Séance du 2 mars 1999






chèques-vacances

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi n° 178 (1998-1999) modifiant l'ordonnance n° 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances. (Rapport n° 227 [1998-1999]).
Avant de vous donner la parole, madame le secrétaire d'Etat, je voudrais relever le fait que vous avez choisi le Sénat pour présenter votre premier projet de loi devant le Parlement. Nous apprécions ce geste à l'égard de la Haute Assemblée, et nous tenons à vous en remercier.
Vous avez la parole, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec grand plaisir que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui, devant la Haute Assemblée et au nom du Gouvernement, le projet de loi tendant à élargir l'accès au chèque-vacances, dispositif auquel vous me savez tout particulièrement attachée.
Ce projet de loi confirme les règles essentielles et les objectifs sociaux de l'ordonnance du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances, dont vous me permettrez de rappeler les grands principes fondateurs.
Lorsque cette ordonnance a été élaborée, il s'agissait de répondre aux aspirations légitimes des individus et des familles les plus modestes à pouvoir accéder, eux aussi, elles aussi, aux vacances.
Devant vous, je n'ai pas besoin d'insister sur l'importance du droit aux vacances, indispensable à l'équilibre de la vie en société, facteur de resserrement des liens familiaux.
Vous savez combien l'accès aux vacances, à la culture, aux voyages, à la découverte contribue à l'épanouissement de la personnalité et, au-delà, en favorisant la multiplication des échanges, participe à la construction d'un monde plus tolérant.
Or, c'est bien parce qu'une partie importante, trop importante, de la société ne pouvait accéder à ce droit pour des raisons essentiellement financières que le mécanisme du chèque-vacances a été mis en place, comme un outil d'aide au départ.
On peut légitimement se féliciter que cet objectif ait été atteint pour plusieurs centaines de milliers de familles qui, grâce au chèque-vacances, ont pu, chaque année depuis 1982, se voir offrir la possibilité de rompre avec le quotidien.
Néanmoins, force est de constater qu'un grand nombre de familles, pour des raisons économiques, n'ont toujours pas - ou n'ont plus - la possibilité d'y accéder.
Une enquête menée en 1997 par la direction du tourisme confirme ainsi que 35 % des foyers disposant d'un revenu inférieur à 6 000 francs par mois ne partent jamais et que plus de la moitié des non-partants appartiennent à un foyer dont les revenus mensuels ne dépassent pas 10 000 francs.
Cette étude est révélatrice du vrai problème que nous avons à traiter avec ce projet de loi : aider à partir en vacances ces hommes, ces femmes, ces jeunes qui, aujourd'hui, sont privés de ce droit élémentaire.
C'est ce constat, cette réalité inconcevable à notre époque, qui m'a amenée à concrétiser le renforcement du dispositif existant du chèque-vacances, en projet, d'ailleurs, dès sa conception.
Sincèrement, je suis persuadée que la mise en oeuvre du projet de loi qui vous est soumis doit, en quelques années, permettre le départ de plusieurs centaines de milliers de familles supplémentaires, donc de nombreux jeunes, en particulier des jeunes familles, qui, le plus souvent, manquent de ressources pour partir.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la finalité de ce projet de loi.
C'est un projet de loi profondément humaniste, un projet de loi de justice sociale, qui concerne exclusivement les salariés, mais qui s'inscrit dans une démarche globale tendant à favoriser l'accès de toutes et de tous aux vacances, démarche qui m'a notamment conduite à mettre en place une « bourse solidarité vacances » en direction des plus démunis, après avoir fait inscrire le droit aux vacances pour tous dans la loi de prévention et de lutte contre les exclusions.
De manière à lever toutes les ambiguïtés, je rappellerai d'emblée que le chèque-vacances ne saurait être un supplément de salaire déguisé, exonéré de charges sociales, pas plus qu'un titre de voyage banalisé, ce qui le détournerait de son objet initial. Il est évident que, tant dans l'esprit de l'ordonnance de 1982 que dans celui du projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui, l'attribution ne saurait donc en être laissée à la seule discrétion de l'employeur.
Je ne crois pas, en effet, que l'on puisse, sans risque de confusion, prêter au chèque-vacances des missions qui ne sont pas les siennes.
Ainsi, en suggérant d'assimiler le chèque-vacances au concept de participation ne va-t-on pas, logiquement, vers une distribution du chèque-vacances à l'ensemble des salariés sans critères sociaux d'attribution ?
Il me semble en effet que l'objectif de la participation créée par l'ordonnance de 1967 était bien de faire bénéficier les salariés d'une partie des fruits de l'expansion des entreprises et non, comme le prévoit l'ordonnance de 1982, de favoriser le départ en vacances des salariés qui ne le pourraient pas sans cette aide.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'exemple social original que constitue notre chèque-vacances a démontré, depuis 1982, sa raison d'être et son efficacité.
En 1998, 4 millions de personnes, soit un million de salariés et leur famille, en ont bénéficié.
Cependant, nous constatons que, dans la pratique, de très nombreux salariés n'ont pas accès au chèque-vacances.
C'est notamment le cas de la majorité des salariés des PME-PMI de moins de cinquante salariés, qui, en l'absence de comité d'entreprise, sont de fait exclus du bénéfice du chèque-vacances alors que c'est bien dans ce secteur que l'on trouve les salaires les plus modestes.
Le législateur peut, comme il lui est proposé, corriger cette situation en ouvrant le dispositif à ces salariés aux revenus les plus modestes, employés dans les PME-PMI, ainsi qu'aux salariés des entreprises, sociétés ou organismes soumis à l'article L. 351-12, 3° et 4°, ainsi qu'à l'article L. 351-13 du code du travail.
J'attire votre attention sur l'importance des effectifs potentiels concernés puisque, actuellement, 7 millions et demi de salariés sont employés par des PME. Mais je veux aussi attirer votre attention sur ce que ces salariés représentent au regard de l'évolution du monde du travail.
Les effectifs des PME ne cessent, en effet, de grandir ; aujourd'hui, ils représentent plus de 55 % de l'ensemble des salariés du secteur privé.
Est-il normal que ceux qui travaillent dans les petites entreprises ne soient pas traités de la même manière que les autres ? Car telle est bien la réalité. Quel est le frein qui les empêche d'accéder, eux aussi, au bénéfice du chèque-vacances ?
L'ordonnance de 1982, telle qu'elle est rédigée, n'interdit certes pas explicitement aux PME de faire bénéficier leurs salariés du chèque-vacances. Mais deux obstacles d'importance les pénalisent par rapport aux grandes entreprises.
Le premier concerne le coût de l'avantage du chèque-vacances. Concrètement, faute de comité d'entreprise, les employeurs ne peuvent prétendre aux exonérations de charges sur le chèque-vacances, puisque leur contribution est, du coup, considérée comme un élément de rémunération.
Le second obstacle découle du premier car, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégués du personnel, quels moyens possèdent les salariés pour proposer à leur employeur de mettre en place le chèque-vacances ? Très peu. Cela explique qu'un nombre très marginal de PME ait signé une convention avec l'Agence nationale pour les chèques-vacances.
Aussi, le projet de loi qui vous est soumis entend prioritairement lever ces deux obstacles.
A l'article 3 du projet de loi, il est proposé d'exonérer de charges sociales la contribution au chèque-vacances des employeurs d'entreprises de moins de cinquante salariés.
En outre, de manière à permettre un dialogue social plus large et à favoriser ainsi une diffusion plus importante du chèque-vacances, il est prévu que, en l'absence de comité d'entreprise ou de représentation syndicale, un système de mandatement, comme celui qui commence à faire ses preuves dans le cadre de la loi sur la réduction du temps de travail, soit mis en place. C'est l'objet du deuxième alinéa de l'article.
Mais, pour tenir compte au mieux des difficultés d'organisation des relations sociales dans ce type d'entreprise, je propose également de permettre la délivrance du chèque-vacances par des organismes paritaires de gestion d'activités sociales de branche ou territoriaux.
C'est l'objet de l'article 5 du projet de loi.
Ainsi, comme vous pouvez le vérifier, sans bouleverser le dispositif, actuellement en vigueur, de l'ordonnance de 1982, ce projet de loi donne la priorité au dialogue social car, nous le savons bien, c'est le renforcement des relations sociales qui permettra une meilleure prise en considération du chèque-vacances par les différents partenaires sociaux.
Cette façon de faire, j'en suis persuadée, constitue une garantie contre toute tentation de dévoiement du chèque-vacances.
Par ailleurs, le projet de loi comporte un certain nombre de dispositions visant à remplir l'objectif social du chèque-vacances et à assurer une bonne gestion des deniers publics.
Ainsi, l'article 2 précise les conditions auxquelles doivent répondre les salariés pour bénéficier du chèque-vacances dans le cadre d'un avantage consenti par l'employeur, quelle que soit la taille de l'entreprise.
C'est pour répondre à un souci de justice et d'efficacité sociale que cet article prévoit également de remplacer la référence à l'impôt payé par le revenu fiscal de référence du foyer, lequel, je le rappelle, a été fixé, au titre de 1999, à 87 680 francs pour une part, majoré de 19 990 par demi-part supplémentaire.
Vous le voyez, en proposant cette disposition, nous favorisons légèrement les familles. En revanche, elle neutralise les avantages fiscaux qui permettaient à quelques salariés de bénéficier du chèque-vacances malgré des revenus initiaux dépassant le plafond.
A ce propos, il ne m'a pas échappé, monsieur le rapporteur, que la commission propose d'élargir encore plus que je ne le fais le champ des catégories de bénéficiaires potentiels du chèque-vacances. Je ne vous le cache pas, je vois là un risque de remise en cause du fondement social du chèque-vacances, qui a pour objet, non de favoriser ceux qui ont déjà les moyens de partir en vacances, mais bien d'aider les familles qui ne le peuvent pas.
J'ajoute que, si nous allions à un quasi-doublement de la référence actuellement prise en compte dans l'ordonnance de 1982, il est vraisemblable que les employeurs seraient les premiers à dire qu'ils ne pourront pas continuer à abonder le chèque-vacances.
C'est, me semble-t-il, dans le même esprit qu'il convient d'apprécier le plafond d'exonération des charges sociales qui, dans l'article 3 du projet de loi, est fixé à 30 % du SMIC brut mensuel par salarié et par an, sur la base de la durée légale du travail actuellement en vigueur, c'est-à-dire encore aujourd'hui 169 heures par mois. Ce plafond correspond au double de l'abondement moyen constaté actuellement.
Vous me permettrez d'insister sur le progrès contenu dans cette disposition nouvelle. Elle est, en effet, suffisamment large pour permettre le développement d'une aide effective au départ en vacances et rester parfaitement tolérable pour les finances publiques.
Dans ce même article 3, il est par ailleurs rappelé que le chèque-vacances ne doit en aucun cas se substituer à une rémunération ou à un avantage prévu contractuellement.
Cette disposition permet à la fois d'assurer le maintien des avantages acquis en termes de salaires et d'éviter la tentation de détourner le chèque-vacances de son objectif pour en faire un instrument pur et simple d'exonération des charges sur un élément de rémunération, au détriment de la sécurité sociale et des droits futurs des salariés, telles la retraite et les prestations sociales.
Je ne crois d'ailleurs pas inutile de rappeler que la force essentielle du chèque-vacances tient à la fois au système d'épargne et à l'abondement de l'employeur. Je pense qu'il convient de réaffirmer la nécessaire articulation de ce double principe, afin de lutter contre toutes les formes de détournement du chèque-vacances.
Permettez-moi d'aborder maintenant un autre aspect du rôle social du chèque-vacances : je veux parler de la mission confiée à l'Agence nationale pour le chèque-vacances, l'ANCV.
Certes, le projet de loi qui vous est soumis ne prévoit en aucune manière de modifier la mission confiée par l'Etat à l'ANCV, mission qu'elle remplit avec efficacité.
Il me semble toutefois que le débat d'aujourd'hui doit nous permettre de mesurer toutes les conséquences que peut avoir l'élargissement de l'attribution du chèque-vacances, en particulier quant au rôle social joué par l'ANCV.
Vous le savez, par le biais de l'agence qui gère ces titres de paiement, c'est toute une politique de soutien au développement des équipements de tourisme à vocation sociale qui a pu être mise en place.
Des milliers de « bourses vacances » ont, par ailleurs, pu être attribuées à des familles parmi les plus démunies pour leur permettre d'accéder, elles aussi, aux vacances et aux loisirs, et ce par l'intermédiaire des organismes sociaux et des associations caritatives.
Ainsi entre 1991 et 1996, ce sont plus de 60 000 personnes qui ont pu en profiter.
En 1998, les excédents réalisés par l'agence ont permis de soutenir 100 projets de réhabilitation de villages de vacances du tourisme social et associatif, pour un total de 26 millions de francs d'investissements. L'extension du chèque-vacances aux salariés des PME devrait nous permettre de conforter et d'élargir encore cette politique de rénovation du patrimoine social des vacances.
Mais vous me permettrez d'insister aussi sur l'impact de ce projet de loi dans l'économie et l'emploi touristiques.
Avec plus de 3 milliards de francs de chèques-vacances utilisés en 1997, ce dispositif a engendré 10 milliards de francs de consommation touristique dans les quelque 130 000 entreprises prestataires agréées. Il a également suscité la création de nombreux emplois en participant activement au développement local et à l'aménagement de notre territoire.
En fait, le chèque-vacances, au-delà de l'aide au départ qu'il représente pour les salariés, possède en quelque sorte une deuxième vie sociale : outre qu'il favorise l'accès aux vacances de familles qui, sans ce titre de paiement, ne pourraient sans doute pas y accéder, il constitue un véritable outil de développement du tourisme dans notre pays.
Cela permet de souligner combien la mise en place du chèque-vacances a été et demeure un véritable succès social et économique, grâce aux orientations mises en oeuvre par l'ANCV, dont la vocation est garantie par la tutelle que l'Etat - et en particulier le secrétariat d'Etat au tourisme - exerce sur elle.
Voilà pourquoi je n'entends pas que cet outil puisse disparaître ou être vidé de sa substance sociale, car cela remettrait en cause toute l'impulsion au départ en vacances que les pouvoirs publics s'efforcent de donner depuis 1982 et qu'il est aujourd'hui de notre devoir d'amplifier.
Conçu à partir d'une large concertation avec les partenaires sociaux, entamée dès le mois de septembre 1997, ce projet de loi va étendre le bénéfice du chèque-vacances à tous les salariés des petites et moyennes entreprises de moins de cinquante salariés, en ne portant atteinte ni aux droits des organismes d'activités sociales ni au fonctionnement et au statut de l'ANCV.
Il préservera surtout le caractère social et redistributif du chèque-vacances, tout en favorisant l'intervention des partenaires sociaux et des institutions représentatives du personnel.
D'ailleurs, je suis convaincue qu'un grand nombre d'employeurs saura saisir l'opportunité qu'offre le chèque-vacances pour ouvrir une activité sociale dans leurentreprise. J'en veux pour preuve le très bon accueil qui a été réservé à l'annonce de la présentation de ce projet par les organisations professionnelles, au premier rang desquelles l'Union professionnelle artisanale.
Je voudrais également souligner l'intérêt que suscite le chèque-vacances dans les autres pays européens : des gouvernements ainsi que le Bureau international du tourisme social réfléchissent actuellement avec nous à la mise en oeuvre d'un dispositif similaire et réciproque.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet qui est soumis à votre examen est donc un projet concret, cohérent, qui contribuera à l'élargissement des bénéficiaires du chèque-vacances, au renforcement de sa vocation sociale, au développement des capacités de solidarité de l'ANCV et à la croissance de notre économie touristique.
C'est un projet porteur de justice sociale et d'efficacité économique, qui permettra, pour de nombreuses familles, de faire du droit aux vacances une réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyens, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RPR.)
Mme Hélène Luc et M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Blanc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le chèque-vacances a été créé par l'ordonnance du 26 mars 1982. Son objectif était de mettre en place et de développer une nouvelle aide à la personne afin de permettre le départ en vacances des salariés aux revenus modestes. En 1980, en effet, 44 % des familles ne partaient pas en vacances, bien souvent pour des raisons financières.
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Paul Blanc, rapporteur. Vous me permettrez de continuer à penser, madame le secrétaire d'Etat, que ce dispositif s'insère dans la tradition française de la participation souhaitée par le général de Gaulle.
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Paul Blanc, rapporteur. Il s'apparente dans son principe au titre-restaurant. Les chèques-vacances sont des titres nominatifs acquis par les salariés par un effort d'épargne, avec abondement de l'employeur et, le cas échéant, du comité d'entreprise. Ils sont destinés à payer des dépenses de vacances, sur le territoire national, auprès d'organismes agréés. Ils sont émis et gérés par l'Agence nationale pour les chèques-vacances, l'ANCV, qui délivre également les agréments.
Au-delà de ce principe finalement assez simple, l'ordonnance de 1982 met en place un système un peu plus compliqué en instituant deux circuits de distribution des chèques-vacances.
Le premier circuit de distribution est celui de l'entreprise. Mis en place sur décision de l'employeur après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, il s'adresse aux salariés sous condition de ressources. Ainsi, en 1999, ne pourront bénéficier des chèques-vacances que les salariés pour lesquels l'impôt sur le revenu payé en 1998 ne dépasse pas le plafond de 11 450 francs.
Le chèque-vacances est financé conjointement par l'employeur et le salarié. La participation du salarié se fait au moyen de versements mensuels qui doivent être obligatoirement répartis sur au moins quatre mois et compris entre 4 % et 20 % du SMIC mensuel.
A chaque versement du salarié correspond un versement de l'employeur qui représente entre 20 % et 80 % de la valeur libératoire du chèque-vacances. Il peut être complété par une contribution du comité d'entreprise.
S'agissant du régime fiscal et social des chèques, la contribution de l'employeur aux chèques-vacances est soumise aux cotisations de sécurité sociale et d'assurance chômage, à la CSG - contribution sociale généralisée - et à la CRDS - contribution pour le remboursement de la dette sociale. En revanche, elle est exonérée des taxes sur les salaires et des cotisations de retraite complémentaire.
La participation de l'employeur aux chèques-vacances constitue pour le salarié un avantage en nature qui est exonéré de l'impôt sur le revenu dans la limite d'un SMIC mensuel.
Le second circuit de distribution est celui des « organismes sociaux » défini par l'article 6 de l'ordonnance. Il concerne les organismes qui sont habilités, en vertu des textes qui les régissent, à aider les familles à partir en vacances. Il s'agit notamment des comités d'entreprise, des caisses de retraite, des caisses d'allocations familiales, des mutuelles, des services sociaux de l'Etat et des collectivités publiques. Ces organismes ont alors la possibilité de verser les aides aux vacances sous forme de chèques-vacances.
Ce circuit dérogatoire est, paradoxalement, bien plus souple que le circuit direct. Il n'est pas limité aux salariés, chaque organisme pouvant attribuer les chèques-vacances à ses ressortissants. C'est l'organisme qui fixe ses propres critères d'attribution des chèques-vacances. Il n'est pas tenu de respecter les plafonds d'imposition fixés par l'ordonnance. En outre, à la différence de l'abondement versé par les employeurs, les aides aux vacances versées sous forme de chèques-vacances par les comités d'entreprise ne sont assujetties ni à cotisations sociales ni à la CSG ni à la CRDS.
Plus de quinze ans après l'institution des chèques-vacances, il est possible de dresser un bilan de ce dispositif. Ce bilan est en demi-teinte.
Certes, après un démarrage lent et difficile, le bilan quantitafif des chèques-vacances peut être considéré comme positif. En 1998, des chèques-vacances ont été émis pour une valeur de 3,7 milliards de francs. On peut rappeler que ce montant n'était que de 4,6 millions de francs en 1983. Par ailleurs, environ 10 000 organismes, qu'il s'agisse d'entreprises ou d'« organismes sociaux », ont distribué des chèques-vacances à un million d'attributaires. Au total, avec les ayants droit, ce sont 4 millions de personnes qui ont bénéficié de ce dispositif.
En outre, les chèques-vacances ont une incontestable dimension sociale. Ainsi, une enquête de l'Agence nationale pour les chèques-vacances montre qu'un tiers des bénéficiaires ne prendraient pas de vacances sans le chèque.
Les bénéfices de l'Agence, qui devraient atteindre 34 millions de francs en 1998, sont très largement réinvestis dans le tourisme social, par le biais soit d'une aide à la rénovation d'équipements touristiques à vocation sociale, soit d'une aide spécifique aux personnes les plus défavorisées, notamment au travers de la distribution de bourses de vacances.
Pour autant, ces éléments positifs ne doivent pas cacher les failles du dispositif.
La commission des affaires sociales du Sénat en distingue trois principales, rejoignant très largement en cela le constat établi par le Gouvernement.
Force est d'abord de constater que les objectifs visés par les chèques-vacances n'ont été atteints que partiellement. C'est là la première faille. Si le taux de départ en vacances a augmenté depuis le début des années quatre-vingt, il diminue de nouveau depuis 1991. Aujourd'hui encore, plus du tiers de nos compatriotes ne partent pas en vacances. L'accès aux vacances reste, en outre, inégal. Il dépend essentiellement de deux facteurs : les revenus du ménage et la taille de la famille. Ainsi, en 1997, seulement 55 % des familles de trois enfants ou plus sont parties en vacances.
Le système du chèque-vacances apparaît de surcroît très déséquilibré. C'est là la deuxième faille. L'ordonnance de 1982 prévoyait la coexistence de deux circuits de distribution du chèque-vacances. Dans la logique de participation qui fondait le système, le premier circuit - celui de l'entreprise - avait vocation à être le circuit du droit commun. Le second circuit - celui des organismes sociaux - ne devait être qu'un circuit alternatif, permettant à ces organismes d'attribuer l'aide aux vacances qu'ils versaient déjà sous la forme de chèques-vacances.
Pourtant, en 1998, le circuit de l'entreprise n'a représenté que 4,3 % du montant des chèques émis, celui des organismes sociaux en représentant plus de 95 %. Un tel déséquilibre s'explique d'une double manière.
D'abord, les agents des fonctions publiques et des organismes rattachés - La Poste, France Télécom - constituent la majorité des bénéficiaires des chèques-vacances puisque 55 % des chèques émis en 1998 leur ont été attribués. Or, ces agents relèvent du circuit de distribution des organismes sociaux. La surreprésentation des fonctionnaires parmi les bénéficiaires contribue alors à déséquilibrer le système.
Ensuite, le régime fiscal et social applicable aux contributions versées par les organismes sociaux est plus favorable. Leur contribution au financement des chèques-vacances n'est assujettie ni aux charges sociales ni à la CSG ou à la CRDS. On peut dès lors comprendre que les entreprises ne sont pas incitées à s'impliquer directement dans la distribution des chèques-vacances. Elles sont conduites, dans le meilleur des cas, à transférer cette fonction à leur comité d'entreprise afin de limiter le poids du prélèvement social.
La troisième faille du système actuel concerne les salariés des petites et moyennes entreprises. Leur accès aux chèques-vacances reste très faible. En 1997, seules 226 entreprises de moins de cinquante salariés avaient signé une convention mettant en place le chèque-vacances. Cela représente uniquement 3 000 salariés. Les entreprises de moins de cinquante salariés emploient pourtant, vous l'avez rappelé, madame le secrétaire d'Etat, environ 7,5 millions de salariés, soit 55 % de l'effectif total du secteur privé.
Cette situation s'explique simplement : comme elles sont dépourvues de comité d'entreprise, les PME qui mettent en place des chèques-vacances ne peuvent bénéficier des mêmes exonérations de charges sociales que les entreprises dotées d'un comité d'entreprise. Le surcoût est alors de 40 %, ce qui est très pénalisant pour les PME.
Devant ce bilan mitigé, les majorités successives ont formulé un constat partagé : le dispositif actuel n'est pas assez incitatif pour permettre une diffusion large des chèques-vacances, notamment dans les PME. Pourtant, à ce jour, malgré cet accord sur le constat, aucune réforme en profondeur du système n'a abouti.
Plusieurs propositions de loi ont cependant été déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale en 1997. Je pense, notamment, à celle qui a été présentée par M. Jacques Blanc, à celle qui a été déposée par M. Bernard Pons et à celle dont l'auteur était M. Léonce Desprez.
A la faveur d'une « niche » parlementaire ouverte par l'article 48-3 de la Constitution, le groupe du RPR a obtenu à l'Assemblée nationale l'inscription à l'ordre du jour réservé de la proposition de loi de M. Bernard Pons. Toutefois, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui l'a examinée le 13 mai 1998, a conclu qu'il fallait la rejeter. Les conclusions de rejet ont été adoptées en séance publique le 15 mai 1998.
Il semble que le Gouvernement ait préféré déposer son projet de loi. Et c'est ce projet de loi, adopté en conseil des ministres le 26 août 1998, que nous examinons aujourd'hui.
Ce texte se fonde sur un diagnostic : la faible pénétration du chèque-vacances dans les PME. Il contient donc quatre mesures nouvelles, les deux premières visant à corriger cette carence, les deux autres modifiant à la marge le cadre général de l'ordonnance de 1982.
La première mesure tend à étendre la portée de l'article 6 de l'ordonnance de 1982 qui concerne le circuit de distribution des chèques-vacances par la voie des organismes sociaux. Cet article autorise tout organisme paritaire chargé de la gestion d'activités sociales et créé par accord de branche ou territorial à distribuer des chèques-vacances. Il vise explicitement à favoriser une certaine forme de mutualisation du chèque-vacances pour les PME par le biais de la négociation collective.
La deuxième mesure nouvelle exonère de charges sociales la contribution de l'employeur au financement du chèque-vacances. Cette exonération, qui ne vise pas la CSG et la CRDS, est cependant limitée aux entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de comité d'entreprise et ne relevant pas d'un organisme paritaire.
Les deux dernières mesures nouvelles ont pour objet un simple toilettage de l'ordonnance de 1982. Elles prévoient l'extension du chèque-vacances à deux nouvelles catégories de salariés - les marins pêcheurs et les dockers - et une modification du critère d'appréciation des ressources pour le salarié, le critère de l'assujettissement à l'impôt sur le revenu étant abandonné au profit du critère du revenu fiscal de référence.
La commission des affaires sociales ne peut que partager les préoccupations qui ont conduit le Gouvernement à présenter ce projet de loi, notamment son souci de voir le plus grand nombre de personnes accéder aux vacances. Elle s'interroge toutefois sur la portée réelle des mesures proposées. Il est à craindre qu'au-delà des affirmations généreuses de l'exposé des motifs les dispositions du projet de loi n'aboutissent en pratique qu'à un développement limité du chèque-vacances.
S'agissant de l'accès des salariés des PME aux chèques-vacances, la portée effective des deux mesures nouvelles proposées risque d'être faible.
L'ouverture, au travers des organismes paritaires, d'une nouvelle voie est étroite. A l'heure actuelle, il n'existe en effet que six organismes paritaires chargés de la gestion d'activités sociales, qui ne couvrent qu'un nombre minime de salariés. Le développement de cette voie exigera, en outre, une forte implication des partenaires sociaux.
Or, il est à craindre que les employeurs ne soient guère incités à développer ce type d'organismes dans la mesure où ceux-ci sont financés précisément par une contribution des employeurs. Dès lors, la mise en place de tels organismes entraînera un alourdissement supplémentaire des charges pesant sur les PME.
De même, l'exonération de charges sociales pour les PME ne sera finalement guère incitative pour l'employeur car elle est triplement encadrée.
D'abord, l'exonération reste partielle dans la mesure où elle ne vise ni la CSG ni la CRDS. Il subsistera donc un écart non négligeable entre le coût de la participation pour l'employeur et le montant net de la contribution perçue par le salarié.
En outre, la contribution ouvant droit à exonération est plafonnée à un niveau faible - 1,610 franc par salarié et par an - proche du montant actuel moyen de cette contribution, qui s'élevait à 1,350 franc en 1997. Ce montant est incontestablement insuffisant, notamment pour les salariés ayant une famille nombreuse.
Enfin, le bénéfice de l'exonération dépend d'une procédure de mise en place du chèque-vacances dans l'entreprise. Cette procédure est très rigide dans la mesure où elle oblige les PME à négocier soit un accord d'entreprise, soit un accord de regroupement d'entreprises au sein d'une commission paritaire. Or, il est à craindre que les PME ne puissent pas parvenir à conclure un accord d'entreprise faute d'interlocuteurs salariés, la négociation éventuelle avec des salariés mandatés dans les conditions prévues par la loi du 13 juin 1998 n'ouvrant que de modestes perspectives. De plus, les accords de regroupements d'entreprises demeurent rares.
S'agissant de l'extension du champ des bénéficiaires potentiels, le projet de loi reste modeste : il ne vise que les dockers et les marins pêcheurs.
La modification du critère d'appréciation des ressources aura également des effets pervers. Ce changement va se traduire par une diminution du nombre de bénéficiaires, sans pour autant permettre une appréciation véritablement objective de la capacité contributive des ménages et tout en posant un délicat problème de communication des données fiscales à l'employeur. Le Gouvernement estime à 4 % ou 5 % le nombre de bénéficiaires actuels du chèque-vacances qui seront exclus du système.
En outre, la réforme proposée neutralise la revalorisation du plafond de ressources au titre de 1999. Ce plafond est donc, à droit constant, abaissé. Ces effets vont, à l'évidence, à l'encontre de l'objectif affiché de meilleure diffusion du chèque-vacances.
Mais, au-delà de l'impact somme toute incertain des mesures proposées par le projet de loi, la commission des affaires sociales observe que le texte n'aborde pas plusieurs questions qui apparaissent pourtant comme autant de points de passage obligés pour une réforme en profondeur du chèque-vacances.
D'une part, le projet de loi ne cherche pas à mieux harmoniser les deux circuits de distribution du chèque-vacances. Au contraire, il tend à complexifier plus encore le dispositif en introduisant un troisième circuit de distribution réservé aux PME. La commission des affaires sociales estime que le système ne deviendra véritablement incitatif qu'à la condition qu'il soit simplifié et qu'il assure - au moins en termes de prélèvement social - une neutralité entre les différents circuits.
D'autre part, le projet de loi ne contient aucune mesure susceptible d'améliorer l'accès des familles et des classes moyennes modestes aux chèques-vacances.
S'agissant de la prise en compte des familles, le projet de loi n'apporte aucune innovation. Dans la mesure où le coût des vacances augmente en fonction des charges de famille, il aurait été logique de moduler l'aide apportée par le chèque-vacances en fonction du nombre d'enfants à charge.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Paul Blanc, rapporteur. Le projet de loi ne vise aucune modulation de ce type.
M. Jean Chérioux. C'est bien dommage !
M. Emmanuel Hamel. Nous n'avons pas de politique familiale !
M. Paul Blanc, rapporteur. S'agissant des classes moyennes modestes, le projet de loi est là encore en retrait. Il est pourtant démontré que le taux de départ en vacances augmente sensiblement au-delà de 15 000 francs de revenus mensuels du foyer. Néanmoins, le projet de loi n'augmente pas le plafond de ressources actuellement situé en deçà du seuil de 15 000 francs. L'accès des classes moyennes modestes aux vacances n'est donc pas favorisé.
Le projet de loi n'aborde pas non plus la question de l'avenir du chèque-vacances dans un contexte pourtant en pleine évolution.
Des négociations se sont ouvertes au sein du Bureau international du tourisme social. Elles pourraient déboucher à terme sur la mise en place d'un chèque-vacances européen. Or, la législation actuelle ne permet pas d'ouverture du chèque-vacances vers l'étranger. Le projet de loi ne donne pas à l'Agence nationale pour les chèques-vacances les moyens de prendre une « longueur d'avance » face à une telle perspective.
L'avenir du chèque-vacances passe aussi par une amélioration de sa distribution. L'Agence, qui est un établissement public industriel et commercial, conserve le monopole d'émission et de distribution du chèque-vacances.
S'il est prématuré de mettre fin au monopole d'émission dans la mesure où les ressources financières de l'ANCV sont affectées au financement d'opérations de tourisme social - et, sur ce point, je suis d'accord avec vous, madame la secrétaire d'Etat - il aurait été en revanche possible, dans un souci de pragmatisme, d'accroître l'efficacité du dispositif en permettant à l'Agence de sous-traiter la distribution des chèques-vacances.
La comparaison avec le titre restaurant souligne en effet que la coexistence de plusieurs distributeurs ne remet pas en cause la vocation sociale du dispositif et permet au contraire une meilleure diffusion du titre.
Enfin, le projet de loi semble ignorer l'effet d'entraînement du chèque-vacances en termes de retombées économiques et sociales, que vous avez pourtant soulignées. Une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques montre qu'un transfert de la consommation des ménages vers les services a un impact très favorable sur la croissance et l'emploi, tout en se traduisant par une diminution du déficit public.
Or, les dépenses réglées en chèques-vacances relèvent essentiellement du secteur tertiaire : hébergement, restauration, transports, activités de loisirs ou culturelles. Une augmentation de l'émission de chèques-vacances permettrait donc une création nette d'emplois et une croissance supplémentaire, notamment en provoquant une majoration des rentrées de TVA.
Dans ces conditions, et tout en s'inscrivant dans les perspectives ouvertes par ce projet de loi, la commission estime nécessaire d'enrichir le contenu du texte pour assurer une portée réelle à la réforme du chèque-vacances.
Elle vous soumettra donc plusieurs amendements visant à remédier aux insuffisances déjà signalées du projet de loi.
Cet ensemble d'amendements, qui s'articule autour de trois axes, tend à instaurer un dispositif étendu, simplifié et plus dynamique.
M. Emmanuel Hamel. Belle synthèse !
M. Paul Blanc, rapporteur. Un dispositif étendu, tout d'abord : la commission proposera d'élargir le champ des bénéficiaires potentiels de deux façons : par une augmentation sensible du plafond de ressources, pour permettre aux classes moyennes de bénéficier du chèque-vacances, et par la réaffirmation de la possibilité pour les non-salariés d'avoir accès aux chèques-vacances par le biais des organismes sociaux.
Toujours dans cette logique d'extension, la commission proposera d'étendre l'exonération de charges sociales des contributions des employeurs dans une triple direction : élargissement à l'ensemble des entreprises pour garantir la neutralité entre les deux circuits de distribution, exonération de la CSG et augmentation du plafond de la contribution pouvant être exonérée afin de rendre les chèques-vacances plus attractifs pour les employeurs.
La commission proposera également un amendement visant à abaisser de 4 % à 2 % du SMIC le montant minimum d'épargne mensuel du salarié afin de permettre aux salariés les plus modestes de se constituer une « épargne-vacances ». Je crois que ce point ne provoquera aucune discussion.
Pour mieux prendre en compte la situation des familles, il paraît souhaitable que la contribution de l'employeur au financement des chèques-vacances soit modulée en fonction du nombre d'enfants à charge. De même, il est nécessaire de majorer le plafond de la contribution de l'employeur ouvrant droit à exonération en fonction du nombre d'enfants à charge.
Mais cette extension ne sera véritablement effective que si elle s'accompagne d'une simplification des procédures, souvent très lourdes pour les entreprises. Ainsi, la commission proposera deux nouvelles voies pour permettre la diffusion des chèques-vacances dans les PME. De plus, afin d'assurer une plus grande lisibilité du dispositif, elle proposera de garantir une plus grande neutralité entre les deux réseaux de distribution.
Enfin, il est nécessaire d'intégrer ce projet de loi dans une démarche plus dynamique afin d'optimiser les retombées économiques et sociales du chèque-vacances. Pour cela, la commission proposera de permettre la distribution des chèques-vacances à l'étranger...
M. Jean Chérioux. Non ! Non !
M. Paul Blanc, rapporteur. ... et d'introduire la possibilité pour l'ANCV de sous-traiter la distribution des chèques-vacances afin de pouvoir toucher le maximum d'entreprises et de personnes.
Telles sont les principales propositions que la commission des affaires sociales vous demandera, mes chers collègues, d'adopter à l'issue de la discussion générale. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Comme vous y avez fait référence, madame la secrétaire d'Etat, une étude réalisée en 1996 par l'INSEE établissait un triste constat : près de 40 % de la population ne partait pas en vacances et pour 48 % des ménages à revenu modeste le budget des vacances était le premier sacrifié.
C'est la raison pour laquelle je suis heureux de débattre aujourd'hui de ce texte.
En effet, ainsi que l'a brillamment exposé M. le rapporteur, si le bilan du chèque-vacances est positif, puisqu'un million de salariés en ont bénéficié, force est de constater que l'objectif fixé par l'ordonnance de 1982 n'est toujours pas atteint.
Le projet de loi que vous nous soumettez, madame la secrétaire d'Etat, est nécessaire ; chacun de nous en conviendra. Il élargit l'accès des salariés des PME, en particulier des entreprises de moins de cinquante salariés, au chèque-vacances.
Toutefois, ne croyez-vous pas que ses dispositions sont insuffisantes ? Je pense, notamment, à l'extension restreinte du champ des bénéficiaires et à la prise en compte insuffisante des familles et des classes moyennes modestes.
En premier lieu, le texte que nous examinons n'étend le bénéfice du chèque-vacances qu'à deux nouvelles catégories de salariés. Il n'y a rien concernant les artisans, les commerçants, les agriculteurs, les retraités ou les demandeurs d'emploi.
Or, dans la pratique, l'accès des non-salariés aux chèques-vacances reste très limité, même s'ils peuvent en bénéficier par l'intermédiaire d'organismes sociaux. En effet, seule la CNRACL - Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales - et la caisse de retraite des agents de la fonction publique hospitalière délivrent des chèques-vacances aux retraités et une seule caisse d'allocations familiales en distribue. Il est évident que, pour ces catégories, le problème réside dans le principe même du cofinancement des chèques-vacances.
En second lieu, votre projet de loi, madame la secrétaire d'Etat, ne prend en compte ni la taille de la famille ni les revenus du ménage, alors qu'il est démontré que les familles nombreuses et les classes moyennes modestes éprouvent des difficultés à partir en vacances.
S'agissant de ces deux points, je ne peux que me féliciter des modifications que propose le rapporteur M. Paul Blanc.
Si nous voulons offrir la possibilité de partir en vacances à ces personnes, il me paraît indispensable de prendre en compte les non-salariés et d'augmenter le plafond de ressources.
Je ne m'étendrai pas plus longtemps sur les amendements que M. le rapporteur nous propose d'adopter. J'orienterai mon intervention sur l'aspect touristique.
Une étude réalisée par l'Agence nationale pour les chèques-vacances, l'ANCV, a montré que la fréquence des départs des porteurs de chèques est une fois et demie supérieure à la moyenne nationale, et que le chèque-vacances induit une dépense touristique trois fois supérieure au volume des chèques émis, soit 10 milliards de francs en 1997.
Le bilan du chèque-vacances est positif pour le tourisme puisqu'il contribue à son développement en favorisant une meilleure répartition de la fréquentation dans la saison, une meilleure rentabilité des équipements et en induisant des dépenses directes et indirectes assez importantes.
L'extension du chèque-vacances, telle que nous la propose M. le rapporteur, ne pourra avoir que des incidences bénéfiques pour le tourisme, dans la mesure où elle permet de cibler de nouvelles clientèles ; je pense tout particulièrement aux retraités, qui représentent actuellement un potentiel qu'il ne faut pas négliger.
Le développement du tourisme dans un certain nombre de départements, notamment en espace rural et en zone de montagne, conditionne le développement des autres activités, telles que le commerce, l'artisanat ou l'agriculture.
Il ne faut pas oublier que le maintien de services et de la population sur certains territoires n'est possible que grâce à l'apport du tourisme ; je sais que vous en êtes convaincue, madame la secrétaire d'Etat. Il concourt aux équilibres économiques locaux en créant notamment des emplois permanents et en maintenant un tissu social cohérent.
En outre, les chèques-vacances contribuent, sous forme de subvention, à la rénovation du patrimoine touristique à vocation sociale : villages de vacances, maisons familiales de vacances, hôtels, campings, auberges de jeunesse, etc.
Cela vise à améliorer l'offre de nos territoires, qui se caractérise bien souvent, en espace rural, par la faiblesse des investissements et par une rentabilité des équipements plus faible.
Actuellement, le chèque-vacances est utilisé par 87 % des services loisirs accueil. Il permet d'accroître leur volume d'affaires avec une sécurité de paiement, leur portefeuille « produits » étant principalement composé d'hébergements tels que gîtes ruraux ou campings.
La répercussion du chèque-vacances sur le secteur touristique est indéniable et nous devons la prendre en considération.
Nombre de nos concitoyens ne peuvent partir en vacances. Offrons leur la possibilité de le faire. C'est avec cet espoir que je voterai le texte modifié par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Le groupe communiste républicain et citoyen accueille avec satisfaction la discussion en première lecture, ici, au Sénat, d'un projet de loi qui marquera l'aboutissement d'une des priorités de l'action que vous avez engagée, madame la secrétaire d'Etat, depuis vingt mois au sein du Gouvernement.
L'ordonnance du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances, qu'il nous est proposé, aujourd'hui, de modifier pour en étendre le bénéfice aux salariés des petites et moyennes entreprises, reposait sur une idée essentielle à nos yeux, mais trop peu souvent exploitée, selon laquelle le progrès social peut aussi être le moteur du développement économique.
C'est d'ailleurs cette même vision de la société qui avait conduit, quarante-six années plus tôt, le gouvernement du Front populaire à la création des premiers congés payés, permettant ainsi l'accès du plus grand nombre aux vacances.
Somme toute, il n'est pas étonnant que ce soit une ministre communiste qui porte un tel projet, lequel s'inscrit dans le prolongement et la continuité de l'ordonnance de 1982 et du droit aux vacances reconnu aux salariés en 1936, et je m'en félicite.
Ici, certains me rétorqueront que le gouvernement précédent avait déposé un projet de loi semblable quelques jours seulement avant une dissolution hasardeuse. Je tiens à dire qu'il s'agissait alors d'un texte dont l'objectif n'était pas tant d'élargir l'attribution du chèque-vacances à l'ensemble des travailleurs que de procéder plutôt à son détournement, pour satisfaire les appétits de quelques groupes privés.
M. Paul Blanc, rapporteur. Mais non !
Mme Odette Terrade. Si ! Aussi, je me félicite que votre texte, madame la secrétaire d'Etat, ait surmonté deux obstacles : d'une part, la soumission aux pressions financières de quelques lobbies et, d'autre part, ce qui n'est un secret pour personne, les réticences de Bercy.
M. Paul Blanc, rapporteur. Cela n'a pas changé !
Mme Odette Terrade. C'est ainsi que l'équilibre de la législation du chèque-vacances est préservé, voire renforcé. Cette législation se fonde sur trois atouts qui ont assuré la réussite du chèque-vacances, tout en garantissant sa fonction sociale et populaire.
Premièrement, ce dispositif doit s'adresser en priorité aux plus défavorisés qui, sans cela, n'auraient pu partir en vacances - ils représentent le tiers des bénéficiaires - ou à ceux pour lesquels le chèque-vacances se révèle déterminant dans le choix du départ et dans la constitution d'un budget « vacances » suffisant.
Il est, en effet, essentiel que soit garanti ce caractère incitatif pour les salariés les plus modestes qui hésitent, faute de moyens, à exercer ce droit fondamental qu'est le droit aux vacances, aux voyages, à la culture et aux loisirs. En revanche, le chèque-vacances ne saurait être un budget d'appoint ou de confort destiné à compléter avantageusement la situation du bénéficiaire qui dispose d'un certain niveau de salaire.
C'est pourquoi ce projet de loi vise, parmi les 40 % de Français qui ne partent pas en vacances, la plupart de ceux qui connaissent des difficultés financières réelles.
Deuxièmement, le système de cogestion entre les salariés et les employeurs doit être maintenu et conforté sous des formes adaptées selon le type d'entreprise, mais sans que soient remis en cause les instances traditionnelles de négociation ni le rôle des organisations syndicales.
Troisièmement, l'originalité du modèle français du chèque-vacances repose sur le caractère public de l'Agence nationale pour les chèques-vacances qui assure la redistribution des excédents du dispositif au profit de la rénovation des infrastructures touristiques à vocation sociale, ainsi que l'attribution de « bourses-vacances » aux plus défavorisés.
Il est vrai que l'importance des chiffres qui ont été cités et les perspectives de croissance du nombre de bénéficiaires dans les prochaines années suscitent des convoitises : avec 3,7 milliards de francs de chèques-vacances utilisés en 1998, 10 milliards de francs de consommation touristique induite et 4 millions d'ayants droit pour 130 000 entreprises prestataires, il est à craindre une récupération du chèque-vacances, dans une optique bien éloignée des préoccupations d'ordre social que l'on a su faire prévaloir jusqu'à présent.
Avec le chèque-vacances, nous disposons d'un outil qui, tout en ayant une stricte vocation sociale, a fait la preuve de sa viabilité et s'avère, de surcroît, profitable à l'ensemble de l'économie nationale, ainsi qu'au budget de l'Etat.
Pour autant, nous aurions tort de nous satisfaire de la situation présente, lorsque l'on constate que 7,5 millions de salariés sont exclus de fait de ce mécanisme !
Le bilan mitigé dépeint par M. le rapporteur résulte moins, selon moi, des limites intrinsèques du chèque-vacances lui-même que du développement continu d'un chômage de masse, de la précarité et de la pauvreté.
A cet égard, ne faut-il pas voir dans la recrudescence des chèques-vacances distribués depuis les années quatre-vingt-dix la conséquence logique de la baisse du pouvoir d'achat des salariés, notamment des ouvriers, de la multiplication des temps partiels et des contrats à durée déterminée ?
J'observe à cet égard que 56 % des bénéficiaires sont des femmes, démonstration supplémentaire, s'il en était encore besoin, que ce sont les femmes qui souffrent d'abord des salaires à bas niveau.
Prétendre, comme le fait M. Paul Blanc, que la faible participation des PME-PMI aux financements des chèques-vacances s'expliquerait exclusivement par les insuffisances des exonérations de cotisations sociales...
M. Paul Blanc, rapporteur. Je n'ai pas dit cela !
Mme Odette Terrade. ... correspond à une vision partielle de la réalité. C'est davantage l'atomisation du monde du travail, la désorganisation de la représentation salariale et l'absence de toute participation directe du personnel dans la gestion des entreprises qu'il faut montrer du doigt.
Si le chèque-vacances s'est développé d'abord dans la fonction publique puis dans de grandes sociétés de plus de deux cents salariés, c'est parce que l'expression syndicale y est mieux structurée et mieux à même d'engager l'entreprise dans une politique sociale active et volontariste.
Vouloir réduire le problème à un manque d'incitation fiscale de la part de l'Etat, c'est oublier le rôle prépondérant des syndicats, des représentants des salariés dans l'entreprise, et c'est surtout vouloir passer outre le dialogue social.
En ce sens, nous désapprouvons la logique des propositions élaborées par la commission des affaires sociales du Sénat. Nous y retrouvons d'ailleurs en filigrane les dispositions du projet Pons.
Le projet - le « contre-projet », devrais-je plutôt dire - de la majorité sénatoriale met en cause les trois principes fondateurs que j'évoquais voilà un instant.
Il prétend élargir le bénéfice du chèque-vacances aux classes moyennes et, par là même, pervertir le caractère populaire du système.
Il confère toute liberté aux employeurs en leur accordant des exonérations de cotisations sociales de façon systématique et généralisée en dévalorisant à terme le rôle des comités d'entreprises.
Enfin, il engage l'ANCV dans une remise en cause plus ou moins avouée de sa situation de monopole dans l'émission des chèques-vacances. Rappelons pour mémoire que le gouvernement Chirac avait déjà tenté, dès 1987, de privatiser l'Agence. La droite n'a visiblement pas renoncé à cet objectif, mais avance cette fois-ci de façon plus masquée en incitant à la sous-traitance de la distribution des chèques-vacances.
Madame la secrétaire d'Etat, comme vous pouvez le constater, votre texte est loin de réaliser le consensus espéré.
Deux conceptions diamétralement opposées apparaissent.
La position de la droite se résume à vouloir transformer le chèque-vacances pour en faire un placement financier intéressant,...
M. Paul Blanc, rapporteur. Mais non !
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. C'est une caricature !
Mme Odette Terrade. ... voire spéculatif, pour le seul intérêt du grand patronat. En vérité, la majorité sénatoriale prend prétexte du chèque-vacances pour réaliser sa politique de compression des coûts sociaux en faveur des patrons.
La conception du Gouvernement, que notre groupe partage pleinement, est d'une tout autre nature. Nous considérons qu'un droit n'a de valeur qu'à la mesure des moyens qu'on lui attribue pour le réaliser. Partant de là, ce texte se veut pragmatique et équilibré, prenant acte des carences du dispositif mis en place en 1982 tout en s'appuyant sur ce qui fonctionne.
Le projet de la commission est, quant à lui, dogmatique et loin de répondre aux attentes sociales suscitées par la réforme de l'ordonnance. (M. le président de la commission proteste.)
Pour conclure, madame la secrétaire d'Etat, je souhaiterais obtenir des précisions de votre part sur le cas de salariés de la fonction publique, en particulier les contractuels de droit privé.
A l'heure où les fonctionnaires font l'objet d'attaques de toutes sortes, il est bon de rappeler que nombre d'entre eux ne disposent pas même du SMIC pour vivre. Je pense, notamment, aux contrats emploi-solidarité ou aux emplois-jeunes.
Je sais que vous travaillez d'arrache-pied, en concertation avec vos collègues ministres concernés, pour éviter toute discrimination à l'égard de ces personnes en situation de précarité. Peut-on raisonnablement espérer qu'une solution soit trouvée avant la promulgation de cette loi ? Si tel est le cas, quelle forme prendra-t-elle ?
Le même problème se pose, bien qu'en des termes différents, pour les retraités ou les chômeurs. Pour ces derniers, ne peut-on envisager une participation des ASSEDIC pour promouvoir l'utilisation du chèque-vacances ?
S'agissant, en revanche, des travailleurs indépendants, l'ouverture en direction des organismes paritaires de gestion d'activités sociales visés à l'article 6 de l'ordonnance semble pertinente.
Par ailleurs, peut-on avoir confirmation que les comités d'activités sociales et culturelles instaurés par la loi d'orientation agricole actuellement en discussion auront la possibilité de distribuer les chèques-vacances aux salariés agricoles ?
Enfin, où en est-on des négociations à l'échelon européen pour permettre à terme aux bénéficiaires français du chèque-vacances de partir à l'étranger ? Nous proposerons sur ce point un amendement qui devrait permettre d'avancer dans cette voie.
Le texte que le Sénat adoptera devra être à même de garantir l'intégrité du modèle français du chèque-vacances. Malheureusement, au regard des amendements présentés par la commission, tous les doutes sont permis. (M. le rapporteur proteste.)
En conséquence, vous comprendrez, madame la secrétaire d'Etat, que le groupe communiste républicain et citoyen, attaché à votre conception de l'élargissement des chèques-vacances aux PME et aux PMI, ne pourrait voter un texte à ce point remanié et malmené par la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Paul Blanc, rapporteur. Mais non !
M. le président. La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour les sénateurs du groupe socialiste, le chèque-vacances est indissolublement lié à la grande idée du droit aux vacances pour tous, tel qu'il a commencé à être mis en oeuvre en 1936. Ce fut en effet une idée neuve à l'époque que de considérer les salariés non comme de la main-d'oeuvre mais comme des êtres humains à part entière ayant droit aux loisirs, aux voyages, aux découvertes, à la liberté, à tout ce qui pouvait, en un mot, favoriser l'enrichissement et l'épanouissement de leur personnalité.
Mais il ne suffit pas de proclamer les principes pour leur donner une existence concrète dans le quotidien de nos concitoyens.
Comme l'indique le préambule de l'ordonnance du 26 mars 1982 portant création du chèque-vacances, « le droit aux vacances n'a pu s'inscrire dans les faits que parce qu'étaient mis en place certains moyens permettant de l'exercer ». Le chèque-vacances, créé en 1982 par une ordonnance signée de Pierre Mauroy, est au nombre de ces moyens.
Nous avons plaisir à constater que les réticences exprimées dans le passé sur les travées de la majorité sénatoriale ont disparu. Aujourd'hui, le Sénat est unanime à reconnaître tant l'utilité du chèque-vacances que la nécessité d'en étendre le bénéfice aux millions de salariés qui n'en disposent pas encore aujourd'hui.
Certes, nous divergeons sur les modalités, comme le débat le démontrera ; mais il convenait d'abord de rendre cet hommage à celui qui était alors Premier ministre et qui est devenu notre collègue.
Le chèque-vacances, après des débuts modestes, a connu un incontestable succès. Quatre millions de personnes, soit un million de salariés et leurs familles, en bénéficient aujourd'hui. Le taux de personnes ne partant pas en vacances est passé de 4,4 %, en 1982, à 35 %, aujourd'hui. Je tiens à souligner ce résultat, parce que l'on parle beaucoup, à juste titre d'ailleurs, de tous ceux qui ne partent pas en vacances, notamment parmi les 7,5 millions de salariés des petites entreprises qui ne bénéficient pas encore des chèques-vacances.
Il convient donc d'élargir le dispositif de manière décisive, comme vous nous le proposez avec votre projet de loi, madame la secrétaire d'Etat. Mais, dès à présent, des mesures ont été prises, notamment dans le prolongement de la loi relative à la lutte contre les exclusions, pour aider ceux qui ne peuvent pas partir, pas même un week-end par an. Au moment où nous nous apprêtons à élargir un dispositif en direction des salariés en activité, nous ne devons pas oublier ceux qui vivent l'exclusion ou le risque d'exclusion au quotidien. Les vacances, la possibilité de s'évader de son univers habituel, souvent vécu comme un lieu de relégation, sont un facteur important d'équilibre personnel et d'insertion sociale. Elles ont un impact positif sur la santé et l'harmonie familiale.
Votre action sur ce point, madame la secrétaire d'Etat, est significative, puisque vous consacriez, dès 1998, 2 millions de francs sur votre budget aux bourses-solidarité-vacances, qui permettent d'assurer le transport etl'hébergement des familles les plus démunies dans des équipements de loisirs. Pour 1999 et 2000, 4 millions de francs et 6 millions de francs sont respectivement prévus. Nous vous apportons tout notre soutien dans cet effort, qu'il convient de ne pas ralentir et qui est la preuve de votre attachement profond aux valeurs de justice et de solidarité.
Permettez-moi de citer l'expérience - la première du genre, je crois - qui a été engagée, en 1996, par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, en faveur de ses retraités les moins favorisés pour accéder aux loisirs. Jusqu'alors, les retraités des fonctions publiques territoriale et hospitalière étaient écartés de ce dispositif. Dans le cadre de cette expérience lancée en février 1996, l'objectif annuel de 6 000 souscriptions a été atteint dès les deux premiers mois. Cette démonstration d'un besoin réel a été confirmée en 1997, année au cours de laquelle 45 millions de francs en chèques-vacances ont été employés par les retraités de la CNRACL, dont un nombre très significatif était inconnu du fonds d'action sociale de la caisse.
Pour l'avenir, la qualité du partenariat qui s'est instauré entre l'ANCV et la CNRACL laisse augurer d'une extension aménagée de ce service au profit des retraités à mobilité réduite.
C'est donc un texte très important que vous nous présentez aujourd'hui, madame la secrétaire d'Etat. Je dirai même que, pour un sénateur socialiste, c'est un projet de loi particulièrement satisfaisant dans la mesure où il conjugue efficacité économique et progrès social.
S'agissant de l'efficacité économique, le tourisme est le premier secteur, en termes d'emplois du secteur marchand, dans notre pays. La France est d'ailleurs la première destination mondiale ; représentant d'un département à haute valeur touristique, les Alpes-de-Haute-Provence, je suis particulièrement conscient de l'importance économique de ce secteur, notamment en nombre d'emplois.
Le chèque-vacances constitue un apport économique important puisque les 3 milliards de francs de chiffre d'affaires de chèques utilisés en 1997 ont engendré 10 milliards de francs de consommation touristique. Le coefficient démultiplicateur est donc non négligeable, et, même si le processus d'élargissement aux employés de petites et moyennes entreprises ne peut atteindre immédiatement un tel score, son impact doit évidemment être pris en compte.
De plus, l'Agence nationale du chèque-vacances redistribue la totalité de ses excédents au tourisme social. Elle contribue ainsi à soutenir le développement des équipements de tourisme à vocation sociale et participe indirectement à l'aménagement du territoire, qui est très cher à la Haute Assemblée. Son rôle est donc irremplaçable.
Par ailleurs, ce texte entraînera un progrès social, et ce pour d'évidentes raisons. En adoptant cette loi, nous allons en effet ouvrir aux salariés modestes des petites et moyennes entreprises la possibilité de bénéficier du chèque-vacances, moyennant une contribution que nous voudrions d'ailleurs voir ramenée à 2 % du SMIC. Nous ferons aussi oeuvre de justice sociale, puisque vous précisez, madame la secrétaire d'Etat, que l'exonération de charges ne sera consentie à l'employeur que si sa contribution est plus élevée pour les salariés dont les rémunérations sont les plus faibles, ce qui était oublié jusqu'à présent. Je rappelle que cette participation peut atteindre 50 % du montant total des chèques-vacances.
Au travers de cette exonération de charges, vous procédez également à un rééquilibrage de l'effort entre les employeurs et les organismes sociaux, notamment les comités d'entreprise, qui étaient seuls jusqu'à présent à en bénéficier, ce qui explique le faible nombre d'employeurs engagés directement dans le dispositif du chèque-vacances.
A ce propos, je précise également que la méthode d'accord paritaire de branche ou à base territoriale que vous proposez nous convient parfaitement. Elle est de nature à favoriser le développement du dialogue social dans les petites entreprises et à garantir la clarté du dispositif sur le plan financier.
Ce projet de loi permettra aussi un progrès social dans la mesure où sera adoptée la formule du plafond de revenu du foyer fiscal, selon le système utilisé pour les allégements d'impôts sous conditions de ressources, qui prend également en compte les enfants.
Je voudrais néanmoins attirer votre attention sur la situation des personnels non titulaires de la fonction publique, madame la secrétaire d'Etat. En effet, les fonctionnaires de l'Etat peuvent, depuis le 1er avril 1987, bénéficier du chèque-vacances à condition que leur impôt sur le revenu n'excède pas 11 350 francs, chiffre de 1997. Le système est géré par la mutualité de la fonction publique, et les fonctionnaires s'adressent à leur mutuelle pour ouvrir les plans d'épargne.
Quant aux collectivités territoriales, elles ont été, si l'on peut dire, raccrochées pour leurs agents titulaires à l'article 6 de l'ordonnance par le biais des mutuelles, la CNRACL servant de support pour leurs retraités selon le dispositif que j'ai abordé précédemment.
Mais qu'en est-il des personnels non titulaires, contractuels de droit public et de droit privé, vacataires, contrats emploi-solidarité et contrats emploi consolidés, emplois-jeunes ? La situation est actuellement aussi confuse que le nombre de statuts est différent.
Pouvez-vous, madame la secrétaire d'Etat, nous apporter des précisions sur ce qu'il est possible de faire pour ces personnels qui ne bénéficient pas déjà des avantages liés au régime de la fonction publique et qui perçoivent des rémunérations souvent très modestes ? Leur situation justifie amplement que l'on envisage à leur égard une extension du dispositif chèque-vacances.
Enfin, et j'en terminerai par là, une question se pose pour l'avenir du chèque-vacances. Ce dispositif n'existe qu'en France - il est également présent en Suisse, semble-t-il, dans un système un peu différent - et le chèque-vacances ne peut être utilisé que sur le territoire national. A notre époque, cela limite les possibilités d'utilisation, et je ne suis pas certain que nous puissions justifier longtemps cette situation au regard de la législation européenne.
Ne serait-il pas possible, sous une forme qui reste à définir, et bien évidemment sous réserve d'accords de réciprocité, d'étendre progressivement l'utilisation du chèque-vacances au moins aux pays membres de l'Union européenne ? Tout ce qui peut permettre à nos compatriotes de découvrir d'autres horizons, d'autres modes de vie, doit être encouragé.
Telles sont, madame la secrétaire d'Etat, en quelques mots, les remarques que je tenais à faire sur ce projet de loi. Comme vous le voyez, elles sont de nature fort positive. C'est avec plaisir que le groupe socialiste du Sénat vous fait part de son soutien dans votre action, en particulier sur ce projet de loi dont nous approuvons à la fois le principe et les modalités. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en premier lieu, je voudrais remercier les différents orateurs qui se sont exprimés sur ce projet de loi, auquel je tiens beaucoup.
J'ai remarqué avec plaisir le travail très fouillé et très fourni de votre rapporteur, M. Paul Blanc. Et, même si je ne partage pas toutes les conclusions de son rapport, je me félicite d'y avoir noté que la commission des affaires sociales, son président et son rapporteur ont décidé de s'inscrire dans la démarche du Gouvernement et d'apporter leur contribution pour que ce projet ait une portée réelle.
Je dois dire que c'est tout à fait dans cet esprit que j'entends défendre ce projet de loi.
Les enjeux de l'élargissement du chèque-vacances, sociaux pour les salariés et économiques pour le pays, méritent de confronter les idées des uns et des autres et, dans ce même état d'esprit positif, il conviendra de vérifier la validité de la portée réelle des propositions de chacun ainsi que leur faisabilité.
C'est pourquoi, avant la discussion des articles, je souhaite répondre à quelques-unes des questions qui ont été soulevées au cours de cette discussion générale.
Je suis très sensible aux remarques de M. Blanc sur les difficultés que rencontrent les ménages les plus modestes et les familles nombreuses pour partir en vacances. M. Joly a d'ailleurs également soulevé ce problème.
Je crois qu'il faut bien voir que ces difficultés ne résultent pas d'une seule cause, qui serait un demi-échec du chèque-vacances. Plusieurs facteurs ont contribué à un moindre départ en vacances des salariés modestes et des familles. Je pense à la montée du chômage, à la fermeture de grandes entreprises ou à la baisse de leurs effectifs, et à la réduction corrélative du nombre de comités d'entreprises et de leurs moyens. Lorsque les difficultés financières apparaissent, c'est d'abord, vous le savez, le budget vacances qui est rogné, comme l'a souligné M. Joly.
Enfin, les effectifs de salariés dans les PME se sont proportionnellement accrus, comme le souligne le rapport de M. Blanc, pour atteindre maintenant 55 % du secteur privé. Cela contribue à rendre plus complexe, parce que plus diffus, la distribution du chèque-vacances.
Le présent projet de loi a donc pour objectif premier de permettre à un nombre croissant de salariés des PME de bénéficier du chèque-vacances.
C'est aussi pour répondre aux difficultés des familles que j'entends conserver au chèque-vacances, sans le banaliser, sa vocation sociale d'outil d'aide au départ en vacances des salariés modestes.
Je l'ai dit en introduction, mon action ne se limite pas au chèque-vacances. Je vous ai parlé de la bourse solidarité vacances, et, en accord avec Mme Martine Aubry, nous avons décidé de mettre en place un groupe de travail, animé par le délégué interministériel à la famille, pour mettre à plat la politique familiale en matière de vacances et redonner à cette idée des vacances en famille la place qui doit être la sienne.
Sachez que je suis très attachée, comme ceux d'entre vous qui ont soulevé cette question, à la confidentialité de l'avis d'imposition des bénéficiaires. Au demeurant, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a demandé à la direction générale des impôts de résoudre ce problème, qui ne concerne d'ailleurs pas que les seuls chèques-vacances.
Mme Odette Terrade, comme M. le rapporteur et M. Domeizel, a souligné l'originalité du modèle français du chèque-vacances. Dans sa forme ou dans ses variantes, a-t-il une vocation à devenir européen ? La question est posée, pour plusieurs raisons : d'abord, parce que d'autres pays réféchissent et avancent sur le concept du chèque-vacances ; ensuite, parce que le Gouvernement n'est pas insensible à l'utilisation du chèque-vacances dans les Etats membres de l'Union européenne ; enfin, parce que va se poser la question de l'utilisation de la monnaie unique et du libellé des chèques-vacances en euros.
Toutefois, cette possibilité est encore en voie d'expertise. C'est en effet une construction extrêmement complexe, qui doit se faire de façon maîtrisée, parce qu'il s'agit d'agréer des prestataires sur le territoire de l'Union européenne.
Vous comprendrez donc bien que l'on ne peut pas agir avec précipitation. De plus, tout cela doit être fait dans le souci de ne pas déséquilibrer l'industrie touristique nationale.
Pour intervenir dans ce domaine, la réflexion doit être encore approfondie. Je vous propose de consacrer le temps qui nous sépare d'une deuxième lecture pour avancer dans ce sens.
M. Claude Domeizel et la plupart des orateurs m'ont parlé des salariés de la fonction publique actuellement écartés de l'accès au chèque-vacances.
C'est une préoccupation que je partage, comme d'ailleurs mon collègue chargé de la fonction publique, M. Zuccarelli.
Le comité interministériel d'action sociale a par ailleurs, sous l'autorité de Mme Escoffier, abordé cette question et il a proposé des pistes de réflexion qui seront discutées dans les prochaines semaines.
A ce jour, M. Zuccarelli considère qu'une ouverture aux emplois-jeunes et aux contrats emploi-solidarité n'est pas exclue, sous réserve d'une maîtrise des coûts du chèque-vacances.
D'ores et déjà, les agents contractuels de droit public et les adjoints de sécurité de la police nationale ont accès au chèque-vacances. J'ajoute que ces dispositions ne relèvent pas du domaine législatif et que, par conséquent, nous pourrons encore agir prochainement sur ce point.
Je voulais dire en outre à M. Joly que je partage l'opinion selon laquelle le chèque-vacances devrait avoir des incidences positives pour le développement du tourisme, en permettant de viser de nouvelles clientèles.
Tel est bien l'objet du présent projet de loi, puisque celui-ci ouvrira de nouveaux droits à un potentiel de 7,5 millions de salariés de PME.
Mais le texte antérieur laisse bien évidemment aux retraités la possibilité d'accéder au chèque-vacances, au travers de l'article 6 de l'ordonnance. Nous aurons peut-être encore l'occasion d'y revenir au cours du débat. En tout état de cause, croyez bien que je ne néglige pas ce potentiel touristique.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques précisions que je voulais apporter avant que nous engagions la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er