Séance du 14 octobre 1999
ÉPARGNE RETRAITE
Discussion des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 8,
1999-2000) de M. Charles Descours, fait au nom de la commission des affaires
sociales, sur la proposition de loi (n° 187, 1998-1999), de MM. Charles
Descours, Louis Althapé, Pierre André, Roger Besse, Paul Blanc, Gérard Braun,
Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de Broissia, Jean Bernard, Robert
Calmejane, Auguste Cazalet, Gérard César, Désiré Debavelaere, Jacques-Richard
Delong, Robert Del Picchia, Michel Doublet, Alain Dufaut, Daniel Eckenspieller,
Michel Esneu, Bernard Fournier, Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud,
Charles Ginésy, Francis Giraud, Daniel Goulet, Alain Gournac, Georges Gruillot,
Emmanuel Hamel, Hubert Haenel, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain,
Lucien Lanier, Patrick Lassourd, Robert Laufoaulu, Dominique Leclerc,
Jean-François Le Grand, Paul Masson, Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Paul
Natali, Mme Nelly Olin, MM. Paul d'Ornano, Joseph Ostermann, Jacques Oudin,
Victor Reux, Henri de Richemont, Michel Rufin, Louis Souvet, René Trégouët,
Alain Vasselle et Jacques Valade visant à améliorer la protection sociale des
salariés et créant des fonds de retraite, et la proposition de loi (n° 218,
1998-1999) de M. Jean Arthuis et des membres du groupe de l'Union centriste
visant à instituer des plans d'épargne retraite. [Avis n° 10 (1999-2000).]
Je salue M. Francois Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, qui, en
l'instant, et en l'absence momentanée de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, représente ici le Gouvernement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Descours,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je commencerai mon propos
par une citation : « Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage ;
polissez-le et repolissez-le sans cesse ».
Nous allons certes débattre aujourd'hui non pas de l'
Art poétique,
défini par Boileau au xviie siècle, mais des conclusions de la commission des
affaires sociales visant à proposer une loi relative à l'amélioration de la
protection sociale par le développement de l'épargne retraite.
Nous allons, malheureusement, éprouver un sentiment de déjà vu puisque le
Parlement a déjà adopté une loi créant les plans d'épargne retraite, qui a été
promulguée le 25 mars 1997.
Il me plaît de rappeler que la commission des affaires sociales du Sénat avait
été à l'origine de la première proposition de loi sur le sujet. C'était en
avril 1993 et le rapporteur de la commission était alors M. Philippe Marini,
aujourd'hui au banc des commissions en tant que rapporteur pour avis de la
commission des finances.
Encore faut-il préciser que, si la loi du 25 mars 1997, dite « loi Thomas »,
n'est pas abrogée, elle n'est pas davantage appliquée par l'actuel
gouvernement, qui manifeste ainsi son mépris des règles les plus élémentaires
de notre droit.
Nous voici, en conséquence, contraints de remettre l'ouvrage sur le métier.
Je crois profondément que cet exercice sera utile, comme l'a indiqué hier M.
Jean Arthuis, auteur d'une autre proposition de loi. Le Sénat, chambre de
réflexion, se doit d'éclairer l'opinion.
Je rappellerai, si c'est encore nécessaire, pourquoi le développement de
l'épargne retraite est une nécessité impérieuse.
J'expliquerai ensuite que la politique du Gouvernement en matière de retraites
se résume en un double attentisme aux conséquences désastreuses.
Enfin, je présenterai les conclusions de la commission des affaires sociales
sur les deux propositions de loi dont la commission a été saisie, celle de M.
Arthuis et des membres du groupe de l'Union centriste, instituant des plans
d'épargne retraite, et la mienne, visant à améliorer la protection sociale des
salariés en créant des fonds de retraite.
Développer l'épargne retraite en France est une nécessité impérieuse. Nous
savons depuis de nombreuses années - je ne citerai pas tous les rapports qui
nous l'ont montré - que la France va subir un choc démographique en 2005 ou
2006 et que les régimes de retraite par répartition vont connaître des besoins
de financement très importants.
Je ne veux pas citer les chiffres que tout le monde connaît. Je me permets
simplement de renvoyer au rapport Charpin ainsi qu'à l'excellent rapport
d'information de notre collègue Alain Vasselle, dont le titre - Réforme des
retraites : peut-on encore attendre ? - souligne parfaitement l'urgence des
décisions à prendre.
En tout état de cause, comme le fait apparaître le rapport Charpin, la
diminution du taux de remplacement paraît inévitable.
L'accroissement des prélèvements sociaux n'est pas, à notre sens, concevable,
tant il est vrai qu'avec un taux de 45,3 % les prélèvements obligatoires ont
atteint un sommet qu'il serait dangereux de franchir pour notre économie, nos
entreprises et notre taux de chômage.
Le financement à prélèvements constants par des économies sur d'autres postes
de la dépense publique semble hypothétique, même si le Gouvernement déployait
plus de vertu que dans la loi de finances pour 2000.
La seule véritable solution énoncée dans le rapport Charpin consiste à
allonger la durée de cotisations nécessaires pour obtenir une retraite à taux
plein, c'est-à-dire à reculer l'âge de la retraite. Vous le savez, tous les
pays l'ont fait : les Etats-Unis depuis très longtemps, l'Italie depuis
quelques semaines, l'Allemagne, le Japon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ce n'est pas le paradis !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Ce n'est peut-être pas le paradis, mais c'est une nécessité.
Cela étant, je ne m'attendais pas à une telle référence de votre part, mais
j'en suis ravi.
(Sourires.)
Nous savons bien que peu de Français disposeront à l'avenir d'une
retraite à taux plein en raison d'une entrée tardive sur le marché du travail,
d'une carrière incomplète ou d'une sortie anticipée.
M. Lucien Neuwirth.
Hélas !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Le développement de l'épargne retraite permettait de pallier
en partie cette baisse du taux de remplacement des régimes de retraite par
répartition.
Une épargne retraite nous permettrait également de faire le choix de la
mondialisation « partagée » et non de la mondialisation « exclusion », selon
l'excellente expression de M. Thomas. Une épargne retraite placée sur le marché
des actions, qui garantit le rendement le plus important à long terme,
assurerait, grâce au financement de l'investissement productif, celui des
emplois de demain nécessaires à nos régimes de retraite par répartition.
Comme l'indiquaient deux économistes, en 1982, dans un ouvrage fondamental :
L'Epargne et la Retraite,
cessons d'opposer répartition et
capitalisation « en des joutes oratoires forcément stériles ».
Le premier de ces économistes n'a pas mal réussi puisqu'il est aujourd'hui
président de la Fédération française des sociétés d'assurance et vice-président
du MEDEF, le Mouvement des entreprises de France.
Mais le second n'a pas mal réussi non plus puisque nous l'attendons : c'est M.
Strauss-Kahn !
Depuis, d'autres de ses amis politiques ont écrit la même chose, notamment M.
Fabius, la semaine dernière, dans
Libération,
dans un article intitulé :
« Une réforme indispensable à notre pays », sans oublier d'autres députés
socialistes, dont MM. Jean-Claude Boulard et François Hollande.
Un grand penseur - ultra-libéral sûrement ! - écrivait en 1994 : « L'une des
erreurs faite en France a été de ne pas expliquer qu'au-delà d'un minimum
décent il fallait faire appel pour partie à la retraite par capitalisation...
Le premier assure la solidarité pour tous, le second fait appel à la
responsabilité et au sens de la prévoyance de chacun... » Ce grand penseur
ultra-libéral était M. Jacques Delors.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et alors !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Je sais bien qu'on écrit toujours trop, monsieur Mélenchon
!
S'il faut développer l'épargne retraite, c'est parce que les mécanismes
proposés aux Français sont insuffisants.
(M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie entre dans
l'hémicycle et rejoint le banc du Gouvernement.)
Monsieur le ministre, je viens de faire une citation d'un excellent ouvrage
que vous aviez commis, en 1982, avec M. Kessler et dans lequel vous dénonciez «
les joutes oratoires forcément stériles » sur l'épargne par capitalisation. Je
vous demande de bien vouloir m'excuser de vous avoir cité avant votre arrivée,
mais je persiste et renouvelle cette citation.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cela n'a pas
changé !
M. Charles Descours,
rapporteur.
S'il faut développer l'épargne retraite, c'est parce que les
mécanismes proposés aux Français sont insuffisants, disais-je.
Le premier de ces mécanismes est l'assurance vie, qui s'effectue dans un cadre
purement individuel. Aucun des produits ne répond réellement aux besoins en
matière de retraite.
Le second de ces mécanismes est l'épargne salariale. Comme il s'agit d'une
épargne à moyen terme, elle ne répond pas non plus aux besoins. S'il est,
certes, indispensable de relancer l'épargne salariale, notamment l'actionnariat
salarié, comme l'a montré tout récemment notre collègue M. Chérioux, il n'est
pas pour autant souhaitable de confondre épargne salariale et épargne retraite,
comme semble le faire le Gouvernement. Ces épargnes correspondent à deux types
de besoin.
Il est parfaitement concevable que les salariés versent après un certain temps
une partie de leur épargne salariale sur leur plan d'épargne retraite - notre
collègue M. Chérioux a déposé un amendement dans ce sens que nous vous
proposons d'adopter. Néanmoins, je répète que l'épargne salariale n'a pas pour
seule finalité l'épargne retraite.
Il existe déjà des mécanismes de retraite supplémentaires à travers des
dispositifs découlant des articles 39, 82 et 83 du code général des impôts,
mais ces mécanismes ne s'appliquent qu'à de très grandes entreprises. En outre,
les droits acquis par les salariés ne sont pas portables dans une autre
entreprise, alors que la mobilité, voulue ou consentie par le salarié, est
devenue l'une des caractéristiques majeures du marché du travail
aujourd'hui.
La loi du 25 mars 1997 répondait à ces enjeux en créant des plans d'épargne
retraite.
Les débats parlementaires - il faut ici rendre hommage aux efforts
pédagogiques déployés par M. Thomas ainsi que par la commission des finances du
Sénat - qui avaient considérablement amélioré le texte, avaient permis de
surmonter deux différends essentiels s'agissant de la création de fonds de
pension à la française.
Le premier de ces différends est relatif à la sortie en rente ou en capital.
La loi Thomas privilégie la sortie en rente, ce qui est logique s'agissant d'un
complément de retraite.
Le second de ces différends est relatif à la gestion de ces plans de retraite.
A cet égard, la loi Thomas a prévu une gestion externe par des professionnels
et non une gestion interne par ou dans l'entreprise ; nous soutenons, bien
entendu, cette orientation, l'exemple de l'affaire Maxwell ayant laissé dans
l'inconscient collectif de notre pays des souvenirs désagréables !
Ce texte majeur, à l'honneur du Parlement, qui l'avait initié et mené à bien,
est aujourd'hui injustement critiqué.
La loi Thomas « siphonnerait » les régimes de retraite par répartition. Nous
avions pourtant, à l'instigation de MM. Fourcade et Vasselle, rédigé un
amendement prévoyant que l'exonération de cotisations sociales se ferait dans
les conditions prévues par l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale,
c'est-à-dire dans le respect du droit commun en matière de prévoyance, soit une
exonération dans la limite de 85 % du plafond de la sécurité sociale.
Comme il faut bien reconnaître que ce garde-fou n'a pas suffi à rassurer les
partenaires sociaux, nous nous efforcerons d'y remédier.
La loi Thomas est accusée de contourner les partenaires sociaux, alors que
l'accord collectif était tout à fait possible.
La loi Thomas est soupçonnée de privilégier les salariés les plus aisés ; or,
il est difficile d'inciter à l'épargne retraite sans proposer des mécanismes
d'incitation fiscale.
Au-delà du texte même de la loi Thomas et de ses décrets d'application, qui
étaient quasiment bouclés en mai 1997, nul doute que la pratique et le bon sens
auraient dû apaiser les craintes que je viens de rappeler. Mais nous ne le
saurons probablement jamais, puisque le Gouvernement a décidé de ne pas
appliquer la loi Thomas !
La politique du Gouvernement en matière de retraites - c'est mon deuxième
point - est un effet marqué par un double attentisme aux conséquences
désastreuses.
Le Gouvernement explique que sa priorité est de « sauvegarder les régimes de
retraite par répartition ». Il est clair qu'il en va de même pour nous, et je
refuse que l'on nous intente un quelconque procès d'intention à ce sujet.
M. Guy Fischer.
Oh, c'est ce que l'on dit !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Je vous rappelle tout de même que c'est le général de Gaulle
qui a instauré les régimes de retraite par répartition, mon cher collègue !
M. Guy Fischer.
Comptez sur nous pour vous le rappeler !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Nous verrons les textes que vous voterez dans les semaines à
venir, tant que vous êtes encore dans la majorité plurielle !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Il faut assumer !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Cette pétition de principe du Gouvernement serait plus
rigoureuse s'il s'était réellement engagé dans une réforme des régimes de
retraite par répartition. La mission Charpin a témoigné de l'échec du «
diagnostic partagé ». Là aussi, notre collègue M. Vasselle a montré que ce
diagnostic partagé relevait d'une bonne démarche, qui, pour l'heure, n'est
toutefois pas empruntée.
Une nouvelle concertation avec les partenaires sociaux a été engagée au cours
de l'été, ce qui n'empêche pas le Premier ministre d'annoncer aujourd'hui les
orientations générales du Gouvernement pour le début de 2000, voire pour le
premier semestre de 2000, confirmant ainsi que, dans l'état actuel des choses,
le diagnostic partagé est devenu un diagnostic sans lendemain.
La seule initiative a consisté à créer un fonds de réserve - nous l'avons
approuvée - dans la loi de financement pour 1999, mais aujourd'hui, près d'un
an après le vote de ce texte, nous ne savons pas qui gèrera ce fonds, selon
quelles modalités et quelles seront les véritables ressources l'alimentant.
Je rappelle qu'il est doté de 2 milliards de francs. Mais ce sont 15, voire 30
milliards de francs qui seront nécessaires si nous voulons un fonds de lissage,
et il faudrait des milliers de milliards de francs pour alimenter un fonds
permanent qui financerait à partir de 2015 les besoins futurs par les produits
financiers.
A l'évidence, nous en sommes loin : peut-être arriverons-nous à 10 milliards
de francs à la fin de l'année 2000, soit un montant très inférieur aux
prévisions annoncées. Nous verrons bien !
M. Charpin a d'ailleurs expliqué à la commission des affaires sociales qu'il
était trop tard pour créer un fonds permanent.
L'inaction du Gouvernement nous paraît d'autant plus regrettable que la
création du fonds de réserve avait suscité un certain nombre d'espoirs.
Parodiant Gainsbourg, je suis tenté de dire qu'entre le Gouvernement et la loi
Thomas, c'est un peu : « Je t'abroge, moi non plus » !
(Sourires.)
Je rappelle que le Premier ministre, le 19 juin 1997, dans sa déclaration de
politique générale, avait annoncé l'abrogation de cette loi.
En 1998, au cours de la discussion du projet de loi de financement de la
sécurité sociale, un amendement visant aux mêmes fins et émanant du groupe
communiste à l'Assemblée nationale était sur le point d'être adopté. Il a
finalement été retiré contre l'engagement solennel du Gouvernement de
l'introduire dans le rapport annexé à la loi de financement, qui n'a aucune
portée normative, et d'abroger cette loi dans les semaines qui suivraient. Un
an après, ce n'est toujours pas fait.
M. Kouchner, le 9 mai dernier, en réponse à une question de notre collègue
Claude Domeizel, annonçait que cette loi serait abrogée dans un avenir
extrêmement proche. Il y a maintenant six mois. La loi n'est toujours pas
abrogée.
Toutefois, le Gouvernement a redécouvert les vertus de l'épargne retraite, en
proposant, le 29 octobre 1998, dans un communiqué conjoint du ministère de
l'économie et des finances et du ministère de l'emploi et de la solidarité, un
cadre de référence et en annonçant un dispositif législatif pour 1999.
Ce dispositif, nous ne le voyons pas venir.
On s'attend, pour le premier ou le deuxième semestre de l'an 2000, à un «
magma législatif » puisque, selon le courant de la majorité plurielle auquel on
s'adresse, il mélangerait l'actionnariat salarié, l'épargne salariale, les
fonds de pension et les stocks-options. L'attitude du groupe socialiste de
l'Assemblée nationale sur les stocks-options est d'ailleurs tellement loin
d'être arrêtée qu'on a vu hier le secrétaire général du parti socialiste
s'opposer à quelques-uns de ses collègues sur la fiscalité qu'il souhaitait
voir mettre en place à cet égard. On voit bien que, sur ce point, le discours
du Gouvernement n'est pas suivi d'effet.
Je vous propose donc, mes chers collègues, de permettre au Gouvernement de
respecter son engagement en adoptant, dès 1999, des dispositions législatives
en faveur de l'épargne retraite, à partir des conclusions que je vais
maintenant vous présenter rapidement.
La commission des affaires sociales souhaite donner à tous les Français la
possibilité de se constituer une épargne retraite ; en effet, si nous n'y
prenons garde, cette épargne retraite risque de ne pas être accessible à tous
les Français, c'est l'un des reproches que l'on avait adressés à la loi Thomas.
A cette fin, elle propose de mettre en place des règles souples et
respectueuses des droits des salariés et des employeurs.
Comment donner à tous les Français la possibilité de se constituer une épargne
retraite ?
Tout d'abord, l'opinion est prête, me semble-t-il, à la mise en place de fonds
de pension.
Même si la lecture des sondages reste un exercice difficile, un sondage IPSOS
de 1998 nous apprend que 13 % des Français considèrent qu'il s'agit d'une idée
de droite, 13 % qu'il s'agit d'une idée de gauche et 63 % qu'il s'agit d'une
idée qui n'est ni de droite ni de gauche ; 55 % des Français pensent que ces
fonds pourront coexister avec le régime actuel de la sécurité sociale.
Un sondage BVA réalisé pour le compte de la CFDT en février 1999 - ce sont les
partenaires sociaux qui nous l'ont transmis - confirme cette adhésion aux fonds
de pension puisque 67 % des Français y seraient très favorables ou plutôt
favorables.
Une évolution est notable du côté des partenaires sociaux, qui organisent des
colloques - un colloque de la CFDT se tiendra le 21 octobre sur les fonds de
pension - ou des séminaires de formation pour leurs cadres. La CGT, qui affirme
être hostile aux fonds de pension, n'en organise pas moins des séminaires de
formation pour ses cadres à ce sujet. On ne sait jamais !
Il faut donner à tous les Français la possibilité de se constituer une épargne
retraite parce que ne rien faire serait prendre le parti de l'inégalité.
Je souhaite insister sur ce fait. Certains prétendent que l'épargne retraite
serait inégalitaire. Or l'inégalité, aujourd'hui, elle est d'abord entre les
salariés du secteur public et ceux du secteur privé et elle s'aggrave chaque
jour davantage.
D'ailleurs, des fonds de pension existent déjà en France et ne mettent en
aucune façon en péril les régimes de retraite par répartition : la Préfon pour
les fonctionnaires, les contrats de la loi Madelin pour les travailleurs
indépendants, le Fonpel pour les élus locaux, etc.
Les exemples étrangers montrent que l'on peut tout à fait compléter un système
fondé sur la répartition par des mécanismes d'épargne retraite. Le livre de
François Charpentier sur les fonds d'épargne retraite dans le monde, que tout
le monde ici a lu, montre bien que nous sommes un des rares pays développés à
ne pas avoir mis en place des fonds de retraite pour compléter le régime par
répartition.
Pourquoi les salariés du régime général, qui ont supporté, en 1993, une
réforme importante, que nous avons d'ailleurs soutenue - et pour lesquels le
régime complémentaire ARRCO - Association des régimes de retraites
complémentaires - et l'AGIRC - Association générale des institutions de
retraite des cadres - ont décidé de mesures courageuses en 1996, seraient-ils
les seuls à ne pas bénéficier d'un complément de retraite par capitalisation
?
Il faut donner à tous les Français la possibilité de se constituer une épargne
retraite, parce que celle-ci se développe, mais dans le désordre, sans faire
l'objet de règles communes. M. Philippe Marini l'expliquera tout à l'heure :
quand Internet permet d'accéder à des produits étrangers sur le marché
français, on voit bien que seuls nos concitoyens les plus fortunés peuvent
aujourd'hui mettre de l'argent de côté en vue de la retraite.
L'enjeu, pour le législateur, est de fixer un cadre, des règles communes pour
que l'épargne retraite fasse l'objet d'un développement harmonieux et pour que
toutes les catégories sociales puissent y avoir accès.
Prenant acte de la double impossibilité, pour le Gouvernement, d'appliquer la
loi Thomas et de proposer un nouveau texte, trois propositions de loi ont été
déposées : la première à l'Assemblée nationale par M. Douste-Blazy, en décembre
1998, la deuxième par moi-même au Sénat, le 3 février 1999, et la troisième par
M. Jean Arthuis et les membres de son groupe, le 11 février dernier.
Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt le compte rendu du débat qui a eu lieu à
l'Assemblée nationale sur la proposition de loi de M. Douste-Blazy, ainsi que
le rapport de M. Barrot, et nous en avons tenu compte.
Le principal caractère commun des deux propositions de loi que nous vous
présentons aujourd'hui est de s'incrire dans le cadre général des « fonds de
pension à la française » défini par la loi Thomas.
Je vous propose de confirmer de nouveau des principes que je crois importants
: nous ne remettons pas en cause le régime de retraite par répartition,
l'épargne retraite ne peut être qu'un système facultatif, la sortie en rente
doit être privilégié et la gestion des actifs ne peut être qu'extérieure à
l'entreprise.
La commission des affaires sociales vous proposera également de réaffirmer le
mécanisme général défini par la loi du 25 mars 1997.
Les plans de retraite sont des contrats souscrits par l'employeur ou par un
groupement d'employeurs - afin qu'ils soient accessibles à toutes les
entreprises - auprès d'institutions à objet exclusif, dénommées « fonds de
retraite ». Ces plans de retraite sont alimentés par des versements et des
abondements. Il s'agit d'un mécanisme facultatif dans le sens où l'employeur
est libre de souscrire et le salarié libre d'adhérer. Ces propositions visent à
développer liberté et responsabilité.
Les deux propositions de loi initiales étaient des textes très courts. La
commission des affaires sociales a choisi de rebâtir un texte complet,
reprenant toutes les règles nécessaires au développement de l'épargne retraite
- entrée dans le dispositif, dispositifs applicables aux versements et aux
abondements, règles de contrôle, règles de surveillance - à l'exception des
règles prudentielles, qui ont été énoncées par la commission des finances, nous
la remercions.
Ce texte s'articule autour de six objectifs.
Le premier objectif est de donner toute sa chance au dialogue social.
L'accord collectif doit être « la porte d'entrée principale » du dispositif.
Dans le cas seulement où la négociation n'aura pas abouti au bout d'un an,
l'employeur pourra alors souscrire à un plan de retraite. Dans ce cas, les
règles ne seront pas complètement identiques ; la commission souhaite qu'il y
ait le plus possible de « grain à moudre » dans l'accord collectif.
A cette fin, nous faisons référence, à l'article 5, aux possibilités de
mandatement et de recours aux délégués du personnel et aux membres des comités
d'entreprise. Ces possibilités ont été définies par la loi de 1996, qui
consacre un accord collectif qui fait l'unanimité des partenaires sociaux.
L'épargne retraite, mécanisme non obligatoire, peut être un moyen de relancer
le dialogue social.
Le deuxième objectif consiste à prévoir un système souple pour l'entreprise et
le salarié.
De même que l'entreprise peut souscrire ou non à un plan de retraite, le
salarié est libre d'adhérer ou non. Ses versements sont facultatifs. En
revanche, à partir du moment où le salarié verse, l'employeur est tenu
d'abonder, dans les conditions fixées par l'accord collectif et dans la limite
de 30 % du plafond de la sécurité sociale ; à défaut d'accord collectif,
l'abondement est à due concurrence et dans les limites de 4 % de la
rémunération brute et de 30 % du plafond de la sécurité sociale.
Afin de ne laisser personne sur le bord de la route, il convient de prévoir le
cas du salarié se trouvant dans une entreprise où il n'y aurait ni accord
collectif ni souscription par l'employeur. Le salarié pourra adhérer à un plan
souscrit au niveau de la branche, d'un groupement d'employeurs ou d'une autre
entreprise. Mais, malheureusement, il ne bénéficiera pas de l'abondement.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Le pauvre !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Au moment du départ en retraite, l'adhérent bénéficiera d'une
rente viagère. Il pourra effectuer, à cette date, une sortie en capital à
hauteur de 30 % de la provision mathématique de ses droits. Nous avons pensé
que ce taux, supérieur à celui que prévoyait la loi Thomas, permettrait de
consacrer le choix prioritaire de la rente, tout en intéressant peut-être
davantage les salariés.
Nous avons aussi souhaité multiplier les possibilités de réversion. Tout
d'abord, afin d'éviter les fonds perdus, le salarié pourra décider que, s'il
meurt avant la date de la retraite, ses proches pourront bénéficier de tout ou
partie des sommes versées sur son plan de retraite. Ensuite, il pourra faire
bénéficier ses proches de tout ou partie de sa rente viagère après son
décès.
Ces options doivent rester facultatives. En effet, plus le salarié prendra de
garanties, moins sa rente de base sera élevée.
Le troisième objectif est de rassurer définitivement les régimes de retraite
par répartition.
Afin d'éviter un débat stérile, comme nous le recommandait M. Strauss-Kahn
voilà quelques années, opposant répartition et capitalisation, nous proposons
de soumettre les versements et les abondements aux cotisations d'assurance
vieillesse, régime de base et régimes complémentaires. Seuls les versements des
adhérents dont le salaire est inférieur à une fois et demie le SMIC seront
exonérés de toute cotisation sociale, afin de donner aux salariés les moins
aisés un « équivalent » des avantages fiscaux dont bénéficient les salariés
payant l'impôt sur le revenu.
Naturellement, les versements et les abondements seront soumis à la CSG et à
la CRDS.
Le quatrième objectif est de rattraper le temps perdu. Chacun sait en effet
que nous avons probablement vingt ans de retard en ce domaine.
Je vous propose d'adopter deux dispositifs permettant de rattraper le temps
perdu, pour que le système puisse profiter aux salariés âgés de plus de
quarante-cinq ans.
Premièrement, l'incitation fiscale variera suivant l'âge ; les déductions des
versements et des abondements de l'assiette de l'impôt sur le revenu seront
d'autant plus élévées que le salarié sera âgé, dans la limite de 5 % de la
rémunération brute pour les moins de quarante ans, 10 % pour les
quarante-cinquante ans et 15 % pour les plus de cinquante ans.
Deuxièmement, il convient de prévoir la possibilité de racheter des années au
titre desquelles le salarié n'a pas pu adhérer à un plan de retraite. Cette
possibilité de rachat, limitée par année à 15 % du plafond de la sécurité
sociale, ne donnera pas lieu à exonération fiscale.
Le cinquième objectif est d'assurer la transparence.
Afin d'assurer une transparence optimale, trois éléments doivent être pris en
compte.
Le premier est la concurrence : la commission des affaires sociales propose de
retenir le principe que les fonds de retraite seront choisis à l'issue d'une
véritable mise en concurrence ; il est également nécessaire de prévoir les
conditions de réexamen de ce choix.
Le deuxième élément est le contrôle : plutôt que de mettre en place une
nouvelle commission, nous vous proposons de reprendre le système institué par
la loi du 25 mars 1997, à savoir une commission de contrôle des fonds de
retraite, formée de deux commissions existantes, la commission de contrôle des
assurances et la commission de contrôle des institutions de prévoyance,
auxquelles pourraient se joindre deux membres de la commission des opérations
de bourse.
Le troisième élément est la surveillance. La commission vous propose de
prévoir, pour chaque plan de retraite, un conseil de surveillance. Ce conseil
de surveillance sera composé de représentants des adhérents, des employeurs,
des syndicats et des retraités. Sa composition pourra être précisée par
l'accord collectif. A défaut, nous proposons une répartition type mais, là
encore, nous laissons tout le champ à l'accord collectif.
Le Conseil de surveillance aura pour tâche de définir les orientations de
gestion ; informé par le fonds de retraite, il sera en mesure d'émettre deux
fois par an un avis sur la gestion du plan par le fonds.
Enfin, notre sixième objectif est de ne pas mélanger l'objet et les effets des
fonds de retraite.
Je n'aborderai pas la question de la détermination des règles prudentielles,
que M. Marini précisera. Je voudrais, simplement, dès cette intervention
liminaire, ne pas mélanger l'objet et les effets du fonds de retraite.
L'objet est social : il s'agit d'améliorer la protection sociale des salariés
à travers un complément de retraite par capitalisation. Mais les effets seront
économiques ; ils permettront un meilleur financement des entreprises
françaises.
Chacun sait que près de 40 % des entreprises qui sont cotées au CAC 40 sont
aux mains des fonds de pension anglo-saxons. Nous en voyons les effets
lorsqu'ils décident de s'en retirer ou lorsqu'il y a des OPA. Il importe que la
France ait, là aussi une possibilité d'intervenir sur le marché financier
mondial. Mais le législateur n'a pas à présumer des effets de l'épargne
retraite.
Pour cette raison, et plutôt que de mettre l'accent sur la création de fonds
de retraite, je vous propose de bien marquer l'objet social de nos travaux et
d'appeler cette proposition de loi : « proposition de loi visant à améliorer la
protection sociale par le développement de l'épargne retraite ».
Je constate qu'une fois encore, quels que soient les gouvernements, c'est le
Parlement qui prend l'initiative d'améliorer l'épargne retraite de nos
concitoyens pour les décennies a venir.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Guy Allouche remplace M. Jean-Faivre au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour la première fois de cette
session 1999-2000 dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux propositions
parlementaires. Ce débat sur les fonds de retraite nous permet de faire un bon
usage de cette procédure, qui est conçue pour traiter des sujets de fond à
partir desquels il faut développer les arguments de telle sorte que les vraies
décisions soient prises.
Monsieur le ministre, nous apprécions beaucoup votre présence. Bien que
tiraillé par un emploi du temps soumis à diverses exigences, vous avez tenu à
être présent pour dialoguer avec le Sénat, ce qui est important pour nous, car
nous allons peut-être progresser au cours de cette journée.
La Haute Assemblée, c'est la chambre de réflexion et de proposition du
Parlement, celle qui a le temps pour asseoir ses positions et pour développer
ses convictions.
Dans le domaine de l'épargne retraite, je veux rappeler la continuité, au fil
des années, des expressions et des prises de position de notre assemblée.
Je rappellerai que, depuis février 1993, c'est-à-dire depuis le dépôt de la
première proposition de loi sur ce sujet, dont j'étais l'un des cosignataires,
nous avons beaucoup débattu de l'épargne retraite. Nous avons été d'ailleurs un
certain nombre à regretter que la loi dite « loi Thomas » arrive bien tard,
mais nous nous sommes efforcés d'en améliorer le dispositif, la rédaction,
l'organisation et nous avons pris, vous le savez, une part très active à
l'élaboration de ce texte qui a été adopté définitivement par les deux chambres
du Parlement en mars 1997.
Dès lors, nous sommes - vous le savez tous - dans une situation tout à fait
inédite : avec la loi Thomas, on a inventé la loi virtuelle !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est très bien qu'elle soit virtuelle !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
La loi fait partie de l'ordre public, du droit
positif, mais elle ne s'applique pas.
Monsieur le ministre, cette situation inédite pose problème. Il existe trois
solutions.
Soit la loi Thomas est mauvaise, et il faut l'abroger sans tarder.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Que la majorité qui soutient le Gouvernement prenne
ses responsabilités !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Soit la loi est bonne, et il faut prendre les
décrets d'application.
Soit, enfin, vous considérez qu'elle est susceptible d'améliorations et vous
proposez des modifications. Mais, de grâce ! cessez d'attendre, de rapports en
concertations, pour traiter d'un sujet qui est sur la place publique, comme
tout le monde le sait.
Nous n'entendons évidemment pas renier la loi Thomas ; mais, avec le temps qui
passe et à la lumière des études complémentaires et des consultations qui ont
été menées, notamment par la commission des affaires sociales, nous souhaitons
apporter quelques infléchissements, rendre le dispositif encore plus souple,
encore plus adaptable et encore plus général.
Je ne vais pas m'attarder longtemps sur les raisons pour lesquelles il est
urgent, monsieur le ministre, de mettre en place dans ce pays le troisième
pilier de protection du risque vieillesse.
Ce troisième pilier est indispensable à l'élaboration d'un édifice stable de
protection sociale, comme l'indique l'intitulé de la proposition de loi
rapportée par M. Descours. Nous savons bien que notre pays demeure inégalitaire
en la matière.
J'ai rédigé, au nom de la commission des finances, voilà un peu plus de deux
ans, un rapport d'information sur les régimes d'épargne retraite des
fonctionnaires. A la vérité, il en existe trois : la Préfon, la Caisse
nationale de prévoyance de la fonction publique, le CREF, le complément
retraite de la fonction publique, et le CGOS, le complément retraite des
hospitaliers.
Permettez-moi simplement de rappeler que la Préfon offre opportunément un
levier fiscal très puissant puisqu'elle permet à des personnes qui, au cours de
leur vie, ont eu un lien même ténu, voire indirect, avec la fonction publique,
de racheter des annuités de cotisations, et ce sans plafonnement, me
semble-t-il. L'attrait de ce régime est d'autant plus grand que ces personnes
peuvent ne plus appartenir à la sphère publique et donc bénéficier d'une
capacité d'épargne bien plus importante que celle des fonctionnaires.
Parmi les régimes de retraite par capitalisation, citons aussi les fonds
Madelin et l'ex-régime COREVA, complément de retraite volontaire agricole pour
les exploitants agricoles. Il existe donc déjà une large palette de régimes
sur-complémentaires de retraite par capitalisation et, dans certains cas, de
semi-capitalisation.
Notons qu'il y a, d'abord, le régime général, avec des règles d'assiette et de
calcul des droits que la majorité précédente a eu le courage de modifier au
mois de juillet 1993, puis, les régimes complémentaires obligatoires par
répartition, qui font naturellement l'unanimité et qui constituent l'un des
socles du contrat social dans notre pays, et, enfin, ce que nous proposons en
ce qui concerne l'épargne retraite, qui est, dans notre esprit, le troisième
pilier.
Monsieur le ministre, comme je le disais, de rapports en concertations, les
choses n'avancent pas. Nous avons certes pris connaissance avec intérêt du
rapport Charpin. La commission des finances a d'ailleurs pris l'initiative, au
mois de juin, d'organiser une audition publique qui constituait une première du
genre. Elle a réuni une pluralité de personnes reflétant des courants d'opinion
très divers, puisque ce collège allait de Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire
aux affaires économiques de la CGT, à Denis Kessler, coauteur de l'excellent
ouvrage que l'on a cité tout à l'heure et aujourd'hui, numéro 2 du MEDEF.
Nous avons entendu beaucoup de choses et constaté que les chiffres
impliquaient l'action.
Or, que faites-vous, monsieur le ministre ? Vous avez certes pris une
initiative sur laquelle nous reviendrons dans le cadre non seulement des débats
relatifs au projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais aussi de
ceux qui concernent le projet de loi de finances initiale pour l'an 2000 :
c'est le fameux fonds de réserve pour les retraites.
Vous vous souvenez du dialogue que nous avons eu à plusieurs reprises sur ce
sujet. Je vous avais demandé si, dans un pays qui conserve un déficit
important, qui continue à recourir à l'emprunt, de manière plus que
significative chaque année, il était vraiment utile, économiquement parlant, de
constituer ce fonds de retraite. Je crois me souvenir que vous m'aviez répondu
que réduire l'endettement ou doter le fonds de réserve revenait au même sur le
plan économique, mais que créer le fonds de réserve avait un effet d'annonce
important sur la plan politique.
Allons au-delà des effets d'annonce, de grâce ! et dites-nous quel rôle ce
fonds doit jouer. Dites-nous quelle doit être, dans votre esprit, la part du
prélèvement obligatoire et celle de l'épargne volontaire. Dites-nous quelle
doit être, le cas échéant, la part raisonnable d'augmentation des cotisations
des employeurs et des salariés pour parvenir à l'équilibre financier de
systèmes dont nous savons bien qu'ils sont frappés de fragilité structurelle à
une échéance très proche, du fait de l'évolution démographique et de toutes
sortes de facteurs de société.
Monsieur le ministre, s'agissant, enfin, du fonds de réserve - mais nous
reviendrons encore sur ce point - nous pouvons à bon droit nous interroger sur
sa dotation, sur l'importance des sommes qui sont susceptibles d'y parvenir.
Deux milliards de francs l'année dernière, c'est anecdotique ; quinze milliards
de francs devant provenir à terme de la cession des parts sociales des caisses
d'épargne, cela demeurera anecdotique par rapport à des enjeux que le rapport
Charpin, selon les formules et les échéances, place dans une fourchette
comprise entre 3 % et 10 % du PIB. En d'autres termes, l'objectif se situe,
dans le premier cas, au niveau de quelques centaines de milliards de francs et,
dans le second cas, au niveau de quelques milliers de milliards de francs.
Quelle politique voulez-vous conduire en la matière, monsieur le ministre ?
Quelle est la forme que vous envisagez pour la gestion de ces sommes, qui
seront nécessairement d'un ordre de grandeur considérable ?
S'agit-il de gérer en produits de taux au moment où ils rapportent moins que
ne nous coûte l'endettement de l'Etat ? S'agit-il donc de perdre de l'argent
avec le fruit des efforts des contribuables ? S'agit-il de gérer sur le long
terme, en choisissant une politique raisonnable de placements en valeurs de
fonds propres des entreprises ?
Sur ce dernier point, permettez-moi de vous poser une question. Si ce fonds
existait et était doté de montants très importants, s'il était entre les mains
de l'Etat et placé, pour une bonne part, en actions liquides largement
représentées sur le marché - on aurait très bien pu concevoir, il y a quelques
semaines, que se trouvent dans les actifs de ce fonds des actions de la société
Michelin que je cite au hasard - dans ce cas de figure, quelles auraient été
les réponses du Premier ministre aux questions que l'on n'aurait pas manqué de
lui poser, face à un émoi bien légitime et à l'incompréhension qui parfois,
dans notre société, apparaît entre la vie financière, la réalité des
entreprises et le sentiment de ceux qui ont l'impression d'être des instruments
de ce qui se passe sur les marchés financiers ou lors des restructurations
d'entreprises ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Le rêve idéologique de ces gens-là : être des licenciés heureux !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Monsieur le ministre, il va falloir répondre à ces
questions, car, s'il y un fonds de réserve significatif, il faudra choisir des
modalités de gestion. On ne peut pas envisager d'accumuler des centaines ou des
milliers de milliards de francs d'actions de sociétés françaises, européennes
ou mondiales sans dire comment on fera, comment on mettra en concurrence les
opérateurs, comment on définira le cahier des charges, en quelque sorte, et
quels seront les principes et les horizons de gestion de tels fonds. En créant
le fonds, vous vous obligez, monsieur le ministre, à nous répondre un jour ou
l'autre sur ces sujets.
Permettez-moi d'en revenir aux conclusions que vient de rapporter, de manière
tout à fait convaincante, à mon avis, notre collègue Charles Descours.
Ces conclusions résultent des travaux de la commission des affaires sociales
sur deux propositions de loi : celle de M. Jean Arthuis et des membres du
groupe de l'Union centriste, et celle de M. Charles Descours lui-même.
Ces conclusions, la commission des finances les a examinées. Nous en saluons
la qualité, nous adhérons à leur dispositif et nous leur apportons notre
soutien le plus complet.
Je me permettrai simplement de mentionner, au passage, un petit regret, qui ne
s'adresse pas à la commission des affaires sociales et qui porte sur un point
de droit économique.
Je suis de ceux qui pensent que les fonds de pension ou d'épargne retraite,
s'ils doivent être créées, seraient beaucoup plus logiquement structurés sous
forme de fiducies, c'est-à-dire de trusts à la française. C'est un sujet qui
pourra peut-être évoluer dans l'avenir, sur lequel d'ailleurs a existé un
projet de loi datant de 1992, que, pour toutes sortes de raisons, s'agissant en
particulier de la compétitivité de l'ordre juridique français, je serais
heureux de revoir, un jour ou l'autre, inscrit à l'ordre du jour du
Parlement.
Pour ce qui est du dispositif qui nous est proposé aujourd'hui, la commission
des finances adhère aux cinq principes sur lesquels il repose.
En premier lieu, le caractère facultatif du dispositif et sa souplesse. En
deuxième lieu, la priorité donnée à l'accord collectif, mais la possibilité,
s'il n'y a pas d'accord collectif, de ne pas laisser de salarié au bord du
chemin.
En troisième lieu, la sortie essentiellement en rente, avec la possibilité
d'une sortie en capital pour 30 % des droits.
En quatrième lieu, le soin jaloux porté à l'équilibre des régimes de retraite
obligatoires par répartition, avec le signal que nous donne la commission des
affaires sociales en prévoyant l'exclusion des cotisations vieillesse de
l'exonération des cotisations sociales. C'est tout à fait opportun et peut, à
mon avis, résorber des craintes qui s'étaient exprimées, souvent légitimement,
sur la loi Thomas.
M. Guy Fischer.
M. Arthuis est-il d'accord ?
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
M. Arthuis est totalement solidaire de cette
proposition, qui découle notamment de sa propre démarche.
M. Guy Fischer.
On verra !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
En cinquième lieu, le choix de la gestion externe à
l'entreprise, qui préserve la sécurité pour les adhérents, qui assure leur
protection et qui tire enseignement de certains incidents ou accidents graves
qui ont pu se produire sur des marchés financiers étrangers.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Des « incidents » !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Monsieur le ministre, la commission des finances,
qui adhère, je le répète, à ces principes, a souhaité y apporter quelques
adjonctions.
Il s'agit essentiellement de dispositifs techniques présentés sous la forme de
dix amendements dont je recommanderai l'adoption et qui portent surtout sur la
prudence, en particulier sur les règles de dispersion des actifs. Il est
important, en effet, s'agissant de produits d'épargne retraite qui s'adressent
à des épargnants acceptant l'absence de liquidité de leurs avoirs pour de très
longues périodes de temps, de dessiner un cadre le plus raisonnable et le plus
protecteur possible.
Comme nous l'avons dit lors des débats sur la loi Thomas, il ne faut pas
confondre les genres. Les fonds d'épargne retraite sont bien des instruments
supplémentaires de protection sociale. Chemin faisant, ils permettront
d'engranger des volumes importants de fonds susceptibles de s'investir en
valeurs de fonds propres des entreprises. Toutefois, à l'évidence, ces fonds
ont non pas une finalité financière, mais une finalité sociale.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est une plaisanterie !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
De ce point de vue, il faut s'assurer que les
politiques de gestion correspondent aux normes prudentielles les plus modernes,
à un moment où, en effet, nous avons besoin plus que jamais de régulateurs
puissants exprimant la force de l'intérêt général et évitant à nos marchés des
risques, le cas échéant, systémiques. Il ne faut pas que les futurs
bénéficiaires de retraites par capitalisation puissent être, à leur corps
défendant, et en l'ignorant, victimes de tels risques.
Monsieur le ministre, voilà quelle est notre approche.
Nous faisons nôtres les conclusions de la commission des affaires sociales et
nous espérons, monsieur le ministre, par ce débat et par cette proposition,
vous aider dans votre démarche souvent novatrice, je le reconnais, souvent
difficile, souvent incomprise d'ailleurs au sein même de votre propre majorité
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen)
, comme le prouvent des débats récents qui ont eu lieu à la
commission des finances de l'Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, encore une fois, nous vous remercions d'être avec nous
et de vous prêter, avec la courtoisie qui vous est coutumière, à ce débat de
fond.
Mes chers collègues, j'espère qu'il en résultera une avancée sérieuse pour le
dossier de l'épargne retraite dans notre pays.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 40 minutes.
Groupe socialiste, 33 minutes.
Groupe de l'Union centriste, 24 minutes.
Groupe des Républicains et Indépendants, 22 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en abordant
ce matin l'examen du rapport de la commission des affaires sociales sur les
propositions de loi n° 187, visant à améliorer la protection des salariés et
créant des fonds de retraite, et n° 218, visant à instituer des plans d'épargne
retraite, je suis, comme beaucoup de sénateurs, partagé entre le respect de la
loi et du Parlement, qui nous amène à nous interroger sur l'opportunité de ces
deux textes, quelles qu'en soient les qualités, et l'exigence de
responsabilité, qui doit nous conduire à attirer l'attention du Gouvernement et
du pays sur l'importance du problème, auquel leurs auteurs apportent des
propositions de solution, et surtout sur l'urgence qui s'attache à la mise en
oeuvre de ces propositions.
Notre débat de ce jour est l'occasion de rappeler, tout d'abord, qu'il existe
une loi de la République sur l'épargne retraite, la loi du 25 mars 1997, dite «
loi Thomas », que le Gouvernement refuse depuis deux ans d'appliquer.
Nul n'est censé ignorer la loi. Or, force est de constater que le Gouvernement
l'ignore délibérément. La loi a été votée, mais il n'y a toujours pas de texte
d'application.
Certes, une majorité peut défaire ce qu'une autre majorité a fait, mais elle
se doit d'abord de respecter les lois. En plus de deux ans, le gouvernement de
M. Jospin a eu le temps nécessaire pour abroger, comme il l'avait promis, la
loi Thomas ; il a eu également le temps nécessaire pour proposer de la
modifier.
Mais, à défaut de l'avoir abrogée formellement, à défaut de l'avoir modifiée,
le Gouvernement est dans l'obligation d'appliquer cette loi. Sinon que devient,
de façon générale, la valeur de la loi ?
En laissant s'écouler près de deux ans, le Gouvernement a dépassé les délais
que je qualifierai de « raisonnables » pour publier les décrets d'application.
Cette abstention est un abus de pouvoir, en tout cas un abus « du » pouvoir, et
sûrement un abus de majorité.
La vie politique étant ce qu'elle est, il est vrai qu'une élection législative
peut bouleverser ce
statu quo
pervers et permettre à l'opposition
nationale, redevenue majorité, de faire ce qu'une dissolution a défait, et
publier alors très rapidement les textes d'application de la loi du 25 mars
1997, dès lors qu'elle n'aurait pas été formellement abrogée.
Mais, entre le choix légaliste, le respect absolu de la loi démocratiquement
votée, qui devrait vous conduire, monsieur le ministre, à prendre l'initiative
d'un grand débat de fond en proposant un texte d'abrogation ou de modification
de cette loi, et les supputations d'un avenir incertain pour les uns comme pour
les autres, il reste le choix du réalisme et de la responsabilité, qui a
conduit mes éminents collègues, MM. Arthuis et Descours, à nous proposer les
textes aujourd'hui en discussion.
Ce qui est en jeu en effet - vous le savez mieux que quiconque - c'est, bien
sûr, l'avenir des retraites, mais c'est aussi la place des décisions nationales
dans les orientations stratégiques de nos entreprises.
Tout le monde connaît les perspectives de nos régimes de retraite. Entre 1999
et 2010, la fraction de la population française âgée de plus de soixante ans
passera de 18 % à 27 %. Dans le même temps, le rapport entre cotisants et
retraités passera de 2 à 1,3.
Si rien n'est décidé aujourd'hui, le retraité de 2008 ne percevra plus que 55
% de son dernier salaire, contre 64 % aujourd'hui. Lorsque les jeunes diplômés
des années quatre-vingt-dix arriveront à l'âge de la retraite, ils ne
percevront que 38 % de leur dernier salaire.
Ni l'augmentation forcenée des cotisations ni le retour de la croissance ne
sauraient suffire pour faire face à ces enjeux.
Aussi une très large majorité s'accorde-t-elle aujourd'hui sur la nécessité de
mettre en place un complément de retraite par capitalisation. Je me suis laissé
dire, monsieur le ministre, que vous-même y souscriviez. Et pourtant, vous
faites si peu et, surtout, vous faites si tard !
L'attentisme du Gouvernement est également préjudiciable aux régimes de
retraite par répartition. Leur financement dépend en effet du dynamisme de
l'économie et les plans d'épargne retraite sont un des supports d'une épargne
longue, indispensable à l'investissement et au développement des
entreprises.
En outre, plus tôt nous aurons des capitaux propres à mettre à leur
disposition, plus nous aurons de chances de garder un certain nombre d'entre
elles - tout au moins leur centre de décision - dans notre pays.
Pourquoi laisser aux retraités des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, bénéficiaires
de fonds de pension, la possibilité de s'enrichir grâce au travail des salariés
français en empochant une partie grandissante des dividendes de nos entreprises
? Ne serait-il pas logique que les retraités français profitent également de
ces dividendes et des dividendes des entreprises étrangères ?
Pourquoi laisser à leurs seuls représentants, ou en tout cas à ceux qui sont
de plus en plus influents, la possibilité de peser si lourdement sur les
décisions stratégiques de nos entreprises à un moment où le poids de nos impôts
et de nos charges, que vous aggravez pour financer des incitations à aménager
le temps de travail, les rend encore moins compétitives ?
Quelles seraient pour notre économie, pour la place financière de Paris, les
conséquences d'un retournement de conjoncture entraînant un reflux immédiat et
brutal des participations d'origine étrangère au capital des sociétés
françaises ?
N'est-il pas urgent de leur procurer des sources de financement d'origine
intérieure pour mieux équilibrer leur actionnariat et prévenir les situations
de ce type ?
C'est votre responsabilité, c'est aussi la nôtre. Il faut faire vite.
Il faut également réparer une injustice. Comme M. le rapporteur l'a rappelé,
les salariés du secteur privé n'ont pas droit à la retraite par capitalisation,
mais les fonctionnaires en bénéficient, quant à eux, depuis bien longtemps,
comme, à un moindre degré, les bénéficiaires de la loi Madelin et les
agriculteurs, ainsi que les élus locaux.
Consciente depuis fort longtemps de ces enjeux, la majorité sénatoriale
propose aujourd'hui des améliorations au dispositif prévu par la loi du 25 mars
1997.
Le texte de la commission des affaires sociales ne menace pas les régimes de
retraite par répartition : les versements aux plans de retraite ne sont pas
exonérés de la cotisation due au titre de l'assurance vieillesse.
Afin de pouvoir faire face à un accident de la vie, le texte prévoit également
une possibilité de sortie partielle en capital.
Les partenaires sociaux sont pleinement associés, les plans sont facultatifs
et ne prévoient aucun plancher d'investissement en actions.
Le Gouvernement va-t-il, par je ne sais quelle contorsion rhétorique repousser
les conclusions de notre commission, qui répondent en très grande partie aux
critiques qui avaient été adressées au dispositif de la loi Thomas ?
Ne pouvons-nous, ne pouvez-vous sortir des a priori idéologiques pour une
rencontre autour d'un texte équilibré, réaliste, acceptable par l'ensemble des
responsables qui ont en main l'avenir de notre pays, de nos retraités, bien
sûr, de nos entreprises ? Ce sont là des qualités que semble comporter le texte
qui nous est aujourd'hui proposé par la commission des affaires sociales, dont
je salue l'excellent travail.
Pour sa part, le groupe des Républicains et Indépendants votera les
conclusions de la commission.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 avril
dernier, le rapport de M. Jean-Michel Charpin, commissaire général au Plan, sur
l'avenir de nos retraites a été remis au Premier ministre. A l'automne 1998, le
Gouvernement avait présenté ce rapport comme un préalable à toute décision en
matière de retraite.
Après avoir auditionné M. Charpin à deux reprises, la commission des affaires
sociales m'a confié, au mois de mai dernier, la mission de présenter un rapport
d'information analysant les apports des travaux du Commissariat général du Plan
et mesurant le caractère « partagé » tant du diagnostic réalisé que des
propositions avancées.
Le titre de ce rapport d'information - Réforme des retraites : peut-on encore
attendre ? - résume à lui seul tout l'enjeu de notre débat.
Après avoir auditionné l'ensemble des organisations syndicales et des régimes
de retraite ayant participé à la commission de concertation de la mission
Charpin, j'ai été amené à formuler un triple constat devant la commission des
affaires sociales.
Sur le fond, sans surprise, le rapport Charpin confirme les diagnostics
formulés à deux reprises en 1991 et 1995 : en raison du vieillissement de la
population française, notre système de retraite sera confronté à un choc
financier inéluctable à partir de 2006.
Le nombre de personnes de plus de soixante ans augmenterait de 10 millions à
l'horizon 2040, tandis que le nombre d'actifs diminuerait d'un million environ
pour s'établir à 26,7 millions ; les plus de soixante ans représenteraient un
tiers de la population totale en 2040, soit 22 millions de personnes, contre un
cinquième en 1995.
Le rapport entre les plus de soixante ans et les vingt - cinquante-neuf ans
passerait de 4 en 1995 à 7 en 2040 ; seul un déplacement de l'âge de fin
d'activité permettrait de freiner la hausse du poids relatif des retraités.
La conséquence de ce déséquilibre est qu'à réglementation inchangée le
maintien de la parité de niveau de vie entre retraités et actifs conduirait à
multiplier par 1,55 le taux de cotisation d'équilibre à l'horizon 2040. A
législation inchangée, la part de la richesse nationale consacrée aux retraites
s'accroîtrait de 30 % à l'horizon 2040.
Dans l'hypothèse où la règle actuelle d'indexation des retraites du régime
général sur les prix serait maintenue, les charges de retraite des régimes
seraient multipliées, en termes réels, par un facteur de 2,8 et progresseraient
de 12,1 % du PIB, en 1998, à 15,8 % en 2040.
Compte tenu de ces évolutions, le besoin de financement du système de retraite
par répartition s'élèverait, en francs constants, à 190 milliards de francs, en
2020, et 700 milliards de francs en 2040, soit environ 4 points de PIB.
Dans ce contexte, le commissariat général du Plan a examiné plusieurs pistes
de réforme susceptibles d'assurer la viabilité du système de retraite par
répartition : l'allongement à 170 trimestres de la durée d'assurance nécessaire
à l'obtention du taux plein, la constitution de réserves permettant d'amortir
le choc démographique, l'élargissement de l'assiette des cotisations et
l'aménagement de différents dispositifs susceptible d'avoir un impact sur le
besoin de financement des régimes.
En conclusion, le rapport du commissariat général du Plan recommande
d'engager, dès à présent, la réforme du système de retraite, avant que le choc
démographique ne fasse sentir ses effets.
Le deuxième constat que j'ai été amené à formuler porte sur la méthode.
Le diagnostic, contrairement aux ambitions initiales, n'est pas « partagé »
par les partenaires sociaux ; les critiques portent autant sur les hypothèses
retenues que sur les pistes de réformes envisagées.
Troisième constat : l'accent mis par le rapport Charpin sur l'urgence des
décisions à prendre n'a pas convaincu le Gouvernement. Ce dernier annonce
l'ouverture d'une nouvelle concertation ; les décisions sont, une fois encore,
différées. Nous jouons la montre !
La création d'un fonds de réserve pour les retraites n'apporte qu'une réponse
dérisoire aux besoins futurs : 2 milliards de francs sont prévus dans la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999, lesquels ne seront abondés que
progressivement par des fonds provenant de la caisse d'épargne. On est bien
loin du compte !
La loi du 25 mars 1997 créant des plans d'épargne retraite est restée, quant à
elle, inappliquée - notre collègue M. Marini l'a rappelé à juste raison avec la
pertinence et la conviction que nous lui connaissons - le Gouvernement se
refusant pourtant à l'abroger.
De concertation en concertation, le Gouvernement essaie surtout de gagner du
temps. Du moins, c'est le sentiment qu'il donne. S'agit-il de nier l'évidence ?
S'agit-il d'une incapacité à imposer la réforme à sa majorité plurielle ou
s'agit-il d'un refus d'assumer les risques politiques de décisions difficiles
et pourtant indispensables ?
Les gouvernements de MM. Balladur et Juppé avaient engagé des réformes
courageuses. Celui de M. Jospin a décidé - M. le ministre, je suis désolé de le
dire - d'attendre 2000 pour faire part de ses orientations, fuyant ainsi ses
responsabilités. Mais peut-on attendre encore ?
Il y a, en réalité, urgence. D'autres orateurs le diront, comme mes
prédécesseurs, notamment MM. les rapporteurs, n'ont pas manqué de le dire. Le
Président de la République l'a lui-même solennellement rappelé, lors de la
remise à l'Elysée, le 31 mai dernier, de la médaille de la famille française.
Il a estimé que le traitement de la question du financement des retraites ne
pouvait être différé. Il a également jugé que les réformes destinées à
sauvegarder nos régimes de retraite étaient « nécessaires et urgentes ».
Ces propos contrastent avec l'apparente insouciance du Premier ministre, qui
répétait dans un entretien accordé au
Parisien
du 29 avril : « La
précipitation serait une erreur... nous avons le temps. »
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il a raison !
M. Alain Vasselle.
Dans un entretien accordé au mensuel
Liaison sociale,
M. Charpin met,
lui aussi, l'accent « sur l'urgence de décisions à prendre. »
Comme le souligne pertinemment M. Charpin, « si l'on décide de ponctionner les
revenus des actifs pour rééquilibrer financièrement le système, sans faire de
capitalisation, il n'y a aucune nécessité de le faire aujourd'hui. En clair, si
l'on veut atteindre l'équilibre financier par une hausse des cotisations, il
suffit de commencer en 2005. »
En revanche, et je cite toujours M. Charpin, « si l'on décide d'agir
autrement, il faut démarrer tout de suite. Si l'on veut constituer un
complément au financement du régime par répartition, en accumulant du capital
dans un fonds de réserve, il faut prendre de l'avance par rapport à la
dégradation des comptes. Et si l'on veut jouer sur l'âge de la retraite, il
faut que l'ajustement soit étalé sur une très longue période pour préserver
l'équité entre les générations. »
« Le principal danger - je cite toujours M. Charpin - serait précisément de
refuser d'affronter le problème en temps utile. On se placerait alors vers 2010
dans une situation où les arbitrages seraient extrêmement douloureux à prendre.
Faute de les avoir anticipés, on risquerait justement de faire porter tout le
poids du rééquilibrage des retraites sur un nombre relativement faible de
générations qui pourraient alors refuser un effort supplémentaire. »
Personne ne peut, me semble-t-il, contester cette réalité. En repoussant
indéfiniment des décisions indispensables, le Gouvernement fait en réalité un
choix implicite, celui de la hausse future des cotisations. Il faut que ce soit
dit clairement.
Face à cette inertie, il est devenu indispensable d'agir.
Je me réjouis, par conséquent, que nos collègues Charles Descours et Jean
Arthuis aient pris l'initiative de déposer ces propositions de loi qui
concourent au même objectif : donner aux 14 millions de salariés relevant du
régime général la possibilité de se constituer un complément de retraite. Ils
n'ont d'ailleurs fait que relayer d'autres propositions de loi dont M. Marini
avait été le rapporteur en sa qualité de rapporteur général de la commission
des finances ; je pense notamment à la loi Thomas, dont on sait, je l'ai dit
tout à l'heure, quel sort lui a réservé le Gouvernement en place !
Je souhaiterais attirer votre attention, mes chers collègues, sur un point à
mes yeux essentiel : ce complément de retraite par capitalisation ne
fragilisera pas les régimes de retraite par répartition.
L'assurance en est donnée aujourd'hui par l'ensemble des précautions prises et
par les amendements que notre rapporteur a fait adopter par la commission des
affaires sociales.
Le texte qui résulte des conclusions de la commission soumet en effet
l'abondement de l'employeur aux cotisations d'assurance vieillesse - régime de
base et régimes complémentaires - et, dans les conditions de droit commun, à la
CSG et à la CRDS. Il ne sera plus question d'opposer régimes par répartition et
régimes par capitalisation.
Seul le versement sur salaire des adhérents dont le salaire est inférieur à
1,5 SMIC sera exonéré de toute cotisation sociale, ce mécanisme étant le seul
moyen de donner aux détenteurs de salaires les moins élevés un équivalent des
avantages fiscaux perçus par les salariés payant l'impôt sur le revenu. Ce
versement restera toutefois soumis à la CSG et à la CRDS.
Ces précisions devraient apaiser les craintes de ceux qui redoutent que
l'introduction de la capitalisation ne se fasse aux dépens des régimes par
répartition. C'est la critique qu'avait formulée Mme Aubry tant devant la
commission qu'en séance publique. Je ne sais pas si M. Strauss-Kahn partage ce
point de vue et nous ne manquerons pas d'écouter avec attention les réponses
qu'il apportera aux différents orateurs.
Quoi qu'il en soit, le texte qui nous est proposé aujourd'hui était - vous le
reconnaîtrez tous - urgent et nécessaire. C'est donc sans aucune difficulté que
mes collègues du groupe du RPR et moi-même le voterons avec la conviction qu'il
permettra d'améliorer de manière effective les revenus des retraités de
demain.
J'espère que notre force de persuasion l'emportera sur le doute et que M. le
ministre, avec enthousiasme, donnera un avis favorable sur cette proposition de
loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Nous l'espérons !
M. le président.
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui
nous est soumis et qui résulte des conclusions de la commission du Sénat saisie
au fond appelle de notre part des objections que je vais développer et qui,
pour certaines d'entre elles, ne sont pas nouvelles.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais insister sur la différence
qu'il y a entre la version initiale de la proposition de loi et celle qui
ressort des conclusions de la commission : voilà deux textes qui n'ont
pratiquement plus rien à voir, en dehors des grandes lignes qui les
définissent.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
La commission a travaillé !
M. Marc Massion.
Certes, le travail en commission est toujours utile, mais une telle
transformation mérite d'être signalée ! On perçoit mal l'intérêt de déposer un
texte pour ensuite le remanier autant, et cela avec ses propres amis.
Au moins, monsieur Descours, on ne peut vous reprocher de ne pas vous être
inspiré des débats qui se sont déroulés dans notre hémicycle lors de la
discussion de la loi Thomas.
Toutefois, quelle que soit la version, même si les conclusions de la
commission sont d'une teneur - permettez-moi de le dire - plus sérieuse que le
texte initial, nos objections restent fondamentalement les mêmes.
Tout d'abord, monsieur le rapporteur, en matière de complément de retraite,
vous choisissez la voie de la couverture facultative, comme l'avait fait il y a
trois ans M. le député Thomas. Nous continuons à penser, quant à nous, qu'une
opération de retraite étalée sur trente à quarante ans, durée importante, peut
difficilement être assumée par un individu isolé.
L'expérience montre que seule une part infime de la population a recours à de
telles couvertures. Vous ne résolvez donc pas le problème des retraites, ou
plutôt vous le réglez - si tant est que vous le fassiez - pour une toute petite
partie de nos concitoyens.
Ce sont celles et ceux qui perçoivent les revenus les plus élevés qui
choisissent les couvertures facultatives, ce qui ne peut qu'accroître les
inégalités entre salariés actifs et rendre votre dispositif doublement
critiquable à ce titre.
Le deuxième défaut de l'approche qui nous est proposée, et qui se trouvait
également dans la loi Thomas, est celui de laisser aux offreurs, c'est-à-dire
au marché, toute liberté de définir les produits proposés. On pourrait ainsi
voir se concurrencer des systèmes qui garantiraient aux assurés le service d'un
véritable revenu de remplacement et des systèmes où les assurés supporteraient
intégralement, à la place de l'assureur, le risque de placement.
Le troisième défaut est le suivant : la proposition de loi, toujours comme la
loi Thomas, a opéré un mélange des genres entre l'opération d'épargne,
c'est-à-dire de placement, et l'opération de retraite. Cette démarche est, à
notre sens, inappropriée et offre le défaut d'engendrer, en outre, une
concurrence exacerbée, laquelle ne pourra que s'exercer entre les organismes
assureurs et sera ainsi préjudiciable aux droits des assurés.
Je rappellerai, en effet, qu'une telle concurrence, en pesant sur les tarifs,
donc sur la solvabilité des organismes, ne peut que les fragiliser et,
par-delà, rejaillir négativement sur les assurés.
Le quatrième défaut est d'offrir un régime fiscal et social particulièrement
favorable aux salariés souscripteurs, parmi lesquels on n'a que peu de chances
de trouver des personnes aux revenus modestes et aucune chance de trouver des
personnes aux revenus très modestes. Bien évidemment, celles-ci ont peu ou pas
d'argent du tout à épargner chaque mois, alors que les salariés bénéficiant de
revenus plus élevés pourront, eux, facilement faire l'effort financier
nécessaire.
Enfin, le cinquième défaut, et non le moindre, réside dans le risque réel de
ce que l'on a appelé, lors de l'examen de la loi Thomas, le risque de «
siphonnage » du régime général, risque qui perdure également dans le texte qui
nous est soumis, puisque les sommes abondées par l'entreprise viennent toujours
en diminution de l'assiette des cotisations patronales vieillesse.
Telles sont, brièvement récapitulées, les raisons, je dirai structurelles, qui
justifient, aujourd'hui comme par le passé, notre opposition sans ambiguïté à
une telle approche.
Avant de présenter nos propres orientations, je voudrais faire le point sur la
loi Thomas.
Si le texte que vous nous proposez aujourd'hui, mes chers collèges, est
destiné, dans votre esprit, à se substituer à cette loi Thomas, vous auriez dû,
dans la logique de votre démarche, demander l'abrogation de celle-ci !
(Sourires.)
M. Charles Descours,
rapporteur.
Ce n'est pas à l'ordre du jour !
M. Marc Massion.
Si votre texte est destiné à compléter ou à améliorer cette loi Thomas, c'est
que vous reconnaissez aujourd'hui que le texte que vous avez voté il y a trois
ans n'était pas bon ! De toute manière, même sans dissolution ratée - ratée
pour vous ! - je ne suis pas sûr que les décrets d'application auraient été
publiés à ce jour tant ils posaient de problèmes.
En ce qui nous concerne, nous pensons que l'abrogation de la loi Thomas ira de
pair avec le projet que présentera le Gouvernement, l'année prochaine.
Après ces quelques rappels des critiques que nous formulons à l'égard de ce
texte, abordons maintenant le problème de fond.
Il ne s'agit pas pour nous d'opposer répartition et capitalisation.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Bravo !
M. Marc Massion.
Il convient que ces deux régimes, sans se nuire l'un à l'autre, puissent enfin
se compléter utilement.
(M. le rapporteur applaudit.)
C'est déjà ce que nous affirmions ici, lors du débat sur la loi Thomas.
N'oublions pas que des régimes collectifs d'entreprise existent. Absolument
rien ne justifie qu'on les fasse disparaître. Il faut, au contraire, les
consolider, permettre leur développement. Cela passe par le processus
législatif, et je me félicite que le Gouvernement s'apprête à déposer, dans
quelques mois, un projet de loi qui, je l'espère, prendra en compte ce type de
régimes.
Voilà une raison supplémentaire de ne pas débattre aujourd'hui du présent
texte, dans la mesure où le Gouvernement, après avoir commandé un travail
d'audit sur les retraites, travail qui s'est conclu par le rapport Charpin,
vient de lancer une mission sur l'épargne salariale et travaille à
l'élaboration d'un projet qui doit être déposé au printemps de l'an 2000.
M. Alain Gournac.
Des annonces politiques !
M. Marc Massion.
Ce n'est pas, de notre point de vue, dans le cadre d'une niche de discussion
parlementaire,...
M. Jean Chérioux.
Curieuse conception du Parlement !
M. Marc Massion.
... et sur la base de quelques articles seulement, que l'on peut sérieusement
apporter des réponses en matière d'épargne longue, encore moins si, on assigne
à celle-ci l'objectif d'être un complément de retraite.
Sans compter, et j'ouvre une parenthèse, qu'il convient de relier ce sujet à
celui du fonds de réserve : j'apprécie d'ailleurs que celui-ci doive être
prochainement abondé...
M. Jean Chérioux.
Il en aura besoin !
M. Claude Huriet.
De combien ?
M. Alain Gournac.
Encore des annonces !
M. Marc Massion.
... même si, me semble-t-il, une démarche encore plus volontariste doit
s'affirmer. Néanmoins, je le rappelle, contrairement à ce qui s'est dit en
commission, si les sommes qui abondent ou vont abonder ce fonds ne sont pas
encore à la hauteur des enjeux, enjeux de l'ordre de plusieurs centaines de
milliards de francs, il ne faut pas oublier que, dans un premier temps, à
l'horizon de cinq ans, le fonds tel qu'il va être constitué l'an prochain
pourra déjà représenter, selon les estimations, une centaine de milliards de
francs. Ce n'est pas rien, et il faut continuer dans ce sens puisque, à chaque
abondement du fonds, le rapport ira croissant. Mais, là encore, nous aurons une
autre occasion d'en parler : la discussion du prochain projet de loi de
financement de la sécurité sociale.
Sur le fond, pour pouvoir disposer au moment de la retraite d'un véritable
revenu de remplacement, il convient de cotiser, comme je le disais au début de
mon propos, longtemps. En dehors des régimes légalement obligatoires, il n'y a
que l'entreprise ou les branches professionnelles qui puissent, si elles le
souhaitent, « obliger » leurs salariés à cotiser pendant une durée aussi
longue.
Les fonds d'épargne doivent être collectifs, obligatoires et paritaires ; ce
sont là, pour nous, les trois exigences sur lesquelles doit se fonder un vrai
projet de fonds partenarial d'épargne pour la retraite.
M. Jean Chérioux.
Vivent les prélèvements obligatoires !
M. Marc Massion.
Je rappelle que le caractère « obligatoire » ne concourt pas à faire entrer ce
type de cotisation dans les prélèvements obligatoires.
M. Jean Chérioux.
Ah bon ?
M. Marc Massion.
En effet, les entreprises ne sont pas obligées de souscrire et elles peuvent
arrêter quand elles veulent, tout en préservant les droits des assurés. Le
caractère « obligatoire » est repris parce qu'un tel régime s'applique à tous
les salariés de l'entreprise ou de la branche professionnelle, à partir du
moment où la décision a été prise dans le cadre des négociations
collectives.
Ces régimes, qui existent, doivent être améliorés. Ils doivent recevoir, avec
toutes les précautions qui s'imposent, une définition législative.
Il convient de poser comme principe absolu que tout engagement de retraite
doit être garanti par des provisions mathématiques. Il faut revoir les règles
techniques aujourd'hui applicables, car, lorsqu'elles s'appuient sur
l'assurance vie traditionnelle, elles ne sont guère adaptées aux opérations de
retraite. La Commission des Communautés européennes, dans son livre vert, l'a
reconnu de manière assez explicite.
Il convient enfin - mais cette liste d'impératifs n'est pas limitative - de
réfléchir à un certain nombre de principes de gestion pouvant servir de
garde-fous aux gestionnaires de ces régimes.
Je pense que notre démarche est la bonne, et je souhaiterais terminer mon
propos en évoquant une actualité qui vient, à mon sens, fort opportunément
corroborer nos choix.
En effet, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu le 21
septembre dernier, dans trois affaires sur des fonds de pension hollandais, des
arrêts aux conclusions identiques, dont je voudrais vous livrer la teneur, en
me réjouissant qu'ils nous donnent raison.
Sur ces trois dossiers, plusieurs questions préjudicielles avaient été posées
à la Cour, qui tournaient toutes autour de la mise en cause du caractère
obligatoire des fonds de pension hollandais, ce caractère obligatoire étant
dénoncé comme contraire à l'article 85 du traité pour affecter le commerce
entre Etats membres et fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du
marché.
Après avoir énoncé que la « Commission s'efforce de développer le dialogue
entre les partenaires sociaux au niveau européen et que les Etats membres et la
Commaunuté ont pour objectifs », entre autres, « l'amélioration des conditions
de vie et de travail, une protection sociale adéquate, le dialogue social »,
après avoir rappelé que « les régimes de pension visent à garantir un certain
niveau de pension à tous les travailleurs et ainsi contribuent à l'amélioration
de l'une des conditions de travail, à savoir leur rémunération », la Cour a
jugé que la « décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation
à de tels fonds ne saurait être considérée comme imposant ou favorisant la
conclusion d'ententes contraires à l'article 85 du traité ».
La Cour a poursuivi en indiquant que le « régime de pension géré exclusivement
par des fonds de cette nature et de manière exclusive concourt, qui plus est, à
caractériser ce fonds par un degré de solidarité élevé », et cela en raison de
plusieurs facteurs : l'indépendance des cotisations par rapport aux risques ;
l'obligation d'accepter tous les travailleurs ; la continuation de la
constitution de la pension en dispense de versement de cotisation en cas
d'incapacité de travail ; la prise en charge par le fonds d'arriéré de
cotisation dû par l'employeur en cas de faillite de ce dernier ; enfin,
l'indexation du montant des pensions, afin de maintenir leur valeur. Toutes
choses que nous préconisons et qui, bien sûr, ne figurent pas dans la présente
proposition de loi, pas plus qu'elles ne figuraient dans la loi Thomas.
D'autres enseignements pourraient être tirés de ces arrêts, mais je m'en
tiendrai là, préférant prendre rendez-vous avec le Gouvernement pour l'examen,
dès l'an prochain, d'un texte qui réponde à nos préoccupations et surtout à
l'attente des salariés.
En conclusion, j'ai l'impression que, par ce texte, l'opposition nationale
tente de nous montrer qu'elle existe, et ce à propos d'un sujet
particulièrement sensible. Mais vous procédez, mes chers collègues, d'une façon
particulièrement maladroite et complètement inopportune. Dans ces conditions,
ne comptez pas sur la contribution du groupe socialiste à la discussion des
articles.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Charles Descours,
rapporteur.
Quelle tristesse !
M. le président.
La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me
réjouis du débat qui s'ouvre devant le Sénat sur cette proposition de loi
tendant à instituer un système d'épargne retraite.
Je suis un peu déçu par les propos que M. Massion vient de tenir.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Nous préférons, certes, ceux de M. Fabius !
M. Jean Arthuis.
Nous sommes ici pour débattre d'un sujet essentiel : le moyen de gager la
solidarité entre tous nos compatriotes.
Merci, monsieur le ministre, d'être venu vous-même prendre part à ce débat
pour nous exposer le point de vue du Gouvernement et sans doute nous expliquer
ses atermoiements successifs.
Je voudrais également remercier et féliciter Charles Descours, rapporteur de
la commission des affaires sociales, et Philippe Marini, rapporteur pour avis
de la commission des finances.
L'évocation de ce sujet a, bien entendu, un caractère quelque peu récurrent.
Il est vrai qu'ici même, comme à l'Assemblée nationale, des initiatives ont été
prises il n'y a pas si longtemps pour instituer - enfin ! - en France un
dispositif d'épargne retraite et sortir de notre originalité nationale.
Je dois exprimer notre étonnement. Nous sommes aujourd'hui dans une situation
bien singulière puisqu'une loi a été votée, mais qu'elle n'a pas reçu de
décrets d'application. Vous me permettrez de penser, monsieur le ministre,
qu'il s'agit d'une sorte de « ni ni » : ni application ni abrogation.
Alors que des voix s'élèvent aujourd'hui de toutes parts pour exprimer une
légitime inquiétude sur le financement de notre système de solidarité, comment
fera-t-on face aux pensions aux échéances 2010 à 2015 ? Cela a été dit
excellemment par les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune. Je n'y
reviendrai donc pas.
Je souhaite demander au Gouvernement de nous faire part de ses vues sur ce qui
va être mis en oeuvre et lui dire que nous ne pouvons pas nous accommoder de la
création d'un fonds de réserve.
Je sais bien que l'heure est à la « balkanisation » du budget : plan de
financement de la sécurité sociale, qui va capter une partie des ressources
fiscales au-delà des charges sociales ; fonds spéciaux créés ici ou là,...
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
On les supprime
!
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
On en supprime d'un côté, on en crée de l'autre
!
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il y en a
dix-neuf de moins !
M. Jean Arthuis.
... sans doute pour parfaire la présentation.
Monsieur le ministre, on ne peut pas, en l'espèce, s'accommoder d'un fonds de
réserve. Cela fait partie d'une illusion ambiante, qui relève d'ailleurs d'un
art délicat. Si l'Etat dote un fonds de réserve, il le fera par accroissement à
due concurrence de la dette publique. Je voudrais bien que l'on m'explique en
quoi cela pourrait constituer un progrès !
Il faut donc accomplir un pas décisif pour sortir de cet embarras, de cette
inaction, et aller de l'avant parce que l'épargne salariale n'est pas destinée
à se transformer nécessairement en épargne retraite. Considérée plutôt par les
salariés comme un complément de revenu, l'épargne salariale a vocation à
conserver une certaine liquidité, et l'assimilation que l'on voudrait faire est
foncièrement incompréhensible.
Quant aux contrats de groupe, qui sont un élément de retraite par
capitalisation, ils ne sont appliqués que dans les très grandes entreprises.
Aussi bien, dans nombre de PME, les salariés ne sont pas aujourd'hui en
situation d'adhérer à un dispositif d'épargne retraite.
Etrange situation puisque, dans la fonction publique, des dispositifs
d'épargne retraite ont été institués, semble-t-il à la satisfaction de tous
ceux qui y participent. Je ne sache pas qu'il s'agisse d'un système
obligatoire. Alors pourquoi priver les salariés des entreprises de cette
possibilité ?
Nous l'avons dit les uns et les autes, il ne s'agit en aucune façon de
remettre en cause les systèmes par répartition.
Si j'ai déposé un amendement sur l'exonération des abondements dans la limite
des marges offertes aux contrats complémentaires de retraite - je pense aux «
contrats chapeaux », à l'assurance qui prévaut dans les grandes entreprises -
je n'aurai pas de mal à suivre M. Charles Descours dans sa proposition de
maintenir l'abondement comme assiette de cotisation pour le régime général
d'assurance vieillesse. Il s'agit de constituer des fonds dont la vocation est
de s'investir dans le secteur productif et de contribuer ainsi à la création
d'emplois, moyen le plus efficace d'assurer la cohésion sociale.
La réforme que nous souhaitons doit s'inspirer de trois grands principes : une
certaine souplesse, une exigence de sécurité et, enfin, l'efficacité
économique.
Une certaine souplesse : donnons donc la priorité à la négociation collective,
à l'initiative, initiative de l'employeur lorsque la négociation a échoué,
initiative du salarié, qui pourra adhérer à un disposif existant s'il n'en
existe pas dans son entreprise ou dans sa branche.
Cette possibilité d'adhésion individuelle est, par ailleurs, une mesure
d'équité ; je pense aux salariés de PME, qui, faute de cette faculté, ne
seraient pas assurés de bénéficier d'une telle réforme.
Une exigence de sécurité : la gestion de l'épargne retraite doit revenir à des
organismes extérieurs. Il convient évidemment de veiller à la transparence de
cette gestion et de faire en sorte que toutes dispositions prudentielles
puissent être prises. Je remercie la commission des finances de s'en être
souciée tout particulièrement.
L'efficacité économique, enfin : pour assurer une montée en charge rapide du
nouveau système, nous avons besoin de dispositions particulièrement attrayantes
en termes d'exonérations de cotisations et de déductions fiscales, même si l'on
doit prendre quelques précautions à propos du financement du régime général
d'assurance vieillesse
Au-delà de l'objectif social, il s'agit aussi pour nous de renforcer les fonds
propres des entreprises et de mettre à leur disposition le produit de cette
épargne.
Liberté, responsabilité, solidarité, voilà, me semble-t-il, ce qui caractérise
notre proposition de loi !
Le Gouvernement nous met dans une curieuse situation puisque, je l'ai dit, la
législation existe mais qu'elle est bloquée : ni application, ni abrogation.
Je me réjouis que le Sénat reprenne l'initiative en ouvrant aujourd'hui ce
débat, saisissant la possibilité que nous offrent désormais notre règlement et,
surtout, la Constitution. Que Charles Descours en soit vivement remercié !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le temps de
parole dont je dispose m'incite à entrer directement dans la discussion.
A la vérité celle-ci ne commence pas aujourd'hui mais elle est la suite de la
discussion sur la loi Thomas et n'est que le prélude de celles qui vont encore
venir puisque l'assaut en faveur des fonds de pension n'est pas fini. Il finira
un jour, j'en suis sûr, ...
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Cela continuera !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... pour peu que nous tenions bon et que nous ne cédions pas à cette offensive
dont le coeur, à mes yeux, est de nature purement idéologique et peu en rapport
avec l'objectif que nous propose M. Marini.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Vous aimez les idéologies !
M. Jean Chérioux.
Oui, il les aime !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bien sûr, elles permettent de comprendre la réalité.
Mais du moins reconnaissez-le et n'encombrez pas nos discussions de soupesages
de chiffres qui ont peu de rapport avec la réalité, comme j'ai l'intention de
le démontrer.
Pour m'en tenir à l'instant...
(M. le ministre et M. le rapporteur
s'entretiennent en aparté ; M. Mélenchon s'interrompt.)
M. le président.
Poursuivez, monsieur Mélenchon ; il ne s'agit que d'un aparté entre M. le
ministre et M. le rapporteur.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Donc, pour en rester au document qui nous est soumis aujourd'hui, et puisque
je bénéficie de l'attention renouvelée de tous, je remercie tout d'abord ceux
qui nous l'ont proposé, puisqu'ils nous donnent l'occasion de prolonger cette
discussion là où elle doit se dérouler, c'est-à-dire au Parlement.
M. Marcel-Pierre Cléach.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Naturellement, je m'associe totalement aux critiques qui ont été formulées
tout à l'heure par mon camarade et ami Marc Massion, comme vous l'aviez deviné,
j'imagine, en vous référant à ce que j'ai pu dire à cette tribune sur la loi
Thomas concernant la place particulière qu'occupent les fonds de pension dans
la dynamique générale de ce nouvel âge du capitalisme dans lequel nous sommes
entrés.
Le fonds de pension est le bélier, en quelque sorte, qui prend d'assaut
l'ultime place forte des systèmes de protection sociale qui ont été constitués
sur le vieux continent, pour l'essentiel, compte tenu d'un rapport de forces
dans la répartition des bénéfices entre capital et travail qui faisait que
cette position était acquise. Cette protection sociale existe et c'est ce qui
est incompatible avec l'idée que se fait de l'avenir du monde et de nos
sociétés le système dans lequel nous vivons.
M. Jean Chérioux.
Belle idéologie !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais bien sûr, c'est une vision du monde !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Les idéologies sont légitimes !
M. Jean-Luc Mélenchon.
En tout état de cause, voilà comment, moi, je situe cette discussion.
Maintenant, passons aux chiffres. En cet instant, je ne m'attarderai que sur
un point. Tout le raisonnement par lequel vous tentez de convaincre de la
nécessité de ces fonds de pension comme résultant d'une espèce d'obligation
mécanique de la situation repose sur une idée : le régime de retraite par
répartition serait dans l'incapacité d'absorber le choc démographique à venir,
raison pour laquelle il faudrait vite, et dans l'intérêt même des personnes
concernées, passer à autre chose, c'est-à-dire aux fonds de pension.
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Tout repose sur cette idée. Et si elle n'est pas fondée, alors tout le reste
n'est plus qu'un débat de nature politique qui correspond à la vision,
également légitime, que nous avons, les uns et les autres, de la société. Mais
la démocratie est là pour nous départager !
Or, je juge, moi, que les chiffres produits portent en eux-mêmes une vision de
cette société et que, par conséquent, ils reposent sur des hypothèses.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est une question de taux de cotisation !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Les chiffres qui portent une vision de la société ! C'est
hasardeux !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais oui, monsieur le rapporteur, j'y viens, à ces chiffres, et vous allez
m'entendre, vous qui êtes toujours précautionneux dans vos arguments.
Si vous entrez dans la logique parcellaire qui consiste à établir un ratio de
dépendance entre ceux qui sont en activité, et qui sont à ce titre rémunérés,
et ceux qui ne s'y trouvent plus parce qu'ils sont à la retraite, vous obtenez
un ordre de résultat. C'est celui dans lequel d'ailleurs s'inscrit le rapport
Charpin.
Donnons les chiffres. Le nombre de personnes âgées de plus de soixante ans
s'élevait à 12,1 millions en 1995. Il serait de 17,8 millions en 2020, et de 22
millions en 2040. Les tranches actives de vingt ans à cinquante-neuf ans
devraient, à l'inverse, diminuer pour passer de 31,4 millions en 1995 à 32
millions, en 2020, et à 30,3 millions en 2040. Voilà qui est dit !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Il faut retarder l'âge de la retraite !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Dans cette présentation, le ratio de dépendance entre les personnes âgées de
plus de soixante ans à la retraite et celles qui auront entre vingt ans et
cinquante-neuf ans devrait, il est vrai, se dégrader fortement, passant de 38,5
à 72,6. Toute la démonstration repose sur ce point.
Mon ordre de raisonnement est totalement différent. Il faut considérer la
société dans sa globalité. De la même manière que l'on ne peut discuter de la
compétitivité d'une entreprise sans la situer par rapport à la compétitivité
globale du système économique d'un pays, de la même manière on ne peut pas se
contenter d'un rapport entre actifs et inactifs. On doit prendre ce rapport
dans la globalité de ceux qui sont inoccupés, qui sont donc à la charge de
toute la société, et ceux qui produisent la richesse. Tel est le rapport qui
compte. Lorsque vous adoptez cet angle de vision, vous êtes obligés de
constater que ceux qui ont entre zéro et vingt ans sont tout aussi à la charge
de ceux qui produisent que ceux qui ont au-delà de cinquante-neuf ans, et qui
ont accès à la retraite.
A partir de là, c'est une autre discussion qui commence. Elle concerne la
manière dont est répartie la richesse entre ceux qui produisent et les autres,
entre ceux qui sont occupés, et ceux qui sont inoccupés.
M. Jean Chérioux.
Et voilà !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cleach.
La CSG à 20 % !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Tout à fait, chers collègues !
Après, c'est une question de transfert. Ce qui n'est pas dépensé de ce côté-ci
le sera de ce côté-là. Vous devez tenir compte, dans cet équilibre, de la
dynamique d'ensemble du système, c'est-à-dire de la richesse supplémentaire qui
va être produite par les gains de productivité, sinon le calcul est entièrement
biaisé.
Tel est, en tout cas, l'ordre de raisonnement dans lequel, moi, je m'inscris,
et j'attends qu'on me démontre qu'il pèche dans l'équilibre qu'il propose.
Car, naturellement, vous l'avez bien compris, si vous fondez votre argument du
choc démographique sur le vieillissement de la population, à moins que vous
n'ayez trouvé le moyen de contourner ce fait naturel, cela signifie que la part
de jeunes entre zéro et vingt ans va diminuer dans la population totale et que
la charge qu'ils représentent pour l'ensemble de la société va également
baisser.
Quand vous faites cette balance-là, le résultat n'est plus du tout le même ;
il est bien loin d'être aussi catastrophique que celui qui est annoncé. Dans
ces conditions, en effet, on compte, pour 1995, 1,23 inactif par actif, et 1,54
en 2040. La différence n'est pas significative et ne justifie pas qu'on mette à
bas un système de retraite auquel nous sommes attachés.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Là, on ne comprend plus !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Une fois que l'on a apporté cette précision, on doit encore, à l'intérieur du
rapport actifs-inactifs, distinguer ceux qui sont au chômage et ceux qui
produisent. Avec le chômage de masse, le rapport dans l'ordre occupés-inoccupés
était de 1,59 en 1993.
Si, à l'avenir, tous les actifs potentiels étaient effectivement occupés - et
c'est là tout l'enjeu de la société du plein emploi proposée par le Premier
ministre - le ratio ne dépasserait jamais le chiffre de 1993. Mais peut-être
doutez-vous que le retour au plein emploi soit possible ?
M. Charles Descours,
rapporteur.
Monsieur Mélenchon, je comprends que vous ayez parlé du
paradis tout à l'heure. C'est le paradis socialiste !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur Descours, si vous pensez que le plein emploi est impossible, il faut
faire autre chose que parlementaire ! Assistante sociale, par exemple !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Pourquoi pas ?
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
On peut être les deux en même temps. Beaucoup
d'entre nous en font l'expérience quotidienne !
(Sourires.)
M. Charles Descours,
rapporteur.
Je rends, à cette occasion, hommage aux assistantes sociales
!
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous serez plus utile à aller faire de la réparation sur le terrain qu'à venir
siéger dans une assemblée parlementaire, où l'on est censé régler les problèmes
et non pas simplement cautériser les plaies. Mais nous avons aussi besoin de
gens pour cautériser les plaies. A chacun son métier !
M. Jean Chérioux.
Le plein emploi ne se décrète pas !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Prenons donc les hypothèses moyennes de chômage : 7 % en 2005, 5 % en 2010 et
4,5 % jusqu'en 2040. Vous le voyez, j'entre dans vos raisonnements. Vous devrez
alors constater que, dans ces hypothèses défavorables au projet des
socialistes, le ratio de dépendance constatable en 2040 ne serait pourtant plus
que de 1,66, cher monsieur Chérioux, soit 4,4 points de plus qu'en 1993.
Autrement dit, rien du tout !
Rien qui justifie le catastrophisme et l'alarmisme dans lesquels vous vous
êtes installés pour nous faire avaler ces fonds de pension que nous ne cessons
de remettre sur le bord de l'assiette et que nous ne voulons pas consommer !
De son côté, le rapport Charpin émet l'hypothèse d'un taux de chômage
stabilisé à 9 % à partir de 2005 ; ce n'est pas une hypothèse très optimiste
pour nous.
Dans ces conditions, le ratio entre les personnes de soixante ans et plus et
celles de vingt à cinquante-neuf ans devrait s'accroître de 88,6 % entre 1995
et 2040. C'est ce chiffre qu'on nous assène, et c'est celui qui fait peur.
Mais si l'on s'en tient au seul ratio réellement déterminant, que j'ai eu
l'avantage de vous présenter, celui des occupés par rapport aux inoccupés.
(M. le rapporteur sourit)
- vous pouvez sourire, monsieur le rapporteur,
mais il faudra démontrer le contraire ! - la charge que représentent les
inoccupés, dans l'hypothèse que je viens de présenter et qui part de chiffres
alarmistes sur le chômage, cette charge donc n'augmente que de 10 %, et de rien
de plus : 10 %, voilà de quoi l'on discute !
Je fais le pari que l'arbitrage sur les sommes à dégager pour faire face à ces
charges de retraite, nous pouvons en trouver la clé dans un nouveau régime de
répartition. Car, moi, en matière de redistribution de la richesse, je soutiens
que l'argent, pas plus que quoi que ce soit, n'a la vertu de pouvoir voyager
dans le temps et que vous ne cesserez jamais, quel que soit le modèle adopté
pour les retraites, de répartir de l'argent au présent ! Vous ne ferez jamais
rien d'autre, par conséquent, qu'une opération de redistribution. Dans un
instant, en accélérant mon propos, je vais vous le démontrer.
Toutefois, si l'inquiétude vous nouait à ce point, en cet instant, sachez que
vous disposez d'ores et déjà, en partant d'une nouvelle clé de redistribution,
des moyens de l'apaiser. En effet, en France, l'inégalité dans la répartition
entre la rémunération du capital et celle du travail est l'une des plus fortes
des pays riches. Ce n'est pas là un argument idéologique, chers collègues,
c'est un argument qui se rapporte à l'équilibre du système de répartition.
La masse salariale a encore diminué de 0,2 % en 1998, ...
M. Charles Descours,
rapporteur.
La masse salariale a diminué ? Je ne sais pas comment on a
fait pour augmenter les recettes de la sécurité sociale !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... de sorte que, pour parvenir à la moyenne européenne, il faut une
augmentation de trois points de la masse salariale.
Dans cette situation, non seulement l'équilibre de la sécurité sociale serait
retrouvé, mais Force ouvrière a calculé que cela procurerait 40 milliards de
francs supplémentaires pour les retraites du régime général !
Encore une fois, je suis obligé de vous dire que, si l'on part de la
répartition de la richesse ici et maintenant, base sur laquelle s'opérera la
répartition de la richesse demain et après-demain, toute la question sociale
reste une question de redistribution.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est une question de politique fiscale et de
prélèvements obligatoires !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ayant répondu à l'argument essentiel des théoriciens de la catastrophe du
système de retraite par répartition, je leur adresse à mon tour une
interpellation sur le même registre des rapports entre l'évolution de la
démographie et la sûreté du régime par capitulation,... excusez-moi, par
capitalisation.
(Sourires.)
Vous voyez que le lapsus...
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... est révélateur !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Oui, mais je pense bien ce que je pense : capitalisation égale capitulation,
bien sûr, monsieur Marini !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Pas de capitulation chez Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon.
J'affirme que les fonds de pension ne sont pas moins sensibles au choc
démographique que les systèmes par répartition, au contraire.
Il y a une équivalence fondamentale - équivalence logique, équivalence
formelle - entre les régimes de retraite par répartition et par capitalisation.
Dans le système par répartition, les actifs paient des cotisations qui
financent les retraites. Mise à part la mise en oeuvre de produits financiers,
dans un système par capitalisation arrivé à maturation, c'est la même chose.
Les fonds de pension versent des rentes aux retraités qu'ils paient grâce aux
nouveaux dépôts des actifs. L'argent ne voyage jamais dans le temps !
En outre, les rendements des systèmes par capitalisation ne sont pas forcément
meilleurs que ceux de la répartition, à l'inverse, je suis obligé de le dire,
de ce que prétend, par exemple, le rapport du Conseil d'analyse économique,
qui, lui, affirme : « Un franc immobilisé pendant trente ans devient 1,8 franc
ou 4,3 francs selon qu'il est placé à 2 % - régime par répartition - ou à 5 %,
ordre de grandeur raisonnable sur une longue période d'un portefeuille
diversifié. » Comment ne pas voir que cette miraculeuse multiplication des
petits pains n'est pas possible ?
La généralisation à l'ensemble de l'économie de ces calculs actuariels
individuels est une chose impossible, tout simplement parce que tous les
revenus ne peuvent pas augmenter de 5 % si le PIB n'augmente, lui, que de 2 % !
Le très fort rendement actuel de certains portefeuilles d'actions se fait
évidemment au détriment des autres revenus.
M. Guy Fischer.
Ceux de l'emploi !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Cette limite physique étant posée, on doit la corréler avec les rapports des
nombres réels de chaque génération en présence, dans la série temporelle
évoquée tout à l'heure.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Ce serait vrai si les frontières étaient étanches
!
M. Charles Descours,
rapporteur.
Bien sûr !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Le régime par capitalisation, monsieur Marini, est alors exactement dans la
situation démographique qu'on reproche à tort au régime par répartition. C'est
ce que démontre l'OCDE : « A mesure que les membres des générations du
baby-boom prendront leur retraite dans dix à vingt ans, ils auront très
certainement un comportement de vendeurs nets des titres accumulés durant leur
vie de travail. » C'est probable !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Ce n'est pas certain !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est même hautement probable. Sinon, pourquoi garder ces titres ? Je poursuis
ma citation : « La génération suivante étant de moindre taille, elle ne pourra
pas racheter l'ensemble des titres, et il existe donc une très forte
possibilité de baisse du prix des titres. »
(M. le rapporteur lève les yeux au ciel.)
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est le professeur Nimbus qui parle !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est un fait, messieurs les rapporteurs. On ne peut pas faire des reproches
chiffrés aux régimes par répartition et s'abstenir d'imaginer quelque hypothèse
défavorable que ce soit concernant la démographie à propos des régimes par
capitalisation !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Oui, mais il faudrait que l'âge de la retraite soit
le même partout !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Lors d'un colloque organisé par la Caisse des dépôts et consignations, au mois
de mars 1999, voici ce que déclaraient certains : « La génération d'actifs
actuelle a connu des salaires faibles et le chômage. Dans les systèmes gérés
par répartition, elle connaîtra des retraites peu élevées. Dans les systèmes
gérés par capitalisation, la situation ne sera sans doute pas meilleure. Elle
devra accumuler un capital très important pour assurer son revenu, car les
rendements sont faibles. » Ils ajoutaient : « Ce ne sont pas les placements en
actions qui pourront sauver les retraites. » Ils pronostiquaient même : « La
génération active présente sera sacrifiée. »
C'est la leçon de l'exemple américain, qu'ils résumaient d'une formule
frappante et qui se déduit facilement du raisonnement que je viens de présenter
: « Une génération nombreuse risque fort de payer cher, ou même trop cher, des
actions qu'elle revendra moins cher au moment de prendre sa retraite. Autrement
dit, le rendement de la retraite par capitalisation est faible pour une
génération nombreuse, alors qu'il est élevé pour une génération moins
nombreuse. »
Vous vous trouvez donc dans une situation exactement symétrique, du point de
vue de la démographie, de celle dont vous faites l'argument essentiel de votre
procès contre le régime par répartition.
C'est le paradoxe : contrairement à l'argumentation dominante selon laquelle
les tensions démographiques militent en faveur de la capitalisation, ce système
est plus sensible aux inflexions démographiques prévisibles qu'un régime par
répartition.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je conclus, monsieur le président.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Dommage, car c'est passionnant !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je souhaite avoir pu, à l'occasion de la démonstration que je viens de faire,
contribuer à démontrer que le débat n'est pas réduit à la confrontation entre,
d'un côté, les prétendus réalistes partisans raisonnables de la panacée que
seraient les fonds de pension et, de l'autre, les nostalgiques imprévoyants
accrochés à leur bon vieux système de répartition.
Il n'y a, une fois encore, rien de plus, mais c'est déjà beaucoup, que la
confrontation entre deux visions du modèle d'économie que nous jugeons
souhaitable pour notre pays.
Autant le reconnaître, les fonds de pension sont une illusion dévastatrice si
l'on se soucie des retraites. Ils sont, en revanche, un fantastique levier de
la dictature des actionnaires et de l'accumulation du capital au détriment de
toute autre considération d'intérêt général.
J'ai noté aussi - je l'avais affirmé à l'occasion du précédent débat sans
pouvoir m'appuyer sur des citations - que M. l'ambassadeur des Etats-Unis en
France, qui nous a livré le fond de sa pensée dans une interview parue dans
Le Monde
et citée par
Libération
, trouvait également aux fonds de
pension une forte vertu pédagogique que je livre en le citant à votre
méditation, et peut-être plus spécialement à celle des néophytes qui, depuis
quelque temps, tout d'un coup se sentent comme une inclination pour ce système
après l'avoir dans le passé - j'en ai encore la mémoire - beaucoup condamné.
Mais vous l'avez compris, messieurs Marini et Descours, ce n'est pas à vous que
je m'adresse !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Alors, c'est à M. Fabius que vous vous adressez !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bref, cet ambassadeur invite la France à se doter de fonds de pension afin de
discipliner les salariés et de leur faire intégrer les règles du marché. Le bon
apôtre ! Voici ce qu'il affirme : « Le capitalisme populaire a donné une
culture de propriété aux Américains,...
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... ce qui a eu des répercussions politiques : il y a dix ans, jamais le parti
démocrate n'aurait osé prôner un budget en équilibre, par exemple. Cette
culture de propriété a aussi permis d'amortir les chocs de restructuration des
grandes sociétés. »
C'est, au mot près, ce qu'a expliqué tout à l'heure M. Marini à propos de
l'état d'esprit dans lequel se trouverait l'actionnaire salarié au moment où il
apprendrait que, pour le bien de ses actions, il doit être licencié.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est un vrai problème !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Pour conclure, je dirai que cette culture américaine de dupes - je dis «
américaine » non pas pour la dévaluer, mais simplement parce que c'est aux
Etats-Unis que s'en trouve le coeur battant - qui fait de la victime
l'amortisseur de son bourreau représente, à mes yeux, une raison supplémentaire
pour refuser les fonds de pension, quand bien même ils sont proposés par
d'honorables sénateurs français, que je respecte totalement, comme vous le
savez, mes chers collègues.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi d'abord de lire, à l'intention de M. Mélenchon, l'intitulé de
l'une des propositions de loi que nous examinons : « Proposition de loi visant
à améliorer la protection sociale des salariés et créant des fonds de retraite
».
Toute l'argumentation de l'orateur qui m'a précédé visait à opposer le système
de retraite par capitalisation au système de retraite par répartition. Or tel
n'est pas l'objet de notre discussion d'aujourd'hui.
Nous sommes tous convaincus ici de la nécessité et de l'urgence qu'il y a à
réformer le système de retraite en France. Les chiffres ont été donnés et ils
viennent d'être discutés à l'instant par M. Mélenchon, avec un très grand brio.
Mais, je l'avoue, la complexité de ses explications ne m'a pas permis de saisir
la subtilité de son raisonnement.
(Exclamations sur les travées socialistes
et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Il est nécessaire et urgent de réformer notre système de retraite, car tout
retard dans la décision rendra plus douloureuses et, j'en suis convaincu, plus
injustes les dispositions qui devront nécessairement intervenir.
Avant même que le Gouvernement propose ses propres solutions et à la veille du
débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, le
Sénat se doit de prendre de nouveau position sur l'une des principales
questions qui se posent actuellement : faut-il créer ou non un troisième niveau
de retraite, facultatif et par capitalisation ?
A cette question, force est de constater que le Gouvernement n'a pas apporté
de réponse claire à ce jour. A la recherche, semble-t-il, d'un laborieux accord
avec sa majorité plurielle, il se garde bien d'annoncer un quelconque projet.
Après avoir condamné toute idée de complément de retraite par capitalisation,
le Gouvernement a certes évolué sous la pression des événements et au vu des
évolutions démographiques. Mais, à ce jour, on n'en reste qu'au stade des
intentions.
Pour sa part, la majorité sénatoriale a toujours été clairement favorable à la
création d'une épargne retraite facultative et par capitalisation. Plusieurs
propositions de loi ont été déposées depuis 1993, émanant des différents
groupes de la majorité, et notamment de l'Union centriste, avec la proposition
de loi de notre collègue Jean Arthuis. Notre position est, à cet égard,
conforme à l'évolution générale en Europe, quelles que soient les majorités au
pouvoir !
L'ensemble des pays européens connaissent en effet une crise de leurs systèmes
de retraite par répartition, que ce soient ceux qui disposent de systèmes de
pensions forfaitaires ou ceux qui, comme en France, versent une pension
proportionnelle au revenu d'activité.
Tous, ou presque, ont institué un supplément de retraite par capitalisation.
J'ai ici un tableau spectaculaire qui présente les systèmes des différents
pays, soit principalement par répartition, soit principalement par
capitalisation, soit, comme en Allemagne, mi-répartition, mi-capitalisation.
Il est intéressant, dans cette carte du monde, de constater que deux pays de
l'Union européenne dirigés par un gouvernement socialiste, mais qui
s'inscrivent, à vrai dire, dans ce que l'on appelle la troisième voie - dont on
vous dit parfois proche, monsieur le ministre - à savoir l'Allemagne et la
Grande-Bretagne, ont mis en place un système par capitalisation.
Le Gouvernement, sauf à penser que l'idéologie le rendrait sourd et aveugle,
ne peut pas méconnaître l'évolution économique actuelle ni le poids croissant
des fonds de pension étrangers au sein de nos propres entreprises.
Je regrette que M. Mélenchon ait quitté l'hémicycle. Voilà un instant, il a
fait abstraction du cadre qui s'impose désormais à tous les pays, à savoir la
mondialisation. Au fond, il a donné le sentiment d'être replié sur l'Hexagone,
en faisant une critique intelligente des effets, pervers selon lui, du système
par capitalisation. Il n'a pas fait état de l'importance des fonds de pension
étrangers dans l'évolution des entreprises françaises.
Voilà quelques semaines, un journal du dimanche consacrait une pleine page à
l'analyse des conséquences de la mise en place des systèmes de fonds de pension
étrangers et de leur influence en France. Le titre de cet article était
significatif : « Ces Américains qui nous possèdent ».
Je suis lorrain. Peu de salariés de Daewoo sont conscients de leur dépendance
vis-à-vis d'un fonds de pension américano-saoudien, s'agissant de décisions qui
risquent de les frapper de plein fouet ? Une partie du capital de Pechiney est
détenue par des fonds de pension étrangers. Dans la bataille bancaire entre la
BNP, la Société Générale et Paribas, les fonds de pension étrangers sont
intervenus.
Je me suis renseigné, voilà quelques semaines, sur la structure du capital de
Michelin. Elle correspond à ce qu'évoquait tout à l'heure M. le rapporteur. En
effet, 30 % à 35 % du capital est détenu par des fonds de pension étrangers.
Les conséquences qui résultent de ce fait ne doivent pas être sous-estimées,
quel que soit le raisonnement que l'on peut tenir par ailleurs.
Telles sont les raisons pour lesquelles les dispositions proposées par la
commission des affaires sociales doivent recueillir notre adhésion. En effet,
elles sont les seules qui sont susceptibles d'apporter les réponses à deux
questions essentielles : l'avenir de la retraite de nos concitoyens et le
moteur économique que peut représenter la mobilisation de ces fonds d'épargne
longue.
L'épargne retraite ne doit pas être réservée aux seuls initiés. Elle doit être
comprise par l'ensemble des Français, à l'instar de notre système de
participation. Ainsi, nous aurons accompli un progrès accessible à tous, et
nous aurons rassuré ceux qui craignent que l'institution de fonds de pension ne
remette en cause les régimes de retraite par répartition, auxquels nous sommes
historiquement, socialement et politiquement très attachés.
Je terminerai en répondant sur un point à M. Mélenchon. Selon lui, les effets
de l'évolution de la productivité et du chômage suffiraient à résoudre les
problèmes futurs du système de retraite par répartition. Or, le rapport
Charpin, qu'il a d'ailleurs peu évoqué, a montré qu'une évolution favorable de
la productivité et du chômage n'avait qu'une incidence marginale sur
l'amélioration de la situation financière des régimes de retraite.
Il va de soi que le groupe de l'Union centriste votera les conclusions de la
commission des affaires sociales sur les propositions de loi sénatoriales en
faveur de l'épargne retraite.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'enjeu du
débat sur l'épargne retraite est double : offrir une possibilité de complément
d'assurance vieillesse à nos concitoyens dans un contexte démographique de plus
en plus défavorable aux régimes de retraite par répartition et, parallèlement,
améliorer le financement des entreprises françaises.
Je n'insisterai pas sur cette problématique, qui a été largement développée
par MM. les rapporteurs et par la plupart des orateurs qui se sont succédé à la
tribune.
Je souhaiterais néanmoins réfuter quelques idées reçues qui polluent trop
souvent un débat fondamental sur un problème qui « rattrapera » inéluctablement
les prochains gouvernements, quelle que soit leur tendance politique : la
question de l'équilibre financier des retraites et de la création d'un
complément de pension constitué par capitalisation.
Cette dernière idée serait d'inspitation ultra-libérale et individualiste ! Et
de citer l'exemple anglais et américain, sans oublier la faillite des fonds
Maxwell.
En premier lieu, rappelons que la constitution d'un fonds de réserve pour les
retraites par le Gouvernement est, elle aussi, inspirée par l'idée de
capitalisation, une capitalisation collective et centralisée certes, mais en
rupture avec une stricte conception de la retraite par répartition qui a été
celle de la gauche française durant ces dernières années.
Mesdames, messieurs de la majorité plurielle, encore un effort et vous finirez
bien par accepter notre projet d'un supplément de retraite constitué
individuellement, dans un cadre décentralisé !
Quant au cas des fonds Maxwell, il démontre les dangers d'une gestion interne
des fonds de pension, ce qui a été pris en compte par le projet mis en forme
par les propositions du Sénat : la responsabilité de cette gestion doit revenir
à des organismes extérieurs, soumis aux règles prudentielles de l'assurance.
Mais, en tout état de cause, aucune personne de bonne foi ne peut nier le
succès rencontré notamment par les fonds de pension aux Etats-Unis : plus de 3
000 milliards de dollars ! Ce succès a grandement contribué à la forte
expansion du marché boursier outre-Atlantique ces dernières années.
La création de fonds d'épargne retraite à la française pourrait sans doute
renforcer la place financière de Paris face à ses concurrentes de Londres ou de
Francfort.
L'enjeu n'est donc pas d'ordre idéologique. Il s'agit seulement de tenir
compte des rapports de forces nés de l'ouverture des marchés financiers dans le
cadre européen et mondial.
Une autre critique est également formulée à l'égard des fonds de retraite : il
s'agirait d'accorder des avantages financiers et fiscaux injustes aux
catégories de contribuables les plus privilégiés. Le souci de la majorité
sénatoriale et de nos commissions est absolument inverse.
Ainsi, les salariés les plus modestes, qui ne payent pas d'impôt sur le
revenu, bénéficieront d'une exonération totale de cotisations sociales sur
leurs versements afin de compenser la déduction en matière d'impôt sur le
revenu à laquelle ils ne pourront procéder. En outre, afin de ne pas exclure du
dispositif les employés ne disposant pas de fonds d'épargne dans leur
entreprise ou leur branche d'activité, chaque salarié aura la possibilité
d'adhérer individuellement à un fonds existant.
Alors que les carrières professionnelles sont de moins en moins linéaires,
notre souhait a été de donner le maximum de souplesse au système, chaque
adhérent étant appelé à contribuer selon ses possibilités et ses besoins, en
toute liberté. Une possibilité de transférer les sommes accumulées sur d'autres
fonds en cas de changement d'emploi est également prévue.
C'est donc le souci de l'équité qui nous a guidés en premier lieu, et non le
souhait de créer un nouveau produit d'épargne parmi d'autres.
A propos des règles d'affiliation que nous avons définies, peut-être
pourrait-on regretter l'exclusion des professions indépendantes. Certes, ces
dernières bénéficient déjà d'un dispositif spécifique mis en place par la loi
du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle.
Cependant, la possibilité d'adhérer aux nouveaux fonds pour les groupements
dits « de la loi Madelin » avait été envisagée au cours de l'examen de la loi
de mars 1997. La proposition de loi du groupe de l'Union centriste avait repris
cette idée au vu des premiers résultats plutôt modestes des produits d'épargne
retraiteréservés aux non-salariés.
Tout en me ralliant à l'avis de MM. les rapporteurs, qui jugent préférable de
réserver le futur dispositif aux seuls salariés, je crois qu'il convient, à
terme, de réfléchir à une certaine harmonisation des règles applicables en
matière de retraite par capitalisation entre les fonctionnaires, les
non-salariés et, demain, nous l'espérons, les salariés de droit privé.
En conclusion, je souhaiterais m'adresser au Gouvernement : voilà un an, au
cours de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale,
j'avais défendu devant le Sénat un amendement du groupe de l'Union centriste en
faveur de la mise en place de fonds d'épargne retraite. Mme Martine Aubry, dans
sa réponse, s'était montrée ouverte au dialogue avec la Haute Assemblée.
Je ne sais si cette référence est opportune...
En tout cas, nous souhaitons tous que cette journée réservée à l'examen de
deux propositions de loi puisse permettre de faire avancer la réflexion sur
l'indispensable mise en place de suppléments de retraite par capitalisation en
France.
Il n'est que temps d'en finir avec la langue de bois et l'absurde opposition
entre retraites par répartition et par capitalisation. Ces deux systèmes sont
des modalités complémentaires de résolution de l'un des grands problèmes qui va
dominer les prochaines décennies, celui du partage de la richesse entre les
générations. Sachons utiliser les avantages des deux systèmes et cessons d'en
faire les otages d'affrontements idéologiques totalement dépassés.
Enfin, j'adresserai mes remerciements et mes félicitations à nos deux
rapporteurs pour leur travail approfondi et instructif sur un sujet qui ne
devrait pas tarder à occuper de nouveau l'actualité du Parlement.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, ces propositions de loi
sénatoriales sont l'occasion une fois de plus - mais ce n'est jamais inutile -
de mener le débat au fond. De ce point de vue, la thèse qui est défendue, à
savoir la possibilité de mettre en place un complément de retraite financé par
l'épargne, mérite considération, et ce thème trouve, c'est clair, un large écho
auprès des Français.
Je voudrais, en cet instant, résister à plusieurs tentations.
La première serait de regarder avec un air moqueur la succession de textes que
la majorité sénatoriale actuelle ou la majorité d'hier, à l'Assemblée
nationale, a pu proposer, qu'il s'agisse de la loi Thomas, de la proposition de
loi de M. Douste-Blazy ou des propositions de loi qui sont examinées
aujourd'hui, comme si la répétition pouvait obligatoirement faire avancer le
débat. Bergson considérait que le comique naît de la répétition. Tel n'est pas
mon sentiment. En effet, comme je le disais au début de cette intervention,
plus nous discutons de ces questions, plus nous arrivons à nous comprendre.
Une autre tentation symétrique à laquelle je résisterai aussi consisterait à
souligner les différences entre ces textes et à voir les raisons pour
lesquelles les choses ont pu bouger : pourquoi, deux ans après avoir voté la
loi Thomas - c'était en mars 1997 - adoptez-vous maintenant une position
différente ? Comment expliquer une telle évolution ?
Une dernière tentation serait d'insister sur un certain nombre de divisions au
sein même de la majorité de cette assemblée, et j'y résisterai également.
Pourtant, comme l'a dit tout à l'heure M. Massion, la différence est grande
entre la version initiale des deux propositions de loi et les conclusions de la
commission. Sans doute est-ce le signe du bon fonctionnement des commissions
d'une assemblée parlementaire que de permettre l'amélioration d'un texte !
Venons-en au fond. Dans quel cadre nous trouvons-nous ? Je distinguerai, à cet
égard, deux éléments.
Il y a, tout d'abord, l'histoire très réelle de notre système de retraite que
majorité et opposition sénatoriales, tout comme moi-même d'ailleurs,
revendiquent. Je crois en effet que nous sommes tous fiers du système de
retraite tel qu'il a été mis en place, système qui résulte du choix de la
gauche, mais pas seulement : ce choix de la répartition a en effet été
largement le choix de la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et
nous y sommes attachés pour des raisons que chacun connaît et sur lesquelles je
ne m'attarderai donc pas longtemps.
Nous sommes tous attachés à ce choix tout d'abord en raison de sa philosophie
même, qui est une philosophie de solidarité entre les générations et qui
constitue aujourd'hui un élément déterminant du pacte social dans notre pays ;
nous y sommes attachés également en raison de ses modalités, puisque ce système
associe à sa gestion les partenaires sociaux, et enfin - pourquoi ne pas le
dire ? - en raison même de ses résultats.
En effet, hier, de nombreux retraités ont pu bénéficier d'une retraite alors
qu'un système de capitalisation ne leur aurait pas permis d'en percevoir une
dans la mesure où ils n'avaient pu cotiser lorsqu'ils étaient actifs ; c'est,
parmi d'autres, une raison fondée ayant conduit au choix de la répartition au
lendemain de la guerre. Aujourd'hui, les retraités bénéficient d'un niveau de
vie égal, voire supérieur, à celui des actifs en raison de l'évolution
parallèle du revenu des retraités et du revenu des actifs, évolution qui
résulte du système de la répartition et qui est l'expression du choix
solidaire.
De tout cela découle une priorité politique consistant à préserver le système
de retraite par répartition et à faire tout ce qui est possible pour assurer
son bon fonctionnement.
L'autre élément du cadre dans lequel nous nous trouvons est une loi très «
virtuelle » - je reprends la terminologie de M. le rapporteur pour avis - que
le Gouvernement, à l'évidence, réprouve : la loi Thomas.
En 1996, la gauche avait combattu cette loi Thomas, et ce principalement pour
deux raisons, encore que de nombreuses raisons techniques pourraient également
être invoquées.
Tout d'abord, sous couvert de la mise en place d'un dispositif limité, la loi
Thomas menaçait en réalité la répartition, comme beaucoup d'entre vous l'ont
d'ailleurs reconnu dans une certaine mesure, en proposant de changer l'un des
aspects fondamentaux de ce texte. En effet, d'une part, les sommes dévolues
étaient exonérées de la cotisation vieillesse et, d'autre part - c'est plus
indirect mais au moins aussi important - la loi Thomas mettait en place des
mécanismes de contournement des partenaires sociaux. Or, comme je le disais
tout à l'heure, l'une des forces de notre système de répartition, l'une des
raisons pour lesquelles nous y sommes attachés, tient précisément à
l'implication des partenaires sociaux dans sa gestion.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Pourvu que cela dure !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le Gouvernement,
pour sa part, souhaite que cela dure, et il déplorerait que certains
partenaires prennent des positions différentes.
La loi Thomas mettait donc clairement en place des mécanismes de
contournement.
Tout d'abord, la négociation de six mois était, en fait - il faut bien le
reconnaître sans vouloir être polémique -, une négociation alibi : en effet, si
la négociation n'avait pas abouti, au bout de six mois, l'entreprise pouvait
mettre en place ce fonds de façon unilatérale. Voilà tout de même une drôle de
manière de négocier !
Par ailleurs, les comités de surveillance étaient mis en place sans les
organisations syndicales.
La gauche avait donc combattu la loi Thomas, en 1996, en raison tout d'abord
de la mise en cause, de la dénaturation du système qu'induisait ce texte.
J'en viens à la seconde grande raison du combat de la gauche contre ce texte :
cette loi était fortement inégalitaire puisque les régimes de déductibilité
fiscale et sociale prévus favorisaient systématiquement les hauts revenus.
Telles sont donc les raisons pour lesquelles nous avons choisi d'abroger la
loi Thomas.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Vous pouviez l'amender !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Plusieurs d'entre
vous ont fait un peu de rhétorique en s'étonnant que la loi soit toujours là,
qu'elle n'ait pas été abrogée, et en réclamant qu'on l'adopte ou qu'on
l'abroge. Chiche !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Il suffit de l'amender !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Chiche ! Si cette
assemblée souhaite en finir avec la loi Thomas, le Gouvernement est prêt à
soutenir un amendement que la commission voudra bien présenter en vue d'une
abrogation
(M. le rapporteur rit)
, conformément à ce que vous sembliez,
les uns et les autres, réclamer tout à l'heure au motif qu'une porte doit être
ouverte ou fermée.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Nous réclamons la clarté !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eh bien, fermons
la porte ! Nous avons pensé qu'il n'était pas nécessaire de vous faire perdre
du temps avec l'abrogation d'une loi virtuelle ; mais si cela vous paraît plus
clair, j'en suis d'accord, et je soutiendrai donc un amendement dans ce sens
émanant du Sénat.
Plusieurs orateurs de la majorité sénatoriale ont souligné qu'il y avait
urgence. Evidemment, il serait facile de vous demander en retour pourquoi vous
n'avez pas traité le problème plus tôt !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Nous l'avons fait !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La loi Thomas
date du 25 mars 1997. Or, le problème n'est pas né le 25 mars 1997 !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est mieux que le 14 octobre 1999 !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. le rapporteur
a indiqué que la France était un des rares pays à ne pas avoir d'épargne par
capitalisation. Mais si nous avions vraiment voulu - si vous aviez voulu ! -
que notre pays ait véritablement un système de retraite par capitalisation - je
ne dis pas que je le souhaite ou que je ne le souhaite pas, je me mets à votre
place - il aurait fallu, pour qu'il ait une réalité, le mettre sur pied dans
les années cinquante, ou dans les années soixante au plus tard. Or, je crois me
rappeler que, dans les années soixante, étaient au pouvoir non pas mes amis,
mais les vôtres !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Ce n'était pas dans l'air du temps !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vouloir, en
France, développer, parallèlement au système de retraite par répartition mis en
place au lendemain de la guerre, un système de retraite par capitalisation
puissant, massif, peut se discuter ; en effet, toute opinion est légitime.
Cependant, c'est vous, je crois, monsieur le rapporteur, qui, citant le
rapport Charpin, disiez qu'il était trop tard pour mettre en place un système
de cette nature. On peut envisager maintenant la mise en place d'un système
pour lisser les bosses, mais plus celle d'un système occupant une large place
dans notre système de retraite, lequel aurait dû être réalisé il y a vingt ou
trente ans.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Mieux vaut tard que jamais !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Encore une fois,
au cours de ces trente dernières années, le courant politique que représente la
majorité sénatoriale a été plus souvent au pouvoir que celui auquel
j'appartiens et, si je remonte aux quarante dernières années, la proportion
devient alors dévastatrice !
Ne faisons pas de reproches à nos aînés, ou alors, si nous devons en faire,
soyons honnêtes entre nous : c'est aux vôtres qu'il faut les faire beaucoup
plus qu'aux miens !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Facile !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'en viens à la
dernière question sur la méthode : « Pourquoi n'avez-vous pas sorti les décrets
d'application de la loi Thomas ? », demandez-vous. Parce que nous n'étions pas
favorables à cette loi ! D'ailleurs, ces décrets auraient très bien pu être
publiés entre mars 1997 et la date des élections par lesquelles le pays a
manifesté sa volonté de changer de majorité ! En effet, comme vous le savez,
l'administration peut travailler vite quand on le veut ! Prenons l'exemple de
la récente réforme de la TVA.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Ou celui du fonds de réserve !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
L'instruction
fiscale sur l'abaissement de la TVA concernant les travaux dans le bâtiment a
été publiée le 15 septembre, c'est-à-dire le jour même de son annonce en
conseil des ministres. De plus, il s'agissait d'une instruction fiscale qui,
malheureusement, parce que notre fiscalité est complexe, comportait un nombre
de pages assez important. Par conséquent, lorsqu'on veut que les choses soient
faites, il suffit de les faire ! Vous aviez donc tout loisir d'agir.
Je ne veux pas taquiner M. Arthuis en lui demandant s'il savait ou non que le
Président de la République avait l'intention de dissoudre l'Assemblée nationale
! Il pouvait ainsi avoir le sentiment qu'il avait du temps devant lui.
Toutefois, si c'était si urgent que cela, n'était-il pas possible de sortir les
décrets d'application rapidement ? Or je constate que tel n'a pas été le
cas.
Je vous ai dit ce que je pensais de cette loi, je n'y reviens pas.
Pour autant, pourquoi s'opposer aujourd'hui au texte que nous propose la
majorité sénatoriale ?
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Ah ! Venons-en au débat du jour !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Tout d'abord, il
pourrait y avoir de mauvaises raisons. Nous pourrions ainsi nous y opposer par
principe, parce que la majorité sénatoriale n'est pas celle dont émane le
Gouvernement. Evidemment, nous ne pouvons pas retenir une telle raison !
On pourrait également s'y opposer par irritation, en voyant comme une sorte de
manoeuvre, à un moment où chacun sait que la majorité et le Gouvernement
travaillent sur cette question, le fait de vouloir, dans un interstice du
calendrier parlementaire, mener une discussion avant celle que le Gouvernement
entend conduire.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Oh ! Jamais !
M. Guy Fischer.
C'est ce que vous recherchez, néanmoins !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais nous ne le
ferons pas : ce n'est pas notre genre !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Nous non plus !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Alors, si l'on
écarte les mauvaises raisons, quelles peuvent être les bonnes ?
Il y a d'abord le calendrier. Si nous sommes tous d'accord sur le fait que,
avant tout, ce qui importe, c'est la répartition, alors il faut que les
décisions sur la répartition soient prises.
Vous me direz : qu'attend-on pour les prendre ? Eh bien, nous avons mis en
place une méthode, qui a consisté à engager une concertation, et je ne crois
pas que la concertation soit du temps perdu. A cet égard, nous avons peut-être
une différence d'appréciation.
Cette méthode a conduit à un diagnostic que vous considérez comme peu partagé,
mais dont je pense, pour ma part, qu'il a été partagé sinon par 100 % des
acteurs, du moins par une large fraction d'entre eux. En cette matière comme
dans d'autres, la concertation n'est donc pas du temps perdu. Je crois
d'ailleurs me rappeler que, pour ne pas avoir choisi cette voie, la majorité
précédente a connu - ce devait être vers la fin de l'année 1995 - quelques
désordres qui ne sont peut-être pas totalement étrangers à la façon dont
l'histoire politique de notre pays s'est organisée dans les années
suivantes.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Laissez les historiens en débattre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ce sont des
matières complexes, il y faut du temps, il y faut de la concertation, et vous
ne convaincrez pas le Gouvernement que la concertation est du temps perdu.
Outre les raisons de calendrier et de méthode, il y a aussi des raisons de
contenu.
Sur le contenu, je dois à la justice de dire que des progrès considérables ont
été réalisés dans votre expression et, au-delà de l'expression, dans ce que
vous traduisez dans le texte que vous proposez. En effet, vous vous êtes
finalement rangés à notre vision des risques de « siphonnage », si vous me
passez l'expression, de la répartition que comportait le texte dit « loi Thomas
». Dans votre proposition de loi, vous avez corrigé ce point, comme vous l'avez
souligné. Je vous en donne acte et je suis ravi de voir que vous nous
rejoignez.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Alors, donnez-nous un avis favorable !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Tout à fait !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
De ce point de
vue, monsieur le rapporteur, puisque vous avez commencé en citant Boileau - «
Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage » - j'admets que vous avez
progressé. Cela étant, vous n'êtes pas encore au bout : vous en êtes à la
dix-neuvième fois, la vingtième viendra en son temps.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Ce sera vous ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Même si vous avez
progressé, il reste cependant des divergences entre nous, et la principale
d'entre elles, me semble-t-il - c'est une divergence de principe sur le sens de
votre réforme, et elle est forte - c'est que, si votre texte pose encore des
problèmes au-delà des questions techniques mais c'est peu de chose - sur les
cotisations à prélever sur ces sommes, il continue, de mon point de vue, à
mettre en cause les droits collectifs des salariés en prévoyant, comme le
faisait d'ailleurs déjà la loi Thomas, la possibilité d'une mise en place
unilatérale, après une concertation de six mois qui, encore une fois, me semble
être un peu un alibi.
M. Charles Descours,
rapporteur.
J'ai porté sa durée à un an !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pardonnez-moi,
monsieur le rapporteur : le délai que vous avez prévu est effectivement plus
long. Cela étant, à partir du moment où, au terme du processus, on peut prendre
des décisions sans tenir compte des résultats de la concertation, on voit bien
que l'on vide celle-ci de l'essentiel de sa signification ! En effet, si un
accord n'a pas été trouvé, il suffit d'attendre sans chercher à parvenir à une
solution collective et, au bout d'un an, on a les mains libres.
Je suis surpris qu'une majorité sénatoriale qui n'a jamais suffisamment de
voix pour critiquer l'unilatéralité de nos décisions, en matière de trente-cinq
heures par exemple - sur un sujet comme celui-là, combien de fois ai-je entendu
dire qu'il fallait laisser la négociation jouer librement sans que l'Etat s'en
mêle et sans imposer de décision unilatérale ! - puisse adopter une telle
attitude dans notre débat d'aujourd'hui.
Ce qui vaut pour le temps des hommes me semble valoir plus encore pour
l'accumulation financière et, si je peux concevoir qu'un gouvernement prenne
des décisions à propos du temps de vie et de travail des hommes, j'estime que,
lorsqu'il ne s'agit que d'affaires financières, on doit laisser la négociation
aboutir, proscrire les décisions unilatérales et ne pas mettre en place des
procédures qui risqueraient de vider finalement la concertation de sa
substance, de telle sorte que, au bout d'un an - pardonnez-moi, monsieur le
rapporteur, d'avoir manqué le passage de six mois à un an - on puisse, au sein
de l'entreprise, faire ce que l'on a décidé de faire sans avoir obtenu l'accord
des salariés. Je crois qu'il y a donc véritablement là une différence entre
nous, et elle est d'importance.
Quels sont les choix du Gouvernement en la matière ? D'abord, et cela ne vous
surprendra évidemment pas, consolider le régime de retraite par répartition. Il
y a des problèmes d'équilibre financier, la France vieillit - ce qui,
d'ailleurs, n'est pas en soi un drame - et ce pour plusieurs raisons profondes
: une natalité sans doute plus faible qu'on pourrait le souhaiter, mais aussi
les progrès de la médecine et l'allongement de la durée de la vie, dont
personne ici ne se plaindra.
Pour faire face à ces problèmes, il faut prendre des décisions. Le
Gouvernement les a annoncées pour la fin de cette année ou le début de l'année
prochaine.
Certaines ont d'ailleurs déjà été prises : je pense notamment au fameux fonds
de réserve,...
M. Charles Descours,
rapporteur.
Nous l'avons voté !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie des finances de l'industrie.
... qui a été l'objet
de vos lazzis répétés.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
De nos questions insistantes, plutôt !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
S'il s'agit de
questions, je vais donc essayer d'y répondre, d'autant plus que M. Arthuis
réclamait tout à l'heure des explications.
S'agissant d'un fonds de réserve, il est évidemment toujours facile de dire
qu'il n'y a pas assez. Il n'y a sans doute jamais assez ! Personne ne prétend,
au demeurant, que le fonds de réserve suffira en lui-même à tout résoudre. Il
est toutefois quelque peu paradoxal de dire tout à la fois qu'il n'y a pas
assez et qu'il faudrait plus !
Quoi qu'il en soit, heureusement qu'on l'a créé ! Il est certes insuffisant,
mais on ne peut pas nous reprocher la création d'un outil et en demander le
renforcement. Sa création est donc heureuse, même s'il eût été préférable d'en
prendre l'initiative plus tôt.
Il s'agit maintenant de l'alimenter. Les deux milliards de francs qui ont été
évoqués ne constituent qu'une ouverture de compte, à l'instar du dépôt de
quelques francs que l'on fait à la banque pour ouvrir un nouveau compte. Par la
suite, M. Marini a en effet rappelé que la loi portant réforme des caisses
d'épargne permettrait l'affectation d'une quinzaine de milliards de francs à ce
fonds et M. le Premier ministre a annoncé voilà quelques jours à Strasbourg que
les excédents des régimes sociaux représenteraient eux aussi l'équivalent d'une
quinzaine de milliards de francs.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Grâce à la loi de 1994 !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il nous faudra
avancer ainsi, année après année.
Si la croissance se maintient - ce que je pense - les excédents sociaux
dégagés seront versés au fonds de réserve, qui pourra atteindre plusieurs
dizaines de milliards de francs,...
M. Charles Descours,
rapporteur.
Merci pour la branche famille !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... et nous
serons déjà à 15 ou 30 milliards de francs d'ici à deux ans.
Vous disiez, monsieur Descours, que, pour lisser la bosse démographique, il
faudrait 15 à 20 milliards de francs. Nous les aurons, nous aurons sans doute
davantage. Toutefois, cela ne suffira pas, je pense qu'il faudra plus. Mais
c'est le chiffre que vous avez cité !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
On en est loin !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non, monsieur
Marini : 15 milliards de francs provenant des caisses d'épargne et 15 milliards
de francs d'excédents sociaux, cela fait deux fois 15 milliards de francs ! On
est donc assez près de 30 milliards de francs !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Ce ne sont pas les chiffres de M. Charpin !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Charpin dépose
son rapport, le Gouvernement décide de sa politique.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
M. Charpin est convaincant !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nous disposerons
donc, avec ce fonds de réserve, des moyens d'atténuer les effets de la bosse
démographique. Loin de moi l'idée de dire que le fonds résoudra le problème,
mais il contribuera à l'émergence d'une solution.
Nombre d'entre vous se sont interrogés sur le mode de gestion du fonds de
réserve.
Le décret d'organisation de ce fonds vient d'être validé par le Conseil
d'Etat. Il sera donc publié dans les prochains jours, ce qui devrait satisfaire
une part de vos interrogations.
Mais allons plus loin. A la Haute Assemblée, qui se caractérise par la qualité
de son travail et par son goût de la réflexion de fond, je veux soumettre le
raisonnement suivant, que nous avons, me semble-t-il, déjà eu l'occasion
d'aborder au sein de la commission des finances : l'un d'entre vous se
demandait tout à l'heure comment cet argent serait utilisé. Cette interrogation
est légitime ! Eh bien ! cet argent sera consacré à l'achat d'actions, ce qui
nous permettra d'ailleurs d'orienter une part de l'épargne française vers la
structuration du capital des entreprises françaises.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Sous l'influence de l'Etat ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes ! Mais que
souhaitez-vous ? Vous disiez tout à l'heure avoir voté pour la création du
fonds de réserve. Vous avez, de ce fait, accepté que l'Etat ait une influence
sur le choix des actions qui seront détenues par le fonds ! Ou alors il
faudrait que l'on tire à pile ou face ? Non ! Il faut bien que ce soit l'Etat
qui décide, puisque c'est un fonds public.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Qui va gérer ? L'Etat en direct ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ou bien il ne
fallait pas voter la création de ce fonds, ou bien il faut accepter l'idée que,
effectivement, certains fonds publics soient investis en actions. Or je pense
que vous l'acceptez, puisque vous avez voté ce fonds. Dès lors, les sommes qui
seront affectées à ce fonds seront réparties non pas obligatoirement uniquement
en actions, mais aussi en obligations, en emprunts d'Etat.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Ah bon ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il me vient
d'ailleurs une idée. Certains envisagent en effet de vendre telle ou telle
entreprise publique pour nourrir le fonds de réserve. Mais vendre une
entreprise publique, obtenir de l'argent en échange, nourrir avec cet argent le
fonds de réserve et racheter des actions avec le fonds de réserve, c'est un peu
Gribouille qui se jette à l'eau ! Autant garder tout de suite les actions de
l'entreprise publique que nous possédons ! En effet, quand on y réfléchit, on
s'aperçoit que le secteur public de notre pays constitue déjà une part très
importante des actions investies par la puissance publique dans des
entreprises, qui constituent elles-mêmes à elles seules un fonds de réserve
d'une somme cette fois-ci bien supérieure aux 15 ou 30 milliards de francs dont
on parlait tout à l'heure.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Quid
de la répartition des risques ?
M. Jean Arthuis.
Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous en prie
!
M. le président.
La parole est à M. Arthuis, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Jean Arthuis.
Monsieur le ministre, prenons le cas des entreprises publiques.
La semaine dernière, nous avions dans cet hémicycle un débat à propos de la
transcription dans notre droit positif de la directive européenne sur
l'électricité.
On veut la transparence ? Très bien ! J'avais alors pensé que, dans ces
conditions, nous pourrions contribuer à la sincérité des comptes d'EDF ! Or,
EDF ne constate pas, nous le savons, sa dette de retraite dans sa
comptabilité.
Dans ces conditions, s'agit-il de constituer un fonds avec des actions, que
détiendrait l'Etat, d'entreprises qui n'auraient pas elles-mêmes constitué de
provisions pour dettes de retraite ? J'ai peur qu'au total il n'y ait beaucoup
de déception !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne vois pas
pourquoi il y aurait déception ! Au demeurant, il faudra bien, un jour, que
l'on ait des idées plus claires sur les dettes sociales des entreprises, et pas
seulement publiques mais aussi privées, car ces dernières ont le même problème
de passif social et actuariel !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Il y a des comptes certifiés !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Les commissaires aux comptes ne laissent pas faire !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cela ne change
rien au fait que EDF, que vous citez, a une grande valeur,...
M. Jean Arthuis.
Et Gaz de France également !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... quelle que
soit la façon dont on l'estime, et que, s'il s'agissait - ce qu'à Dieu ne
plaise ! - de vendre EDF pour la racheter ensuite avec le fonds de réserve
abondé des sommes ainsi dégagées, ce serait une bien mauvaise gestion. Autant
en rester là où nous sommes !
Quant à vous, monsieur Arthuis, qui avez été un grand défenseur - à juste
raison, d'ailleurs - de la mise en place d'une comptabilité patrimoniale, vous
serez le premier à reconnaître que le patrimoine de l'Etat est considérable et
qu'il constitue, au travers de l'idée même d'un fonds de réserve, un élément
important pour notre pays et pour la stabilité de son système de
répartition.
Consolider la répartition, c'est donc notre première ligne, et le Gouvernement
n'en démordra pas.
Au-delà, nous devons certainement offrir un cadre adapté à l'épargne qui se
dirige vers la retraite, et tout ce que vous avez dit à ce sujet est partagé
par la majorité, même si tous les Français ne peuvent pas épargner pour leur
retraite. Certains ont en effet des revenus qui leur permettent juste de
consommer, parfois même mal.
Toutefois, à partir d'un certain niveau de revenu, qui n'est pas
obligatoirement très élevé, une certaine épargne se dégage et nous savons tous
que la préparation de la retraite est l'une des motivations principales de
l'épargne. Nous devons donc lui offrir un cadre. Or, aujourd'hui, dans la
situation actuelle, les plus aisés peuvent trouver des systèmes adaptés, mais
tel n'est pas le cas des épargnants plus modestes.
Pour autant, ne nous leurrons pas sur la réalité macro-économique de ce
phénomène. Tout à l'heure, M. Mélenchon a fort pertinemment axé une partie de
son discours sur cet aspect précis de théorie circulatoire. Je voudrais y
revenir quelques instants, tout en craignant de ne pas faire preuve du même
brio.
Ce qui permet à un pays qui compte une part plus importante de personnes à la
retraite que de personnes actives de nourrir tout le monde, c'est l'activité,
la productivité des actifs.
Supposons que les actifs produisent une année cent kilos de carottes -
pardonnez-moi le caractère trivial de cet exemple. Il faut bien
qu'interviennent une répartition, un partage de ces cent kilos de carottes
entre ceux qui ont travaillé, qui les ont produits, et ceux qui, étant à la
retraite, ne les ont pas produits. Quelle est la clé de répartition ?
Dans un pays comme le nôtre, qui a un système de retraite par répartition,
elle résulte des droits conventionnels qu'ont acquis ceux qui sont aujourd'hui
à la retraite et qui, lorsqu'ils travaillaient, ont alors renoncé à consommer
une part de la production à laquelle ils avaient eux-mêmes participé pour
acquérir des droits à une part de la production future.
Aux termes de ce système conventionnel, les actifs, en versant leurs
cotisations, renoncent à une part de ce qu'ils pourraient consommer, mais
acquièrent ainsi des droits qui leur serviront plus tard. Quand ils les feront
valoir, ils auront accès à une part de la production qu'ils n'auront pas
produite puisqu'ils seront à la retraite. C'est simple !
Un système qui repose sur l'épargne n'est pas différent. En effet, si, pour
préparer votre retraite, vous achetez aujourd'hui une obligation, un emprunt
d'Etat, que vous le fassiez individuellement ou au travers d'un fonds
collectif, vous achetez un morceau de papier, témoin de votre renoncement
actuel à une part de votre consommation. Quand vous le produirez sur le marché,
ce que vous obtiendrez en échange vous permettra de participer à la
consommation d'une partie des carottes que vous n'aurez pas produites. La
mécanique est rigoureusement la même.
La valeur de votre droit conventionnel dans le système de retraite peut varier
; c'est le problème de la valeur des points de retraite. La valeur du titre que
vous achetez comme témoin quand vous êtes actif pour le revendre quand vous
serez inactif peut varier également ; c'est le fonctionnement du marché. Ni
l'un ni l'autre n'est jamais garanti, mais la mécanique est rigoureusement la
même.
Le problème est de savoir, au bout du compte, comment la société partage la
production d'aujourd'hui entre ceux qui l'ont produite et ceux qui ne l'ont pas
produite. Pardonnez-moi d'avoir été long sur un sujet qui m'intéresse.
Gardons-nous de l'illusion qui tendrait à nous faire croire qu'en préférant un
système d'épargne - l'achat d'une obligation - à un système de retraite, on
résoudrait un problème qui, lui, repose uniquement sur l'activité, la
production et le nombre des consommateurs.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Nous n'avons jamais dit cela !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
On échappe aux prélèvements obligatoires !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes, personne
ici ne peut entretenir cette illusion.
Le débat qui a eu lieu dans le pays m'a toutefois laissé entendre que certains
étaient tentés d'y succomber et croyaient un peu au caractère magique que
pourrait avoir un système d'épargne par rapport à un système de répartition.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Chacun sait qu'en finances la magie n'existe pas
!
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Si ce n'est pas
cela qui en cause, nous sommes donc simplement en présence d'un problème de
technique. Et il faut laisser chacun libre de partager la façon de préparer sa
retraite entre la répartition et son épargne personnelle, ce qui se pratique
d'ores et déjà. Il faut donc mettre en place un instrument adapté sans pour
autant augmenter le taux d'épargne.
A en croire certains, nous favoriserions ainsi l'accumulation de capitaux qui
nous permettraient ceci ou cela.
En fait, il ne s'agit pas d'accumuler plus de capitaux que nous n'en
accumulons aujourd'hui. En effet, si nous accumulions plus de capitaux que nous
le faisons aujourd'hui, c'est parce que la consommation aurait baissé ! Nous
entrerions alors dans un cycle de politique économique que nous avons traversé
il n'y a pas si longtemps et, qui ne m'a pas laissé d'excellents souvenirs en
matière de taux de croissance.
Si notre taux de croissance est depuis deux ans supérieur à celui de nos
voisins et à celui que nous avons connu dans le passé, c'est que la répartition
entre l'épargne et la consommation est dorénavant différente. Le taux d'épargne
fléchit lentement et il n'est pas souhaitable pas pour la croissance
d'assister, dans les années à venir, à une augmentation massive du taux de
l'épargne.
Il s'agit donc de l'épargne qui existe, qui est d'ores et déjà consacrée à la
retraite, mais qui manque des instruments adaptés que nous devrions lui
fournir.
En conclusion, Mme Aubry et moi-même travaillons à la mise au point d'un
dispositif. Plus collectif que celui que vous avez proposé, il doit
obligatoirement reposer sur l'accord des partenaires sociaux et être accessible
à tous les salariés.
Je souhaite qu'il soit plus solidaire, ce qui suppose la mise en place de
modalités de fiscalité différentes de celles que vous retenez.
Enfin, ce dispositif doit être plus centré sur la protection des adhérents que
ne l'est votre texte. Cela conduit à une certaine forme d'association des
partenaires sociaux au contrôle même de ces fonds.
Sous ces trois réserves - mais elles sont très importantes - nous voyons
effectivement dans votre texte une avancée que je salue, notamment parce que
les versements seront soumis aux cotisations sociales.
Si donc le Gouvernement s'oppose à ce texte, c'est non pas en raison de son
origine, ce qui serait absurde, mais parce qu'un désaccord subsiste sur
certains points.
Je ne désespère pas que la discussion permette de continuer les
rapprochements.
Etant pris par une opération industrielle dont vous entendrez parler dans
quelques heures, puisqu'elle ne sera révélée qu'à ce moment-là, je ne pourrai
malheureusement pas participer aux débats de cet après-midi, mais Mme Lebranchu
me suppléera. L'opposition qu'elle manifestera au texte que vous avez proposé
tiendra non pas à un désaccord total mais à un différend sur la méthode et les
principes.
La mission que le Gouvernement a confiée à MM. Jean-Pierre Balligand et
Jean-Baptiste de Foucauld doit permettre d'éclaircir les positions des uns et
des autres, notamment des partenaires sociaux, sur l'épargne salariale.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Je leur enverrai mon rapport !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Les conclusions
qu'elle rendra au mois de janvier prochain concernent l'ensemble de l'épargne
salariale. A partir de là, le Gouvernement proposera, sur cette question, un
texte qui visera à apporter aux salariés de notre pays les moyens d'affecter
correctement leur épargne à leur retraite.
Comme je le disais en préambule, ce débat est néanmoins tout à fait utile
puisqu'il traduit des avancées que je veux saluer. A l'occasion de la
discussion des articles, l'ensemble de ces points pourront être plus
clairementanalysés.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Monsieur le président, je souhaite, en l'instant, non pas
répondre à M. le ministre - nous aurons l'occasion de nous exprimer lorsqu'il
viendra défendre ici le projet qu'il a annoncé -, mais corriger un lapsus qui a
modifié le sens de mon intervention.
Voici ce qu'il fallait entendre, et qui figurait dans le texte écrit de mon
discours : « Ce n'est pas deux, quinze, trente milliards de francs qui seront
nécessaires, mais des centaines de milliards de francs si l'on souhaite
réaliser un simple fonds de lissage, et des milliers de milliards de francs si
l'on souhaite créer un fonds permanent qui financerait par les produits
financiers les besoins futurs. »
M. le président.
Acte vous est donné de cette rectification, monsieur le rapporteur.
Mes chers collègues, il me serait agréable de donner la parole à M. Fischer
pour défendre la motion qu'a déposée son groupe, mais il serait à craindre, dès
lors, que je ne puisse interrompre nos travaux à treize heures pour les
reprendre à quinze heures, comme m'y oblige la décision prise en conférence des
présidents et approuvée par le Sénat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze
heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)