Séance du 8 juin 1999
M. le président. La parole est à M. Bonnet, auteur de la question n° 535, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Christian Bonnet. Monsieur le ministre, en 1959, si ma mémoire est bonne, le général de Gaulle avait posé en principe que tout préfet nommé devait être affecté à un poste territorial à cinq exceptions près : l'une concernait l'Elysée, l'autre Matignon, la troisième la place Beauvau ; j'avoue ne pas avoir gardé en mémoire les deux dernières.
Depuis quelques années, j'ai le sentiment que les gouvernements successifs - tous les gouvernements - ne se sont pas privés de nommer des préfets en mission de service public relevant du Gouvernement.
Je me suis souvent demandé ce qu'un « grand flic », ce qu'un gendarme qui a connu certaines difficultés après avoir eu de très brillants états de service, ce que le chef de cabinet qui a fait l'objet d'un recours de l'association du corps préfectoral et qui a renoncé au bout de quelques semaines pouvaient avoir à faire dans le corps préfectoral !
J'ai le sentiment que cette prolifération de nominations de préfets qui ne sont pas en poste territorial altère la crédibilité et la force d'un corps qui est et demeure la colonne vertébrale de l'Etat. C'est la raison pour laquelle je me suis permis d'appeler votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que, peut-être, il serait temps d'éviter les nominations de préfets chargés d'une mission de service public relevant du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, actuellement, 116 préfets sont affectés en poste territorial, dont 7 en poste en outre-mer, et 5 sont préfets hors cadre, chargés d'une mission de service public relevant du Gouvernement.
L'introduction, dans le décret du 29 juillet 1964 fixant les dispositions réglementaires applicables aux préfets, d'une disposition permettant la nomination de préfets en mission de service public date de 1982. Le nombre de nominations de ce type autorisées par le décret du 23 décembre 1982 était de 5 % de l'effectif budgétaire du corps des préfets.
Un décret du 20 janvier 1998 a ensuite porté ce nombre à 6 % de l'effectif budgétaire du corps des préfets, soit 8 emplois.
De 1982 à la dernière modification du statut des préfets en mars 1996, il a été procédé à la nomination de 59 préfets en mission de service public, dont 17 étaient des sous-préfets et administrateurs civils âgés d'au moins soixante ans, et ayant sollicité leur retraite quelques mois après leur nomination.
En 1996, il a été décidé de réaffirmer de manière plus nette que les nominations de préfets doivent s'effectuer en poste territorial. Le statut des préfets a été modifié et comporte donc les dispositions suivantes.
Les nominations de préfets impliquent affectation en poste territorial.
Cependant, dans la limite de cinq postes, je dis bien cinq postes, les sous-préfets et administrateurs civils peuvent être nommés préfets hors cadre pour occuper des emplois supérieurs comportant une mission de service public relevant du Gouvernement, trois de ces postes étant réservés à des sous-préfets et administrateurs civils âgés d'au moins soixante ans.
On notera que désormais seuls des sous-préfets et des administrateurs civils peuvent être nommés en mission de service public, les préfets nommés au tour extérieur se trouvant obligatoirement affectés sur un poste territorial. Cette disposition permet par ailleurs de faire bénéficier d'une nomination en qualité de préfet des administrateurs civils ou des sous-préfets anciens qui n'accéderont plus aux fonctions territoriales de préfet avant leur retraite. C'est un dispositif qui existe également pour les généraux.
Les préfets peuvent, sur leur demande, être titularisés après une année d'exercice de leurs fonctions en poste territorial. Ainsi seuls ceux qui exercent la fonction de préfet peuvent accéder à la titularisation dans leur grade.
Depuis mars 1996, vingt préfets ont été nommés en mission de service public, dont dix-sept âgés d'au moins soixante ans - c'est-à-dire une énorme majorité - qui ont ou vont solliciter leur retraite six mois après leur nomination, obtenant une pension de retraite calculée sur leur traitement de préfet.
En conséquence, si on peut dire qu'antérieurement au décret de 1996 les dispositions plus souples du statut ont permis un nombre de nominations et de titularisations relativement important de préfets en mission de service public, aujourd'hui, monsieur le sénateur, la stricte application des dispositions statutaires introduites par le décret de mars 1996 permet d'affirmer que la nomination de préfets en mission de service public ne dévalorise pas la fonction de préfet.
Telle est la situation actuelle : elle est, à mes yeux, satisfaisante, et je pense qu'elle l'est également aux vôtres.
M. Christian Bonnet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions, qui m'intéressent grandement et qui intéresseront également tous ceux qui se préoccupent de la vie du corps préfectoral.
Mais sans que je veuille paraître intervenir en quoi que ce soit dans le cours normal de la justice, sans que je veuille poser une question à laquelle vous ne sauriez répondre, je m'en voudrais de ne pas profiter de cette question relative au corps préfectoral pour évoquer l'émotion grandissante dans l'opinion publique devant la prolongation de l'incarcération du préfet qui porte le même nom que moi.
Cette émotion a deux fondements.
Le premier part du sentiment qu'en l'état actuel des choses la prolongation de cette détention n'est pas nécessaire à la manifestation de la vérité.
Le second repose sur l'impudence avec laquelle se comporte un individu, soutenu par deux anciens ministres, qui ont très certainement du respect des lois de la République une opinion tout à fait différente de la vôtre et de la mienne.
Cette impudence, qui s'est affichée à de nombreuses reprises - notamment au moment où le restaurant en question a rouvert ses portes - a profondément choqué l'opinion publique ; elle a choqué très majoritairement l'opinion des Corses.
Cette impudence a altéré, dans l'esprit de trop nombreux continentaux, l'image qu'ils se font de la population corse et a gravement humilié l'Etat. Chacun se demande si, effectivement, il y aura destruction de l'édifice, qui a été très rapidement restauré avec des fonds privés, ce dont s'est vanté l'intéressé, si celui-ci persistera dans la volonté qui est la sienne d'obtenir réparation de l'Etat et si sera effectivement appliquée la décision de justice à laquelle il a, du bout des lèvres, donné son accord.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je répondrai à M. Christian Bonnet qu'il n'appartient pas au ministre de l'intérieur de commenter une décision de justice. Il le sait d'ailleurs, notamment pour avoir exercé ces fonctions.
Je rappelle que la détention provisoire est régie par l'article 144 du code de procédure pénale, qui dispose qu'elle se justifie par la nécessité de parvenir à la manifestation de la vérité.
Par ailleurs, vous avez fait allusion, monsieur le sénateur, à l'entrave mise à l'exécution d'une décision de justice par une personne...
M. Christian Bonnet. ... et deux élus de premier rang.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... qui a bénéficié du soutien public de deux anciens ministres. Il me semble qu'il y avait effectivement, en l'occurrence, entrave à une décison de justice. Je ne sais pas si cela est punissable ; j'observe que la justice n'a pas cru devoir donner suite.
En outre, vous évoquez la reconstruction de la paillote concernée. Elle a été autorisée par le préfet Bonnet lui-même, en date du 3 mai dernier, me semble-t-il, à la veille de sa mise en garde à vue, et ce jusqu'au 30 octobre 1999, date à laquelle M. Féraud s'est engagé à détruire l'établissement.
La position du Gouvernement est donc tout à fait claire : M. Féraud devra exécuter l'engagement auquel il a souscrit. A défaut, les moyens de droit seront utilisés pour que la décision de justice datant de 1995 soit exécutée.
M. Christian Bonnet. Puisse-t-il en être ainsi !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il n'y a pas d'autres traductions qu'en arabe à votre interjection, monsieur le sénateur !
M. Hubert Haenel. In cha' Allah !
M. Christian Bonnet. Mektoub !
M. le président. Choukran, monsieur le ministre !
L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)