Séance du 17 décembre 1998
MODIFICATION DES ARTICLES 88-2 et 88-4
DE LA CONSTITUTION
Suite de la discussion
d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de discussion du projet de loi
constitutionnelle (n° 92, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale,
modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution. [Rapport n° 102
(1998-1999).]
Dans la suite de discussion générale, la parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, la modification de la Constitution rendue nécessaire par le
traité d'Amsterdam nous conduit une fois de plus à engager le débat sur
l'opportunité et la nécessité de franchir une nouvelle étape de la construction
européenne.
Dire oui à la révision constitutionnelle, c'est écarter un obstacle sur la
voie de la ratification du traité, un traité - cela a été rappelé hier soir -
qui comporte des lacunes et des imperfections mais qui, malgré tout, est une
expression supplémentaire du processus lent mais continu de la construction
européenne.
Rien dans le traité n'évoque une grande ambition, un souffle nouveau ou
l'esprit visionnaire, mais les quinze partenaires ont réussi à dégager des
propositions modestes fruit de l'unanimité qui constituent somme toute un
progrès.
C'est pourquoi, par raison et par nécessité, nous approuvons le projet de loi
constitutionnelle modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution. Mais,
même si le contenu reste très en deçà de ce que le Sénat appelait de ses voeux
le 14 mars 1996, lors du débat préalable à la tenue de la conférence
intergouvernementale, notre approbation est résolue et ne laisse pas de place à
l'hésitation.
M. Xavier de Villepin.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Et cela pour quatre raisons.
D'abord, parce que l'Union européenne éprouve beaucoup de difficultés à passer
d'un stade où son unité était forgée par une menace extérieure commune à une
situation où il s'agit d'affronter d'autres périls et de maîtriser des
problèmes d'une tout autre nature.
L'inefficacité de l'Union face à la situation en ex-Yougoslavie, l'incapacité
de dégager des mesures concrètes dans la lutte contre le chômage, la difficulté
de passer aux actes pour les réseaux transeuropéens, l'absence sur la scène
mondiale d'une Europe s'exprimant d'une seule voix, l'insuffisance des moyens
de lutte contre tous ceux qui menacent la sécurité en sont autant
d'illustrations.
Et que dire, ce matin, d'une Union européenne qui reste sans voix face à la
nouvelle crise en Irak à propos de laquelle les Etats membres adoptent des
attitudes divergentes ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Très juste
!
M. Daniel Hoeffel.
C'est encore une raison supplémentaire pour souhaiter que l'Europe soit forgée
!
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, sur les travées
socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La deuxième raison de notre engagement tient au fait que l'ampleur des
problèmes à résoudre est telle que les procédures en vigueur dans l'Union
européenne ne sont plus à la mesure des enjeux.
Vouloir avancer par la voie intergouvernementale, c'est être condamné à
trouver un consensus sur la base du plus petit dénominateur commun, et ce qui
est vrai pour l'Europe des Quinze l'est encore plus pour une Europe des Vingt
ou des Vingt-cinq. Le
statu quo
institutionnel conduit nécessairement à
la paralysie.
Le troisième motif découle du choix qu'avait fait, dès 1995, le Président de
la République en faveur d'une Europe plus politique et plus proche des
citoyens. Cela suppose un exécutif politique visible, permanent, responsable et
contrôlé, une redéfinition des prérogatives du Parlement européen actuellement
mal enraciné.
Cela dépend aussi des parlements nationaux, qui doivent renforcer leur
contrôle sur l'action des représentants des pays membres.
La quatrième et dernière raison de notre adhésion au traité d'Amsterdam
découle de la situation géopolitique de l'Europe d'aujourd'hui et de demain.
Vers 2025, l'Europe tout entière, moins la Russie, représentera 4,5 % de la
population mondiale et le tiers seulement de la population de la Chine ou de
l'Inde.
Le rapport démographique actuel entre la Communauté européenne et l'Afrique
est de 1 à 3 et l'écart économique, de 1 à 7. L'Europe se trouve donc à
proximité de la zone à la fois de misère et de croissance démographique la plus
vaste du monde.
Les courants migratoires de la seconde partie du xxe siècle se font presque
exclusivement à partir du Sud vers le Nord, en particulier en Europe. Ce
phénomène, qui résulte de la pression démographique, aura pour conséquence,
d'ici à 2010, soit dans onze ans, de voir déboucher sur le marché du travail du
Sud quelque 600 millions de jeunes, c'est-à-dire plus que la population de
toute l'Europe.
Quel pays européen peut encore prétendre trouver seul les moyens permettant de
relever un défi d'une telle ampleur ? Les pays européens sont condamnés à
trouver les solutions ensemble. Chacun d'eux, s'il reste isolé, sera rapidement
submergé.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que
sur les travées socialistes.)
Même si l'on peut regretter que le traité d'Amsterdam n'apporte que des
solutions limitées et incomplètes, il n'en va pas moins dans la bonne
direction, en prévoyant l'établissement progressif d'un espace de liberté, de
sécurité et de justice, en encourageant la coopération dans les domaines de
l'emploi, de l'exclusion, de l'environnement et de la santé publique, en dotant
la politique étrangère et de sécurité commune d'instruments plus précis, en
introduisant une communautarisation partielle et progressive dans les domaines
de la justice et de la sécurité.
A la réforme institutionnelle cohérente, pourtant nécessaire, les membres de
l'Union européenne ont préféré une politique des petits pas ; mais ces petits
pas sont bien orientés.
Je tiens à rendre hommage à M. le président de Villepin pour son rapport
d'information intitulé :
Faut-il ratifier le traité d'Amsterdam ?
ainsi
qu'à notre rapporteur, M. Pierre Fauchon, pour le travail qu'il a accompli dans
un contexte délicat. Je remercie également le président de la commission des
lois, M. Jacques Larché, de la force et de l'esprit de son message d'hier
soir.
En approuvant leurs conclusions, nous tenons à les assortir de quatre
observations.
Tout d'abord, la révision de la Constitution signifie approbation du transfert
de nouvelles compétences de l'Etat vers l'Union européenne.
Je comprends le cas de conscience - qui, sur un sujet comme celui-là, pourrait
ne pas avoir de cas de conscience ? - que cela représente pour beaucoup d'entre
nous, mais ne faut-il pas plutôt y voir, avec M. le rapporteur, une
interprétation positive adaptée aux circonstances, quand il affirme : « Cet
exercice en commun de compétences ne saurait être confondu avec un abandon de
la souveraineté nationale. Il offre des possibilités d'action plus grandes
qu'une souveraineté solitaire aujourd'hui largement fictive. » ? Nous pouvons
le regretter, mais c'est une situation de fait qui s'impose.
La deuxième observation concerne les problèmes de sécurité et de libre
circulation des personnes sous tous leurs aspects, qui constituent un élément
essentiel du traité d'Amsterdam, qui intègre, en particulier, les acquis de
Schengen, auxquels notre collègue, M. Paul Masson, nous sensibilise depuis
l'origine avec constance, avec compétence et avec talent.
L'ouverture des frontières intérieures de l'Europe a rendu les contrôles
nationaux inopérants. Il est donc inévitable et indispensable que le contrôle
s'exerce efficacement sur les frontières extérieures communes de l'Union.
L'action intergouvernementale ne s'est pas révélée très efficace sur ce plan,
il faut le reconnaître.
La communautarisation s'impose donc à cet égard car il ne paraît pas
souhaitable, en ce qui concerne la lutte contre la drogue, exemple cité hier
soir, que la règle de l'unanimité conduise un seul pays à imposer à tous les
autres une vision laxiste des solutions à apporter.
(« Tout à fait ! » et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Et ce qui est vrai pour la drogue l'est aussi en matière de maîtrise de
l'immigration ou de lutte contre le crime organisé, les criminels étant, hélas
! en avance du point de vue de la communautarisation par rapport à ceux qui les
combattent.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Très juste !
M. Daniel Hoeffel.
Il convient par ailleurs de rappeler à ce propos que le transfert de ces
compétences ne porte pas atteinte - ce point est fondamental - à l'exercice des
responsabilités qui continueront et devront continuer à incomber aux Etats
membres pour le maintien de l'ordre public et pour la sécurité intérieure.
Ma troisième observation a trait au délai de cinq ans à l'issue duquel le vote
à la majorité qualifiée pourrait s'appliquer à certaines compétences.
On peut avoir, à cet égard, une vision pessimiste ou une vision confiante. Je
partage la vision confiante de M. le rapporteur lorsqu'il affirme : « La
majorité qualifiée est une incitation pour les Etats à négocier sérieusement
sur les propositions qui leur sont faites, tandis que l'unanimité est un
facteur d'inertie et de marchandage. »
J'ai confiance en la France, en sa capacité de faire partager ses vues et en
son aptitude à convaincre ses partenaires. Ne soyons ni frileux ni défaitistes
ni résignés ! La France a tant de fois démontré depuis l'origine de la
construction européenne que son rôle était déterminant et qu'elle avait une
capacité d'entraînement qu'on se demande pourquoi, maintenant, nous nous
laisserions submerger par le doute. N'y allons pas à reculons, tâchons plutôt
de faire partager notre vision des choses.
Ma quatrième et dernière remarque concerne le rôle accru qui incombera
désormais aux parlements.
Au Parlement européen, d'abord.
La codécision entre le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen
est étendue aux domaines où intervient une décision à la majorité qualifiée,
sauf les politiques agricoles et commerciales communes, sur lesquelles,
monsieur le ministre, un certain nombre de garanties supplémentaires devraient
nous être données.
C'est incontestablement une sécurité et une garantie, à la condition que notre
pays prête à l'élection européenne l'importance qui convient, et que celle-ci
cesse d'être considérée pour les critères de choix des candidats comme une
élection résiduelle par rapport aux élections nationales.
(« Très bien ! »
et applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
C'est une condition essentielle pour que s'exerce dans de bonnes conditions le
contrôle indispensable du Parlement européen et pour que la France puisse y
faire valoir avec autorité sa position et sa volonté.
(Nouveaux
applaudissements sur les mêmes travées.)
Quant au rôle des parlements nationaux, il se trouve confirmé même si M. le
président de Villepin regrette, à juste titre, que le traité d'Amsterdam se
borne à reconnaître l'acquis plutôt que de prévoir de nouvelles avancées.
(« C'est exact ! » sur les travées de l'Union centriste.)
Nous devons saluer, à cet égard, l'action positive des délégations pour
l'Union européenne qui assurent la veille parlementaire et qui continueront de
plus en plus à donner aux gouvernements le point de vue du Parlement, ce qui ne
peut que leur conférer davantage de poids dans les négociations qu'ils ont à
mener.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, notre groupe votera la révision
constitutionnelle. Cette position se situe dans la continuité des choix
qu'étape après étape nous avons effectués pour que se réalise la construction
européenne.
Pour que nous n'ayons pas à le regretter, la France devra être porteuse d'une
vision forte et non timorée, d'une volonté claire et non hésitante.
Rien ne justifie la crainte d'une quelconque marginalisation. Encore faut-il
que la France soit, dans l'Union européenne, un levain, qu'elle soit offensive
et sans complexe.
Elle en a démontré maintes fois sa capacité dans le passé. Pourquoi ne
contituerait-elle pas à le faire dans l'avenir ? C'est la mission que
l'histoire lui a léguée. Elle saura, à n'en pas douter, s'en montrer digne dans
l'avenir.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, sur les travées
socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues : « L'Europe aspire visiblement à être gouvernée par une
commission américaine ! Toute sa politique s'y dirige ». Ainsi s'exprimait en
1930 le grand penseur politique français Paul Valéry dans
Variétés.
Depuis lors, fort heureusement, nous avons fait du chemin, mais ces deux
phrases nous relient à une actualité consternante et elles nous portent à
réfléchir.
Le sénateur du Gers, et donc d'Armagnac, ne peut manquer de se sentir concerné
par d'autres propos de ce même auteur : « Les misérables Européens ont mieux
aimé jouer aux Armagnacs et aux Bourguignons que de prendre sur toute la terre
le grand rôle que les Romains savaient prendre et tenir dans le monde de leur
temps. »
Pour lui répondre, à lui et à ceux qui, aujourd'hui, hésitent encore sur la
démarche au nom du particularisme régional ou de la souveraineté nationale, je
dirais simplement que l'on peut s'affirmer profondément armagnacais, français
et résolument européen.
L'Europe ne gomme pas les spécificités régionales. Elle n'enterre pas notre
souveraineté. Elle ne nous affaiblit pas. Elle est au contraire un
extraordinaire amplificateur de puissance pour les nations européennes.
La ratification du traité d'Amsterdam sera la poursuite légitime de l'oeuvre
des grands Européens : Monnet, Schumann, de Gaulle, dont la politique de la
chaise vide angoissait les négociateurs des cinq autres partenaires, mais qui a
mis en application le traité de Rome ; Giscard d'Estaing, architecte de l'euro,
qui a su mettre en place la clé de voûte de l'édifice en introduisant la notion
de subsidiarité, laquelle maintient l'esprit des nations et autorise la
vitalité des régions ; Mitterrand, qui, avec solennité et émotion, prend la
main de Kohl à Verdun ; Chirac, qui impulse aujourd'hui notre politique
européenne.
Il nous est demandé d'approuver ou de refuser une nouvelle modification de
notre Constitution, la douzième depuis 1958. Modifier le texte fondamental qui
organise l'équilibre des pouvoirs et pose les fondements de notre société est
un acte grave. Ces modifications ne peuvent donc être apportées sans une
vigilance extrême, car il ne saurait être question de modifier la Constitution
au gré de besoins fluctuants. Le poids des règles de procédure est d'ailleurs
là pour nous rappeler la gravité de cet acte.
Pour la seconde fois dans l'histoire de la Ve République, cet examen est rendu
nécessaire par la signature d'un traité européen. La question de l'introduction
d'une clause générale dans la Constitution vient de plus en plus à l'esprit.
Soyons concrets : le Conseil constitutionnel, en soulignant les trois articles
du traité qui « portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale », nous pousse à approuver ou à refuser le traité sur le
fond. C'est pourquoi mon propos portera sur le traité lui-même, l'étude
juridique de ce projet de loi constitutionnelle, excellement conduite par le
rapporteur, ne nécessitant guère de complément.
En votant oui au traité de Maastricht, les Français ont accepté le principe de
la mise en place de l'euro, et c'est au moment même de sa mise en oeuvre
effective que nous sommes appelés à nous prononcer sur l'étape suivante.
L'Europe avance et continuera à avancer par notre volonté.
Cependant, ayant pris notre décision, nous balançons longuement.
Enfin, ceux qui balancent sont, d'une part, ceux qui ont voté non à Maastricht
et, d'autre part, certains « pluriels » de la majorité gouvernementale.
Lors de sa signature, le Gouvernement semblait ne pas savoir qu'Amsterdam
était annoncé par Maastricht et s'est comporté comme s'il n'avait pas eu le
courage de dire non et se laissait emporter par le toboggan qui l'a conduit à
Amsterdam.
Le Premier ministre aurait pu se contenter de critiquer certains points au
lieu de prétendre que le manque de temps rendait la signature inéluctable.
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est mal à l'aise dans ce débat et,
ne pouvant compter sur sa majorité plurielle, il en appelle à l'opposition !
Mais il est bon qu'il existe sur l'Europe des accords transversaux.
Pour essayer de faire accepter le traité à ses alliés, le Premier ministre a
introduit un volet social, qui n'est que de pure forme puisqu'il ne traduit
aucun engagement concret. Cette stratégie ne sert pas la cause européenne :
elle contribue à en brouiller le paysage.
Bien sûr, l'Europe sociale est un corollaire indispensable à l'Europe
économique et financière. Mais, bien que le Gouvernement affirme que, treize
gouvernements sur quinze étant socialistes, il devrait s'ensuivre une forte
convergence, M. Blair a démontré au sommet de Vienne que ce serait
difficile.
Ce traité contient une lacune majeure sur le plan institutionnel, mais,
monsieur le ministre, vous l'avez dit hier, il fait accomplir à la construction
européenne des progrès réels en matière d'asile, d'immigration, de sécurité et
de justice. Il sera surtout perceptible par nos concitoyens, car il ouvre la
voie à la création d'un véritable espace de circulation.
L'euro dans sa poche, le citoyen aura enfin une règle de conduite à
l'intérieur de ses frontières. D'aucuns diront que ces questions n'ont pas à
être communautarisées. Il s'agit de confiance, mes chers collègues. Ainsi, nous
accepterions de créer un marché commun, puis d'instaurer une monnaie unique, de
faire voter et élire dans nos communes les ressortissants communautaires, mais
cette confiance disparaîtrait dès que l'on considère la circulation intérieure
et la politique à définir en matière de visa ?
Maîtrise de l'immigration, lutte contre la criminalité et le trafic de drogue,
politique étrangère et de sécurité commune... sur tous ces sujets, une action
étroitement concertée entre les Etats membres est non seulement utile, mais
indispensable.
Il est vain de croire que l'on peut faire face à des situations comme l'afflux
de réfugiés d'Albanie en Italie ou venant d'ex-Yougoslavie en Allemagne en
jouant chacun pour soi. Il est également honteux d'avoir vu l'Europe aussi
pusillanime devant le drame de la Bosnie.
L'action doit être collective et la règle de l'unanimité s'y oppose. Le traité
prévoit le passage à la majorité qualifiée dans cinq ans, et je ne vois pas là
un inconvénient, un risque, voire un danger pour la France, comme certains
l'analysent, puisque rien ne nous y contraindra.
Accepter aujourd'hui Amsterdam amendé, en nous donnant la possibilité de
revenir en arrière dans cinq ans, c'est tout simplement déresponsabiliser notre
engagement. C'est surtout le meilleur moyen de ne pas gagner l'adhésion des
citoyens.
(M. Jacques Machet applaudit.)
Dernier point : le contrôle par le Parlement des actes de l'Union européenne.
Il est légitime que l'Assemblée nationale et le Sénat soient désireux
d'améliorer l'information dont ils disposent et le contrôle qu'ils exercent.
Regardons l'Europe avec les yeux de la jeunesse. C'est certainement un des
rares desseins qui peut générer son enthousiasme. Ne la décevons pas.
Franchissons l'étape du 18 janvier au Congrès avec panache, c'est-à-dire sans
restriction. Ratifions le traité avec conviction, comme neuf autres Etats l'ont
déjà fait.
Préparons-nous ensuite à la prochaine étape qui, je l'espère, permettra enfin
une réforme institutionnelle profonde pour nous conduire, à moyen terme, vers
une Europe à caractère fédératif, selon la définition de
l'Esprit des
lois.
Mes chers collègues, le groupe auquel j'appartiens, le Rassemblement
démocratique et social européen, est fier de son nom. Il a eu et contient
encore en son sein des hommes de forte conviction européenne : Maurice Faure,
qui a joué un rôle essentiel dans les négociations du marché commun et la
signature du traité de Rome ; M. Jean François-Poncet, président du Mouvement
européen ; M. Guy-Pierre Cabanel, rapporteur du traité sur l'Acte unique,
etc.
Ce traité recèle une connotation humaniste. Il replace l'homme au centre du
débat en montrant que l'Europe, ce n'est pas seulement des règlements irritants
et des querelles budgétaires. La totalité des membres du groupe du RDSE votera
en l'état le projet de loi constitutionnelle modifiant les articles 88-2 et
88-4 de la Constitution.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur certaines
travées du RDSE.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Masson.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
M. Paul Masson.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, ce débat n'est pas médiocre.
Quelques-uns, ici, M. Larché, M. Badinter, M. Barnier, M. Hoeffel, ont donné à
ce texte infiniment technique, voire rébarbatif, le souffle nécessaire pour
éclairer les enjeux, pour les mettre en perspective et prendre nos résolutions
en pleine connaissance des risques et des ambitions.
Mon propos sera plus modeste, plus technique aussi sans doute, et s'efforcera
d'amener notre assemblée à mieux percevoir la difficulté de l'oeuvre, ses
risques au quotidien et les conséquences pour la France d'une erreur possible
dans ses choix, parce que, les uns et les autres, nous ne saurions oublier la
France.
Dans le débat européen, il y a toujours le risque de considérer que certains -
bien sûr, les meilleurs - sont les visionnaires de l'avenir et que les autres,
les « pousse-cailloux » de la vie quotidienne, sont toujours tirés vers le
bas.
Ce serait une grossière erreur de diviser ainsi la France en deux. Non, mes
chers collègues, pas ici, et pas nous ! Il y a chez les uns et les autres
l'intelligence des situations européennes et la perception des enjeux pour
l'Europe.
Nous pensons que cette Europe peut être profondément imprégnée du génie
français, de la culture française, de l'énergie française, de l'universalisme
de la pensée française.
Nous pensons cela, mais à condition que l'Europe soit entre les mains de ceux
qui décident aussi pour la France et qu'elle ne soit pas systématiquement sans
visage, incolore, insipide, organisée autour de 1 000 commissions, enfermée
dans les débats de 20 000 fonctionnaires, débats dont personne, ni l'Etat ni
les gouvernements, ne perçoit la finalité tant l'action hâchée, éclatée ne
laisse rien apparaître, sauf les mesquines discussions techniques autour de
chiffres et de calculs !
L'Europe, nous la voulons. Mais nous pensons qu'il est temps de faire chez
nous la paix des ménages, afin que nous ne soyons pas enfermés dans cette
guéguerre franco-française qui, une fois pour toutes et encore voilà peu, je le
regrette, a classé les bons d'un côté et les méchants de l'autre !
Lorsque le Conseil constitutionnel considère que la matière dont nous
débattons porte atteinte « aux conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale », on se demande s'il ne grossit pas le trait dans son
analyse.
Il faut le dire : cette réforme, comme toutes les réformes de cette nature, ne
passionne pas l'opinion. Ici même, ce débat apparaît souvent comme un ensemble
de mesures de procédures qui ne concernent que les seuls spécialistes.
Appeler le peuple à se prononcer par référendum sur un tel sujet semble au
moins inadapté, sinon emphatique. Pour certains, la révision de la Constitution
apparaît comme une formalité. Et pourtant, il s'agit des conditions dans
lesquelles pourront circuler librement les étrangers sur le territoire des
quinze Etats membres et des conditions dans lesquelles ils seront contrôlables,
et, éventuellement, refoulés.
Il n'échappe à personne qu'il s'agit là d'une matière éminemment controversée,
particulièrement sensible, dans laquelle les polémiques, depuis longtemps, ont
divisé les camps, peut-être d'ailleurs en France plus que chez les autres.
L'objet de cette réforme constitutionnelle est bien de savoir qui va, dans les
dix prochaines années, déterminer les conditions d'entrée et de séjour, les
normes et modalités auxquelles doivent se conformer les Etats pour effectuer
les contrôles aux frontières extérieures, les mesures tendant à assurer un
équilibre entre les efforts consentis par ces mêmes Etats pour accueillir les
réfugiés temporaires, les conditions dans lesquelles le fardeau, nouveau mot
apparu au firmament de Bruxelles - excusez-moi du terme, le fardeau, ce sont
les étrangers - les conditions dans lesquelles donc le fardeau sera réparti
entre les Etats, la politique des regroupements familiaux, la lutte contre
l'immigration clandestine, la répression des clandestins, bref, tout ce que
contient la célèbre ordonnance de 1945 en France, modifiée pour la
vingt-sixième fois voilà moins d'un an.
A la lecture de ce projet de réforme, on ne peut s'empêcher de se demander
pourquoi le Gouvernement n'a pas fait, en décembre 1997, l'économie d'un débat,
dont chacun a vécu l'âpreté et dont il supporte aujourd'hui les conséquences
difficiles, avec notamment le problème dit des sans-papiers et des clandestins
officiels.
Pourquoi donc, puisque nous sommes tous d'accord sur la nécessaire mise en
conformité de nos règlements et de nos dispositions concernant les étrangers,
avoir, voilà moins d'un an, sur l'initiative du même gouvernement et sous la
responsabilité du même Premier ministre, élargi les bases sur lesquelles, en
France, nous régissions nos rapports avec les étrangers et écarté un peu plus
les dispositions de l'ordonnance de 1945, dispositions similaires à celles qui
régissent ces mêmes rapports, au Benelux, en Allemagne ou en Grande-Bretagne
?
Il faudra, demain, rapprocher les différentes législations, et ce ne sera pas
facile !
Pourquoi donc avoir encore élargi, voilà moins d'un an, la brèche ?
Permettez-moi, mes chers collègues, de constater qu'il n'y a pas là une logique
fondamentale ou qu'en tout cas les ministres « européens » qui étaient en place
à l'époque n'avaient pas voix au chapitre s'agissant de supprimer les lois
Pasqua-Debré.
Depuis longtemps, nous sommes plusieurs à être convaincus de la nécessité de
mettre en commun les moyens nécessaires pour organiser une politique
d'immigration à l'échelle de l'Europe. Nous savons que cette procédure est,
pour la France comme pour nos partenaires, une exigence incontournable.
N'importe quelle analyse objective de la situation aux frontières et des
mutations démographiques, existantes ou attendues, aboutit à cette
conclusion.
Comme l'écrit M. le rapporteur, l'ouverture des frontières intérieures,
corollaire de la réalisation du marché unique, implique une action commune pour
la gestion des frontières extérieures comme pour la politique d'immigration.
Sans aucun doute, la souveraineté partagée offre à ceux qui l'acceptent des
possibilités d'action plus grandes qu'une souveraineté solitaire aujourd'hui
dépassée.
(Très bien ! sur les travées de l'Union centriste.)
Mais l'action commune peut s'exercer selon deux voies. Ce point n'est pas
évoqué dans notre débat, et je le regrette.
Je regrette qu'à aucun moment vous n'ayez expliqué devant le Parlement
pourquoi la coopération inter-Etats est délaissée, pourquoi l'action
communautaire est privilégiée.
Notre débat n'évoque en effet que la seule voie qui a été choisie,
semble-t-il, celle de la Commission.
Or, en cette matière explosive, la Commission n'a comme référence et comme
expérience que la mise en place d'une politique commune de visas, qui est en
définitive la politique la plus simple, celle qui ne requiert aucune
intervention spécifique, politique mesurée et, je dirai, plus délicate.
Pour simplifier, je dirais que le Gouvernement pouvait opter pour la voie des
treize ou celle des quinze.
La voie des treize, madame la ministre, vous la connaissez bien puisque vous
l'avez brillamment défendue à l'époque ; c'était en 1990.
Il s'agissait de la ratification de la convention portant application du
traité de Schengen.
Depuis six ans, six Etats d'abord, puis d'autres - nous sommes treize
maintenant - ont fortement avancé dans la maîtrise des problèmes de la
circulation des étrangers sur l'espace Schengen.
Je ne peux pas laisser dire ici, ou murmurer dans les couloirs, que Schengen
est un échec et que rien n'en est sorti.
Certes, les choses furent difficiles. Les administrations n'étaient pas
forcément rodées à ces problèmes - c'est probablement ce qui arrivera demain à
la Commission - les Etats n'étaient pas préparés, les polices étaient
réticentes, les frontières étaient mal contrôlées. Mais tout s'est mis en
place.
Aujourd'hui, grâce à Schengen, treize Etats disposent d'une série de textes
importants, réglant dans la pratique - dans la pratique mes chers collègues,
enfin le mot « pratique » apparaît ! - bien des procédures de contrôle, de
refoulement et d'asile.
En vérité, la seule matière existant actuellement dans le domaine de la
sécurité intérieure européenne, il faut bien se le mettre en tête, c'est ce que
l'on appelle « l'acquis Schengen ».
Personne ne peut contester que, grâce à Schengen, les administrations
nationales de la sécurité ont renforcé leur coopération judiciaire, policière
et douanière.
Le droit de suite s'applique. Le contrôle aux frontières extérieures de
l'espace se renforce progressivement. Il y a des missions françaises, des
missions allemandes qui vont les unes sur l'Oder, les autres dans la botte
italienne.
La définition d'une coopération policière bilatérale de part et d'autre des
frontières linéaires se développe, progrès éminent. Voyez la convention
franco-allemande ; voyez la convention franco-espagnole ; voyez la convention
franco-italienne.
Le vrai contrôle s'effectue non pas sur la frontière linéaire, mais sur une
bande de quarante kilomètres de part et d'autre de la fontière dans laquelle on
visite les véhicules, on interpelle, on vérifie l'identité. Voilà la vraie
sécurité : créer une zone d'insécurité pour les trafics entre les pays du même
espace.
Ainsi, la lutte contre le trafic des stupéfiants s'organise, même si les
choses sont difficile avec les Pays-Bas.
Enfin a été créé - il fonctionne aujourd'hui convenablement - un système
informatique centralisé des signalements des personnes recherchées qui compte
plus de 8 millions de données. L'extension de ce dispositif est prévue pour
qu'il intègre, dans les deux ans, 15 millions de données.
Tous les douaniers français, tous les gendarmes français, tous les policiers
français connaissent Schengen aujourd'hui. Ils le pratiquent tous les jours :
c'est l'interrogation du système d'information Schengen, le SIS ; ce sont les
contrôles d'identité inopinés dans la bande territoriale de 40 kilomètres de
chaque côté des frontières ; ce sont les missions conjointes ; bref il est
entré dans la vie !
On est sorti des directives, on est sorti des théories, on est engagé sur le
terrain. Et voilà qu'intervient le problème des étrangers réguliers et
irréguliers. Or, en cette matière, l'irrégularité, j'ose le dire, est presque
la règle, et c'est bien là le problème !
Voilà la voie des Treize.
L'autre voie, c'est la voie de la Commission ; c'est la voie des Quinze.
Le titre IV du traité est clair : toutes les matières qui concernent la libre
circulation des personnes et les domaines qui y sont liés tombent, dès la
ratification du traité, et non pas dans cinq ans, dans le domaine de la
Commission.
Juridiquement, la compétence communautaire sera totale dès lors que le traité
sera ratifié par tous les Etats signataires. Seules les modalités seront
progressivement mises en oeuvre, à l'unanimité d'abord, puis, s'il y a lieu, à
la majorité dans cinq ans.
Alors, que deviennent les acquis de Schengen ? Personne n'en parle ou peu, ou
timidement. Ils sont pourtant substantiels, madame le garde des sceaux.
Sont-ils purement et simplement transférés à la Commission ? Ce n'est pas ce
que dit le traité ! Le traité, dans un protocole annexe, précise que Schengen
sera intégré dans l'Union européenne selon une procédure bien définie. Ces
fameux acquis seront, comme on dit, ventilés entre le premier et le troisième
piliers, c'est-à-dire entre la partie communautaire et la partie
intergouvernementale du traité de l'Union, et ce en fonction de bases
juridiques sur lesquelles reposent toutes les mesures du traité.
Quelles sont ces bases juridiques ? Quel est le partage qui a été effectué ?
Nous sommes au terme de la procédure ; or, monsieur le ministre, nous ne
connaissons rien des tractations en cours. N'est-il pas désagréable de
constater, à cette occasion précise - un rendez-vous doit avoir lieu dans
quelques semaines - que le Parlement est très rigoureusement tenu à l'écart
?
Voilà un bel exemple de dysfonctionnement ! Pour obtenir quelques
informations, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a dû se livrer à
une recherche difficile. Il fallut interroger nos collègues étrangers.
Reconnaissez qu'il est un peu désagréable à un parlementaire français d'avouer
qu'il n'est pas, lui, informé de ce que les autres savent tout naturellement et
quotidiennement.
Nous savons simplement, monsieur le ministre - peut-être nous le
confirmerez-vous - qu'un groupe de négociateurs, composés de fonctionnaires,
travaillent auprès du Conseil.
Les négociations, engagées en octobre, semblent proches de leur terme. La
dernière étape butte, semble-t-il, sur deux questions essentielles : la clause
de sauvegarde des accords de Schengen - pas celle du traité, le fameux article
2-2 - et l'avenir du système informatique intergouvernemental.
Dois-je rappeler, madame le garde des sceaux, que la clause de sauvegarde fut
un élément déterminant de la ratification de la convention de Schengen en 1990
? Vous l'avez dit vous-même, madame, alors que vous étiez ministre des affaires
européennes, devant la commission de contrôle du Sénat, le 26 septembre 1991.
J'ai encore vos propos dans l'oreille. Vous déclariez que « cette clause
permettrait en tout état de cause de rétablir les contrôles aux frontières
nationales si l'application de la convention révélait des lacunes graves ».
La France, vous le savez, appliqua cette clause de sauvegarde dès 1995.
D'autres pays l'utilisèrent également. L'Allemagne, elle-même, a menacé de
recourir à ce dispositif si la solidarité de l'Union européenne ne permettait
pas de mettre fin à l'afflux des Kurdes et des Kosovars.
Qui, monsieur le ministre, contrôlera demain l'usage de cette clause de
Schengen ? Si, d'aventure, il devait être décidé que celle-ci relève à l'avenir
du pilier communautaire, les conditions de l'application de cette clause - par
ailleurs indispensable - qui sont aujourd'hui définies par une décision du
comité exécutif de 1996, ne seraient alors réglementées que sur la seule
proposition de la Commission, sous le contrôle de la Cour de justice et avec
l'avis du Parlement. C'est tout à fait différent, j'espère qu'on le comprend
bien.
En réponse à une question écrite que je lui avais posée, M. Chevènement
m'assurait que le rattachement de l'acquis de Schengen à la partie
intergouvernementale du traité constituait « un enjeu essentiel en termes de
souveraineté nationale » et que, pour sa part, il « refuserait toute dérive
éventuelle qui ne serait conforme ni au traité d'Amsterdam ni à la souveraineté
nationale ». Est-ce toujours le sentiment du Gouvernement ?
Faut-il le rappeler, de l'avis de tous les juristes européens, le traité
prévoit l'unanimité pour décider de la répartition de l'acquis de Schengen. Or,
nous sommes bien dans l'acquis de Schengen.
C'est-à-dire qu'il suffira de l'opposition d'une seule délégation pour que
cette ventilation n'ait pas lieu, pour cause de désaccord. Mais alors, si cette
ventilation n'a pas lieu, mes chers collègues, c'est tout l'acquis de Schengen
- je dis bien « tout », pas deux clauses mais les cent quarante-deux articles -
qui serait
ipso facto
transféré immédiatement au troisième pilier, et
resterait donc sous le contrôle des gouvernements.
Ainsi, le gouvernement français dispose dans les semaines qui viennent d'une
arme considérable pour la négociation. Il s'agit non pas d'aller aux extrêmes,
mais de rappeler à nos partenaires que, si nous le voulons, nous laissons dans
le troisième pilier, donc entre les mains des Etats, tout l'acquis de Schengen,
dont j'ai dit tout à l'heure qu'il fera, demain, la matière de la Commission.
De sorte que, si la Commission n'a pas l'acquis de Schengen, elle n'aura rien,
et il ne lui restera plus qu'à reconstituer péniblement, année par année, tout
ce que les Etats ont élaboré pendant six ou sept ans de lents travaux.
Le Gouvernement dispose donc d'une arme considérable, qui constitue également
une responsabilité lourde pour l'avenir.
En transférant l'essentiel de l'acquis de Schengen dans le droit
communautaire, vous comprenez bien que le Gouvernement prend, en effet, une
option fondamentale sur l'orientation des négociations à venir, notamment dans
cinq ans, puisqu'il peut choisir soit de livrer à la Commission les moyens
substantiels d'une action dont elle ne dispose absolument pas aujourd'hui,
selon la logique même du traité, soit, au contraire, de garder à la disposition
des Etats certains éléments essentiels du dispositif en place. Je pense,
monsieur le ministre, au Système d'information Schengen et à la clause de
sauvegarde.
L'acte de répartition de l'acquis de Schengen sera soumis à la décision du
Conseil dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam. Avant que les
négociations n'arrivent à leur terme et avant que le projet d'acte ne soit
défini, je crois qu'il serait bon que le Gouvernement engage avec le Parlement
un dialogue afin que les assemblées puissent exprimer leur sentiment. Je dis
bien « avant » la ratification, et non pas après.
Informer le Parlement, ce serait venir nous dire : « voilà comment s'est
passée la négociation sur la ventilation de l'acquis ; voilà ce que nous avons
accepté avec nos partenaires de transmettre à la Commission ; voilà ce que nous
avons obtenu avec l'appui de l'Espagne, de l'Allemagne et de quelques autres ;
voilà ce que nous avons obtenu de garder sous le contrôle des Etats,
c'est-à-dire en excluant l'avis du Parlement européen et, demain, la codécision
et en excluant aussi l'interprétation juridique que pourrait donner la Cour de
justice des Communautés de telle utilisation d'un système d'information. »
Si vous livrez ces éléments d'information au Parlement, si vous lui demandez
son appréciation par la voie d'une résolution, nous serons alors satisfaits,
car, enfin, nous aurons engagé un processus nouveau - oui, nouveau - qui
tranchera par rapport à des pratiques dans lesquelles nous sommes trop souvent
enfermés.
Nous savons les uns et les autres ce qui va se passer dans cinq ans. La
Commission aura alors, seule, le monopole de la proposition concernant
l'immigration et la circulation des personnes, et ce que l'on vote à
l'unanimité ou à la majorité qualifiée. Dans cinq ans, aucun Etat de l'Union ne
pourra faire de proposition sur ces problèmes au quotidien et tous ne pourront
plus, alors, que s'opposer ou suggérer.
Nous savons encore que la Cour de justice des Communautés aura à interpréter
les directives à venir, la transposition en droit interne, et même la notion de
« sécurité intérieure » - encore que le traité lui interdise de porter un
jugement sur le maintien de l'ordre public ; elle aura tout loisir
d'interpréter la notion de « maintien de l'ordre » et d'apprécier si le
Gouvernement qui l'invoque n'a pas abusé d'une notion dont chacun sait qu'elle
est vaste et difficile à cerner. A cet égard, je crains fort que la Cour de
justice des Communautés n'ait, à un moment ou à un autre, à mettre son nez dans
ce qui ne la regarde pas !
Nous savons enfin que, dans cinq ans, nous passons sous le règne de la
codécision du Parlement européen. Madame le garde des sceaux, la codécision,
chacun sait qu'en français plus familier, cela s'appelle l'avis conforme, cet
avis conforme que nous avons évoqué, il y a peu, avec la réforme du Conseil
supérieur de la magistrature.
Donc, avis conforme du Parlement : je ne sais pas trop si chacun mesure bien,
ce matin, ce que signifie ce pouvoir. Un projet de directive renforçant la
frontière extérieure commune ou encore les quotas d'immigrés à répartir - car
il y aura des quotas - ou encore le refoulement des clandestins en dehors des
frontières extérieures communes sera soumis à la codécision du Parlement
européen.
Paradoxalement, le Parlement français n'aura pas à débattre de ces procédures.
Seuls nos collègues européens auront tout loisir de décider à la majorité la
mise en application des propositions des fonctionnaires de Bruxelles.
Franchement, mes chers collègues, rien ne vous choque dans tout cela ? Il est
curieux de voir que, malgré ce constat, assez désagréable pour le Parlement
français, certains hésitent encore à considérer qu'il est fondé de nous mettre
en situation d'habiliter le Gouvernement à passer à la majorité qualifiée.
Quelles objections formule-t-on ? Une telle approbation n'était pas prévue dans
le traité et une clause prévoyant cette loi d'habilitation reviendrait à
amender le traité. Je le dis avec modération, madame le garde des sceaux, ces
arguments me paraissent d'une faiblesse extrême.
Je ne peux m'empêcher d'observer que les objections fortement soulignées à
l'usage de notre Parlement n'ont pas beaucoup impressionné certains de nos
partenaires. On a cité hier des pays qui ne s'embarrassent pas de ces pudeurs
et qui ont adopté des dispositions fortes leur permettant de donner leur
décision face au Gouvernement.
Trois Etats ont récemment entrepris, à l'occasion de la ratification du traité
d'Amsterdam, d'introduire des modifications dans leur droit interne qui les ont
conduits à accroître le rôle européen de leur parlement national.
D'abord l'Autriche, qui a modifié il y a quelques mois sa Constitution, afin
d'élargir les possibilités offertes à son parlement d'intervenir en matière de
coopération policière et judiciaire et dans le domaine de la sécurité commune.
Voilà : pour que le Parlement autrichien puisse dire son mot sur les problèmes
de sécurité commune et de coopération policière - ce n'est pas n'importe quoi,
c'est très ciblé - l'Autriche a modifié sa Constitution !
Les Pays-Bas ont également profité du traité d'Amsterdam pour accroître les
compétences de leur Parlement ; ils sont tout à fait à la pointe en la matière.
Depuis le traité de Maastricht, en effet, le Parlement néerlandais disposait
d'un pouvoir normatif obligatoire pour les décisions du Conseil de l'Union
prises dans le cadre du troisième pilier, et l'on ne peut pourtant pas ranger
les Néerlandais au nombre des anti-Européens viscéraux. Ils ne revendiquent
manifestement pas excessivement le culte de la patrie néerlandaise, mais
n'hésitent pas à dire que le Parlement - le leur - a pouvoir normatif
obligatoire dans le cadre du troisième pilier.
A l'occasion de la ratification du traité d'Amsterdam, ils en ont rajouté,
puisque le Parlement néerlandais a décidé d'étendre son droit de codécision à
toutes les matières qui, en vertu du traité, passeront du troisième pilier au
premier pilier, c'est-à-dire dans la matière communautaire.
Enfin, il faut citer le Royaume-Uni, dont le gouvernement vient de donner son
accord à la Chambre des communes, le mois dernier, sur l'extension du contrôle
du Parlement britannique en matière européenne.
Personne, à ma connaissance, n'a contesté aux Néerlandais, aux Autrichiens ou
aux Britanniques le droit d'ajuster leurs procédures internes à l'évolution de
la prise de décision en Europe. Personne n'a dit que ces mesures étaient
contraires au traité. Serions-nous les seuls à rester enfermés dans une logique
constitutionnelle qui, dans son dispositif de 1958 - on l'a dit avant moi - ne
pouvait pas même imaginer qu'une délégation de souveraineté pourrait un jour
s'inscrire, chez nous, dans une démarche politiquement justifiée et
juridiquement cohérente ?
Les propositions que nous formulons par trois amendements pour accroître les
pouvoirs du Parlement français ne sont ni contingentes ni conjoncturelles.
Elles s'insèrent dans un mouvement d'ensemble et s'intègrent dans une démarche
commune à l'ensemble des parlements nationaux - ce n'est pas nous qui faisons
les mauvaises têtes : nous cherchons à rejoindre le peloton -, démarche qui
vise à moderniser l'approche des questions européennes par les parlements.
Mme Guigou nous expose, par ailleurs, que voter cette loi d'habilitation
rendrait inutile la réforme constitutionnelle que nous examinons. Je ne
comprends pas, madame, ce raisonnement. Aujourd'hui, on décide de réviser la
Constitution pour accorder une délégation supplémentaire de souveraineté afin
d'appliquer le traité d'Amsterdam. C'est clair : on donne aujourd'hui
l'autorisation au Gouvernement d'aller dans cette voie, jusqu'alors
anticonstitutionnelle, mais qui sera constitutionnelle lorsque nous aurons
approuvé cette réforme.
Dans cinq ans, nous déciderons de donner au Parlement la liberté et le devoir
d'apprécier la situation. Quel sera l'environnement, à cette époque ? Il ne
s'agira pas de réformer de nouveau la Constitution. Aujourd'hui, on réforme et
on dit : dans cinq ans, le Gouvernement devra soumettre au Parlement son
appréciation de l'environnement et recueillir son avis. Or la loi
d'habilitation n'a rien à voir avec la réforme constitutionnelle : les deux
choses sont totalement déconnectées. Il n'y a pas redondance. Il y a même tout
simplement, dois-je le rappeler, conformité absolue avec ce qu'impose la
Constitution actuelle.
Le Parlement contrôle l'activité du Gouvernement. Si vraiment, dans une
affaire aussi importante que celle-là, il ne pouvait mener à bien cette mission
de contrôle, nous serions alors en totale contravention avec l'actuelle
Constitution.
Il est tout de même important de savoir quelles seront, dans cinq ans, les
pressions à nos frontières ? Quelles conventions aurons-nous conclues avec les
Etats d'Afrique, d'Europe ou d'Asie ? Comment s'organisera alors notre
coopération avec ces Etats pour réguler l'immigration ?
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Masson.
M. Paul Masson.
Je conclus, monsieur le président.
Quelles seront les mesures effectivement prises par les Etats sur proposition
de la Commission ? Comment évoluera, dans cinq ans, la prise de conscience du
Parlement européen de ces problèmes ? Quels résultats auront alors donné les
procédures nouvelles mises en place par les directives ? Y aura-t-il seulement
des procédures nouvelles dans cinq ans ? Seront-elles, sur le terrain,
opérationnelles ? Comment seront-elles perçues ? Comment réagiront les polices
?
Nul n'en sait rien, et vous voudriez que, dans cinq ans, le Parlement
n'habilite pas le Gouvernement à passer à la règle de la majorité ? Bien sûr,
cette règle a beaucoup de vertus - et je rejoins là intégralement les propos de
M. de Villepin et de quelques autres. Il est vrai, la règle de l'unanimité
provoque un blocage. Il est inconcevable que les Pays-Bas mènent, en matière de
drogue, une politique totalement inverse de celle de la majorité des Etats
européens ; j'en suis tout à fait d'accord.
M. Xavier de Villepin.
Bravo !
M. Paul Masson.
Le problème est de savoir si le Parlement aura, dans cinq ans, la capacité de
percevoir cette situation, de comprendre l'évolution du processus, son
environnement, et de donner au Gouvernement la force de l'approbation
populaire.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Paul Masson.
Comme d'autres orateurs l'ont dit avant moi, le Parlement français ne pourra
jamais être absent de ce débat et si, par malheur, il en était écarté, nous
aurions accepté par la même de fournir les arguments les plus décisifs au sein
de l'opinion publique pour créer chez nous un très fort sentiment anti-européen
et les commentaires extrêmes que nous devons à tout prix éviter.
Mes chers collègues, le Sénat a tant de fois montré sa lucidité et son courage
qu'il devrait pouvoir, encore une fois aujourd'hui, dans ce vote, afficher sa
détermination et son engagement.
Pour conclure, j'évoquerai la séance du 10 juin 1992 au cours de laquelle - M.
Badinter s'en souvient - le Sénat était saisi de la révision constitutionnelle
première - déjà ! -...
M. Robert Badinter.
Oui, déjà !
M. Paul Masson.
... celle qui était initiée et provoquée par le traité de Maastricht.
M. Robert Badinter.
Déjà !
M. Paul Masson.
Il s'agissait de mettre, là encore, notre loi fondamentale en harmonie avec le
traité de Maastricht que le peuple français venait d'approuver.
Au banc du Gouvernement, étaient alors assis le garde des sceaux de l'époque -
je crois que c'était vous, monsieur Badinter -...
M. Robert Badinter.
Non, je présidais le Conseil constitutionnel.
M. Paul Masson.
... et le ministre des affaires étrangères ; je crois que c'était M. Dumas.
M. Charles Pasqua.
Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère !
(Sourires.)
M. Paul Masson.
Le Sénat faisait de la résistance. L'Assemblée nationale, à majorité
socialiste, nous avait renvoyé un texte dans lequel nous voulions introduire
des amendements qui sont aujourd'hui la règle constitutionnelle parce que nous
l'avons fait adopter.
Je me souviens de l'atmosphère. J'étais engagé dans le débat. Nous avions,
malgré les invites du Gouvernement et d'un certain nombre, amendé le texte et
le seul problème était de savoir qui allait en rabattre. Eh bien ! c'est
l'Assemblée nationale qui en a rabattu. Tout s'est passé dans la journée et il
n'y a pas eu de retard inconsidéré. Nos collègues majoritaires socialistes ont
finalement accepté les amendements de bon sens qui étaient proposés par le
Sénat.
La Haute Assemblée s'est honorée et personne ne s'en porte mal puisque c'est à
partir des dispositions qu'elle a introduites - M. le président de la
commission des lois le rappelait hier soir - que nous avons la possibilité de
connaître du titre 1er du traité sur l'Union européenne et que nous pouvons
nourrir nos débats de ce qui se passe en Europe sur ce sujet.
Notre souci est d'élargir ce champ d'intervention ; tel est l'objet de ce
débat. Je suis certain, mes chers collègues, que, après les explications qui
ont été données par les uns et les autres, le Sénat ne fera pas preuve d'une
frilosité, qui serait bien étonnante de sa part, et qu'une fois de plus, comme
en 1992, nous saurons faire entendre notre position en élargissant les pouvoirs
du Parlement. Tel est, en effet, l'enjeu de notre débat et l'un des objets,
clairement affirmé, de notre préoccupation. Tel est également l'objet des
amendements qui ont été déposés et que je voterai.
(Applaudissements sur
certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, pour la deuxième fois en six ans, la construction européenne
contraint la France à réviser la loi fondamentale de la République. Le Conseil
constitutionnel, à juste titre, a considéré que les transferts de compétences,
notamment en matière d'asile ou d'immigration, portaient « atteinte aux
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».
Avant de vous livrer quelques analyses sur cet obscur traité et sur les moyens
de remettre la construction européenne sur des bases républicaines acceptables
par les peuples, je veux solennellement protester contre ce processus
irresponsable de démantèlement de notre loi fondamentale.
Désormais, nous vivons sous un régime bâti autour d'une constitution « Kleenex
», modifiable à merci sans jamais consulter le véritable détenteur de
l'autorité constituante. Je veux parler du peuple.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Paul Loridant.
Le général de Gaulle, fondateur de la Ve République, ne disait pas autre chose
: « C'est un principe de base de la Ve République et de ma propre doctrine que
le peuple français doit trancher lui-même dans ce qui est essentiel à son
destin. »
MM. Charles Pasqua, René-Georges Laurin et Jean Chérioux.
Très bien !
M. Paul Loridant.
Je sais bien que la décision d'organiser un référendum, mes chers collègues,
appartient au Président de la République. Mais permettez-moi de vous dire que
si nous persistons à bâtir une Europe fédérale à l'insu des peuples, alors il
faudra en assumer les conséquences. Nous serons devant l'alternative suivante :
élire domicile à Versailles ou bien introduire dans notre Constitution une
disposition unique et irréversible selon laquelle la France consent, de manière
permanente et générale, à tous les transferts de souveraineté requis par les
traités européens.
Ce traité d'Amsterdam, accueilli dans l'indifférence générale par nos
concitoyens, est, selon nous, mauvais et dépassé. Faute d'avoir pu régler les
problèmes institutionnels liés à l'élargissement de l'Union européenne aux pays
de l'Est, l'Union a choisi, une nouvelle fois, la fuite en avant en «
communautarisant », sans aucune préparation, les questions de sécurité, d'asile
et d'immigration.
Madame le garde des sceaux, il faut de toute urgence installer une cellule de
juristes constitutionnalistes au Quai d'Orsay, car la réforme de la
Constitution devient un jeu permanent pour les diplomates.
La question essentielle de l'élargissement sera réglée, on nous l'assure, par
un prochain traité censé trouver le moyen de faire fonctionner l'« usine à gaz
» qu'est devenue l'Europe.
Après la vraisemblable ratification du traité d'Amsterdam, on pourra
légitimement se demander, mes chers collègues, ce qui subsistera de notre
République.
La politique monétaire, budgétaire et bientôt fiscale sera déterminée à
Francfort.
La loi est, de fait, élaborée par la Commission à Bruxelles.
En matière de justice, l'application du protocole d'Amsterdam sur la
subsidiarité consacre la supprématie des décisions de la Cour de justice de
Luxembourg sur nos règlements, nos lois et, plus grave encore, sur notre
Constitution.
Notre politique étrangère, si tant est qu'un jour il puisse en exister une,
sera incarnée par un haut fonctionnaire de la Commission. Chacun sait comment
l'Europe fonctionne en ce domaine. Il suffit de voir la Grande-Bretagne suivre
fidèlement la position des Etats-Unis sur l'Irak.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Bien sûr !
M. Paul Loridant.
On nous explique que ces transferts de souveraineté sont indispensables pour
faire avancer la construction d'une Europe politique forte. Mais au profit de
qui entend-on transférer ces compétences ? Madame le garde des sceaux, monsieur
le ministre, mes chers collègues, la question mérite d'être posée : quelle
autorité démocratiquement désignée dans l'Union européenne en sera dépositaire
?
Curieuse conception de la démocratie qui donne vocation à l'Union européenne à
traiter des affaires importantes et à définir le champ de compétences qu'elle
consent à déléguer aux Etats et aux gouvernements responsables, eux, devant le
peuple. Et même ce partage n'est pas toujours respecté. Souvenez-vous, mes
chers collègues, des critiques de la Commission européenne sur la méthode
retenue pour vendre les billets pour la Coupe du monde. C'est cela le principe
de subsidiarité !
Curieuse conception de l'Europe politique, de l'Europe des citoyens qui, de
traité en traité, transfère les pouvoirs d'orientation à des structures
technocratiques indépendantes des gouvernements, c'est-à-dire indépendantes des
peuples.
Mes chers collègues, face à ce traité calamiteux négocié par M. Juppé...
M. Paul Masson.
Et par M. Jospin !
M. Paul Loridant.
... je suis serein car nous approchons du moment de vérité. La fuite en avant
du traité d'Amsterdam annonce la fin de la chimère fédérale.
A bout de souffle, incapable de répondre aux grands défis politiques et
sociaux de notre temps, l'Europe d'Amsterdam va se heurter à des contradictions
insolubles.
Pour en sortir, il faut « républicaniser » l'Europe. Le Mouvement des
citoyens, tout comme le parti communiste français, n'est nullement
anti-européen ; il propose une démarche euroréaliste. En effet, seul le cadre
national est capable de donner à l'Europe la stabilité et la force nécessaire
pour faire face aux enjeux de cette fin de siècle.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Paul Loridant.
La France, de par son poids politique et économique, de par sa contribution à
la naissance de l'Europe, a une responsabilité particulière pour «
républicaniser » la construction européenne, en proposant le meilleur de son
message républicain, à savoir sa conception politique de la nation, la laïcité,
son exigence universaliste de la citoyenneté, l'efficacité de ses services
publics.
Le Gouvernement dirigé par Lionel Jospin a choisi, en juin 1997, de signer le
traité d'Amsterdam négocié par M. Juppé. Je peux comprendre le choix du Premier
ministre d'éviter, à peine un mois après sa prise de fonction, une crise avec
le Président de la République et les partenaires européens de la France.
Mais l'évolution politique en Europe, avec désormais une majorité de
gouvernements orientés à gauche, offre une opportunité de clore la parenthèse
des traités de Maastricht et d'Amsterdam.
Pour bâtir l'Europe sur des bases républicaines, il faut d'abord inverser le
principe de subsidiarité, inscrit dans le texte du traité mais perverti par une
sorte d'emballement de la machine communautaire. C'est l'intervention de
l'Union qui doit désormais être subsidiaire et non l'intervention des Etats.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Paul Loridant.
En second lieu, un Etat ne doit pas être tenu d'agir en contradiction avec ses
propres règles constitutionnelles, qu'il a librement choisies et qui sont le
fruit de son histoire. C'est aux traités de s'adapter aux lois fondamentales
nationales et non l'inverse. Et, sur ce point, il faut aussi inverser la norme
juridique.
Enfin, les Etats n'ont plus à accepter les transferts de compétences sans
avoir les moyens de contrôler et, si besoin, de revenir sur le processus.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Paul Loridant.
Sur le plan économique, nous demandons solennellement au Gouvernement de faire
valoir réellement les quatre conditions posées par Lionel Jospin pour le
passage à la monnaie unique.
Notre projet européen existe, fondé sur la réalité nationale et sur la
souveraineté des peuples, centré sur une véritable réponse à l'immense attente
sociale de nos concitoyens. Ce projet européen réaliste est seul capable de
donner à l'Europe le souffle populaire qui lui fait défaut.
En attendant, le citoyen que je suis ne votera pas cette réforme de la
Constitution.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen. - MM. Charles Ceccaldi-Raynaud et Charles Pasqua
applaudissent également.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Bravo !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La Sainte-Alliance !
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, nous sommes aujourd'hui à une étape particulièrement
importante de la construction européenne : dans deux semaines, la mise en place
de l'euro sera effective. Elle résulte de transferts de compétences approuvés
lors de la révision constitutionnelle de 1992, préalable à la ratification du
traité de Maastricht. Nous avons maintenant à nous prononcer sur une nouvelle
révision de la Constitution afin de pouvoir ratifier le traité d'Amsterdam.
Depuis sa signature, le traité d'Amsterdam a déjà fait l'objet de nombreuses
polémiques. Son contenu, qui a été rappelé par plusieurs orateurs m'ayant
précédé à cette tribune, n'est certes pas - je le dis clairement à mon tour - à
la hauteur de nos attentes, ne serait-ce qu'en raison de l'absence d'une
réforme des institutions qui, pourtant, faisait le principal objet du mandat
donné à la conférence intergouvernementale et que nous continuons à considérer
comme un préalable à tout nouvel élargissement de l'Union.
Le traité d'Amsterdam peut finalement être considéré comme un traité de
transition. Mais il comporte quelques dispositions essentielles à la poursuite
de la construction européenne. J'en citerai trois.
L'emploi est devenu en quelques mois une priorité majeure de l'Union grâce à
l'application anticipée des dispositions du traité, les Etats membres
s'engageant à coordonner leur politique dans ce domaine. La lutte pour l'emploi
est clairement placée au même rang que la stabilité économique et monétaire et
nous en avons eu la confirmation lors des plus récents sommets, et encore le
week-end dernier, à Vienne.
Le respect des droits fondamentaux mais aussi la lutte contre toutes les
discriminations deviennent principes et valeurs de l'Union européenne.
Enfin, dans la droite ligne du traité de Maastricht, les Etats se sont donné
la possibilité de définir en commun des politiques en matière de libre
circulation des personnes pour que l'Europe soit un espace à la fois de
liberté, de justice et de sécurité.
C'est sur ce dernier point que le Conseil constitutionnel a estimé que les
nouvelles dispositions concernant la libre circulation des personnes,
c'est-à-dire celles qui concernent les visas, l'asile, l'immigration et le
franchissement des frontières, pourraient affecter « les conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté ». C'est donc pourquoi il faut
réviser la Constitution afin d'autoriser les transferts de compétences rendus
nécessaires par la possibilité de prendre des décisions à la majorité qualifiée
dans les domaines concernés.
Pourtant, il convient de relativiser l'importance de ces transferts. A nos
yeux, ces derniers, loin d'entraîner des abandons de souveraineté, s'inscrivent
dans la logique de la construction européenne, à laquelle nous sommes
profondément attachés.
Depuis plus de vingt ans, les Etats membres ont uni peu à peu leurs forces
dans la lutte contre des phénomènes transnationaux comme le terrorisme, le
trafic de drogue ou l'immigration clandestine.
La libre circulation des personnes a été reconnue comme l'un des principaux
éléments du marché intérieur en 1986, dans l'Acte unique européen, puis dans la
convention de Schengen, mais la coopération informelle engagée lors du dernier
gouvernement des Etats-membres est apparue insuffisante pour combattre
l'internationalisation des réseaux d'activité criminelle et répondre aux
besoins de sécurité des citoyens européens.
Une coopération intergouvernementale en matière de justice et d'affaires
intérieures a été intégrée au traité de Maastricht afin que puisse se
développer dans ce domaine une politique de l'Union européenne à part
entière.
Le traité d'Amsterdam vient simplement compléter et renforcer les dispositifs
définis en matière de libre circulation qui, en particulier, prévoyaient une
passerelle vers le pilier communautaire et ouvraient la voie à des décisions
prises à la majorité qualifiée.
Il faut souligner que ces transferts sont étroitement encadrés par le traité
lui-même. Les Etats ont en effet placé un triple garde-fou à cette prise de
décisions : tout d'abord, le Conseil pourra, s'il le souhaite, proposer un
changement de mode de décision ; par ailleurs, cette décision de passer à la
majorité qualifiée devra se prendre à l'unanimité ; enfin, le Conseil pourra
choisir que la majorité qualifiée ne s'applique qu'à certains des domaines
concernés voire qu'à certaines parties de ces domaines. Ces précautions nous
paraissent présenter des garanties suffisantes.
Il faut ajouter, pour répondre à une autre objection, que la prise de
décisions à la majorité qualifiée, loin de privilégier dans la pratique ceux
que l'on appelle les « petits Etats » au détriment des plus grands, présente
des avantages sur la règle de l'unanimité, cette dernière pouvant empêcher
toute décision du seul fait du refus d'un petit Etat.
Les transferts qui nous sont demandés conduisent en réalité à un exercice
commun de compétences. Il ne s'agit nullement d'atteintes à la souveraineté
nationale et encore moins d'abdication nationale, comme voudraient le faire
croire certains. Si une abdication de cette sorte devait être aujourd'hui
constatée, c'est quarante ans de construction européenne qui seraient remis en
cause ! Que dire des transferts de compétences effectués en 1962, lors de la
mise en place de la politique agricole commune, ou encore en 1992, pour la
création d'une monnaie unique ?
Il faut encore rappeler que cette souveraineté est indivisible et qu'elle
donne aussi la faculté de contracter des engagements internationaux. Ainsi,
rien n'empêche les Etats de décider souverainement de transférer certaines
compétences à une organisation supranationale.
N'oubliez pas, mes chers collègues - cela a d'ailleurs été évoqué hier - que
les Constitutions de plusieurs de nos partenaires européens, tels que
l'Allemagne ou le Portugal, comportent une clause européenne générale qui
anticipe les éventuels transferts de compétences pouvant être rendus
nécessaires par de futurs traités et ramène à leur juste valeur ces transferts
de compétences : un choix et une nécessité pour faire avancer l'Europe. C'est
dans cette perspective que nous nous inscrivons.
Il s'agit, je le répète, non pas d'abandonner des pans de souveraineté, mais
d'accepter un exercice en commun de compétences, parce que les Etats membres
ont estimé qu'ils pouvaient mieux agir ensemble, en particulier dans les
domaines qui relèvent clairement de l'intérêt commun. On constate d'ailleurs,
s'agissant de la mise en place de l'union économique et monétaire, que les
Etats qui en sont membres ont déjà pu bénéficier des avantages de l'euro avant
même que ce dernier soit officiellement en vigueur.
Cette décision de mener en commun des politiques concernant la libre
circulation des personnes, l'asile, l'immigration et les visas repose sur un
constat à caractère hautement politique : celui d'un manque d'efficacité, voire
d'une impuissance, face à des défis qui dépassent largement le cadre national.
Il en découle une exigence inéluctable, que rappelait d'ailleurs M. Masson :
dans ces domaines, les Etats ne peuvent être vraiment efficaces qu'ensemble.
C'est pourquoi ils ont choisi d'exercer en commun des politiques qu'ils ne
peuvent plus vraiment mener seuls du fait du caractère transnational de ces
dernières.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, les avantages de cet
exercice commun sont évidents : pouvoir mener au niveau communautaire des
politiques en matière d'asile, d'immigration et de visas, c'est compléter la
création d'un espace de sécurité, de justice et de liberté ; mais c'est
également faciliter et garantir l'application des principes et de la pratique
de Schengen, dans un espace européen ouvert. Garantie de sécurité aux
frontières de l'Union et processus d'harmonisation de ces politiques au niveau
européen devraient contribuer, par leur conjugaison, à renforcer tant la
sécurité que les droits et la protection des personnes.
On peut encore souligner que les Etats membres s'efforcent dès à présent de
définir un plan d'action qui puisse établir un équilibre entre la poursuite
d'objectifs et d'actions communs et la nécessaire responsabilité de chacun
d'eux dans l'exercice des politiques décidées.
Ainsi les dispositions du traité d'Amsterdam, en matière de libre circulation,
ne font-elles que parachever un processus de transferts de compétences engagé
avec l'Acte unique européen, la suppression progressive des frontières
intérieures poussant les Etats à organiser au niveau européen une coopération
en matière de sécurité.
L'intérêt de ces transferts de compétences qu'il nous est demandé aujourd'hui
d'approuver en complétant l'article 88-2 de la Constitution nous paraît donc
évident pour toutes les raisons que je viens d'évoquer.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, adopté un article additionnel au projet
de loi constitutionnelle qui était présenté par le Gouvernement et qui modifie
la portée de l'article 88-4 de la Constitution.
A cet égard, nous nous félicitons de la décision de la commission des lois de
soutenir le projet de loi constitutionnelle, tel qu'il résulte des travaux de
l'Assemblée nationale, à l'exclusion de tout autre amendement. Nous
considérons, en effet, qu'il s'agit d'un dispositif de contrôle équilibré et
souple, parce qu'il suit au plus près les dispositions du protocole n° 13 sur
l'information des parlements nationaux annexé au traité d'Amsterdam, parce
qu'il respecte la distinction entre la loi et le règlement fixée dans le droit
français, mais aussi parce qu'il témoigne d'un contrat de confiance entre le
Parlement et le Gouvernement.
Dans la mesure où il s'agit de s'adapter aux nouvelles exigences du traité
d'Amsterdam, il est bon que le parlement français puisse, à l'avenir, examiner
en amont des actes de nature législative relevant tant de la politique
étrangère et de sécurité commune que de la coopération européenne en matière de
sécurité.
Nous pouvons aussi - en tout cas, c'est notre sentiment - faire confiance au
Gouvernement pour nous transmettre, à nous, parlementaires, tout document ayant
une importance particulière quant à l'élaboration des politiques de l'Union,
document pouvant faire l'objet de résolutions. Cette transmission revêtira un
caractère politique, comme ce sera aussi le cas de la décision des Etats
membres de décider à la majorité qualifiée cinq ans après l'entrée en vigueur
du traité.
En revanche, nous ne pouvons accepter l'idée d'une habilitation législative
dans cinq ans, telle que vient de la réclamer M. Masson.
La France s'est engagée, par la signature tant du Président de la République
que du Premier ministre, à accepter les modalités d'une éventuelle modification
des conditions de prises de décisions pour les politiques relatives à l'asile,
à l'immigration et aux visas.
Si le Conseil constitutionnel recommande une révision de la Constitution
aujourd'hui, c'est justement pour qu'il n'y ait pas besoin d'une nouvelle
ratification à la veille de la décision éventuelle des Etats membres. On ne
peut donc pas à la fois demander à juger dans cinq ans de la volonté des
gouvernements d'élaborer en commun des politiques d'asile, d'immigration et de
visas et obtenir dès à présent un contrôle sur les actes législatifs qui en
découleront.
Comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, c'est l'équilibre de
notre Constitution, plus précisément l'équilibre voulu par elle entre les
pouvoirs exécutif et législatif qui serait remis en cause.
Certains souhaiteraient obtenir que le Parlement puisse habiliter le
Gouvernement à prendre une décision dont les modalités ont été acceptées par un
engagement relevant du droit international. Mais il n'existe pas, dans notre
pays, de souveraineté parlementaire. Le pouvoir est partagé entre le législatif
et l'exécutif. En matière d'engagement international, c'est l'exécutif qui est
souverain, et la décision des Etats membres de passer à la majorité qualifiée,
parce qu'elle doit se faire à l'unanimité, relève de la négociation
internationale.
Est-il nécessaire de rappeler les différents articles de la Constitution qui
définissent les prérogatives de l'exécutif au plan inernational ?
Selon l'article 20, « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la
Nation. » Aux termes de l'article 52, « le Président de la République négocie
et ratifie les traités. » L'article 5 dispose que le Président de la République
est le garant du respect des traités. Selon l'article 55, enfin, les traités
ont une « autorité supérieure à celle des lois ».
(Exclamations sur les
travées du RPR.)
En conclusion, mes chers collègues, exercer nos compétences en commun, faire
partager nos compétences et notre savoir-faire dans le domaine particulier qui
est ici concerné, tel est le meilleur moyen de parvenir à construire l'Europe
que nous voulons, une Europe respectueuse des droits de ses citoyens, une
Europe qui respecte ceux qu'elle attire, une Europe espace de libre circulation
des personnes qui, loin de mettre en valeur leurs inégalités ou d'exciter leur
méfiance, contribue, grâce à des harmonisations dans les domaines social,
économique et fiscal, à rendre les citoyens plus proches les uns des autres.
C'est pourquoi les Européens à la fois convaincus et lucides que nous sommes,
soucieux de donner un nouvel élan à la construction européenne, sont prêts,
malgré toutes ses insuffisances, à approuver le traité d'Amsterdam dont je
rappelle qu'il a déjà été ratifié par la quasi-totalité des pays signataires.
Le groupe socialiste votera donc le projet de révision de la Constitution dans
les termes mêmes du texte adopté par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, le projet de loi constitutionnelle que nous examinons
aujourd'hui appelle un double débat.
Le premier, si l'on se limite à l'objet
stricto sensu
du texte,
concerne la question de la communautarisation des matières liées à la libre
circulation des personnes. En proposant la modification des articles 88-2 et
88-4 de la Constitution, il s'agit de savoir si l'on est pour ou contre une
souveraineté partagée dans le domaine précité.
Cependant, derrière ce débat, se profile aussi celui, plus large, de
l'acceptation ou non du traité d'Amsterdam. Car soit on refuse l'adaptation de
la Constitution, auquel cas la France devrait renégocier les clauses
litigieuses du traité, ouvrant ainsi une crise politique non souhaitable, soit
le Parlement adopte le projet de loi constitutionnelle et, dans ce cas de
figure, il validerait le préalable à la ratification du traité d'Amsterdam par
la France.
Ne sachant pas à ce jour qui, du peuple ou de ses représentants, tranchera sur
la ratification, je saisirai, dans un deuxième temps, l'occasion - qui nous
sera peut-être donnée une seule fois dans cette assemblée - pour rappeler les
bienfaits du traité d'Amsterdam.
S'agissant, tout d'abord, du point qui nous préoccupe directement, en
acceptant une politique commune en matière de franchissement des frontières
intérieures et extérieures des Etats membres, la France consent-elle à
abandonner une part de sa souveraineté nationale ? La réponse est oui.
Toutefois, a-t-elle tort de le faire ? Si la construction de la Communauté
l'exige, si l'exercice de la seule souveraineté nationale empêche la création
d'un espace européen sécurisé et garant des droits des citoyens de l'Union,
l'abandon d'une part de souveraineté est à mon avis justifié. C'est la
traduction concrète du principe de subsidiarité : comme vous l'avez brillamment
exposé, monsieur le rapporteur, ce principe garantit que les compétences seront
uniquement transférées dans la mesure où les « objectifs de l'action envisagée
ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres ».
La souveraineté n'est pas un vain mot. Il n'y a pas de souveraineté contenue
dans des textes qui ne trouverait pas son efficacité dans la réalité. En
conséquence, la souveraineté nationale et la souveraineté communautaire ne
s'opposent pas, elles se complètent.
Par ailleurs, un certain nombre de garde-fous préservent notre souveraineté.
La période de cinq ans durant laquelle les décisions continueront d'être prises
à l'unanimité est suffisamment longue pour que soient relevées les difficultés
relatives à l'effectivité de la libre circulation.
C'est à cette même unanimité que sera décidé le passage vers un système de
décision à la majorité qualifiée et selon la procédure de codécision avec le
Parlement européen. Ce procédé a donc le mérite de considérer le résultat et de
faire dépendre de celui-ci le degré de communautarisation.
Ensuite, quand bien même nous aboutirions au choix de la majorité qualifiée,
il faut rappeler que cela signifie, pour une décision, l'obtention de 70 % des
voix. Sur des sujets aussi sensibles que la politique des visas et du droit
d'asile ou la politique de l'immigration, on peut aisément imaginer que chacun
des pays sera très attentif à ses propres intérêts !
L'action en commun ne signifie pas autre chose que la somme des volontés
individuelles. Par conséquent, si l'on considère que, effectivement, les pays
abandonnent une part de souveraineté, ils le font, de mon point de vue, à bon
escient.
Ils le font d'autant plus volontiers qu'il est prévu qu'aucune des mesures
adoptées dans le cadre du nouveau titre du traité instituant la Communauté
européenne ne devra porter atteinte à l'exercice des responsabilités qui
incombent aux Etats membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde
de la sécurité intérieure.
Enfin, l'amendement adopté par l'Assemblée nationale, qui permettra une
amélioration du contrôle du Parlement sur la politique européenne, offre, me
semble-t-il, une garantie supplémentaire.
Pour toutes ces raisons, les radicaux de gauche ne craignent pas le partage de
la souveraineté et sont donc favorables à la modification constitutionnelle.
Ils le sont aussi parce que leur approbation du présent texte traduit leur
adhésion sans scepticisme à l'Europe. Comme je le disais en introduction, dire
oui au projet de loi constitutionnelle, c'est dire oui au traité
d'Amsterdam.
Pour ma part, si imparfait soit-il, ce dernier recueille mon accord. Les
avancées qu'il contient, sous-estimées à l'issue des travaux de la conférence
intergouvernementale, contribueront fortement à dépasser la pure logique de
marché pour faire de l'Europe autre chose qu'une entité monétaire.
Certes, on est encore loin d'une institution politique démocratique à vocation
de puissance mondiale. Toutefois, dans de multiples domaines, le traité
d'Amsterdam marque une volonté de changement et renforce la cohésion
européenne.
Au moment où l'on fête le cinquantième anniversaire de la Déclaration
universelle des droits de l'homme, on ne peut que se satisfaire des apports du
traité sur ce sujet. Il engage l'Europe à construire son propre système de
protection des droits fondamentaux.
Il faut rappeler que, en ne contenant aucune disposition formelle en la
matière, le traité fondateur de 1957 apparaissait comme régressif sur la
question des droits de l'homme. Cette lacune est comblée par le traité
d'Amsterdam, qui introduit de nombreux renvois explicites aux libertés
fondamentales, allant jusqu'à faire de leur respect une condition statutaire
sans équivoque de l'adhésion à l'Union.
Les droits sociaux sont également consacrés et garantis par un mécanisme de
sanctions.
L'introduction d'un titre sur l'emploi constitue aussi un progrès
considérable. Parvenir à un niveau élevé d'emplois devient enfin un objectif de
l'Union. Des références expresses l'habilitent à mettre en oeuvre à la majorité
qualifiée des programmes de lutte contre l'exclusion et à coordonner des
mesures favorables à l'emploi.
A la demande de la France, la prise en compte dans la politique communautaire
de la notion de service public nous prémunit contre une application trop
drastique des règles de la concurrence.
Le renforcement de l'action communautaire en matière vétérinaire et
phytosanitaire devrait permettre d'éviter les crises du type de celle de la
vache folle.
C'est vrai, on peut regretter, à côté de ces évolutions positives, les
faiblesses sur les questions institutionnelles, de politique étrangère et de
sécurité commune. En effet, en dehors de la « coopération renforcée », qui
répond à un besoin objectif de flexibilité dans le cadre du troisième pilier,
un certain nombre de lacunes demeurent.
La réforme des institutions, pourtant nécessaire dans la perspective de
l'élargissement, est restée en panne. La modification de la pondération des
voix au sein du Conseil des ministres a été repoussée à plus tard.
S'agissant de la politique étrangère et de sécurité commune, seule
l'intégration des missions dites de Petersberg constitue un point intéressant.
Même l'idée française d'un « Monsieur PESC » a été retenue dans son acception
la plus limitée, puisque cette mission sera confiée au secrétaire général du
Conseil des ministres, c'est-à-dire à un haut fonctionnaire et non à un
responsable politique.
M. Michel Barnier.
Pas forcément !
M. Yvon Collin.
A l'évidence, le traité d'Amsterdam contient certaines limites. Mais celles-ci
ne doivent pas nous faire oublier les progrès fondamentaux qui y sont désormais
inscrits.
Les échanges et les intérêts communs européens, qu'ils soient humains,
culturels, économiques ou politiques, sont si importants et si denses qu'il
n'est plus opportun de se poser la question de savoir s'il faut plus ou moins
d'Europe. L'Europe existe et il faut aborder avec enthousiasme les
approfondissements et les concessions qu'elle demande.
L'Europe monétaire sera, dans quelques jours, une réalité. L'Europe sociale
est en marche. L'Europe politique ne demande qu'à voir le jour. La construction
communautaire est un processus lent, mais il l'est plus encore lorsqu'on lui
oppose des obstacles.
En conséquence, favorables au traité d'Amsterdam dans son ensemble, les
radicaux de gauche accepteront le projet de loi constitutionnelle, prélude à la
ratification.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes. - M.
le rapporteur applaudit également.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, en m'efforçant de répondre brièvement aux différents orateurs, je
concentrerai mes réponses sur la révision de la Constitution et sur les
équilibres institutionnels. Il appartiendra ensuite à M. Pierre Moscovici de
revenir sur le traité lui-même.
J'axerai mes réponses à ceux qui se sont exprimés hier soir et ce matin autour
de cinq concepts : nécessité,
sui generis,
hiérarchie, souveraineté,
contrôle du Parlement.
Je crois, tout d'abord, que, comme l'a magistralement exposé hier M. Badinter,
la révision constitutionnelle était une nécessité. Je ne veux pas imaginer la
crise que provoquerait un refus du parlement français ! Ce serait un signal, ou
plutôt un contre-signal envoyé à l'Europe ! MM. de Montesquiou, Durand-Chastel
et Badinter ont évoqué cet aspect, je n'en dirai pas plus.
Cela étant, si nous voulions ratifier le traité, une révision
constitutionnelle était, je l'ai dit, nécessaire. Mais pas n'importe laquelle
!
Celle qui vous est proposée n'est pas une révision « chèque en blanc », qui
introduirait dans la Constitution une clause indéterminée et permanente de
communautarisation. Nous tenons, en effet, à ce que les institutions de la
République exercent leurs compétences.
A chaque étape sa révision - celle-ci est nécessaire -, avec son cortège
démocratique de débats. Et, comme l'a dit à juste titre M. Masson tout à
l'heure, en l'occurrence, ce débat n'est pas médiocre. D'ailleurs, il ne l'est
jamais au Sénat !
Cette révision constitutionnelle était donc nécessaire pour pouvoir ratifier
le traité.
Tout à l'heure, nous aurons probablement le loisir de revenir plus en détail
sur l'idée du référendum lorsque nous examinerons la question préalable déposée
par le groupe communiste républicain et citoyen. Mais j'en viens à présent au
deuxième concept, la création d'une entité
sui generis.
M. Gélard nous a dit hier que l'Union européenne était une construction
sui
generis
. En effet ! Mais faut-il s'en plaindre ? Nous n'avons pas besoin
d'une Europe qui décalquerait les Etats-Unis d'Amérique, tout simplement parce
que la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre ou d'autres pays ne sont
évidemment pas l'Arkansas, le Nebraska ou la Nouvelle-Angleterre ! Nous avons
une histoire derrière nous, nous avons une culture, une identité qui, même si
Victor Hugo a eu des mots et des écrits très éloquents à ce sujet, ...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il a dit qu'il n'en voulait pas !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... nous interdisent de nous aligner sur ce modèle.
L'Union européenne est une construction originale qu'il nous appartient de
bâtir : si nous pouvons nous regrouper pour certaines tâches communes, nous
devons respecter, bien entendu, nos nations, avec tout ce qu'elles représentent
; sinon, naturellement, nous risquerions de voir nos prérogatives
disparaître.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ne désespérez pas les centristes !
(Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux
Ce traité est, certes, imparfait. D'ailleurs, ils le
sont tous ! Si le premier traité - celui qui a institué la CECA - ou le traité
de Rome avaient été parfaits, nous n'aurions pas eu besoin, par définition,
d'élaborer un traité d'Union européenne !
Certains sont sans doute plus imparfaits que d'autres, et le traité
d'Amsterdam l'est peut-être davantage que celui qui le précédait, mais il
représente un progrès, une étape supplémentaire que M. Claude Estier vient de
rappeler très clairement en matière d'emploi, des respect des droits, de lutte
contre les discriminations.
Cette dernière mesure, inscrite pour la première fois dans un traité européen,
vise à lutter contre toutes les formes de discrimination. Il s'agit d'un rappel
fondamental de nos valeurs communes.
Il reste, bien entendu, à réaliser des progrès en matière sociale, en matière
de coopération policière et judiciaire et en matière de libre circulation des
personnes. Permettez-moi, à cet égard, d'ajouter quelques mots puisque, du fait
de mes compétences ministérielles, je suis aujourd'hui chargée de ces
questions.
Si nous avons décidé de communautariser une partie de ces questions - celles
qui sont relatives à l'asile, aux visas, au contrôle des frontières - c'est
évidemment parce que nous avons besoin d'une impulsion plus forte.
Nous savons que, quels que soient les mérites de la coopération
intergouvernementale - dans certains domaines, par exemple en matière de
coopération policière, il faut la garder - les procédures communautaires sont
là pour donner cette impulsion plus forte. Pourquoi ? Parce que la Commission
met un seul texte sur la table. Elle ne décide pas, vous le savez, monsieur
Masson, à notre place, elle propose. C'est important, parce que, auparavant,
elle aura mesuré ce que les uns et les autres sont prêts à accepter ; ainsi,
elle aura déjà fait un pas dans la voie de l'accord.
Ensuite, il appartient au conseil des ministres de décider. Nous n'avons pas à
avoir peur du vote à la majorité, je l'ai dit pour commencer, je n'y insisterai
pas. Nous n'avons eu qu'à nous en féliciter dans les domaines où nous l'avons
accepté depuis maintenant plus de quarante ans, tout simplement parce que notre
pays est au centre, au coeur stratégique de l'Europe ; lorsque nous n'avons pas
voulu quelque chose, jamais, je dis bien jamais, dans l'histoire de l'Union
européenne, on ne nous l'a imposé. Alors, utilisons le vote à la majorité pour
faire avancer nos propositions !
J'en viens au troisième concept : la hiérarchie. M. Gélard nous a dit qu'il
fallait respecter la hiérarchie des normes. Ce n'est pas moi qui dirai le
contraire ! Mais nous devons accepter qu'elle soit double, entre les normes
communautaires, d'une part, avec au sommet le traité, et les normes nationales,
d'autre part, avec au sommet la Constitution.
Ces deux hiérarchies sont perméables, d'une part, par l'applicabilité directe
des normes communautaires - de certaines d'entre elles en tout cas - et,
d'autre part, par la primauté du droit communautaire qui oblige depuis des
années non seulement le juge communautaire, mais aussi le juge national à le
privilégier par rapport au droit national en cas de conflit.
Si ces deux hiérarchies sont perméables, elles ne sont pourtant pas
confondues, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9
avril 1992 sur le traité de Maastricht, décision qu'a rappelée Robert Badinter
et selon laquelle « l'ordre juridique communautaire constitue un ordre
juridique propre qui, bien que se trouvant intégré au système juridique des
différents Etats membres, n'appartient pas à l'ordre institutionnel de la
République française ». C'est bien pourquoi il faut en effet un juge
communautaire qui organise la cohérence des normes communautaires.
J'en arrive au quatrième concept : la souveraineté. M. Duffour a dit ne pas
être opposé à tout partage de souveraineté. Il a raison, car c'est bien parce
que la France est souveraine qu'elle peut souverainement décider de procéder à
des transferts de compétences. Bien sûr, ceux-ci doivent être proportionnés à
sa volonté européenne, mais c'est bien notre pays, c'est vous, c'est le
constituant qui décide souverainement de ces transferts.
Claude Estier vient de le rappeler avec la plus grande clarté, ces transferts
de compétences existent en vérité depuis la Constitution de 1946 et ont été
réaffirmés à plusieurs reprises depuis quarante ans dans l'Union européenne -
Yvon Collin à l'instant a insisté sur ce point.
C'est donc parce que c'est notre intérêt national que nous consentons à ces
transferts.
J'en arrive au contrôle du Parlement.
Nombreux ont été les orateurs - je ne les citerai pas tous, mais je reviendrai
plus particulièrement sur les propos tenus par votre rapporteur, M. Fauchon - à
rappeler la nécessité d'une meilleure association du Parlement à la
construction européenne.
De quoi s'agit-il ?
S'il s'agit de connaître les projets communautaires, c'est l'information du
Parlement et la loi Josselin y veille ; elle énonce très clairement que tous
les documents doivent être transmis au Parlement.
S'il s'agit d'influer les futures prises de position des autorités de
l'exécutif constitutionnellement chargé de préparer les négociations, de
décider des positions françaises dans les négociations européennes, non
seulement la délégation pour l'Union européenne de chaque assemblée exerce
cette fonction mais, de surcroît, le Parlement tout entier peut, par le vote
des résolutions prévues par l'article 88-4 de la Constitution, donner son point
de vue.
A ce propos, je répondrai à M. Fauchon qui a posé une question précise, hier,
dans son intervention, sur ce sujet.
Le protocole sur les parlements nationaux prévoit, en effet, une obligation de
transmission rapide de tous les documents de consultation que, d'ailleurs, il
énumère : Livre blanc, Livre vert, communications, mais il ne précise pas si la
saisine des parlements nationaux est pour simple information ou pour
consultation. Il est même rappelé que cela relève de l'organisation et de la
pratique constitutionnelle de chaque Etat membre.
Tous ces documents sont aujourd'hui transmis au Parlement au titre de la loi
Josselin. La vraie question est donc de savoir s'il faut aller au-delà en
prévoyant que ces documents sont soumis au Parlement, au titre de l'article
88-4 de la Constitution, c'est-à-dire qu'ils autorisent effectivement le vote
de résolutions.
Cela - je veux le dire - est permis par la rédaction adoptée par l'Assemblée
nationale. On n'imagine pas que les documents préparatoires - pas plus
d'ailleurs, évidement, que les actes législatifs - ne soient pas désormais
soumis par le Gouvernement au Parlement.
Ainsi, il est clair que, aux termes de la rédaction adoptée par l'Assemblée
nationale, le Gouvernement aurait, sans hésitation, transmis, au titre de
l'article 88-4 de la Constitution, une communication telle que l'Agenda 2000 ;
on pourrait également citer l'exemple du Livre vert, il y a trois ans, sur La
Poste.
Mais s'agissant de ce que peut faire le Parlement, se pose également la
question du contrôle proprement dit du Parlement de l'activité du Gouvernement
dans les domaines européens.
Hier soir, Robert Badinter a montré très clairement que, là encore, le
Parlement dispose de nombreuses techniques parlementaires pour contrôler ;
c'est le contrôle du peuple, selon les propres termes de M. Duffour.
Enfin, s'il s'agit de mandater impérativement le Gouvernement pour qu'il
aborde les discussions à Bruxelles de telle ou telle manière,
a fortiori
pour qu'il prenne telle ou telle position de négociation, il y aurait,
alors, changement de régime politique.
Ce n'est pas se « cramponner », comme l'a dit Michel Barnier hier, à la Ve
République que de refuser cela ; c'est appliquer normalement la Constitution de
la Ve République.
Tout à l'heure, Claude Estier a rappelé les articles de notre Constitution qui
définissent les prérogatives des pouvoirs publics : l'article 52 sur les
responsabilités éminentes du Président de la République dans la négociation et
la ratification des traités ; l'article 5 qui en fait le garant du respect des
traités internationaux ; l'article 53 qui confère au Parlement un rôle capital
s'agissant de la transcription dans notre droit des règles internationales ;
et, bien entendu, l'article 20 qui confère au Gouvernement la détermination et
la conduite de la politique de la nation et à qui revient la mise en oeuvre de
la politique étrangère de notre pays en accord avec le Président de la
République.
Cet équilibre constitutionnel, oui, je le défends aujourd'hui !
Hier, Michel Barnier a cru pouvoir ironiser sur l'attachement des socialistes
et du gouvernement actuel à la Ve République. Il ne faut pas se tromper de
registre, ni tout mélanger. S'il faut un jour rééquilibrer différemment les
prérogatives respectives de l'exécutif et du législatif au sein de notre
Constitution - nous nous sommes forgé notre propre opinion sur ce point et nous
l'avons communiquée, ces dernières années, en des moments importants du débat
démocratique -, il faudrait évidemment que ce soit au cours d'un débat consacré
uniquement à ce sujet et non pas en quelque sorte « par la bande », à
l'occasion de l'examen d'un texte ayant un autre objet.
M. Claude Estier.
Absolument !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
L'Europe et la Constitution méritent autre chose que
des arrière-pensées, méritent un débat franc, clair et net. Aujourd'hui, lors
de ce débat sur la révision constitutionnelle relative au traité d'Amsterdam,
ne parlons que de ce dernier, ne faisons rien qui remette en cause nos
équilibres institutionnels !
Mme Hélène Luc.
C'est pour cela qu'il ne faut pas ratifier !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il est dans l'intérêt de notre pays de ratifier ce
traité. De très nombreux orateurs, hier soir et ce matin, MM. de Villepin,
Hoeffel, de Montesquiou, notamment, ont tenu des propos extrêmement
éloquents.
Certes, il y a le « fatras », monsieur Masson, mais des fatras, il y en a
partout ! Dans notre action nationale, et même ici, au Sénat, quelquefois, on
n'entend pas des propos toujours très...
Oui, il faut dégager l'Union européenne du fatras. Vous en avez dressé un
tableau en quelques phrases absolument saisissantes...
M. Paul Masson.
Mais vraies !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... et avec grand talent. Il faudra les garder dans les
annales... comme repoussoir.
Sachons, quand nous arriverons à faire sortir de cette gangue tous les choix
que nous avons effectués depuis quelques années, ne pas nous polariser sur ce
fatras.
Reconnaissez tout de même, monsieur Masson, que l'Union européenne s'est faite
dans l'intérêt de notre pays.
Le principal chantier qui est devant nous est bien entendu de faire en sorte
que l'euro puisse être géré dans le sens de la croissance et de l'emploi. Ce
sera une bataille de tous les jours.
Le prochain chantier, le plus neuf, consiste à mettre en place une vraie
coopération policière et judiciaire. Si nous n'y réussissons pas, nous serons
alors impuissants à lutter contre les mafias internationales.
En dehors de la réforme des institutions, nous avons donc de quoi nous occuper
pendant quelques dizaines d'années encore.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'Union
centriste.)
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, après Mme Elisabeth Guigou, qui vient de répondre sur la révision
constitutionnelle, j'ajouterai quelques mots brefs sur le traité d'Amsterdam,
soulignant à mon tour que le débat devant le Sénat - mais comment aurait-il pu
en aller autrement ? - a été riche, s'est maintenu dans les hauteurs que
souhaitait M. de Villepin. Il n'a en rien été médiocre. Il a manisfesté
l'adhésion très majoritaire du Sénat à la construction européenne avec des
accents parfois vibrants, parfois plus réservés. Il soulève aussi des questions
de fond concernant le traité. Nous y reviendrons lors du débat sur la
ratification, mais je veux déjà répondre rapidement.
Je voudrais d'abord faire écho aux propos tenus par MM. Jacques Larché et
Pierre Fauchon, auxquels je souhaite manifester un triple accord.
Il est vrai que ce traité ne répond pas aux défis du temps présent, même sur
l'emploi et le social, mais, en même temps, vous savez comme moi, monsieur
Fauchon, que, sur quelques points, notamment l'emploi et le social, il y a des
avancées que nous ne devons pas refuser.
Vous avez expliqué avec éloquence que la méthode intergouvernementale ne
donnait pas des résultats suffisants dans le troisième pilier. C'est exact - et
j'y reviendrai à propos de l'intervention de M. Masson - et, en même temps,
c'est ce qui explique la communautarisation.
Vous avez expliqué également que la règle de l'unanimité était un facteur
d'inertie ou de marchandage et que la solution résidait davantage dans la
majorité qualifiée, que nous ne devions pas aborder à reculons ; là encore,
c'est tout à fait vrai.
Je voudrais confirmer l'esprit de l'engagement que vient de prendre Mme
Guigou. Je suis, au sein du Gouvernement, le ministre chargé de la procédure de
l'article 88-4 de la Constitution et je crois que ce qui a été dit par Mme
Guigou est tout à fait clair, sur l'esprit et sur ce que nous ferons, et que
c'est de nature à lever votre réserve.
La plupart des orateurs se sont exprimés avec des accents forts sur l'Europe.
Je n'ai pas besoin de répondre au discours de M. de Villepin tant j'en partage
la philosophie, même si l'on comprendra que les équilibres et les accents mis,
ici ou là, ne seront pas exactement les mêmes. Mais ce n'est qu'une question de
virgule.
J'irai droit au fait, monsieur de Villepin. Vous n'avez formulé qu'une demande
: que vous soit confirmé l'engagement du Gouvernement d'élaborer, en
concertation avec le Parlement, notamment le Sénat, un article 2 à la loi de
ratification permettant de confirmer ce que nous appelons le « préalable
institutionnel ».
Cette nécessaire réforme institutionnelle avant l'élargissement a été
soulignée sur plusieurs travées. Je l'ai dit dans mon intervention liminaire et
je le redis bien volontiers maintenant : c'est l'intention du Gouvernement et
ce point fera l'objet d'un débat dès le début de l'année 1999. Ce sera
l'occasion, effectivement, de marquer qu'il y a eu là une lacune fondamentale
que nous devons maintenant combler.
Ce discours européen, on l'a aussi trouvé dans la bouche de M. Hoeffel, qui a
appelé à l'ambition, à un souffle nouveau, car il est vrai en effet que ce
traité d'Amsterdam contient en l'état des propositions modestes, même si elles
constituent un progrès.
Je ne reviens pas sur tout ce que vous avez dit, monsieur de Villepin. Tout
comme vous, je crois qu'un contrôle renforcé est nécessaire pour la démocratie
européenne, un contrôle à la fois du Parlement européen et de notre Parlement
national.
Cet accent, on le trouve toujours chez M. de Montesquiou. Mais, en
l'occurrence, j'ai tout de même envie de mettre deux bémols ; il s'y attendait
sûrement.
Le premier concerne les propos que vous avez tenus, monsieur le sénateur, sur
le Gouvernement, qui ne se serait pas appliqué suffisamment à renégocier
certains points du traité et qui, de ce fait, se trouverait contraint. Je
résume là votre propos, qui se voulait quelque peu critique à l'égard de M.
Lionel Jospin.
C'est un peu facile ! Chacun se souvient en effet que le Gouvernement, après
une dissolution qui a été voulue par d'autres, a été formé le 4 ou le 5 juin,
alors même que le Conseil européen se tenait le 16 juin.
M. Michel Barnier le sait bien et il a lui-même souligné que ce traité avait
été négocié presque jusqu'au bout par le gouvernement auquel il appartenait.
Je ne suis pas certain d'ailleurs que le dernier jour de la négociation aurait
permis une mutation absolument fondamentale. Je pense que nous aurions toujours
dû respecter les mêmes équilibres. Mais j'y reviendrai un peu plus tard.
Le texte était pratiquement bouclé. Aurait-il été préférable que nous
refusions de conclure et que nous provoquions une crise européenne ? A
l'évidence, non ! Nous assumons donc le traité, ce qui, ma foi, n'est déjà pas
si mal, monsieur le sénateur !
Second bémol : vous avez dit, ce qui est plus préoccupant et mérite peut-être
une rectification sur le fond, que les chapitres sur le social et l'emploi
n'auraient aucun effet juridique. Je veux vous rassurer, cela n'est pas
exact.
Sur le volet social, notamment, nous avons un véritable processus itératif à
effet contraignant qui, petit à petit, fera des partenaires sociaux de
véritables colégislateurs dans l'Union européenne et qui débouchera sur des
directives. Je le dis avec force : pour nous, il ne s'agit pas seulement de
discours, de quelques mots ; il s'agit de quelque chose qui doit et qui va
embrayer sur une réalité. Ces deux bémols ne me conduisent pas à me démarquer
de vos propos.
Ma réponse aux discours de mes amis de la gauche plurielle sera brève.
Je veux tout d'abord, après Mme Elisabeth Guigou, manifester mon accord total
avec ce qui a été dit avec talent par M. Claude Estier et dire à M. Yvon Collin
que je crois, comme lui, à la souveraineté partagée, à l'émergence nécessaire
d'une politique étrangère et de sécurité commune.
M. Duffour a manifesté une position que nous connaissons. Ce qui fait la force
de la majorité plurielle, sur le thème européen, c'est que nous sommes d'accord
sur nos désaccords !
(Rires sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
Nous ne nous
surprenons pas, il n'y a ni tromperie ni révélation.
De ce point de vue-là, nous avons une philosophie commune, qui est de tenter
d'infléchir la construction européenne dans un sens plus favorable à l'emploi
et à la croissance, tout en conservant nos appréciations, qui sont différentes,
mais toujours cohérentes dans les votes, je l'ai noté à l'Assemblée
nationale.
Je ne vais pas vous répondre à ce stade, monsieur le sénateur. Tout à l'heure,
une motion de procédure me permettra peut-être de revenir à votre intervention.
Je vous informe cependant qu'il y a bien eu des avancées au Conseil européen de
Vienne, la semaine dernière, dans le sens que nous souhaitons ensemble : aller
vers plus d'emplois et de croissance en Europe.
Les lignes directrices pour l'emploi ont été renforcées. L'engagement
fondamental, à mon sens, a été pris d'aboutir à un pacte européen sur l'emploi
lors du prochain sommet de Cologne. Cette proposition importante émane d'abord
effectivement du Gouvernement français, puis du Président de la République, et
ensuite d'autres gouvernements socio-démocrates en Europe. Je n'associe pas,
pour ma part, le Président de la République à la social-démocratie,
contrairement au Chancelier Schroeder.
Monsieur Duffour, vous avez également demandé que les ministres viennent
devant le Parlement avant et après chaque Conseil des ministres et Conseil
européen. Il me semblait que c'était déjà largement le cas.
Pour ma part, je me rends chaque fois devant les délégations européennes,
devant la commission des affaires étrangères, mais rien n'empêche que d'autres
ministres viennent plus souvent parler de leurs dossiers européens devant les
commissions compétentes. Il est effectivement souhaitable que le Parlement soit
nourri de cette discussion européenne dans ses multiples dimensions.
M. Paul Loridant estime difficilement supportable, peut-être, en tout cas pas
souhaitable, que la Constitution doive être modifiée du fait des traités
européens successifs.
Nous sommes néanmoins - j'aurai aussi l'occasion de revenir sur ce point
ultérieurement, en réponse à la motion du groupe communiste républicain et
citoyen - dans un processus constitutionnel absolument légitime, même si les
formes ne sont pas exactement celles que vous souhaitez, monsieur Loridant, et
sont même substantiellement différentes.
Sortirons-nous, demandez-vous, de la parenthèse des traités d'Amsterdam et de
Maastricht ? Depuis 1983, je me méfie des parenthèses, et je crois que nous
sommes non pas tout à fait dans une parenthèse, mais dans un processus qui se
poursuit.
En même temps, nous voulons, comme vous, profiter du changement de majorité en
Europe. Certes, les élections n'ont pas lieu au même moment en Europe, en tout
cas aucune élection n'interviendra avant les élections européennes. Toutefois,
il y a bien des changements de majorité, c'est un fait politique. Je ne sais
pas s'il est entièrement positif pour tout le monde, mais il a été voulu par
les électeurs européens.
Par conséquent, nous voulons profiter de ce changement de majorité pour
rééquilibrer les choses.
Pour ma part, je regrette, monsieur le sénateur, que vous ne voyiez pas que le
traité d'Amsterdam, avec toutes ses lacunes, toutes ses imperfections, toutes
ses insuffisances - je ne les ai pas niées - permet de corriger le traité de
Maastricht sur l'emploi et sur le social.
Comme vous, je crois qu'il faut enfin « républicaniser » l'Europe. Cela
suppose que l'on mette en place des mécanismes démocratiques.
Je m'étendrai un peu plus sur l'intervention de M. Masson, puisqu'il a posé
des questions techniques importantes.
Il me pardonnera de ne pas répondre intégralement, car son intervention mérite
à elle seule un débat ; mais nous en avons déjà tenu devant le Sénat sur ce
sujet.
Il est vrai que le problème de l'Europe est avant tout le manque de
visibilité, de lisibilité, le fonctionnement opaque des comités de
fonctionnaires - nous le vivons quotidiennement - et l'absence d'autorité
politique responsable.
Il faudrait d'ailleurs que nous ayons un échange sur les conséquences
politiques que vous en tirez. Elles ne sont pas totalement étrangères à la
logique qui nous réunit aujourd'hui : la « communautarisation ».
Vous avez souligné, monsieur le sénateur, l'émergence à Bruxelles d'un débat
sur ce que vous appelez le « partage du fardeau » et vous vous êtes interrogé
sur la raison pour laquelle nous aurions modifié la loi sur l'immigration,
rendant notre législation plus laxiste qu'en Allemagne ou au Benelux, alors que
nous allons devoir maintenant combler la brèche pour aller vers Amsterdam.
Ce n'est pas mon sentiment, vous le comprenez : le droit d'asile en Allemagne
est, j'en suis persuadé, bien plus généreux que le nôtre. La loi Chevènement
tend précisément à augmenter les contrôles et à assurer une meilleure maîtrise
de l'immigration, dans le respect des libertés. La devise d'Amsterdam -
sécurité, liberté, justice - convient parfaitement, à mon sens, à cette loi
républicaine.
Par ailleurs, vous avez fait l'éloge, et je le partage, de la coopération
Schengen, que vous avez appelée la coopération à treize. Ce n'est, en effet, en
rien un échec.
Puisque je suis, pour le moment, en attendant l'intégration de la convention
de Schengen dans le traité, le ministre qui siège au comité Schengen, je peux
vous dire que cela fonctionne bien, parfois très bien, mais que, à mon sens,
cela irait beaucoup mieux - j'y reviendrai - avec la règle de la majorité
qualifiée.
L'idée est d'intégrer la convention de Schengen dans le traité. Je vais vous
dire où nous en sommes, encore que vous le sachiez probablement aussi bien que
moi, sinon mieux.
M. Paul Masson.
J'ai cherché !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Cette intégration répond à la nécessité de renforcer
dans l'ensemble de l'Union européenne les exigences relatives à la sécurité des
citoyens dont la reprise s'imposera désormais à tout nouvel adhérent au même
titre que les autres dispositions qui constituent l'acquis de l'Union
européenne.
Par souci de cohérence, la France a décidé que cette intégration ne se fasse
pas, comme l'auraient souhaité certains de nos partenaires, par intégration
pure et simple dans le pilier communautaire. Nous avons pris en compte, sur ce
point, vos préoccupations.
Cela veut dire que toutes les dispositions de la convention, article par
article, et tout le droit dérivé, en d'autres termes, les décisions du comité
exécutif, ont été recensés avant d'être ventilés entre le pilier communautaire
et le troisième pilier pour tout ce qui touche aux visas, au droit d'asile et à
l'immigration et pour tout ce qui relève de la coopération policière et
judiciaire pénale.
Ce travail est en voie d'achèvement. Aucune disposition n'a été laissée de
côté. Les décisions relatives à la ventilation - j'insiste sur ce point - ne
peuvent être prises qu'à l'unanimité. En cas d'absence d'accord, le protocole
prévoit que la base juridique demeure celle du troisième pilier.
La règle de l'unanimité demeure également s'agissant de la décision de lever
les contrôles aux frontières pour tout nouvel Etat membre.
Enfin, l'existence de la clause de sauvegarde - j'en reparlerai dans un
instant - n'est pas remise en cause. Nous y avons veillé à Amsterdam.
Un seul point est encore en discussion. C'est l'article 96 relatif au système
d'information Schengen, le SIS.
Je ne vous cacherai pas que, sur ce point, trois questions se posent.
S'agissant de la base juridique, la France et l'Espagne demandent une base
troisième pilier et les autres partenaires une base mixte, premier et troisième
piliers. Si nous n'arrivons pas à trouver un accord, la base retenue sera, par
défaut, la base troisième pilier jusqu'à l'an 2000, date à laquelle il faudra
changer le SIS.
Pour ce qui concerne la clause de sauvegarde, vous demandez uneréponse
précise.
Je vais vous la donner en citant le protocole sur Schengen annexé au traité
d'Amsterdam et qui est très clair : la Cour de justice des Communautés excerce
les compétences qui lui sont conférées par le traité. En tout état de cause,
elle n'est pas compétente pour statuer sur les mesures relatives au maintien de
l'ordre public et de la sécurité intérieure, ce qui pourrait d'ailleurs poser
un problème.
Enfin, je terminerai cette réponse - mais vos remarques mériteraient un plus
long débat - en faisant écho à votre proposition. Je crois, comme vous, que
l'association du Parlement à la décision sur la ventilation de l'acquis de
Schengen, au titre de l'article 88-4 et par anticipation, serait une bonne
chose.
J'en suis d'accord, et je suis même prêt à venir devant la délégation
européenne ou la commission, pour une audition spéciale sur la ventilation de
l'acquis de Schengen qui me permettrait de répondre intégralement aux questions
que vous vous posez, monsieur le sénateur, comme, je le sais, bon nombre de vos
collègues.
M. Paul Masson.
Avant la ratification ?
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Bien sûr ! Il faudra arrêter une date aussitôt que nous
aurons toutes les données sur ce point. Mais je vous donne une réponse tout à
fait positive par rapport à la demande que vous avez exprimée.
Je répondrai maintenant à M. Michel Barnier, qui est intervenu à la fois en
tant que président de la délégation de l'Union européenne, en tant qu'ancien
ministre et, dans une partie plus politique, en tant que membre de son
parti.
Vous avez dit, monsieur Barnier, que la démarche du Gouvernement apparaissait
depuis des mois comme ployant sous la contrainte. Est-ce bien raisonnable de
parler ainsi ?
Je vous rappellerai tout simplement que nous avons « trouvé » le traité
d'Amsterdam dans « la corbeille de mariage » puisqu'il était presque
intégralement négocié et pour reprendre une expression qui a été employée. Je
ne sais pas si c'est un mariage que nous avons conclu...
M. Charles Pasqua.
Un PACS !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Pas exactement non plus, puisque le PACS suppose un
contrat. Bref, c'est le peuple qui a décidé et, en tout cas, nous l'avons
trouvé là, ce traité.
Nous ne l'avons pas négocié. Je ne sais pas ce que nous aurions fait.
L'aurait-on conclu dans ces conditions ?...
Ma foi, je trouve que, compte tenu de ces circonstances, nous l'assumons
plutôt bien ! J'ai dit moi-même, après l'avoir d'autant mieux analysé que nous
ne l'avions pas négocié, que je considérais qu'il comportait des avancées
positives et j'ai appelé à le voter sans aucune réticence, sans aucun état
d'âme.
J'observe d'ailleurs que les états d'âme ne se font pas essentiellement jour
dans le principal parti de la majorité. D'autres ont mis peut-être un peu plus
de temps à se déterminer, et certaines de vos critiques sur ce traité que vous
connaissez bien, très bien même pour avoir aidé à l'enfanter, m'étonnent
parfois.
J'ajoute que tout cela se fait depuis des mois en parfaite harmonie avec le
Président de la République, mais je veux confirmer devant vous qu'il y aura
bien une communication gouvernementale sur le traité d'Amsterdam. La moindre
des choses était quand même d'attendre que les deux assemblées se soient
engagées suffisamment dans le processus de ratification. Nous le ferons dès le
mois de janvier.
Je ne sais pas si vous êtes vraiment favorable à une clause d'habilitation
autorisant, dans la Constitution, tous les transferts de compétences pour
l'avenir. J'ai cru le comprendre. Est-ce une position unanimement partagée ?
Robert Badinter a justement souligné que, si l'on procédait ainsi, cela
nécessiterait, pour le coup, un très vaste débat, peut-être un référendum.
M. Michel Barnier.
Je l'ai dit aussi !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Nous n'en sommes pas là, mais cela me paraît un propos
frappé au coin du bon sens.
Sur la négociation elle-même, j'ai deux ou trois remarques à formuler, puisque
vous l'avez évoquée.
S'agissant de l'intégration du protocole social, il me semble qu'elle doit
beaucoup à M. Tony Blair, à son nouveau gouvernement, et peu au gouvernement
français.
On m'a dit qu'on pourrait faire une remarque assez comparable sur l'emploi.
Encore une fois, je me suis laissé raconter que, pendant très longtemps, les
représentants français à la CIG n'ont pas été très chauds sur l'introduction
d'un chapitre emploi dans le traité.
En revanche, je veux saluer les progrès qui ont été accomplis sur le troisième
pilier. Le gouvernement auquel vous avez appartenu a fortement poussé, et je ne
crois pas qu'il ait été demandé par ce gouvernement une clause de ratification,
par les parlements nationaux, de la décision de passer à la majorité qualifiée
dans cinq ans.
J'en viens à la seconde partie de votre intervention, laquelle était de nature
plus politique.
Je voudrais souligner non pas quelque étrangeté, mais peut-être quelque
contradiction, dont M. Robert Badinter a fait litière avec un brio que je ne
saurais égaler.
M. Charles Pasqua.
Essayez !
(Sourires.)
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je vais donc me contenter de le citer.
Effectivement, c'est un contresens de penser qu'en revenant à un contrôle très
étroit des parlements nationaux on ferait avancer la construction européenne ou
l'on renforcerait la démocratie européenne. Comme M. Robert Badinter, je pense
exactement le contraire : c'est au niveau européen qu'il est nécessaire de
trouver des solutions au déficit démocratique. Ce serait un retour en arrière
que de faire autrement.
Je partage, une fois encore, l'avis de M. Robert Badinter selon lequel le
traité lui-même exclut une nouvelle ratification dans cinq ans. Cela me paraît
clair ! Vous, vous pariez qu'il y aura un vote au Parlement dans cinq ans. Oui,
il y en aura un, et j'ajoute, comme l'a dit Mme Elisabeth Guigou, hier, que ce
sera même un vote très important. S'il s'agissait d'une résolution, comment
imaginer qu'en cas de résultat négatif le Gouvernement de l'époque, quel qu'il
soit, ne s'y conformerait pas ? Ce serait fondamental de le faire.
S'agira-t-il d'une loi d'habilitation ? Ce serait une fort mauvaise chose,
mais ce sera à la sagesse des assemblées d'en décider. Quoi qu'il en soit, ce
qui sera décidé par le Parlement, à l'occasion de ce débat, sera ce qui
existera dans cinq ans. Pour ma part, je crois - je l'espère - que ce sera une
résolution, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.
S'agissant de la veille constitutionnelle, M. Badinter en a parlé de façon
lumineuse et d'expérience en rappelant que le Conseil constitutionnel n'était
jamais consulté sur des projets. Il l'est sur des textes votés. Ce serait donc
une bizarrerie juridique de le consulter sur des projets.
Je veux, comme vous, monsieur Barnier, terminer mon propos en souhaitant
effectivement aller plus loin dans la construction d'une identité politique
européenne ; c'est là une nécessité.
Nous avons devant nous un défi formidable à relever, celui de l'élargissement.
En effet, en élargissant l'Europe, nous allons bâtir une autre Europe, qui
n'aura plus exactement la même nature que la nôtre et c'est pourquoi il fait
effectivement réformer les institutions dans un sens efficace. Je pense
d'ailleurs que, sur ce point-là, les pistes ont été bien identifiées, parmi
lesquelles, je le répète, l'extension du vote à la majorité qualifiée. Certes,
il faudra sans doute aller plus loin dans la recherche d'institutions légitimes
et d'une citoyenneté plus proche.
Vous avez également fait allusion à la réforme du mode de scrutin. Vous savez
que, comme vous - et là, je vous emboîte le pas - j'y suis favorable. Vous
savez, en outre, que le Gouvernement a proposé un projet de loi qui a été
adopté en conseil des ministres, et nous connaissons tous les conditions dans
lesquelles il n'a pas été donné suite. Il est vrai qu'il y a eu des débats au
sein de la majorité. Mais si nous avions sentit, sur d'autres bancs, un soutien
plus ferme, nous n'aurions pas raté cette occasion pour la démocratie !
M. Josselin de Rohan.
Vous avez besoin de nous, maintenant !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
L'Europe a besoin de toutes les énergies, monsieur de
Rohan !
En conclusion, cette révision est dictée par la nécessité eu égard à la
décision du Conseil constitutionnel, mais nous ne devons pas en rajouter. Nous
devons en rester à la sagesse de la commission des lois, car le véritable enjeu
est de réviser aujourd'hui la Constitution d'une manière induite par le traité
lui-même pour, ensuite, mieux ratifier ce traité, et aucune voix,
effectivement, ne doit manquer !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
Exception d'irrecevabilité