Séance du 29 avril 1999
QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT
SUR LA SITUATION AU KOSOVO
M. le président.
L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
La conférence des présidents a décidé, sur mon initiative, de consacrer cette
partie de la séance aux événements graves qui se déroulent dans les Balkans.
Monsieur le Premier ministre, lors de notre séance exceptionnelle du jeudi 15
avril, vous nous avez fourni des informations sur les efforts militaires,
humanitaires et diplomatiques de la France au Kosovo.
Une nouvelle fois, vous avez bien voulu venir devant le Sénat pour faire le
point sur les plus récents développements de cette crise. Ainsi, vous répondez
au voeu exprimé à l'unanimité par le Sénat, qui souhaite être informé sur
l'évolution des événements dans cette région.
Au nom de tous nos collègues, je tiens à vous en remercier.
Je rappelle que les modalités de cette séance exceptionnelle de questions sont
celles que nous avions appliquées lors de la séance du 15 avril dernier :
chaque auteur de questions dispose d'un temps de parole de cinq minutes au
maximum ; M. le Premier ministre répondra ensuite à l'ensemble des orateurs.
La parole est à M. Weber, pour le groupe socialiste.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Henri Weber.
Monsieur le Premier ministre, je voudrais tout d'abord vous dire, moi aussi,
notre satisfaction de vous retrouver au Sénat pour faire le point, une nouvelle
fois, sur l'évolution de la situation en Yougoslavie et sur les réponses que
notre pays doit y apporter. Le débat est légitime et nécessaire. Il est aussi
utile à la compréhension, et donc à l'efficacité de l'action engagée.
Nous approuvons la ligne de conduite que votre gouvernement et le Président de
la République ont définie face à la crise du Kosovo.
Votre gouvernement a eu raison de s'opposer à la politique d'épuration
ethnique de Slobodan Milosevic, d'abord par l'action diplomatique, puis par la
force armée, lorsqu'il est apparu que toutes les ressources de la négociation
étaient épuisées.
Il fallait donc un coup d'arrêt à l'ultranationalisme xénophobe, raciste,
belliciste qui ensanglante la Yougoslavie depuis dix ans, et cela, il fallait
le faire pour des raisons non seulement morales, mais aussi politiques. Il y a
d'autres Milosevic qui sommeillent et qui attendent leur heure, à qui il faut
montrer que l'exploitation des passions nationalistes pour conquérir et
conserver le pouvoir ne paie plus.
Votre gouvernement a eu raison de n'épargner aucun effort pour réintroduire la
Russie dans le jeu diplomatique et l'encourager à tenir le rôle très actif qui
est aujourd'hui le sien. Il n'y aura pas de retour à une paix juste et durable
dans la région sans le concours de la Russie. Les partisans d'une intervention
terrestre en Yougoslavie devraient davantage tenir compte de cette réalité.
Votre gouvernement a eu raison, conjointement avec le Président de la
République, de faire reconnaître la primauté de l'ONU dans le règlement de la
crise. C'est l'ONU, et non l'OTAN, qui représente la communauté des nations.
C'est en elle que réside la seule source de légitimité.
Votre gouvernement a eu raison d'expliquer aux Français qu'il n'y a pas de
guerre éclair possible quand on se soucie d'épargner au maximum la population
civile. Même si, par l'obstination de Milosevic, la guerre est plus longue que
beaucoup ne l'avaient prévu, il faudra persévérer, avec ténacité et
détermination, jusqu'à ce que le gouvernement serbe accepte les cinq conditions
formulées par M. Kofi Annan.
Slobodan Milosevic espérait diviser les pays de l'Union européenne, dresser
leur opinion publique contre l'intervention militaire, entraîner la Russie à
ses côtés. Sur ces trois points, il a échoué. La Serbie de Milosevic est
isolée. Elle est privée de toute perspective, hormis celle de devoir tenir
envers et contre tout ; mais pendant combien de temps ?
Le temps, précisément, travaille désormais contre le dictateur de Belgrade.
Plus nombreux qu'on ne le croit sont les dirigeants serbes qui se rendent
compte aujourd'hui que leur pays est engagé dans un bras de fer sans espoir et
qu'il n'y a d'autre issue que de revenir à la table de négociation.
Monsieur le Premier ministre, vous vous rendez samedi prochain en Albanie et
en Macédoine. Quelle aide pouvons-nous apporter à ces pays, ainsi qu'au
Monténégro, qui ploient aujourd'hui sous un flux incessant de déportés ?
La déstabilisation de ces pays est sans doute, désormais, le dernier atout de
Milosevic. Que pouvons-nous faire pour les conforter ?
Qu'entendez-vous proposer, plus largement, puisque le conflit est appelé à
durer, pour assurer aux 800 000 Kosovars qui souhaitent rester sur place des
conditions d'hébergement et d'existence décentes ?
Que comptez-vous faire, enfin, pour venir en aide aux déportés de l'intérieur,
ces populations errantes, soumises aux exactions des milices serbes et menacées
par la famine ?
Ce conflit a montré à tous combien il est nécessaire de doter enfin l'Europe
d'une défense et d'une diplomatie communes. Selon quelles modalités ? Un débat
approfondi, au Parlement, sur ces questions serait, me semble-t-il, le
bienvenu.
Monsieur le Premier ministre, nous savons qu'il n'y a pas de guerre propre
mais nous croyons qu'il y a des guerres justes et que celle que nous menons
aujourd'hui avec nos alliés, en Yougoslavie est clairement de celles-là.
C'est une guerre des démocraties contre le nationalisme ethnique,...
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Henri Weber.
... ce nationalisme d'exclusion, fondé sur la haine des autres plutôt que sur
l'amour des siens, et qui s'annonce comme l'un des grands fléaux du siècle
prochain.
Dans ce combat, monsieur le Premier ministre, soyez assuré de notre soutien
total.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hamel et Machet
applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon, pour le groupe du RPR.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.).
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, vous me permettrez de renouveler solennellement notre
soutien à tous nos soldats, nos marins et nos aviateurs engagés au Kosovo.
Nous savons combien leur mission, qu'elle soit militaire ou humanitaire, est
difficile, pénible, éprouvante, d'une durée incertaine, mais nous savons aussi
qu'ils s'en acquittent tous avec beaucoup de courage et de dignité.
Parce que notre engagement est celui de la défense et de la protection des
droits de l'homme et de notre conception de la démocratie, c'est l'honneur de
la France que d'être présente au Kosovo.
L'élan de générosité que l'on a vu se développer en France montre bien que les
Français ont compris à quel point il y avait là un cause juste, qui devait être
défendue.
Aussi, nous devons poursuivre notre stratégie militaire et diplomatique à
l'encontre du gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie, afin que
notre détermination aboutisse à l'acceptation totale et sans condition par le
président Milosevic des cinq points de l'accord de paix proposés par l'OTAN. En
effet, nul ne peut accepter les exactions perpétrées à l'instigation d'un chef
d'Etat survivant d'une époque révolue ni la tragédie humaine qui en résulte.
De cette crise au Kosovo, nous devons tirer des enseignements.
Nous pouvons nous féliciter de la solidarité des quinze pays de l'Union, qui
laisse augurer leur volonté de mettre en oeuvre, de fait, une véritable
politique de défense, laquelle impliquerait un renseignement, une
communication, une chaîne de commandement, une force d'action ainsi que la
constitution d'une entité autonome, fût-elle membre à part entière de
l'OTAN.
Le Président de la République l'a bien précisé : « Il est indispensable que
l'Union européenne joue tout son rôle dans le règlement politique d'une crise
qui se déroule à nos portes. Pour la première fois, l'Union européenne est
prête à assumer ses responsabilités dans le règlement d'une crise majeure. On a
trop reproché à l'Europe sa faiblesse dans ce domaine pour ne pas saluer cette
détermination nouvelle. »
D'autre part, la France ne peut que se féliciter des résultats du sommet de
l'OTAN, qui déclinent la définition d'un nouveau concept stratégique, faisant
référence, comme le souhaitait notre pays, au respect des prérogatives de l'ONU
et, plus précisément, du Conseil de sécurité.
Cette évolution positive, nous la devons au Président de la République et à la
diplomatie française.
Alors que beaucoup se posaient la question du rôle et de la pérennité de
l'OTAN, celle-ci a su, au sommet de Washington, se donner un « cadre de
fonctionnement » qui l'aidera à affronter les défis du nouveau siècle.
Nos préoccupations, monsieur le Premier ministre, s'articulent en trois
volets.
Sur le plan diplomatique, selon les renseignements dont vous disposez, quelles
sont les chances de réussite des missions de M. Tchernomyrdine, au nom de
l'indispensable Russie, pour tenter une conciliation entre l'OTAN et Milosevic
et arriver à un accord de paix ?
Par ailleurs, quel est le degré d'avancement des propositions françaises quant
à un règlement du conflit sous l'égide de l'Union européenne avec le
déploiement sur place d'une force de l'ONU ?
Sur le plan politique, que devons-nous penser du limogeage de M. Draskivic ?
Quelle crédibilité peut-on lui accorder et dans quelle mesure celui-ci peut-il
encore influer sur l'opinion du peuple serbe ?
Les observateurs commentent l'embargo pétrolier qui a été décidé. Comment
pensez-vous que l'on puisse l'appliquer de la façon la plus efficace sans
mettre en difficulté les gouvernements voisins ?
A ce sujet, n'est-il pas urgent de mettre en oeuvre un plan de construction et
de soutien à l'Albanie et à la Macédoine, ce dernier pays étant
particulièrement éprouvé par l'arrivée massive des réfugiés ? Un tel plan est
indispensable pour éviter l'implosion de la Macédoine.
Sur le plan militaire, enfin, nous savons que les Etats-Unis viennent de
rappeler 33 000 réservistes. Cette décision américaine pourrait-elle influencer
ou inspirer les autres pays engagés dans le conflit du Kosovo et est-elle le
signe d'une évolution du type de notre intervention ?
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Collin.
(Applaudissements sur les travées du
RDSE.)
M. Yvon Collin.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, après plus d'un mois de frappes aériennes, l'issue du
conflit au Kosovo apparaît, hélas ! toujours incertaine. Milosevic démontre à
l'évidence une capacité de résistance que les forces de l'OTAN ont peut-être
sous-estimée.
La stratégie du « tout aérien » ne constitue pas pour autant un échec même si
elle inscrit la crise dans la durée. Un grand nombre de points stratégiques ont
été détruits avec des dégâts collatéraux, certes regrettables, mais finalement
inévitables par rapport aux 5 000 frappes effectuées dans le cadre des 11 000
sorties d'avions.
Par ailleurs, sur le plan de la politique interne à la Serbie, le limogeage du
vice-premier ministre, Vuk Draskovic, apporte peut-être les premiers signes de
fracture du régime de Milosevic. Certes, si la prudence s'impose - tant la
manipulation est une arme souvent utilisée par les idéologies extrémistes -
cette nouvelle porte néanmoins un coup à la cohésion du nationalisme serbe.
Elle laisse même entrevoir une possibilité d'opposition interne face à
l'entêtement de Milosevic.
En manipulant l'information, ce dernier avait réussi à l'évidence à faire
taire les divergences. Or, il serait erroné de croire que l'opposition n'existe
plus. Ces deux dernières années, elle avait été d'ailleurs particulièrement
active, jusqu'à pouvoir mettre Milosevic en difficulté, à tel point qu'on peut
d'ailleurs se demander si celui-ci n'a pas justement saisi la cause nationale
du Kosovo pour fédérer les Serbes. Entraînée malgré elle dans l'aventure
nationale-ethnique, l'opposition est peut-être aujourd'hui - on peut le
souhaiter - en phase de réveil.
En attendant, l'incertitude qui entoure cette information nous interdit de
compter sur l'éclatement du régime.
La stratégie à poursuivre demeure donc la même. Après la réunion de
Washington, l'Alliance a décidé de continuer et même d'intensifier la campagne
de bombardements aériens sur la Yougoslavie. L'éventualité d'une action au sol
qui suscite, à juste titre sans doute, beaucoup de commentaires semble être
actuellement écartée. Bill Clinton l'a répété. Vous-même, monsieur le Premier
ministre, l'avez rappelé ici même voilà quinze jours et plus récemment de
concert avec le Président de la République.
Je voudrais d'ailleurs souligner combien le consensus qui règne sur ce sujet
dans notre pays nous apporte un immense crédit sur le plan international. Comme
vous le savez, monsieur le Premier ministre, la cohabitation connaît, par
définition, des moments difficiles, mais il est rassurant de constater que,
lorsqu'il s'agit des intérêts supérieurs de la France, le Premier ministre et
le Président de la République savent parler d'une même voix. Ce fait mérite
d'autant plus d'être souligné que ce n'est pas toujours le cas dans les autres
pays de l'Alliance.
Je voudrais maintenant préciser ma question. Depuis quelques jours, la Russie
est davantage entrée dans le jeu diplomatique. Je m'en réjouis pour ma part et
je crois, mes chers collègues, que cette orientation doit à l'évidence être
approfondie. Il faut le dire, le choix d'écarter pour le moment l'hypothèse
d'une intervention au sol est motivé non seulement par la peur d'un risque
d'enlisement sur le terrain, mais aussi par le fait que l'Alliance peut
difficilement prévoir la réaction de la Russie en cas d'engagement
terrestre.
Qu'on le veuille ou non, la Russie est donc un partenaire incontournable. Elle
exerce une influence particulière dans la région et auprès de Belgrade, même si
les premières démarches effectuées par M. Primakov, et plus récemment encore
par M. Tchernomyrdine, ont donné peu de résultats.
Par ailleurs, négliger la Russie pourrait raviver la solidarité slave et
orthodoxe et alimenter un panslavisme propice à l'exacerbation des forces
nationalistes et populistes à Moscou. Les élections de 1995 à la Douma et le
premier tour de l'élection présidentielle de 1996 avaient déjà mis en évidence
le retour en force des nationalistes.
La Russie connaîtra dans les prochains mois deux scrutins essentiels. La
gestion de la crise du Kosovo pourrait donner matière aux campagnes
législatives et présidentielles russes.
Nous nous battons actuellement, monsieur le Premier ministre, pour la
stabilité des Balkans. Dans une perspective plus large et plus lointaine, nous
devons également oeuvrer dans la mesure du possible pour que soient favorisés
les tenants des valeurs démocratiques en Russie. Cette fois-ci, c'est une
question de stabilité mondiale.
Monsieur le Premier ministre, je souhaiterais avoir votre avis sur la
signification que vous donnez au limogeage de Vuk Draskovic et connaître les
premiers résultats des initiatives engagées avec la diplomatie russe ces
derniers jours.
Je souhaite également exprimer, à mon tour, ma solidarité et mon soutien au
Gouvernement et avoir une pensée affectueuse pour tous nos compatriotes engagés
dans ce conflit.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les
travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Renar, au nom du groupe communiste républicain et
citoyen.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, la guerre s'est installée en Europe. Nous voici entrés
dans la sixième semaine du conflit qui oppose l'Alliance atlantique et la
République fédérale de Yougoslavie.
Je tiens d'entrée à souligner que j'ai lu avec le plus vif intérêt les propos
que vous avez tenus l'autre jour à l'Assemblée nationale, monsieur le Premier
ministre, et que j'ai noté un encouragement, des points d'appui forts pour tous
ceux, dont vous êtes, qui recherchent un retour à la paix, à une paix durable
dans cette région des Balkans ravagée par l'histoire, par les guerres.
Le martyre du Kosovo est insupportable. La violence et la terreur subies par
les Kosovars ne semblent plus avoir de limite. Je le dis et je le répète pour
que les choses soient claires : Milosevic et les ultranationalistes qui
l'entourent portent la responsabilité de cette tragédie et de cette
barbarie.
M. Emmanuel Hamel.
C'est bien de le dire !
M. Ivan Renar.
Dès les premières heures des bombardements, nous avons posé la question : « Et
maintenant, après ces premiers bombardements, comment retrouver le chemin qui
mène à la paix ? » Nous ajoutions : « Loin de soulager les souffrances de la
population, loin d'empêcher l'armée yougoslave de pousser la répression au
Kosovo, les bombardements de l'OTAN vont aggraver la situation. »
Un mois plus tard, les événements apportent une dramatique justification à
cette analyse.
Notre solidarité va à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants, victimes des
exactions abominables de l'épuration ethnique ; elle va à tous les peuples de
la région, aux victimes des bombardements ; elle va à ces démocrates qui
résistent à Milosevic et s'opposent à la barbarie nationaliste.
Dans le même temps, il nous faut créer les conditions du retour chez elles de
ces centaines de milliers de familles aujourd'hui poussées à l'exode.
Il nous faut également empêcher l'embrasement de la région et tout faire pour
enrayer l'engrenage de la guerre.
Ma première question, monsieur le Premier ministre, porte sur l'aide
humanitaire indispensable aux réfugiés comme aux populations des pays
limitrophes. Des millions de nos concitoyens se sont mobilisés. Quels moyens
supplémentaires l'Etat compte-t-il dégager pour renforcer les dispositifs mis
en place par les collectivités territoriales et les associations humanitaires
et pour faire face aux milliers de demandes d'accueil encore en attente ?
Ma deuxième question, monsieur le Premier ministre, porte sur l'essentiel.
La difficulté à apprécier l'efficacité ou l'inefficacité des frappes aériennes
a fait ressortir les plans d'interventions terrestres, les tentations du
va-tout de certains alliés, la fuite en avant devenant une réponse tragique au
sentiment d'impuissance et d'échec devant une opération si mal engagée et
mettant en cause le
leadership
américain.
(Murmures sur les travées
du RPR.)
C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, vous comprendrez que nous
apprécions positivement, comme la majorité de notre peuple, le refus de
l'exécutif de voir la France s'engager dans des opérations terrestres.
Il faut agir vite et fort pour avancer vers une solution politique.
Nous approuvons les propos de M. Kofi Annan, qui a souligné hier qu'« une
solution durable au Kosovo ne pourra être gagnée sur le champ de bataille ».
Chacun pressent que chaque jour d'enlisement nous entraîne au bord du
précipice, c'est-à-dire vers la tentation de l'offensive terrestre. Il faut
mettre en avant d'autres solutions que le sang et les larmes.
Comment la France entend-elle, dans les heures et les jours qui viennent,
faire avancer l'idée du vote d'un plan de paix par le Conseil de sécurité de
l'ONU ? Vous avez indiqué à l'Assemblée nationale votre souci d'amener la
Russie à cette démarche.
Où en sommes-nous des contacts, de la prise en compte des propositions de la
Russie qui a été mise sur la touche par la décision de l'OTAN de frapper en
dehors de tout cadre légal ?
Comment appréciez-vous, enfin, les premières fissures provenant de la Serbie ?
Serez-vous prêt à saisir la moindre chance qui puisse permettre à la paix de
triompher ?
La France et l'Europe ont un rôle décisif dans le devenir de cette crise.
Vous savez, monsieur le Premier ministre, et je tiens à vous le réaffirmer
aujourd'hui, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, que tout acte,
tout geste, tout effort aussi minime soit-il des autorités françaises,
susceptible d'avancer vers une solution politique, recueillera notre soutien
plein et entier.
Un sénateur de l'Union centriste.
On attend !
M. Ivan Renar.
Je me souviens d'une époque où je participais à des colloques sur le thème «
guerre juste-guerre injuste ». Je préfère désormais parler, comme notre ami
Walter Veltroni, de « paix juste ».
Quelles seraient, selon vous, monsieur le Premier ministre, les conditions
d'une paix juste ?
En ces temps de barbarie ordinaire, où l'on a parfois l'impression de tâter
l'avenir avec une canne blanche, les peuples attendent beaucoup de la France,
et, effectivement, beaucoup dépend de notre pays et des Français, pour redonner
une chance à la paix, une paix juste et durable.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines
travées socialistes et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Arthuis, au nom de l'Union centriste.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Arthuis.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, la participation des forces françaises aux opérations en
Yougoslavie se poursuit. Je tiens à saluer de nouveau la détermination et le
courage des militaires qui s'y trouvent engagés. Les missions de
ravitaillement, de reconnaissance et de frappe au sol que conduit l'armée de
l'air française depuis plus d'un mois témoignent de la volonté de notre pays de
participer à l'action de l'OTAN afin de contraindre le régime de Belgrade à
reprendre les négociations.
Parallèlement, environ deux cents rotations aériennes à vocation humanitaire
ont permis de soulager, en partie, par ce pont aérien incessant, la détresse
des populations réfugiées dans les pays voisins de la République fédérale de
Yougoslavie. Enfin, les premières troupes françaises de la force de sécurité
ont commencé à s'installer en Albanie.
A ces opérations menées sous l'autorité du Président de la République par
votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, le groupe de l'Union
centriste réitère son soutien sans réserve, tant il est vrai qu'il s'agit, au
plus vite, de donner une solution diplomatique et politique à cette crise
dramatique qui meurtrit le Kosovo.
C'est la solution que nous attendons, mais c'est également la solution qui,
au-delà des frappes aériennes, doit associer la Russie à travers un rôle de
médiation, de négociation et de recherche de mesures concrètes qui ramèneront
la paix dans cette région des Balkans.
La Russie, par l'autorité morale qu'elle exerce sur les opinions balkaniques,
est sans doute à même de débloquer bien des situations. A cet égard,
pouvez-vous nous éclairer, monsieur le Premier ministre, sur le contenu de la
mission du secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, qui est
aujourd'hui à Moscou ?
Mais il est une autre question : quelles sont les conséquences d'un éventuel
embargo pétrolier, et donc d'un bouclage de l'Adriatique, sur l'implication de
la Russie ? Nul n'ignore que Moscou a d'ores et déjà fait savoir qu'il ne
reconnaîtrait pas les contraintes liées à cet éventuel blocus. Par ailleurs, la
Grèce ne paraît pas non plus favorable à cet embargo.
Les pays membres de l'OTAN engagés dans ces opérations, et plus encore les
pays d'Europe, souhaitent parvenir à une paix durable, impliquant
l'indispensable rétablissement des Kosovars sur leur territoire et dans leurs
droits. C'est la condition du retour de la stabilité dans l'ensemble des
Balkans.
Au carrefour du Proche-Orient, de l'Europe centrale et de l'Europe
méditerranéenne, la péninsule balkanique n'a que trop souffert de crises
politiques et de véritables déchirements régionaux aux conséquences
funestes.
Après avoir souligné le rôle de la Russie dans la recherche de la voie
diplomatique et politique, j'aborderai la place que pourraient prendre dans ce
dispositif les pays voisins de la Serbie, en particulier la Bulgarie et la
Roumanie.
Monsieur le Premier ministre, estimez-vous - c'est ma troisième question - que
ces pays pourraient être impliqués dans ce processus de recherche de paix ?
La stabilisation politique doit s'accompagner d'une reconstruction des
économies et d'une redécouverte de la croissance dans les pays des Balkans
éprouvés par une véritable régression sociale et économique. Les témoignages
des réfugiés kosovars - ils sont désormais plus d'un million - qui nous
parviennent chaque jour soulignent avec violence la nécessité d'assurer une
assistance humanitaire efficace, complète et durable. Ils nous appellent aussi,
au-delà de la générosité des peuples d'Europe et de l'aide financière des pays
de l'Union européenne, à bâtir un soutien sans faille au développement des
Balkans.
Nous vous serions reconnaissants, monsieur le Premier ministre, de confirmer
au Sénat la cohérence et l'ampleur des moyens que vous entendez, avec nos
partenaires européens, consacrer à cette cause.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Pelchat, au nom du groupe des Républicains et
Indépendants.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, voilà quelques jours, à Washington, les dix-neuf membres
de l'OTAN ont à nouveau confirmé leur détermination.
Le groupe des Républicains et Indépendants soutient lui aussi avec
détermination cette intervention, qu'il juge toujours légitime, mais, je tiens
à le rappeler, il a également souligné dès le début les limites de ces frappes
aériennes.
Les événements lui donnent d'ailleurs raison et montrent que les avions, et
même demain les hélicoptères, ne peuvent, à eux seuls déloger l'armée et les
milices de Belgrade ni, hélas ! mettre fin à l'épuration ethnique.
Aujourd'hui, certains se raccrochent encore à l'espoir que Slobodan Milosevic
pourrait fléchir. Je souhaiterais d'ailleurs savoir comment le Gouvernement
interprète l'optimisme affiché par Moscou, ainsi que les récentes déclarations
des responsables yougoslaves. Et que devons-nous penser du limogeage du
vice-Premier ministre Draskovic ?
Si le régime de Belgrade ne cède pas, nous serons obligés de nous poser à
nouveau la question d'une intervention terrestre, malgré tous les risques que
celle-ci comporte.
Au-delà de ces risques, une telle intervention ne sera pas envisageable sans
l'accord du Parlement, contrairement à ce qui s'est fait lors du déclenchement
des frappes aériennes. Le groupe des Républicains et Indépendants a pris acte
de l'engagement pris sur ce point par M. le Premier ministre devant l'Assemblée
nationale.
La campagne aérienne, qui dure maintenant depuis un mois, qualifiée au départ
de simple « crise », est désormais reconnue pour ce qu'elle est : une vraie
guerre, même si elle n'est pas déclarée.
Sur le plan diplomatique, l'ONU et la Russie ont pu paraître un temps isolées.
La situation s'est depuis largement améliorée sous l'impulsion de l'Union
européenne et, surtout, de la France. Nous nous en félicitons.
Sur le plan humanitaire, les gouvernements ont semblé, au début, dépassés par
l'ampleur de l'exode des réfugiés du Kosovo.
Après quelques jours de confusion, des moyens considérables ont été engagés
pour faire face à l'arrivée de dizaines de milliers puis de centaines de
milliers de personnes.
A cet égard, le groupe des Républicains et Indépendants tient, une fois de
plus, à saluer la grande générosité de nos compatriotes.
Mais nous considérons également qu'il faut tirer les conséquences de la
décision de l'OTAN de ne continuer que les frappes aériennes sans intervention
terrestre. C'est une stratégie qui ne peut en effet réussir que sur la
durée.
Aussi, à moins d'un événement heureux, la guerre va durer encore des semaines,
voire des mois.
Or cela change profondément la nature de l'aide humanitaire qu'il faut
prévoir. Elle doit désormais s'inscrire dans la durée, et non plus seulement
dans l'urgence.
De nouveaux réfugiés arriveront en Albanie, en Macédoine et au Monténégro, par
milliers. Pas plus que ceux qui y sont déjà, ils ne rentreront chez eux avant
longtemps. Il faut donc prévoir des hébergements de longue durée pour remplacer
les camps provisoires improvisés dans l'urgence.
De nouveaux besoins vont également apparaître dans le domaine médical. Il faut
donc aussi prévoir des hôpitaux de campagne et des infrastructures
sanitaires.
Enfin, il faut prendre au sérieux les problèmes économiques posés aux pays
riverains par l'arrivée massive de ces réfugiés.
Ces pays sont déjà très fragiles et nous devons veiller à ce que M. Milosevic
n'entraîne pas toute cette région, sinon dans la guerre, du moins dans la
ruine.
Le Gouvernement peut-il nous préciser quelles sont les mesures prises pour
anticiper ces nouvelles dimensions humanitaire et économique ? Je pense en
particulier au rôle confié à l'Union européenne et à la Banque mondiale pour
coordonner l'aide aux pays voisins du Kosovo.
Au-delà de ces aspects économiques et financiers, je souhaite saluer l'action
admirable des organisations humanitaires et de nos militaires, qui viennent en
aide aux réfugiés et acheminent sur place du matériel, dans des conditions
souvent très difficiles.
Je veux aussi, avec vous tous, rendre hommage à ces héros anonymes du Kosovo,
civils innocents, exécutés ou assassinés par les milices de Belgrade,
simplement pour avoir voulu sauver leur maison, empêcher un viol ou protéger
leur famille.
C'est pour eux, et non seulement pour la liberté et les droits de l'homme, que
nous n'avons pas le droit d'abandonner, que nous n'avons pas le droit de perdre
cette guerre. C'est pour eux, surtout, que nous devons rester déterminés
jusqu'à ce que le Kosovo dispose d'un statut d'autonomie qui reconnaisse les
droits et garantisse la sécurité de tous ses habitants.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Adnot, au nom de la réunion administrative des sénateurs ne
figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
mes chers collègues, les Français, dans une très large majorité, soutiennent
l'action que le Gouvernement, sous l'autorité du Président de la République, a
engagée au Kosovo dans le cadre de l'OTAN.
Comment pourrait-il en être autrement, alors que des informations alarmantes
nous sont communiquées sur les exactions commises par les milices et que
déferlent sous nos yeux les images désolantes des réfugiés kosovars ?
La question qui se pose aujourd'hui est la manière dont nous allons terminer
ce conflit. On nous dit que celui-ci risque d'être long, qu'il n'est pas
question de toucher à l'intégrité du territoire serbe et l'on a un peu le
sentiment que l'objectif est de vouloir revenir, sous couvert international, au
statut antérieur.
Je ne crois pas qu'avant un certain temps il nous soit possible de faire
cohabiter sans risques des peuples qui se sont affrontés avec une telle
violence. L'expérience nous montre que les régimes qui succèdent à ceux qui
sont combattus ne sont pas toujours meilleurs ; l'exemple des Talibans est, à
cet égard, édifiant.
Ne pensez-vous pas qu'il soit nécessaire, afin de mettre rapidement un terme
au conflit qui pourrait devenir une véritable catastrophe pour les deux
peuples, d'envisager une partition du Kosovo, les Kosovars disposant ainsi
d'une vraie indépendance, les Serbes conservant, quant à eux, le berceau de
leur nation, mais acceptant de perdre une partie de leur territoire ?
Je sais que cette proposition n'est pas à l'ordre du jour, qu'elle est taboue
et que son application ne serait certainement pas facile à mettre en oeuvre.
Mais,
a contrario
, sauf à vouloir rayer de la carte la totalité de la
Serbie, je ne crois pas que le dispositif actuel soit en mesure de mettre un
terme à une guerre qui fait souffrir des centaines de milliers d'innocents.
Monsieur le Premier ministre, vous avez, ainsi que M. le Président de la
République, notre soutien, mais il me paraît urgent, si nous ne voulons pas que
l'irréparable continue de s'accomplir, que la France sache prendre des
initiatives, même dérangeantes, pour accélérer le processus de paix.
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le Président de la République, depuis le début de cette crise, a eu
l'occasion de s'adresser à plusieurs reprises au pays. Comme chef du
Gouvernement et dans la responsabilité qui est la mienne, j'ai eu davantage la
mission de m'exprimer devant la représentation nationale, devant le
Parlement.
Le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense ont été
assidus à vos commissions pour répondre à vos questions. Moi-même, à plusieurs
reprises, accompagné du chef d'état-major des armées, j'ai été amené à donner
aux présidents des groupes et aux présidents de la commission de la défense
nationale et de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale
et de votre commission commune au Sénat toutes indications qui étaient
demandées.
Depuis que je suis intervenu, le 15 avril dernier, devant votre assemblée, nos
buts dans ce conflit n'ont pas varié ; notre détermination dans la conduite des
frappes reste entière ; nous continuons naturellement à faire face aux
conséquences humanitaires de ce conflit dramatique ; mais nous préparons
l'issue diplomatique qui devra clore ce drame nouveau dans les Balkans, en même
temps que, nous projetant dans l'avenir, nous devons poursuivre notre réflexion
sur le rôle que l'Union européenne devra davantage jouer en matière de
politique extérieure et, sans doute aussi, de défense.
Oui, nos buts dans ce conflit n'ont pas varié.
Lors du sommet de Washington, les chefs d'Etat et de gouvernement ont adopté,
le 23 avril dernier, une déclaration sur le Kosovo qui réaffirme la
détermination de l'Alliance à l'emporter, face au défi lancé à nos valeurs
fondatrices que sont la démocratie, les droits de l'homme et la primauté du
droit.
Je vous l'avais indiqué le 15 avril - et c'est une opinion partagée par tous -
du fait de l'obstination de M. Milosevic à refuser un compromis qui paraissait
pourtant à portée de main, il est apparu, hélas ! clairement, après de long
mois d'efforts, à Rambouillet, puis à Paris, que le processus diplomatique
était dans l'impasse.
La volonté du gouvernement serbe de régler par la force le conflit au Kosovo,
le début des exactions dans cette région de la République fédérale de
Yougoslavie, les mouvements de population qui s'amorçaient, la détermination à
mettre en oeuvre en tout état de cause la politique d'épuration ethnique et de
déportation au travers de plans qui étaient programmés nous ont conduits à
penser que, si nous ne voulions pas être condamnés à l'impuissance, il nous
restait une seule voie : engager des opérations militaires avec nos alliés pour
changer le cours des choses.
Avons-nous provoqué des malheurs plus importants que ceux que nous voulions
éviter ? Sincèrement, je ne le crois pas, et soyez sûr que le responsable
politique et l'homme que je suis se pose cette question presque tous les
jours.
D'abord, quelles qu'aient été ces frappes, rien ne pouvait justifier le fait
que M. Milosevic déporte ses propres citoyens, puisque les Kosovars étaient des
citoyens de la République fédérale de Yougoslavie.
M. Michel Pelchat.
Eh oui !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
La responsabilité de ces déportations appartient
entièrement au régime serbe, notamment à M. Milosevic.
Comme je l'ai dit voilà un instant, tout montre que, si les démocraties
occidentales avaient indiqué clairement qu'elles prenaient leur part de l'échec
diplomatique et qu'elles n'envisageaient pas d'agir par la pression, puis par
la menace, enfin par l'engagement des frappes - frappes qui peuvent s'arrêter
aussitôt que M. Milosevic témoignera d'une volonté d'aller vers une solution
politique - ce mouvement de déportation - j'en suis convaincu parce que nous en
avons fait l'expérience historique auparavant, par exemple en Bosnie - se
serait produit, mais sans que le régime serbe ait au moins quelque part à en
payer le prix.
Aujourd'hui, nous agissons pour que cesse la campagne de répression et
d'épuration ethnique déclenchée par les autorités serbes au Kosovo, pour que
les forces militaires et paramilitaires, les milices, quittent la province où
elles commettent leurs exactions, pour que la population albanophone dispose
d'un statut d'autonomie reconnaissant la plénitude de ses droits et
garantissant la sécurité de tous les habitants. Nous nous battons pour le
retour des Kosovars au Kosovo, et il faudra pour cela un cadre politique dont
les accords de Rambouillet ont été la matrice ; et il faudra une force de
sécurité internationale déployée sous garantie militaire, dans les conditions
qui sont celles de cette région, pour permettre le retour des réfugiés.
Il s'agit là des cinq conditions posées par le groupe de contact, l'OTAN,
l'Union européenne, mais aussi le secrétaire général des Nations unies pour un
arrêt des frappes, qui peut se produire à tout moment si cette volonté est
exprimée par l'autre partie et si le processus est engagé.
C'est pourquoi, tant que ce mouvement ne s'opère pas, tant que cette
manifestation de la recherche d'une issue raisonnable et humaine à ce conflit
n'est pas concrétisée, notre détermination d'agir reste entière.
Appliquée avec ténacité, la stratégie des frappes aériennes produira, avec le
temps, ses effets.
On a évoqué, à cette occasion, les rapports entre la France et l'OTAN.
Dans le conflit du Kosovo, je le répète, la France occupe toute sa place :
celle d'un membre respecté de l'Alliance. Elle n'a pas été « entraînée » dans
les opérations militaires menées par l'OTAN ; elle en a partagé la décision
avec ses alliés, après en avoir évalué les risques et considéré qu'il n'y avait
plus d'alternative possible. Elle est associée à la conduite des frappes
aériennes et son avis est suivi lorsqu'elle s'oppose à une opération, comme
c'est le cas, j'imagine, pour les autres partenaires de l'Alliance. Par
exemple, tout récemment, c'est en toute connaissance de cause qu'il a été
décidé que les forces alliées mènent des attaques contre les forces militaires
au Monténégro, et notamment sur l'aérodrome militaire de Podgorica.
En effet, vous le savez, nous avons le souci de veiller à l'équilibre au
Monténégro ; nous voulons préserver cette province. Nous suggérons donc - et
nous avons en conséquence marqué des oppositions à des frappes - une stratégie
d'« encagement » du Monténégro, - c'est le terme employé par les militaires -
de façon que, pour éviter, par exemple, le transport de produits pétroliers, on
frappe en Serbie plutôt qu'au Monténégro même, parce qu'il y a là une situation
d'instabilité possible à laquelle nous devons veiller.
Mais lorsque, sur un aérodrome militaire, est concentrée une partie de ce qui
reste de la force aérienne du régime serbe et que ce dernier veut s'en servir,
nous sommes obligés d'intervenir. Voilà comment sont pesées presque chaque jour
les décisions qui doivent être prises par le chef d'état-major des armées dans
son contact avec les autorités de l'OTAN, mais tout cela, sous le contrôle
politique direct du Président de la République et du Premier ministre que je
suis avec, naturellement, les avis du ministre de la défense et du ministre des
affaires étrangères.
En ce qui concerne le cadre institutionnel de l'engagement français, sur
lequel M. Pelchat m'a interrogé, j'ai déjà indiqué devant l'Assemblée
nationale, avant-hier, que l'article 35 de la Constitution visant la
déclaration de guerre autorisée par le Parlement, c'est-à-dire par l'Assemblée
nationale et le Sénat, n'était pas applicable. C'est donc dans un autre cadre
institutionnel - mais d'autres articles le permettent - que nous devrions vous
consulter. Je veux le redire ici : aucun changement majeur dans la stratégie
suivie jusqu'à présent - et ce changement, je ne le veux pas, je ne le crois ni
nécessaire ni vraisemblable - aucun changement majeur, disais-je, ne pourrait
se concevoir sans que vous soyez amenés à vous exprimer par un vote formel.
C'est là - je le rappelle, car cette question a été évoquée tant à l'Assemblée
nationale qu'au Sénat - une question de principe, une question régissant les
rapports entre le pouvoir exécutif - le Gouvernement en tout cas - et le
Parlement.
Cela ne veut naturellement pas dire que, sur le fond, ma position soit
différente de celle que j'ai exprimée clairement à l'Assemblée nationale.
Les frappes, à mon sens, produiront dans la durée tous leurs effets. Certes,
les frappes n'ont pas empêché que se poursuive une épuration ethnique
programmée de longue date et engagée au lendemain de Rambouillet avec la
militarisation du Kosovo. Mais ni une intervention terrestre à haut risque ni
le renoncement à toute action laissant libre cours aux activités criminelles du
régime serbe et de ses milices n'auraient été en tout état de cause en mesure
de l'interdire.
Au moins l'intervention de l'Alliance a-t-elle bouleversé l'inégal rapport de
forces entre Serbes et Kosovars, entre troupes militaires et paramilitaires
surarmées d'un côté, populations civiles sans défense ou groupements faiblement
armés de l'autre côté, non pas aujourd'hui, pour le moment, au Kosovo même - et
les populations, nous le savons, en paient le prix - mais pour déterminer
l'issue du conflit qui a été engagé.
L'Alliance atteint progressivement ses objectifs militaires : désormais, les
avions alliés dominent le ciel yougoslave. Les forces serbes au Kosovo ont
perdu leur mobilité. Leur logistique est largement affaiblie. Les instruments
de la propagande serbe sont défaillants et seront frappés à nouveau. La
cohésion de l'outil de guerre serbe décline jour après jour. Les renforts
aériens que les alliés vont déployer dans les tout prochains jours
contribueront à accélérer le déclin de la force serbe. Il y aura bientôt plus
de 1 000 avions alliés sur le théâtre des opérations offrant vingt-quatre
heures sur vingt-quatre la capacité de conduire aussi bien des attaques
d'objectifs stratégiques que d'objectifs militaires ponctuels et policiers au
Kosovo.
Enfin, les premières lézardes apparaissent sur la façade d'un régime serbe qui
jusqu'ici faisait bloc. M. Collin, avec d'autres, m'a interrogé à cet égard.
Que puis-je dire ? Quand le vice-Premier ministre d'un régime présenté comme
un bloc, un opposant certes au parcours diversifié mais qui s'était rallié au
pouvoir de M. Milosevic, doit être limogé après des déclarations aussi sévères
que celles qu'il a prononcées, et quoi qu'on pense de sa personnalité, c'est
indiscutablement un signe.
Mais il nous faut, pour interpréter ce signe, être prudents et attentifs.
Prudents, parce que nous connaissons la nature autoritaire de ce régime, la
complexité de ses structures de pouvoir, l'idéologie d'une partie de l'élite du
pays. Les événements de ces derniers jours le démontrent, où il faut déchiffrer
ce qui reste opaque. Il faut donc, surtout, que les actes viennent au secours
des paroles, d'où qu'elles viennent, c'est-à-dire que les autorités serbes
s'engagent à respecter les cinq conditions fixées par la Communauté
internationale.
Nous restons en même temps attentifs, parce que nous espérons que, malgré la
propagande, des Serbes restent lucides, parce que nous n'avons pas oublié ces
importantes manifestations organisées par le peuple de Belgrade. Certes, ces
dernières portaient sur d'autres objets, à savoir les rapports de pouvoir, les
élections truquées, la question de la démocratie, et, à la limite, les mêmes
hommes ou femmes qui s'étaient engagés dans ces combats peuvent, surtout quand
leurs leaders changent de camp, être enfiévrés par les idées du nationalisme ;
ces deux mouvements ne peuvent donc pas s'identifier absolument dans le temps.
Mais nous espérons que les Serbes pourront se convaincre, par tous les moyens
malaisés de pression sur leurs autorités qui sont les leurs, que le respect des
conditions posées par l'Alliance atlantique donnerait le signal de la fin des
frappes.
Il est donc très important de continuer à parler au peuple serbe ; nous savons
qu'il nous entend par différentes voies, et c'est pourquoi aussi il était
important de limiter la puissance d'une propagande scandaleuse. Nous savons
bien que, par de multiples canaux, les Serbes entendent aussi et voient
peut-être un peu ce qui se passe au Kosovo, qu'ils entendent ce que nous avons
à leur dire. Oui, il faut leur redire que nous ne nous battons pas contre le
peuple serbe et que nous sommes prêts à bâtir avec lui, s'il en fait ce choix
clairement, dans une Europe démocratique et aussi dans les Balkans avec les
autres peuples, un nouvel avenir, un avenir différent de l'impasse tragique,
humiliante, déshonorante aussi dans laquelle l'enferme son dictateur.
MM. Emmanuel Hamel et Michel Pelchat.
Très bien !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Oui, l'efficacité de la stratégie arrêtée ne pourra
s'apprécier qu'avec le temps. Il faut donc faire preuve de ténacité, de nerf,
de courage aussi, parce que tant de choses provoquent en même temps chez nous
l'émotion, la peine et le désarroi que nous pourrions parfois être tentés
d'arrêter pour que tout cela cesse. Or nous savons très bien, étant donné notre
adversaire, que nous, nous nous arrêterions, que nous, nous subirions une
défaite, mais que lui ne s'arrêterait pas. Nous n'avons jamais jusqu'ici reçu
de sa part le signe, qui viendra peut-être, forcé par les circonstances, qu'il
pourrait raisonner autrement.
Une intervention terrestre n'est donc pas à l'ordre du jour. Cette position,
l'ensemble des membres de l'Alliance atlantique l'ont exprimée au sommet qui
vient de se tenir à Washington. Les scénarios qui postulent l'échec des frappes
aériennes et envisagent une offensive terrestre au Kosovo sont lourds, selon
moi, de trop de risques. Passer d'une logique de coercition, presque de
sanction, si l'on peut dire, d'une campagne aérienne à un engagement militaire
au sol, c'est accepter le principe d'affrontements meurtriers pour les
populations et pour nos soldats. C'est entrer dans la logique d'une guerre
totale.
En tout état de cause - je vous l'ai dit et je le confirme - aucune décision
ne pourrait être prise sans que vous soyez formellement consultés.
En revanche, il a été décidé, au sommet de Washington, d'étudier un embargo
pétrolier. M. Vinçon, notamment, m'a interrogé à ce propos.
L'OTAN, c'est vrai, en étudie les modalités juridiques et pratiques. Le
Gouvernement français déterminera quant à lui sa position sur ce point en
fonction de la teneur des propositions alliées. Nos experts en sont aujourd'hui
saisis. Nous garderons à l'esprit le souci de préserver les intérêts, en
particulier économiques, du Monténégro.
La France reste attentive, y compris dans ces circonstances exceptionnelles,
au respect du droit maritime international et maintient sa préférence pour des
solutions fondées sur le volontariat, ce qui correspond d'ailleurs à la
démarche des quinze pays de l'Union.
A cet égard, je crois utile de rappeler que le droit international n'autorise
en haute mer les navires de guerre qu'à pratiquer la reconnaissance, opération
qui consiste à s'assurer à distance de l'identité et de la nationalité d'un
navire marchand.
Il existe en outre un « droit de visite », qui consiste à vérifier cette
nationalité, la nature de la cargaison et sa destination, par l'examen soit des
documents - c'est « l'enquête de pavillon » - soit de la cargaison - cela peut
être une perquisition. Mais ce droit ne peut être exercé que dans un nombre
restreint de cas : dissimulations de nationalités, pirateries, actes
illégitimes de violence ou émissions de radio non autorisées. Nous ne nous
trouvons, semble-t-il, dans aucun de ces cas précisément énumérés par le droit
de la mer.
Une question qui vous a naturellement tous préoccupés et qui est au premier
rang des priorités de la France est la façon dont nous faisons face aux
problèmes humanitaires. MM. Weber et Pelchat nous ont interrogés à cet
égard.
Plus de 700 000 personnes ont fui le Kosovo depuis un an, et l'on compte
aujourd'hui environ 367 000 réfugiés en Albanie, 142 000 en Macédoine et 63 000
au Monténégro. Au Kosovo même, plusieurs centaines de milliers de personnes
déplacées survivent dans des conditions extrêmement précaires.
Dès le début de l'exode, la France a mis en place un dispositif d'aide
humanitaire qui la met au premier rang. Outre notre contribution à l'effort de
l'Union européenne, soit 265 millions de francs, l'Etat a débloqué 300 millions
de francs pour porter secours aux réfugiés. Ce sont largement plus de 500
millions de francs que la France consacre à cet effort.
En Macédoine et en Albanie, la France met à disposition des personnels
militaires, déploie les centaines de spécialistes de la cellule d'urgence, de
la sécurité civile et du SAMU. Elle assure la gestion de plusieurs camps de
réfugiés. Elle achemine sur place, depuis son territoire, des milliers de
tonnes de fret humanitaire, nourriture, médicaments, tentes, produits de
première nécessité.
En Macédoine, prenant le relais de nos soldats, l'action humanitaire française
gère maintenant, avec des organisations non gouvernementales, le camp de
Stenkovec, où séjournent plus de 11 000 personnes.
En Albanie, la France assure, au sein de l'opération « Abri allié », la
protection de la zone sud du pays. Des unités d'intervention de la sécurité
civile, des élements de notre corps du génie travaillent sur place. Notre pays
administre là aussi plusieurs camps. Des médecins français assurent la
couverture épidémiologique du pays et s'apprêtent à réhabiliter un hôpital à
Tirana.
Nous apporterons une aide directe au familles albanaises ou macédoniennes qui
accueillent des réfugiés, selon des modalités actuellement à l'étude. Dans le
même esprit, nous accorderons une aide économique et financière aux pays les
plus touchés. La France a déjà obtenu du Fonds monétaire international un
moratoire sur les dettes de la Macédoine et de l'Albanie. La Banque mondiale
prépare, avec l'Union européenne, un programme pour la reconstruction de ces
deux pays. Avec ses partenaires de l'Union, la France prendra ses
responsabilités pour apporter aux voisins du Kosovo l'aide que réclament leurs
économies, durement touchées par le conflit.
En réponse aux questions qui ont été posées à cet égard, j'indique qu'avec nos
partenaires nous sommes prêts à aller beaucoup plus loin pour aider
économiquement cette région des Balkans à l'issue du conflit.
Nous le savons tous, la population française s'est mobilisée elle-même dans un
élan exceptionnel. Nous tenons le compte de l'aide qui est offerte, rassemblée
et triée, souvent par des bénévoles : plus de 20 000 tonnes d'aide seront
acheminées sur place par les moyens de l'Etat, avec l'aide de plus en plus
manifeste des collectivités locales ; plus de 10 000 familles se sont portées
volontaires pour accueillir des réfugiés. A ce jour, nous avons organisé, dans
le respect du droit international et des compétences du HCR, l'accueil
d'environ 1 800 personnes dans des centres d'hébergement collectif. Nous
poursuivrons cet effort de solidarité. Une partie de ces réfugiés rejoindront
des familles françaises, et ce librement. Le jour venu, nous les aiderons à
retrouver leurs foyers au Kosovo.
Demain, vous le savez peut-être, je me rendrai en Albanie, puis en Macédoine.
Ce sera l'occasion pour moi de prendre la mesure de la situation très difficile
à laquelle ces deux pays sont confrontés et d'exprimer aux réfugiés comme aux
autorités politiques la solidarité de la France. Je mettrai ce déplacement à
profit pour évoquer avec les autorités macédoniennes et albanaises nos vues sur
l'évolution du conflit au Kosovo. Je recueillerai leur appréciation sur les
perspectives de l'issue politique que nous devons rechercher ensemble. Je veux
surtout témoigner de la solidité et du caractère durable de notre engagement au
côté des pays voisins du Kosovo, que le gouvernement de M. Milosevic espère
sans doute déstabiliser. Plus précisément, nous approfondirons, avec nos
interlocuteurs, les discussions engagées sur la meilleure façon de venir en
aide, sur les plans économique et financier, à ces pays.
Dès maintenant, et cependant que se poursuit le processus des frappes, nous
préparons l'issue diplomatique de ce conflit. Cela a d'ailleurs constitué la
démarche constante de la France et de sa diplomatie, mise en oeuvre par M.
Hubert Védrine.
Les frappes ne sont pas pour moi, je l'ai dit, une impasse militaire. Les
frappes ne sont pas non plus la première étape d'un engrenage ou d'une fuite en
avant, elles ne sont qu'un moyen auquel il nous a fallu nous résoudre pour nous
frayer un chemin vers la paix. Ce chemin passe nécessairement par
l'Organisation des Nations unies. M. Collin, en particulier, a insisté sur ce
point.
De même que M. Kofi Annan recherche, avec nos alliés occidentaux et par des
contacts avec les Russes, dans le même esprit que nous, à dégager les voies
d'une issue politique, de même nous pensons que nous devons, pour réussir dans
cette voie, avoir la Russie à nos côtés. Notre démarche doit donc être
progressive et prendre en compte le point de vue de ce pays indispensable au
règlement politique de la crise, de ce partenaire majeur d'un avenir de paix et
de stabilité sur notre continent.
Nous espérons que M. Tchernomyrdine - M. Vinçon s'est interrogé à cet égard -
pourra jouer un rôle utile dans les négociations. Dans les discussions que nous
aurons avec lui, nous n'accepterons de transiger ni sur les principes qui sont
les nôtres ni sur les fins que nous poursuivons - le retour des réfugiés,
l'autonomie du Kosovo, le caractère pluriel, pluraliste et démocratique de la
vie sociale et politique dans ce pays, le retrait des forces armées et des
forces de répression serbes - mais nous devrons à chaque instant être ouverts
aux modalités qui permettent de poursuivre ces fins et de les atteindre.
De ce point de vue, nous devrons, notamment sur la composition de la force,
être extrêmement attentifs au point de vue des Russes, ainsi qu'à ce que les
autorités et le peuple serbes peuvent accepter dans cette affaire.
Lorsque sera venu le temps, pour le Conseil de sécurité, d'adopter, sous
chapitre VII, une résolution, celle-ci devra, de l'avis de la France, prévoir
les conditions du déploiement au sol d'une force de sécurisation
internationale. Sa composition et son mandat retiendront particulièrement notre
attention. Quant à la puissance déployée, quant à l'unicité nécessaire de sa
chaîne de commandement, quant à l'efficacité des règles d'engagement qui
doivent être les siennes, la configuration de cette force doit être définie
avec précision. Elle ne peut pas, à l'évidence, être une simple force civile,
sur le modèle de l'ancienne « Mission des vérificateurs au Kosovo ».
M. Philippe François.
Très bien !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Ce ne peut pas être non plus une force de l'OTAN
stricto sensu,
cela ne permettrait pas de déboucher sur un accord
politique. C'est pourquoi il est important que la Russie soit associée à la
préparation, à la mise en oeuvre et à la garantie de l'accord politique à
venir.
M. Philippe François.
Tout à fait !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Quant au futur statut du Kosovo, sur lequel s'est
interrogé, par exemple, M. Adnot, nous restons, à ce stade, sur l'orientation
adoptée à Rambouillet : un Kosovo autonome, dont j'ai indiqué les
caractéristiques pluralistes et démocratiques, peut-être sous administration
provisoire au nom des Nations unies ; à cet égard, l'Union européenne a fait
état de sa disponibilité. Nous n'envisageons pas, pour l'instant, une
partition, mais nous verrons où nous conduira ce conflit...
Le dernier point que je voudrais aborder, mesdames, messieurs les sénateurs,
concerne le rôle que doit jouer, à court comme à long terme, l'Union
européenne.
Le conflit du Kosovo met en lumière le besoin que nous avons d'une défense
européenne. Il renforce la conviction chez nos partenaires que nous devons nous
doter d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune, y compris
d'une défense européenne. Dans la recherche d'une solution négociée pour le
Kosovo comme dans l'intervention militaire, les Quinze élaborent et tiennent un
langage commun. Nous nous appuierons sur cette solidarité dans le conflit et
dans la recherche de la paix pour relancer le projet d'une défense commune.
L'Union doit être capable de prendre, dans un cadre intergouvernemental, des
décisions en matière de défense et de gestion de crise. Cela suppose qu'elle se
dote, sans redondance et en relation avec l'OTAN, de moyens propres pour
évaluer les situations, pour planifier de façon autonome des moyens, pour
disposer librement de capacités d'action.
Mais, parce que les Quinze sont de vieilles nations qui ont leurs traditions
militaires, parce que certaines sont des puissances nucléaires et que d'autres
sont neutres, parce qu'elles ont des conceptions stratégiques particulières et
des liens très divers avec les Etats-Unis, nous savons bien que ce mouvement
sera progressif. C'est la démarche que nous avons retenue avec le Président de
la République à Saint-Malo.
A plus court terme, l'Union européenne prendra toute sa part de la solution
politique de cette crise. La France, avec ses partenaires, est prête à jouer un
rôle essentiel dans la reconstruction du Kosovo. L'Union européenne, le 14
avril, s'est déclarée disponible pour prendre la responsabilité d'une
administration provisoire du Kosovo, si du moins le Conseil de sécurité en
décide ainsi.
Concernant nos relations avec les pays voisins du Kosovo - M. Arthuis m'a
notamment interrogé sur ce point - le Conseil des ministres de l'Union a, le 26
avril, décidé d'envisager le resserrement de nos liens avec la Macédoine et
l'Albanie. La Commission européenne doit explorer la voie d'accords
d'association. Nous nous réjouissons de ce résultat, auquel le France a
contribué. Compte tenu de l'écart de développement qui subsiste, de la
nécessité de préserver l'économie de ces pays d'une concurrence trop vive et de
la grande diversité culturelle et sociale des pays européens, l'association
constitue, à mes yeux, une meilleure option que l'accélération, peut-être un
peu irréfléchie, de l'élargissement de l'Union.
Y a-t-il une place pour la Serbie ? Nous ne voulons pas enfermer le peuple
serbe, je l'ai dit, dans l'impasse du nationalisme et de la violence, dans
laquelle, malheureusement, il s'est laissé entraîner depuis dix ans. Le but de
notre intervention est bien de ramener la Serbie « en Europe », c'est-à-dire
d'aider les Serbes à ouvrir les yeux sur les exactions qui sont commises, en
leur nom, contre leurs concitoyens yougoslaves, c'est-à-dire de favoriser dans
ce pays le développement d'une véritable démocratie, respectueuse des droits
des minorités, c'est-à-dire, bien sûr, le jour venu, de consentir les efforts
nécessaires à la reconstruction de l'ensemble des pays des Balkans.
Cette Europe prospère, démocratique, celle qui est la nôtre, elle est offerte
à tous. N'avons-nous pas nous-mêmes, au sein de cette Union, des partenaires
qui furent longtemps des adversaires que nous avons combattus à travers les
siècles et avec qui nous avons su nous réconcilier et nouer des amitiés
durables ? Nous avons un modèle à proposer, une démarche historique à
offrir.
Pour que le règlement de cette crise dans les Balkans soit lui aussi durable,
le tribunal pénal international devra être en mesure de sanctionner les
agissements de tous les criminels de guerre. La France a pleinement l'intention
de le seconder dans cette tâche. Mme Louise Arbour sera d'ailleurs reçue la
semaine prochaine à Paris, et nous veillerons à ce que les informations, les
observations et les témoignages nécessaires au travail du tribunal lui soient
fournis.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Le tribunal pénal international a pour mission de poursuivre, d'inculper puis
de châtier les criminels de guerre. Les gouvernements de l'Alliance, eux, ont
pour objectif de chercher une solution politique à la crise du Kosovo. Le
moment venu, nous le savons bien, ces deux démarches seront appelées à se
rejoindre.
Cette Europe prospère, démocratique, dans laquelle nous souhaitons un jour
accueillir tous les membres de la famille européenne, est aussi, en effet, une
Europe du droit, dans laquelle aucun crime ne restera impuni.
Oui, comme l'a dit M. Renar, ce sont bien les conditions d'une paix juste que
nous recherchons dans la crise du Kosovo à travers, aujourd'hui encore, la
poursuite déterminée des frappes, pour faire céder un homme et un régime qui,
jusqu'ici, n'ont bougé que devant la force et non devant la lumière de la
raison.
Mais, en même temps, il nous faut garder une attention constante aux chances
de la négociation quand elles s'offrent, et qu'il faut savoir saisir en ne
faisant pas preuve de lourdeur d'esprit ou d'hésitation dans les démarches,
sans perdre de vue les fins qui sont les nôtres : le retour des réfugiés,
l'autonomie d'un Kosovo pluriel, une Serbie acceptant enfin une conception
citoyenne et non pas ethnique de la nation, refusant les fièvres du
nationalisme pour n'éprouver que de la fierté nationale, comme il est légitime
pour chaque peuple, pour chaque pays, et acceptant de cohabiter dans la paix
avec ses voisins.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez sûrs que la France saisira toutes les
chances de paix.
(Applaudissements.)
M. le président.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement sur la
situation au Kosovo.
Avant d'aborder le point suivant de l'ordre du jour, le Sénat va interrompre
ses travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures
trente.)