Séance du 4 novembre 1999
M. le président. « Art. 5. _ Le chapitre II du titre Ier du livre II du code du travail est complété par une section 5 ainsi rédigée :
« Section 5
« Dispositions particulières relatives aux cadres
«
Art. L. 212-15-1
. _ Les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux
dispositions du titre Ier et aux chapitres préliminaire, Ier et II du titre II
du livre II. Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les
cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique
une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont
habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent
une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de
rémunération pratiqués dans l'entreprise ou leur établissement.
«
Art. L. 212-15-2
. _ Les salariés ayant la qualité de cadre au sens
des conventions collectives de branche, occupés selon l'horaire collectif
applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont
intégrés et pour lesquels la durée de leur temps de travail peut être
prédéterminée, sont soumis aux dispositions relatives à la durée du travail, au
repos et aux congés des chapitres II et III du titre Ier et à celles du titre
II du livre II.
«
Art. L. 212-15-3
. _ I. _ Les salariés ayant la qualité de cadre au
sens des conventions collectives de branche et qui ne relèvent pas des
dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 doivent bénéficier d'une
réduction effective de leur durée de travail. Leur durée de travail peut être
fixée par des conventions individuelles de forfait qui peuvent être établies
sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. La conclusion de ces
conventions de forfait doit être prévue par une convention ou un accord
collectif étendu ou par une convention ou un accord d'entreprise ou
d'établissement qui détermine les catégories de cadres susceptibles de
bénéficier de ces conventions individuelles de forfait ainsi que les modalités
et les caractéristiques principales des conventions de forfait susceptibles
d'être conclues. A défaut de convention ou d'accord collectif étendu ou de
convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement, des conventions de
forfait peuvent être établies sur une base hebdomadaire ou mensuelle.
« II. _ Lorsque la convention ou l'accord prévoit la conclusion de conventions
de forfait en heures sur l'année, l'accord collectif doit fixer la durée
annuelle de travail sur la base de laquelle le forfait est établi, sans
préjudice du respect des dispositions des articles L. 212-1-1 et L. 611-9
relatives aux documents permettant de comptabiliser les heures de travail
effectuées par chaque salarié. La convention ou l'accord, sous réserve du
respect des dispositions des articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4, peut
déterminer des limites journalières et hebdomadaires se substituant à celles
prévues au deuxième alinéa des articles L. 212-1 et L. 212-7, à condition de
prévoir des modalités de contrôle de l'application de ces nouveaux maxima
conventionnels et de déterminer les conditions de suivi de l'organisation du
travail et de la charge de travail des salariés concernés.
« III. _ Lorsque la convention ou l'accord prévoit la conclusion de
conventions de forfait en jours, l'accord collectif doit fixer le nombre de
jours travaillés. Ce nombre ne peut dépasser le plafond de deux cent dix-sept
jours. La convention ou l'accord définit les catégories de salariés concernés
ainsi que les modalités de décompte des journées et des demi-journées
travaillées et de prise des journées ou demi-journées de repos. Il détermine
les conditions de contrôle de son application et prévoit des modalités de suivi
de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs
journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte. L'accord peut en
outre prévoir que des jours de repos peuvent être affectés sur un compte
épargne-temps dans les conditions définies par l'article L. 227-1. La
convention ou l'accord peut également préciser que le décompte de la durée du
travail en jours est applicable aux salariés itinérants n'appartenant pas à la
catégorie des cadres et dont la durée du temps de travail ne peut être
prédéterminée.
« Les salariés concernés ne sont pas soumis aux dispositions de l'article L.
212-1 et du deuxième alinéa de l'article L. 212-7. Les dispositions des
articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4 leur sont applicables. La convention ou
l'accord doit déterminer les modalités concrètes d'application de ces dernières
dispositions.
«
Art. L. 212-15-4
. _ Lorsqu'une convention de forfait en heures a été
conclue avec un salarié relevant des dispositions des articles L. 212-15-2 ou
L. 212-15-3, la rémunération afférente au forfait doit être au moins égale à la
rémunération que le salarié recevrait compte tenu du salaire minimum
conventionnel applicable dans l'entreprise et des bonifications ou majorations
prévues à l'article L. 212-5. »
Sur l'article, la parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet article 5
traite de la réduction du temps de travail des cadres.
Je souhaiterais d'abord saluer le fait que, en intégrant les cadres dans la
loi sur les 35 heures, vous affirmez clairement, madame la ministre, que les
cadres aussi ont droit à la réduction du temps de travail. Comme vous l'avez
dit avant-hier, c'est même la catégorie la plus « demanderesse ».
Nous connaissons tous les objectifs de cette loi : créer des emplois,
permettre aux salariés de trouver un nouvel équilibre entre vie professionnelle
et vie personnelle.
Les cadres sont non seulement concernés par ces deux objectifs, mais ils sont
même la catégorie pour laquelle les attentes sont les plus fortes. En effet, à
quelques exceptions près sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure, les
cadres se vivent, dans notre pays, comme des salariés comme les autres dont les
conditions de travail et les conditions de vie doivent être défendues. Cela est
particulièrement vrai pour les femmes cadres.
Il ne me semble pas inutile de rappeler quelques faits qui expliquent aisément
ce que l'on a appelé le « malaise des cadres » : l'importance du taux de
chômage de cette catégorie de salariés, la baisse de leur pouvoir d'achat et,
enfin, l'inflation de leur temps de travail, véritable « exception française
».
Les statistiques de l'INSEE montrent que le taux de chômage de cette catégorie
n'a cessé d'augmenter entre 1962 et 1997, passant de 0,5 % à 5,1 %. Le chômage
des cadres a littéralement explosé entre 1990 et 1997, le nombre de demandeurs
d'emplois cadres ayant doublé sur cette période. Après une amélioration depuis
un an à laquelle la loi du 13 juin 1998 n'est sans doute pas étrangère, puisque
80 % des accords signés prévoient une réduction du temps de travail des cadres,
le chômage toucherait aujourd'hui 146 000 cadres, soit environ 4,5 % de cette
population. Les quelques données sexuées dont nous disposons révèlent aussi que
ce sont les femmes cadres qui sont les plus touchées, soit 5,4 %, contre 4 %
des hommes.
Pour parvenir à tout prix aux « résultats » escomptés par leurs entreprises,
les cadres multiplient les heures au bureau, le plus souvent sans aucune
compensation financière. En contrepartie, leur pouvoir d'achat ne cesse de se
dégrader. Une enquête récente révèle que l'évolution en francs constants de
leur salaire est, sur treize ans, inférieur de 9 % en moyenne à celle des
salaires toutes catégories confondues.
Cette situation de dépassement permanent des horaires normaux n'a pourtant
rien d'inéluctable, en comparaison avec ce qui se passe dans des pays de niveau
de développement comparable, et en particulier dans d'autres pays européens. La
France, avec 46,4 heures par semaine, connaît la durée du travail des cadres
masculins la plus longue en Europe, après la Grande-Bretagne et très loin
devant les Pays-Bas, où les cadres masculins ne travaillent que 39 heures.
Cette « exception française » est certainement l'une des causes principales de
l'existence de ce fameux « plafond de verre » auquel se heurte la carrière des
femmes, puisque 80 % des tâches domestiques et des responsabilités familiales
sont encore assumées par celles-ci. Alors que les femmes sont aujourd'hui plus
diplômées que les hommes - en mars 1998, 25 % des femmes actives détenaient un
diplôme supérieur au baccalauréat contre seulement 20 % des hommes - elles ne
représentent pourtant que 32 % des cadres. Il est d'ailleurs frappant de
constater qu'à diplôme universitaire égal les chances d'exercer un jour un
emploi de cadre sont seulement de 57 % pour les femmes et de 76 % pour les
hommes. Il est clair que la conciliation entre la vie professionnelle et la vie
familiale est un problème crucial dans notre société.
La réduction du temps de travail permettra sans doute d'y apporter des débuts
de solutions.
De ce point de vue, nous ne devons pas oublier non plus que le temps partiel
choisi est une autre voie possible. C'est pourquoi toutes les dispositions de
votre projet de loi qui donnent des garanties en matière de passage au temps
partiel nous semblent importantes, madame la ministre.
Pour en revenir à l'article 5, il est donc nécessaire à nos yeux de trouver
des solutions qui permettront à la fois de faire bénéficier le maximum de
cadres des dispositions de la loi et de leur assurer une réelle diminution de
leur temps de travail. C'est le sens des amendements que nous proposerons sur
cet article.
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, il est
indéniable qu'il y a eu, ces dernières années, une évolution de la perception
de leur travail par les cadres.
L'image traditionnelle que nous avons du cadre est celle d'un homme ou d'une
femme motivé par son travail, corvéable à merci, bête de somme effectuant
heures supplémentaires sur heures supplémentaires, autant par conscience
professionnelle que par souci de montrer sa valeur à son patron.
Cette image d'Epinal - nous devons en convenir - est dépassée.
Nous n'avons pas su, pas plus que vous-mêmes, appréhender à sa juste valeur
cette évolution. J'en veux pour preuve les nombreux courriers d'associations de
cadres que nous avons reçus, ainsi que les nombreux témoignages oraux.
La pression fiscale si forte, la baisse de certaines rétributions
symboliques, la crainte ou l'expérience du chômage ont petit à petit démotivé
les cadres. Et aujourd'hui, ces derniers cherchent leur épanouissement
personnel au moins autant dans leur vie privée qu'auparavant dans leur
travail.
Il faut reconnaître que la différence de salaire ne compense parfois que très
peu l'effet de seuil, le changement de tranche d'imposition tombant comme un
couperet. Il faut reconnaître que le nombre d'heures supplémentaires non
rémunérées effectuées par les cadres ramènent souvent ces derniers à un salaire
horaire à peine supérieur à celui des salariés sous leur propre
responsabilité.
Tout cela a évidemment créé un malaise qu'il n'est que trop temps de
réparer.
Pourtant, la formule que vous préconisez, madame le ministre, ne semble pas
convenir à la réalité.
Je ne peux que vous féliciter d'avoir tenté de trouver une formule applicable
aux cadres. Mais je crains que celle que vous avez retenue ne provoque des maux
plus grands que ceux d'aujourd'hui.
Je crains que l'effet obtenu ne soit exactement contraire à l'effet escompté.
Comme les 35 heures ne créeront pas d'emplois ou en créeront très peu, le
résultat immédiat de cette réforme sera une baisse de l'activité de
l'entreprise. Les cadres non concernés par un contrat de travail prévoyant un
forfait horaire auront la charge de réduire cette baisse par une suractivité,
alors qu'ils travaillent déjà beaucoup plus.
Dans les entreprises qui pratiquent déjà les 35 heures, cette plainte est une
constante de la part des cadres. Ces derniers le vivent d'autant plus mal que,
pour assurer la réduction du temps de travail des autres, ils travaillent
d'autant plus eux-mêmes.
La réduction du temps de travail provoquera un gel des salaires que les cadres
devront assumer également, même s'ils ne sont pas directement concernés.
En effet, la réduction du temps de travail est illusoire pour eux. Cela n'aura
pour conséquence qu'un transfert du lieu de travail : au lieu de rester au sein
de l'entreprise, ils emporteront leur ouvrage chez eux.
Le travail, et surtout le travail des cadres, ne se découpe pas en parts comme
un gâteau, ainsi que nous l'avons déjà dit. Il n'y a pas de doute que les
cadres emporteront chez eux le travail à faire.
Le plafond de 217 jours travaillés est source aussi d'inquiétude, puisque les
cadres travailleront peut-être encore plus tard le soir pour compenser ces
journées octroyées.
Pour toutes ces raisons, l'article 5 m'inspire plus de méfiance que de
satisfaction. Mais il a au moins le mérite de soulever un juste débat sur les
conditions de travail des cadres en France.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Il est assez difficile de dire une chose et son contraire, ma chère collègue
!
Mme Nelly Olin.
Cessez vos interpellations !
M. Alain Gournac.
Argumentez plutôt ! Laissez les autres !
Mme Nicole Borvo.
Parlant des cadres, l'un de vos collègues à l'Assemblée nationale, lors du
débat sur ce projet de loi, disait ceci : « La loi impose une réduction du
temps de travail à une catégorie qui n'en veut pas ». Voilà bien le signe que,
comme ici, certains ont une vision sélective de la réalité ou ne voient pas le
temps passer !
En effet - d'ailleurs, Mme Olin vient de nous le démontrer -...
Mme Nelly Olin.
Je suis ravie que mes propos vous intéressent à ce point !
Mme Nicole Borvo.
... les cadres ont évolué : toutes les études récentes montrent que leur état
d'esprit a considérablement changé ces dernières années.
(M. Alain Gournac
s'exclame.)
Je ne sais pas qui ne l'a pas vu ! En tout cas, le Gouvernement a quand même
eu le mérite de proposer que la réduction du temps de travail s'applique aux
cadres, parce que vous, vous proposez le contraire.
Les cadres ont donc beaucoup évolué, et c'est là aussi le signe que l'idylle
entre les patrons, les cadres et les salariés, dont M. Nogrix nous vantait les
mérites, n'est plus ce qu'elle était.
M. Alain Gournac.
C'est la guerre !
Mme Nicole Borvo.
C'est dommage ! Mais il faut voir la réalité sous toutes ses facettes.
M. Alain Gournac.
A bas les patrons !
Mme Nicole Borvo.
L'enquête récente de
Liaisons sociales,
que j'ai citée lors de la
discussion générale, révèle que, massivement, les cadres aspirent à voir leurs
conditions de travail s'améliorer - dont acte - et que 73 % d'entre eux
estiment qu'ils doivent bénéficier des 35 heures au même titre que les
salariés, madame Olin !
Mme Nelly Olin.
Encore une fois, je suis ravie de l'intérêt que vous m'accordez !
Mme Nicole Borvo.
La grande majorité des cadres ne veut pas se distinguer du reste des
salariés.
En réalité, les cadres, comme les autres salariés, n'acceptent pas qu'une
petite poignée de personnes empochent des centaines de millions de
stock-options et qu'un patron puisse annoncer 7 500 licenciements en même temps
qu'une bonne récolte de profits. Vous le voyez, les cadres sont comme les
autres, de ce point de vue.
M. Alain Gournac.
Les cadres vont bientôt voter pour le parti communiste !
Mme Nicole Borvo.
Les enquêtes montrent bien que, comme l'ensemble des salariés, les cadres
souhaitent consacrer plus de temps à leur vie privée, à leur vie familiale, à
leurs loisirs, à autre chose qu'au travail.
Les cadres, en France, travaillent 46 heures en moyenne par semaine, et un
quart d'entre eux travaillent 50 heures et plus par semaine.
Si les cadres jouissent d'une certaine liberté pour déterminer leurs horaires,
ils la paient par un surcroît de durée de travail. C'est indiscutable. Plus de
la moitié d'entre eux restent au travail plus de dix heures par jour. A ces
journées à rallonge, il convient d'ajouter le temps passé à travailler à
domicile,...
M. Alain Gournac.
Ah ! Mme Olin en a parlé !
Mme Nicole Borvo.
... le tout, bien sûr, sans réelle contrepartie, sans paiement de ces heures
supplémentaires.
M. Alain Gournac.
Très bien !
Mme Nicole Borvo.
Les dépassements acceptés ou subis de la durée légale et des maxima ont
contribué à répandre l'idée, qui vous est chère, selon laquelle la législation
du travail ne s'appliquerait pas entièrement aux cadres. C'est faux ! Certaines
grandes entreprises se sont vu condamner justement pour ne pas avoir appliqué
la législation concernant les cadres. La durée de travail horaire concerne
également les cadres, même si les entreprises cherchent à la détourner.
Nous pensons, pour notre part, que la nouvelle loi devrait précisément
renforcer les garde-fous. C'est la raison pour laquelle nous présenterons des
amendements.
Or, en distinguant une catégorie de cadres, assez floue, pour laquelle
l'employeur peut échapper aux durées maximales horaires, la loi encourage à y
faire entrer beaucoup de monde. De fait, elle prive les cadres d'une garantie
essentielle. J'insiste encore une fois sur le caractère particulièrement
discriminant pour les femmes au moment où nous voulons agir - madame la
ministre, je sais que vous y êtes attachée aussi - pour obtenir l'égalité des
femmes et des hommes dans les responsabilités et les salaires, dans tous les
domaines de la vie sociale.
J'ajoute que le dispositif, tel qu'il est, est critiqué par quatre
organisations syndicales représentatives des cadres unies - c'est tout de même
une première ! - qui revendiquent les garanties de maxima horaires. Madame la
ministre, c'est nouveau ! Peut-être les organisations syndicales ont-elles mis
du temps à s'en apercevoir ! mais on ne peut pas leur reprocher aujourd'hui de
prendre en considération les souhaits de leurs mandants. Aussi, j'espère que
les débats nous permettront d'avancer. En tout cas, nous défendrons des
amendements en ce sens.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
J'aimerais développer plus particulièrement le caractère irréaliste de la
catégorisation des cadres en trois groupes distincts.
Alors même que les cadres sont difficiles à appréhender en une seule catégorie
parfois très floue, vous souhaitez, madame le ministre, les subdiviser en trois
catégories bien définies.
Les cadres dirigeants appellent tout d'abord mon attention.
Vous considérez que ceux-ci, de par leurs responsabilités, sont exemptés de la
réglementation sur la réduction du temps de travail. C'est souhaitable pour la
bonne marche de nos entreprises.
Néanmoins, la définition très restrictive des cadres à laquelle aboutissent
les ajouts de votre majorité ne tient pas compte de la réalité de nos
entreprises.
Tout d'abord, vous considérez comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont
confiées « des responsabilités dont l'importance implique une grande
indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps ». C'est remarquable
!
Il me semble pour le moins que c'est légitime, puisque c'est souvent ce qui
fait la nature même de leur fonction !
Mais, au lieu de s'arrêter là, le texte prévoit deux autres critères
restrictifs, et d'abord le fait qu'ils soient habilités à prendre des décisions
de façon largement autonome.
Là, je dois reconnaître que je ne vois pas bien l'écart subtil entre un cadre
ne prenant pas de décisions largement autonomes et un cadre en prenant ! Je ne
vois d'ailleurs pas bien ce que peut être la définition d'une décision «
largement autonome ». Si l'on souhaite préciser la définition des cadres
dirigeants, autant que les critères puissent être objectivement appréhendés
afin d'éviter tout obscurcissement de cette approche.
Enfin, votre second élément de définition restrictif concerne la perception
d'une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de
rémunérations pratiqués dans leur entreprise ou leur établissement.
Est-il besoin de préciser que le niveau de rémunération n'a malheureusement
pas toujours un lien direct avec le niveau de responsabilité ? Les exemples se
trouvent à la pelle au sein de chaque entreprise !
La catégorie des cadres dits « postés » pose également problème. Qui peut
croire qu'un cadre pourra travailler d'ici au 1er janvier autant que ses
subordonnés sous prétexte qu'il dirige un service soumis à un horaire collectif
de référence ? Ce cadre est souvent là le matin avant les autres et part très
souvent après les autres ! Quelle sera sa fonction d'encadrement s'il n'y a
plus de différence entre lui et les salariés sous son autorité ?
Les mesures proposées pour cette catégorie ne sont pas facilement
applicables.
Reste enfin la dernière catégorie - belle catégorie que la gauche affectionne
! - celle des « ni-ni » : celle des cadres qui ne correspondent pas à la
première catégorie très restrictive des dirigeants ni à la deuxième, totalement
illusoire, des cadres « intégrés ».
Cette dernière catégorie sera la plus nombreuse puisque les deux autres seront
presque vides. Et là, nous tombons dans le flou le plus complet en ce qui
concerne leur passage aux trente-cinq heures puisque cette catégorie est à la
fois la plus vaste et la moins définie.
Les cadres savent bien qu'ils auront toutes les chances de se retrouver dans
cette dernière catégorie et ils sont inquiets, car ils auront l'impression
légitime d'être lésés.
Ils savent bien que la réduction du temps de travail ne voudra rien dire pour
eux, car les jours de congés qui leur seront donnés seront symboliques
puisqu'ils emporteront du travail chez eux, comme l'a souligné précédemment Mme
Olin. Ils savent bien que la réduction du temps de travail n'aura aucune
incidence, bien au contraire, puisqu'elle se traduira par un allongement des
journées.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Nous parlons ici d'une catégorie de salariés qui a connu une très grande
évolution à la fois en nombre et - pour faire court - en représentation de
soi-même. En effet, les cadres d'aujourd'hui ne perçoivent plus leur fonction
dans l'entreprise comme il y a dix ou quinze ans. Nous avons tous pu observer
cette évolution.
L'augmentation du nombre des cadres dans le pays résulte d'abord de
l'élévation du niveau de qualification des emplois proposés, et nous avons
maintenant affaire à une génération hyper-formée dont l'approche de la vie
professionnelle est assez sensiblement différente de ce qu'elle était dans le
passé.
De plus, cette génération tire le bilan de ce qui est arrivé à celle qui l'a
précédée, en une période où les cadres se sont beaucoup donnés à l'entreprise
en adhérant à l'idéologie du « pot commun », en se « défonçant », en usant leur
vie, puis en se voyant rejetés à cinquante-cinq ans après avoir été bien
pressés comme des écorces. Aujourd'hui, on ne voit plus les choses de la même
manière, et je trouve que c'est très bien ainsi, car la situation était à
proprement parler pénible.
Nous sommes passés de la folle idéologie des «
yuppies
» des années
quatre-vingt, lorsque chaque cadre se sentait investi d'une mission de réussite
extraordinaire, à une résistance de plus en plus pressante de la part des
intéressés, qui sont même allés jusqu'à demander que soient installées des
pointeuses. Cela, c'est une révolution culturelle !
Les cadres, qui n'ont pas échappé à ce mécanisme universel d'allongement et
d'intensification de la durée du travail, n'en veulent maintenant plus. Comme
Mme la ministre l'a parfaitement décrit hier, ils demandent eux aussi à
bénéficier des mêmes avantages et des mêmes droits au repos que tout le
monde.
Il est vrai, monsieur Gournac, que nous nous employons, tant à l'Assemblée
nationale qu'au Sénat, à témoigner de cet état d'esprit et de cette demande
car, les statistiques le montrent, 73 % des cadres estiment qu'ils doivent
bénéficier des 35 heures au même titre que les autres et 79 % d'entre eux
souhaitent consacrer davantage de temps à leur vie privée et familiale. Cette
revendication est d'autant plus fondée qu'on observe que, en 1998, 50 % des
cadres restaient au travail plus de dix heures par jour, soit 9 % de plus qu'en
1984. Par ailleurs, sur les douze derniers mois, les cadres n'ont pris que 83 %
de leurs droits à congés. Ce n'est pas une bonne situation !
Mme la ministre a bien dit hier que les cadres ont dorénavant une perception
différente de leurs conditions de travail.
Elle a pu elle-même constater que, dans certains pays, on sait fermer les
bureaux à certaines heures pour reprendre le travail le lendemain. Or, nous
n'avons pas entendu dire que les entreprises concernées étaient devenues moins
performantes depuis !
Il est temps de rompre avec cette espèce de culture franchouillarde absurde
qui fait du temps de présence le révélateur du degré d'implication du cadre
dans son travail. Ce n'est pas sérieux, les choses ne se passent plus ainsi
!
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Mélenchon, je vous prie.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je vais conclure, mais vous savez, monsieur le président, que je suis
besogneux dans mes arguments !
(Sourires.)
Pour ce qui me concerne, il est vrai que je suis pour un contingentement : il
ne s'agit pas de confondre la durée et les horaires, qui peuvent être
différents, mais nous voulons que la durée soit la même pour tous les types de
travailleurs. C'est pourquoi, je le dis à titre personnel, je suis pour des
maxima à tous les niveaux, quotidien, hebdomadaire, mensuel et annuel.
C'est dans cet état d'esprit qu'a été déposée toute une série d'amendements
socialistes.
Nous savons - et ce sera ma conclusion, monsieur le président - que la tâche
de Mme la ministre n'est pas simple et que les discussions ont déjà été très
amples sur ce sujet. Mais notre opinion doit être exprimée et j'attire votre
attention sur le fait que le contingentement de 217 jours de travail représente
tout de même 2 730 heures possibles de travail. C'est beaucoup trop ! Nous nous
battons, quant à nous, pour 35 heures pour tout le monde.
M. Alain Vasselle.
Egalement pour les parlementaires ?
M. le président.
La parole est à M. Revet.
M. Charles Revet.
Monsieur Mélenchon, nous sommes tous des besogneux !
Cela étant, mes chers collègues, n'est-il pas temps d'arrêter de marcher sur
la tête dans ce pays ? Nous nous plaignons tous, sur le terrain - et de tous
bords - des réglementations qui s'accumulent. De plus en plus, nous sommes
enfermés dans des carcans quelle que soit l'activité, qu'elle soit économique
ou qu'elle soit du ressort des collectivités locales.
M. Alain Vasselle.
C'est vrai !
M. Charles Revet.
On additionne toujours les réglementations...
M. Alain Vasselle.
On en rajoute !
M. Charles Revet.
... catégorie par catégorie.
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Charles Revet.
Tout à l'heure, Mme Borvo a cité ces pancartes sur lesquelles on pouvait lire
que le week-end est fait pour être en famille et faire l'amour. C'est
sympathique !
M. Guy Fischer.
Vous êtes d'accord ?
M. Charles Revet.
Toutefois, le temps libre, il faudra bien l'occuper à quelque chose, par-delà
l'amour et les occupations familiales ! On pourra, par exemple, aller au
restaurant. Or, si vous allez au restaurant, il faudra bien quelqu'un pour vous
servir et pour faire la cuisine !
M. Alain Vasselle.
Oui, et ce sera le samedi ou le dimanche !
M. Charles Revet.
Vous souhaitez qu'il y ait plus de réglementation pour les cadres ?
Aujourd'hui, la France est ouverte sur l'étranger, elle ouvre ses frontières.
Laissez un peu de souplesse aux gens !
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Charles Revet.
Mme Pourtaud disait tout à l'heure que de plus en plus de femmes et d'hommes -
et, semble-t-il, plus de femmes - ont un niveau de responsabilité et de
formation élevé. C'est bien, mais laissez les gens libres de ce qu'ils
souhaitent faire !
Mme Danièle Pourtaud.
De travailler 46 heures par semaine ? Oui, bien sûr !
M. Charles Revet.
Qu'il y ait un cadre général, pourquoi pas ? Mais laissez les gens respirer
sur le terrain !
Mme Nelly Olin et M. Alain Vasselle.
Très bien !
Mme Nicole Borvo.
La loi protège, elle n'oblige pas !
M. Charles Revet.
On ne peut pas, d'un côté, se plaindre qu'il y a trop de réglementation et
continuer, de l'autre, à en ajouter.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Revet.
M. Charles Revet.
J'ai terminé, monsieur le président : je ne suis pas certain, madame le
ministre, que les pays qui nous entourent et qui ne sont pas si éloignés de
nous aient à subir des réglementations aussi nombreuses que celles que nous
nous apprêtons à édicter. Et je le dis avec beaucoup de solennité, parce que
les conséquences risquent d'être extrêmement graves au réveil !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous propose de renvoyer la suite du débat à seize
heures, après les questions d'actualité au Gouvernement.
5