Séance du 2 mars 1999
MESSAGE
DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
M. le président. J'ai reçu de M. le Président de la République la lettre suivante :
« Paris, le 2 mars 1999.
« Monsieur le président,
« Conformément à l'article 18 de la Constitution, je vous prie de bien vouloir
trouver, sous ce pli, un message que j'ai décidé d'adresser au Parlement.
« Je vous remercie de bien vouloir en donner lecture au Sénat dès l'ouverture
de la séance de ce jour.
« Veuillez agréer, Monsieur le président, l'assurance de mes sentiments les
meilleurs. »
«
Signé :
JACQUES CHIRAC »
Je vais donner lecture du message de M. le Président de la République
(Mmes
et MM. les sénateurs se lèvent)
:
« Mesdames et messieurs,
« Au moment où le Parlement ouvre le débat sur la ratification du traité
d'Amsterdam, je voudrais, comme la Constitution m'y autorise, vous dire l'idée
que je me fais de l'Europe et de la place que la France doit y tenir.
« L'Europe est le fruit d'une nécessité, d'un idéal et d'une volonté. Elle a
surgi des décombres de la guerre et de la barbarie. Ses fondations ont été
établies sur un socle étroit, exposé dès la première heure à de nouvelles
menaces totalitaires.
« En dépit de toutes les forces contaires, elle n'a cessé de grandir. Ce fut
la réconciliation franco-allemande, pierre d'angle du projet européen, l'union
des démocraties pour défendre la paix et la liberté, la proclamation de
l'Europe des droits de l'homme. Ce fut l'élan de la reconstruction dans la
solidarité, l'Europe du charbon et de l'acier, l'EURATOM.
« Sous l'impulsion du général de Gaulle, la France s'est engagée résolument
dans le marché commun et la politique agricole commune, à nos yeux
inséparables. L'Europé a progressé, surmontant les crises de croissance,
dépassant les blocages, assez sûre d'elle-même pour s'ouvrir peu à peu à ceux
qui avaient tardé à la rejoindre. Elle n'a cessé de se renforcer dans ses
institutions comme dans ses politiques.
« Il y eut la création du Conseil européen, l'élection d'un parlement au
suffrage universel, l'Acte unique. Il y eut la libre circulation des personnes,
le marché intérieur et les nombreuses politiques communes. Il y a maintenant
l'euro, qui nous permet, avec nos partenaires, de reconquérir une souveraineté
monétaire de plus en plus difficile à exercer au niveau national. Il y aura
demain le traité d'Amsterdam, qui ouvre des voies nouvelles.
« Cette Europe, encore inachevée, les Français l'ont faite ensemble. Presque
tous, nous pouvons en revendiquer notre part. Chaque président, chaque
gouvernement a laissé sa trace dans cette grande aventure collective qui exige
autant de passion que de raison, autant d'audace que de prudence.
« A ce point de notre histoire, dans un monde qui peine à trouver ses
équilibres, il est important de nous fixer des objectifs clairs, dans l'intérêt
des peuples de l'Union et pour que l'Europe poursuive et achève sa quête
d'elle-même.
« Dans l'immédiat, c'est la consolidation de l'acquis européen, tâche de tous
les jours, souvent difficile, comme nous le voyons avec l'Agenda 2000. Le
financement de l'Union et l'avenir des politiques agricoles et régionales sont
en jeu. C'est pourquoi la France défend avec fermeté les principes et le
contrat sur lesquels s'est bâtie l'Europe.
« C'est aussi, plus largement, libérer les énergies, assurer la croissance de
l'activité sur notre continent. Notre ambition doit être de transformer le
succès de l'euro en coordonnant nos politiques économiques, en diminuant les
prélèvements obligatoires et en donnant la priorité à l'emploi.
« Réformer les institutions de l'Union pour les rendre plus efficaces et plus
démocratiques est une autre nécessité.
« Il n'est déjà pas facile de travailler à quinze avec des institutions
conçues pour six. La prochaine adhésion de nouveaux membres nous impose de
modifier au préalable la composition de la Commission comme les règles de
majorité et de pondération au Conseil.
« Les peuples ne se sentent pas assez concernés par la construction de
l'Union. Il faut qu'ils y participent davantage par leurs députés européens,
qui vont être prochainement renouvelés et dont la présence et l'engagement à
Strasbourg sont indispensables.
« Il faut aussi une plus grande implication des parlements nationaux, et je
vous invite à user largement des pouvoirs que la Constitution vous attribue en
la matière.
« Plus de démocratie, c'est enfin clarifier les responsabilités. L'Europe
s'épuiserait à vouloir traiter de tout par des réglementations excessives qui
la rendent parfois impopulaire et l'éloignent de sa vocation. Le principe de
subsidiarité, libérateur d'énergies, doit s'imposer.
« Cette tâche accomplie, il faudra solder définitivement les déchirures de
l'histoire, donner à l'Union ses véritables frontières, lui permettre
d'accueillir, dès qu'ils seront prêts, les peuples sans lesquels elle
demeurerait inaccomplie. Pendant près d'un demi-siècle, ces peuples sont restés
interdits d'Europe. L'espoir de nous rejoindre les a soutenus dans leur combat
pour la liberté et la démocratie. Nous n'avons pas le droit de les décevoir.
« Parce que souvent jugée trop technocratique, l'Europe est apparue lointaine
et abstraite. Agissons pour qu'elle s'enracine enfin dans le coeur des
hommes.
« Il y a une civilisation européenne. Elle est faite de cultures nationales
qui se parlent et se répondent depuis des temps anciens. Des grandes
universités médiévales aux encyclopédistes du xviiie siècle, cette civilisation
a été portée par les idéaux de la liberté et de l'humanisme. Elle n'est pas une
nostalgie. Elle est un projet vivant pour chaque Européen, celui d'une Europe
de la culture et de l'esprit.
« Défendre et faire vivre nos langues ; échanger les savoirs, partager les
expériences, renforcer nos pôles de recherche, mêler les hommes, professeurs et
étudiants ; harmoniser les parcours universitaires pour créer l'Europe de
l'intelligence ; mieux se connaître, et pour cela faire circuler oeuvres et
créateurs ; c'est ainsi, en faisant vivre l'Europe, que nous la ferons aimer
aux Européens, et d'abord aux jeunes parce qu'elle sera synonyme de liberté
plus grande, d'épanouissement, d'émotion et d'amitié.
« De même qu'il y a une civilisation européenne, il y a un modèle social
européen : une tradition de négociation collective, une protection contre les
aléas de l'existence, un Etat garant de la cohésion sociale. C'est aussi, pour
nous, un modèle de développement. Il est indissociable de la citoyenneté
européenne. Depuis le mémorandum que j'ai présenté au nom de la France en mars
1996 et l'impulsion donnée par le Conseil européen de Luxembourg, l'Europe
sociale progresse plus vite. L'Union se dote enfin d'une politique de l'emploi.
Elle doit, en privilégiant la voie du dialogue contractuel, rechercher une plus
grande harmonisation et une baisse coordonnée des charges pesant sur le
travail.
« Les Français seront d'autant plus attachés à l'Europe qu'elle les protégera.
Mais il faut pour cela que l'Union monte en puissance et en volonté, qu'elle
assume ses responsabilités, qu'elle soit capable de s'imposer dans les
discussions internationales et d'y relayer notre action.
« C'est par l'Europe que nous prendrons le meilleur de la mondialisation tout
en maîtrisant les forces aveugles qu'elle peut générer. C'est par l'Europe que
nous obtiendrons, ainsi que je le propose, la refonte de l'architecture
financière internationale pour mieux prévenir les crises économiques.
« Qu'il s'agisse de l'aide au développement, pour que ceux qui ne manquent de
rien aident ceux qui manquent de tout, qu'il s'agisse de la maîtrise des flux
migratoires, de la protection de l'environnement, de la lutte contre la drogue
et le terrorisme, nous serons plus forts si nous sommes ensemble.
« Je plaide depuis longtemps pour que les pays européens prennent mieux en
charge leur défense, pour que l'Union se dote de moyens militaires. Les esprits
devront encore évoluer et je m'y emploie jour après jour. La priorité est de
bâtir un partenariat de défense transatlantique mieux équilibré, dans l'esprit
de la récente déclaration franco-britannique de Saint-Malo. L'Europe doit
pouvoir jouer tout son rôle dans le règlement des crises qui la concernent,
comme elle a commencé à le faire au Kosovo.
« Le moment est venu de jeter les bases d'une véritable politique étrangère et
de sécurité commune. Il y faudra du temps et de la persévérance. Mais la France
est bien dans son rôle en proposant à ses partenaires que l'Europe pousse à
l'organisation d'un monde multipolaire fondé sur l'ordre juridique
international patiemment bâti depuis cinquante ans. Ayons pour ambition de
faire de l'Union européenne un ensemble politique porteur de paix, d'équilibre
et de progrès dans le monde.
« Mesdames et messieurs, voilà l'Europe que je souhaite, une Europe qui doit
être l'expression commune des peuples qui la composent, dans la fidélité à leur
identité, à leur langue, à leur culture. Aucun n'accepterait de s'y dissoudre.
Chacun, à travers elle, veut au contraire exister davantage.
« Le destin de la France n'a jamais été de se replier sur son hexagone. Il est
au contraire de se projeter vers l'extérieur et de faire vivre et partager ses
idéaux. Cette identité française, à laquelle nous sommes tous si profondément
attachés, a, aujourd'hui et pour les temps qui viennent, besoin de l'espace
européen pour s'exprimer, pour essaimer, pour évoluer. Loin d'être incompatible
avec l'idée de nation, l'Europe est le lieu politique et spirituel où cette
idée peut respirer et s'enrichir avec le plus de force.
« Certes, des difficultés nous attendent qui sont le poids des habitudes, les
conflits d'intérêts, les réticences de certains à entrer pleinement dans le
mouvement et à en accepter le rythme et l'ampleur. Nous savons aussi qu'une
volonté politique sera nécessaire pour défaire les noeuds qui trop souvent nous
empêchent d'avancer et de gagner, pour tirer le meilleur parti des atouts que
sont nos richesses humaines, nos entreprises, notre recherche, notre espace
rural et maritime.
« Les élus du peuple que vous êtes, l'élu du peuple que je suis, nous devons,
les uns et les autres, prendre toute notre part à cette grande oeuvre
collective. Pour mieux servir les Français, je veux bâtir une Europe humaine et
puissante. Etre ambitieux pour la France, c'est aussi être ambitieux pour
l'Europe. »
(Applaudissements sur de nombreuses travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Emmanuel Hamel.
Vive la France libre !
M. le président.
Le Sénat donne acte à M. le Président de la République de son message, qui
sera imprimé sous le numéro 242 et distribué.
Mes chers collègues, avant d'aborder la suite de l'ordre du jour, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.