessaire de rester ferme sur les questions
touchant à la sécurité sanitaire et alimentaire à l'heure où l'émergence des
biotechnologies, notamment les OGM, organismes génétiquement modifiés, recèle
des enjeux futurs lourds de danger pour l'humanité si les finalités ne sont pas
inversées.
C'est pourquoi il nous semble essentiel d'assortir le principe de précaution
du principe de l'inversion de la charge de la preuve par lequel c'est au
producteur, et non plus au consommateur, de justifier que son produit est sain
et de qualité. Sans cela, le principe de précaution, mes chers collègues, sera
vide de sens et demeurera illusoire.
On le voit, l'Europe peut s'appuyer sur les aspirations convergentes des
consommateurs, du monde paysan, des pays à forte tradition rurale pour
contrarier les desseins des firmes américaines qui entendent définir le mode de
vie de chaque citoyen du monde en ayant la maîtrise totale de l'arme
alimentaire, de l'élaboration biologique des cultures jusqu'au contrôle des
industries agroalimentaires.
En conclusion, je dirai, à l'adresse du gouvernement français, qu'il ne peut
suffire d'accompagner ou de réguler au mieux la libéralisation, qui porte en
elle-même la négation des valeurs sociales, environnementales que nous
prétendons défendre. De même, je pense qu'aujourd'hui il ne peut suffire, pour
contenir le flux du libéralisme, d'échafauder des digues qui seraient autant de
lignes Maginot.
Les parlementaires communistes ont le sentiment, tout au contraire, que plus
que jamais la voie est ouverte pour inverser la marche du monde, rythmée par
les firmes multinationales et par les marchés financiers, et pour promouvoir un
modèle de développement tout à la fois durable, juste, partagé et respectueux
des droits de tous les citoyens.
Pour cela, face à la mondialisation du capital, il est indispensable qu'une «
internationale des citoyens » voie le jour à l'aube du prochain millénaire. Les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen y prendront toute leur
part.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
la veille des négociations commerciales multilatérales dans le cadre de
l'Organisation mondiale du commerce, les Européens se présentent unis à
Seattle. Nous ne pouvons que nous en réjouir, au vu des nombreux enjeux
commerciaux et sociétaux qui y seront traités.
Les sujets de division entre les 134 membres de l'OMC sont pourtant nombreux :
polémiques sur les OGM, remise en cause des subventions agricoles, contentieux
sur la banane, exception culturelle... autant de sujets qui ont été abordés par
mes prédécesseurs à cette tribune.
L'enjeu tient surtout à l'importance vitale que représentent la sécurité, la
précaution alimentaire et les normes sociales et environnementales. Ce
rendez-vous donnera ainsi une chance unique aux Quinze d'exposer un consensus
politique fort, face à la crainte d'une mondialisation incontrôlée que nous
partageons tous ici et ailleurs.
Le postulat selon lequel « plus il y aura de commerce, et plus il y aura de
croissance et de richesse pour tous » apparaît en effet quelque peu dépassé,
bien que défendu en d'autres temps par certains. Aujourd'hui, au contraire, le
libre-échange profite essentiellement aux plus forts et affaiblit les plus
démunis. La spirale du surendettement en Afrique, les ravages de la crise
financière en Asie, les fermetures d'usines et les délocalisations nous le
prouvent au quotidien.
Ainsi, l'intégration des pays les plus pauvres dans le concert économique
mondial s'exprime par une volonté très forte d'assainissement des règles du jeu
commercial planétaire.
Si nous voulons que la mondialisation profite à tous, elle doit bien sûr se
concevoir à travers la régulation des échanges. Or, en l'état actuel des
choses, l'OMC est bien le seul lieu de concertation et de proposition, si
imparfait soit-il. Même si certains peuvent le regretter, ce fait est
indéniable.
L'OMC, qui tient sa légitimité de son universalisme, se doit donc d'être le
lieu d'un nouveau « contrat social » international qu'il nous reste à définir
entre partenaires libres et égaux.
C'est en cela que les négociations du cycle du Millénaire doivent contribuer à
l'instauration de règles communes équitables, visant à empêcher les entreprises
transnationales d'édicter en toute impunité les règles internationales des
transactions commerciales.
Ainsi, au moment où la globalisation de l'économie semblait inéluctablement
s'imposer à tous, des divergences d'intérêts grandissantes s'expriment au grand
jour. Si l'on peut regretter la forme parfois violente que prend le
mécontentement des uns ou des autres, il est indéniable qu'il en résulte une
lassitude de plus en plus grande face aux excès d'un ultra-libéralisme
débridé.
De là est née l'idée d'un contrôle démocratique des marchés financiers à
travers la promotion de la « taxe Tobin ».
De ce fait, le front anti-OMC grandit et se prépare à une mobilisation, me
semble-t-il sans précédent, visant à obtenir un moratoire sur le round de
négociation commerciale.
Cette mobilisation des ONG anti-OMC pèsera lourd dans les débats, j'en suis
certain, monsieur le secrétaire d'Etat. Dès lors, il convient d'associer
davantage le monde associatif à ces négociations, tout en défendant fermement
le rôle des organisations intergouvernementales par essence destinées à réguler
les rapports de force mondiaux.
Comme vous l'avez récemment souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, « l'OMC
ne doit être ni diabolisée ni idéalisée ». Bien au contraire, il importe de
combattre toute forme de protectionnisme déguisé qui se ferait aux dépens des «
laissés-pour-compte » des réseaux financiers et commerciaux.
Cela est particulièrement vrai à l'extérieur de nos frontières, dans la
confrontation commerciale transatlantique vers laquelle nous poussent certains
groupes de pression américains. Mais c'est peut-être vrai aussi dans
l'Hexagone, où la précarité envahit nos rues.
De la validité des engagements qui seront pris à Seattle dépendra l'avenir de
notre concertation sociale. Afin de combattre une « marchandisation » galopante
de la planète qui se ferait à nos dépens, notre aptitude au dialogue entre
partenaires sociaux et acteurs économiques doit l'emporter sur toute
considération purement mercantiliste.
L'enjeu de Seattle est de taille : il s'agit d'assurer le maintien d'un
multilatéralisme alliant solidarité internationale et régulation du marché.
Ainsi, notre message doit être clair pour s'inscrire précisément contre toute
forme d'unilatéralisme latent.
Il importe de défendre un modèle de société fondé sur le postulat d'une
économie au service du politique. L'approche globale soutenue par les Européens
devra tenir compte d'une régulation des échanges, certes nécessaire à la
croissance, mais également perçue comme porteuse de progrès sociaux et de
diversité culturelle.
A cet effet, l'équilibre de la société dépendra de la cohésion entre la France
et ses partenaires européens. Ceux-ci doivent se défendre face à des groupes
dont les intérêts et la vocation se situent à l'opposé des principes qui sont
les nôtres en matière de marché et de société.
Dès lors, il importe de réclamer avec fermeté la constitution d'un forum
permanent de travail conjoint entre l'OMC et l'OIT. Ce lien entre normes
sociales et commerce s'inscrit dans une cohésion communautaire forte autour du
respect de clauses sociales universelles.
Notre action vigilante doit ainsi se tourner en priorité vers les pays en voie
de développement dont l'intégration dans le concert économique mondial passe
par la conciliation entre développement durable et commerce international.
Les pays du groupe des 77 ont d'ailleurs d'ores et déjà formulé des
propositions concrètes, qu'il s'agira de défendre avec vigueur contre
l'inévitable tentative américaine de limiter le débat au seul accès au
marché.
Comment ne pas voir dans ces comportements déjà perceptibles un retour du
protectionnisme, tendant à favoriser l'exportation massive de produits
américains vers les marchés émergents ?
La maîtrise du cycle large qui s'ouvre à Seattle soulève plusieurs
contradictions qu'il importe de clarifier, au moment où l'opinion publique est
de plus en plus sceptique sur les vertus du libre-échangisme.
Il est contradictoire d'opposer strictement aide au développement et
libéralisation des échanges. Une récente étude du PNUD, le programme des
Nations unies pour le développement, tend d'ailleurs à montrer la nécessité
d'ouvrir les économies des pays les plus pauvres. Je vous renvoie à cet égard à
l'excellent rapport parlementaire rédigé par Béatrice Marre.
Au-delà d'un bras de fer annoncé entre Etats-Unis et Europe, il importe
également de garantir aux pays tiers des débouchés commerciaux et culturels
nouveaux. Il en va d'une notion élémentaire d'égalité et de solidarité
internationale.
Face à la tentation d'un repli identitaire et d'un retour du conservatisme,
les négociations de Seattle posent, d'emblée, le problème de clivages
sectoriels persistants. La position minimaliste des grands pays agricoles
exportateurs du groupe de Cairns apparaît, dans ces conditions, quelque peu
irréconciliable avec le développement d'une agriculture maîtrisée, ardemment
souhaitée par les Européens.
Par ailleurs, en privilégiant l'éthique et le recours à des règles minimales,
les Quinze espèrent englober ce qu'il est convenu d'appeler les « nouveaux
sujets de régulation ».
De ce fait, le contrôle démocratique des débats doit accélérer la prise de
conscience de nouvelles dimensions dans les relations internationales.
La relance d'une nouvelle forme de dialogue Nord-Sud doit préfigurer
l'émergence d'une société ouverte qui tiendrait compte à la fois de
préoccupations économiques, environnementales, sociales et culturelles.
Je suis convaincu que le dialogue est possible entre pays développés et ceux
qui aspirent à le devenir.
Il conviendra donc, pour la délégation de la commission conduite par Pascal
Lamy, d'exposer une détermination sans faille envers ces valeurs que nous
croyons universelles. Je pense à la reconnaissance de normes sociales
fondamentales, au droit à une alimentation saine et à la défense de notre
spécificité agricole.
Nous attendons des négociations du cycle du Millénaire de nouvelles règles en
matière de concurrence, de marchés publics et d'environnement, qui doivent
s'inscrire, comme le souhait en a été exprimé tout à l'heure, dans la
préservation de l'exception culturelle et audiovisuelle.
Notre préoccupation concerne aussi les futures interactions entre les règles
de l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement afin de concilier
principes environnementaux fondamentaux et développement commercial, à l'image
de la lutte contre la corruption qui, associée à la sécurité des
investissements directs étrangers, témoigne d'une ambition nouvelle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si l'on peut légitimement se réjouir de la
présence d'un représentant du continent africain au sein de la direction de
l'OMC, comment ne pas percevoir dans la nomination du Néo-Zélandais Mike Moore
un avant-goût amer de ce que pourrait être l'intransigeance américaine.
Cela étant, je me félicite de voir que le Gouvernement a souhaité associer les
parlementaires au rude combat en faveur de l'affirmation des valeurs humanistes
fondamentales au sein d'une économie globalisée mais, je l'espère, régulée.
Vous imaginez - vous le savez mieux que quiconque ! - que, pour ce faire, vous
aurez le soutien des radicaux de gauche.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
vouloir définir aujourd'hui l'enjeu de l'ordre du jour de Seattle est
incontestablement un véritable programme en soi.
Dès le départ, nous devrons tous être imprégnés de cette volonté offensive,
qui doit trancher avec les débats de 1992. Un récent déplacement à Washington
avec M. le ministre de l'agriculture et de la pêche me conduit à conserver à la
fois espoirs pour certains éléments et fortes inquiétudes pour d'autres.
Aujourd'hui, je n'évoquerai que les questions liées à l'agriculture et au
monde rural et je ferai quelques commentaires sur l'évolution à moyen terme, en
espérant une meilleure compréhension - elle est nécessaire - entre l'Europe et
les Etats-Unis.
Il ne faut pas non plus oublier, ne nous le cachons pas, les malentendus
actuels qui subsistent sur un certain nombre d'éléments tels que la banane, les
organismes génétiquement modifiés, les hormones, etc.
Peut-être est-ce sur l'analyse de ces contradictions et de ces malentendus que
nous devrons, ensemble, préparer ce débat devant l'OMC ?
Rappelons tout d'abord qu'il est de notre intérêt, à la suite des accords de
Berlin - qui sont exceptionnels et qui ont énormément choqué les Etats-Unis -
de débattre des questions agricoles sur le fond et dans la durée. Ne tombons
pas dans le piège de la précipitation, où les Américains voudraient nous
entraîner !
Nous devrons tenir compte de deux éléments : tout d'abord, l'évolution interne
européenne, qui est un élément fort ; ensuite, l'évolution des Etats-Unis dans
le domaine de la politique agricole. Aujourd'hui, en effet, le clignotant est
au rouge et nous devrions peut-être les montrer du doigt.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
Sur le plan européen, depuis sept ans, rappelons-le, nous n'avons pas cessé de
respecter les accords de Marrakech. C'est un de nos atout forts dans ce débat
!
Par ailleurs, les réformes successives de la PAC nous ont fait passer d'une
agriculture productiviste à une agriculture plus axée sur la qualité :
entreprises et consommateurs, aujourd'hui, sont de plus en plus attentifs à la
qualité des produits que nous leur offrons.
Rappelons également, dans un esprit offensif, qu'en cumulant l'Agenda 2000 et
la PAC 92 les baisses de prix atteignent, dans le secteur agricole, 32 % pour
les viandes bovines et 50 % pour les céréales. Cela montre bien que nous avons
appliqué les accords de Marrakech !
A cela s'ajoute un découplage accru par une forte réduction du budget européen
à l'exportation, qui est passé à 7 % en 1999 alors qu'il dépassait 30 % en
1991.
Rappelons aussi que, pour diminuer la production et l'encombrement du marché,
la Communauté européenne a accepté des sacrifices énormes puisque la prochaine
PAC nous fera passer à 10 % de jachère, contre 5 % seulement à l'heure
actuelle.
Rappelons encore le rôle spécifique de l'agriculture en faveur de l'emploi en
milieu rural - et c'est là un élément qui ne se maîtrise pas à travers les
prix - mais aussi en faveur de l'environnement ou de la qualité des aliments,
autant de points qui devront être débattus à Seattle même si, comme j'ai pu le
constater il y a quelques jours, les Etats-Unis ne le souhaitent pas.
M. Raymond Courrière.
C'est exact !
M. Jean-Marc Pastor.
La Communauté européenne propose un ensemble de dispositifs dans le secteur
des services non marchands, favorisant ainsi un tissu social différent. C'est
notre conception de la société qu'il va falloir « vendre » dans un débat qui se
prolongera sans aucun doute pendant plusieurs mois, et certainement encore
après l'élection présidentielle américaine.
C'est ce concept de société et de vie qu'il nous faudra défendre face à des
systèmes certes respectacles mais fondés sur d'autres principes - je fais
allusion aux schémas américains, australiens, argentins ou même canadiens - et
qui s'opposent à notre logique et à l'introduction d'éléments non marchands
dans le débat.
Nos choix, nous les faisons pour faire face à l'exode rural. Aussi serait-il
absurde de prétendre ou de laisser croire, comme certains l'ont fait, que la
solution réside dans la suppression des aides publiques.
Un autre aspect doit être pointé du doigt : l'évolution de la politique
américaine dans ce domaine. Les rois du libéralisme ont connu, mes chers
collègues, un échec cuisant dans le secteur agricole, où les forces du marché
libre non soutenu ont entraîné à la faillite près de 25 % des exploitations,
emportant avec elles banques et entreprises.
Aussi, depuis 1997, ils ont changé leur fusil d'épaule, et les aides accrues
de l'administration américaine à ses agriculteurs perturbent actuellement la
concurrence mondiale. Le soutien à l'agriculture aux Etats-Unis est ainsi passé
de 7 milliards de dollars en 1997 à 22 milliards de dollars en 1999. L'aide
alimentaire, soutien illégal déguisé au commerce extérieur, a été multipliée
par cinq pendant ces mêmes deux ans - je doute que la pauvreté, pourtant
grandissante dans ce monde, ait suivi la même progression ! - et le Congrès
américain poursuit dans cette voie en accordant des garanties généreuses à
l'exportation. Tout cela, il faudra le dénoncer !
Aujourd'hui, nous devons dire avec force que c'est bien l'agriculteur
américain qui est le plus subventionné au monde : en 1999, il aura perçu en
moyenne 9 500 dollars de soutien, alors que l'agriculteur européen recevait,
pour sa part, 5 300 dollars.
Même si nous devons respecter les choix politiques internes américains, nous
devons également demander, à Seattle, la transparence dans ce domaine. Il faut
que tout soit mis d'emblée sur la table des négociations.
Sachons également tirer les conséquences de nos querelles et de nos
divergences. Je pense notamment à la banane, où nous avons un intérêt
économique direct.
La Communauté européenne présente des propositions claires dans ce domaine,
car il est possible de respecter à la fois les accords de Lomé avec les pays
d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et les accords de l'OMC en veillant à
un certain nombre d'équilibres vis-à-vis des distributeurs - je dis bien des
distributeurs, et non des producteurs - d'Amérique latine et des Etats-Unis.
S'agissant du boeuf aux hormones, il faut incontestablement poursuivre les
études, car la terrible crise du sang contaminé est une expérience française
qu'il ne faut pas renouveler. Comme pour les OGM, nous devons faire preuve
d'une très grande prudence et, en cas de différend, faire appel aux
scientifiques. Malheureusement, ces derniers n'ont pas tous les mêmes critères
d'analyse. Nous devrons donc, à Seattle, nous mettre d'accord sur un cahier des
charges et sur des seuils communs afin que tout le monde puisse parler le même
langage.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
Si nous ne faisons pas cette démarche en liaison étroite avec la Food and Drug
Administration, la FDA, nous ne parviendrons jamais à nous comprendre.
Dans le domaine des OGM, même si certains le pensent, il n'y a pas de conflit
officiel avec les Etats-Unis. Le marché est ouvert, le consommateur décide et
choisit. En la matière, il faut cependant maintenir la transparence grâce à
l'étiquetage pour que le consommateur européen puisse choisir tout en
respectant l'environnement.
La proposition française de création d'une agence sanitaire européenne,
reprise récemment par le président de la commission, M. Prodi, mérite d'être
soutenue à cet égard. Mais comment renforcer le dispositif international dans
le domaine de la protection ? Cette question fondamentale devra être discutée à
Seattle. Le principe de précaution est, en effet, au coeur d'un débat nouveau
qu'il conviendra d'aborder dans le respect des règles du commerce, mais aussi
en fonction des normes sanitaires et environnementales.
Tous ces volets nouveaux devront être abordés lors du débat de 1999-2000, même
si nous savons que tous les partenaires ne sont pas obligatoirement favorables
à cette approche. Mais nous ne pouvons nous permettre d'aborder la seule
question des prix !
Que dire de plus du marché agricole si ce n'est que la comparaison des budgets
européen et américain en la matière fait apparaître que le premier consacre
globalement 40 milliards d'euros ou de dollars au soutien de ses agriculteurs
tandis que le second y consacre près de 60 milliards de dollars ? Au demeurant,
il est difficile d'effectuer une vraie comparaison, ce qui rend nécessaire la
transparence des Etats dans ce domaine.
Pour que le débat soit serein, il faut impérativement faire l'inventaire du
nouveau schéma d'aide alimentaire, car c'est aujourd'hui un instrument déguisé
qui permet aux Etats-Unis de mieux pénétrer certains marchés mondiaux.
Le montant des importations européennes et françaises en témoigne très
largement, nous sommes, à l'inverse du marché américain, très ouverts alors que
les Etats-Unis ne le sont que sur les produits où ils sont très compétitifs.
Dois-je rappeler les droits qui frappent les fromages - 170 % ! -, le beurre -
137 % ! - ou le sucre - 130 % ?
Pour ce qui est du soutien interne, Seattle devra s'adapter aux demandes
nouvelles des consommateurs et de l'opinion publique dans le domaine de
l'environnement, de la sécurité alimentaire, de l'acte social à proprement
parler. C'est ce que nous appelons, en Europe et en France, la
multifonctionnalité, élément non marchand qu'il faudra bien aborder à Seattle.
Des conclusions de ce débat naîtra une orientation qui nous permettra d'éviter
ou non la déperdition rurale.
Les accords de Berlin représentent un atout fort et incontestable de l'unicité
européenne, mais nos opinions publiques ont des attentes nouvelles et nous
devons y répondre. Au-demeurant, j'avoue franchement que j'ai le sentiment que
l'opinion américaine, depuis quelques mois, est en train d'évoluer dans ce
domaine et qu'elle peut devenir demain un des nos principaux alliés dans le
débat mondial.
La vraie réponse face aux inquiétudes à l'égard de la mondialisation ne peut
toutefois se confondre avec l'uniformisation, même si, contrairement à ce qui
s'était passé en 1992, la France et l'Europe aborderont cette année le débat en
alliés pour faire valoir leur modèle de société. Tous ensemble, ici, nous
formulons le voeu que ce mode de vie et de société sera défendu au niveau
mondial !
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon.
Monsieur le président, mes chers collègues, après l'exposé de M. le secrétaire
d'Etat et les interventions des deux présidents de commission, MM.
François-Poncet et de Villepin, je suis tenté de dire qu'il n'y a plus
grand-chose à dire. Aussi ma modeste participation se limitera-t-elle à
l'évocation partielle de certains problèmes.
Nous attendons tous, quelquefois avec anxiété, l'issue de ces éventuels
accords qui vont conditionner l'équilibre du commerce international pour les
années à venir.
Nous parlons tous de la nouvelle situation - d'ailleurs pas si nouvelle qu'on
veut bien le dire ! - dénommée « mondialisation ». C'est sans doute inévitable,
inexorable, car les moyens de communication, d'information et de transport sont
devenus si efficaces, sur notre planète, que ce qui se passe sur un continent
provoque presque immédiatement une réaction dans l'ensemble des nations et sur
leur économie.
D'aucuns prétendent que cette situation nouvelle doit être vécue sans crainte
et que nous devons en tirer de nombreux avantages. C'est mon avis. Hélas ! les
faits sont moins faciles à vivre, et, à titre personnel, sur le terrain, je
dois supporter les conséquences de cette mondialisation, qui, pour l'instant, «
massacre » tout de même l'acte de production en Europe.
En effet, comment prétendre que l'on peut produire sans aller rapidement à la
faillite quand on est en situation de concurrence directe, sans barrière, avec
des économies où le coût salarial est quasi nul, la protection sociale
inexistante et le système fiscal avantageux ?
Je suis dans une région où l'activité industrielle repose essentiellement sur
la fabrication de la chaussure et de l'habillement. Depuis plusieurs années,
nous assistons à une diminution permanente du nombre des salariés et à des
fermetures dramatiques. Encore aujourd'hui, ponctuellement, ce sont près de 1
000 salariés constituant l'effectif de l'entreprise GEP - La Fourmi qui sont
menacés par le dépôt de bilan et peut-être même par la liquidation sous les
coups de la pantoufle chinoise et de la chaussure taïwanaise.
J'ai beaucoup de mal - c'est d'ailleurs une mission impossible - à faire
comprendre aux salariés de cette entreprise que la mondialisation est une bonne
chose.
En effet, devant de tels exemples, il est difficile de penser que l'OMC puisse
véhiculer autre chose que des catastrophes ! C'est pourtant mon avis : la
mondialisation peut être une bonne chose, à condition de ne pas être la jungle
du libre-échange. Et c'est précisément le rôle des négociateurs de Seattle que
d'arriver à des situations équilibrées où chacun retrouve son compte.
Mon rôle, après l'intervention de Michel Souplet, est de traiter des problèmes
agricoles, qui sont au coeur des négociations de l'OMC.
L'agriculture européenne, dans sa diversité, est totalement intégrée dans une
économie organisée, avec des contraintes salariales, sociales et fiscales que
nous connaissons et qui n'ont, bien sûr, rien à voir avec ce qui est vécu et
pratiqué dans la plupart des pays de notre planète. Grâce à l'Europe agricole,
nos avons réussi à nous garder de nombreux périls.
L'agriculture vit donc les mêmes difficultés que les industries de
main-d'oeuvre, et les exemples sont nombreux où éclate l'impossibilité de
survivre pour nos économies occidentales devant les chiffres et les prix
qu'autorise l'exploitation de nombre de pays sous-développés.
A titre d'exemple, il y a quelques semaines, je participais, dans le cadre
d'une mission sénatoriale, à un voyage d'étude en Amérique du Sud. Nous avons
en permanence subi les assauts verbaux des dirigeants politiques et des
professionnels argentins désireux de nous exporter la viande bovine dont leurs
entreprises et leur pampa regorgent !
M. Gérard César.
Tout à fait.
M. Jean Huchon.
Mais à quel prix ? Un dollar le kilo, soit trois fois moins cher qu'en France,
où les producteurs ont pourtant peine à vivre et doivent être artificiellement
aidés. Il suffit d'ouvrir les frontières à ces viandes argentines pour ruiner
définitivement les éleveurs français.
Cet exemple démontre la difficulté de l'exercice et la vigilance dont nos
négociateurs devront faire preuve avec nos partenaires, et spécialement avec
les Etats-Unis, qui abordent les négociations dans un climat agressif et
évidemment électoraliste.
Il est d'ailleurs à craindre que l'exécutif américain ne soit pas en mesure ou
ne fasse en sorte de ne pas être en mesure de signer un accord avant janvier
2002. En effet, il ne disposera pas d'un mandat de négociation du Congrès, car
ce dernier ne votera pas un
fast track
avant les élections
présidentielle et législatives de 2002. Toutefois, les Américains ne manqueront
pas d'essayer d'obtenir de l'Union européenne des avancées qu'eux-mêmes ne
voudront pas faire.
Il ne faut à aucun prix que les négociations sur l'OMC soient l'occasion d'un
démantèlement de la construction européenne menée depuis quarante ans.
A ce titre, il est bon de rappeler les objectifs de départ de l'Europe
agricole, qui sont toujours d'actualité, à savoir assurer la sécurité
alimentaire des pays membres, respecter la préférence communautaire à
l'intérieur de l'Union européenne, assurer un revenu aux agriculteurs et
aménager une vocation exportatrice à l'Europe agricole.
Ces objectifs ont été progressivement atteints, mais il est bien évident que
l'entrée dans la mondialisation peut tout déstabiliser. En effet, nos
partenaires mondiaux n'ont jamais accepté le fait européen, qui, depuis
quarante ans, a démontré son efficacité. Le cheminement a peut-être été
difficile, mais les faits sont là : l'Europe existe.
Par ailleurs, l'Europe a déjà fait preuve de courage et de discipline en
réformant progressivement les règles de la politique agricole commune à deux
reprises. Les négociateurs européens ne partent pas de rien et ils devront, au
préalable, faire état de ce qui a déjà été fait pour pouvoir discuter avec
leurs interlocuteurs. Les réformes successives de la PAC ont déjà imposé des
adaptations que nos partenaires d'outre-Atlantique n'ont pas imitées.
Le volet agricole devra recouvrir l'ensemble de la production agricole, Le
volet céréalier, qui est simple et ne comporte presque qu'un seul produit,
homogène, facile à conserver et à transporter, ne doit pas faire oublier le
reste du panel agricole, beaucoup plus compliqué à traiter : viandes, lait,
fruits et légumes, etc.
La réforme de la PAC et les accords de Berlin doivent donc servir de base à la
négociation. A partir de ce socle, il faut obtenir un accord global. Un bilan
soigneusement élaboré doit être établi en exigeant la bonne foi.
Les aides à l'agriculture accordées en Europe et contestées par nos
partenaires de négociation, spécialement les Etats-Unis, ne doivent pas nous
traumatiser. Nous devons faire la lumière sur le système d'aide massivement
pratiqué outre-Atlantique - mon ami Jean-Marc Pastor vient de l'évoquer - les
Américains ne manquant jamais de nous reprocher ce que nous faisons dans ce
domaine en feignant pudiquement d'ignorer ce qu'ils accordent aux
farmers
du Middle West.
Dans ce domaine, l'Europe doit avoir une attitude offensive et faire preuve
d'une vigilance rigoureuse ; cela devrait nous permettre d'exiger un certain
nombre d'éléments fondamentaux pour que l'OMC débouche sur un accord
équilibré.
Tout d'abord, il faut assurer la réciprocité des exigences sur deux points
importants : d'une part, les problèmes sanitaires et la qualité des produits ;
d'autre part, les problèmes de l'environnement et de la qualité de la vie.
Sur le plan sanitaire, nous ne devons pas être naïfs. Pourquoi accepter
l'importation de produits sans les contrôler compte tenu des exigences
sanitaires et techniques que nous imposons aux producteurs français et
européens ? C'est un sujet sur lequel il y a beaucoup à dire et qui demanderait
un plus long développement que ne le permet ce débat.
Disons simplement - tous les orateurs l'ont souligné - que les incertitudes
scientifiques sont particulièrement gênantes : nous en avons fait et nous en
faisons encore l'expérience avec l'ESB et le problème de la viande aux
anabolisants.
Il faut que le grand principe de « précaution » - le terme est admirable -
soit juridiquement et scientifiquement clarifié, afin qu'on ne vive plus les
péripéties actuelles. Des règles simples et précises, établies et acceptées par
tous, doivent permettre d'éviter tout accident, que ce soit pour la viande, les
animaux vivants, les fruits et les légumes, etc.
Les Etats-Unis, spécialistes des procédures de contrôle à l'importation et des
quarantaines largement utilisées, doivent comprendre que la réciprocité doit
être la règle.
Les négociations de l'OMC devront également inclure un volet environnemental
dans le cadre d'accords multilatéraux. Il est souhaitable, par exemple, de
clarifier les exigences liées aux méthodes de fabrication et aux règles
d'étiquetage des produits.
Le volet social ne doit pas être oublié, tout le monde l'a dit. C'est
l'occasion de tenter - y parviendrons-nous peut-être - de traiter le formidable
problème des inégalités. Il s'agit, en réalité, de l'intégration des pays en
voie de développement dans l'économie mondiale, en les faisant participer de
façon plus active au système commercial multilatéral.
Cest pays sont de plus en plus producteurs, mais ils jouent toujours un rôle
secondaire, c'est-à-dire un rôle d'exploités, sur la scène économique mondiale.
Cette situation est injuste et l'impact de leur marginalisation se ressent
partout. Le progrès économique ne peut qu'être un facteur important de
l'amélioration sociale dans le monde et un point clé du développement
durable.
Il faut également faire des avancées dans le domaine des droits de l'homme, de
la primauté du droit et du respect des normes du droit fondamental au travail.
Je pense tout particulièrement au travail des enfants, au travail carcéral, au
travail forcé, ou encore à l'absence du droit d'association et de négociation
collective.
Il faut que les accords futurs fixent des règles de commerce qui permettent
l'accès au marché de tous les opérateurs et que soit mis en place un système de
contrôle des pratiques anticoncurrentielles internationales. Je veux parler des
cartels mondiaux et des organismes à position dominante et fortement
concentrés, comme la grande distribution, qui est maintenant largement
mondialisée. Ces contrôles font défaut actuellement, et c'est une situation qui
nuit aux pays les plus faibles.
Il n'est pas question, comme cela a déjà été dit, de faire en sorte que l'OMC
devienne une autorité mondiale. Elle n'en a ni la vocation ni les moyens. C'est
simplement un cadre dans lequel doivent fonctionner des politiques de
concurrence équilibrée.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de dire, après
bien d'autres, que notre souhait le plus vif est que ces négociations se
réalisent dans la plus grande transparence.
Elles vont être longues, voire difficiles. Nous sommes des parlementaires
sérieux ; nous demandons à être informés des étapes qui vont être franchies et
des obstacles qui vont se lever. Nous pensons être de bons relais auprès de nos
concitoyens. Or, vous aurez besoin de l'appui de l'opinion publique.
Au moment où vont s'ouvrir ces pourparlers, qui provoquent le doute chez les
uns et l'espoir chez les autres, je veux être résolument optimiste. Je ne peux
m'empêcher de rappeler la citation de Montesquieu tirée de
L'Esprit des lois
et reprise récemment dans un grand quotidien du soir : « Le commerce guérit
des préjugés destructeurs ; et c'est presque une règle générale que partout où
il y a des moeurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du
commerce, il y a des moeurs douces. »
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
alors que les négociations de Seattle vont s'ouvrir dans quelques jours, un
premier constat s'impose : rarement un débat public n'aura été entaché d'autant
de préjugés et d'idées fausses.
Je m'efforcerai donc, si vous le permettez, dans un premier temps, de préciser
des thèmes aujourd'hui récurrents dans le débat public mais très largement
galvaudés : la mondialisation, d'abord, l'Organisation mondiale du commerce,
ensuite.
Je développerai, enfin, un point qui m'apparaît particulièrement fondamental,
tant le sort qui lui sera réservé à Seattle déterminera la place et les
prétentions de notre pays à l'aube du troisième millénaire. Je veux parler de
la propriété intellectuelle, ferment de notre identité et de notre culture, qui
doit être défendue avec une vigueur inégale.
Première idée fausse : la mondialisation est une réalité.
La mondialisation, voilà un terme à la mode ! Il ne se passe pas un jour sans
que ce concept soit mentionné dans toutes les sphères, privées comme publiques,
par tous les responsables politiques, de droite comme de gauche. La
mondialisation, je suis tenté de dire que voilà la nouvelle idéologie du xxie
siècle ! Il y a ceux qui sont pour, il y a ceux qui sont contre. Que l'on s'y
oppose ou qu'on la loue, c'est bien la référence absolue, indispensable. Et,
pourtant, que recouvre ce concept, employé par tous, mais défini par personne
?
La mondialisation fait référence à l'échange généralisé entre les différentes
parties de la planète. Elle implique, à terme, l'émergence d'un « village
global ». Elle suppose la disparition des frontières, elle postule
l'uniformisation des modes de vie et de pensée.
Il n'y a pas de vision plus erronée de l'environnement international. Il n'y a
pas de perception plus fausse de la réalité des échanges.
La mondialisation est un leurre. Elle procède d'une simplification outrancière
et erronée de l'environnement international.
Jamais les divergences économiques, sociales et politiques entre les Etats
n'ont été aussi grandes : l'extrême pauvreté côtoie l'extrême richesse. Le
commerce ne profite pas à tous les pays dans la même mesure. Il met en jeu des
Etats qui n'ont pas atteint, loin s'en faut, le même niveau de développement
économique. Jamais les revendications identitaires n'ont été aussi fortes et
aussi exacerbées. La montée des intégrismes, les guerres ethniques, la défense
des exceptions culturelles... Vous voyez, mes chers collègues, que le monde
n'est pas unifié et n'est pas en voie de l'être !
La mondialisation est un terme qui devrait être banni. Ce à quoi nous sommes
confrontés, c'est à l'interdépendance croissante des économies, dans un
contexte de libéralisation accrue des échanges.
Seconde idée fausse : l'Organisation mondiale du commerce serait le cheval de
Troie des prétentions hégémoniques américaines.
Rien n'est plus erroné ! Une telle affirmation traduit une incapacité totale à
saisir la nature profonde de l'OMC, ses fonctions, ses mécanismes fondamentaux.
Une telle affirmation traduit une méconnaissance du sujet, une méconnaissance
coupable pour un responsable politique. Que les Etats-Unis et l'Europe se
livrent une guerre commerciale terrible, c'est un fait. Qu'il nous appartienne
d'être extrêmement vigilants et inflexibles pour défendre nos intérêts vitaux,
c'est incontestable.
Mais l'OMC n'est pas l'instrument de domination des Etats-Unis. Au contraire,
seule l'OMC peut substituer aux rapports de force le primat de la règle de
droit. Seule l'OMC peut discipliner les Etats en exigeant d'eux le respect des
règles de droit commerciales qu'ils ont librement négociées et acceptées.
Plusieurs d'entre vous y ont fait allusion : l'analyse minutieuse de toutes
les décisions rendues par l'organe de règlement des différends de l'OMC montre,
contrairement aux idées reçues, que les Etats-Unis ont non seulement été plus
souvent mis en cause que l'Union européenne, mais ont fait aussi l'objet de
plus de condamnations.
De ce point de vue, la dernière décision rendue par l'ORD le 17 septembre 1999
est particulièrement significative. Elle met en cause les pratiques fiscales
américaines à l'exportation. L'enjeu est autrement plus important que pour les
affaires de la banane et des hormones, qui, réunies, ne touchent que 1 % à 2 %
du commerce entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Les pratiques fiscales
américaines représentent en effet, chaque année, une aide directe de 2
milliards de dollars aux exportateurs américains. Le préjudice subi par les
Etats-Unis risque donc d'être considérable en cas de confirmation de la
décision par l'organe d'appel de l'OMC.
L'OMC est bien une instance impartiale, et c'est cette impartialité qui fait
toute sa crédibilité. Dans un contexte de libéralisation sans précédent des
échanges, alors que la compétition entre les Etats n'a jamais été aussi
exacerbée, les anti-OMC font preuve d'ignorance et d'aveuglement. Ils doivent
savoir que le désordre mène à l'anarchisme. L'anarchisme engendre
malheureusement très souvent la violence. La violence conduit presque toujours
à l'appauvrissement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, alors que les négociations qui s'ouvrent à
Seattle vont toucher aux intérêts vitaux de notre pays, il importe, face à nos
principaux partenaires commerciaux, d'être particulièrement vigilants et
pugnaces si nous ne voulons pas brader nos intérêts. La défense de notre
conception du droit d'auteur illustre avec force tout l'enjeu des négociations
de Seattle.
Si l'enjeu est considérable, alors que les progrès des technologies modernes
et l'apparition de nouveaux modes de circulation et d'exploitation du savoir
amènent les Etats à se doter de législations nouvelles, il est surtout
éminemment symbolique : derrière le choix du système de protection de la
propriété littéraire et artistique, c'est la question du rôle de l'OMC à l'aube
du troisième millénaire qui est posée.
L'OMC doit-elle seulement s'efforcer de promouvoir un commerce débarrassé de
toute entrave et soumis aux seules lois du marché, ou bien doit-elle veiller
aussi à encourager le respect des identités et des différences, et donc
promouvoir une libéralisation plus humaine des échanges ?
Cela pose à nouveau avec force le problème de la protection de la propriété
littéraire et artistique, alors que l'on s'oriente de plus en plus vers des
économies de l'immatériel, tant la création est appelée à jouer un rôle
essentiel.
Deux grandes conceptions du droit d'auteur existent. La conception française,
largement inspirée par le droit romain, d'essence civiliste, qui privilégie la
gestion collective et droit moral, et la conception anglo-saxonne, qui se fonde
sur le
copyright.
Ces deux conceptions du droit d'auteur restent fondamentalement opposées.
Privilégier l'approche française sur le système américain du
copyright
est primordial dans la mesure où elle protège plus efficacement les droits
des créateurs.
La conclusion de l'accord sur les droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce a été considérée comme un succès remarquable. Pourtant,
cet accord n'édicte pas à proprement parler de normes nouvelles sur ce point
précis, se contentant de renvoyer aux conventions internationales en vigueur,
notamment la convention de Paris sur la propriété industrielle et les marques,
adoptée le 14 juillet 1967, et la convention de Berne sur les droits d'auteur,
adoptée le 24 juillet 1971.
L'Union européenne doit se montrer beaucoup plus exigeante que les Etats-Unis,
notamment en matière de respect des droits moraux. Les Etats-Unis, on le sait,
s'opposent à l'élaboration de règles nouvelles, soucieux de ne pas avoir à
modifier leur législation nationale. Il faut adopter une position résolument
offensive.
Les approches juridiques divergent profondément. La conception européenne du
droit d'auteur met l'accent sur la protection de la personnalité de l'auteur,
témoignant de la « supériorité du droit moral » sur les droits pécuniaires.
L'oeuvre est considérée comme un prolongement de la personnalité de l'auteur,
lui conférant deux séries de prérogatives : droits pécuniaires, dont le
principal est droit de reproduction, et le droit moral, qui implique le droit
au respect de l'oeuvre et le droit au nom. Dans le système du
copyright,
en revanche, on est en présence d'une tout autre philosophie. L'oeuvre
étant radicalement détachée de la personne physique, elle acquiert une
autonomie juridique absolue. Il en résulte que, appréciée comme un produit,
elle peut mener une existence économique libre. De fait, elle peut faire
l'objet d'un transfert sans aucune réservation, restriction ou limitation. Le
droit d'auteur est essentiellement conçu comme une prérogative économique : il
s'agit du droit pécuniaire d'autoriser ou non la reproduction. Le système du
copyright
tend par conséquent à investir l'employeur des droits sur
l'oeuvre, et ce à titre originaire, qu'il s'agisse d'une personne morale ou
non. Cela, nous ne pouvons l'accepter.
Veiller à ne pas évincer l'auteur de son oeuvre est une priorité, alors qu'il
est de plus en plus soumis aux pressions des producteurs, diffuseurs et
concepteurs. Ces derniers, qui s'apprêtent à envahir l'espace culturel de la
planète avec leurs produits, considèrent en effet l'auteur comme un obstacle à
la rentabilité et au développement de leurs commerces.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à Seattle, il faut donc faire prévaloir la
conception française du droit d'auteur, plus favorable au créateur ; celle-ci
repose sur le droit moral et sur la gestion collective.
Seul le droit moral confère une protection renforcée à l'auteur. L'article L.
121-1 du code de la propriété intellectuelle de 1992, qui leur reconnaît un
droit à l'intégrité de l'oeuvre, précise en effet que le droit moral est «
inaliénable ». En l'absence de droit moral, l'oeuvre peut être défigurée,
mutilée, transformée à l'idée du marchand, sans que l'auteur ait la possibilité
d'intervenir.
Les sociétés de gestion collective désignent tout organisme dont le seul but
ou l'un des buts principaux consiste à gérer ou à administrer des droits
d'auteur ou des droits voisins du droit d'auteur.
Parfois mise en cause, la gestion collective reste pourtant un système
irremplaçable, seul à même de préserver efficacement les intérêts du créateur
et de l'auteur. Il est bien évident en effet que, si l'auteur conservait
l'exercice de ses droits, il serait plus exposé aux pressions des exploitants,
soucieux d'obtenir de lui la cession de ses droits. Assurer un exercice
efficace de la gestion collective vise donc fondamentalement à protéger
l'auteur. L'affaiblissement de la gestion collective entraînerait celui de la
protection des ayants droit. Comment, en effet, les sociétés d'auteurs
pourraient-elles efficacement défendre les droits des auteurs à l'égard des
usagers de leurs oeuvres, si ces mêmes usagers pouvaient obtenir directement
des auteurs individuellement des conditions d'utilisation de leurs oeuvres que
les sociétés d'auteurs leur refusent ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, excusez-moi d'insister sur ce point, mais il
s'agit d'un enjeu fondamental. Tout glissement vers un passage du droit romain
au système du
copyright
doit être absolument évité, à Seattle et dans
les mois qui suivront. Ce ne sera pas chose aisée, ni pour vous, ni pour le
commissaire européen chargé de défendre les intérêts de Bruxelles.
Au-delà des lobbies professionnels qui, mus par des considérations
économiques, cherchent à faire valoir une telle orientation, les interventions
des Etats-Unis sur la scène internationale vont également dans cette direction.
L'influence considérable de ce pays auprès des organisations internationales
pousse à promouvoir l'application du
copyright
auprès des pays non
encore signataires de la convention de Berne pour la protection des oeuvres
littéraires et artistiques, au détriment de la gestion collective.
Les négociations entreprises à l'occasion de l'Uruguay round remettent en
cause pour l'instant toute possibilité de faire prévaloir au plan international
la conception française du droit d'auteur. Les Etats ne sont pas encore
parvenus à s'accorder sur le droit moral. L'article 6
bis
de la
convention de Berne a été exclu purement et simplement de l'accord sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Il
reconnaît pourtant les droits extrapatrimoniaux des auteurs et créateurs. Une
telle exclusion constituerait une grande concession de la Communauté européenne
aux Etats-Unis, désarmant l'auteur au bénéfice de l'industrie. Elle marquerait
une orientation vers un droit d'auteur d'entreprise, à l'opposé de notre
conception traditionnelle.
Face à l'intensification des échanges et aux nouvelles technologies des
réseaux, la France a réaffirmé clairement sa position : les oeuvres ne sont pas
des marchandises et la création n'est pas seulement l'acte économique de
production d'un bien. Les développements potentiels de la société de
l'information ne pourront être effectifs sans des contenus de qualité, ce qui
suppose que les titulaires de droits y trouvent leur compte. L'information
libre de droit sur les réseaux est un leurre dangereux. Pour soutenir la
création française, il faut donc veiller à ce que les auteurs et les titulaires
de droit soient efficacement protégés, afin que prévale la conception humaniste
et personnaliste française de la création.
Il faut donc interdire toute réglementation ou tout accord autorisant, sous
couvert d'un libéralisme commercial sauvage, à piller nos répertoires dans un
seul but de profit.
La tâche qui vous attend, monsieur le secrétaire d'Etat, ne se limitera pas à
un travail de trois ou quatre jours, je veux dire simplement à Seattle. C'est
une tâche de trois années qui va commencer le 1er janvier à Genève, et elle
sera particulièrement rude ! Vous aurez, en tous les cas, le devoir de défendre
notre identité et notre culture.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
me réjouis de l'organisation devant la Haute Assemblée d'un débat consacré à
l'ouverture, très proche désormais, d'un nouveau cycle de négociations
commerciales multilatérales.
C'est avec la plus grande attention que nous avons suivi le déroulement des
discussions préliminaires, tant avec les Etats membres de l'Union européenne
qu'avec nos partenaires extérieurs, et nous sommes conscients de l'ampleur et
de la complexité de la tâche qui nous attend à Seattle.
A l'instar de mes collègues, j'ai pris connaissance, avec satisfaction et
soulagement, de la concrétisation d'une position commune européenne sur
l'orientation qu'il conviendrait de donner à cette négociation.
Je garde également l'espoir d'une plus grande sensibilité de nos partenaires
quant au bien-fondé de l'ouverture d'un large champ de négociations pour ce
cycle du Millénaire, c'est-à-dire sortir de l'agenda intégré, même si nous
savons combien la bataille risque d'être rude.
Il est, en outre, un point qui m'inquiète fort et que j'aimerais évoquer dès
maintenant sur un sujet tout à fait connexe à celui qui nous réunit ce matin.
Nous venons d'apprendre la signature d'un accord entre la Chine et les
Etats-Unis qui, si j'en crois les commentateurs, signifierait l'imminence de
l'adhésion de ce pays à l'OMC après des années d'âpres discussions
préparatoires.
Je suis quelque peu inquiet quant à l'effet d'annonce que les Etats-Unis
viennent de réaliser à travers cet accord bilatéral. S'il se révèle que nous
sommes là dans le cadre d'une procédure classique d'adhésion, c'est-à-dire
d'une négociation bilatérale, qui devra ensuite être déclinée avec les
principaux pays de l'OMC, je crains que les Etats-Unis n'utilisent la
médiatisation de cet accord pour influencer ce nouveau partenaire dans le cadre
des futures négociations multilatérales.
On veut voir aussi, bien sûr, dans cet accord le signe des progrès accomplis
par la Chine dans la voie du libéralisme et de l'ouverture économique, et
j'adhère à l'idée que l'OMC gagnera en crédibilité en accueillant ce nouveau
membre, partenaire essentiel dans l'équilibre mondial de demain.
Rappelons, il n'est pas inutile de le faire, que la Chine est la dixième
puissance économique mondiale et qu'elle représente le plus grand marché du
monde par le nombre de ses consommateurs.
Aussi, j'aimerais savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, quel est votre
sentiment sur cet événement considérable et connaître les suites qui, à votre
connaissance, devraient lui être réservées.
Je n'ai pas l'ambition d'être exhaustif sur le contenu de ce que pourrait être
la négociation de Seattle dans la perspective retenue par l'Union européenne,
et je me bornerai à évoquer les trois ou quatre points qui me tiennent
particulièrement à coeur, même si mon propos vous semblera de ce fait parfois
décousu.
Nous sommes tous très conscients que la réussite de cette négociation suppose
une réelle participation des pays en développement au dialogue traditionnel
Europe - Etats-Unis pratiqué jusqu'alors. Lorsque l'on compare l'évolution
économique des hémisphères Sud et Nord - la récente conférence de la CNUCED à
Genève est là pour nous le rappeler -, comment ne pas être consterné par le
fossé qui continue de se creuser entre ces deux mondes ? Comment ignorer,
au-delà des considérations humanitaires que nous partageons tous, les dangers
dont il est porteur pour la stabilité mondiale ?
Bien sûr, quelques économies émergentes sont parvenues à tirer partie de la
mondialisation, mais la plus grande part des pays en développement, notamment
dans la zone ACP, ont continué de s'appauvrir.
Je souhaite ardemment que le souci exprimé par l'Union européenne de placer
l'intégration des pays en voie de développement dans le commerce international
au premier rang des priorités soit pargagé par nos partenaires. Je suis
convaincu que ceux qui rejettent l'idée même d'un nouveau cycle, au nom de la
préservation des pays en retard de développement, effectuent un contresens et
que la négociation de Seattle peut être une véritable occasion de corriger,
dans une direction favorable, l'évolution des échanges commerciaux et des flux
financiers.
Elle doit également rouvrir le dossier relatif à la protection des
acquisitions intellectuelles. Je dois vous avouer combien je suis attaché à la
défense de la propriété intellectuelle, qui me paraît encore trop
insuffisamment protégée, en dépit de l'entrée en vigueur de l'ADPIC obtenu à
Marrakech. Il est indispensable que la négociation de Seattle aborde la
question des brevets, les inégalités relatives aux conditions d'enregistrement,
de reconnaissance et de protection nous pénalisant trop souvent, et ce d'autant
plus que 50 % du commerce mondial portera désormais sur des produits protégés
par des brevets !
Je ferai une observation similaire concernant la reconnaissance du principe de
précaution, qui n'a pour l'heure fait l'objet d'aucune transcription en droit
international ou communautaire. J'attends - ou plus exactement nous attendons
tous, avec impatience les conclusions d'un rapport commandé par M. le Premier
ministre auprès des professeurs Kourilsky et Viney.
Ce concept, formalisé à l'origine pour prendre en compte des considérations
liées à l'environnement, a désormais essaimé dans tous les secteurs, notamment
dans l'alimentaire, et rend indispensable une définition commune qui soit
connue et respectée par tous les partenaires.
Il convient d'appliquer le principe de précaution avec précaution, oserai-je
dire, et de l'assortir d'un certain nombre de corollaires pour encadrer sa mise
en oeuvre : adaptabilité, proportionnalité, voire compensation. Si l'on ne
procède pas ainsi, le risque est évident de passer du principe de précaution au
principe de suspicion et, enfin, au principe de l'inaction.
Vous me permettrez un commentaire sur le volet agricole pour considérer
l'importance qu'il revêt pour la France.
Premier pays exportateur de produits agricoles transformés, la France a,
depuis quelques années, suscité de violentes réactions des Etats-Unis, qui, au
travers du
FAIR Act
de 1996, ont assigné à leur agriculture la mission
de reconquérir des parts de marché et ainsi replacé les Etats-Unis au tout
premier rang du commerce agroalimentaire mondial. Il conviendra donc de
clarifier les mesures de soutien outre-Atlantique, que ce soit l'aide
alimentaire, les subventions à l'exportation ou le monopole de certaines
sociétés d'Etat à l'exportation, tout cela pour assurer une transparence totale
entre pays.
Il importera de défendre un modèle agricole européen d'agriculture
compétitive, diversifiée et multifonctionnelle assurant le développement de
l'ensemble de nos territoires et de ne considérer en aucun cas le secteur de
l'agriculture et de la pêche comme une monnaie d'échange.
Enfin, concernant le Codex Alimentarius, je me devais de faire part de mes
inquiétudes quant à l'éventualité d'une prise en compte excessive, à mes yeux,
de contingences non scientifiques dans la définition de certaines normes
alimentaires.
Le rôle croissant de cette organisation internationale au sein des
négociations de l'OMC exige de la part de la France et de l'Europe, d'une part,
une présence plus active près de cette instance, de la part tant des
administrations que des organisations professionnelles, d'autre part, une
extrême vigilance dans la définition des critères à prendre en compte pour la
définition des normes alimentaires. N'oublions pas, en effet, que les échanges
internationaux de produits alimentaires se chiffrent annuellement entre 350
milliards de dollars et 400 milliards de dollars.
Si nous pouvons nous attendre à un cycle de négociations très dur avec des
chances de succès aléatoires, il est un point qui me paraît un bon présage pour
le déroulement des futures discussions : c'est le fait que, cette fois, il a
été confié à la Commission une mission définie, délimitée, propre à encadrer de
manière claire son mandat.
J'y suis particulièrement sensible, car je dois avouer que je conserve un très
mauvais souvenir des accords des Blair House en 1992, accords au cours desquels
les initiatives de la Commission, en excédant les prérogatives qui étaient
siennes, ont induit certaines conséquences proprement catastrophiques.
L'une d'elles, qu'il ne faut pas oublier, est que nous importons désormais 76
% des besoins alimentaires de la filière animale en protéines végétales, ce qui
nous place dans une situation de dépendance tout à fait déplorable, tant sur le
plan économique que sur le plan sanitaire au travers de la traçabilité des
productions.
Enfin, je ne voudrais pas conclure mon propos sans exprimer ma satisfaction de
voir les parlementaires associés, en tant qu'observateurs, à cette
négociation.
J'y vois le signe d'une volonté de transparence et le souci d'informer,
notamment par notre entremise, nos concitoyens qui, d'une manière inconnue
jusqu'alors, portent à cette négociation un intérêt grandissant et se sentent
partie prenante à ce grand projet, même si certaines réactions de rejet peuvent
sembler excessives.
Je souhaite que notre débat d'aujourd'hui contribue aussi à leur information,
apaise les craintes qui pourraient être infondées, mais nous éclaire également
sur les véritables enjeux de cette conférence historique.
Si je suis favorable au fait de donner au public l'information à laquelle il
peut légitimement prétendre, vous me trouverez réservé sur l'oreille -
oserai-je dire trop complaisante ? - accordée aux ONG. J'ai lu que 800 ONG
seraient présentes en qualité d'observateurs à Seattle, dont 40 % d'origine
américaine. Vous ne m'empêcherez pas d'y voir là un risque de
lobbying
...
M. Emmanuel Hamel.
... de pressions. Parlez français !
M. Jean Bizet.
... peu compatible avec le souci de transparence que les différents
partenaires veulent donner pour la première fois, et je m'en réjouis, à cette «
négociation du Millénaire ».
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
trouve très bien que, comme l'année dernière pour l'AMI, le Sénat tienne ce
débat sur l'OMC. J'interviens, sans bien sûr l'isoler de l'ensemble des
questions de société, sur la culture, qui, dans les dernières négociations
commerciales internationales, a joué un grand rôle et a réussi des percées dans
la prise en considération de sa spécificité.
La culture n'est pas une marchandise comme les autres. Une poétesse russe a
utilisé une métaphore sur cette spécificité, à laquelle on ne touche pas sans
blesser la société et les individualités, le statut de l'esprit, la
civilisation. C'est comme une fable que La Fontaine aurait intitulé : « La
chaussure et l'Art ».
Le matériau des chaussures, le cuir, peut-être estimé, il est fini. Le
matériau d'une oeuvre d'art, l'esprit, ne peut être estimé ; il est infini. Il
n'existe pas de chaussures pour toujours. Chaque vers de Sapho est donné une
fois pour toutes. Des chaussures incomprises, cela n'existe pas, tandis que des
vers incompris, ô combien !
Cela dit, ceux pour qui tout cela n'est que babiole continuent leur offensive,
et dans plusieurs réunions sur la culture, l'Europe et la mondialisation, je
les ai souvent entendu dire que le marché était naturel comme la marée et que
les nouvelles technologies étaient naturelles comme la gravitation
universelle.
Nous serions ainsi contemporains d'un monde où les moteurs naturels,
fatalement fatals, de la vie culturelle, de la vie tout court, seraient le
marché et la technologie inventés, je le rappelle, par l'homme et la femme pour
s'en servir et où les êtres humains ne seraient que des éléments subsidiaires,
des invités de raccroc.
Le GATT à l'origine, l'AMI, le NTM, la convergence ont, tour à tour, voulu
asseoir « comminatoirement » une république mercantile universelle sans qu'il y
ait, face à elle, une république démocratique universelle. La société serait
surpeuplée d'impératifs financiers et dépeuplée de trop de droits de
l'homme.
Les artistes n'ont pas cédé et se sont rassemblés pour refuser tout à la fois
la fuite en avant, le repli identitaire et l'impuissance démissionnaire. Ils
pensaient qu'un peuple qui abandonne son imaginaire aux grandes affaires se
condamne à des libertés précaires, comme le disait, dès le 17 novembre 1987, la
déclaration des droits de la culture ratifiée devant un Zénith des états
généraux de la culture aux 6 000 participants.
Pendant que d'autres noircissaient du papier, les artistes éclairaient du
papier en commençant à écrire une alternative. Leur mouvement puissant, et le
contenu de ce mouvement, repris par François Mitterrand et le gouvernement
Balladur, aboutissait à l'exception culturelle ; repris par Lionel Jospin,
faisait capoter l'AMI ; repris par le Premier ministre et Jacques Chirac,
faisait retirer le NTM ; repris par Catherine Trautmann, battait à la
conférence de Birmingham l'idée grossière de la convergence qui veut que, le
transporteur étant le même, les transportés aient le même statut. Vous savez,
vous prenez votre voiture, votre femme vous y rejoint et, selon cette théorie,
elle... deviendrait un homme.
(Sourires.)
Et voilà l'OMC dont, sans illusion, nous n'attendons - je parle toujours de la
culture - que ce que nous y mettrons.
Je souhaite avancer quatre idées.
La première : sous les formes les plus variées, les artistes et les passeurs
de culture ont multiplié les actions dont l'ampleur a conduit les relais
gouvernementaux et européens à continuer d'agir comme en témoigne, pour la
culture, l'esprit du mandat de la Commission européenne donné à Pascal Lamy.
Pour dire vrai, je l'aurais voulu plus net en reprenant la notion d'exception
culturelle. Et je pense qu'à Seattle la délégation gouvernementale française
doit être activement vigilante et exigeante, d'autant qu'il y a ces
incertitudes dont vous avez parlé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Mais je veux dire un mot, précisément, des actions des artistes et de ceux qui
les soutiennent.
Ces derniers six mois, nous avons eu - et j'ai participé à toutes -
l'organisation d'une conférence internationale par les Verts européens à
Bruxelles les 27 et 28 mai, une conférence de l'UNESCO sur l'exception
culturelle les 14 et 15 juin, une conférence des états généraux de la culture
en Avignon le 26 juillet et, cet automne - j'en oublie ! - l'assemblée - avec
présence de l'OMC, de la Commission européenne et des Américains - de l'ARP à
Beaune, en Bourgogne, les 22 et 23 octobre, la table ronde des cinquante-huit
ministres de la culture à l'UNESCO le 2 novembre, le forum du cinéma européen
au Parlement européen à Strasbourg le 16 novembre, le forum mondial des cinémas
à Bastia ce dernier 20 novembre, sur l'initiative de la société des
réalisateurs de films, où se sont retrouvées et se sont mises d'accord les
associations de cinéastes de vingt-trois pays.
Je terminerai par le texte de Marie-Claude Tjibaou et Paul Vergès, publié dans
Le Monde
du 14 novembre, qui osent - comme ils disent avec modestie -
lancer de deux îles de l'océan Indien et de l'océan Pacifique un appel pour la
sauvegarde de la diversité culturelle.
J'interprète ce texte venu du Sud comme un souhait que se tienne, à l'image du
« Rio de l'environnement » de juin 1992, un rassemblement mondial de la
culture. Et mon ardent désir est que, pour fin 2000-début 2001, le Premier
ministre décide, au moment où s'ouvre à Seattle la troisième conférence de
l'OMC, décide, oui, comme une symbolique se souvenant de l'avenir, que Paris
sera le lieu de ce rassemblement jamais réalisé où toutes les cultures de la «
pomme ronde », comme disait Claudel parlant de notre planète, feraient le plus
beau et le plus grand bouquet composé des cultures, ce qui n'est pas
contradictoire avec l'idée que je partage fort de traiter des conditions de la
diversité culturelle à l'UNESCO et non à l'OMC.
Deuxième idée : chacun l'a noté, l'expression « diversité culturelle »
remplace dans les textes officiels l'« exception culturelle ».
Je vois bien la stratégie : c'est le pluralisme culturel qui est à maintenir
et à épanouir. Mais l'exception culturelle ne doit pas être mise de côté ni à
la retraite. D'abord, parce qu'elle est symbolique : voilà six ans qu'elle
nourrit nos actions, six ans qu'elle est une pratique dont nous devons nous
féliciter. Elle est la traduction de cette idée de Michel Torga : «
L'universel, c'est le local sans les murs. »
Mais elle est plus encore. Elle est l'ébauche d'un espace public où le marché,
pour être présent, n'est pas autoritairement roi. Le Premier ministre,
récemment, déclarait reconnaître l'économie de marché, mais pas la société de
marché. Précisément, pour que cette société de marché ne soit pas reine en
culture, il faut l'exception culturelle à l'économie de marché.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Jack Ralite.
C'est un éclat d'avenir que je sens sourdre aussi dans le domaine sportif et
dans le domaine du vivant. C'est la naissance d'une responsabilité publique en
culture, à tous les échelons de la société, et peu importent les chemins qui y
ont mené : comme à la marelle, on va toujours vers le ciel à cloche-pied !
D'ailleurs, il n'y aura pas de diversité culturelle sans exception culturelle.
Je sais bien que nous ne sommes pas à une séance du dictionnaire de l'Académie,
mais quand on dit : « Je vous aime » à une femme, on lui dit qu'elle est une
exception. Lui dire qu'elle est un élément de la diversité féminine, c'est en
deçà du coeur !
(Sourires et applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
Mme Hélène Luc.
C'est bien vrai !
M. Jack Ralite.
Je veux ici féliciter Mme Trautmann, ministre de la culture, qui ne cesse de
montrer l'incontournable liaison entre les deux expressions, comme elle l'a
encore fait samedi dernier à Bastia.
Troisième idée : à Seattle, nous voulons préserver l'existant, les acquis du
GATT, comme on dit, et éviter les risques de contournement.
Il y a en effet un contournement principal, les nouvelles technologies, qui se
présentent sous la forme du commerce électronique.
J'ai été frappé, à la réunion de l'ARP à Beaune, quand Jack Valenti, le patron
du cinéma américain, est intervenu. Il a dit à peu près ceci : « Sur ce qui
existe, nous arriverons, je crois, à nous entendre, mais cela n'est pas le plus
important. L'essentiel sur quoi nous allons concentrer nos efforts, ce sont les
nouvelles technologies. »
Je crois que les Américains se préparent à nous présenter une démarche du type
régulation
a minima
pour ce qui existe et pas de régulation du tout pour
le nouveau.
Sur cette question, il faut organiser la parade à partir, premièrement, des
acquis du GATT - les services audiovisuels ne se différenciaient pas selon la
nature du transporteur ; deuxièmement, de l'accord sur les télécommunications
de base adopté en 1997 par l'OMC ; troisièmement, du rejet de la convergence à
la conférence européenne de Birmingham le 18 avril 1999.
Il faut aussi, et dans un même mouvement, poser beaucoup plus fort et au
niveau suffisant, sans doute sans fascination mais surtout sans frilosité, les
questions posées par les nouvelles technologies. Et c'est valable pour notre
pays, qui est en train de corriger son engagement retardataire, et pour
l'Europe qui fait d'autant moins qu'elle en parle plus et qui devrait consacrer
beaucoup plus de moyens - je cite un chiffre à la hauteur des exigences : 1 %
du PIB - à l'audiovisuel, aux logiciels et à l'informatique.
Selon Jack Valenti, il faut aussi, en rapport avec ces nouvelles technologies,
mettre en avant la piraterie ; c'est un vrai problème ! Mais, à Bastia par
exemple, les représentants du cinéma américain ont voté contre les conclusions
pour le pluralisme culturel, au nom de la liberté de leur cinéma, qui possède
en Europe 85 % des programmes.
Oui, il y a des pirates et il faut les combattre, mais il y a aussi des
corsaires dont nous devons nous méfier, notamment sur les questions de
l'investissement et sur les questions de subventions, qui sont deux autres
manières de contourner les idées qui nous sont chères.
Pour conclure sur cette troisième idée, je dirai que j'attends beaucoup d'une
initiative internationale des Etats généraux de la culture qui auront lieu en
l'an 2000 sur le thème : la culture, l'humanité et les nouvelles technologies,
avec l'objectif de civiliser ces nouveaux mondes issus de l'oeuvre
civilisatrice et de faire valoir que le droit d'auteur, le droit moral et
patrimonial, droit de l'homme fondamental, est parfaitement compatible avec les
nouvelles technologies.
Je finis sur la quatrième idée. Toujours du point de vue de la culture,
certaines questions avancées par les artistes, longtemps presque seuls, sont
aujourd'hui portées dans des secteurs de la vie différents par d'autres
citoyens, organisés ou non. Je pense notamment aux membres des ONG, aux
agriculteurs, avec la confédération paysanne, aux salariés, avec l'association
pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens,
l'ATTAC. Si leurs expressions vont dans le même sens, elles sont forcément
diversifiées. Ils ont intérêt à se rencontrer et, par exemple, après Seattle,
nous tiendrons à Aubervilliers un banquet des états généraux de la culture
réunissant paysans, artistes et salariés.
Il y a là une richesse du mouvement à dimension internationale qui veut que
l'OMC soit un construit social avec des régulations humaines et non un
mécanotechnico-financier avec une autorégulation vaine.
Permettez-moi, pour clore ce propos, de recourir à deux personnalités
aujourd'hui disparues. D'abord, Maurice Schumann : « La seule faute que le
destin ne pardonne pas au peuple est l'imprudence de mépriser les rêves. »
Ensuite, Federico Fellini : « Ce qui est le plus important pour l'homme
d'aujourd'hui, c'est de tenir bon, de ne pas laisser aller la tête sous l'eau,
mais surtout de savoir regarder au-delà du tunnel, en inventant, si besoin est,
un but de salut par notre imagination, notre volonté et, surtout, par notre
confiance. Je crois que, vue sous cet angle, l'activité des artistes est
aujourd'hui indispensable. »
C'est de tout cela qu'à Seattle je témoignerai.
(Applaudissements.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize
heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD