Séance du 22 juin 1999
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons le débat d'orientation budgétaire consécutif à une
déclaration du Gouvernement.
Dans la suite du débat, la parole est à M. le président de la commission des
affaires culturelles.
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le rapport du
Gouvernement qui sert de base à notre débat d'aujourd'hui met au premier rang
des orientations budgétaires l'objectif « d'assurer le financement des
priorités du Gouvernement tout en stabilisant les dépenses de l'Etat » et « en
cherchant à dépenser mieux ».
Lors du débat d'orientation budgétaire de l'an dernier, un certain nombre
d'entre nous, dont j'étais, avaient insisté sur la nécessité de contenir la
dépense publique et d'améliorer son efficacité. Ils avaient plaidé pour une
réflexion sur la notion même de priorité et sur sa traduction budgétaire. Nous
ne pouvons que nous féliciter d'avoir été apparemment entendus, monsieur le
secrétaire d'Etat, et nous ne pouvons que vous féliciter de nous avoir
apparemment rejoints.
Nous voudrions cependant être sûrs que vous aurez les moyens d'atteindre cet
objectif. Nous avons, à cet égard, quelques inquiétudes.
Ce qui peut alimenter notre scepticisme, c'est l'attitude de certains
ministères qui ne sont pas parmi les moins dépensiers. Je citerai quelques
exemples à cet égard.
Je prendrai comme exemple le cas du ministère de l'éducation nationale, qui -
mon propos n'étonnera sans doute personne - ne paraît pas spontanément
manifester le souci de dépenser mieux.
La commission d'enquête, sur la gestion des emplois, des crédits et des
personnels de l'éducation nationale, constituée par le Sénat et par laquelle
vous avez été auditionné, monsieur le secrétaire d'Etat, a constaté que
l'autorisation budgétaire était en partie vidée de son sens et qu'une sorte d'«
alchimie mystérieuse », pour reprendre une expression employée par l'un des
membres de cette commission, permettait de dépasser assez largement, sur le
terrain, le nombre d'emplois budgétaires votés chaque année en loi de
finances.
Au total, force est de reconnaître que la gestion des personnels de
l'éducation nationale n'est pas transparente, qu'elle n'a pas pris en compte la
rente démographique engendrée par la baisse régulière du nombre des élèves et
qu'elle se traduit, à terme, par une consolidation coûteuse de personnels
précaires qui ne sont pas toujours utilisés au mieux des intérêts de la mission
d'éducation.
Je ne rappellerai que deux chiffres : le budget de l'enseignement scolaire
s'élève à près de 300 milliards de francs et ses crédits ont augmenté de 113
milliards de francs en dix ans !
Les ministres chargés de l'éducation proposent régulièrement des mesures et
des réformes, car il faut bien avancer. Mais force est de constater que le coût
de ces mesures et de ces réformes a été rarement évalué et que leur financement
a été rarement clairement dégagé.
J'illustrerai mon propos par quelques exemples.
A la rentrée 1997, le Gouvernement fraîchement constitué décide, pour des
raisons sociales évidentes que l'on peut comprendre, le réemploi massif de 26
700 maîtres auxiliaires rémunérés sur des crédits d'heures, et ce sans fournir
la moindre précision sur les modalités du financement. Ce réemploi a été
financé par la transformation de quelque 90 000 heures supplémentaires, ce dont
le Parlement n'a été informé que lors de la discussion du projet de loi de
finances pour 1998, c'est à dire
a posteriori
.
Mon deuxième exemple porte sur le rétablissement du pouvoir d'achat des
professeurs bénéficiant d'heures supplémentaires. Voilà un cas concret ! Le
ministre de l'éducation nationale, M. Claude Allègre, a décidé ce
rétablissement afin de mettre un terme au tollé qu'il avait provoqué par un
décret tendant à réduire la rémunération des « heures supplémentaires année »,
selon la terminologie du ministère de l'éducation nationale.
Interrogé par mes soins dans le cadre de la commission d'enquête - cette
audition était publique, et je ne trahis donc rien - le ministre n'a pas paru
en mesure de préciser le coût et les modalités de financement du rétablissement
de ce pouvoir d'achat. C'est par la presse, le 15 avril 1999, que nous avons
appris les modalités de la compensation retenue et l'affectation de 390
millions de francs. Avouez que c'est faire assez peu de cas du Parlement !
Mon troisième exemple vise la réforme du collège : cette « réforme » - mais
peut-on parler de réforme, s'agissant des mesures présentées ? On peut en
douter, mais là n'est pas mon propos d'aujourd'hui - a été annoncée à la suite
d'un rapport.
Il a été indiqué, toujours par voie de presse, que 320 millions de francs
seraient consacrés à la remise à niveau des élèves et à l'aide individualisée,
soit 80 millions de francs pour le dernier trimestre de 1999 et 240 millions de
francs pour l'année 2000 : ces mesures seront-elles financées à moyens
constants par redéploiement ou s'agira-t-il de mesures nouvelles qui
apparaîtront clairement dans le prochain « bleu » budgétaire ? Pour le moment,
le Parlement n'en sait rien !
Pour ma part, il me semble, monsieur le secrétaire d'Etat - je tiens à le dire
ici, même si ce propos n'est pas forcément très populaire - qu'un aménagement
raisonnable des obligations de service des enseignants et un assouplissement
des règles qui les concernent aboutiraient à régler un certain nombre de
problèmes et permettraient de réaliser des économies substantielles. Mais je ne
suis pas persuadé que cette option, qui serait courageuse, soit celle qui sera
retenue par le ministre de l'éducation nationale.
Ce même ministre a annoncé, le 23 mars dernier, une hausse de 10 % des postes
ouverts au concours de recrutement dans l'enseignement primaire et, le 14 avril
dernier, une batterie de mesures nouvelles d'un montant de 900 millions de
francs en année pleine : augmentation du pourcentage des enseignants promus à
la « hors classe », rétablissement du pouvoir d'achat des heures
supplémentaires, création de 7 900 heures supplémentaires pour mettre en place
l'aide individualisée prévue dans la réforme des lycées.
Il convient d'y ajouter, pour faire bonne mesure, 800 millions de francs
annoncés pour financer la nouvelle étape du plan social étudiant.
Nous avons donc, monsieur le secrétaire d'Etat, des raisons de craindre que
l'objectif de stabilisation des dépenses publiques n'ait valeur que
d'affichage.
Il ne me paraît pas normal que, dans certains cas, nous ne disposions pas des
informations indispensables pour apprécier le bien-fondé de l'emploi proposé
des crédits.
Je voudrais en donner un exemple, choisi lui aussi parmi les budgets soumis à
l'avis de la commission des affaires culturelles : c'est celui des crédits
d'intervention du ministère de la culture consacrés aux spectacles.
Cette année, deux réformes importantes, et qui pourraient être en elles-mêmes
positives, sont intervenues dans ce secteur : d'une part, la déconcentration
des décisions est devenue une réalité ; d'autre part, il a été créé une
direction unique de la musique, de la danse, du théâtre et du spectacle.
La mise en place de ces réformes aurait dû exiger une information accrue du
Parlement. Nous avons au contraire constaté que l'on avait, dans le même temps,
modifié la nomenclature budgétaire pour regrouper les crédits sur des articles
et des chapitres à l'intitulé aussi ambitieux que peu explicite. On nous
demandait, par exemple, d'attribuer plus de deux milliards de francs - rien que
cela ! - « au développement culturel et aux spectacles », sans plus de
précision. Et nous n'avions pas idée de la répartition de ces crédits, qui ne
devait d'ailleurs être décidée qu'en début d'exercice.
Comment, dans ces conditions, s'assurer que ces crédits seraient « mieux »
dépensés, et même qu'ils seraient tout simplement « bien » dépensés ?
Enfin, j'ai noté avec intérêt, monsieur le secrétaire d'Etat, que la
commission des finances du Sénat souhaitait avoir des précisions sur les «
contrats de gestion » qui seraient désormais passés entre le ministère des
finances, que vous représentez ici, et les ministères dits « dépensiers ». Je
m'associe à l'interrogation de la commission des finances ; avouerai-je que je
crains un peu que ces contrats n'aient essentiellement pour objet de renouveler
des pratiques anciennes et peu respectueuses elles aussi - mais dans un sens
inverse - de l'autorisation budgétaire ? Je veux, bien sûr, parler du gel ou de
l'annulation des crédits, dont M. le rapporteur général a dit tout à l'heure
quelques mots.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si vous êtes réellement disposé à maîtriser la
dépense publique, informez mieux le Parlement ! Mettez-le en position d'assurer
la première mission qui est la sienne, celle de voter le budget de la nation et
de lever l'impôt !
Ce faisant, vous obtiendrez plusieurs résultats. D'abord, vous assurerez une
meilleure gestion budgétaire ; ensuite, et par contrecoup, vous accroîtrez
l'efficacité des politiques que vous définissez, tout en permettant
l'allégement des charges qui pèsent sur les contribuables et sur les
entreprises, en augmentant, par là même, l'efficacité économique ; enfin - et
ce n'est pas la moindre des choses - vous rendrez à la démocratie parlementaire
tout son sens.
Telle n'est pas, je le crains, l'intention profonde du Gouvernement, malgré
ses déclarations.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je me réjouis que les débats d'orientation budgétaire,
inaugurés en 1996 sur l'initiative de M. Arthuis, aient trouvé leur place dans
les procédures normales et régulières d'élaboration des projets de loi de
finances. Je crois toutefois que nous devons aller plus loin et poursuivre
notre réflexion pour donner au Parlement toute la place qui doit lui revenir en
matière budgétaire, afin que son rôle mais aussi ses votes, soient pleinement
respectés et mieux traduits dans les faits.
M'exprimant à cet instant en qualité de président de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je n'évoquerai que
très brièvement les grands équilibres du prochain budget de l'Etat, celui de
l'an 2000.
La stabilisation annoncée, en volume, des dépenses de l'Etat, qui devraient
n'augmenter l'an prochain qu'au rythme attendu de l'inflation, apparaît, de
prime abord, vertueuse. Certains commentateurs y ont même vu - quel hommage ! -
le retour au choix de rigueur budgétaire de 1997. Mais, au-delà des apparences,
les orientations de la politique budgétaire du Gouvernement demeurent à mes
yeux triplement préoccupantes.
D'abord - et c'est le plus important - la réduction globale des dépenses
publiques reste indispensable. Nous n'avons donc pas d'autre choix que de
programmer, par la diminution de ces dépenses, la baisse des prélèvements
obligatoires, qui demeurent très excessifs et que l'Europe, de toute façon,
nous contraindra à harmoniser.
Ensuite, les prévisions gouvernementales de croissance reposent, par-delà les
turbulences de ce début d'année 1999, sur des hypothèses qui peuvent paraître
trop optimistes : la France pourra-t-elle, en particulier, compter sur la
réaccélération de la croissance si l'activité de certains de nos voisins, à
commencer par l'Allemagne et l'Italie, reste faible et si le ralentissement,
comme beaucoup l'annoncent, atteint les Etats-Unis ?
Enfin, cette politique économique et financière n'est pas accompagnée des
vraies réformes structurelles dont notre pays a impérativement besoin ; nous
devons réfléchir, dans une économie globalisée, à ce que doivent être les
missions de l'Etat dans les prochaines décennies ; nous devons repenser notre
fiscalité en conséquence, sans perdre de vue, bien entendu, l'exigence
prioritaire de l'emploi.
Je pense, sur tous ces points, refléter l'opinion d'une large majorité de
notre assemblée. Je crois aussi rejoindre la position de notre excellente
commission des finances en soulignant, dans le cadre que je viens de définir,
l'indispensable préservation des crédits des ministères régaliens. En effet, il
s'agit là de garantir les missions fondamentales de l'Etat que sont la sécurité
et la justice, mais aussi, bien sûr, la diplomatie et la défense. Ce sont là
les vraies missions de l'Etat, alors même que c'est précisément l'absence de
maîtrise des dépenses de fonctionnement qui réduit nos capacités
d'investissement militaire et contraint fortement les crédits consacrés à ces
missions régaliennes.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Absolument !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
S'agissant,
précisément, des crédits militaires, j'espère d'abord que vous nous assurerez,
monsieur le secrétaire d'Etat, que le projet de budget de la défense pour l'an
2000 sera bien conforme aux conclusions de la revue des programmes effectuée
l'an dernier et pleinement cohérent avec la loi de programmation 1997-2002.
Il ne s'agit d'ailleurs que de la confirmation de la stabilisation, jusqu'en
2002, des crédits d'équipement militaire, réaffirmée l'année dernière après la
très malheureuse « encoche » de 1998, et je ne peux que redire aujourd'hui à
cette tribune que l'équilibre ambitieux mais fragile sur lequel repose la loi
de programmation pourrait être rompu par toute nouvelle réduction des crédits
militaires : cela compromettrait non seulement l'exécution satisfaisante de la
programmation, mais aussi et surtout la réforme d'ensemble de notre système de
défense engagée par le Président de la République en 1996, qui est fondée sur
la professionnalisation de nos forces et dont la crise au Kosovo vient encore
d'illustrer le bien-fondé.
Il importe, en outre, que les masses budgétaires inscrites en loi de finances
ne soient pas détournées de leur objet. Cela impose une nouvelle fois, monsieur
le secrétaire d'Etat, d'apporter une solution adaptée au financement des
opérations extérieures.
La question est déjà lourdement posée pour 1999, puisque le surcoût de ces
opérations atteindra près de 6 milliards de francs, dont environ 4 milliards de
francs pour le conflit du Kosovo. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le
secrétaire d'Etat, les conditions dans lesquelles ces opérations, qui relèvent
à l'évidence d'opérations extérieures « exceptionnelles », seront effectivement
financées cette année ?
Mais nous savons d'ores et déjà qu'une question comparable - même si nous
pouvons l'espérer de moindre ampleur - se posera en l'an 2000, ne serait-ce
qu'en raison des opérations de longue durée engagées dans l'ex-Yougoslavie.
N'est-il pas, dès lors, indispensable de prévoir enfin, dès la construction du
budget, une enveloppe substantielle, véritablement réaliste, pour financer ces
opérations au lieu et place des provisions actuelles, qui ne sont rien d'autre
que symboliques ?
Je n'ajouterai, en ce qui concerne le budget de la défense, qu'une brève
observation pour me féliciter de la mise en oeuvre accrue des commandes
pluriannuelles, dont je n'ai cessé de souligner la nécessité tant elles sont
indispensables au bon déroulement des programmes d'armement. Mais pouvez-vous,
monsieur le secrétaire d'Etat, nous donner des précisions sur les montants
ainsi engagés ? Pouvez-vous également nous indiquer les raisons, bonnes ou
mauvaises, qui ont semblé freiner la concrétisation de ces commandes globales
?
Je conclurai, monsieur le président, mes chers collègues, en soulignant une
nouvelle fois la préoccupation de notre commission des affaires étrangères
quant à l'évolution des crédits consacrés par notre pays à son action
extérieure et, en premier lieu, au ministère des affaires étrangères, qui a
désormais intégré nos actions de coopération.
Si le Quai d'Orsay est supposé bénéficier d'un traitement particulier, il ne
figure toujours pas parmi les priorités budgétaires du Gouvernement et sa part
n'a cessé de régresser, depuis de longues années, dans les budgets de
l'Etat.
Deux sujets me paraissent aujourd'hui particulièrement inquiétants.
Le premier concerne l'érosion des effectifs, évolution qui n'est pas
contestable en soit à condition de ne pas remettre en cause des missions qui,
je le répète, figurent au coeur des missions de l'Etat.
Le ministère des affaires étrangères n'est pas suspect d'avoir échappé aux
efforts nécessaires en la matière puisque ses effectifs ont diminué plus vite
que ceux de toutes les autres administrations civiles régaliennes : moins 8 %
depuis 1993.
Surtout, la poursuite de ce processus, dont nous avons déjà, les uns et les
autres, constaté certaines conséquences dans des postes diplomatiques ou
consulaires comme au sein de l'administration centrale, ne me paraît plus
compatible avec l'ampleur actuelle de notre présence à l'étranger. Elle risque
même de remettre en cause des activités essentielles : faut-il, par exemple,
risquer de compromettre l'indispensable maîtrise des flux migratoires en
confiant, de plus en plus fréquemment, les services des visas à des recrutés
locaux ?
Ma seconde préoccupation concerne les conséquences budgétaires de la réforme
de la coopération. Je ne reviendrai pas sur le sujet, car tel n'est pas l'objet
de notre débat. Je crois cependant qu'il y aurait un risque réel à vouloir
engranger dès aujourd'hui les gains de productivité attendus de cette fusion.
Ceux-ci ne pourront être dégagés que progressivement, après l'intégration des
réseaux de la coopération et lorsque la nouvelle organisation ministérielle
sera stabilisée, faute de quoi cette réforme délicate pourrait être fragilisée,
voire sérieusement compromise, et les bénéfices qui en sont attendus, y compris
sur le plan financier, risqueraient de disparaître avec elle.
Je souhaiterais enfin, avant de quitter cette tribune, demander au
Gouvernement de réfléchir, grâce à une coopération - qui doit bien être
possible - entre les ministères des finances et des affaires étrangères, aux
modalités de réalisation de deux objectifs : d'une part, l'établissement
d'éléments de programmation du budget du Quai d'Orsay dans des domaines comme
l'évolution de la carte diplomatique et consulaire ou celle des effectifs ;
d'autre part, une évolution coordonnée de l'ensemble des implantations
françaises à l'étranger, y compris, bien sûr, monsieur le secrétaire d'Etat,
des administrations économiques et financières.
Soyez en tout cas assuré que la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées continuera de veiller avec vigilance à ce que
notre pays dispose des moyens indispensables à son rôle et à son ambition dans
le monde.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
Dans la suite de notre débat, la parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
débat de ce soir a pour objet de définir l'orientation des budgets de la France
pour la période 2000-2002, c'est-à-dire non seulement la dernière année du
présent siècle mais aussi les deux premières années du prochain millénaire.
Or, il est un événement majeur dont on n'a pas encore parlé depuis le début de
ce débat et qui va marquer ces trois années, étant entendu que trois ans, c'est
maintenant une période très longue dans un monde où l'ensemble du capital des
connaissances double tous les dix ans. Cet événement majeur, c'est la montée en
puissance exponentielle d'une nouvelle économie s'appuyant sur l'immatériel.
Certains pourraient penser que cette réflexion sur la nouvelle économie n'a
pas à être insérée dans un débat d'orientation budgétaire. Tout au contraire,
permettez-moi de dire que ce débat, qui nous permet d'éclairer les prochaines
années, devrait être un moment privilégié pour réfléchir aux fermes
orientations qui doivent être prises par la France dès les prochains mois pour
lui permettre d'entrer dans l'avenir.
En effet, si nous observons avec objectivité la situation actuelle de la
France, et même de l'Europe, alors que nous sommes sur le seuil de cette
nouvelle économie, nous constatons que cette situation est préoccupante : si la
France est très présente dans l'économie de marché reposant sur la demande, que
ce soit dans le nucléaire, le spatial, l'aéronautique, et occupe une place
honorable dans des secteurs industriels qui ont longtemps dépendu de la
commande publique, il faut noter que notre pays, et même l'Europe, sont absents
des grands accords de fusion et de partenariat qui constitueront le socle de
cette nouvelle économie.
Il suffit de rappeler que les capitalisations de cinq entreprises, Microsoft,
Intel, Cisco, Dell et Compaq, qui sont toutes américaines, qui n'existaient pas
il y a trente ans et qui font partie de ce socle du futur, pèsent, à elles
seules, 900 milliards de dollars, c'est-à-dire, aussi lourd que la Bourse de
Paris tout entière.
Alors que les ingénieurs et les techniciens français sont les cadres de
recherche les plus appréciés et les plus nombreux parmi les chercheurs
d'origine étrangère dans les entreprises américaines de haute technologie,
surtout dans la Silicon Valley, nous constatons que les Français sont de plus
en plus nombreux à quitter notre pays pour aller s'installer sous d'autres
cieux qui semblent plus favorables à l'initiative et à l'aventure.
Ainsi, selon les derniers chiffres communiqués par le ministère des affaires
étrangères, quelque 233 000 Français sont installés aux Etats-Unis, dont 52 000
dans le seul ressort du consulat de France de Los Angeles.
Certes, vous pourrez dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce chiffre est
négligeable par rapport à la population française. Mais quand on sait que ces
jeunes qui nous quittent sont souvent des personnes entreprenantes qui vont
créer sous d'autres cieux leur entreprise, on peut imaginer les dizaines de
milliers d'emplois qui auraient pu être créés en France s'ils étaient restés
parmi nous.
Aussi, au-delà des progrès sensibles, qu'il faut saluer, réalisés ces derniers
mois dans le domaine du capital-risque, il est très urgent, la prochaine
discussion budgétaire étant la borne ultime, de mettre en place une procédure
stable et séduisante de
stock-options,
qui seules pourront permettre aux
créateurs d'entreprises de haute technologie de retenir et de rémunérer les
esprits brillants qui actuellement nous quittent.
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. René Trégouët.
Par ailleurs, il est indispensable que nous sachions reconnaître le rôle
positif qui peut être joué par les
business angels,
les « investisseurs
providentiels », comme nous les avons élégamment baptisés à la commission des
finances.
Or, là aussi, un petit saignement a tendance à se transformer en
hémorragie.
Le caractère confiscatoire qu'a pris l'ISF - chacun d'entre nous porte sa part
de responsabilité dans le développement d'une telle situation - aurait incité
les détenteurs de grandes fortunes à délocaliser de France plus de 600
milliards de francs d'actifs ces deux dernières années.
Un article de fond paru dans un journal économique sérieux a même précisé que
ces 600 milliards de francs auraient rapporté plus à la France chaque année que
l'ensemble des sommes publiques qui sont mobilisées pour le RMI.
Sachons laisser prendre des risques à ceux qui ont les moyens financiers de le
faire, car, bientôt, ce ne sera plus l'heure d'apporter des fonds publics pour
alimenter le capital-risque en France.
Toujours dans les grands choix budgétaires, il faut mettre en place, sans
tarder, les fonds de pension, qui permettraient de mieux préparer l'avenir dans
un pays qui, inexorablement, va vieillir, mais aussi de recapitaliser nos
entreprises, en particulier les entreprises de haute technologie.
Cela éviterait que les fonds de pension anglo-saxons, essentiellement
américains, ne détiennent, avec tous les risques inhérents, près de 40 % du
capital des principales entreprises françaises.
Avec l'arrivée des nouvelles technologies de l'information, l'entreprise est
conduite à réinventer son organisation et son fonctionnement en vue d'optimiser
l'exploitation de son capital informationnel. En d'autres termes, elle devra
restructurer l'ensemble de son système de pilotage autour du flux
d'information. Cette mutation de l'organisation concerne toute la chaîne de
valeurs de l'entreprise : le marketing, la vente, la paiement, la logistique,
l'après-vente.
Cette évolution passera par l'externalisation systématique des fonctions qui
ne sont pas entièrement dédiées aux clients.
Le débat qui s'est ouvert en France sur les 35 heures est certainement un
facteur d'accélération de la refonte de l'organisation de l'entreprise
française. Toutefois, le résultat réel obtenu, quand toutes les scories
soulevées par la passion se seront posées, sera, à mon avis, très loin de
l'objectif fixé initialement par le Gouvernement.
Ce serait tout de même un curieux clin d'oeil de l'histoire que ce soit un
gouvernement de gauche qui ait accéléré le recul du salariat en France,
salariat qui repose sur un contrat de travail, comme vient de brillamment le
démontrer M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en
passant le bac dans un grand journal économique, il y a quelques heures !
Mais, si l'on veut préparer l'avenir, d'autres grandes priorités doivent être
respectées par le budget de la France.
Nous savons que le mal profond dont souffre notre pays, mais aussi l'Europe,
est le chômage. Il n'est pas possible que près de trois millions de Français
restent sans emploi.
Or, que constatons-nous de l'autre côté de l'Atlantique ? Le taux de chômage
aux Etats-Unis vient de tomber à 4,2 % de la population active, un niveau
inconnu depuis vingt-neuf ans, qui vient après une période de croissance à un
rythme élevé d'environ 3 % par an ininterrompu depuis neuf ans.
Par ailleurs, nous venons d'apprendre que les entreprises s'appuyant sur les
nouvelles technologies de l'information ont créé 1 200 000 emplois aux
Etats-Unis en 1998, ce qui représente tout simplement 40 % du total américain
des créations d'emplois l'an dernier.
Il faut donc que la France chausse sans retard des bottes de sept lieues pour
rattraper son retard. Pour cela, il faut non seulement améliorer
l'environnement des entreprises de haute technologie, comme je l'ai dit il y a
quelques instants, mais aussi réorienter d'urgence les priorités budgétaires
pour préparer les Français à exercer les métiers de l'avenir.
Pour bien me faire comprendre en cet instant, il me paraît nécessaire de
préciser la nature de ces métiers.
Pour exercer ces métiers du futur, il faudra avoir la possibilité d'ajouter du
savoir à un signal. Cette seule définition doit nous permettre de dégager deux
grandes priorités pour la France, deux priorités que nous devons donc retrouver
dans le budget.
Il faut tout entreprendre pour améliorer l'acquisition de savoirs et de
compétences par les Français si nous voulons les voir entrer avec détermination
dans la concurrence implacable que va ouvrir la mondialisation.
Par ailleurs, le budget de la France va devoir réserver une priorité absolue -
il en va de l'aménagement du territoire, et donc de l'équilibre de notre pays -
à la dissémination d'un signal de qualité large bande sur l'ensemble du
territoire.
Autant il est nécessaire aujourd'hui, à une entreprise de disposer de
l'énergie éléctrique ou du téléphone pour pouvoir s'installer, autant il lui
sera nécessaire, dans très peu d'années - elles se comptent sur les doigts des
deux mains - d'accéder à un signal de grande qualité pour entrer dans la
compétition mondiale.
Or, il en coûtera des dizaines de milliards de francs d'investissements si
nous voulons que ces métiers du futur puissent être exercés non seulement à La
Défense ou dans le coeur de nos grandes villes, mais aussi dans toutes nos
villes, dans tous nos villages de France. Il y va de l'avenir de notre pays, au
travers de l'emploi de l'avenir. Il est donc très important que, très
rapidement, ces nécessités trouvent leur traduction dans le budget de la
France.
Pour conclure, je dirai qu'il est important que nous ressentions tous, en cet
instant, combien sera difficile le combat qui s'engage.
Nous entrons dans une nouvelle société marquée par un véritable choc de
civilisation, lui-même provoqué par la mondialisation. Or, cette société de
l'information, où va-t-elle trouver sa valeur ?
L'information, chacun d'entre nous devra pouvoir en disposer. Par « chacun
d'entre nous », j'entends chaque habitant de cette terre, car ce sera le
minerai de demain.
Ne recommençons pas l'erreur du passé, ne faisons pas en sorte que seuls
certains nantis, ou certaines nations nanties, puissent disposer de ce minerai
de base. Battons-nous pour faire en sorte que chacun, sur cette terre, puisse
en disposer. C'est ainsi que nous pourrons renforcer la paix.
Cet accès gratuit à l'information n'est toutefois pas une valeur solvable en
soi. C'est une fois que l'on ajoute du savoir, de la compétence et surtout de
l'expérience à cette information qu'on la transforme en produit cessible à
valeur ajoutée, en produit marchand. Et ce produit marchand, ce sera la
connaissance, connaissance qui sera la matière la plus diffusée sur notre
terre.
Et s'il y a une partie du monde - c'est sur ce point que j'en terminerai - où
il y a beaucoup d'expérience, et donc beaucoup d'expertise, car quand on ajoute
de l'expérience à la connaissance elle se transforme en expertise, où il y a,
par conséquent, un socle multiséculaire d'expertise, c'est bien la France !
Or, actuellement, nous n'exploitons pas du tout cette chance, alors que,
demain, le combat sera celui des contenus et le vainqueur celui qui donnera de
la valeur à l'ensemble de cette future société de l'information.
Toutes ces priorités, monsieur le secrétaire d'Etat, doivent donc se retrouver
dans le budget sans tarder, car ce sont elles qui détermineront le destin de
notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
débat d'orientation budgétaire pour l'an 2000 est marqué par une situation
assez paradoxale sur le plan économique et sur celui des comptes publics.
S'agissant de ces derniers, il est en effet indéniable qu'ils se sont assez
nettement améliorés, quand bien même la quotité élevée du déficit du compte de
l'Etat se traduit concrètement par une augmentation du poids et du service de
la dette publique et par une réduction de la marge budgétaire.
Cette situation obère d'ailleurs, en tant que telle, toute orientation
politique nouvelle, d'autant que nous sommes aujourd'hui largement placés dans
le cadre d'une interdépendance des politiques économiques et budgétaires des
pays de l'Union européenne, dont on notera qu'elle persiste à souffrir de la
prétendue indépendance de la Banque centrale européenne, outil dont il est
chaque jour évident que la privatisation est un obstacle à la réalisation même
de certains objectifs du traité de Rome.
S'agissant de la situation économique et sociale générale, on ne peut manquer
de souligner qu'elle présente aujourd'hui des caractéristiques inédites et
préoccupantes, mais qui conduisent à la réflexion.
Parmi ces caractéristiques, relevons par exemple le niveau exceptionnellement
faible de l'inflation - on peut d'ailleurs parler, à propos de nombreux
secteurs, de « déflation sous-jacente » - reflet de la modification profonde de
la formation des prix.
Nous entrons là dans le cadre que nous connaissons bien désormais : les coûts
de production sont en réduction sensible, du fait notamment des gains de
productivité dégagés de par les avancées technologiques et, singulièrement, par
l'abaissement progressif et relatif de la part des salaires dans la valeur
ajouté.
Des données ont été rappelées tout à l'heure dans la discussion du projet de
loi de règlement définitif du budget de 1997 par mon collègue M. Thierry
Foucaud. Je les souligne à nouveau.
La part des salaires dans la valeur ajoutée est tombée, en 1997, à moins de 60
%, niveau jamais atteint depuis 1970, tandis que l'excédent brut d'exploitation
est aujourd'hui supérieur à 1 400 milliards de francs et que le niveau des
dividendes versés a dépassé pour la première fois 500 milliards de francs.
Nous sommes donc confrontés à un étrange paradoxe - peut-être est-ce le
paradoxe français ? - où les comptes publics, toujours en déficit et pour des
montants élevés, voisinent avec des comptes des entreprises privées
particulièrement florissants sans que cette situation se traduise d'ailleurs en
termes de création d'emplois et donc, en fin de compte, en amélioration des
comptes publics.
Il nous semble donc ici clairement illusoire de laisser penser que seule une
gestion judicieuse et rigoureuse des engagements budgétaires, c'est-à-dire
souvent une stagnation voire une réduction de la dépense publique, puisse
suffire à améliorer la situation des comptes publics, qui dépendent d'ailleurs
aujourd'hui de la qualité de la croissance en termes d'emplois et de salaires.
Augmenter les salaires, c'est accroître la consommation, les recettes par
l'impôt sur le revenu, la croissance et l'emploi. Monsieur le secrétaire
d'Etat, une croissance entre 2,7 % et 3 % ne se décrète pas. Elle se gagne et
vous le savez !
De fait, de notre point de vue, il y a une nouvelle interrogation : quelle
orientation doit-on effectivement faire prendre à la politique budgétaire de
l'Etat en matière tant de recettes que de dépenses publiques pour que l'action
publique conduise à améliorer la qualité de la croissance ?
Des clarifications s'imposent en matière de recettes et de dépenses.
De 1994 à 1998, les recettes ont augmenté de 15 %. A quoi ont-elles servi ? En
grande partie, elles ont servi à réduire les déficits. Les dépenses en matière
d'éducation, de logement, de santé sont toujours considérées comme des dépenses
passives, consommatrices de crédit. Ne devraient-elles pas enfin être reconnues
comme des dépenses actives car génératrices d'investissements, d'emplois et de
recettes ? La dépense ne doit pas être considérée comme renonçante, mais plutôt
comme conquérante. Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est une orientation
nouvelle que nous vous proposons.
Nous estimons donc que, tant du point de vue de la réforme fiscale que de la
réforme du financement de la protection sociale, la réflexion doit aller de
pair avec l'analyse de la portée de l'action publique quant au potentiel de
croissance et de création d'emploi.
On ne doit pas non plus perdre de vue l'accrochage de la politique budgétaire
de notre pays dans l'ensemble de la pratique des gouvernements de l'Union
européenne.
A ce propos, nous pensons que cet accrochage ne peut être conçu uniquement
comme une sorte de passage obligé ou apparaître comme un gage de bonne gestion.
Nous pensons en particulier que notre pays doit jouer un rôle déterminant dans
la définition d'un certain nombre de priorités.
J'en veux pour preuve le débat que nous avons eu récemment, et uniquement en
commission des finances - ce qui limite la portée de cet échange aux lecteurs
assidus du Bulletin des commissions du Sénat et illustre le caractère quelque
peu formaliste de l'article 88-4 de la Constitution - sur la taxation des
produits financiers dans les pays de l'Union européenne.
Certains des pays de l'Union européenne, dont les gouvernements sont pourtant
totalement ou partiellement classés « à gauche », continuent en effet de
s'interroger sur la validité d'une harmonisation en ces matières, alors même
qu'il s'avère indispensable de lutter à la fois contre une concurrence fiscale
en général préjudiciable à l'emploi et contre une assez évidente iniquité
fiscale qui pénalise le travail et favorise abusivement le capital.
De la même manière, la France doit, à notre sens, et au moment même où se
déroulent les négociations de Lomé-V, prendre l'initiative de mesures
pertinentes en matière de taxation des mouvements spéculatifs, mesures que des
millions de pétitionnaires ont d'ailleurs encore fait valoir en cette fin de
semaine.
La mise en oeuvre d'une nouvelle politique de développement économique et
social des pays du sud s'avère plus qu'indispensable, et elle doit faire partie
des visées de la démarche internationale de notre pays.
Le débat sur la place de notre pays dans le concert européen ne peut cependant
nous faire oublier les exigences du débat intérieur sur la réforme fiscale et
les politiques publiques.
En ces matières, nous avons goûté, ces dernières années, aux « joies » de la
rigueur, une rigueur qui ne nous a pas épargné les dérapages incontrôlés,
d'autant qu'elle n'a pas été équitablement partagée.
Il y a un lien entre situation des comptes publics et développement
économique, et il importe donc, de notre point de vue, que la mobilisation des
fonds publics serve effectivement à favoriser ce dernier.
Cela m'amène évidemment à dire que nous ne sommes pas totalement convaincus du
bien-fondé d'une orientation selon laquelle le redéploiement de crédits et la
recherche opiniâtre des économies de gestion seraient la condition nécessaire
et suffisante à une utilisation judicieuse de la ressource publique.
Les perspectives ouvertes en la matière sont assez claires : il s'agit en
particulier de limiter à 1 % en volume la progression des dépenses publiques
d'ici à 2002.
Notons ici que cette progression s'intègre dans un cadre où un certain nombre
de dépenses sont appelées à croître. On citera ainsi les incidences des accords
salariaux dans la fonction publique, les effets budgétaires des négociations
sur la réduction du temps de travail - même si les créations d'emplois
associées à cette réduction du temps de travail peuvent avoir en retour un
effet positif sur l'équilibre des dépenses publiques - ou encore la poursuite
de la mise en oeuvre de certaines dispositions, comme la loi de programmation
relative à la justice ou la loi d'orientation relative à la lutte contre les
exclusions, ce qui amène à constater qu'un certain nombre de dépenses peuvent
être réduites dans les prochaines années pour tenir le cadre, et ce dès la loi
de finances pour 2000.
Réduction des déficits ne signifie pas réduction de l'endettement. Le pacte de
stabilité est plus illusoire que jamais. Pour notre part, nous estimons qu'il
est illusoire de penser qu'une gestion plus serrée des effectifs n'est pas
nécessairement un gage d'efficacité dans l'action des services publics.
On sait que certains ministères risquent en effet d'être mis à contribution
pour « rendre » des postes à ceux qui seraient amenés à en créer.
Cela a cependant un certain nombre de défauts, notamment celui de mettre en
question le droit à la mobilité des agents du secteur public et l'indispensable
renouvellement des équipes et des cadres.
De surcroît, la question de la présence des services publics sur le terrain et
de l'efficacité de leur action se pose évidemment. Cette question est sensible,
notamment dans des domaines comme la sécurité publique, le fisc et le
recouvrement des impôts, l'encadrement scolaire et la formation.
Comme le secteur public doit encore gérer une forme de précarité, toujours
présente et qu'il convient de réduire et de faire disparaître, vous conviendrez
que nous n'adhérions pas tout à fait à l'orientation fixée.
La satisfaction du comptable devant la réduction du déficit public ne peut, ne
doit jamais, à notre sens, faire oublier l'approche du gestionnaire, attentif à
la satisfaction des besoins collectifs exprimés par le corps social.
Nous sommes partisans d'une politique de dépense publique ambitieuse,
productrice de croissance et d'emploi, répondant aux besoins de la population
et donc plus audacieuse que celle qui nous est aujourd'hui proposée.
Cette orientation vaut évidemment pour la dépense publique en faveur de
l'emploi, élément décisif de la politique d'intervention publique, dont la
croissance exponentielle ces dernières années constitue d'ailleurs, selon nous,
un paramètre correctif de la quotité du déficit public telle que nous la
connaissons aujourd'hui.
Cette politique pour l'emploi est, de manière fondamentale, consacrée à la
prise en charge des cotisations sociales normalement dues par les entreprises,
notamment dans le cadre de la ristourne dégressive sur les bas salaires ou
encore de celle qui est désormais induite par la mise en oeuvre des accords de
réduction du temps de travail.
Nous n'avons jamais été convaincus par la pertinence de ce choix, d'autant
que, je l'ai rappelé, la situation des entreprises dans notre pays ne
présentait pas la caractéristique d'être financièrement difficile.
On pourra, par exemple, toujours noter qu'en 1997 la croissance des dividendes
distribués par les entreprises privées a été supérieure, en valeur absolue, et
non pas seulement en valeur relative, à celle de la masse salariale, comme pour
souligner les réalités auxquelles nous sommes confrontés.
Une question fondamentale se pose à notre avis : celle de l'accès au crédit
des entreprises, singulièrement des plus petites.
Même si la baisse des taux d'intérêt et le désendettement ont réduit la part
du prélèvement sur la valeur ajoutée opéré par les établissements financiers,
il n'en demeure pas moins que ces taux demeurent largement supérieurs à la
croissance réelle et que nombre de petites entreprises continuent à souffrir de
cette situation.
Le moment est venu, de notre point de vue, de s'interroger sur l'opportunité
de matérialiser l'aide publique à l'emploi, sous la forme d'une stratégie de
bonification d'intérêts, dont les effets de levier sont, selon toute
vraisemblance, les éléments de mesure en notre possession le prouvent,
autrement plus productifs de développement économique et social et donc de
création d'emplois qu'une stratégie d'allégement des cotisations sociales qui
ne fait qu'accompagner un mouvement de fiscalisation de la protection sociale
et de déresponsabilisation des entreprises vis-à-vis de la collectivité, sans
retour véritable au bénéfice de celle-ci.
Nous avons adopté cette position lors du débat sur le financement de la
protection sociale pour l'année 1999, ou encore lors de la discussion du projet
de loi sur l'épargne et la sécurité financière, et nous estimons qu'elle a
toute son acuité, monsieur le secrétaire d'Etat, notamment au moment où se pose
la question de la modification structurelle du financement de la protection
sociale et de la nouvelle définition de la contribution effective des
entreprises à ce financement.
Persévérer dans la seule démarche de l'allégement des cotisations sociales
présente en effet le risque essentiel de favoriser une détérioration globale
des conditions de rémunération des salariés du secteur privé, faite de
non-reconnaissance des qualifications acquises et de précarité.
La même démarche critique vaut évidemment pour l'ensemble de la dépense
publique, qui est souvent, selon nous, assez abusivement globalisée.
Nous ne croyons pas, par exemple, au caractère excessif de la dépense publique
pour l'éducation, celle-ci demeurant un investissement de la collectivité
nationale sur la longue durée et au bénéfice de sa jeunesse.
Restreindre aujourd'hui la dépense publique pour l'éducation, c'est engendrer
demain de nouveaux coûts pour la collectivité en matière d'insertion, de
traitement social du chômage et c'est prolonger l'exclusion et la fracture
sociales.
Notre pays, en cette matière, a d'ores et déjà gaspillé trop de potentiels et
de capacités pour continuer dans la voie d'une conception malthusienne de son
système éducatif.
On en voit d'ailleurs les conséquences quand on constate la misère des
services d'intervention socio-éducative auprès de ceux de nos jeunes qui sont
sortis de la « normalité ».
Ce débat sur la dépense publique est un débat crucial, d'autant que notre pays
a, en matière d'intervention publique, une tradition qui lui est propre au
regard de ses partenaires de l'Union européenne, tradition qui nous met
notamment à l'abri du travail des enfants tel qu'il se pratique en
Grande-Bretagne ou en Espagne.
Il est évidemment inséparable du débat sur la réforme fiscale et, à ce propos,
vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, plusieurs écoles se côtoient.
Pour notre part, nous estimons que ce débat n'est pas enfermé dans le cadre
étroit du taux des prélèvements obligatoires qui devrait baisser de manière
régulière et inexorable pour se voir décerner un label de bonne gestion.
Il doit se mesurer autour de deux axes essentiels : d'une part, la part
relative des impôts et taxes dans l'alimentation des comptes publics, et
notamment la qualité redistributrice de ces impôts et taxes ; d'autre part, la
pertinence et l'efficacité des prélèvements en termes d'emploi et de
croissance.
Nous pensons donc, en particulier, que la réforme fiscale doit recouvrer
clairement une volonté de réduction des droits indirects, à commencer par la
taxe sur la valeur ajoutée, et une amélioration du rendement des impôts
directs, fondée notamment sur une assiette plus large de l'impôt progressif.
Je veux le souligner ici à nouveau, il ne nous paraît pas satisfaisant que
l'assiette de la contribution sociale généralisée ait été largement étendue et
que ce principe n'ait pas été mis en pratique pour l'impôt progressif.
C'est pourtant important au moment où l'on indique vouloir réduire les
prélèvements pesant sur le travail.
S'agissant de la réforme de la fiscalité, nous serons donc particulièrement
attentifs aux mesures inscrites par le texte de la loi de finances initiale
pour 2000 et je me dois de vous dire que nous ne nous contenterons pas
uniquement de mesures de caractère symbolique ou à effet d'affichage.
Il convient, à notre sens, de faire en sorte que cette dernière loi de
finances du siècle soit une nouvelle étape dans la mise en oeuvre de
changements structurels profonds et justes au bénéfice des Français et du
pays.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les observations que je voulais
présenter dans ce débat d'orientation budgétaire.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, aujourd'hui se présente à nous cet exercice annuel
essentiel qu'est le débat d'orientation budgétaire. Pour habituel qu'il soit
maintenant, ce débat n'en est pas pour autant inutile.
Il permet, à mon sens, de dresser tout d'abord un large bilan des choix
effectués et des résultats obtenus en matière économique sur l'année en
cours.
Je m'y attacherai de façon non exhaustive dans mon intervention, en soulignant
les quelques éléments qui m'apparaissent fondateurs dans l'orientation prise
dans ce domaine par les pouvoirs publics.
De plus, le débat d'orientation budgétaire est, peut-être plus que d'autres
encore, l'occasion d'un échange empreint d'émulation et d'enseignement des
lignes de partage idéologique - osons le mot, monsieur le rapporteur général -
qui traversent nos rangs. Dans le respect de l'identité politique de chacun, il
permet, dans notre assemblée, de débattre de nos différences.
Enfin, un tel débat a naturellement vocation à tracer les axes qui
détermineront les politiques budgétaire et fiscale de notre pays pour l'année à
venir.
L'expérience a montré que le Gouvernement ne restait pas sourd aux
sollicitations des parlementaires dans la préparation de son budget. Je suis
convaincu que, cette année encore, les débats, tant à l'Assemblée nationale
qu'au Sénat, permettront des apports pertinents propres à aider le Gouvernement
dans la lourde tâche qui lui incombe. Je ne doute pas, pour ma part, que vous
saurez retirer le meilleur de nos échanges pour le bien de la communauté
nationale.
Je rappelais, voilà quelques minutes, l'intérêt d'effectuer un bilan à
mi-parcours des conditions et des résultats économiques. Je souhaite, bien
au-delà d'une simple et stérile autosatisfaction, vous livrer les réflexions et
les leçons que nous dicte la situation économique de notre pays.
La croissance, tout d'abord, a retrouvé un rythme de progression satisfaisant
malgré le léger fléchissement qu'elle a subi au premier trimestre 1999 qui ne
saurait augurer un inversement de tendance en la matière.
Cependant, la croissance n'est rien sans la confiance. Vous n'êtes pas sans
savoir que l'investissement des entreprises, notamment des PME, est aujourd'hui
en hausse notable, comme celui des ménages. Cette tendance laisse penser qu'un
ressaut positif sera enregistré dès le prochain semestre.
La volonté du Gouvernement d'aller vers une meilleure et plus juste
redistribution des fruits de la croissance a conduit à un renforcement du
pouvoir d'achat des ménages. Alors que la hausse de ce pouvoir d'achat était
d'environ 1,4 % entre 1993 et 1995 et de 3 % entre 1995 et 1997, elle est
aujourd'hui de 5,2 %.
En ce qui concerne la dette et les déficits publics, les résultats sont tout
aussi encourageants. Ainsi, pour la première fois depuis vingt ans, le ratio
dette/PIB va décroître. De même, alors que les déficits publics atteignaient
près de 5,6 % en 1993 et restaient sur une pente entre 3,5 % et 3,7 % en 1997,
ils ont été ramenés en deçà de la barre des 3 % en 1998 pour atteindre en 1999
un niveau encore inférieur à l'objectif initial de 2,3 %.
Les prélèvements obligatoires avaient progressé par rapport au PIB de 0,6 %,
voire de 1,2 % entre 1993 et 1996. Depuis 1997, leur niveau a été stabilisé. De
ce point de vue-là encore, les mesures ont été engagées pour que les objectifs
d'une nécessaire redistribution soient respectés.
Mais c'est surtout dans le domaine de l'emploi que doit se situer notre plus
grande ambition. La bataille est loin d'être gagnée, mais les résultats
enregistrés n'en sont pas moins satisfaisants. En juin 1997, la France comptait
un taux de chômage de 12,6 % par rapport à sa population active. Ce taux a été
ramené à 11,4 % en avril dernier alors que, dans le même temps, la population
active croissait fortement. Au total, ce sont près de 480 000 emplois qui ont
été créés entre 1997 et 1998.
Ainsi, l'économie française a, de ce point de vue encore, largement rattrapé
son retard et peut-être même pris quelques longueurs d'avance sur ses
principaux partenaires européens : l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni.
Pour ce faire - et en cela j'en reviens à la notion de confiance - nous avons
bénéficié d'un apport important dû à une relance de la demande intérieure.
Il est aujourd'hui indéniable que la décrue du chômage en France est presque
ininterrompue depuis juin 1997. Jusqu'à présent, les jeunes ont largement
profité de cette embellie. Il nous faut continuer dans cette voie pour que
chacun retrouve sa juste place dans notre société.
Les objectifs budgétaires de notre pays, tels qu'ils sont énoncés dans le
programme pluriannuel transmis à la Commission européenne, doivent permettre de
progresser dans la voie d'une croissance maîtrisée des dépenses, d'une
réduction du poids de la dette, d'une diminution des prélèvements obligatoires
et d'une meilleure redistribution.
Ainsi quantifiés, les choix du Gouvernement me semblent raisonnables dans le
sens où ils n'empruntent ni le chemin timoré d'une gestion trop rigoureuse, ni
les sentiers hasardeux d'une dilapidation des produits de la croissance
retrouvée.
Le budget 2000 est en accord avec ces objectifs. S'il semble difficile de
prévoir précisément les marges de manoeuvre budgétaires qui dépendront du
niveau de croissance, dont on ne connaîtra valablement l'estimation qu'à la fin
du mois d'août, il est toutefois possible de poser quelques jalons.
Ainsi, nous nous félicitons du fait que le Gouvernement ait choisi, pour sa
politique budgétaire, de fixer un objectif de dépenses plutôt qu'un objectif de
déficit, et qu'une augmentation des dépenses soit prévue à hauteur de 0 % en
volume.
Au stade où nous sommes, il nous est possible de réfléchir aux outils nous
permettant de poursuivre une réforme fiscale équilibrée et respectueuse tout à
la fois des équilibres nationaux et des obligations de redistribution.
Je me permettrai tout d'abord d'énoncer quelques principes qui, s'ils
paraissent évidents, méritent toutefois d'être rappelés.
Premier principe : l'impôt n'est pas, par nature, un mauvais outil. Il sert à
financer l'offre de services publics et la redistribution des richesses
auxquelles les Français sont si attachés. La baisse de l'impôt ne peut donc se
faire sur la seule base de théories économiques ou de politiques dogmatiques ;
il faut garder à l'esprit les principes fondateurs du fonctionnement de notre
société.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vive l'impôt !
M. Bernard Angels.
C'est une différence qui existe entre nous et à laquelle je faisais allusion
en introduction.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Sûrement !
M. Bernard Angels.
Nous l'avons souvent dit, et je me permets de le rappeler, l'impôt est la
contrepartie des diverses prestations offertes par les pouvoirs publics. Dans
ce domaine, des efforts sont indéniablement à faire. Une société moderne et
responsable n'est pas nécessairement une société dans laquelle on paie peu
d'impôts ; c'est une société dans laquelle chaque citoyen a conscience que sa
contribution personnelle est utilisée de la façon la plus efficace pour
l'intérêt général.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Le rapport qualité-prix est
mauvais !
M. Bernard Angels.
C'est donc avant tout de l'amélioration de la dépense publique qu'il doit être
question.
Deuxième principe : l'outil fiscal n'est pas immuable. Si l'impôt n'est pas
contestable en son principe, il peut être contesté dans son application.
En cela, notre législation fiscale n'est pas exempte de défauts. Elle peut et
doit être réformée pour participer, de la manière la plus juste, à la
redistribution des richesses et au travail de relance de l'économie. Cependant,
gardons-nous d'engager des mesures radicales dans la précipitation. Réformer
n'est pas renverser et nous devons faire preuve - encore plus peut-être dans ce
domaine si sensible auprès de nos concitoyens - de responsabilité et de mesure
pour poursuivre l'effort de justice sociale en réformant, sans les
déséquilibrer, nos structures et nos pratiques.
Les principes fondateurs d'une réforme fiscale sont de deux ordres : « Comment
tenir compte des capacités contributives de chacun ? » ; « Comment intégrer
cette réforme dans une politique de relance sociale ou économique ? »
Dans ce cadre, il nous apparaît tout à fait positif que le Gouvernement ait
choisi d'accorder le bénéfice des prochaines réductions d'impôts aux ménages
plutôt qu'aux entreprises, et ce pour plusieurs raisons.
En revanche, il nous apparaît indispensable que ces avantages soient accordés
l'année prochaine, quelles que soient les hypothèses de croissance qu'arrêtera
le Gouvernement. Celles-ci doivent conditionner l'ampleur de ces mesures, mais
en aucun cas leur existence. Il y va de la cohésion sociale et du renforcement
de la demande intérieure.
Cette orientation en faveur des ménages doit être engagée.
Tout d'abord, vous conviendrez, mes chers collègues, que, dans le budget de
1999, des mesures avaient été prises en faveur des entreprises. Elles ont
permis, par des actions structurelles fortes, leur développement et elles sont
budgétées pour 2000. La réforme de la taxe professionnelle, la suppression de
la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés sont autant d'engagements qui prouvent
l'attachement du Gouvernement et de la majorité au renforcement des capacités
de production des entreprises.
Il convient de noter par ailleurs qu'une baisse des cotisations patronales est
prévue dans le cadre de la mise en place des 35 heures. L'ensemble de ces
mesures me paraît déjà tout à fait ambitieux pour une seule et même année.
D'autre part, ainsi que vous l'avez sûrement déjà relevé, les mesures prises
en faveur des ménages ne sont pas sans effet sur les entreprises. Une relance
du pouvoir d'achat influence favorablement consommation et croissance, deux
variables dont l'évolution positive profite largement aux entreprises.
Enfin, il est important de donner des gages sérieux aux Français qui ont
participé avec courage et détermination à l'effort de relance. La baisse des
prélèvements obligatoires ne doit pas se limiter à un simple partage des
bénéfices de la croissance. Elle doit aussi et surtout être la marque d'une
confiance retrouvée, d'un climat apaisé et d'une plus grande justice sociale au
profit de nos concitoyens les plus en difficulté.
Après cette rapide définition des objectifs et de la méthode, il convient de
nous attarder aux choix qu'ils imposent.
Deux chantiers nous semblent prioritaires pour l'année à venir : la poursuite
de l'effort de simplification et la recherche d'une plus grande justice en
matière fiscale.
Une réforme fiscale ne doit pas se mesurer seulement à l'aune de son rendement
mais aussi, ainsi que je l'ai déjà énoncé, en tenant compte de sa perception
par le contribuable. En cela, un travail approfondi de simplification des
mesures déclaratives est nécessaire.
Il semble qu'une réflexion soit engagée par le Gouvernement dans ce sens dans
le domaine de la fiscalité de l'épargne. Trop de régimes dérogatoires
subsistent et une démarche dans la voie de l'unification ne peut être qu'une
initiative pleine de sens.
De même, la concertation menée par le Gouvernement concernant la « déclaration
expresse » de l'impôt sur le revenu me paraît tout à fait intéressante. Je ne
suis pas sûr que nous soyons déjà en mesure d'effectuer un prélèvement à la
source pour cet impôt mais, en tout état de cause, nous devons favoriser toutes
les initiatives en ce sens.
Ainsi, toute mesure visant à simplifier l'impôt des contribuables dont les
revenus sont déclarés par des tiers mérite d'être mise en oeuvre.
En ce qui concerne la simplification de l'impôt sur le revenu, vous me
permettrez, monsieur le ministre, d'évoquer ici une mesure qui, si elle est
ponctuelle, n'en est pas moins nécessaire compte tenu du mécontentement
manifesté sur le sujet voilà quelques mois. C'est, vous l'aurez compris, au
droit de bail que je fais ici référence.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Double imposition !
M. Bernard Angels.
Je ne reviendrai pas sur le débat de fond, d'autant que le sujet fait encore
l'objet, à l'heure actuelle, d'une réflexion au sein du Gouvernement.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
On l'avait mis en garde !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Oui, nous l'avions dit !
M. Bernard Angels.
Je profite simplement de l'occasion que m'offre votre présence en notre
assemblée, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pour avancer
quelques éléments de réflexion sur cette question. Il nous paraît en effet
primordial qu'une rupture de bail donne lieu à un crédit d'impôt, et ce dans
tous les cas.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Heureuse conversion !
M. Bernard Angels.
Je souhaite que la concertation engagée dans ce sens aboutisse à la définition
de modalités administratives appropriées à un traitement rapide de ce
dossier.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il aurait suffi de nous écouter !
M. Bernard Angels.
Par exemple, pourquoi ne pas imaginer, dès aujourd'hui, un remboursement étalé
sur une période de cinq ans ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pourquoi pas ?
M. Bernard Angels.
Je soumets cette proposition à votre réflexion.
Dans le même ordre d'idée, je désirais vous interroger, monsieur le ministre,
sur l'extension du régime du microfoncier ; j'ai cru comprendre qu'elle faisait
l'objet d'une réflexion au sein de votre ministère.
Le deuxième chantier auquel nous devons porter la plus grande attention, c'est
celui de la recherche d'une plus grande justice fiscale.
Des impôts plus justes, ce sont non pas forcément des impôts moins élevés mais
souvent des impôts mieux répartis.
De ce point de vue, je reste sceptique quant aux retombées économiques du
dispositif dit de la loi Pons, dont la refonte me semble piétiner à l'heure
actuelle. Je suis toujours fermement persuadé que les départements et les
territoires d'outre-mer auraient tout à gagner d'un dispositif de même ampleur,
mais n'entraînant pas pour autant les effets d'aubaine qui sont constatés
aujourd'hui et dont les bénéficiaires ne sont que rarememt les contribuables
qui devraient en profiter au premier chef.
D'une manière plus générale, il convient, à mon sens, de s'interroger sur la
pertinence du maintien d'un certain nombre de niches fiscales qui perdurent
dans l'impôt sur le revenu.
Certains évoquent la possibilité d'élargir l'assiette pour abaisser les taux
du barème. Cette piste n'est pas à écarter - je n'ai pas d'
a priori
-
mais elle ne doit pas masquer d'autres voies tout aussi intéressantes, telle
qu'une meilleure répartition des dépenses fiscales à masses constantes.
A ce propos, il pourrait s'avérer, à mon sens, tout à fait utile de réfléchir
à la transformation de certaines réductions d'impôt en crédits d'impôt. Cette
mesure, déjà appliquée pour les travaux dans l'immobilier, a montré toute sa
pertinence. Nous pourrions réfléchir à un élargissement de ce type de
dispositif à d'autres dépenses de nature plus sociale, comme les frais de garde
d'enfants.
Traditionnellement, nous avons toujours recommandé une diminution de la TVA
plutôt que de l'impôt sur le revenu. Ce postulat repose sur le triple constat
que les impôts indirects sont inéquitables car proportionnels et, de plus, trop
élevés en regard des impôts directs, eux-mêmes plus justes puisque
progressifs.
De plus, une baisse de l'impôt sur le revenu ne touche qu'environ un foyer
français sur deux.
Cependant, si l'on consent à rembourser aux contribuables non imposables un
montant susceptible de compenser le manque à gagner de l'avantage accordé aux
foyers imposables, l'allégement fiscal ainsi offert a le mérite de se trouver
plafonné quel que soit le revenu du contribuable et d'être accordé à tous.
Cette remarque m'offre une occasion d'évoquer la question d'un taux réduit de
TVA sur les travaux immobiliers.
Sans préjuger les discussions qui se déroulent au niveau européen, je voudrais
rappeler que, si les hausses de TVA sont toujours répercutées à plein sur le
consommateur, les baisses le sont de manière parfois plus variable.
Il ne faut donc pas, à mon avis, s'interdire de réfléchir à des mesures
intéressant directement le consommateur. Le crédit d'impôt se révèle être à
cette fin une solution tout à fait intéressante en matière d'imposition sur le
revenu.
Avant de conclure, je souhairerais évoquer deux sujets qui, à mon sens, seront
au centre des préoccupations dans les années à venir et sur lesquels il
convient de réfléchir dès à présent.
La première de ces préoccupations concerne la protection de l'environnement et
du cadre de vie.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
L'écotaxe !
M. Bernard Angels.
Dans ce cadre, il me semble essentiel que l'« écotaxe », effectivement,
construite sur l'idée du pollueur payeur, soit rapidement mise en place.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Un impôt nouveau !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Encore un impôt !
M. Bernard Angels.
Je souhaiterais que, sur ce dossier, notre réflexion soit la plus large
possible. Il s'agit non plus seulement de trouver les moyens de financer telle
charge nouvelle mais aussi d'établir un système suffisamment dissuasif pour
freiner des comportements dangereux pour la collectivité. Cette position
s'impose à l'ensemble des pollutions et implique ainsi, par exemple, que des
dispositions concernant la sécurité alimentaire soient également
développées.
Enfin, il me serait impossible de clore cette intervention sans aborder, même
rapidement, le volet européen.
Nous nous devons d'être réellement volontaristes en matière fiscale. Je ne
citerai que trois dossiers que nous devrons voir aboutir le plus rapidement
possible.
En premier lieu, il est nécessaire de tout faire pour voir adopter la
directive sur l'épargne récemment reportée, à mon grand regret. Nous restons,
en outre, persuadés que l'adoption de la règle de la majorité qualifiée
constituerait, dans le cas où une telle harmonisation ne pourrait voir le jour,
une réponse institutionnelle propre à favoriser sa mise en place.
En second lieu, il est important que s'engage au sein de l'Union un large
débat sur la taxation de l'épargne financière à caractère spéculatif. Largement
débattu dans notre pays, ce dossier doit rapidement trouver une réponse à
l'échelle européenne.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela ne suffira pas !
M. Bernard Angels.
Une telle réflexion, pour être équilibrée, doit s'appuyer sur des modalités de
taxation « à la sortie » au niveau des plus-values constatées.
Enfin, la lutte contre le dumping fiscal européen me paraît devoir être
rapidement étudiée. Une telle démarche, largement sollicitée par les
entreprises, ne saurait, en effet, être repoussée sans risque à un calendrier
trop lointain.
Pour conclure, mes chers collègues, il me paraît nécessaire de décliner notre
réflexion à partir de trois principes.
L'esprit de responsabilité, tout d'abord, doit nous prémunir des excès et des
a priori
que nous sommes tous enclins parfois à faire primer sur
l'intérêt général pour parvenir à cerner les mesures les plus adaptées au bien
de la collectivité nationale.
Le respect des convictions et des valeurs - deuxième principe - offre les
conditions d'un échange toujours renouvelé. C'est sans exclusive et l'esprit
ouvert que nous parviendrons à créer une dynamique à la hauteur de l'attente
des Français.
L'ambition, enfin, d'offrir à nos concitoyens les conditions d'une plus grande
justice sociale doit nous pousser, en nous appuyant sur les résultats acquis et
le travail engagé depuis deux ans, à rechercher de nouvelles voies vers le
progrès social et la redistribution des richesses.
A tous ces niveaux, je ne doute pas que nous saurons, mes chers collègues,
prendre la mesure, dans nos débats, des enjeux qui s'offrent à notre pays, et
que le Gouvernement suivra, lui aussi, cette voie pour la définition du budget
de l'an 2000.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
L'ensemble des
orateurs qui se sont exprimés, en sus du président de la commission des
finances et du rapporteur général, représentant tous les groupes de la Haute
Assemblée, il m'a semblé possible de faire une première réponse aux orateurs
qui ont exposé leur position, pour ensuite, à la fin du débat, répondre aux
autres orateurs ; cette manière de procéder a déjà été utilisée dans le
passé.
Je répondrai pour ma part plus directement à M. le rapporteur général et à M.
le président de la commission des finances, réservant à M. Christian Sautter le
soin de répondre aux autres présidents de commission, ainsi qu'aux deux
orateurs des deux groupes dont aucun membre n'est président de commission.
Ce débat me semble bien engagé ; chacun ayant fait valoir ses positions en les
argumentant.
Evidemment, tout cela n'est pas exempt de piques d'un côté et d'autre, mais
c'est la tradition parlementaire, et personne ne saurait s'en plaindre.
Toutefois, au-delà des piques qu'ils lancent, nombreux sont ceux qui se sont
plu à reconnaître tel ou tel point avancé par le Gouvernement ; je veux les en
remercier.
Lorsque M. Marini donne acte au Gouvernement d'avoir une croissance plus forte
que les grands pays européens, il ne fait que constater une réalité. Il ne
pourrait donc pas prétendre le contraire. Cependant, la réalité a parfois été
contestée dans les hémicycles parlementaires. Chacun trouve donc un certain
plaisir à constater que cette réalité s'affirme avec tant de force qu'il n'est
pas possible de prétendre le contraire.
En revanche, je suis moins d'accord avec la thèse défendue par M. le
rapporteur général, selon laquelle la diminution du déficit - là aussi, il
serait difficile de prétendre le contraire - ne repose que sur la croissance,
alors que tel ne devrait pas être le cas. Je me suis exprimé sur ce point dans
mon intervention liminaire, me doutant avec une sagacité sans pareille que ce
point serait évoqué soit par M. le rapporteur général, soit par M. le président
de la commission des finances. Je n'ai pas été déçu. Je veux donc y revenir
brièvement.
Certes, le déficit diminue - et nous pouvons nous en réjouir - mais il y
aurait matière à critique si cette baisse ne reposait que sur la croissance.
Tous les calculs sur la réduction des déficits structurels montrent qu'il n'en
est rien. Certes, la définition de ces déficits prête à interprétation selon
les économistes. Des chiffres différents peuvent être obtenus. Le FMI, par
exemple, n'a pas exactement la même appréciation du déficit structurel que
l'OCDE ou la direction de la prévision en France.
Mais quelle que soit la définition retenue - j'évoquais tout à l'heure les
chiffres du FMI mais j'aurais pu prendre ceux de l'OCDE ; ils ne se situent pas
exactement au même niveau, mais la hiérarchie reste la même - chacune met
clairement en évidence le fait que nous avons un déficit structurel plus
important que les autres pays européens - c'est le produit de l'histoire, je ne
ferai pas de partage - mais que la réduction de ce déficit est aussi
aujourd'hui la plus forte.
Chacun devrait se réjouir qu'au-delà de la réduction du déficit qui découle de
la conjoncture, c'est-à-dire d'une phase de cycle dans laquelle la croissance
revient et où les recettes sont fortes, nous avons, hors effet de la
croissance, la plus importante réduction du déficit structurel des pays pris en
compte par le FMI. Celui-ci l'évalue à 0,5 % ; d'autres l'établissent à 0,4 %,
voire à 0,35 %. Dans tous les cas de figure, cette réalité n'est pas contestée
: le déficit structurel en France baisse de façon significative, et cette
diminution est sensiblement plus forte que la moyenne européenne.
Le deuxième point sur lequel je veux revenir concerne l'inflation et les
contrats de gestion. En effet, le Gouvernement a commis une erreur. Dans la loi
de finances de 1999, il a prévu un taux d'inflation qui s'est révélé trop
pessimiste. Ce taux semble aujourd'hui devoir être plus faible. Peut-être
remontera-t-il d'ici à la fin de l'année, auquel cas le Gouvernement finirait
par avoir raison.
A priori
, même si certains signes montrent une légère remontée du taux
d'inflation, nous en sommes à un taux de l'ordre de 0,4 %. Celui-ci atteindra
peut-être 0,5 % ou 0,6 % mais il sera sans doute moins élevé que celui que nous
avions prévu, M. Christian Sautter et moi-même, au mois d'août dernier.
Dans ces conditions, que convient-il de faire ? J'ai eu l'occasion de
m'exprimer à ce sujet à plusieurs reprises devant le Sénat et tout à l'heure
encore. La politique budgétaire que le Gouvernement veut mettre en oeuvre
repose sur le principe d'un objectif de croissance en volume intangible pour
1999 qui a été fixé à 1 %.
Dans ces conditions, il faut bien se mettre en situation de respecter
l'objectif en volume. Par conséquent, les crédits ayant été calculés par
rapport à un objectif en valeur surévalué, puisque l'inflation a été
a
priori
surévaluée, il faut mettre de côté, dans ces fameux contrats de
gestion passés avec les ministères, certaines sommes. Cette opération ne
constitue pas un gel au sens où il ne s'agit pas d'un dépassement de la dépense
budgétaire par rapport aux sommes qui ont été prévues et votées par les
assemblées. En effet, qu'est-ce que le gel des dépenses ? Lorsqu'on s'aperçoit
que les recettes ne sont pas au rendez-vous ou que les dépenses explosent et
qu'on veut respecter le déficit prévu, alors on gèle les dépenses avant de
procéder éventuellement à leur annulation. Or ce n'est pas cela qui est en
cause.
Le problème est de dépenser non pas les crédits que vous avez votés, mais des
crédits inférieurs à ceux que vous avez votés. Mais comme nul ne sait quel sera
le taux d'inflation à la fin de l'année, il ne faut pas non plus prendre
aujourd'hui des décisions qui seraient irréversibles, d'où une technique
nouvelle qui a été mise en place sous le nom de « contrats de gestion » et qui
consiste à voir, ministère par ministère, chapitre par chapitre, et parfois
même au sein des articles, les articles qui sont concernés par cette
surestimation du taux de l'inflation et ceux qui ne le sont pas.
Par exemple, dans certains ministères les crédits d'intervention ou de
fonctionnement sont importants. Or, ce sont des crédits surévalués puisque
l'estimation du taux de l'inflation a été surévaluée. Dans ces ministères-là,
il convient de procéder à une correction. Aussi, je répondrai à M. le
rapporteur général qui m'a demandé quels ministères étaient concernés que tous
le sont dans des proportions variables en fonction des postes sur lesquels
l'inflation joue.
Par conséquent, la surestimation du taux de l'inflation a conduit le
Parlement, qui a suivi la proposition du Gouvernement, à retenir des crédits
trop élevés. Je ne doute pas que les services du Sénat, si précis et si
efficaces traditionnellement, sauront reconstituer facilement les postes et les
lignes budgétaires concernés.
Mais si l'inflation remonte d'ici à la fin de l'année, ces sommes seront
restituées aux ministères pour que, en fin de compte, la dépense réelle ait bel
et bien augmenté de 1 %, comme le Gouvernement s'y est engagé.
Vous avez ensuite déclaré, monsieur le rapporteur général, que les
gouvernements précédents - sans doute pensiez-vous aux deux gouvernements
précédents - avaient eu bien du mal à réduire le déficit, et en ne touchant
nullement d'ailleurs au déficit structurel qui, lui, est resté en l'état, parce
qu'ils devaient faire face à une mauvaise conjoncture. Comme si l'on devait
considérer que la conjoncture est un élément totalement extérieur à la
politique du Gouvernement ! Si tel est le cas, il faut arrêter toute politique
économique. La mauvaise conjoncture était peut-être due à des événements
internationaux, mais aussi à la politique menée par le Gouvernement.
C'est si vrai que les résultats en matière de conjoncture en France ont été,
de 1993 à 1997, inférieurs à la moyenne européenne, ce qui prouve qu'il était
possible de faire mieux puisque les autres pays ont réussi avec une conjoncture
internationale qui était, pour eux, la même que pour nous.
Symétriquement, quand je me réfère, ce que vous faites sans doute comme moi,
aux débats qui se tiennent aujourd'hui au Parlement italien ou au Parlement
allemand, je constate que l'opposition dit au gouvernement de M. D'Alema, en
Italie, ou à celui de M. Schroder, en Allemagne : « Regardez les Français ; ne
nous dites pas que la conjoncture est mauvaise ; elle est la même pour tout le
monde. » Ce sont vos amis qui sont dans l'opposition dans ces pays.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce sont vos amis qui ne sont peut-être pas très bons
!
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Peut-être, mais
vous reconnaissez et je vous en remercie, monsieur le rapporteur général, que
les amis de nos amis, c'est-à-dire nous-mêmes, sont plutôt bons.
Vous avez ensuite abordé, monsieur le rapporteur général, le problème des
collectivités locales. Si le taux des prélèvements obligatoires par rapport au
PIB a été stabilisé, dites-vous - et, effectivement, il n'a pas baissé, j'y
reviendrai tout à l'heure - c'est grâce aux collectivités locales.
Mais, de manière habile, vous avez laissé entendre dans votre discours que
cette stabilisation était imputable aux décisions des collectivités locales.
Comme si celles-ci, prises d'une vertu subite, avaient décidé de faire baisser
la pression fiscale qu'elles contrôlent !
La réalité est bien évidemment complètement différente. C'est en effet grâce à
la baisse de la pression fiscale au titre des collectivités locales que le taux
de prélèvements obligatoires a été stabilisé. Mais cette diminution des
prélèvements est due non pas à l'initiative des collectivités locales mais à la
baisse des droits de mutation pour les régions. Si nous constatons, à la
concurrence de 0,2 point de PIB, une baisse de la pression fiscale des
collectivités locales, c'est donc bien grâce à l'initiative du Gouvernement,
même si elle est enregistrée au niveau de ces dernières.
Il ne faudrait donc pas retirer à César ce qui lui appartient, et en
l'occurrence au Gouvernement, ce qu'il a mis en oeuvre, à savoir la
stabilisation des prélèvements obligatoires. Celle-ci peut être considérée
comme un objectif encore insuffisant ; mais elle est préférable à la hausse.
Elle est bien le fruit de la politique qui a été mise en place par le
Gouvernement et par sa majorité même si elle s'inscrit dans les comptes des
collectivités locales.
Cette stabilisation est-elle une bonne chose ? Personne ne peut être opposé à
une baisse ; nous le disons d'ailleurs tous, jour après jour. L'objectif est
bien d'arriver à une baisse du taux des prélèvements obligatoires. Mais
reconnaissez quand même - vous êtes beau joueur ; vous allez en convenir -, que
la stabilité des prélèvements obligatoires est préférable à une hausse de
ceux-ci.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est moins bien qu'une
baisse.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La baisse, c'est mieux que la stabilité.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est moins bien
que la baisse. Voilà, nous parvenons à tomber d'accord sur un point. Nous
allons mettre 20 sur 20 au gouvernement qui procède à une baisse des
prélèvements obligatoires, 10 sur 20 à celui qui les stabilise et un zéro
pointé à celui qui les augmente. Voilà une proposition honnête.
Reportons-nous aux années passées. Le Gouvernement en place qui, depuis deux
ans, stabilise ces prélèvements n'obtiendra que 10, soit juste la moyenne, je
suis d'accord avec vous. Je constate toutefois aussi que les deux gouvernements
précédents ont été à l'origine d'une hausse des prélèvements obligatoires de
0,5 point par an, soit 2 points en quatre ans. C'est bien vous qui avez décerné
les zéros pointés.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Que s'est-il passé avant ces
deux gouvernements ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Les prélèvements
obligatoires étaient restés stables. Ils avaient même légèrement baissé quand
M. Bérégovoy occupait les fonctions que j'ai l'honneur d'assumer
aujourd'hui.
Vous avez jugé bon - chacun le sait ; c'est un secret de polichinelle -
d'augmenter la TVA pour mettre en oeuvre deux réformes. La première était celle
de la baisse de l'impôt sur le revenu, qui a été amorcée. Mais l'augmentation
de la TVA pour baisser l'impôt sur le revenu n'a
a priori
pas d'effet
sur les prélèvements obligatoires. La seconde réforme était la baisse des
charges, à savoir la fameuse ristourne Juppé. On peut en penser ce qu'on veut.
Mais, là aussi, l'augmentation de la TVA pour baisser les charges ne devrait
pas avoir d'effet sur les prélèvements obligatoires. Cette opération est
neutre. Si les prélèvements obligatoires ont augmenté de deux points pendant
cette période, c'est bien parce qu'il s'est passé autre chose.
Lorsqu'on dit que le gouvernement en place de 1993 à 1997 a augmenté, par la
hausse de la TVA, les prélèvements obligatoires. On vous fait, en fait, un
cadeau. En effet, il a augmenté les prélèvements obligatoires, mais cela ne
provenait même pas de la hausse de la TVA puisqu'elle a été utilisée pour
baisser d'autres impôts. Par conséquent, vous avez augmenté deux fois les
prélèvements obligatoires pendant cette période. En effet, quand on regarde la
courbe - vous la connaissez comme moi car elle figure dans tous les ouvrages -
on s'aperçoit que les prélèvements obligatoires ont augmenté, de 1993 à 1997,
d'une manière que la France a peu connue.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La dynamique des recettes n'était pas la même.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eh oui ! parce
que la croissance n'était pas au rendez-vous et que la politique économique
n'était pas adaptée. On en revient toujours à la même chose.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous êtes trop manichéen.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Toujours est-il
que nous avons stabilisé les prélèvements obligatoires. Ce n'est certes pas
suffisant, et j'admets tout à fait votre critique.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Tout allait bien en 1992 ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non ! tout
n'allait pas bien en 1992. La preuve en est que les Français, en 1993, ont
souhaité changer de gouvernement. Mais tout allait encore moins bien en 1997
puiqu'ils ont de nouveau voulu changer de gouvernement.
En tout cas, je constate, pour ma part, que les prélèvements obligatoires sont
stabilisés depuis deux ans. M. Christian Sautter et moi-même avions déclaré
qu'ils allaient baisser. Pourquoi n'ont-ils pas diminué ? Voilà une question
qui mérite d'être éclaircie.
Le taux des prélèvements obligatoires, chacun le sait, est le rapport entre
les prélèvements et le PIB. Les prélèvements ont-ils été supérieurs aux
prévisions ? Cela permettrait d'expliquer qu'ils n'aient pas baissé et qu'ils
soient restés stables. Non, ils ont été, presque au milliard près, équivalant à
ceux qui étaient prévus.
Que s'est-il passé ? Le PIB a été plus faible que prévu. C'était une surprise
puisque nous avions une croissance supérieure à nos prévisions. Certes, mais le
PIB qui intervient dans le calcul de ce ratio est le PIB en valeur, inflation y
compris. Or, l'inflation a été beaucoup plus faible que prévu. Le PIB a donc,
lui aussi, été plus faible que prévu, même si, en volume, il avait plus
augmenté qu'on ne l'espérait.
En conséquence, le ratio, par un effet purement arithmétique dû à une
inflation qui - et c'est fort heureux - a pratiquement disparu, fait apparaître
non pas une baisse, mais une stagnation du taux des prélèvements obligatoires.
Tout cela est dû en grande partie à un effet comptable.
Si nous avions eu - certes, me direz-vous avec des « si » on ferait beaucoup
de choses - l'inflation qui avait été prévue, ce qui aurait été moins bien - il
est préférable d'avoir moins d'inflation - nous aurions alors eu une baisse des
prélèvements obligatoires, selon les taux qui étaient prévus. Dans la réalité,
cela ne change rien. Le Sénat doit être correctement informé sur ce point.
Si le taux est resté stable au lieu de baisser comme prévu, c'est parce que
l'inflation n'est pas au rendez-vous. A quelque chose, malheur est bon, car une
inflation réduite entraîne plus de pouvoir d'achat et sans doute plus de
croissance et d'emplois.
J'en viens d'un mot à l'écotaxe et à la cotisation sociale sur les bénéfices
qui sera mise en place.
Il s'agit de nouveau d'une mesure dont la logique, même si la mise en oeuvre
et l'objectif ne sont pas les mêmes que ceux de M. Juppé, est de changer un
prélèvement par un autre, d'opérer un prélèvement pour procéder à un
allégement. Cela ne modifie en rien les prélèvements obligatoires, mais le
gouvernement de M. Juppé estimait, à l'époque, que ce serait bon pour
l'économie. Je pense que M. Juppé s'est trompé car prélever de la TVA pour
alléger les charges a, certes, allégé ces dernières mais a aussi tué la
croissance.
Nous opérons différemment. Nous voulons aussi alléger les charges sur le
travail non qualifié, mais nous le finançons d'une autre manière. L'opération
est globalement neutre. Nous prenons de l'argent d'un côté pour le redonner aux
entreprises de l'autre, mais cela ne devrait pas nuire à la croissance. Cette
écotaxe qui, par ailleurs, est souhaitable, est en train d'être décidée à
l'échelon européen. De toute façon, elle existera ; par conséquent autant
l'utiliser pour l'emploi.
Quant à la cotisation sociale, très modique, sur les bénéfices il a été
démontré, en effet, au cours de l'année 1998 par exemple, qu'elle ne nuisait
pas à la croissance. En effet, chacun devra se souvenir longtemps que la
surtaxe de 15 %, mise en place en 1997 par le Gouvernement pour satisfaire aux
contraintes de l'entrée dans l'euro, n'a visiblement pas nui à la croissance
1998 qui se révèle être la meilleure de la décennie et supérieure à ce que le
Gouvernement avait prévu.
Dans ces conditions, nous voyons que si l'on doit trouver une ressource pour
alléger un autre impôt ou une autre charge, en l'occurrence les charges
sociales, c'est là un bon moyen, car cela ne nuit pas à la croissance. Nous
continuons donc à le mettre en oeuvre. Il n'en demeure pas moins que la surtaxe
de 1997 était temporaire et qu'elle disparaît en tant que surtaxe, ce qui, soit
dit en passant, n'a pas été le cas de la surtaxe créée précédemment par M.
Juppé. Elle disparaît, le Gouvernement tient donc sa parole.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Elle réapparaît aussitôt !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Elle disparaît
pour 10 % ; elle va réapparaître pour beaucoup moins, mais elle ne va pas
réapparaître sous forme d'une surtaxe IS, c'est un prélèvement pour financer
une baisse de charges ; c'est un problème indépendant du précédent.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce sont les mêmes qui paient !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est d'ailleurs
tellement indépendant que l'expertise que vous avez, et qui est grande, sait
parfaitement que tous les organismes de comptabilité, d'audit internationaux
veillent très sérieusement au fait de savoir si un impôt est temporaire ou ne
l'est pas. En effet, s'il est temporaire, ils admettent que, dans les comptes
des entreprises qu'ils sont amenés à vérifier et à certifier, celui-ci ne soit
pas provisionné ; mais s'il n'est pas temporaire, alors il faut le
provisionner.
En l'occurrence, pour la surtaxe de 10 % qui restait en place depuis le MUFF
de 1997, ce sont plusieurs milliards de francs qui sont en cause pour
l'ensemble de l'économie française. Or l'ensemble de ces organismes a reconnu
que, en effet, la surtaxe était temporaire, qu'elle disparaissait, et ne fait
absolument pas l'assimilation, qui est un peu grossière, de dire qu'elle
disparaît d'un côté, mais que l'on organise quelque chose qui est aussi assis
sur les bénéfices par ailleurs. Ce sont deux choses totalement différentes, et
l'ensemble des comptables mondiaux l'a clairement reconnu.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ne faisons plus que des impôts temporaires !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est une
solution, mais il faudra les supprimer régulièrement !
Monsieur le rapporteur général, je ne veux pas vous taquiner sur ce point,
mais vous nous avez dit que vous ne voyez pas les impôts qui baissent. Si vous
m'autorisez une petite facétie, je vous dirai que c'est la seconde fois que
vous ne les voyez pas car, déjà, vous ne les avez pas votés et donc vous ne les
avez pas vus quand on vous les a présentés. Vous avez voté contre et,
évidemment, cela ne vous a pas laissé le souvenir fort d'avoir fait quelque
chose pour faire baisser les impôts. Pourtant, c'est vrai de la taxe
professionnelle ; simplement vous n'avez pas voté la baisse de la taxe
professionnelle tel que le Gouvernement vous le proposait. C'est vrai aussi de
l'abattement de 10 % pour les retraités, abattement que nous avons rétabli,
mais que vous n'avez pas voté.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Si !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non ! Vous avez
voté, me semble-t-il, contre le relèvement de l'abattement pour pensions,
puisque, globalement, vous avez voté contre le budget.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il faut le dire comme cela !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le ministre,
ce sont des arguments de conseil municipal !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il s'agit
peut-être d'arguments de conseil municipal, mais ce sont des arguments que les
Français entendent !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
C'est bien pour cela
qu'on les utilise en conseil municipal !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
D'ailleurs, je
comprends mal que, dans cette assemblée, on dénigre à ce point les conseils
municipaux, monsieur le sénateur !
(Sourires.)
Mais puisque vous avez,
comme moi, de l'affection et du respect pour les conseils municipaux, ayons le
même respect pour les arguments qui y sont échangés.
J'en viens au service de la dette.
Le service de la dette baisse en effet, et c'est heureux. Il baisse pour deux
raisons. Il baisse, parce que les taux d'intérêt baissent, et cela, encore une
fois, est le résultat d'une politique menée dans l'ensemble de l'Europe, et pas
seulement en France, qui fait que nous avons aujourd'hui, à l'exception du
Japon, les taux d'intérêt les plus bas du monde. Evidemment, cela fait baisser
le service de la dette. Mais ce n'est pas tombé du ciel. D'ailleurs, je ne
dirai pas que la baisse des taux est le produit exclusif de l'action de ce
gouvernement ; cela n'aurait pas de sens.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Elle a commencé en 1995 ! Il faut reconnaître les
faits !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La baisse des
taux a en effet commencé plus tôt et les autres gouvernements européens y ont
aussi leur part. Reste que ce sont bien les politiques économiques qui font
baisser les taux, cela ne tombe pas du ciel. Mais, outre la baisse des taux, il
y a aussi la baisse du déficit. Pour le coup, la baisse du déficit que nous
enregistrons cumulée avec la baisse des taux fait baisser le service de la
dette. C'est d'ailleurs une des bonnes raisons pour lesquelles il faut
continuer à baisser notre déficit.
Comme les taux baissent, le service de la dette diminue. C'est un problème
indépendant ou différent du ratio dette/PIB dont nous avons déjà discuté. Il
est très heureux que le service de la dette baisse car cela permet de dégager
des marges de manoeuvre dans le budget. Tous ceux qui pensent que le budget
doit être utilisé de façon active, que c'est un instrument de la politique
économique, doivent se réjouir de ce que le service de la dette baisse. Seuls
ceux qui considèrent que le budget ne doit pas être utilisé et dont le
libéralisme voile les yeux au point qu'ils considèrent que l'Etat ne doit pas
intervenir à travers son budget peuvent se satisfaire d'un service de la dette
élevé.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous n'en sommes pas !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Donc, vous êtes
moins libéraux que vous prétendez l'être devant vos électeurs !
(Sourires
sur les travées socialistes.)
Vous avez fait, monsieur le rapporteur général, une longue liste des dépenses
en vous demandant comment on allait les financer. On aura l'occasion d'en
reparler au moment du budget. Je ferai juste deux remarques.
La première : vous avez raison, cette longue liste de dépenses existe. C'est
la politique du Gouvernement. Mais elle existait aussi l'année dernière, pour
des chiffres différents. Donc, cela montre la capacité de redéploiement qui est
mise en oeuvre, année après année, pour supprimer des dépenses que l'on
considère moins efficaces ou plus obsolètes puis pour financer des dépenses
nouvelles.
Je vois dans la longue liste que vous avez donnée la contrepartie ou le
symbole, la justification de l'effort de redéploiement très massif, de l'ordre
de 30 milliards de francs par an, que fait le Gouvernement et qui lui permet en
effet de financer ses priorités dans une enveloppe qui, globalement, n'augmente
pas ; elle a augmenté de 1 % pour 1999, elle n'augmentera pas en l'an 2000.
Seconde remarque : en écoutant M. le rapporteur général, je sentais une sorte
de démangeaison de sa part d'élaborer le budget à la place du Gouvernement. Il
s'interrogeait : j'ai telle dépense, comment vais-je faire pour la financer ?
Vous êtes le bienvenu, monsieur Marini. Mais avant, il faut gagner les
élections. Ensuite, la porte vous est ouverte.
Tout ce que nous disons les uns et les autres, sans animosité, je crois,
traduit en effet une différence de vision entre la majorité et l'opposition -
c'est bien normal - sur ce qui n'est évidemment pas le seul objet de la
politique gouvernementale mais qui est tout de même assez au coeur de toute
politique du Gouvernement, à savoir la préparation du budget. Nous voyons bien
là les lignes de clivage, que M. Christian Sautter a d'ailleurs rappelées à la
tribune tout à l'heure. En effet, nous croyons à l'efficacité de l'action
budgétaire. Toute dépense budgétaire n'est pas bonne évidemment, mais toute
suppression d'une dépense budgétaire n'est pas bonne non plus en elle-même. Le
problème, c'est de rendre l'utilisation de l'argent public la plus efficace
possible, et cela justifie que des redéploiements massifs soient faits, mais
cela ne justifie pas, par principe, que l'on dise qu'à partir du moment où on
diminue la dépense publique le pays se porte mieux.
M. Lambert a repris certains de ces points, je n'y reviens donc pas. Je
traiterai les points spécifiques qu'il a évoqués.
Le thème de la comptabilité patrimoniale est un sujet très important et très
intéressant. Pour le moment, à ma connaissance - peut-être est-ce une erreur de
ma part ? - seule la Nouvelle-Zélande dispose d'une comptabilité patrimoniale.
Cela signifie non pas qu'on ne doive pas la faire, mais que c'est une lourde
tâche qui a été entreprise par plusieurs gouvernements, qui se poursuit, qui ne
sera pas terminée avant assez longtemps et dont les chiffres seront contestés
eux-mêmes pendant assez longtemps avant de se stabiliser. Par conséquent, s'il
faut faire l'exercice, c'est très intéressant, on ne peut pas dire non plus
qu'on ne pourra rien savoir ou rien comprendre à ce qui se passe en l'absence
de cette comptabilité. Cela fait des décennies qu'on ne l'a pas et,
malheureusement, il faudra encore du temps avant qu'on ait une comptabilité
patrimoniale qui tienne un peu la route.
En revanche, monsieur Lambert, je ne suis pas d'accord avec vous - et c'est
une des difficultés de la comptabilité patrimoniale - lorsque vous dites,
reprenant en cela la Cour des comptes - sans critiquer les magistrats de la
Cour des comptes, je me permettrai d'être en désaccord avec eux - que, dans le
budget, la part d'investissement décroît et la part de fonctionnement augmente
; cela repose sur une vision antédiluvienne de ce que sont le fonctionnement et
l'investissement.
Cela fait trente ans que les économistes du capital humain mettent en avant le
fait, reconnu par tous, que la formation du capital humain est au moins aussi
importante comme investissement pour un pays que la formation du capital
physique. Dans ces conditions, qu'est-ce qui, dans les dépenses d'éducation,
dans les dépenses de santé, est, pour le pays, de la formation de capital ?
C'est très difficile à mesurer. Mais on ne peut pas dire que toute la dépense
d'éducation, pour un pays, est une dépense de fonctionnement et ne comprend en
rien de l'investissement ; cela n'aurait aucun sens.
C'est toute la difficulté, de ce fait, de construire une comptabilité
patrimoniale. Mais cette difficulté doit conduire à plus de réserve dans
l'appréciation de ce qui est investissement et de ce qui est fonctionnement.
Quand l'Etat achète des crayons-gommes, c'est clairement du fonctionnement.
Lorsqu'il dépense dans l'éducation et la formation pour le pays, c'est tout de
même clairement de l'investissement. Les concepts sont un peu plus sophistiqués
aujourd'hui qu'ils ne l'étaient dans le passé. On ne peut donc pas aussi
simplement que cela dire que ce qui est du titre V, c'est de l'investissement
et que ce qui relève du titre III, c'est du fonctionnement. La réalité
économique est tout de même un peu plus compliquée de nos jours.
Vous nous avez invités gentiment, monsieur le président Lambert, à nous
référer au chef du gouvernement anglais et au chef du gouvernement allemand.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je les ai cités !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous les avez
cités, mais en les saluant, pour avoir dit qu'il faut baisser les impôts. Nous
le disons aussi. Mais ils le disent différemment. J'ai vu comme une perversité
dans ce que vous avez dit. En effet, comme les dernières élections l'ont
montré, leur discours ne leur a pas porté chance, vous voulez simplement que
nous nous glissions sous les pieds la même peau de banane. Quitte à vous
décevoir, monsieur le président Lambert, nous ne suivrons pas cette voie le
Premier ministre a été clair sur ce point. Votre manoeuvre est éventée.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je constate qu'il y a plusieurs
socialismes en Europe !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le socialisme,
vous le trouvez bon quand il est à l'extérieur et mauvais quand il est en
France, mais les Français sont d'un avis différent et je les en remercie.
Le Gouvernement, avez-vous dit - mais sans doute votre langue a-t-elle fourché
-, n'a pas la volonté de freiner la dépense.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cette volonté n'est pas forte,
en tout cas !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Honnêtement, 0 %
de croissance en volume, c'est rarement arrivé dans le passé. Dans les années
quatre-ving dix, à mon avis, jamais, ou peut-être une fois, en 1997. C'était le
gouvernement précédent qui l'avait voté comme cela, c'est nous qui l'avons
exécuté : je partage les récompenses ! En 1998, 0 % de croissance en volume ;
en 1999, 1 % ; en 2000, de nouveau 0 % en volume. Dire qu'un Gouvernement qui,
sur trois budgets dont il est totalement responsable - 1998, 1999 et 2000 - a
deux années à 0 % en volume et une année à 1 % en volume, alors que dans les
années précédentes, quel que soit le Gouvernement, de gauche comme de droite,
la croissance en volume des dépenses a été de l'ordre de 1,5 % à 2 %, dire,
disais-je, que ce Gouvernement n'a aucune volonté de stabiliser les dépenses,
honnêtement, vous y allez fort.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Tous les discours ont porté sur
la réhabilitation de la dépense ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La bonne dépense !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est là, je le
disais tout à l'heure d'un mot, que nous avons un point d'opposition. La
dépense peut être réhabilitée quand elle est efficace. Cela n'empêche pas de la
stabiliser en montant total et de la rendre plus efficace. C'est tout ce que
nous essayons de faire. J'ai le sentiment que l'appui que le budget du pays
apporte à la croissance ne doit pas être si mauvais, sinon nous n'aurions pas
les résultats de croissance que nous avons.
Je dirai d'ailleurs la même chose du système fiscal. Vous avez conclu par une
belle envolée, monsieur Lambert, en disant que le meilleur système fiscal est
celui qui privilégie l'emploi et que vous votez pour la fiscalité qui
privilégie l'emploi. Très bien ! La fiscalité que nous avons mise en oeuvre
depuis deux ans doit tout de même privilégier l'emploi, sinon on n'aurait pas
créé 400 000 emplois marchands en un an et demi jusqu'à la fin de 1998, sans
compter ceux qui ont été créés en 1999.
Par conséquent, quand on compare ces chiffres-là - je le disais tout à l'heure
dans mon intervention liminaire - aux 20 000 emplois nets qui ont été créés
pendant la législature précédente, c'est tout de même bien que, d'une manière
ou d'une autre, la fiscalité qui a été mise en oeuvre, notamment la baisse de
la taxe professionnelle, ne doit pas être trop défavorable à l'emploi, sinon
nous ne pourrions pas obtenir ces résultats. Je discerne donc en réalité dans
cette phrase une nouvelle fois votre soutien, que vous ne voulez pas avouer
mais que vous ressentez au fond de vous, à la politique du Gouvernement.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
S'il y avait moins de fiscalité, il y aurait plus
d'emplois !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
On ne sait pas,
monsieur le rapporteur général, si avec moins de fiscalité il y aurait encore
plus d'emplois, car on voit bien que le raisonnement butte au bout d'un certain
temps. S'il n'y avait plus de fiscalité du tout et plus d'Etat du tout, il est
probable qu'il n'y aurait plus d'emplois du tout.
M. Jacques Oudin.
Ce n'est pas évident !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est à peu près
évident. Nous avons aujourd'hui un très bon exemple de gouvernement sans Etat
et sans fiscalité en Russie. Je ne pense pas que l'un d'entre vous propose de
mettre en oeuvre en France la politique telle qu'elle se pratique à Moscou.
Telle est pourtant bien la situation des Russes ! Même les auteurs, les
intervenants, les universitaires les plus libéraux - bien plus libéraux que
vous ne l'êtes vous tous ! - qui s'occupent aujourd'hui de la Russie n'ont
qu'un souci : veiller à ce que l'Etat soit capable de lever les impôts qu'il
doit lever, alors que pour des raisons diverses, notamment historiques, il
n'est pas capable de le faire.
On voit donc bien que le raisonnement a des limites et que, par conséquent, on
ne peut pas aussi simplement dire que moins il y a d'impôts, mieux on se
porte.
Pour autant, il y en a trop et nous les baissons. Je suis sûr que vous nous
aiderez à le faire en votant, dans le prochain projet de loi de finances, les
mesures fiscales que nous vous proposerons.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je ne souhaite pas polémiquer, car cet échange est
tout à fait spontané et convivial. Je voudrais simplement, pour la bonne
compréhension du débat, monsieur le ministre, préciser trois points.
Tout d'abord, le Sénat a voté la réforme de la taxe professionnelle. Ce qu'il
n'a pas adopté, ce sont les mesures d'accompagnement dont vous l'aviez assortie
et il a transformé le mode de compensation aux budgets locaux pour passer à un
système de dégrèvement pur et simple.
S'agissant du déficit structurel, n'entamons pas de querelle de chiffres. Je
reprends simplement les données de la direction de la prévision selon
lesquelles, de 1994 à 1997, la baisse du déficit structurel aurait été, en
moyenne, de 0,8 point de PIB par an. Ce n'était donc pas nul !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est la baisse
du déficit total !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Depuis 1997, cette donnée s'établit à 0,2 point de
PIB par an, sous bénéfice de vérification. Mais nous pourrons confronter nos
chiffres le cas échéant, puisque nous avons la même source.
En ce qui concerne la baisse des prélèvements obligatoires des collectivités
territoriales, reprenons les chiffres, monsieur le ministre. En 1997, ces
prélèvements représentaient 7,2 % du PIB alors que, en 1998, ils
s'établissaient à 7 %. Ce passage de 7,2 % à 7 % s'est opéré - vous en
conviendrez avec moi - avant la baisse de la taxe professionnelle, qui
n'intervient qu'en 1999. Et en 1999, les prélèvements obligatoires des
collectivités territoriales devraient représenter 6,9 % du PIB. L'incidence de
la réforme de la taxe professionnelle est donc de 0,1 point sur 0,3 point de
baisse totale des prélèvements obligatoires des collectivités territoriales.
Vous avez donc raison de dire, monsieur le ministre, que cette réforme a une
incidence quant à cette baisse : mais elle n'en a une que pour un tiers ! Pour
les deux tiers restants, ce sont bien les décisions prises par les assemblées
locales qui jouent. Par conséquent, monsieur le ministre, sur ce point
particulier, si je reconnais tout à fait votre argument pour un tiers, je
souhaiterais que vous reconnaissiez le nôtre pour les deux tiers restants !
(Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Et les droits de
mutation ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
S'agissant des droits de mutation, l'incidence
n'intervient qu'en 1999 !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
et
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Non ! En 1998 !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je veux bien être bon prince en disant «
moitié-moitié » : les décisions spontanées des collectivités territoriales,
d'une part, les baisses engagées par le Gouvernement, d'autre part. Mais
admettez, monsieur le ministre, que la vertu globale des collectivités
territoriales rend service au Gouvernement !
M. le président.
Dans la suite du débat d'orientation budgétaire, la parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, d'ici à quelques semaines seront rendus publics les
derniers arbitrages budgétaires. Si certaines incertitudes internationales sont
fort heureusement dissipées - je pense bien sûr à la fin de la guerre du Kosovo
- il n'en reste pas moins que les perspectives de croissance pour l'an 2000
sont plus proches des 2 % que des 3 % annoncés. Comme l'ont noté très justement
M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général, il
semble bien que la marge de manoeuvre financière pour le prochain budget soit
plus réduite que prévue. L'embarras du Gouvernement concernant les éventuelles
baisses d'impôts l'atteste. La prudence semble avoir pris le pas sur une
euphorie un peu déplacée, alors que la France est l'un des pays européens les
moins bien placés en termes de dépenses publiques et de déficits.
Hormis les deux documents transmis par le ministère des finances à l'occasion
de ce débat, le rapport préliminaire de la Cour des comptes sur l'exécution de
la loi de finances de 1998 nous apporte des enseignements fort intéressants. A
cet égard, deux sujets me paraissent particulièrement préoccupants : il s'agit
de l'explosion de la dette publique et de la baisse des investissements
publics.
J'examinerai tout d'abord la situation de la dette de l'Etat : ainsi, en 1998,
malgré la baisse des taux d'intérêt, l'augmentation de la charge de la dette a
atteint 4,4 % contre 0,4 % en 1997. La dette brute s'est accrue de 320
milliards de francs environ par rapport à l'année précédente, soit une hausse
de 8,1 %. La France est le seul pays de l'Union européenne dont la dette
publique, en proportion du PIB, a continué à augmenter en 1998. Or la
conjoncture très favorable aurait dû être l'occasion de réduire la dette à
condition de diminuer de façon significative les dépenses publiques, ce qui n'a
pas été le cas malheureusement puisque ces dernières, en 1998, se sont accrues
en francs constants, comme le note très justement la Cour des comptes.
La dette accumulée depuis 1989 - 4 900 milliards de francs environ - devient
ainsi réellement insupportable. Elle atteint actuellement 200 000 francs par
actif en France. Cela signifie que, si cette dette est financée à 6 %, il
faudra, en 2001, pour payer les seuls intérêts de cette dette, prélever sur
chaque Français actif 12 000 francs chaque année, ou encore 1 000 francs par
mois.
Ce qui m'impressionne, dans le mauvais sens, c'est la manière dont
l'emprunteur, c'est-à-dire l'Etat, et donc le Gouvernement, traite cette dette
; cette dernière s'accroît d'année en année, et a augmenté de 8 % en francs
courants. Dieu merci ! il y a les critères de Maastricht. Nous atteignons
pratiquement 60 % du PIB en matière d'endettement. Il va donc bien falloir
changer de comportement. C'est la dernière année autorisant ce type
d'attitude.
En outre, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut se
préparer à rembourser un jour ; or ce jour est proche. Les Français doivent
connaître la vérité. Si l'on appliquait à l'Etat les critères imposés par la
réglementation bancaire aux emprunteurs, l'Etat serait en cessation de
paiement, et ceux qui lui prêtent encore seraient poursuivis pour soutien
abusif.
Si l'on imaginait de rembourser ce qui est dû aujourd'hui sur quinze ans,
c'est plus de 300 milliards de francs par an en capital qu'il faudrait
rembourser. Ce chiffre est tellement important que l'on ose à peine
l'envisager. Pourtant, aucune autre issue n'est possible. Un jour, je le
répète, il faudra rembourser.
On ne peut pas raisonnablement espérer qu'une inflation plus importante
donnerait des moyens de rembourser en « monnaie de singe ». L'Etat n'a pas le
droit de traiter ainsi les épargnants qui lui ont fait confiance. Et, en tout
état de cause, la monnaie unique et la construction européenne rendent ce
comportement inconcevable pour les toutes prochaines années.
Il faut donc accepter de reconnaître que l'on s'est trompé, que la politique
suivie nous conduit droit dans le mur et qu'il faut en changer pour stabiliser
l'endettement, puis commencer progressivement le remboursement, tout en
amorçant le changement.
Nous sommes dans un débat d'orientation budgétaire. Eh bien, voici une
orientation qu'il faut prendre : nous décidons qu'au cours de l'année 2000 nous
cessons d'accroître l'endettement du pays pour stabiliser et pour réduire la
charge de notre dette ! Que voilà un objectif d'orientation budgétaire !
La Cour des comptes indiquait qu'il faudrait un déficit égal à moins 1,7 % du
PIB pour stabiliser et réduire la charge de notre dette. Nous n'en sommes
malheureusement pas là... Vous prévoyez, monsieur le ministre, 2,3 % de déficit
public en 1999. Le budget de l'Etat connaîtra
stricto sensu
un déficit
plus élevé, égal à 2,7 % du PIB. La présentation faite par M. Strauss-Kahn,
tout à l'heure, ne m'a pas convaincu. Je pense, pour ma part, que c'est une
espèce d'artifice de présentation que d'inclure l'excédent des collectivités
locales et, ce qui est sans doute très optimiste, celui des régimes sociaux.
C'est ainsi que vous atteignez ce chiffre prévisionnel de 2,3 %.
Ce qui est aussi critiquable dans le problème de la dette, c'est son
utilisation pour financer des dépenses de fonctionnement : cette année, près de
69 milliards de francs d'emprunts ont été ou seront contractés pour couvrir le
déficit de fonctionnement de l'Etat. Ce n'est pas orthodoxe.
Parallèlement - et ce sera le second point de mon intervention - les crédits
d'investissement de l'Etat sont en net retrait, d'année en année ; il est
dommage à ce propos que nous ne disposions pas, comme lors du débat
d'orientation budgétaire de 1996, de données comparatives sur l'évolution des
dépenses d'investissement et de fonctionnement.
Un constat s'impose néanmoins. Hors remboursement de la dette, les crédits
affectés à la fonction publique, qui ont progressé de 3 % par an en moyenne en
1997, en 1998 et en 1999 - c'est trop si l'on compare avec l'évolution des
salaires dans le secteur privé et que l'on intègre dans le raisonnement les
avantages autres du secteur public, notamment en matière de garanties d'emploi
et de retraite - représentent désormais 50 % du budget général.
C'est beaucoup trop, et il est clair que la croissance constante de ces
dépenses amène l'Etat à réduire son effort en matière d'investissement dans un
secteur comme l'équipement et les transports. Comparativement, en effet, dans
le budget de l'Etat, les dépenses civiles en capital ont baissé de 8,3 % en
1997 et de 2,1 % en 1998. On en voit, malheureusement, l'illustration dans le
retard pris dans la réalisation des investissements nécessaires, tels les
investissements routiers prévus dans les contrats de plan Etat-région. Je parle
ici également au nom de plusieurs de mes collègues directement concernés par ce
problème.
Phénomène général dans le secteur public, l'investissement se trouve plus ou
moins sacrifié par rapport aux dépenses de fonctionnement et de personnel. Il
s'agit là aussi, hélas ! d'une exception française, car la plupart des pays
européens ont réussi à réduire leurs dépenses publiques sans toucher aux
investissements publics.
Parallèlement, l'Etat laisse aux collectivités locales le soin d'essayer de
compenser la baisse de ses investissements puisqu'elles assurent, elles, plus
de 70 % de l'investissement public, soit 160 milliards de francs par an
environ. Notons par ailleurs que, depuis 25 ans, l'endettement des communes
représente toujours sensiblement 10 % du PIB tandis que celui de l'Etat est
passé de 20 % à 60 % pendant la même période !
Vous me répondrez sans doute, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on doit
intégrer les investissements prévus dans les comptes spéciaux du Trésor.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Eh oui !
M. Marcel Deneux.
Chiche ! Mais soyons clairs : faut-il raisonner hors budget général, et le
niveau des dépenses publiques s'en trouve alors sensiblement accru - ainsi, en
1997, la croissance des dépenses serait non pas de 1 % mais de 4 % au total -
ou doit-on rester dans le cadre strict du budget général, comme c'est le cas
dans le rapport gouvernemental sur l'état des finances publiques que nous
venons de recevoir ?
Mais si l'Etat veut retrouver une véritable marge de manoeuvre financière, il
lui faut s'attaquer de façon draconienne au problème des dépenses de
fonctionnement : des économies sont possibles, comme l'ont démontré les
précédents gouvernements. Justifier le niveau élevé de la dépense publique en
France par la qualité de nos services publics n'est pas un argument suffisant.
Ne sont en cause, dans cette affaire, ni la qualité du service ni la compétence
et le niveau de formation de nos fonctionnaires, mais bien la productivité des
services publics qui n'est pas bonne. De façon plus générale, je crois, comme
M. Jean Arthuis, que le corollaire à toute politique de réduction du train de
vie de l'Etat doit être l'application de nouvelles méthodes de gestion,
calquées, dans la mesure du possible, sur celles qui sont appliquées dans le
secteur privé.
Si la présentation des comptes de l'Etat était différente de l'actuelle et se
rapprochait de la comptabilité des grandes collectivités publiques, avec une
distinction bien faite entre fonctionnement et investissement, si elle évoluait
progressivement vers une présentation proche du plan comptable des entreprises,
nous disposerions alors d'un instrument de gestion indispensable qui n'existe
pas aujourd'hui et qui vous manque, monsieur le secrétaire d'Etat.
La sphère publique, en France, a encore beaucoup à apprendre du monde de
l'entreprise, ainsi que des exemples étrangers. Certains de nos voisins
européens - je pense aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni - ont en effet montré
l'exemple en matière de rigueur budgétaire, ces dernières années.
A nous d'en tirer les conséquences, à nous de ne pas nous enfermer dans une
sorte de suffisance hexagonale et, au contraire, de nous enrichir, si je puis
dire, de l'expérience de nos partenaires européens.
En conclusion, je tiens d'ores et déjà à remercier M. le ministre pour sa
réponse, et M. le secrétaire d'Etat pour celle qu'il nous fera tout à l'heure,
ainsi que M. le rapporteur général et les présidents des commissions
permanentes pour leurs apports fort intéressants et constructifs à ce débat
d'orientation budgétaire. Au-delà de cette discussion fort utile, nous jugerons
le Gouvernement sur ses actes, sans
a priori
mais aussi sans
complaisance, en espérant qu'il tiendra compte de certaines de nos remarques
inspirées par le bon sens et le souci de l'intérêt général.
Dans une économie globalisée, la France n'a pas d'autre choix que de gérer
mieux, que de gérer en fonction de notre situation réelle déterminée après une
analyse objective, que de programmer la réduction des dépenses publiques et des
prélèvements obligatoires.
S'agissant plus particulièrement des impôts, il faut engager un plan de baisse
sur plusieurs années, visant les impôts auxquels les Français sont
particulièrement sensibles, comme la TVA ou l'impôt sur le revenu des personnes
physiques : je vous laisse le choix à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat
!
En tout état de cause, voilà quelques propositions d'orientation budgétaire.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'elles retiennent votre
attention.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le président de
la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers
collègues, j'interviens dans ce débat au nom du groupe des Républicains et
Indépendants et, contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure par M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, notre groupe ne s'est
pas encore exprimé alors que ce débat est très largement engagé et que la
plupart des autres groupes ont pu le faire. Il vous reviendra donc, monsieur le
secrétaire d'Etat, de répondre à nos interrogations.
Cette année - comme l'année dernière, d'ailleurs - j'exprimerai au début de
mon propos ma déception sur la manière dont est organisé le débat d'orientation
budgétaire et sur le contenu du document déposé par le Gouvernement à cette
fin.
Je crains, monsieur le secrétaire d'Etat, que les débats sur les orientations
budgétaires ne se déroulent mieux devant les collectivités locales que devant
la représentation nationale. En effet, ce ne sont pas des options qui nous sont
présentées, ce n'est pas à un débat que nous sommes invités : nous sommes
confrontés à une pensée unique, à une vision unique de ce qui est la bonne et
la seule politique conçue par le Gouvernement. Ce n'est pas ainsi, à mon sens,
que l'on pourra organiser, année après année, un vrai débat sur l'évaluation
des options prises en matière de dépenses de fiscalité et d'équilibre
budgétaire.
Pour ma part, j'ai décidé de limiter aujourd'hui mon propos à la politique
fiscale et, quand je dis « fiscale », ce n'est pas au sens anglais du terme,
car la
fiscal policy
est l'exacte traduction de la politique
budgétaire.
La politique fiscale est importante. Or, trop souvent, lors du débat
d'orientation budgétaire, on nous demande d'attendre les vacances et, mieux
encore, la discussion du projet de loi de finances. Et, si l'on examine ce qui
concerne les impôts dans le document du Gouvernement, on ne trouve qu'une page
et demie, dont une annexe raccrochée sans doute en cours de route au corps du
texte.
Ainsi, la politique fiscale au sens précis du terme n'a pas sa place dans le
document qui nous a été remis, alors qu'elle est essentielle.
L'an dernier, on nous avait dit que l'on verrait bien pendant l'été...
Instruits par l'expérience, nous estimons, cette année encore plus que l'année
dernière, que notre interrogation sur la politique fiscale est légitime et
opportune !
Tout d'abord, du point de vue conjoncturel, le moment est venu - vous le dites
souvent, monsieur le secrétaire d'Etat, en citant
a contrario
l'exemple
de 1997 - de considérer qu'une politique fiscale peut être mise au service du
soutien de la conjoncture. Mais, sur ce point, il y a quand même encore
quelques incertitudes !
Ensuite, l'environnement européen évolue à très vive allure. Or la situation
fiscale est un élément essentiel de la compétitivité. Aujourd'hui, les
Britanniques, les Allemands et les Italiens font des réformes très audacieuses
en la matière. D'autres pays, tels le Luxembourg et les Pays-Bas, offrent une
situation fiscale extrêmement favorable aux investissements ou aux entreprises.
L'environnement européen, sur le plan fiscal, nous incite donc à porter une
attention toute particulière à la politique menée dans ce domaine.
Tout à l'heure, j'écoutais avec beaucoup d'attention M. Strauss-Kahn
s'exprimer sur la politique fiscale, ainsi que, avant, lui notre collègue
Bernard Angels. Selon eux, toute politique fiscale comporte trois objectifs :
le rendement, la redistribution sociale et le dynamisme économique pour
l'emploi et pour l'investissement. Mais ils oublient de dire que ces trois
objectifs sont très souvent contradictoires et que tout le subtil dosage d'une
politique fiscale consiste à mettre l'accent sur telle préoccupation plutôt que
sur telle autre ! Or, aujourd'hui, nous estimons que le moment est venu de
mettre l'accent plutôt sur le dynamisme économique, sur l'emploi, sur le
dynamisme des investissements dans les réformes fiscales qui doivent être
engagées et poursuivies.
La quatrième raison pour laquelle j'ai décidé aujourd'hui de ne parler que de
fiscalité est que nous sommes là au coeur de la démocratie parlementaire : le
Parlement a été institué pour voter les impôts. Dans ces conditions, on ne peut
pas nous demander d'attendre l'été, ou, encore mieux, la discussion du projet
de loi de finances, pour que nous soyons fixés sur les réformes fiscales.
A ce sujet, l'expérience de 1999 a été pour nous très frustrante. Le débat
d'orientation budgétaire ne contenait, à la limite, rien du tout en matière
fiscale : toutes les réformes ont été annoncées l'été dernier à la presse -
mais pas aux parlementaires - et nous n'avons connu le détail des mesures que
lorsqu'elles ont été inscrites dans le projet de loi de finances.
Nous apprenons aujourd'hui que le rendement fiscal a été, grâce à toutes ces
mesures, à toutes ces réformes, exceptionnel. Donc, très légitimement, nous
nous disons que le rôle du Parlement est très réduit en matière de fiscalité et
nous nous interrogeons sur ce qui va se passer réellement en l'an 2000.
J'en arrive à la dernière partie de mon intervention, pour éviter d'utiliser
la totalité du temps de parole qui a été attribué au groupe des Républicains et
Indépendants.
Nos constats relèvent de quatre ordres.
Premièrement, et malgré les explications de M. Strauss-Kahn, nous affirmons
qu'il n'y a pas de réduction réelle des prélèvements obligatoires.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Bien sûr !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
On peut tourner cela dans tous les sens, nous reconnaissons et admirons à ce
sujet la très grande habileté de M. le ministre, mais il y a en réalité une
stabilisation à un niveau qui reste excessivement élevé, de quatre points
supérieur à la moyenne européenne. L'effort de réduction des prélèvements
obligatoires - on ne peut pas sortir de cette réalité arithmétique et
mathématique ! - est reporté à 2001 ou à 2002, on ne sait pas trop : il n'y a
pas, dans le projet pour l'an 2000, de réelle réduction des prélèvements
obligatoires.
Deuxièmement, il y a encore des impôts nouveaux, on ne peut pas prétendre le
contraire. Au demeurant, j'ai cru comprendre, au cours des six derniers mois,
que Bercy n'était pas favorable à ces impôts nouveaux, mais qu'il a constaté
que, puisqu'il fallait financer des mesures d'allégement sur les bas salaires,
diminuer les cotisations sociales, financer les 35 heures, financer un certain
nombre de mesures, mieux valait accepter des propositions d'impôts nouveaux,
telles que l'écotaxe ou la contribution exceptionnelle sur les grosses
entreprises, celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions de
francs. Les Français peuvent-ils réellement penser qu'une entreprise qui
réalise plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires est une « grosse »
entreprise et doit payer une contribution ? Non ! Franchement, à regarder le
tissu économique français, on constate qu'une entreprise qui réalise 50
millions de francs de chiffre d'affaires n'est pas une grosse entreprise.
S'agissant de l'écotaxe et de cette contribution exceptionnelle, là aussi, on
constate l'imagination un peu diabolique - il faut le reconnaître - de
l'administration et du Gouvernement pour créer de nouveaux impôts. Cela étant,
nous avons échappé à pis ! En effet, certaines idées - Mme Beaudeau ne
rappelait-elle pas tout à l'heure certains projets ? - ont été, monsieur le
secrétaire d'Etat, sagement écartées. Il en est ainsi de la taxe sur les
mouvements, les transactions ou les spéculations mobilières : heureusement,
vous ne vous êtes pas lancés dans cette aventure. Mais le dispositif de
l'écotaxe vous réservera certainement de très grandes surprises ! Vous
constaterez, en effet, que vos efforts de simplification fiscale vont être très
contrecarrés par cette nouvelle taxe sur les consommations intermédiaires
d'énergie entre entreprises.
On va aussi parvenir à cette situation paradoxale aux termes de laquelle
certaines entreprises vont payer, à la fin de l'année 2000, un SMIC majoré,
davantage de congés pour leurs employés, et plus d'impôts pour financer ces
mesures. Ce sera véritablement une situation extraordinaire !
Notre conviction est totalement inverse : nous considérons que moins d'impôt
crée de l'emploi. Mais, M. le ministre le rappelait tout à l'heure, vous ne
partagez pas notre position. Je sais qu'un débat a lieu un débat parmi les
économistes, mais notre conviction et l'expérience de nombreux pays étrangers
le montrent, moins d'impôt crée de l'emploi.
Par ailleurs - et ce sera mon troisième constat - nous constatons une très
grande incertitude en matière de TVA. Je ne suis pas de ceux qui prônent une
baisse généralisée de la TVA. M. Strauss-Kahn nous attribuait d'ailleurs, tout
à l'heure, la paternité de son augmentation en nous disant que nous avions
maintenant beau jeu de proposer une baisse généralisée. Mais nous savons bien
qu'aujourd'hui, la TVA ayant un rendement de près de 700 millions de francs,
une telle baisse serait très difficile à mettre en oeuvre et compromettrait
l'équilibre du budget.
C'est la raison qui me conduit à me livrer à un plaidoyer pour des baisses
ciblées de TVA. Toutefois, là aussi, c'est le brouillard ! Tel jour, telle
semaine, c'est la restauration alimentaire ; la semaine suivante, c'est la
rénovation immobilière ; puis c'est le tour des aides aux personnes, ce qui est
d'ailleurs nettement moins coûteux et ce qui explique sans doute que vous ayez
une petite préférence pour ce dispositif dont l'effet économique, social et
fiscal sera d'ailleurs à la hauteur du faible rendement de cet impôt,
c'est-à-dire qu'il sera voisin de zéro.
Ce que je propose, c'est une expérimentation audacieuse. Ne renvoyez pas sur
l'Europe ce qui est de la responsabilité du Gouvernement ! En fonction de
l'article 28 de la directive de 1977, vous devez faire des propositions. Avec
M. le président de la commission des finances, je vous interroge : quel sera le
coût, quels seront les effets économiques de ces baisses ciblées de TVA ? Je ne
sais pas si M. Lambert a reçu une réponse...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous avons prévu une audition de
M. le ministre mardi prochain !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Nous aurons donc la réponse après le débat d'orientation budgétaire ! Cela me
confirme dans mon sentiment : il faut expérimenter de manière audacieuse, et
dans différents domaines techniques, des baisses ciblées de TVA.
Vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, une occasion unique d'expérimenter,
sur des secteurs à forte densité de main-d'oeuvre, de telles baisses, qui
auront - je vous le dis - un effet important sur l'activité des entreprises
concernées, que ce soit dans le secteur de la rénovation des immeubles ou dans
celui de la restauration alimentaire.
Nous vous incitons donc à une réforme audacieuse et réaliste en matière de
TVA. Afin d'obtenir une réponse de votre part, le groupe des Républicains et
Indépendants a d'ailleurs déposé une proposition de loi tendant à la réduction
ciblée de la TVA pour certaines catégories d'opérations.
Ma dernière observation - et, là aussi, j'exprime une certaine déception -
concerne le statut fiscal de l'entrepreneur dynamique. Je rejoins ici les
propos de notre collègue M. Trégouët. S'exprimant devant l'Assemblée générale
des
capital investors,
M. Strauss-Kahn a indiqué qu'il présenterait à la
représentation nationale une réforme audacieuse des entrepreneurs qui
investissent, prennent des risques et créent des emplois. Dans ce domaine comme
dans celui de la TVA, les intentions exprimées sont bonnes, mais nous attendons
maintenant les textes et leur mise en oeuvre, car il est indispensable
d'améliorer la situation de ceux qui investissent.
Trop d'impôt chasse l'entrepreneur. Moins d'impôt crée l'emploi. Telle est la
piste que nous traçons, telles sont nos convictions. Nous savons aussi que, de
manière réaliste, il faut prendre en compte le rendement et le coût de chacune
des mesures prises et de chacune des réformes fiscales envisagées.
Dans ces conditions, il est indispensable de définir les orientations réelles
de la politique fiscale et de fournir de plus grandes précisions au Parlement
lors de ces rendez-vous importants que sont le débat d'orientation budgétaire
et la discussion du projet de loi de finances. A défaut, c'est encore une
nouvelle fois cette année, au cours de l'été, en lisant les journaux, que nous
apprendrons quelle est la politique fiscale du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous me permettrez d'abord de rappeler qu'il
existe au Sénat un groupe du Rassemblement démocratique et social européen, qui
n'a pas encore fait entendre sa voix puisque c'est M. Laffitte, tout à l'heure,
et moi-même, maintenant, qui devons nous exprimer en son nom.
Comme M. Lachenaud, j'espère donc que vous direz à M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie qu'il ne peut réduire le Sénat à
deux ou trois groupes.
Revenant au débat d'orientation budgétaire proprement dit, je veux, à mon
tour, exprimer un certain nombre de critiques, de réserves et de souhaits
relatifs à la politique économique et fiscale menée par le Gouvernement.
Concernant la conjoncture, un certain nombre d'indicateurs n'ont pas été
évoqués qui laissent présager - peut-être me direz-vous l'inverse, tout à
l'heure ! - un avenir moins radieux que celui qu'on a laissé entrevoir.
En premier lieu, l'activité industrielle a été sérieusement ralentie depuis
1998 du fait de la dégradation de l'environnement international. La crise
financière asiatique et la stagnation du commerce mondial n'ont pas encore
permis une reprise durable de l'investissement productif. La dégradation des
conditions monétaires, associée à l'appréciation des monnaies européennes, a
pesé sur l'activité industrielle de l'ensemble de la zone euro dès l'été
1998.
La demande des entreprises a également pâti d'une dégradation des
anticipations des industriels en réaction au choc externe. La confiance des
industriels s'est, semble-t-il, dégradée, alors que la demande des ménages se
raffermissait.
En second lieu, le rythme actuel de réduction des déficits reste insuffisant
pour stabiliser la part de la dette publique dans le PIB. M. le ministre et M.
le rapporteur général y ont fait allusion très largement je n'y reviens pas.
En revanche, je souhaite revenir quelque instants, car nous n'avons pas eu de
réponse, sur le problème de la prise en charge de certaines mesures
gouvernementales qui risquent de coûter beaucoup plus cher que prévu.
Il a été très souvent fait allusion, ce soir, aux emplois-jeunes.
Envisagez-vous d'inscrire dans le projet de budget pour 2000 des sommes
équivalentes ou peut-être supérieures à celles qui figuraient dans le budget de
1999 ? Envisagez-vous d'étendre les emplois-jeunes au secteur privé, comme vous
l'aviez initialement prévu ? Dans l'affirmative, en sera-t-il tenu compte dans
le budget ?
Il a également été demandé à plusieurs reprises, notamment par M. le président
de la commission des finances, si vous envisagiez d'étendre le système des 35
heures à la fonction publique, ce qui se traduirait nécessairement par un coût
supplémentaire pour l'an 2000.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'avenir nous dira si la création de nouveaux
emplois publics et la diminution des gains de productivité imposée aux
entreprises avec les 35 heures pourront faire fléchir la courbe toujours
ascendante des dépenses de l'Etat. Partagez-vous mon inquiétude à cet égard
?
Enfin, en dépit de quelques signes de reprise de l'emploi, le taux de chômage
français - à mon avis, cela n'a pas été suffisamment évoqué ce soir -, en
particulier du chômage de longue durée, est supérieur à celui que l'on constate
chez nos voisins européens.
Je suis de ceux qui pensent que les signes d'embellie sur l'emploi
actuellement constatés en France sont très artificiels. Sur le plan européen,
ils ne nous semblent pas placer la France dans une situation plus favorable que
d'autres.
Les rigidités structurelles, le poids excessif de la fonction publique et des
prélèvements obligatoires nuisent, de mon point de vue, à une véritable reprise
de l'emploi correspondant à celle de la croissance.
Jusqu'à présent, le Gouvernement n'a pas su encourager, par des mesures
concrètes, à la fois l'investissement durable et le partage du profit. Le
dynamisme temporaire de la demande intérieure ne peut, à lui seul, constituer
le moteur de la croissance ; il doit impérativement être accompagné de mesures
fiscales.
S'agissant de la politique fiscale, déjà largement évoquée ce soir, je ne
peux, comme mon collègue Jean-Philippe Lachenaud, vous suivre lorsque vous
dites que les prélèvements obligatoires auraient légèrement baissé ou, tout au
moins, se seraient stabilisés. La diminution ou la stabilité s'expliquent par
des artifices comptables, les allégements de charges patronales compensées par
l'Etat étant désormais considérés comme un transfert entre administrations, ce
qui décompterait plus de 40 milliards de francs des cotisations sociales.
J'aimerais avoir votre sentiment sur ce point, monsieur le secrétaire
d'Etat.
Le poids de l'impôt sur le revenu est tel, aujourd'hui, qu'il réduit
considérablement les capacités financières des familles et freine
ostensiblement leur propension à consommer.
La pression fiscale sur les entreprises, malgré les réformes annoncées en
début d'année, demeure trop souvent confiscatoire et ralentit l'investissement
dans des domaines aussi porteurs que ceux des nouvelles technologies et des
prestations de services.
La fuite des cerveaux français à l'étranger, souvent d'ailleurs dans des pays
anglo-saxons à dominante sociale-démocrate, où la fiscalité et la souplesse des
structures sociales favorisent l'investissement, en est un exemple concret.
Nos concitoyens attendent une baisse globale et significative du total des
prélèvements fiscaux. En période de croissance, vous le dites constamment, ils
ne peuvent accepter d'être surtaxés alors que la conjoncture s'améliore.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, nous souhaitons que de grandes
réformes fiscales soient mises en place. Elles semblent inéluctables si l'on
veut maintenir en équilibre un tissu économique et social toujours fragile.
M. le ministre de l'économie et des finances a fait allusion, tout à l'heure,
sous forme de boutade, aux récents résultats électoraux. Il a dit à M. le
rapporteur général du budget : « Gagnez les élections, et vous préparerez le
budget ! ».
Je voulais simplement dire que ces résultats électoraux, difficiles pour
l'opposition, j'en conviens, mais conjoncturels, ne veulent pas dire
approbation de la politique économique et sociale du Gouvernement.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Certainement pas !
M. André Vallet.
Les grands problèmes restent devant vous : réduction de la dépense publique,
et donc réduction des impôts, réforme de la fiscalité, atténuation de la dette,
choix courageux pour, demain, continuer à verser les retraites, maîtrise des
dépenses sociales.
M. Jean-Louis Carrère.
Qu'auraient-ils dit s'ils avaient gagné ?
M. André Vallet.
M. le ministre de l'économie et des finances a manifesté tout à l'heure
beaucoup d'assurance. Je crains que cette assurance ne se transforme en
inquiétude si vous persistez à ne pas répondre à ces angoissantes questions,
angoissantes surtout pour l'ensemble des Français.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
débat d'orientation budgétaire nous offre l'occasion d'évoquer à la fois le
présent et l'avenir : le présent, c'est, pour mon propos, l'évolution
inquiétante des finances sociales ; l'avenir, c'est l'équilibre des régimes de
retraite, mais aussi le développement de nos infrastructures et l'évolution de
notre fiscalité écologique, que certains ont d'ailleurs déjà évoquée.
L'année dernière, nous avions critiqué la faible place que les finances
sociales prenaient dans ce débat. Vous aviez alors déclaré, monsieur le
secrétaire d'Etat : « Peut-être faudra-t-il qu'en 1999, dans le prochain débat
d'orientation budgétaire, nous trouvions ensemble une façon de traiter plus
directement la question de la sécurité sociale. »
Vous le faites, c'est vrai, mais par un seul chiffre, qui apparaît dans le
document de présentation, où vous dites que les administrations de sécurité
sociale offriront un excédent de 0,15 % du PIB en 2000. Ce chiffre, nous en
contestons la présentation, qui nous paraît à la fois tronquée et erronée.
L'état des finances sociales n'est pas celui de l'excédent ; il est celui de
la hausse des dépenses, de la hausse des prélèvements, de la subsistance du
déficit. Bref, il s'agit d'une situation presque dramatique, dirai-je,
d'absence de maîtrise de la dépense.
Je rappelle que les dépenses du régime général de la sécurité sociale
augmenteront cette année de 3,2 %, quand la consommation des ménages augmentera
de 2,7 %, la croissance de 2,2 % à 2,5 %, les dépenses de l'Etat de 1,5 % et
l'inflation de 0,5 %.
Vous attendiez un excédent de sécurité sociale cette année. Vous aurez, à
titre provisoire, 5 milliards de francs de déficit en 1999, entièrement
imputables d'ailleurs aux dépenses d'assurance maladie, qui augmentent sur un
rythme de 3,8 % par an.
Il est intéressant de constater le glissement de l'ONDAM, l'objectif national
de dépenses d'assurance maladie, au cours des dernières années.
Lors de la première loi de financement de la sécurité sociale, l'ONDAM a été
fixé pour 1997 à 1,7 % ; il a été réalisé à 1,5 %. Pour 1998, il a été fixé à
2,4 % - la commission des finances s'y était opposée - et il a été réalisé à
3,7 %. Pour 1999, il a été fixé à 2,6 % et nous constatons que les dépenses
évoluent actuellement à un rythme d'un point supérieur, 3,8 %, dernière
constatation de la commission des comptes, il y a trois semaines.
Il y a donc non seulement une croissance excessive, mais, de surcroît, depuis
trois ans, une accélération de cette croissance, et c'est cela qu'il faut
souligner.
Cette reprise, nous l'avons longuement commentée lors de la dernière réunion
de la commission des comptes de la sécurité sociale. L'équilibre prévu pour
1999 n'est, bien entendu, pas atteint puisque le déficit prévu pour la maladie
est actuellement de 12 milliards de francs, et le déficit prévisible pour
l'année compris entre 18 milliards et 20 milliards de francs. Mais cela,
personne n'en a parlé !
Et que dire de l'avance du Trésor à l'ACOSS, l'agence centrale des organismes
de sécurité sociale, monsieur le secrétaire d'Etat ? Je crois que, la semaine
prochaine, vous serez obligé d'avancer 13 milliards de francs. Il est vrai que
le plafond prévu par la loi de financement de la sécurité sociale est de 24
milliards de francs. Je crois toutefois que vous allez exploser à la fin de
l'année et que le plafond sera dépassé. Bien entendu, la fin de l'année, c'est
loin, mais nous nous retrouverons au débat budgétaire.
Parallèlement, les prélèvements en faveur des régimes sociaux croissent sans
cesse. La part sociale des prélèvements obligatoires continue inexorablement de
grimper. La CSG rapportera, l'an prochain, davantage que l'impôt sur le revenu.
La couverture maladie universelle, dont nous avons traité ici même voilà
quelque temps, est venue ajouter un prélèvement obligatoire supplémentaire qui
ne voulait pas dire son nom, et c'est le Sénat qui a pointé son doigt
dessus.
Je vous rappelle également la sous-évaluation manifeste du coût supplémentaire
de la CMU, affiché par le Gouvernement à 1,7 milliard de francs. Nous l'avons
estimé, ici au Sénat, à 10 milliards de francs. Assurément, cela ne va pas dans
le bons sens, ni celui de la maîtrise des coûts ni celui de la maîtrise des
prélèvements.
La conséquence de ces déficits vous est bien connue : ils n'iront pas gonfler
le fonds de réserve pour les retraites. Ce sont des stocks de dettes qui vont
être transférés à la CADES, la caisse d'amortissement de la dette sociale.
Celle-ci a déjà reçu 137 milliards de francs dans un premier temps, puis 87
milliards de francs. Actuellement, elle recevrait, à mon sens, entre 25
milliards et 35 milliards de francs, en cumulant les déficits de 1998 et de
1999. Ce sont des charges supplémentaires qui pèseront sur les générations
futures.
Je rappelle que nous avions proposé, avec le président Alain Lambert, de clore
la CADES à une échéance déterminée, ce qui nous aurait protégés de la facilité
du transfert de la dette aux mains de nos enfants et de nos petits-enfants.
L'autre conséquence du déficit est, bien entendu, de priver les branches
excédentaires du fruit de leurs efforts.
Je me demande si nous ne devrions pas, monsieur le secrétaire d'Etat, en venir
à une autonomie complète de chaque branche pour remédier à cette facilité de
l'affectation des excédents des uns au déficit des autres.
Alors, que deviennent vos prévisions d'excédents et votre engagement
d'affecter au fonds de réserve pour les retraites les excédents sociaux ? Les
seuls régimes en équilibre sont précisément ceux sur lesquels vous n'avez pas
de prise : les retraites complémentaires et le chômage.
De plus, comment donner d'une main l'autonomie et refuser, de l'autre, de
payer sa dette à l'AGIRC et à l'ARRCO ou vouloir ponctionner l'UNEDIC du fruit
de ses efforts ?
Face à ces constats, qui contrastent avec vos prévisions optimistes, je ne
peux que répéter ce que j'ai toujours affirmé en tant que rapporteur spécial de
la commission des finances pour les affaires sociales : nous réclamons d'abord
et plus que jamais la clarté des comptes.
Dois-je rappeler que la dernière commission des comptes a déjà fait état de
plus de 5 milliards de francs d'erreur dans les comptes ? Dois-je rappeler
aussi qu'il n'existe toujours pas de compte consolidé de la protection sociale
disponible rapidement ? Nous débattrons cet automne du financement de la
sécurité sociale pour l'an 2000 sans connaître les chiffres complets et exacts
de 1998 !
La réforme comptable est donc une urgence ; la maîtrise des dépenses ne l'est
pas moins.
Vous ne ferez pas l'économie d'une profonde réforme des régimes spéciaux de
retraite, comme vous ne ferez pas l'économie d'une réforme plus profonde de
l'assurance maladie.
Pour cette dernière, vous devrez répondre aux pistes intéressantes et
courageuses ouvertes dans le plan stratégique de la Caisse nationale
d'assurance maladie dans la droite ligne de la réforme mise en place par les
ordonnances Juppé de 1996. Vous devrez aussi prendre des positions enfin
claires sur le statut du fonds de réserve pour les retraites et sur ses
ressources plutôt que de vous fonder sur d'hypothétiques excédents sociaux, qui
risquent surtout de se transformer en charges effectives pour les générations
futures.
En matière de finances sociales, l'heure n'est pas aux prévisions
d'affectation d'excédents ; elle est, je le dis et je le répète, à la maîtrise
des dépenses et des prélèvements.
La deuxième partie de mon propos concernera les infrastructures de transport.
A cet égard, je formulerai quatre constats.
Premier constat : le rapporteur général et d'autres collègues l'ont dit,
l'Etat privilégie les dépenses de fonctionnement au détriment des dépenses
d'investissement, notamment dans les infrastructures de transport.
J'ai entendu M. le ministre lorsqu'il a dit : « Une dépense d'investissement,
on ne sait pas toujours trop ce que c'est, une dépense d'infrastructure, là, il
n'y a pas d'ambiguïté, on sait. »
Et nous constatons que seules la Grande-Bretagne et la Grèce consacrent à
l'heure actuelle moins que la France à leurs dépenses d'infrastructure ! Or, un
pays qui sacrifie ces dernières compromet son développement et son avenir.
Deuxième constat : de par sa position géographique, la France se trouve au
coeur des réseaux européens de transport, que ce soit la route, le fer ou
d'autres modes de transport.
Troisième constat : une politique dynamique et cohérente d'infrastructure est
tout à fait indispensable.
Une politique dynamique d'insfrastructure est nécessaire parce que la demande
de transports s'accroît. Vous n'y pouvez rien ! En vingt ans, la demande de
transports a augmenté de plus de 230 %, notamment pour la route, que ce soit
d'ailleurs pour le fret ou pour les voyageurs. La mondialisation est là, la
construction européenne également. L'ouverture des espaces et la mobilité
croissante de nos sociétés poussent cette demande.
Une politique en matière d'infrastructure doit également être cohérente parce
que vous ne pouvez pas sacrifier un mode de transport pour un autre.
Tous les modes de transport sont complémentaires par rapport aux distances
desservies, au temps, à la valeur ajoutée des marchandises transportées. La
route a pris une prépondérance, c'est vrai, en raison de ses qualités propres :
la souplesse, la fiabilité, la capacité. De plus, la route ne se met pas en
grève, c'est sa qualité primordiale.
Le fer est certes adapté à certains modes de transport : la traversée des
zones difficiles, les Pyrénées, les Alpes ou la desserte des zones urbaines.
Les ports sont importants également, parce qu'une grande partie de notre
commerce extérieur passe par eux. Pourtant, ils sont dans une situation
difficile : en effet, monsieur le secrétaire d'Etat, la totalité du tonnage des
ports français n'atteint pas celui d'Amsterdam et de Rotterdam réunis.
Pour illustrer mon propos, je citerai quelques chiffres éloquents : de 1990 à
1997, le trafic a augmenté de 75 % à Hambourg, de 105 % à Anvers, de 93 % à
Zeebrugge, et seulement de 34 % au Havre, premier port français. Il a également
augmenté de 158 % à Gênes, de 98 % à Barcelone et seulement de 7 % à
Marseille.
Si l'évolution est aussi contrastée, c'est parce que la bataille des ports se
gagne sur terre et que nous sommes en passe de perdre la bataille des
infrastructures terrestres pour la desserte de nos ports. C'est tout simple !
C'est clair, mais c'est dramatique !
Le Gouvernement a décidé de ralentir le programme autoroutier. En Europe, nous
occupions la neuvième place relative et la troisième en longueur de réseau. Or
nous venons de rétrograder à la quatrième place, dépassés par l'Espagne, qui
met en service 500 kilomètres d'autoroute par an.
Le Gouvernement pourrait dire : ce n'est pas grave ! nous allons développer
les chemins de fer. Malheureusement, monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'êtes
pas en mesure de mener une politique ferroviaire ambitieuse, car vous n'en avez
pas les moyens. Les contributions financières de l'Etat et des collectivités
publiques au transport ferroviaire atteignent, en effet, des chiffres
astronomiques. En 1997, il y a eu 57 milliards de francs de subventions, donc
de déficit, dont 35 milliards de francs à la SNCF et 22 milliards de francs à
Réseau ferré de France ; en 1998, les subventions s'élevaient à 62 milliards de
francs, dont 37 milliards de francs à la SNCF et 25 milliards de francs à RFF ;
il s'agit là d'une augmentation de 8,77 % des dépenses publiques.
Quatrième constat : à court terme, l'autoroute est la seule solution
autofinançable de développement des infrastructures interurbaines et
intereuropéennes, et vous êtes en train de réduire ce poste, voire de le
supprimer.
Nous disposons d'un réseau concédé équilibré : 27 milliards de francs de
recettes de péage, une croissance moyenne de 8 % à 10 % - quelles recettes
augmentent de 8 % à 10 % ? - générant 8 milliards de francs de recettes
d'impôts et de taxes diverses. Votre politique est abusivement restrictive et
nous conduit à une impasse.
Notre réseau autoroutier était jusqu'à présent un modèle en Europe. Il
présentait trois caractéristiques.
Tout d'abord, il mettait en application le principe de l'utilisateur-payeur et
une tarification équitable ; les autorités européennes le reconnaissent.
Ensuite, il pouvait se développer sur la base d'un autofinancement équilibré,
pour peu que les ponctions et les taxations ne le mettent pas en danger, 23 %
des recettes vont en effet dans les caisses de l'Etat.
Enfin, il peut parfaitement répondre aux exigences européennes de transparence
et de concurrence, pour peu que soit mis en place un système équitable de
péréquation financière ; je m'en suis enquis auprès des autorités européennes,
qui en sont parfaitement d'accord.
Je traiterai maintenant de la taxe générale sur les activités polluantes que
le rapporteur général, ainsi que d'autres orateurs, ont évoquée. Quant à M. le
ministre, il a été très bref sur ce sujet.
Le Sénat était opposé à la TGAP, dont le produit est affecté à l'ADEME. Le
résultat est là : la TGAP a augmenté les recettes de l'Etat de 850 millions de
francs à 1,2 milliard de francs et les taux des subventions versées aux
collectivités territoriales sont passés de 50 % à 20 %. Résultat dramatique
dans une situation confuse !
Vous avez pourtant maintenant l'intention d'étendre cette taxe au secteur de
l'eau. Depuis un an, vos projets ont soulevé de profondes réticences, mais le
Parlement est toujours dans l'ignorance des arbitrages et des choix que vous
aurez effectués dans ce domaine.
Qu'en sera-t-il de la TGAP sur l'eau en l'an 2000 ? Nous ne le savons pas !
C'est dommage pour la fiabilité d'un débat d'orientation budgétaire, quels que
soient vos choix. De plus, je ne suis pas certain qu'une surtaxation soit
bénéfique à la croissance et à l'emploi.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
permettez-moi d'intervenir plus particulièrement sur les perspectives
budgétaires pour les collectivités locales.
L'année qui vient de s'écouler a été marquée, notamment avec la loi de
finances pour 1999, par des réformes importantes pour les finances locales.
L'instauration du pacte de croissance et de solidarité a permis aux
collectivités territoriales d'améliorer légèrement leur revenu, mais la
régularisation négative de l'évolution de la DGF sur la DCTP n'ayant pas été
abandonnée, nous allons, cette année, du fait des règles instaurées par le
pacte de stabilité, devoir amputer près d'un milliard de francs sur la dotation
de compensation de la taxe professionnelle. Les parlementaires communistes,
fidèles à leur position, souhaitent évidemment la suppression de cette variable
d'ajustement, d'autant que la DCTP va également être utilisée pour le
financement de la dotation d'intercommunalité des communautés
d'agglomération.
Nous assistons donc à une multiplication des utilisations des dotations, sans
qu'elles soient pour autant réalimentées.
Le montant des dotations alloué par commune sera, cette année,
particulièrement incertain du fait de l'augmentation du nombre des
bénéficiaires, notamment avec la création d'EPCI favorisée par la loi «
Chevènement », et les résultats du recensement.
Nous pensons que le Gouvernement ne pourra réellement convaincre de la
nécessité des réformes qu'il engage si les moyens alloués restent en deçà des
besoins qu'elles génèrent. Bien sûr, la réforme de la taxe professionnelle avec
la suppression progressive de la part salaire est une bonne chose. Pourtant,
maintes et maintes fois, les choix politiques en faveur de l'emploi ont conduit
à allouer des aides aux entreprises, qui n'ont malheureusement jamais permis de
résorber efficacement le chômage. Il est réellement urgent, selon nous,
d'instaurer des contrôles efficaces pour mieux contrôler l'argent du
contribuable attribué aux entreprises.
Ce constat est également celui des conclusions de la commission d'enquête de
l'Assemblée nationale, qui pose la question : « Face aux grands groupes, quelle
politique pour l'emploi et les territoires ? »
La suppression progressive de la part salaire de la taxe professionnelle
génère des modifications substantielles dans les budgets communaux. Va-t-elle
donner une impulsion favorable à l'emploi ?
Nous le souhaitions et le souhaitons toujours ! Malheureusement, nous ne
voyons rien de réellement concret et nous sommes sceptiques.
Aussi espérons-nous que le rapport du Gouvernement, qui devrait être remis au
Parlement d'ici à la fin du mois d'octobre prochain, soit particulièrement
clair sur les répercussions de la réforme sur l'emploi. Nous souhaitons
également que ce rapport soit l'occasion de mettre en lumière les richesses des
entreprises, notamment leurs actifs financiers, ainsi que la progression de
leurs actifs, durant cette année, selon l'importance de la part salaire dans la
taxe professionnelle qu'elles ont à acquitter.
Cela permettra d'illustrer la manne que sont les spéculations financières pour
les entreprises et le frein qu'elles représentent pour les créations
d'emplois.
Cela permettra aussi de réagir contre les inégalités, notamment en aidant les
PME et les PMI qui en ont bien besoin, même si elles l'ont déjà été.
Cela permettra enfin de favoriser les entreprises qui font le choix de la
croissance réelle, de la production et de l'emploi.
Ce constat n'est plus uniquement le nôtre. Si, pendant de nombreuses années,
nous avons été les seuls à dénoncer les sommes colossales que représentent les
actifs financiers, nous notons avec satisfaction qu'aujourd'hui le mouvement
ATTAC se développe et que, ici et là, fusent les prises de position.
M. Delevoye, par exemple, a, voilà un peu plus d'un an, dénoncé la
sous-fiscalisation de la richesse financière. M. Fabius a préconisé, quant à
lui, dans un article du 27 mai paru dans
Le Monde,
l'instauration d'une
taxe de type Tobin. Ce débat prend de l'envergure, peut-être faudrait-il songer
à y travailler plus assidûment.
Nous proposons pour notre part une taxe additionnelle sur les actifs
financiers. La taxe professionnelle est assise uniquement sur les
investissements, qui représentent, toutes entreprises confondues, 11 000
milliards de francs. Ces investissements ne représentent qu'un peu plus d'un
quart des actifs des entreprises. Il reste donc 29 000 milliards de francs
d'actifs financiers qui ne sont pas taxés du tout. En restant à ce
statu
quo,
on favorise la spéculation financière.
Taxer le stock des actifs financiers des entreprises installées en France par
exemple, à 0,3 % rapporterait 1 250 francs par habitant et serait,
pensons-nous, facteur d'emploi, d'épanouissement et surtout de changement.
Ce serait un souffle nouveau pour permettre aux collectivités territoriales de
mieux répondre aux besoins de leurs concitoyens.
Il faut désintoxiquer les entreprises qui font de l'argent avec l'argent. Il
faut les inciter à l'investissement productif, ce qui favoriserait la création
d'emplois.
Prélevée au niveau national, cette taxe sur les actifs financiers permettrait
une solidarité financière accrue entre collectivités.
De nombreux projets gouvernementaux tendent à favoriser la péréquation et à
assurer la solidarité des territoires. Oui, je pense que le Gouvernement a des
ambitions dans le domaine de l'emploi. Cette volonté politique est une très
bonne chose, mais il faut aussi veiller à la création de ressources nouvelles.
Nous sommes ouverts à la discussion pour débattre de ces propositions, des
autres propositions et bien sûr de celles qui portent sur la taxe Tobin.
Je voudrais également évoquer quelques instants la question de la fonction
publique territoriale.
Vous le savez, les accords Zuccarelli ont prévu une revalorisation des
salaires des fonctionnaires territoriaux. Cette revalorisation était
nécessaire, compte tenu du gel des augmentations en 1996 et 1997 et de la
réduction régulière de leur pouvoir d'achat. Cependant, aucune mesure
financière n'a été assortie à cet accord pour aider les collectivités à
l'assumer.
Il en va de même pour le passage souhaité aux 35 heures. L'Etat doit veiller à
l'applicabilité financière ou, du moins, en créer les conditions. Aussi
aimerions-nous que cette question ne soit pas abandonnée.
L'autre question relative à la fonction publique territoriale est la situation
financière dramatique dans laquelle se trouve leur caisse de retraite : la
Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Du fait de
la compensation et de la surcompensation, les perspectives financières de la
CNRACL pour les trois années à venir font apparaître, dès 2000, un besoin de
financement de 1,5 milliard de francs.
Nous demandons que les ponctions dans les caisses de la CNRACL soient
arrêtées, sinon les cotisations seront augmentées et les répercussions sur les
budgets locaux, et par conséquent sur la fiscalité locale, seront
inévitables.
Dernière interrogation : qu'en est-il de la réforme de la taxe d'habitation et
de la révision des bases cadastrales ? Quand pourrons-nous disposer des
simulations et être informés des réformes envisagées et de leur calendrier ?
Nous sommes favorables à une adéquation plus fine entre des montants de taxe
d'habitation et le revenu des contribuables. La prise en compte de la capacité
contributive de chacun pour tous les impôts devrait être la règle. Aussi
soutiendrons-nous cette réforme si les buts recherchés nous paraissent
effectifs et si l'Etat ne fait pas peser le prix de la réforme sur les
collectivités locales.
Pour conclure, je tiens, monsieur le secrétaire d'Etat, à vous dire combien
nous sommes disponibles pour être associés à la préparation de ce projet de loi
de finances de ce tout début de siècle.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
l'opposé de la politique précédente, qui conjuguait une insuffisante réduction
des déficits, une augmentation trop rapide des dépenses, une croissance forte
des prélèvements obligatoires, la politique budgétaire menée depuis 1997 allie
réduction forte des déficits publics, maîtrise des dépenses et stabilisation
des prélèvements.
L'enchaînement qui était réalisé avant juin 1997 allait en effet dans le
mauvais sens. La purge fiscale sans précédent assenée à nos concitoyens et le
blocage des salaires dégradaient la consommation et anémiaient donc la
croissance, ce qui entraînait une hausse inéluctable de certaines dépenses
budgétaires et de mauvaises rentrées de recettes, aggravées d'ailleurs par des
aides fiscales inconsidérées et inutiles à certaines catégories. Les objectifs
de réduction des déficits publics ne pouvaient donc être atteints sans
contorsions comptables et nouvelles hausses d'impôts.
La politique conduite depuis 1997 apparaît au contraire des plus judicieuses.
Le budget a permis d'accompagner la reprise de la croissance en rendant
possible la hausse du pouvoir d'achat des fonctionnaires, en dégageant les
financements nécessaires pour les emplois-jeunes, pour le logement social, pour
l'éducation nationale, en stabilisant les prélèvements obligatoires et en
commençant même à les réduire pour la majorité des Français ; je pense aux
allégements sur la TVA, sur les droits de mutation, sur la taxe d'habitation et
sur les dépenses d'entretien dans les logements.
En conséquence, la confiance est revenue. Le pouvoir d'achat des Français
augmente fortement. La consommation atteint des sommets et le Gouvernement
bénéficie de recettes fiscales suffisantes qui lui permettent d'obtenir de très
bons résultats sur le plan budgétaire.
Depuis juin 1997 la réduction des déficits publics est plus forte en France
qu'ailleurs : baisse réelle de 0,7 point de PIB en 1997, de 0,6 point en 1998
et de 0,6 point prévue en 1999. Dès cette année, le budget est en excédent
primaire, ce qui permet de stabiliser le poids de la dette dans le PIB à 58,5
%. A une gestion comptable et à un cercle vicieux ont succédé une gestion
dynamique et un cercle vertueux permettant d'obtenir une réduction des déficits
par la croissance et la maîtrise des dépenses.
Cet excellent enchaînement doit bien entendu se poursuivre au cours des
prochaines années. Les évolutions sont d'ailleurs très encadrées par le
programme pluriannuel des finances publiques à l'horizon 2002.
Une nouveauté apparaît cependant dans la politique budgétaire : c'est le choix
désormais d'un objectif de dépenses plutôt qu'un objectif de déficit. Les
dépenses ne devront augmenter que de 1 % en volume sur la période 2000-2002,
quelle que soit la conjoncture. Pour l'année prochaine, le choix est encore
plus rigoureux puisqu'il y aura une stabilisation en volume des dépenses.
Des objectifs de déficit découlent de ces choix et des hypothèses de
croissance. Ils sont bien calibrés et permettront une réduction de
l'endettement public, tout en redonnant à la politique budgétaire son
efficacité conjoncturelle. J'ajoute qu'ils me paraissent devoir être respectés,
car la confiance des ménages repose aussi sur une bonne visibilité et une bonne
compréhension de l'action menée. En revanche, il n'y a aucune raison
d'accélérer le rythme prévu.
En effet, si des marges de manoeuvre supplémentaires sont dégagées, alors ce
sont des allégements d'impôts qu'il faudrait envisager. Ces marges, nous ne le
savons, seront faibles l'année prochaine du fait de la réduction du déficit
budgétaire et des allégements d'impôts déjà programmés, en faveur des
entreprises principalement. Elles dépendront en pratique de la croissance, qui
sera certainement soutenue l'année prochaine, mais à un rythme encore difficile
à cerner.
Néanmoins, je le redis, si les prévisions de croissance à l'automne permettent
d'envisager quelques marges supplémentaires, le choix de la poursuite des
allégements fiscaux envers les ménages devra être effectué afin de renforcer la
dynamique de confiance.
La TVA est l'impôt le plus cité pour réaliser ces allégements d'impôts. Je
pense, comme vous monsieur le secrétaire d'Etat, que des allégements de la taxe
d'habitation seront plus efficaces et plus justes socialement ; j'y
reviendrai.
Mon propos sera principalement centré sur les orientations budgétaires et
fiscales concernant les collectivités locales.
Le budget pour 1999 était un budget de renouveau pour nos collectivités avec
le lancement du contrat de solidarité et de croissance et le début d'une
profonde réforme de la taxe professionnelle.
Le projet de budget pour l'an 2000 devrait être un budget de consolidation de
ces deux profondes réformes qui vont se poursuivre, et de la réforme de
l'intercommunalité, qui va être adoptée prochainement et dont les effets
financiers seront consacrés dans la loi de finances pour 2000.
Il faut rappeler rapidement le contexte général.
Jusqu'en 1997, les collectivités locales ont été prises dans un effet de
ciseaux entre des dépenses de fonctionnement en croissance toujours rapide et
des recettes de plus en plus malmenées, notamment en ce qui concerne les
dotations de l'Etat.
Sous la précédente législature, les dotations de fonctionnement avaient stagné
à plus 8,5 % et les dotations d'équipements avaient baissé fortement de 10,8 %.
Les dotations « passives » avaient été largement ponctionnées alors que les
allégements décidés par l'Etat étaient restés en place. Au total, les
modifications d'indexation et les ponctions diverses avaient abouti à plus de
25 milliards de francs de pertes financières pour les collectivités locales sur
la période. Comme leur gestion était demeurée fondamentalement saine, les
collectivités locales avaient dû restreindre leurs efforts d'équipements -
baisse en 1995 et en 1996 - et augmenter vivement la fiscalité locale ; les
taux avaient augmenté deux fois plus vite entre 1992 et 1997 qu'entre 1987 et
1992.
Depuis, la situation s'est largement améliorée. On peut dire aujourd'hui que
jamais les finances locales ne se sont aussi bien portées depuis au moins 10
ans. Elles dégagent une capacité de financement nettement positive, avec 28
milliards de francs en 1998. La baisse de l'inflation et des taux d'intérêt
allège fortement la charge de leur dette : 6 % des recettes de fonctionnement
aujourd'hui contre 11 % en 1993. La croissance économique dope leurs recettes
fiscales. Les dotations de l'Etat évoluent maintenant positivement, puisque le
contrat de croissance et de solidarité qui porte sur les années 1999 et 2001
permet une prise en compte de la croissance, et aucun mauvais coup n'a été
réalisé.
Les collectivités locales ont donc repris le chemin de l'investissement - plus
7,2 % en 1998, plus 5 % cette année - et peuvent financer les dépenses
nouvelles comme l'augmentation des traitements des fonctionnaires locaux ou
l'embauche d'emplois-jeunes en 1999.
Elles peuvent également réduire la pression fiscale. Les augmentations de taux
sont désormais très faibles : 1,3 % en 1997, 0,8 % en 1998. Notre rapporteur
souligne d'ailleurs que la stabilisation des prélèvements obligatoires observée
en France depuis 1997 provient de la réduction de la part des impôts locaux
dans le PIB. Il veut ainsi démontrer que les prélèvements de l'Etat ne sont pas
stabilisés. Je crois qu'il montre surtout, et M. le ministre l'a très bien dit
tout à l'heure, les résultats positifs de la politique menée par le
Gouvernement, tant du point de vue général que du point de vue des concours
financiers de l'Etat aux collectivités locales, qui permettent désormais aux
élus locaux de réduire les impôts.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est nécessaire que ces évolutions se
poursuivent pour plusieurs raisons.
D'abord, la reprise de l'investissement doit continuer. Les collectivités
locales réalisent 80 % des investissements publics et 12,5 % de l'ensemble des
investissements de la nation. De plus, elles sont confrontées à de lourds
besoins : entretien d'un patrimoine de 2 300 milliards de francs, programme de
traitement des eaux imposé par les directives européennes, traitement des
déchets ménagers, travaux de rénovation et de sécurité des locaux scolaires,
investissements dans les transports, etc.
Ensuite, s'agissant de la pression fiscale, nous sommes arrivés, je le crois,
à un plafond d'acceptation pour nos concitoyens, tout au moins avec nos impôts
directs locaux, dont les assiettes sont archaïques et mal acceptées.
Enfin, que ce soit pour la lutte contre le chômage, pour les aides sociales,
pour la rénovation des quartiers dégradés ou pour le maintien de l'activité en
zone rurale, nos concitoyens demandent toujours plus à leurs élus locaux.
Certaines particularités du vote de la semaine dernière me font d'ailleurs
penser que la demande de prise en compte des préoccupations locales n'a pas été
absente. Nos missions s'étendent par conséquent jour après jour, et c'est, je
le pense, une bonne chose, car de nombreuses questions sont mieux traitées à
l'échelon local.
Par conséquent, il faut assurer à nos collectivités locales les moyens
financiers de leur missions. Il ne faut pas rééditer l'erreur du gouvernement
Juppé, qui voyait essentiellement dans les finances locales un bon gisement
d'économies budgétaires et avait oublié le formidable effet de levier exercé
par les dépenses et les investissements locaux. Mais je sais que vous l'avez
bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque les orientations positives
définies dans le budget pour 1999 vont être consolidées dans le projet de
budget 2000.
Première orientation positive : le contrat de croissance et de solidarité, qui
se poursuivra, permettra une prise en compte de la croissance légèrement
supérieure à l'année dernière, puisque l'indexation sera égale à la hausse des
prix plus 25 % de la croissance. L'évolution de la DGF, du fait d'une
régularisation 1998 fortement négative, pourrait cependant poser quelques
problèmes, d'autant que la majoration de 500 millions de francs de la DSU sera
confirmée. Il faudra regarder de près les différentes répartitions afin de
s'assurer que les évolutions sont suffisantes pour toutes les collectivités.
Deuxième orientation positive : la recherche d'une plus grande péréquation
financière. J'ai été très heureux de lire dans votre rapport, monsieur le
secrétaire d'Etat, que cette volonté d'accroître la péréquation financière est
désormais celle du gouvernement. Là encore, c'est un changement notable par
rapport au gouvernement précédent. L'effet péréquateur de la DGF devient en
effet de plus en plus important : 11 milliards de francs en 1999, sur un
montant de 109 milliards de francs. Le renforcement de la dotation de
solidarité urbaine, mais aussi de la dotation de solidarité rurale, sera donc
poursuivi.
Il faut également mentionner les effets péréquateurs des réformes intervenues
sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle et sur la
compensation de la suppression de la base salaires de la taxe professionnelle
qui seront renforcés.
Permettez-moi une suggestion, monsieur le secrétaire d'Etat, pour renforcer
encore la péréquation. Le retour dans le droit commun de la fiscalité locale de
France Télécom demeure posé. Sa taxe professionnelle devrait, me semble-t-il,
être attribuée progressivement au Fonds national de péréquation de la taxe
professionelle, cela en sus de l'attribution déjà effectuée. Pour compenser les
pertes financières pour l'Etat, le dispositif de compensation de l'allégement
des bases de 16 % prévue par la loi de finances pour 1987 pourrait être réformé
par la suppression de la compensation réalisée sur les bases qui n'existent
plus, avec un dispositif de lissage sur la part compensation « perte de bases »
du FNPTP.
La troisième orientation positive de ce budget 2000, c'est l'application de la
loi sur l'intercommunalité, qui ouvre un champ extrêmement intéressant pour nos
collectivités locales.
Le renforcement des dotations DGF pour les communautés d'agglomération, mais
aussi pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique, est un
élément important qui est très apprécié par les acteurs locaux engagés dans
l'intercommunalité de projet, qui devient de plus en plus indispensable pour
structurer le développement local, renforcer les péréquations volontaires et
accentuer les concertations. Cependant, là encore, il faudra ajuster le
dispositif de financement dans quelques années.
Enfin, je ne peux terminer mon propos sans évoquer plusieurs dossiers
d'importance, même s'ils ne vous concernent pas toujours directement, monsieur
le secrétaire d'Etat.
La taxe d'habitation, tout d'abord. C'est un impôt injuste : elle entraîne des
différences injustifiées entre les contribuables locaux et elle est dégressive
par rapport au revenu, malgré les mesures de personnalisation.
Si en valeur absolue les cotisations augmentent avec les ressources, en valeur
relative elles frappent davantage les revenus moyens et modestes. En 1993, la
valeur moyenne de cotisation par rapport au revenu était de 2,3 % pour les
revenus annuels inférieurs à 150 000 francs alors qu'elle était de 0,9 % pour
les revenus supérieurs à 500 000 francs.
Par conséquent, il faut réformer la taxe d'habitation et viser deux objectifs
: la justice fiscale et l'allégement de cette taxe en faveur des ménages moyens
et modestes.
La révision des valeurs locatives se heurte pourtant, semble-t-il, à des
difficultés. Il est vrai que son application sans précaution soulève de graves
problèmes qui ne peuvent être résolus, selon moi, que dans le cadre d'une
réforme plus large permettant une réduction forte de cette taxe et donc une
attribution aux collectivités locales de nouvelles recettes. Le renforcement et
la simplification de la personnalisation de l'impôt constituent une autre voie
que privilégient, je crois, vos services, monsieur le secrétaire d'Etat.
Pouvez-vous nous donner quelques éclaircissement sur les possibilités de
réforme ?
La question de la CNRACL doit également être posée. Les difficultés
financières de cette caisse vont croissant du fait de la surcompensation et de
la dégradation naturelle du ratio démographique. Le rapport cotisants-retraités
devrait en effet passer de 3,3 cotisants par retraité en 1995 à 1,4 en 2015. En
1997 et 1998, des réponses conjoncturelles ont été trouvées pour éviter le
déficit. En 1999, avec une surcompensation estimée de 9,4 milliards de francs,
le déficit serait de l'ordre de 1,7 milliard de francs.
Il est clair que la CNRACL ne peut plus supporter de tels niveaux de
prélèvements. Il faut désormais une réponse structurelle pour éviter une hausse
de la cotisation employeur comme en 1995. Cette réforme indispensable
interviendra-t-elle cette année, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Je voudrais également évoquer les difficultés des trésoreries confrontées à un
manque de personnel. La mise en place de l'instruction budgétaire et comptable
M 14, avec des changements continuels de nomenclature, des logiciels, qu'il
faut également souvent mettre à jour, occasionnent des retards, tant pour le
paiement des factures des collectivités, ce qui pénalise les fournisseurs, que
pour prendre en compte nos recettes. Bon nombre de compte de gestion n'ont pas
été adressés à la fin du mois de mai comme le veut la réglementation et, par
conséquent, des retards sont à envisager dans l'examen des comptes
administratifs des collectivités.
Enfin, je voudrais également me faire une nouvelle fois l'écho de nombreux
maires de petites communes au sujet de l'application de l'instruction M 14. La
formule du budget annexe dans les petites communes est vraiment très compliquée
et il est nécessaire de revenir sur cette question.
S'agissant des personnels, j'ai entendu précédemment M. le président de la
commission des finances évoquer ces dépenses en tant que variables
d'ajustement. M. le rapporteur général ajoute dans son rapport : « Il importe
d'ancrer dans la durée la politique de réduction des effectifs de la fonction
publique. »
Mais il est des secteurs - je viens d'indiquer celui de la trésorerie, par
exemple - où le manque de personnel est patent. Il est d'ailleurs amusant, dans
les assemblées locales, dans les conseils généraux, d'entendre les élus de
l'opposition nationale réclamer sans cesse à cor et à cri des personnels
supplémentaires dans les trésoreries, dans les services de la justice, de la
police, de la gendarmerie, des affaires sociales, ou protester contre les
redéploiements ou suppressions de postes dans les classes. On ne fait guère
mieux dans l'art du double langage puisque ce qui est dénoncé dans les
collectivités, sur le terrain, fait l'objet ici, aujourd'hui, d'une autre
appréciation.
Mais, au-delà de ces remarques, en conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat,
je ne peux que vous réitérer le soutien du groupe socialiste du Sénat, déjà
exprimé par mon ami Bernard Angels, quant aux orientations proposées. Elles
vont sans conteste dans le bon sens, celui de la confiance retrouvée, de la
modernisation de la justice et de l'équité.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
politique de la croissance liée à l'innovation constituera l'essentiel de mon
propos ; cela n'étonnera personne sur ces bancs, un peu clairsemés à cette
heure.
L'innovation résulte de c'est la rencontre entre des inventeurs, des créateurs
et le marché, c'est-à-dire ceux qui vont utiliser ces inventions ; c'est
quelque chose de tout à fait capital. Je me réjouis donc que le Gouvernement
ait pris l'initiative de proposer un texte spécifique que nous étudierons
bientôt.
Le débat budgétaire se fonde sur la macro-économie.
Pour ma part, je m'intéresse beaucoup plus aux problèmes de micro-économie -
car cette discipline s'intéresse à ceux qui créent - les entrepreneurs, les
entreprises - et ceux qui fabriquent. La macroéconomie travaille sur les
agrégats que l'on considère ensuite pour examiner les faits passés.
Ces agrégats, sur lesquels nous sommes bien obligés de raisonner puisqu'une
politique budgétaire est essentiellement fonction d'un certain nombre de
considérations d'ensemble témoignent du passé mais ils ne sont pas toujours
suffisants. En effet nous avons constaté qu'il aurait fallu y intégrer, d'une
certaine façon, les dépenses sociales puisque le taux des charges de 54 %, dont
nous nous plaignons tous, que nous voudrions tous baisser, est pour une grande
part lié à ces dépenses sociales qui sont plus difficiles à maîtriser,
semble-t-il, que les impôts de l'Etat ou des collectivités locales et qui font
que nombre de nos concitoyens considèrent qu'ils paient plus qu'avant parce
qu'ils supportent plus de charges sociales, notamment par le biais de la CSG,
qui touche finalement beaucoup de monde.
Comment orienter le budget de l'Etat de façon à mieux aider les acteurs qui
gèrent l'essentiel de l'avenir de notre société ? Il est indispensable de
procéder à des redéploiements en tenant compte de la véritable révolution de
l'économie que nous sommes en train de vivre.
Aux Etats-Unis, 40 % des emplois créés sont directement liés à l'innovation et
aux nouvelles technologies. Or ces 40 % ne comptent pas les emplois induits ;
avec ceux-ci ce taux atteindrait 120 %. Parallèlement, ces emplois liés à
l'innovation détruisent d'autres emplois.
Ce qui est essentiel, c'est que, comme nous sommes dans une économie
mondialisée, ces emplois qui sont détruits ne le soient pas chez nous, au
profit des Etats-Unis, du Canada, des pays nordiques ou du Japon, ce qui est le
cas à l'heure actuelle. En effet, si, comme l'affirment de bons économistes,
350 000 emplois liés aux nouvelles technologies ont été créés, si nous
constatons, comme l'a fait M. Dominique Strauss-Kahn, que 1 % ou 0,5 % du PIB
en 1998 est dû au développement des nouvelles technologies, nous ne devons pas
crier victoire, car nous aurions dû faire le triple, d'après certains
excellents économistes.
Ainsi, les redéploiements sont nécessaires, mais de façon que le budget mette
en place les conditions nécessaires pour que les nouvelles technologies
puissent se développer.
Au demeurant, rappelons-nous que les Etats-Unis sont un pays très hétérogène :
le nombre d'emplois créés est beaucoup plus important en Californie qu'en
Alabama ou dans le Dakota du Nord. Bien entendu, la Californie n'est pas le
seul endroit où se créent des emplois. Citons aussi la côte Est, l'Etat de
Washington, les alentours de Boston et New York. L'hétérogénéité est
fondamentale ; je voulais insister sur ce point.
L'Europe bénéficie aussi d'une hétérogénéité fondamentale. Certaines zones de
la région parisienne, les alentours de Cambridge en Angleterre, de Munich en
Bavière, de Stuttgart et de Berlin se développent particulièrement vite, mais
pour d'autres le bilan est plutôt négatif, on peut citer Milan. Bref, certaines
zones se développent très vite et d'autres pas du tout.
Cette hétérogénéité mérite réflexion. Pourquoi ce développement est-il très
rapide dans certaines zones ? Je pense, pour ma part, qu'une concentration
suffisante de recherche, d'enseignements de qualité et d'entreprises
innovantes, grandes ou petites provoque la mise en place d'une véritable
culture locale « entreprenariale ». Dès lors se produit un effet boule de neige
parce que l'existence d'une microculture entreprenariale déclenche une volonté
d'entreprendre beaucoup plus massive, beaucoup plus large. C'est ce qui, à mon
avis, permet de générer un développement plus rapide en des lieux qui peuvent
être variés. Cela peut se produire aussi bien à Grenoble qu'à Toulouse, en des
lieux où existe déjà une certaine culture.
Les conséquences en matière budgétaire sont importantes. Rappelons d'abord que
certaines zones connaissent des croissances de cinq à dix points. Il faut
peut-être les étendre, en créer d'autres similaires en évitant de faire du
saupoudrage, de la diffusion et que ces points d'excellence soient soumis à des
contraintes qu'ils n'auraient pas ailleurs.
Les zones à forte croissance d'innovation sont celles où se trouvent les
entreprises innovatrices. Bien évidemment, la loi de finances doit s'imprégner
de micro-économie et prendre en compte la nécessité absolue de tout faire pour
aider ceux qui créent, qui prennent des risques, qui construisent l'avenir, par
une politique fiscale appropriée, par des
stock-options,
en particulier.
J'espère d'ailleurs que ces derniers seront mis en place dans la prochaine loi
de finances puisque, apparemment, le Gouvernement ne peut pas les instituer,
pour des raisons de politique, que je peux comprendre, dans la loi sur
l'innovation.
Il faut que cette politique fiscale aide les entrepreneurs à gagner
éventuellement beaucoup d'argent qu'ils réinvestiront, engendrant par
conséquent de nombreuses créations d'emplois. Après tout, il ne serait pas du
tout anormal qu'ils soient traités comme certains sportifs de haut niveau.
Sinon ils risquent d'écouter les sirènes qui les attirent vers les Etats-Unis
ou la Grande-Bretagne.
Il faut même que la loi de finances tienne compte de la nécessité d'attirer
des compétences du monde entier. C'est possible, et je crois pouvoir l'affirmer
plus que quiconque puisque, actuellement, à Sophia-Antipolis, dans ce qui était
une garrigue il y a trente ans, on compte plus de 22 000 emplois, dont plus de
la moitié sont des emplois de cadres, et qu'avec les emplois induits, d'après
les calculs des chambres de commerce, cela fait à peu près 100 000 emplois, le
tiers des cadres provenant de plus de cinquante pays.
Il faut aussi se souvenir que de tels pôles génèrent énormément de recettes
fiscales et sociales. Sophia-Antipolis génère plus de 35 milliards de francs de
chiffre d'affaires, c'est-à-dire, compte tenu des taux de prélèvement, près de
20 milliards de francs de recettes fiscales et sociales par an. Ce sont plus de
1 000 entreprises, dont la plupart sont des
start up.
C'est donc à mon
avis des modèles de développements locaux qu'il conviendrait d'appuyer et de
généraliser.
Comment peut-on faire ? Je vois trois thèmes majeurs à développer pour
orienter une loi de finances vers un appui préférentiel à l'industrie de
l'avenir, c'est-à-dire l'industrie de la matière grise qui, pour les pays à
fort niveau de salaire, est certainement une solution préférable à beaucoup
d'autres, en tout cas une solution prioritaire. Ainsi, dans la loi de finances,
il faut prévoir les répartitions qui peuvent être nécessaires. Mais, avant de
répartir de la richesse, il faut d'abord la créer. Or, dans le monde
contemporain, c'est certainement beaucoup plus dans les zones à forte
concentration de matière grise, donc à forte concentration de potentialité de
développement d'industries de haute technologie, qu'on peut la créer.
Il faut d'abord une fiscalité pour les innovateurs et leurs appuis, qu'il
s'agisse de
business angels
, ou investisseurs providentiels, pour
reprendre la terminologie de la commission des finances du Sénat, des
investisseurs de proximité, des investisseurs en fonds communs de placement
dans l'innovation. Beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire. Bien
entendu, j'insiste encore sur le système attractif des
stock options
,
parce que c'est crucial.
Je constate qu'à Sophia-Antipolis, chaque semaine, des gens viennent faire
leur marché, achètent des équipes et éventuellement des petites sociétés pour,
à terme, les emmener ailleurs. Les gens se laissent finalement convaincre parce
qu'au fond ils estiment, peut-être à tort, que gagner beaucoup d'argent n'est
pas forcément déshonorant.
Deuxième thème : les recettes de privatisation.
A cet égard, je voudrais citer l'exemple de la Bavière, qui est très frappant.
La Bavière a privatisé une grande partie de ses entreprises publiques, et
dispose de 3 milliards d'euros, ce qui, pour un
Land
de la taille de la
Bavière, n'est pas négligeable. Elle a décidé de réserver en totalité au
développement de l'innovation ces 3 milliards d'euros. Elle développe des
centres de transfert, des incubateurs, des minitechnopoles. Résultat : le taux
de chômage y est deux fois plus faible que dans le reste de l'Allemagne. Les
entreprises innovantes se multiplient grâce à l'effort d'amorçage public et
privé. D'ici peu, nous verrons une nouvelle Silicon ou biotechnicon ou Valley
européenne.
L'idée de mettre les recettes de privatisation à la disposition des secteurs
innovants plutôt que de les placer dans le pot commun budgétaire ne serait
peut-être pas si mauvaise. En tout cas, puisque cela fonctionne en Bavière, je
ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même en France. Il nous reste encore
quelques sociétés à privatiser.
Pourquoi ne pas envisager le redéploiement des investissements d'un certain
nombre de ministères avec une concentration des efforts sur les pôles
d'excellence ? Je pense bien évidemment au ministère dont M. Allègre a la
charge, à la partie de votre ministère qu'est consacrée l'industrie et tout
particulièrement au ministère de la défense.
J'ai posé à M. Richard une question dans laquelle je lui faisais part de mon
inquiétude face à la diminution régulière, depuis un certain nombre d'années,
des dépenses de son ministère en matière de recherche, d'études et de
développement, alors qu'il serait logique que ces dépenses augmentent. La
technologie et la logistique constituent désormais la force principale des
armées. Et l'actualité récente nous a malheureusement permis de constater
qu'elles n'avaient pas atteint - en Europe en général et en France en
particulier - leur niveau adéquat.
Par ailleurs, il ne s'agit pas uniquement des conséquences militaires.
L'exemple des Etats-Unis et des réalisations du ministère américain de la
défense en matière de technologies duales est très intéressant. En effet, les
industries de haute technologie - je pense à Alcatel et à bien d'autres
entreprises - sont désormais parfaitement capables de fabriquer des produits
très sophistiqués qui seront probablement moins chers si elles les réalisent à
la fois pour le domaine civil et pour le domaine militaire. Comme les
applications militaires et civiles deviennent de toute façon de plus en plus
voisines, y compris en matière d'observations terrestres, on pourrait créer de
la richesse, des emplois et développer beaucoup d'activités.
Il faut, je le répète, éviter un saupoudrage et adopter une stratégie en
faveur des zones de compétences. Ce serait une erreur d'adopter une stratégie
très « égalitariste » qui finalement conduit à dépenser inutilement de
l'argent. Alors qu'on admet très bien que des équipes de football passent de
première en deuxième division non parce qu'elles sont mauvaises, mais parce que
d'autres sont meilleures, je ne vois pas pourquoi on ne ferait pas de même
dans le domaine des industries de matière grise avec des équipes qui ne
demandent qu'à se développer.
Nous ne devons pas nous laisser bercer par l'idée que nous ne sommes pas si
mauvais, que nous sommes bons, que nous accomplissons quelques progrès. Nous ne
sommes pas assez bons si les autres sont meilleurs. Avec la mondialisation
économique, la compétition intellectuelle est désormais si forte qu'il ne faut
pas nous mettre des semelles de plomb ; il nous faut, au contraire, nous mettre
en position de gagner les courses.
(Applaudissements sur certaines travées
du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je commencerai par répondre aux présidents de
commission qui se sont exprimés.
M. François-Poncet s'est réjoui que la croissance française soit, en 1998
comme en 1999, supérieure à celle de l'Allemagne et de l'Italie. Il a établi un
parallèle avec les Etats-Unis. Le Gouvernement pense, comme lui, que l'action
concertée et la coordination des politiques économiques en Europe, en
particulier au sein de l'Euro 11, doit permettre de réduire l'écart entre la
croissance européenne et la croissance américaine qui d'ailleurs ne sera
peut-être pas éternel.
M. François-Poncet a cité MM. Trichet, Schroder et Blair pour étayer deux de
ses recommandations. La première visait à réduire la part excessive des
dépenses publiques. Sans que le Gouvernement en tire une quelconque fierté,
cette part diminue et passera de 56 % du produit intérieur brut en 1996 à 51 %
en 2002. C'est d'ailleurs, me semble-t-il, le chiffre qu'il a cité.
Il convient de réduire la part relative de la dépense publique, mais en
agissant par la croissance plutôt qu'en opérant des coupes claires. Par
ailleurs, il importe que, dans ce mouvement de réduction relative, les
priorités, sur lesquelles Mme Beaudeau et M. Angels ont fortement insisté,
soient correctement financées.
M. François-Poncet a évoqué les réformes structurelles. Tout au long de ce
débat, il est très clairement apparu que le Gouvernement prévoyait des
réformes, notamment dans le domaine de la fiscalité mais aussi en faveur de
l'emploi mais pas au détriment des salariés.
M. Delaneau a abordé la question de la sécurité sociale qui, selon lui, doit
être traitée lors du débat d'orientation budgétaire. En effet, vous le savez,
le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie exerce une
responsabilité générale sur toutes les finances publiques.
M. Delaneau a cité des chiffres qui mettent en reflet la situation actuelle de
la sécurité sociale. Après un déficit du régime général de 67 milliards de
francs en 1995, les 5 milliards de francs de déficit prévus pour 1999 - et
l'année n'est pas terminée en la matière - démontrent que le Gouvernement,
auquel j'ai l'honneur d'appartenir, a combattu courageusement le déficit de la
sécurité sociale.
M. Delaneau a également évoqué la deuxième loi sur la réduction négociée du
temps de travail. Il a contesté, me semble-t-il, le principe de neutralité,
c'est-à-dire le fait que les ressources tant fiscales que sociales résultant
des nouveaux emplois induits par ces accords donnent lieu à des prélèvements
qui soient recyclés dans les entreprises ayant signé lesdits accords. Le
Gouvernement, en la matière, a adopté une position équilibrée.
M. Gouteyron, qui a présidé une commission d'enquête sur l'éducation
nationale, souhaite qu'on dépense mieux dans ce secteur. Il rejoint tout à fait
le point de vue du Gouvernement. Tous les travaux qui sont réalisés tant à
l'Assemblée nationale qu'au Sénat pour renforcer l'évaluation parlementaire
vont, tout à fait me semble-t-il, dans la bonne direction.
S'agissant de l'éducation nationale, mon collège Claude Allègre a réduit la
dimension de l'administration centrale et a rendu aux recteurs une capacité de
gestion des postes d'enseignants qui est mieux exercée près des établissements
scolaires qu'à Paris.
M. Gouteyron a souhaité, en outre, que le Parlement soit mieux informé. Les
commissions d'enquête ont permis une telle information, tandis que les
ministres répondent à toutes les questions d'actualité qui leur sont posées. Il
ne me semble pas anormal qu'un certain nombre de décisions en matière de
gestion soient prises en cours d'année, par exemple pour combler les vacances
de postes.
Je m'adresserai maintenant à M. de Villepin, qui a bien voulu attendre, en
dépit de l'heure tardive, que le Gouvernement lui réponde. J'y suis très
sensible.
Vous souhaitez, monsieur de Villepin, que la dépense publique baisse, sauf
dans le cas des budgets régaliens de la défense et des affaires étrangères. Je
crois cependant que vous pensez, comme moi, que la volonté de dépenser mieux
peut concerner tous les budgets, y compris les deux que vous avez
mentionnés.
Je veux, d'abord, vous rassurer à propos du budget militaire, en vous disant
que la revue des programmes militaires sera respectée, ainsi que la
professionnalisation de nos armées. Je souligne, au passage, qu'il est
exceptionnel qu'une loi de programmation militaire soit autant respectée que
celle qui est en cours d'exécution. On a, en effet, constaté, dans le passé,
des écarts croissants qu'on ne retrouve pas actuellement.
S'agissant des opérations extérieures, vous savez que la tradition est de les
traiter dans le collectif budgétaire de fin d'année.
A propos du ministère des affaires étrangères, vous avez parlé des effectifs.
Ce ministère a, en effet, contribué, entre 1991 et 1998 - ce n'est donc pas un
phénomène récent - à rendre à la collectivité nationale, si je puis dire, 628
postes budgétaires. Il faut dire qu'en contrepartie ce ministère a procédé au
recrutement de 1 100 collaborateurs locaux et que, si l'on compare avec nos
homologues britanniques, dont la diplomatie n'est pas, je crois, de second
rang, les effectifs de cette grande administration française ne sont pas
vraiment différents de ce qu'ils sont outre-Manche.
Vous avez également évoqué la réforme de la coopération. Il s'agit bien là
d'une réforme structurelle, profonde, telle que M. François-Poncet, qui connaît
bien ce ministère, peut l'apprécier. Comme vous l'avez souligné, le plein effet
de cette réforme n'apparaîtra qu'à moyen terme mais, dès l'an 2000, nous en
percevrons quelques effets bénéfiques en termes de gestion.
Monsieur de Villepin, vos propositions sont excellentes, qui consistent à
organiser une programmation, à moyen terme, de la carte diplomatique et
consulaire et, avec la malice souriante que chacun vous connaît, vous y avez
ajouté l'ensemble des établissements à l'étranger, y compris ceux d'autres
ministères, en particulier ceux du ministère des finances.
M. Trégouët, avec des accents assez comparables à ceux de M. Laffitte, a
évoqué la nouvelle économie de l'immatériel, qui est effectivement au coeur de
ce débat d'orientation budgétaire.
Le budget est, en effet, un instrument pour soutenir la croissance et, comme
M. Laffitte l'a rappelé, le développement des nouvelles technologies de
l'information, de cet immatériel évoqué par M. Trégouët, a, selon des calculs
évidemment fragiles, apporté un supplément de croissance de l'ordre de un
demi-point par an. Il est vrai que la France avait pris quelque retard en la
matière, mais je crois que ce retard se réduit peu à peu, peut-être trop
lentement. A cet égard, le projet de loi sur l'innovation qui a été salué par
la Haute Assemblée va, me semble-t-il, tout à fait dans le bon sens.
M. Trégouët, avec d'autres sénateurs, a regretté que les jeunes, et des jeunes
de valeur, partent à l'étranger. Je dirai très simplement qu'il est bon que nos
jeunes « doctorants » aillent se perfectionner à l'étranger. La vraie question
est de faire en sorte qu'ils reviennent et je veux, pour relativiser cette
situation qui n'a rien de dramatique, souligner qu'il y a actuellement, d'après
un rapport du Conseil économique et social, 3 % de Français à l'étranger,
contre 10 % d'Italiens, 15 % de Britanniques et 12 % de Suisses.
Il n'est donc pas possible d'être favorable à la mondialisation, comme
certains sénateurs l'ont dit, et de vouloir que la population reste confinée
dans nos frontières.
M. Trégouët a, comme M. Laffitte, évoqué les
stock-options
. Mais qui a
si lourdement taxé les
stock-options
, sinon MM. Barrot et Arthuis ? Je
tiens à préciser que le Gouvernement a rétabli un régime fiscal plus favorable
pour les seules entreprises de moins de quinze ans, car ce sont ces entreprises
naissantes qui sont les plus créatrices d'innovation, de richesses et
d'emplois.
Enfin, grâce au Gouvernement français, une décision européenne a doublé les
investissements de la Banque européenne d'investissement dans les réseaux
d'information, ce qui permettra à nos entreprises de profiter pleinement de la
révolution industrielle qui s'annonce.
Mme Beaudeau a plaidé avec vigueur et conviction en faveur du secteur public.
Le Gouvernement partage pleinement la conviction qu'elle a si bien exprimée.
J'en veux pour preuve le fait que notre ministre des transports a obtenu un
délai pour la dérégulation, comme disent les spécialistes, c'est-à-dire la
libéralisation du rail. Nous sommes favorables à la sauvegarde, au
développement, à une plus grande efficacité du secteur public. Nous nous
rejoignons pleinement sur ce point.
Madame Beaudeau, vous avez également souligné que la croissance ne se décrète
pas ; elle se gagne. C'est une conviction forte qui s'oppose au laisser-faire
de certaines doctrines libérales. Vous avez parlé de dépenses « conquérantes ».
Il est possible d'être conquérant sans être trop massif. Nous pouvons donc nos
rejoindre sur ce point.
Enfin - et vous avez beaucoup insisté sur cette question - vous avez souligné
l'importance de lutter contre le
dumping
fiscal à l'échelon européen. A
cet égard, je me tourne vers M. Angels, qui a déposé une proposition de
résolution concernant la fiscalité européenne de l'épargne qui n'a pas été
soutenue, monsieur le rapporteur général, par la commission des finances. Il
s'agissait pourtant là d'un moyen concret de manifester la volonté quasi
unanime du Sénat de lutter contre la fraude, l'évasion fiscale, voire les
paradis fiscaux. Par conséquent, peut-être y aura-t-il l'occasion d'un
rattrapage en la matière ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le secrétaire d'Etat, me permettez-vous de
vous interrompre ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur général.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de M. le
secrétaire d'Etat.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la commission des
finances a examiné cette question relative à la directive européenne sur la
taxation de certains revenus de l'épargne. S'agissant de l'objectif, nous nous
sommes prononcés, par une résolution, favorablement. Nous avons retenu une
rédaction légèrement différente de celle qui était préconisée par notre
collègue M. Angels, en particulier sur le taux minimal de cette taxation. En
effet, nous préférons le fixer à 20 %, au lieu de 25 %.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est donc pas véritablement une différence
stratégique qui nous sépare sur ce point. Je tenais à préciser la position de
la commission des finances.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le rapporteur général, je vous remercie de
soutenir ainsi, même avec quelques nuances, une proposition qui a été formulée
par M. Angels.
Je reprends mon propos. De même, nous travaillons à un code de bonne conduite
ayant pour objet d'éviter des pratiques fiscales qui ont comme conséquence
artificielle le déplacement d'usines, de sièges sociaux ou de centres de
recherche. Donc, madame Beaudeau, nous travaillons, et je suis heureux que le
Sénat apporte son soutien à cet effort du Gouvernement.
La réduction des déficits n'est pas un objectif en soi, c'est simplement un
moyen. Comme vous le savez, madame la sénatrice, les intérêts de la dette
représentant 340 milliards de francs, c'est-à-dire l'équivalent de l'ensemble
du budget de l'emploi et de la solidarité, ainsi que M. Dominique Strauss-Kahn
l'a dit avant moi, il est important de baisser cette dépense qui profite à la
rente pour accroître la dépense volontaire en faveur de l'emploi.
M. Angels a dressé un bilan impeccable de la politique menée par le
Gouvernement dans le domaine économique et budgétaire, qu'il a ponctué par un
certain nombre de phrases fortes dont il s'est fait une sorte de spécialité,
telles que « la croissance n'est rien sans la confiance » ou « en ce qui
concerne l'emploi, la bataille est loin d'être gagnée, mais les résultats
enregistrés sont satisfaisants ».
Vous nous avez fourni, monsieur le sénateur, un précepte sage en matière de
réforme fiscale : il faut réformer nos structures et nos pratiques sans les
déséquilibrer. Vous avez fait un vaste panorama des réformes fiscales qui ont
votre préférence, en insistant sur celles qui bénéficient aux ménages. Le
Gouvernement entend bien votre message. Si nous avons les marges de manoeuvre
nécessaires, nous irons dans la direction que vous souhaitez.
Vous avez parlé de la poursuite de l'effort de simplification. Je tiens à
apporter une précision sur la fiscalité de l'épargne. Il est vrai que le
conseil des impôts a produit récemment un rapport sur ce point, qui n'a pas
pour objet d'unifier complètement la fiscalité de l'épargne, car, vous comme le
Gouvernement, nous sommes attachés à ce que l'épargne populaire garde un statut
particulier. Nous pourrons en reparler à l'occasion du prochain débat
budgétaire.
La déclaration expresse, vous l'avez citée avec faveur. Vous avez mentionné le
prélèvement à la source, qui soulève de multiples problèmes. S'agissant du
droit de bail, le Gouvernement a, comme vous le savez, accepté au sujet du
remboursement du trop-versé en ce qui concerne les seuls
propriétaires-bailleurs qui interrompent leur location, de discuter avec les
professionnels et de vous proposer une solution, me semble-t-il heureuse, dans
le projet de budget pour l'an 2000. Vous faites la suggestion d'un
remboursement sur cinq ans. C'est une idée qui sera versée à cette
réflexion.
Vous avez parlé de la recherche d'une plus grande justice fiscale en citant la
loi Pons. Nous en avons parlé lors de l'examen des projets de budget pour 1998
et 1999. Nous avons dit que nous allions stabiliser la loi Pons jusqu'au 31
décembre 2002. Evitons perpétuellement de modifier chaque année les
dispositions fiscales, même si elles sont imparfaites. Ce serait en effet un
facteur de trouble pour les investisseurs, qui sont nécessaires au
développement des départements et territoires d'outre-mer.
Vous avez évoqué la TVA en revenant sur le point antérieur. En ce qui concerne
l'écotaxe, vous avez apporté un soutien de principe à l'initiative européenne
dont la France va partager la mise en place. Nous en reparlerons.
Vous avez évoqué un certain nombre de dossiers européens, et notamment la
directive sur l'épargne dont j'ai déjà parlé en répondant à Mme Beaudeau. Vous
avez aussi évoqué la taxe sur les mouvements financiers spéculatifs à l'échelle
européenne. Ce sujet a du pour et du contre, si je puis dire, car le monde
financier est désormais global. L'échelle française est certainement
insuffisante et l'échelle européenne peut-être trop limitée. Ce serait au moins
au niveau des pays de l'OCDE qu'il faudrait agir, et encore de nombreux paradis
fiscaux resteraient-ils en dehors.
M. Deneux a parlé de l'« explosion » de la dette publique. Monsieur le
sénateur, vous avez raison : entre 1991 et 1997, la dette publique rapportée au
produit intérieur brut est passée de 30 % à un peu moins de 60 %. Concrètement,
cela représente, par famille, 100 000 francs en 1993 et 200 000 francs en 1998.
Il était important d'interrompre cette « explosion » de la dette publique ;
c'est votre expression et non la mienne. Depuis 1997, nous approchons d'un
plafond et pour la première fois, en l'an 2000, la dette reculera en
pourcentage du produit intérieur brut.
Nous avons déjà débattu des crédits d'investissement. Toutes sources de
financement confondues, les investissements civils de l'Etat, qui avaient
baissé de 13 % entre 1993 et 1997, croîtront de 10 % entre 1997 et 1999.
En ce qui concerne les routes, sans entrer dans un débat trop pointu à cette
heure avancée, je signalerai que nous avons ajouté des crédits de paiement pour
rattraper les retards accumulés durant les années antérieures.
M. Lachenaud a déploré les conditions de ce débat d'orientation budgétaire. Il
est normal que le Gouvernement présente sa vision et que la commission des
finances ainsi que les sénateurs formulent leurs propres suggestions.
Je voudrais insister fortement sur un point : au mois de juillet 1998, lorsque
nous avons annoncé des mesures fiscales, M. Strauss-Kahn et moi-même, nous
sommes venus les présenter devant les commissions des finances des deux
chambres du Parlement ; vous ne pouvez donc pas dire, même si vous vous êtes
exprimé rapidement, que vous avez appris tout cela par la presse.
Vous avez parlé de l'environnement européen. Il est vrai que l'écotaxe est en
train d'être mise en oeuvre par l'Italie, par la Grande-Bretagne et par
l'Allemagne. Vous avez évoqué l'impôt sur le bénéfice des sociétés. Il faut
regarder le taux, vous avez raison, mais aussi la base sur laquelle cet impôt
est calculé. Nous sommes à l'initiative d'un travail européen pour comparer ce
qui est comparable. Peut-être verra-t-on que, en France, l'impôt sur le
bénéfice des sociétés n'est pas aussi décourageant que vous l'avez dit ?
J'ai déjà évoqué le code de bonne conduite et la retenue sur l'épargne
anonyme.
Le seuil de 50 millions de francs de chiffre d'affaires est-il vraiment
significatif, avez-vous dit ? Or 95 % des entreprises sont en dessous de ce
seuil qui a été adopté en 1997 ; il est proposé de l'adapter en l'an 2000. Nous
avons eu le souci de ménager les petites et moyennes entreprises.
Enfin, et je vous prie de m'excuser d'être un peu rapide dans ma réponse, vous
avez développé un slogan : moins d'impôts égale plus d'emplois. C'est vrai que
nous réduisons les impôts sur le travail : baisse de la taxe professionnelle et
baisse des cotisations patronales. Si l'on regarde le passé, et l'esprit
pragmatique que vous êtes le reconnaîtrait : il y a eu plus d'impôt à l'époque
de M. Balladur et 78 000 chômeurs supplémentaires ; encore un point de
prélèvements obligatoires sous le gouvernement de M. Juppé et 118 000 chômeurs
de plus ; nous-mêmes, nous n'avons pas accru les prélèvements obligatoires et
nous avons 262 000 chômeurs de moins. Je ne fais pas une corrélation aussi
directe que celle que vous avez formulée, mais il y a tout de même un
parallélisme intéressant.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faut baisser les prélèvements obligatoires !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Un peu de patience, monsieur le rapporteur général
!
En ce qui concerne les baisses de TVA ciblées, nous aurons l'occasion d'en
parler prochainement au sein de la Haute Assemblée. Vous souhaitez que nous
expérimentions. Je voudrais simplement dire, sans prolonger le débat, que, si
la Commission de Bruxelles a accepté le principe d'expérimentation de baisses
de TVA sur les activités à fort contenu de main-d'oeuvre, c'est grâce à la
France qu'elle a pris cette initiatrice.
En ce qui concerne la conjoncture, je dirai à M. Vallet que, cet après-midi,
j'étais au Conseil économique et social où les experts de cette assemblée
pensent que nous sommes en train de sortir du trou d'air, tout en
s'interrogeant sur le rythme de sortie. Monsieur le sénateur, vous avez parlé
de l'industrie. Il y a aussi le bâtiment, les services, qui, dans notre pays,
vont bien.
Vous avez évoqué, comme d'autres orateurs, les trente-cinq heures dans la
fonction publique. La démarche du Gouvernement est claire en la matière.
D'abord, un diagnostic : c'est un rapport très complet qui a été fait par M.
Roché sur la durée annuelle du travail dans les différentes administrations :
administration d'Etat, administrations locales, administration hospitalière, et
à l'intérieur de chacune d'entre elles. Actuellement, mon collègue M. Emile
Zuccarelli débat de la méthode pour voir comment progresser. C'est ensuite que
les décisions viendront. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
M. Oudin a parlé de la sécurité sociale. J'ai déjà dit, tout à l'heure, à
propos de l'intervention du président Delaneau, que le Gouvernement avait
travaillé obstinément pour réduire le déficit du régime général de 67 milliards
de francs en 1995 à 5 milliards de francs en 1999. Il a évoqué sur le mode un
peu critique la couverture maladie universelle. Sachez que le Gouvernement
auquel j'appartiens est fier de cette réforme qui touche au droit à la santé en
permettant l'exercice non d'un droit formel à la santé, mais d'un droit réel à
la santé.
En ce qui concerne les transports, je vois que, dans certains domaines, M.
Oudin est partisan, lui aussi, de dépenser plus. Il a évoqué les ports. Le
Gouvernement a lancé pour Le Havre un projet important appelé « Port 2000 ». Je
crois que nous partageons avec lui le souci des infrastructures de
transports.
En ce qui concerne la taxe générale sur les activités polluantes, j'ai déjà
rappelé nos engagements internationaux. Les moyens de l'Agence de
l'environnement et de la maîtrise de l'énergie sont accrus : plus 500 millions
de francs grâce à cette fameuse taxe générale sur les activités polluantes,
plus 500 millions de francs en dotations budgétaires au titre de 1999. C'est
dire que le Gouvernement a tenu ses engagements.
S'agissant de l'eau, une discussion est ouverte avec les présidents des
agences de l'eau, dont la Haute Assemblée est certainement parfaitement
informée.
M. Foucaud a concentré son intervention, très fouillée, sur les collectivités
locales. Je ne crois pas que la réforme de la taxe professionnelle se soit
traduite par une pénalisation des collectivités locales, puisque la
compensation est intégrale. En termes d'emplois, les premiers résultats sont
positifs. Sur les 78 000 emplois créés au premier trimestre, principalement
dans les PME, une partie au moins doit être imputable à cette mesure. D'après
un sondage réalisé à la demande du Conseil supérieur du notariat, c'est en
raison de cette réforme de la taxe professionnelle que deux tiers des patrons
de PME envisagent d'embaucher.
Je rappelle que le Gouvernement, pour bien marquer que cette réforme entre
immédiatement en vigueur, a réduit les acomptes de taxe professionnelle qui
devaient être versés le 15 juin.
Vous avez souhaité que la croissance réelle soit favorisée par rapport à la
spéculation financière. Monsieur Foucaud, je ne vous ferai pas la liste de
toutes les dispositions arrêtées dans le budget de 1999 qui vont exactement
dans le sens que vous souhaitez !
Vous vous êtes inquiété, comme M. Sergent d'ailleurs, de l'avenir financier de
la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. C'est un
sujet auquel le Gouvernement est très attentif et qu'il examine dans le cadre
général des systèmes de retraite dont un diagnostic, de qualité, me
semble-t-il, concerté en tout cas, a été fait par M. Charpin.
Vous avez évoqué la révision des bases de taxe d'habitation. De très nombreux
travaux techniques effectués en la matière par nos soins montrent que, si l'on
s'astreint à garder constant le produit de la taxe d'habitation pour une
commune, certains contribuables voient leur taxe augmenter, alors que d'autres
la voient baisser. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont pas
forcément les contribuables aisés qui voient leur taxe d'habitation progresser
et les contribuables modestes qui la voient diminuer. Ces simulations montrent
bien que le véritable problème - M. Sergent l'a très bien expliqué - est plus
la disparité des taux de fiscalité d'une commune à l'autre que les disparités
de situation à l'intérieur de certaines communes. Nous continuons donc à
travailler sur ce sujet délicat.
M. Sergent est intervenu de façon très convaincante sur les collectivités
locales et sur l'intérêt de substituer à un pacte de stabilité parfaitement
unilatéral et pénalisant pour les collectivités locales un contrat de
croissance et de solidarité. Il a mentionné la volonté du Gouvernement de
recourir de manière accrue à la péréquation.
Il a évoqué le dossier de la taxe professionnelle de France Télécom. Nous
travaillons actuellement avec France Télécom pour déterminer la base,
l'assiette en quelque sorte, de la taxe professionnelle qui serait payée par
France Télécom. M. Sergent a présenté un certain nombre de suggestions pour
aller au-delà de cette investigation. Le Gouvernement en tiendra évidemment
compte.
En ce qui concerne la taxe d'habitation, qu'il a qualifiée de mesure injuste,
je rappellerai que nous somme revenus sur une disposition de l'ancien
gouvernement puisque 800 000 personnes ont vu leur taxe d'habitation diminuer.
Le coût de cette disposition s'est élevé à 1 milliard de francs dans le budget
de 1998 ; mais il s'agissait, à mon avis, d'une bonne dépense.
M. Sergent a également évoqué la comptabilité M 14. En accord avec M.
Delevoye, président de l'association des maires de France, nous avons décidé de
stabiliser la comptabilité M 14, qui a sans doute beaucoup troublé les élus
locaux mais qui leur apportera, à terme, un outil de gestion leur permettant de
réaliser de grands progrès.
Enfin, M. Laffitte a ouvert grand la fenêtre du xxie siècle ; il a félicité le
Gouvernement de lancer une loi sur l'innovation et a souligné à quel point la
concentration de pôles de recherche, d'enseignement de qualité et
d'entrepreneurs peut créer un effet boule de neige. Telle est exactement la
volonté du Gouvernement.
C'est donc sur cette note de confiance pour le xxie siècle que je conclurai
cette intervention, monsieur le président.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Je constate que le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le
numéro 446 et distribuée.
Mes chers collègues, avant d'aborder la suite de l'ordre du jour, nous allons
interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mercredi 23 juin 1999, à une heure cinquante, est
reprise à une heure cinquante-cinq.)