Séance du 16 décembre 1998
MODIFICATION DES ARTICLES 88-2 et 88-4
DE LA CONSTITUTION
Discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n°
92, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, modifiant les articles 88-2
et 88-4 de la Constitution. [Rapport n° 102 (1998-1999)].
Dans le discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l'ai dit devant l'Assemblée
nationale le 24 novembre dernier, le Gouvernement souhaite que le Parlement
ratifie le traité d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997. Neuf de nos partenaires
l'ont déjà ratifié. La France ne doit pas être la dernière à le faire.
Ce traité, même s'il n'apporte pas toutes les réponses, notamment sur la
réforme des institutions, constitue une nouvelle avancée significative de
l'Union et va dans le sens de notre conception de l'Europe. Ce sont ces
nouveaux progrès qu'il faut approuver, sachant que d'autres devront être
réalisés.
Votre rapporteur, M. Fauchon, énumère avec beaucoup de justesse les principaux
points importants du traité : l'extension des prérogatives du Parlement
européen et du vote à la majorité qualifiée, les stipulations relatives au
nouveau titre sur l'emploi et le protocole social désormais intégré au traité
instituant la Communauté européenne, l'approfondissement de la politique
étrangère et de sécurité, qui aura plus de visibilité à travers son haut
représentant, et enfin la coopération policière et judiciaire en matière
pénale, qui sera renforcée.
C'est la raison pour laquelle je pense que, même si le traité d'Amsterdam a
ses lacunes, il comporte aussi des points positifs qui justifient amplement son
approbation.
Je saisis d'ailleurs l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de saluer
l'important travail de la délégation du Sénat pour l'Union européenne,
délégation que je connais bien, qui a consacré au moins trois réflexions
détaillées au traité d'Amsterdam, celle de M. de La Malène, en octobre 1997,
celle de M. Lanier, plus ciblée, sur l'opportunité de modifier l'article 88-4
de la Constitution, et, bien entendu, le rapport de M. Fauchon intitulé
Le
Sénat face au Traité d'Amsterdam,
qui a très bien identifié les questions
que pose la révision constitutionnelle à laquelle nous devons procéder.
En effet, pour que le Parlement puisse ratifier le traité d'Amsterdam, il faut
au préalable réviser la Constitution, et c'est pourquoi nous sommes réunis,
ici, ce soir.
Examinons d'abord la décision du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel qui, je le rappelle, avait été saisi conjointement
par M. le Président de la République et par M. le Premier ministre, a jugé,
dans sa décision du 31 décembre 1997, que l'application éventuelle, dans cinq
ans, des procédures de codécision avec le Parlement européen et de majorité
qualifiée au sein du Conseil de l'Union européenne aux règles de franchissement
des frontières intérieures de la Communauté, aux modalités de contrôle des
personnes aux frontières extérieures de l'Union ainsi qu'aux politiques d'asile
et d'immigration constituait un transfert de compétences.
Il faut donc, si l'on veut ratifier le traité d'Amsterdam, modifier la
Constitution pour la rendre compatible avec le traité.
Le projet de loi constitutionnelle que le Gouvernement a soumis à l'Assemblée
nationale les 24 et 25 novembre derniers tirait les conséquences de cette
décision. Se référant aux seules dispositions déclarées contraires à la
Constitution, sans introduire une clause générale autorisant par avance des
transferts de compétences ultérieures, le projet de loi se « calait » très
précisément sur la décision du Conseil constitutionnel.
Par conséquent, le texte soumis à l'Assemblée nationale modifiait et
complétait le seul article 88-2 de la Constitution de façon que puissent « être
consentis les transferts de compétences nécessaires à la détermination des
règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui
sont liés ». Cette expression renvoie très directement aux modalités du traité
et à l'intitulé du titre III A : « Visas, asile, immigration et autres
politiques liées à la libre circulation des personnes ».
Sur le fond des dispositions que l'on trouve au titre III, je crois que nous
sommes tous d'accord avec M. le rapporteur, M. Fauchon, qui écrit que «
l'ouverture des frontières intérieures, corollaire naturel de l'Union
économique, rend en pratique inopérants les contrôles dans le cadre national et
entraîne une homogénéité du territoire européen, dont la seule frontière
opérationnelle ne peut être que le réseau des frontières extérieures ».
D'ailleurs, un certain nombre d'événements récents - je pense surtout ici à
l'Italie - montrent que le contrôle des frontières doit en effet se gérer en
commun. Non pas que les frontières nationales soient désormais totalement
obsolètes, ce n'est pas le cas, mais parce que, sur un certain nombre de
points, notamment la circulation des personnes, nous devons faire prévaloir nos
contrôles aux frontières extérieures.
Dans ces conditions, je crois que nous n'avons rien à craindre d'un éventuel
passage à la majorité qualifiée, dans cinq ans, dans le domaine des politiques
d'immigration, d'asile ou, plus généralement, de libre circulation des
personnes dans la mesure où, nous le savons, nos intérêts ne sont pas
différents de ceux de l'Allemagne ou de l'Italie, par exemple, et dans la
mesure aussi où la procédure de l'unanimité est facteur d'inertie.
Il est clair que les pays européens étant confrontés à d'importantes poussées
d'immigration, ils ressentent tous la nécessité de définir des règles en commun
pour y faire face. Or ils doivent parvenir à surmonter l'unanimité pour
pouvoir, à la majorité, définir ces règles en commun.
De même que nous n'avons pas eu à souffrir depuis près de cinquante ans
maintenant de la règle de la majorité pour ce qui est de la politique agricole,
je ne vois pas pourquoi nous aurions à souffrir en ces matières de la règle de
la majorité qualifiée à partir du moment où nous avons les mêmes intérêts que
nos partenaires.
Je tiens à souligner - et c'est très important - que le traité d'Amsterdam
maintient les clauses de sauvegarde qui permettent aux Etats membres de prendre
les mesures qu'ils peuvent juger nécessaires pour le maintien de l'ordre public
et la sauvegarde de la sécurité intérieure. En clair, s'il est nécessaire de
fermer nos frontières intérieures, nous pouvons, le cas échéant, le faire.
L'Assemblée nationale a approuvé le texte de la révision constitutionnelle qui
modifie l'article 88-2 de la Constitution, et je me félicite que votre
commission ait fait de même.
Voilà quelle était la signification du projet de loi soumis par le
Gouvernement à l'Assemblée nationale, qui se limitait à un article unique,
l'article 88-2 de la Constitution, et qui, lui-même, avait fait l'objet des
remarques du Conseil constitutionnel. Toutefois, à l'Assemblée nationale est
venue se greffer une nouvelle discussion sur la modification de l'article 88-4
de la Constitution.
En effet, l'Assemblée nationale a estimé que la révision devait s'accompagner
d'un perfectionnement du dispositif qui permet au Parlement d'être associé à
l'ensemble des aspects de la construction européenne. Nous avions déjà
considéré ce problème au moment de la révision constitutionnelle précédant la
ratification du traité de Maastricht. Les questions européennes prenant
naturellement une importance plus grande, il est normal, me semble-t-il, que le
Parlement français souhaite augmenter son contrôle sur la construction
européenne.
L'Assemblée nationale a donc ajouté un second article au texte présenté par le
Gouvernement, qui modifie la rédaction de l'actuel article 88-4 de la
Constitution. Ainsi, en substituant à l'expression « propositions d'actes
communautaires » l'expression « projets ou propositions d'actes des Communautés
européennes et de l'Union européenne », l'Assemblée nationale a bien marqué sa
volonté de pouvoir voter des résolutions tant sur les matières du premier
pilier que sur celles qui font l'objet d'une coopération intergouvernementale,
telles la politique étrangère et de sécurité ou celles qui mettent en oeuvre,
dans le cadre du troisième pilier, la coopération policière et judiciaire.
En effet, il a paru indispensable à l'Assemblée nationale que le Parlement
soit associé plus étroitement à la construction européenne, comme le prévoit
d'ailleurs le traité lui-même, qui inclut un protocole sur le rôle des
parlements nationaux dans l'Union européenne. J'ai exprimé, au nom du
Gouvernement, mon accord sur ce point, et l'Assemblée nationale a adopté
l'amendement déposé par M. Nallet.
Grâce à la nouvelle rédaction de l'article 88-4, le Parlement pourra donner,
en amont, son sentiment sur un acte à l'état de projet comportant des
dispositions qui, en droit interne, relèveraient de sa compétence parce
qu'elles touchent au domaine de la loi et dont il aura, le cas échéant, à
assurer la transposition en droit interne. Les résolutions s'inscriront donc
dans le processus conduisant à l'adoption de l'acte.
L'Assemblée nationale a également estimé que le Gouvernement devait pouvoir
soumettre au Parlement un certain nombre de projets ou de documents de
consultation de la Commission européenne.
Ces documents - et M. le rapporteur insiste sur ce point dans son rapport
écrit ainsi que dans ses interventions devant la commission des lois, dont j'ai
bien entendu pris bonne note - tels que les livres blancs, les livres verts et
les communications de la Commission traitent de questions importantes pour
l'évolution future de l'Union. La communication intitulée « Agenda 2000 », par
exemple, traite de problèmes intéressant l'élargissement de l'Union, l'avenir
des politiques communes ou de la révision des perspectives financières.
Il va de soi - et je souhaite rassurer le Sénat sur cette question - que les
documents de consultation de la Commission font partie des documents que le
Gouvernement peut soumettre aux assemblées pour qu'elles votent des résolutions
si elles le souhaitent. Il va de soi aussi que, en vertu du protocole annexé au
traité, ces documents sont transmis rapidement aux Parlements nationaux pour
leur information.
Mais recevoir tous les documents à titre d'information, comme l'exige le
protocole du traité, est une chose, en être saisi sur le fondement de l'article
88-4 pour voter des résolutions en est une autre.
Je pense que, le plus souvent, le Gouvernement ne verra pas d'obstacle à
soumettre, au titre de l'article 88-4, ces textes qui engagent l'avenir de la
construction européenne pour permettre au Parlement de voter des
résolutions.
Est-ce à dire qu'il faut graver une obligation faite au Gouvernement dans le
bronze de la Constitution ? A la réflexion, la commission des lois du Sénat n'a
pas estimé que c'était indispensable.
Je crois, comme l'a indiqué M. Fauchon dans son rapport écrit, que la «
rédaction retenue par l'Assemblée nationale a toutefois le mérite d'éviter que
les assemblées se voient soumettre l'ensemble des documents émanant des
institutions européennes. Une telle soumission risquerait d'avoir plus
d'inconvénients que d'avantages, compte tenu de la difficulté de gérer un tel
dispositif ».
Je partage cette opinion et je me réjouis que la commission des lois du Sénat
ait adopté le projet de loi constitutionnelle dans sa rédaction issue des
travaux de l'Assemblée nationale qui, elle-même, l'avait adopté à une très
large majorité.
Quelles sont les questions qui restent en débat ?
L'amendement qui tend à rédiger l'article 88-4 de la Constitution est le seul
qui a été adopté par l'Assemblée nationale et le Gouvernement estime que nous
sommes parvenus à un bon équilibre. Je me réjouis bien entendu que la
commission des lois du Sénat ait adopté le même point de vue.
Je veux, malgré tout, revenir sur deux questions importantes qui demeurent en
débat puisqu'elles ont été posées devant l'Assemblée nationale et que certains
sénateurs les soulèvent à nouveau devant la Haute Assemblée.
La première question porte sur le fait de savoir si le Parlement doit pouvoir
se prononcer à nouveau dans cinq ans sur le passage à la majorité qualifiée et
à la procédure de codécision. C'est ce qu'il est convenu d'appeler «
l'habilitation législative ».
Comme je l'ai fait devant la commission des lois, j'attire votre attention sur
le fait que si nous révisons la Constitution aujourd'hui, c'est bien parce que
le Conseil constitutionnel a souligné que le passage de la règle de l'unanimité
à celle de la majorité qualifiée et à la procédure de codécision ne
nécessitera, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation
nationale et ne pourra ainsi pas faire l'objet d'un contrôle de
constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa
2, de la Constitution. C'est donc bien parce qu'il ne doit pas y avoir une
nouvelle habilitation législative que nous devons réviser la Constitution
aujourd'hui.
Si nous subordonnions aujourd'hui l'action du Gouvernement au vote d'une loi
dans cinq ans, nous rendrions totalement inutile et inopérante la révision
constitutionnelle que nous engageons.
M. Paul Masson.
Cela n'a rien à voir !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'ajoute qu'une habilitation législative est sans aucun
doute - en tout cas pour moi, mais je soumets cette question à votre réflexion
- contraire au traité d'Amsterdam lui-même, qui, je le rappelle, a été approuvé
et signé par le précédent gouvernement, par celui-ci et par le Président de la
République. M. Fauchon, dans son rapport écrit, fait une analyse d'une grande
clarté et j'avais tenu moi-même des propos identiques devant votre commission
le 8 décembre dernier.
En effet, le Conseil constitutionnel n'a pas déclaré inconstitutionnel
l'article K 14 du traité sur l'Union issu du traité d'Amsterdam qui prévoit que
le Conseil peut décider à l'unanimité que les actions concernant la coopération
policière et judiciaire en matière pénale relèveront du traité communautaire.
S'il ne l'a pas fait, c'est parce que le Conseil de l'Union recommande
l'adoption de cette décision par les Etats membres conformément à leurs règles
constitutionnelles internes. Voilà qui fait toute la différence.
Ainsi, dans un cas, l'article K 14 prévoit explicitement la nécessité de
consulter les organes constitutionnels avant de passer à ces nouvelles
procédures. Dans l'autre cas, celui qui nous intéresse, cette obligation n'est
pas prévue dans le traité. C'est la raison pour laquelle le Conseil
constitutionnel nous indique qu'il faut réviser la Constitution avant de
ratifier le traité.
Je veux citer ici intégralement la conclusion qu'en tire M. le rapporteur, car
elle me paraît lumineuse.
M. Josselin de Rohan.
Timeo Danaos et dona ferentes !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'ai souvent entendu au Sénat cette maxime. Je crains,
pour ma part, les Grecs et leurs présents. J'ignore toutefois qui sont les
Grecs ici mais, pour ma part, je ne fais de présents à personne. Je me contente
d'analyser la Constitution.
Je cite donc le rapport :
« On peut donc en déduire que si le traité avait imposé l'adoption par les
Etats membres selon leurs procédures constitutionnelles respectives de la
décision de passer au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de
codécision en matière d'asile, d'immigration et de franchissement des
frontières intérieures des Etats membres, les stipulations du traité relatives
aux modalités d'exercice de ces compétences n'auraient pas été déclarées
contraires à la Constitution.
« On peut également conclure de la comparaison entre les mécanismes prévus
dans le titre III A et ceux figurant dans l'article K 14 que les chefs d'Etat
et de gouvernement ont volontairement écarté l'hypothèse d'une approbation par
les Etats selon leurs règles constitutionnelles respectives de la décision de
passage à la majorité qualifiée pour la libre circulation des personnes et les
matières qui lui sont liées, dans la mesure où ils ont prévu une telle
approbation dans d'autres domaines. »
Je n'ai, pour ma part, aucun correctif à apporter à cette analyse, qui rejoint
celle que je faisais voilà un instant. J'apporterai toutefois une précision. Le
Parlement ne sera en aucun cas privé de son droit de se prononcer dans cinq ans
puisque, en tout état de cause, comme le rappelle votre rapporteur « au moment
où serait envisagée la décision de passer à la majorité qualifiée, dans les
matières liées à la libre circulation, les assemblées pourraient adopter des
résolutions ».
(M. Pasqua lève les bras au ciel.)
M. Charles Pasqua.
Les résolutions !...
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je vois M. Pasqua lever les bras au ciel à l'évocation
des résolutions, mais convenez que, dans la mesure où le gouvernement qui sera
en place dans cinq ans gardera le pouvoir d'opposer éventuellement son veto au
passage à la majorité qualifiée, la résolution qui sera votée par le Parlement
aura bien évidemment un poids politique extrêmement important, comparable à
celui de la résolution qui a été votée à propos de l'euro.
Enfin, je souscris entièrement à l'opinion exprimée par votre collègue M.
Jean-Jacques Hyest, qui, rappelant que l'Assemblée nationale avait adopté à une
très large majorité le projet de loi constitutionnelle, affirmait que « le
Sénat émettrait un signal négatif en adoptant un amendement visant à prévoir
une loi d'habilitation avant le passage à la majorité qualifiée ».
(Protestations sur certaines travées du RPR.)
La seconde question portait sur le fait de savoir s'il convenait d'instituer
un contrôle de constitutionnalité du droit dérivé. Vous savez, mesdames,
messieurs les sénateurs, que le droit communautaire dérivé se présente sous la
forme d'actes unilatéraux, tels que les règlements, les directives ou les
décisions émanant des organes européens.
S'agissant des règlements, qui sont d'applicabilité directe, chaque Etat peut
en contester la légalité devant la Cour de justice des Communautés européennes,
et ce en vertu de l'article 173 du traité de Rome qui est en vigueur depuis
plus de quarante ans.
S'agissant des projets de directive qui ne sont pas d'application directe, le
Gouvernement peut saisir le Conseil d'Etat lorsqu'il a des doutes sur leur
constitutionnalité. L'avis de celui-ci sert à faire valoir le point de vue des
normes internes pour obtenir des institutions européennes une modification du
projet. J'ajoute que, dans la mesure où les directives, une fois adoptées,
doivent faire l'objet d'une loi de transposition, le Conseil constitutionnel
peut être saisi de celle-ci, ce qui s'est déjà produit à trois reprises.
Je pense, en outre, que le droit communautaire dérivé est la stricte mise en
oeuvre des traités européens qui, la plupart du temps, ont fait l'objet d'un
contrôle de constitutionnalité, en vertu de l'article 54 de la Constitution.
Nous venons de le vivre à deux reprises avec les traités de Maastricht et
d'Amsterdam.
Je pense, enfin, qu'aucun Etat membre de l'Union ne peut être juge, à lui tout
seul, de la conformité à la Constitution d'un acte de droit dérivé. Une telle
solution serait contraire à la construction européenne et la paralyserait à
terme ; le Gouvernement ne le veut pas.
Ce n'est pas le traité d'Amsterdam qui affirme la primauté du droit
communautaire et qui pourrait légitimer la mise en oeuvre d'une procédure de
veille constitutionnelle. Ce sont le traité de Rome et la jurisprudence de la
Cour, tels que la France les accepte depuis plus de quarante ans. Quand je dis
« la France », j'entends ses pouvoirs, exécutif et législatif, ses
juridictions, des plus hautes aux plus petites, et, pour tout dire, son peuple
qui a manifesté son adhésion à plusieurs reprises.
En conclusion, il faut se garder de toute modification constitutionnelle qui,
sans être rigoureusement exigée pour ratifier le traité d'Amsterdam, risquerait
de mettre en cause les équilibres institutionnels définis par la Constitution
de 1958. Une réflexion sur ces équilibres est sans doute légitime, mais elle ne
doit certainement pas être menée à l'occasion de la ratification d'un traité
qui a un autre objet.
Je rappelle que ces équilibres concernent les pouvoirs du chef de l'Etat de
négocier les traités et les accords internationaux et d'en ratifier certains,
ceux du Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la nation et,
enfin, ceux du Parlement de ratifier ou non certains traités et de contrôler
l'action du Gouvernement.
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est proposé aujourd'hui respecte à
mon avis ces équilibres. Il permet par ailleurs l'évolution indispensable pour
que le Parlement puisse exercer un contrôle accru légitime sur les actes de
l'exécutif au sein de l'Union européenne. Il rend aussi possible la
ratification du traité d'Amsterdam. C'est pourquoi, mesdames, messieurs les
sénateurs, je vous demande, à la suite de la commission des lois, de l'adopter.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Aymeri de Montesquiou
et Jacques Machet applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, nous poursuivons aujourd'hui le débat en vue
de réviser les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution.
Une étape importante a été franchie, le 1er décembre, avec l'adoption, par
l'Assemblée nationale, à une très large majorité, du projet de loi de révision
constitutionnelle. Je ne doute pas que le débat que nous allons mener
aujourd'hui et demain sera aussi riche et aussi constructif que celui que nous
avons eu à l'Assemblée nationale, et j'espère - j'en suis même sûr - qu'il
donnera lieu à l'expression d'une large adhésion du Sénat à cette nouvelle
étape de la construction européenne. En effet, c'est bien cela que nous devons
avoir à l'esprit, et cette importante révision doit être clairement replacée
dans son contexte, qui justifie qu'elle soit bien circonscrite. Il s'agit d'un
préalable au règlement d'une autre question, que nous ne devons pas perdre de
vue : la ratification du traité d'Amsterdam.
Ne nous trompons ni d'objectif ni de débat. Nous nous sommes engagés - le
Président de la République et le Premier ministre se sont engagés - à ratifier
ce traité. La révision constitutionnelle dont nous débattons aujourd'hui ne
saurait être considérée comme un acte séparé. Elle découle directement du
traité d'Amsterdam.
Mme le garde des sceaux vient de vous parler de la révision, et je vous
entretiendrai donc du traité.
Ce traité est imparfait, nous le savons, nous l'avons dit. Il a fait, depuis
sa signature, le 2 octobre 1997, l'objet de nombreux commentaires critiques,
souvent fondés, parfois excessifs. Il est vrai que son abord est assez malaisé,
même si cet aspect n'a nullement gêné les membres de votre assemblée qui, tant
au sein de la commission des affaires étrangères que de la commission des lois
et de la délégation pour l'Union européenne, ont effectué un travail tout à
fait remarquable.
Je pense notamment aux rapports de M. Fauchon. Je fais allusion ici, monsieur
le sénateur, non seulement au rapport que vous aviez fait, en mai dernier, sur
le traité lui-même et qui est devenu une référence, mais aussi au rapport sur
le projet de révision constitutionnelle dont nous traitons ce soir. Vous avez
ainsi contribué d'une maniètre très importante, que je tiens à saluer ici, à la
préparation de notre débat.
Je pense évidemment aussi aux rapports de M. de Villepin et de M. de La
Malène, qui, ayant surmonté l'abord totalement rébarbatif, il faut bien le
reconnaître, du traité d'Amsterdam, ont fourni de ce texte une analyse fine et
approfondie.
Au-delà de cet aspect formel, il est vrai que le contenu de ce traité n'est
pas entièrement satisfaisant. Surtout, à l'heure où l'Europe se prépare à
relever le défi historique de l'élargissement à dix pays d'Europe centrale et
orientale qui, dotés désormais d'institutions démocratiques et, bientôt, d'une
économie de marché viable, aspirent à rejoindre la famille européenne, l'Union
- il faut le reconnaître clairement - n'a pas été en mesure de réformer ses
institutions. C'est là, sans aucun doute, la lacune majeure du traité
d'Amsterdam. J'y reviendrai plus longuement un peu plus tard.
Mais je veux être franc : le traité d'Amsterdam qui, dans sa plus grande
partie, n'a pas été négocié par le Gouvernement auquel j'appartiens, n'est pas
si mauvais.
Il comporte des avancées utiles dont nous nous sommes déjà emparés, et, au
fond, il pèche plus par ce qui lui manque que par les dispositions qu'il
contient.
J'aimerais donc insister, d'abord, sur ce que ce traité contient et sur ce
qu'il apporte : il est, à mon sens, à la fois un complément et une correction
au traité deMaastricht.
En quoi corrige-t-il le traité de Maastricht ?
Il le corrige d'abord en contrebalançant la dimension fortement monétaire -
certains disent « monétariste » - du traité de 1992. Comme vous le savez, à
Maastricht, l'avancée majeure était la perspective de la monnaie unique et la
définition des conditions pour y parvenir. Mais, de ce fait, le processus de
construction européenne se trouvait presque exclusivement centré sur la
dimension financière, à travers les fameux critères de convergence que nous
avons respectés pour faire l'euro.
Au Conseil européen d'Amsterdam, le souci de la France a été de mettre
l'accent en priorité sur l'emploi, d'une part, en complétant le pacte de
stabilité et de croissance négocié à Dublin, en décembre 1996 - il ne fait pas
partie du traité - par une résolution sur la croissance et l'emploi ; d'autre
part, en obtenant l'introduction, dans le traité lui-même, d'un chapitre
entièrement nouveau consacré à l'emploi, à la coordination et au suivi des
politiques nationales dans ce domaine, ainsi qu'au développement d'une
stratégie commune européenne. L'union monétaire s'est trouvée ainsi clairement
rééquilibrée, la stabilité économique et la lutte pour l'emploi étant désormais
mises politiquement sur le même pied.
Ce rééquilibrage, le gouvernement de Lionel Jospin, aux côtés du Président de
la République, n'a eu de cesse, depuis sa constitution, en juin 1997, de le
promouvoir. Nous avons pesé pour que l'euro se fasse dans des conditions
conformes à ce que nous avions proposé aux Français. L'euro sera un euro large,
avec un conseil de l'euro, instance politique, dont le rôle sera de coordonner
étroitement les politiques économiques. Et cette coordination se fera en
soutien à la croissance et à l'emploi. J'ai rappelé ce que nous avions obtenu à
Amsterdam, je pourais aussi mentionner les acquis du sommet de Luxembourg, à
savoir un sommet européen exclusivement consacré à l'emploi. Mais je veux
surtout insister sur ce que nous avons fait le week-end dernier à Vienne : le
Conseil européen de Vienne, en ouvrant la perspective d'un pacte européen pour
l'emploi, sur la proposition conjointe de M. le Président de la République, M.
Jacques Chirac, et du chancelier Gerhard Schroeder, a apporté la confirmation
du nouvel esprit qui s'était manifesté à Pörtschach et qui place le soutien à
la croissance économique et la lutte contre le chômage au centre de la
construction européenne.
Pour en revenir au traité d'Amsterdam, constatons qu'il comporte d'autres
avancées. Il comprend ainsi un chapitre social : il s'agit du protocole que
nous avions défendu à Maastricht et qui n'avait pu être intégré au traité, à
cause du refus du gouvernement britannique d'alors ; grâce à l'accord du
gouvernement de Tony Blair, il fait désormais partie intégrante du nouveau
traité, et ses dispositions sur le rapprochement de législations et sur le
dialogue social s'appliqueront à tous. En outre, il est complété par de
nouvelles dispositions permettant au conseil d'adopter, à la majorité qualifiée
- c'est, à mon avis, une bonne chose - des mesures de lutte contre l'exclusion
sociale, ainsi que des mesures visant à assurer l'application du principe
d'égalité des chances et d'égalité de traitement.
Relevons aussi, toujours dans le champ des droits civiques et sociaux, des
dispositions relatives à la santé et à l'environnement, l'affirmation de la
spécificité des services publics, à laquelle, vous le savez, les Français
tiennent substantiellement - l'actualité, à cet égard, montre combien ces
dispositions répondent à une forte nécessité - le renforcement des dispositions
relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, de la clause de
non-discrimination et du principe d'égalité entre hommes et femmes, ainsi que
des droits sociaux fondamentaux.
Voilà en quoi le traité d'Amsterdam corrige le traité de Maastricht. Je vais
dire maintenant en quoi il le complète.
Au-delà de ces avancées vers l'Europe sociale, vers l'Europe des citoyens, le
traité d'Amsterdam enregistre aussi quelques progrès - encore trop limités,
mais significatifs - dans un secteur où l'on n'avait pas pu suffisamment
avancer à Maastricht : dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité
commune, la PESC, l'Union s'est ainsi dotée de moyens qui renforceront sa
capacité d'agir sur la scène internationale.
La PESC aura un visage et une voix, grâce à un haut représentant - Monsieur ou
Madame Pesc - qui devra être un véritable responsable politique et qui sera
nommé au prochain Conseil européen de Cologne.
Elle aura les moyens de mieux définir sa politique : nous pouvons nous
féliciter de l'amélioration des procédures, notamment de la création d'un
nouvel instrument, la stratégie commune, dont les dispositions d'application
pourront être adoptées là encore à la majorité qualifiée et qui permettra de
définir, de façon globale, les relations de l'Union avec de grands partenaires
ou des zones géographiques proches de nous, comme la Russie, l'Ukraine, la
Méditerranée, les Balkans, ainsi que vient de la confirmer le Conseil européen
de Vienne.
La capacité d'action de l'Union s'en trouvera renforcée et le Conseil
disposera d'une structure d'analyse et de prévision.
Enfin, les dispositions concernant la sécurité, le maintien de la paix et la
défense sont améliorées, ce qui devrait permettre des progrès dans le sens que
nous avons toujours préconisé. La démarche commune franco-britannique actée à
Saint-Malo, qui a recueilli, à Vienne, le soutien de nos partenaires européens,
est une première illustration de ces avancées vers l'Europe de la défense, à
laquelle nous tenons.
J'en viens maintenant à ce que l'on appelle, en jargon européen, « le
troisième pilier », c'est-à-dire la justice et les affaires intérieures ; c'est
précisément l'un des domaines où le traité d'Amsterdam apporte, par rapport à
celui de Maastricht, les compléments les plus importants. Ce sont d'ailleurs
ces dispositions nouvelles qui justifient, pour le Conseil constitutionnel, la
révision de la Constitution. Permettez-moi de les énoncer très brièvement, car
Mme Guigou vient d'en parler.
Le traité d'Amsterdam prévoit le transfert des politiques liées à la
circulation des personnes au sein de l'Union - asile, visas, immigration - dans
la sphère de compétence communautaire.
Je rappellerai que c'était une proposition du chancelier Kohl, à laquelle le
Président de la République avait, dans une lettre commune, donné son accord
avant même l'ouverture de la conférence intergouvernementale. Tout le travail a
consisté ensuite à préciser les modalités de cette communautarisation, afin
qu'elle se fasse de manière prgressive et cohérente, c'est-à-dire en adéquation
avec l'objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice.
Je veux être réaliste. Nous le savons tous ici, l'évolution des phénomènes
migratoires que nous connaissons aujourd'hui appelle des réponses non seulement
coordonnées, mais aussi assises sur des orientations politiques communes et des
mécanismes adaptés. J'ai la conviction que seule une harmonisation progressive
de nos législations en la matière nous permettra à l'avenir de traiter
efficacement ces problèmes. L'actualité récente montre qu'aucun Etat de l'Union
n'est en mesure d'apporter seul une réponse et qu'il est de notre intérêt de
rechercher des solutions communes et équilibrées.
Avec le traité d'Amsterdam, ces matières seront communautarisées ; mais le
passage au vote à la majorité qualifiée - Mme Guigou vient d'en parler - ne se
fera que dans cinq ans, et à condition que le Conseil en décide ainsi à
l'unanimité. Il ne s'agit donc que d'une possibilité.
Sur le fond, il faut se garder de diaboliser cette communautarisation, du seul
fait qu'elle touche les politiques d'immigration.
D'abord, je le rappelle, nous ne partons pas de rien : l'intégration de
Schengen dans le traité permettra de bénéficier des bienfaits, mais aussi de
corriger les lacunes d'un dispositif qui a fait ses preuves. Ensuite, le
passage à la majorité qualifiée sera, j'en suis sûr, une avancée, car c'est le
seul et le meilleur moyen de progresser dans la construction européenne, comme
nous le savons tous. D'ailleurs, nous le revendiquons, lorsque nous parlons de
la réforme à venir des institutions européennes. Pourquoi ne
l'envisagerions-nous pas dans ce domaine ?
Hormis ce point, bien sûr essentiel, quelles avancées apporte le traité
d'Amsterdam dans le troisième pilier ?
Il permet une approche globale qui favorise la mise en place d'un espace de
liberté, de sécurité et de justice. Parallèlement aux travaux qui seront menés
dans les matières liées à la libre circulation, la sécurité sera renforcée,
grâce au développement de la coopération policière et judiciaire. L'accent est
ainsi mis par le traité sur la lutte contre trois grands fléaux : la
criminalité organisée internationale, la drogue et le terrorisme.
Je dirai un mot, enfin, sur la coopération judiciaire civile, qui est
également communautarisée dans la mesure où elle est liée à la libre
circulation au sein du marché intérieur. Cela permettra des avancées dans le
domaine des conflits touchant les entreprises, mais aussi en droit de la
famille.
Le traité comporte toutefois - je vous l'ai dit d'emblée - une lacune
essentielle qu'il faudra combler : l'absence de réforme institutionnelle de
l'Union européenne. Cette lacune est sérieuse et grave, car la réforme
institutionnelle était précisément l'objectif premier de la conférence
intergouvernementale. Or, sur ce plan, aucun des points essentiels n'a pu faire
l'objet d'un accord à Amsterdam.
Aujourd'hui, cette nécessité, évoquée gouvernement après gouvernement, depuis
Maastricht, est devenue une urgence. En effet, alors que le processus
d'élargissement est lancé, nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à
travailler dans les conditions actuelles. Nous savons qu'à quinze l'Union est
déjà menacée de blocage, voire de paralysie. Imaginons ce qui se passerait dans
une europe à vingt ou à vingt-cinq !
Nous avons donc, avec nos partenaires belges et italiens, élaboré une
déclaration annexée au traité, constatant l'insuffisance des réformes dans le
domaine institutionnel et rappelant que des progrès en la matière devraient
être accomplis avant la conclusion des premières négociations d'adhésion. Peu à
peu, l'ensemble de nos partenaires s'est rallié à notre position. Cette
évolution a pu être actée dès le Conseil européen de Luxembourg.
Ce principe d'une réforme institutionnelle avant l'élargissement est désormais
admis de façon tout à fait officielle et a été inscrit dans les conclusions de
Vienne. Un rendez-vous a été fixé pour prendre de premières décisions de
méthode, à Cologne, en juin prochain. Nous devrons ensuite traduire ces
engagements dans les faits.
Je tiens à redire avec force, à cette tribune, que le Parlement pourra avoir
la possibilité, lors de la ratification du traité, de s'associer
solennellement, sous la forme d'un article additionnel à la loi de
ratification, à l'exigence posée par les autorités françaises, avec l'appui des
gouvernements belge et italien.
Nous avons nous-mêmes suggéré, en termes de méthode, de distinguer deux temps
pour réformer les institutions.
Il y aura d'abord les réformes que nous pouvons engager dès à présent parce
qu'elles ne supposent aucune modification des traités. Elles concernent le
fonctionnement du conseil des ministres des affaires étrangères, qui doit
retrouver un rôle de coordination. Elles concernent aussi le Conseil européen,
dont la fonction d'impulsion et d'orientation doit être confortée. Elles
concernent, enfin, la Commission, qui doit recouvrer, c'est l'évidence, une
vraie collégialité, notamment à l'occasion de son renouvellement d'ensemble à
partir du mois de juin prochain.
Il y aura aussi les réformes plus profondes, qui nécessiteront la mise en
place d'un processus plus lourd, sans pour autant que nous reprenions le même
schéma que celui qui a échoué à Amsterdam et qui pourrait conduire aux mêmes
effets.
Ces réformes de fond concernent, nous le savons, trois champs.
D'abord, elles concernent la Commission, dont le format doit être revu si nous
voulons qu'elle reste ce qu'elle était au départ, à savoir un organe collégial
et efficace.
Ensuite, elles concernent le vote à la majorité qualifiée : comme l'ont
souhaité le Président de la République et le Gouvernement après Amsterdam, ce
mode de prise de décision doit être quasi-systématiquement étendu et, à notre
sens, cette règle doit pouvoir prévaloir dans des domaines comme
l'environnement, l'industrie, la culture et la fiscalité. C'est le seul moyen
de progresser dans l'Union en donnant tout son sens à la notion de souveraineté
partagée, qui constitue le fondement même des politiques communautaires.
Enfin, en liaison avec ce dernier point, il faudra envisager une meilleure
pondération des voix au sein du Conseil.
Malgré cette lacune essentielle dans le domaine institutionnel, le traité
d'Amsterdam apporte tout de même quelques progrès dans ce champ politique. Je
pense ainsi à la mise en place de coopérations renforcées entre les Etats
membres qui souhaiteront aller plus avant et plus vite dans la construction
européenne. C'est un événement fondamental, j'en suis sûr, pour l'avenir de la
construction européenne.
L'euro est, certes, le premier exemple de coopération renforcée, mais cela
pourrait être le cas demain pour la culture, pour l'éducation et pour la
recherche.
J'ajoute que, grâce au traité d'Amsterdam - tout le monde n'en sera pas ravi,
mais je pense que c'est positif -, le président de la Commission aura plus de
poids politique et d'autorité sur le collège, puisque sa nomination devra être
approuvée par le Parlement européen et que le président désigné sera, dès le
prochain renouvellement, associé au choix des autres commissaires.
Des trois grandes institutions politiques de l'Union, c'est le Parlement
européen qui tire le plus de bénéfices de ce traité : grâce à une
simplification des procédures et à une extension du champ de la codécision avec
le Conseil, il voit son rôle significativement renforcé. C'est une contribution
à la réduction du déficit démocratique en Europe, si souvent dénoncé.
Dans le même temps, les Parlements nationaux seront plus étroitement associés
aux travaux de l'Union. Je voudrais insister sur ce dernier point, qui va me
permettre de revenir à la révision constitutionnelle.
Le traité d'Amsterdam contient un protocole sur le rôle des parlements
nationaux. La France a beaucoup contribué à son adoption. Il nous paraissait
fondamental, en effet, que, dès lors que, dans des matières essentielles qui
relèvent du domaine législatif, des compétences nouvelles étaient transférées -
ou plutôt partagées - les parlements nationaux soient associés plus étroitement
aux travaux communautaires.
Ce protocole prévoit, d'abord, une amélioration des délais de transmission et
de consultation. Il envisage, ensuite, un rôle renforcé pour la Conférence des
organes spécialisés des assemblées de la Communauté, la COSAC. J'y vois, pour
les parlements nationaux, des possibilités à exploiter afin d'assurer un suivi
plus précis des travaux menés dans le cadre de l'Union européenne. Nous avons,
en effet, deux aspects complémentaires : d'un côté, la procédure de
collaboration avec le Parlement européen, à travers la COSAC que je viens
d'évoquer ; de l'autre, la procédure de l'article 88-4, introduite en 1992 et
qu'il s'agit aujourd'hui de réformer.
Mme Elisabeth Guigou vient d'esquisser la position du Gouvernement sur les
aspects constitutionnels de nos débats : le Gouvernement s'est conformé à la
décision du Conseil constitutionnel sur le traité d'Amsterdam. Son projet ne
portait donc que sur l'article 88-2 de la Constitution. Toutefois, conscient de
la nécessité d'élargir les possibilités de consultation du Parlement, le
Gouvernement a donné son plein accord au texte adopté par l'Assemblée
nationale, sur proposition de sa commission des lois et que votre propre
commission des lois a adoptées, à son tour, à une large majorité.
Aux termes de ces dispositions, comme l'a rappelé Mme Elisabeth Guigou, la
procédure de consultation existante sera étendue aux deuxième et troisième
piliers. En outre, le Gouvernement pourra communiquer aux assemblées, s'il le
juge utile, tout autre document susceptible de les intéresser : je pense
notamment, je le redis après Mme le garde des sceaux, aux documents dits de
consultation. En ma qualité de responsable au sein du Gouvernement de
l'application de l'article 88-4, je partage les préoccupations de M. le
rapporteur à cet égard.
C'est d'ailleurs, à mon sens, dans le cadre de cette procédure de l'article
88-4 que devrait être transmis aux deux assemblées le projet de décision que
pourrait prendre le Conseil, dans cinq ans, d'introduire le vote à la majorité
qualifiée dans les matières de l'immigration et de l'asile. Il s'agira là - j'y
insiste - d'une décision du Conseil, à l'unanimité, et non d'un acte
intergouvernemental, soumis à ratification.
Le principe de la communautarisation sera acquis dès lors que le traité sera
ratifié au mois de mars prochain et les modalités de sa mise en oeuvre, qui
seront graduelles, donneront lieu à un large débat puisque le Parlement sera
consulté sur le projet de décision dans le cadre de la procédure élargie de
l'article 88-4.
Pour ceux - j'ai déjà entendu cet argument à l'Assemblée nationale, mais aussi
à l'occasion de mon audition par votre commission des lois - qui seraient
sensibles aux exemples de l'étranger, je précise que c'est également ainsi que
procéderont la plupart de nos partenaires, qui ont prévu de débattre, dans le
cadre de leurs procédures habituelles de consultation de leur Parlement sur les
questions européennes, du projet de décision de passage à la majorité
qualifiée.
En revanche, prévoir à cette occasion une procédure législative particulière,
une seconde ratification ou une loi d'habilitation, serait à la fois non
conforme au traité, redondant par rapport à la révision qui nous occupe et
contradictoire avec la demande d'amélioration de l'article 88-4.
N'ayant pas à m'étendre davantage sur la révision constitutionnelle, j'en
termine en soulignant la portée du vote qu'émettra la Haute Assemblée. Ne
perdons pas de vue, en effet, que nous révisons la Constitution de manière
limitée pour pouvoir ratifier le traité d'Amsterdam et que celui-ci, malgré une
lacune majeure que j'ai longuement évoquée, ne contient rien qui justifierait
qu'on ne le ratifie point.
Il n'est pas, j'en conviens bien volontiers, le traité fondateur de l'Europe
politique et sociale vers laquelle nous souhaitons aller. Mais, je l'ai dit,
les avancées qu'il contient, pour éclatées, parcellaires et insuffisantes
qu'elles soient, ne doivent pas être rejetées. Au contraire, sur ces bases,
nous pouvons fonder des progrès à la fois dans la construction européenne et
dans la manière dont la France avance.
Evitons donc les discours réducteurs. Il n'y a pas, d'un côté, les défenseurs
de la souveraineté nationale et, de l'autre, ceux qui la dilapideraient.
Reconnaissons, au contraire, qu'un partage de souveraineté, librement consenti,
peut être profitable à tous. L'euro en est déjà la preuve, et nous pouvons
aller plus loin.
L'enjeu de ce débat sur la révision constitutionnelle est bien la ratification
du traité d'Amsterdam. Et quelles seraient les conséquences d'une
non-ratification par la France du traité d'Amsterdam, dont nous savons
heureusement qu'elle ne se produira pas ? Nous ouvririons une crise grave avec
nos partenaires, sans pour autant garantir d'une façon quelconque un rebond
vers l'Europe que nous appelons de nos voeux. La France risquerait plutôt de se
mettre en marge du jeu européen, au moment même où elle reprend la main et
avance, avec ses partenaires, dans le domaine de l'emploi, dans le domaine
social, mais aussi dans le domaine de la défense... et demain, j'en suis sûr,
dans le domaine de la réforme des institutions.
Parce que je ne souhaite ni le recul de l'Europe ni le recul de la France, je
vous appelle donc, mesdames, messieurs les sénateurs, sans aucun état d'âme -
et c'est l'attitude du Gouvernement - à ratifier le traité d'Amsterdam et, pour
cela, car c'est une condition nécessaire, à procéder dès aujourd'hui à la
révision constitutionnelle qui vous est soumise.
(Applaudissements sur les
travées socialistes. - M. Machet applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers
collègues, il y a peu de chances, me semble-t-il, que le traité d'Amsterdam
soit jamais considéré comme marquant une étape décisive de la construction
européenne.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ah !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Vous l'avez d'ailleurs dit dans des termes assez voisins,
monsieur le ministre, même si c'était de façon moins pessimiste, mais il est
vrai que vous étiez dans votre rôle de ministre chargé des affaires
européennes.
Les mesures que ce traité recèle, et dont il est d'ailleurs malaisé de
discerner la portée à la seule lecture du texte, témoignent à tout moment d'un
singulier mélange de réticences, pour ne pas dire de paralysie, en même temps
que d'une sorte d'aveu de la nécessité d'inscrire dans les perspectives
ouvertes par le traité d'Union des dispositions qui ne soient pas de pure forme
et qui témoignent, à défaut d'une volonté d'action immédiate - car,
pratiquement, tout est différé -, du moins de la conscience de ce qu'il
conviendrait de faire pour répondre aux défis du temps présent sur des fronts
aussi importants pour l'Union que la politique sociale et l'emploi - c'est le
premier pilier -, la politique extérieure et de défense - c'est le deuxième
pilier -, ou, enfin, la politique de sécurité intérieure - c'est le troisième
pilier -, à laquelle est associé l'ensemble des questions posées par le
franchissement de frontières intérieures et extérieures.
Ce dernier domaine est précisément celui à propos duquel les dispositions du
traité présentent des difficultés de caractère constitutionnel, et c'est à cela
que se limite notre débat.
Il s'agit, pour l'essentiel, de prévoir, du moins dans ces domaines, le
passage de la procédure de type intergouvernemental à la procédure
communautaire, ce qui se traduira formellement par la création d'un titre
nouveau au sein du traité instituant les Communautés européennes,
originellement appelé « traité de Rome ».
Ce titre nouveau, intitulé « Visas, asile, immigration et autres politiques
liées à la libre circulation des personnes », comporte tout d'abord l'analyse
détaillée des diverses mesures à prendre ou à envisager - je ne les reprendrai
pas, ce serait trop compliqué - avec, pour chacune d'elles, ses
caractéristiques particulières.
Tout devra être réalisé, en tout cas, dans un délai de cinq ans à compter de
la ratification du traité.
Durant cette période de cinq ans, et à l'exception de quelques points très
particuliers, les décisions continueront d'être prises à l'unanimité, après
consultation du Parlement européen, et l'initiative en reviendra concurremment
aux Etats membres et à la Commission.
Passé cette période - car il faut tout prévoir, et c'est ici le point
essentiel qui nous occupe -, les Etats pourront décider à l'unanimité de passer
au système décisionnel normal de la Communauté : décisions prises à la majorité
qualifiée - soit 70 % -, initiative réservée à la Commission, en accord avec le
Parlement européen dans le cadre d'une codécision qui, M. le ministre délégué
l'a rappelé, est clarifiée et renforcée. C'est ce que l'on peut appeler, par
souci de simplicité, la « communautarisation ».
C'est précisément ce passage à la majorité qualifiée que le Conseil
constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution, parce que celui-ci «
pourrait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale », et ce parce que, comme le Conseil a
tenu à le souligner, ce passage ne nécessitera, le moment venu, « aucun acte de
ratification ou d'approbation nationale et ne pourra ainsi pas faire l'objet
d'un contrôle de constitutionnalité ».
Bien entendu, ce changement de système décisionnel n'est retenu pour
inconstitutionnalité que parce qu'il concerne des domaines et des modalités
autres que ceux qui sont d'ores et déjà visés à l'article 88-2 de la
Constitution - car nous avons déjà autorisé un pas important dans cette
direction - et parce que ces domaines concernent la souveraineté nationale, ce
qui n'est pas le cas d'un assez grand nombre d'autres questions.
Ainsi, des mesures concernant la coopération judiciaire en matière civile, qui
pourront connaître cependant la même évolution de processus décisionnel que
celle que je viens de décrire, ne relèvent pas de l'exercice de la souveraineté
nationale et ne sont donc pas visées par le Conseil constitutionnel parce qu'il
s'agit simplement de mesures de procédure, qui n'ont évidemment pas
l'importance des questions concernant les visas, l'immigration, le statut des
personnes réfugiées, etc.
Il convient, enfin, de préciser que l'adoption d'un tel dispositif aurait pour
effet de priver le système Schengen - je me tourne vers notre collègue Paul
Masson, spécialiste de ce système si complexe qu'est Schengen - de sa raison
d'être, en quelque sorte, ce qui conduit le traité à organiser le transfert à
la Communauté de ce qu'on appelle, dans une formule simple, les « acquis » de
Schengen, avec, naturellement, les adaptations rendues nécessaires, en
particulier du fait que les signataires du traité sur les Communautés ne sont
pas tout à fait les mêmes que les signataires du traité de Schengen.
La question qui se pose, et qui nous est posée, pour l'essentiel - et la
commission a souhaité s'en tenir à l'essentiel ! - est donc de savoir s'il
convient ou non de rendre constitutionnel ce processus de « communauta-risation
».
Que penser d'une telle novation ?
Il paraît difficile de nier l'intérêt d'une politique commune en matière de
franchissement des frontières intérieures et extérieures des Etats membres. Les
politiques nationales d'immigration, en particulier, ont trouvé leurs limites,
et le cadre européen paraît offrir des perspectives meilleures pour exercer une
politique efficace en cette matière, à condition qu'on soit d'abord et avant
tout soucieux d'efficacité.
Il est bien évident - qu'on le veuille ou non, car c'est là une situation de
fait - que l'ouverture des frontières intérieures, corrolaire naturel,
inévitable, de l'Union économique et que nous vivons tous les jours dès lors
que nous voyageaons, rend en pratique inopérants les contrôles dans le cadre
national et entraîne une homogénéité du territoire européen dont la seule
frontière véritablement opérationnelle ne peut être que le réseau des
frontières extérieures. Il importe, dès lors, que le contrôle de celles-ci soit
géré en commun.
Il faut cependant constater que la méthode intergouvernementale, que l'on a
essayée,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Eh bien voilà !
M. Pierre Fauchon
rapporteur.
... qui est appliquée depuis l'entrée en vigueur du traité de
Maastricht, n'a pas donné des résultats réellement probants. Elle ne le pouvait
d'ailleurs pas, par définition, étant donné les questions qu'il s'agissait de
traiter, et qui ne peuvent pas être traitées par la méthode
intergouvernementale.
Dans ces domaines, une politique efficace n'est possible que par la mise en
oeuvre de mécanismes tels que ceux qui sont prévus par le traité instituant la
Communauté européenne, l'expérience ayant montré que, en dépit de la complexité
des problèmes, il permettait de concilier l'exigence d'efficacité et la prise
en compte des points de vue nationaux, qui finalement - je me permets de le
rappeler - prévalent au travers des décisions des différents conseils
spécialisés ou du Conseil européen.
En ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée, quelles que soient les
conditions de ce passage, il constitue, pour l'essentiel, un moyen de rendre
plus efficace le processus communautaire de décision. C'est un système qui
constitue une incitation pour les Etats à négocier sérieusement pendant la
période de cinq ans où l'unanimité est de rigueur. Au terme de cette période,
nous passerons dans la phase de décision majoritaire, ce qui est plus sûr que
l'unanimité, dont on sait par expérience qu'elle est un facteur d'inertie ou de
marchandages - et de marchandages de toutes sortes !
Avons-nous en matière de visas, d'asile, d'immigration, des intérêts si
différents de ceux de l'Allemagne ou de l'Italie, par exemple, que nous
puissions craindre d'être mis en minorité sur des textes qui auraient pour eux
de graves conséquences ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Bien sûr !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Avons-nous des raisons de le craindre alors que, en réalité,
la réglementation de ces pays est plus protectrice que la nôtre ? Car on oublie
de faire cette comparaison, et je pourrais citer des exemples qui en
surprendraient plus d'un, ne serait-ce qu'en ce qui concerne la durée du droit
de rétention, qui n'est nulle part aussi courte qu'en France !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ce n'est pas nous qui l'avons fait !
M. Pierre Fauchon.
rapporteur.
Dans la plupart des cas, le passage à la majorité qualifiée
et à la procédure de codécision sera décidé à l'unanimité par le Conseil de
l'Union européenne, ce qui permettra à ce dernier de définir les domaines
auxquels s'appliqueront les nouvelles modalités.
Cela se fera progressivement. On peut bien penser, en effet, que le Conseil ne
décidera pas un passage en bloc de l'ensemble des questions visées dans le
titre dont j'ai parlé tout à l'heure.
Soulignons que la majorité qualifiée n'est pas la majorité simple. Dans le
cadre de ce système, 70 % des voix sont nécessaires pour qu'une décision puisse
être adoptée, chaque Etat disposant d'un certain nombre de voix en rapport avec
son poids démographique. Je rappelle que cette pondération mérite d'être
révisée et qu'une disposition du traité prévoit expressément la révision de
cette pondération au moment de l'élargissement, dont elle fait une
condition.
Il convient enfin de mentionner - il me semble qu'on ne l'a pas assez dit -
qu'une sécurité est prévue par le traité. Ainsi, aucune des mesures adoptées
dans le cadre du nouveau titre du traité instituant la Communauté européenne ne
devra porter atteinte à l'exercice des responsabilités qui incombent aux Etats
membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité
intérieure.
Il y a donc là une sécurité qui donnera éventuellement la possibilité de
s'évader de ces procédures dans les hypothèses qui concerneraient le maintien
de l'ordre public ou la sauvegarde de la sécurité intérieure, notions assez
larges et dans lesquelles, éventuellement, même le droit d'asile pourrait
figurer.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que la commission s'est prononcée en
faveur de l'adoption du projet de loi constitutionnelle.
Elle ne l'a pas fait, cependant, je dois le dire, à l'unanimité, car une
importante minorité s'est manifestée, regroupant, d'une part, ceux qui, par
principe, et pour des raisons qui sont tout à fait concevables, sont hostiles
au processus de communautarisation et ceux, plus nombreux tout de même, qui,
tout en acceptant ce principe, considèrent que le fait de lever l'hypothèque de
l'inconstitutionnalité ne devrait pas priver le Parlement d'un droit de regard
sur les conditions dans lesquelles, le moment venu, notre Gouvernement pourrait
être amené à accepter cette communautarisation.
M. Paul Masson.
C'est la Constitution même !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'est ce qu'on a appelé l'habilitation parlementaire.
Nous reviendrons sur cette question à l'occasion de l'examen des articles et
des amendements. Je crois cependant, après les ministres qui sont intervenus,
qu'il convient d'éclairer dès maintenant le débat sur cette question qui a
cristallisé une grande partie de la discussion à l'Assemblée nationale et qui
cristallisera certainement une grande partie de notre propre discussion.
On peut être un Européen résolu, comme je le suis, sans ignorer ce qu'il y a
de légitime dans le refus de voir le Parlement dépossédé de sa compétence
naturelle dans le domaine dont nous parlons, du seul fait que la réforme de la
Constitution rendra possible la décision de transférer ces questions dans le
domaine communautaire.
M. Paul Loridant.
Hélas !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
On peut penser que rendre ce transfert possible
constitutionnellement est une chose et que le réaliser effectivement en est une
autre, encore que la distinction puisse apparaître quelque peu artificielle,
sinon artificieuse, en tout cas difficilement compréhensible pour le public, et
plus spécialement le public européen. C'est peut-être le point le plus
important.
C'est ce dernier aspect de la question qui a emporté la décision d'une
majorité de la commission, soucieuse avant tout - c'est ce qui explique sa
ligne de conduite à l'égard de tous les amendements - de donner par ce vote aux
Français et aux Européens un signal clair, un signal non équivoque de
l'adhésion du Sénat à la partie du traité d'Amsterdam qui est tout à la fois la
plus « consistante » et la plus évidemment nécessaire.
J'ajouterai, le moment venu, un ou plusieurs arguments juridiques qui ont déjà
été évoquées et qui consistent à essayer de montrer...
M. Paul Masson.
A « essayer » !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il faut, en effet, être modeste dans ce genre d'entreprise
!
M. Paul Masson.
Parfait !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je tâcherai donc de montrer qu'un tel aménagement serait, en
fait, contraire au traité et reviendrait à amender celui-ci, ce que notre
Constitution ne permet pas. De plus, cela apparaîtrait inévitablement, au
passage, comme une sorte de blâme à l'égard des négociateurs et signataires du
traité,...
M. Paul Masson.
Bien sûr !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... c'est-à-dire, tout de même, les plus hautes autorités de
l'Etat.
Le souci de clarté qui a inspiré la commission ne pouvait cependant pas aller
jusqu'à oublier les améliorations qu'il convient d'apporter à l'article 88-4 de
notre Constitution pour corriger certains inconvénients résultant de la
rédaction actuelle de cet article, qui organise la participation du Parlement à
l'élaboration de la politique européenne, et plus spécialement des textes qui
l'incarnent.
Dans sa rédaction actuelle, que les membres de la délégation du Sénat pour
l'Union européenne connaissent bien - n'est-il pas vrai, monsieur Barnier ? -
l'article 88-4 prévoit que le Gouvernement « soumet » aux assemblées « les
propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature
législative », ce qui permet le vote de résolutions par lesquelles s'exprime -
selon moi, fort utilement - l'avis de chaque assemblée.
Dans l'interprétation actuelle de ce texte, celui-ci ne concerne que les actes
communautaires
stricto sensu
- cela a été dénoncé successivement par MM.
Lanier et de La Malène, en particulier - c'est-à-dire les actes du premier
pilier, ce qui exclut très fâcheusement et les actes relevant du second et du
troisième pilier, et les « documents de consultation », qui sont cependant ceux
à propos desquels il serait très important pour les assemblées d'être en mesure
de voter des résolutions.
Telle est la situation, par exemple - c'est un cas tout à fait évident - pour
l'Agenda 2000, qui contient des vues très intéressantes et très importantes,
par exemple, en ce qui concerne la PAC, mais aussi beaucoup d'autres domaines.
C'est peut-être, finalement, le plus intéressant des documents que nous ayons à
connaître et à l'égard duquel nous aurions souhaité pouvoir voter des
résolutions au début du processus de réflexion, parce que c'est à ce moment-là
que les résolutions ont quelque chance d'être intégrées dans les démarches et
dans les recherches gouvernementales.
J'ai déjà eu l'occasion - on a bien voulu le rappeler - de déplorer cette
situation dans un précédent rapport de 1997, dont je ne fais ici, d'ailleurs,
que prolonger strictement les conclusions.
En ce qui concerne la première catégorie d'actes visés - ceux des deuxième et
troisième piliers - un amendement adopté par l'Assemblée nationale avec
l'accord du Gouvernement donne satisfaction puisqu'il prévoit la communication
des actes non seulement « des Communautés européennes » mais aussi de « l'Union
européenne », ce qui inclut les trois piliers.
A quoi l'amendement de l'Assemblée nationale, et donc le texte qui nous est
soumis, ajoute la possibilité, pour le Gouvernement, de soumettre aux
assemblées « les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tout document
émanant d'une institution de l'Union européenne ». Ces communications
pourraient donc faire l'objet de résolutions, en vertu de l'alinéa suivant, que
je n'ai pas besoin de citer.
Il est permis de regretter - d'ailleurs, en s'en étonnant - que l'Assemblée
nationale n'ait pas expressément visé les « documents de consultation » dont
j'ai parlé tout à l'heure, alors que leur « transmission rapide aux parlements
nationaux » est expressément prévue dans un protocole annexé au traité et qui
rend cette communication obligatoire.
Il ne semble pas, cependant, que cette lacune soit très grave de conséquence,
dès lors, précisément, que cette transmission est rendue obligatoire par le
traité. Je pense que le Gouvernement s'y prêtera, comme on a bien voulu le dire
tout à l'heure, et non pas « le plus souvent », mais purement et simplement.
Encore faut-il cependant - cette précision a son importance, car mieux vaut
s'assurer de ne pas se trouver dans une équivoque - qu'il soit formellement et
clairement entendu et dit que ces transmissions de tous les documents de
consultation se fera au titre de l'article 88-4 et plus spécialement de la
dernière phrase de son premier alinéa d'où il s'en suivra automatiquement que
ces documents pourront faire l'objet de résolutions.
Je me permets, madame le garde des sceaux - nous sommes sur un terrain
juridique - de dire que je ne sais pas en quel sens il fallait entendre
l'expression « le plus souvent » que vous avez employée tout à l'heure. Je
suppose que vous avez voulu dire que « le plus souvent » les assemblées
voteraient des résolutions. Je ne sais si elles en voteront souvent ou pas
souvent, ou moyennement souvent ; il suffit que nous soyons bien d'accord pour
dire qu'elles peuvent en voter, ensuite, elles verront si elles veulent en
voter souvent ou pas.
Nous avons besoin d'être sûrs que tous les documents de caractère préparatoire
tels qu'ils sont visés au protocole seront transmis au titre de la dernière
phrase du premier alinéa de l'article 88-4, d'où il résultera qu'ils pourront
tous - souvent ou pas souvent, je n'en sais rien : ce sont les assemblées qui
en décideront - faire l'objet de résolutions.
Telle est l'interprétation de la commission. Il paraît difficile, en toute
bonne foi, d'en imaginer une autre, et je ne pense pas qu'il y en ait d'autres
dans l'esprit du Gouvernement. Mais il importe que celui-ci veuille bien nous
confirmer à nouveau son accord et je prie M. Moscovici de bien vouloir excuser
cette insistance. Il a résumé son avis dans une formule qui nous satisfait.
Je souhaite que, sur ce point, nous éliminions toute espèce de doute afin que
nous puissions considérer comme pleinement satisfaisant l'amendement voté par
l'Assemblée nationale.
Sous cette importante réserve, mes chers collègues, la commission des lois
vous propose d'adopter la rédaction actuelle de l'article 88-4 dont
l'imperfection rédactionnelle se trouverait suffisamment « couverte » par
l'interprétation qu'en donnerait le Gouvernement.
Telles sont, sous cette forte réserve, les raisons pour lesquelles la
commission des lois invite la Haute Assemblée à voter le texte du projet de
réforme constitutionnel tel qu'il a été adopté à une très large majorité par
l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RDSE, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers
collègues, nous voici confrontés à une nouvelle étape de la construction
européenne.
Je dois dire qu'en cet instant je ne peux pas ne pas me souvenir de cette
époque, hélas ! lointaine, où le président Paul-Henri Spaak avait demandé à
chacun des Etats qui devaient participer à la première étape de la construction
européenne de l'assister dans la rédaction du traité de Rome.
Comment oublier ce soupir de soulagement quand, vers cinq heures ou à six
heures du matin, dans le petit château de Val-Duchesse, Paul-Henri Spaak - lui
qui nous disait souvent qu'il était aussi français qu'un bon belge pouvait
l'être - s'est tourné vers nous et nous a dit : « Maintenant, tout est à faire
! » ? Tout était à faire effectivement et on a fait beaucoup, en franchissant
des étapes difficiles, en empruntant des chemins qui n'ont pas toujours été
commodes.
Il y a eu des tentations de rupture, des crises, et il y a eu finalement cette
prise de conscience. Elle s'est ajoutée, jour après jour, au sentiment que nous
pouvions avoir dans les premiers temps de la construction européenne - nous
étions très près de la guerre - de dominer les haines et les peurs de
l'instant, pour aller de l'avant.
Nous abordons cette nouvelle étape - c'est presque naturel - dans un climat
qui a souvent présidé à nos discussions et qui suscite entre nous - il faut le
dire en cet instant - un certain nombre de divergences, non pas sur l'objectif
final mais au moins sur les modalités nécessaires.
Nous le savons, si demain nous voulons ratifier le traité d'Amsterdam -
certains se demandent s'ils le feront, ce qui est une question légitime -, il
nous faut modifier la Constitution en vertu d'une disposition constitutionnelle
à laquelle nous ne pouvons nous dérober.
Mais, si l'on y réfléchit bien, le caractère relativement paradoxal de cette
disposition constitutionnelle apparaît. Il suffit, pour s'en rendre compte,
d'en énumérer les étapes. Elles sont simples et elles comportent en elles-mêmes
une vertu contraignante à laquelle nous sommes en cet instant confrontés.
Le Gouvernement s'engage par un traité, il y fait figurer des dispositions
dont il ne peut ignorer le caractère non constitutionnel ; à sa demande, cette
inconstitutionnalité est constatée par le Conseil constitutionnel.
La route de Versailles est ouverte...
M. Paul Loridant.
Une autoroute !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... à la condition toutefois que la
révision soit votée.
C'est peut-être effectivement une route à quatre voies ; nous l'avons déjà
empruntée pour le traité de Maastricht, pour le traité de Schengen, et la
répétition de cette procédure est préoccupante.
Elle entraîne inévitablement une certaine confusion dans la portée du débat :
de quoi s'agit-il, de la Constitution, que l'on veut réviser, ou du traité, que
certains d'entre nous souhaitent accepter ?
Il ne faut pas se le dissimuler, cette répétition provoque inévitablement une
certaine impression de fragilité constitutionnelle. Cet édifice fondamental de
notre droit ne le demeurera que s'il dispose d'une certaine pérennité.
Si, demain, nous devons aborder une nouvelle étape de la construction
européenne, faudra-t-il envisager de suivre la route que nous aurons déjà
empruntée ou bien ne faudra-t-il pas peut-être, mais c'est là un énorme
problème, envisager une insertion permanente dans nos règles constitutionnelles
de l'ensemble communautaire ?
Quoi qu'il en soit, à ce stade du débat, je voudrais non seulement exprimer
l'approbation que, bien évidemment, je porte sur le travail remarquable
accompli par notre rapporteur, mais également souligner les raisons qui, dans
le climat qu'il a parfaitement décrit, ont conduit la commission des lois à
proposer un vote conforme.
Nous sommes la majorité sénatoriale et nous souhaitons, je crois que c'est
important, conforter par notre vote, non pas celui de la majorité de
l'Assemblée nationale, mais celui auquel ont participé positivement nos
collègues de l'opposition à l'Assemblée natinonale.
Cette position, nous le savons, il n'a pas été commode pour eux de l'adopter.
Ils ont manifesté des inquiétudes légitimes et cette question ne peut pas être
éludée. Nous aurons l'occasion d'en parler.
Le problème est simple et nos divergences sont claires et honorables.
Engageons-nous la France dans une sorte de processus qui aboutirait
inévitablement, comme certains le craignent, à une sorte de disparition qui
viendrait la frapper, en tant qu'Etat et en tant que nation ?
Puis-je dire que ceux qui font le choix aujourd'hui de l'approbation et donc
du vote conforme du texte qui nous vient de l'Assemblée nationale ne le pensent
pas ?
Il n'y a pas parmi nous, quel que soit le choix de chacun, je ne sais quelle
volonté d'abdication. Mais nous savons que la construction européenne suppose,
pour tous ceux qui y participent, une certaine confiance, une certaine volonté
commune, dans des domaines qui deviendront de plus en plus importants.
Compte tenu du débat qui est le nôtre et des questions que nous nous posons,
j'en viens à me demander si nous avons pris nettement conscience de la
véritable révolution que nous avons précédemment adoptée.
M. Paul Loridant.
Nous, nous en avons pris conscience !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Chacun a sa conscience pour lui !
Cette véritable révolution que nous avons adoptée, n'est pas simplement
monétaire, mais elle est authentiquement culturelle.
A partir du moment où nous aurons une monnaie commune...
MM. Charles Ceccaldi-Raynaud et Charles Pasqua.
Unique !
Mme Hélène Luc.
Il a dit « commune » !
M. Paul Loridant.
Ce n'est pas la même chose !
M. Charles Pasqua.
Expliquez-nous cela, monsieur Loridant ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je veux dire une monnaie unique. Je
vous remercie de me signaler cette erreur : j'avais la volonté de dépasser la
monnaie commune pour participer à la monnaie unique.
Mes chers collègues, nous avons eu des divergences lors de l'adoption du
traité de Maastricht.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela oui !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Bon nombre de ceux qui les avaient
exprimées ont su les surmonter.
Au-delà de ce que nous déciderons aujourd'hui, demain, nous le savons, nous
devrons nous rassembler.
Une élection européenne nous attend. Nous nous y déterminerons, et nous
exprimerons nos choix, non seulement - et nous le savons bien - en fonction de
l'Europe que nous voulons, mais aussi en fonction des problèmes d'ensemble
auxquels nous souhaitons tous ensemble apporter des solutions différentes de
celles qui nous sont proposées aujourd'hui.
Je n'ai pas apprécié, pour ma part, que certains croient bon de se livrer à
une sorte d'ostracisme sur tel ou tel d'entre nous.
Je respecte pour ma part les choix de chacun, j'émets le voeu qu'au-delà de
nos divergences d'aujourd'hui, demain nous sachions nous rassembler.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur
le ministre, mes chers collègues, notre débat aujourd'hui a de la hauteur.
D'abord, parce que, comme toute révision constitutionnelle, il situe le Sénat
au sommet de ses droits et de ses prérogatives.
M. Charles Pasqua.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Ensuite parce qu'il
constitue le préalable indispensable à la ratification d'un traité qui prendra
place, quelles qu'en soient les faiblesses, dans l'histoire des accords qui ont
jalonné la construction européenne.
Je remercie très vivement notre commission des lois constitutionnelles - et,
en premier lieu, son président et son rapporteur - de la très grande qualité de
leurs travaux qui éclairent parfaitement, sur un sujet délicat où la passion ne
doit pas l'emporter sur la raison, les délibérations de notre Haute
assemblée.
J'ai toutefois tenu à redire aujourd'hui brièvement à cette tribune les
raisons essentielles pour lesquelles j'ai déjà eu l'occasion de plaider devant
notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en
faveur de la ratification du traité d'Amsterdam.
Beaucoup de temps a été perdu, sans aucun bénéfice ni pour l'Europe, ni pour
la France. Notre pays sera ainsi, selon toute vraisemblance, le dernier des
quinze Etats membres à accomplir un geste nécessaire qui ne mérite, selon moi,
ni excès d'honneur ni indignité.
Je souhaite en effet que l'enjeu du traité d'Amsterdam soit évalué sereinement
et apprécié à sa juste mesure, sans être mésestimé ni gratuitement dramatisé.
Le débat ainsi abordé, sa conclusion ne me paraît devoir faire aucun doute : le
traité qui nous est proposé doit être ratifié, sans enthousiasme, compte tenu
des lacunes qui le caractérisent, mais avec résolution, compte tenu des
dispositions positives qu'il contient. Il comporte, en effet, grâce en
particulier aux efforts de la diplomatie française - et je tiens à remercier à
cet égard M. Michel Barnier - des évolutions positives et des progrès réels.
C'est le cas dans le domaine des politiques communes, où l'intégration du
protocole social au traité et le nouveau titre sur l'emploi sont des premiers
pas appréciables pour conforter la dimension sociale de l'Union et lui
permettre de mieux conjuguer les objectifs économiques et des préoccupations
plus proches des citoyens.
C'est le cas aussi dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité
commune, où, malgré certaines timidités, le traité d'Amsterdam permet d'aller
de l'avant, avec notamment des stratégies communes, une unité de planification
et un haut représentant qui pourrait contribuer à doter la politique étrangère
et de sécurité commune, la PESC, d'une voix et d'un visage.
C'est le cas, enfin et surtout, dans le domaine du troisième pilier, relatif à
la justice et aux affaires intérieures, qui est précisément le domaine où les
avancées du traité d'Amsterdam sont les plus significatives.
Je souhaiterais insister en particulier sur la communautarisation progressive
des politiques liées à la circulation des personnes - asile, visas,
immigration... - qui justifient la révision constitutionnelle qui nous est
soumise aujourd'hui. Permettez-moi de formuler à cet égard quatre
observations.
En ce qui concerne la première, je peux comprendre le souci de ceux qui
préféreraient une sorte de clause générale d'habilitation européenne aux
révisions constitutionnelles spécifiques qui nous sont désormais imposées,
contrairement à la plupart de nos partenaires, après chaque avancée européenne
d'envergure. Il est vrai qu'une telle révision générale marquerait de façon
spectaculaire et durable l'engagement européen de la France.
M. Paul Loridant.
Européiste !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Mais je crois aussi
que ces débats constitutionnels successifs, par leur solennité même, peuvent
être l'occasion de débats très utiles sur l'Europe pour mieux éclairer les
Français sur les enjeux et les progrès de la construction européenne.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Le référendum nous aurait en effet éclairés !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Ma deuxième
observation portera sur la disposition même qui justifie la présente révision,
à savoir la possibilité ouverte par le traité, après un délai d'au moins cinq
ans, de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée dans certains domaines
relatifs à la libre circulation des personnes.
La France a beaucoup oeuvré à l'aboutissement des négociations sur ce point
pour assurer une plus grande sécurité des citoyens en Europe en luttant plus
efficacement à quinze contre des phénomènes qui, chacun le sait, ne connaissent
pas les frontières. La majorité qualifiée est un gage d'efficacité,
particulièrement nécessaire dans une matière comme la sécurité où l'action doit
être collective.
A contrario,
l'unanimité réduit nécessairement l'action
commune au plus petit dénominateur commun, fût-il imposé par le plus laxiste ou
le plus petit, comme on a pu le voir dans le domaine de la lutte contre la
drogue.
Il s'agit donc non pas - ce sera ma troisième observation - d'abdiquer notre
souveraineté nationale, ...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Si !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
... mais, au
contraire, de reconquérir au travers de l'Europe une véritable maîtrise dans
bien des domaines où le fait d'agir seuls nous condamnerait à l'impuissance.
L'Europe ne nous affaiblit pas. Elle doit être au contraire elle est déjà un
amplificateur de puissance sans égal pour les nations qui la composent. Je
crois, mes chers collègues, que, tout en prenant les précautions nécessaires,
nous devons prendre garde de polariser à l'excès nos débats sur les transferts
de souveraineté, d'ailleurs limités, proposés par le traité au risque d'oublier
les vraies questions qu'il pose, je l'ai dit bien souvent, à savoir l'absence
de réforme institutionnelle ; c'est pour moi le point le plus grave.
Ma dernière observation enfin a trait au légitime renforcement des
prérogatives du Parlement dans le domaine communautaire, dont la présente
révision constitutionnelle fournit l'occasion. L'extension du champ
d'application de l'article 88-4 me paraît en particulier tout à fait naturelle
pour permettre une meilleure information et un meilleur contrôle du Parlement.
Je souhaite que députés et sénateurs soient ainsi mieux à même de connaître,
d'apprécier et de faire comprendre à nos concitoyens des textes communautaires
qui, chacun le sait, occupent une place sans cesse croissante.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ils le savent !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Ils doivent aussi
être en mesure de critiquer et d'alerter notre Gouvernement sur des
propositions inadaptées. Les garde-fous nécessaires doivent donc être prévus,
avec pour objectif d'améliorer la législation communautaire, mais non de la
bloquer. Veillons donc à ne pas créer des mécanismes qui auraient en réalité
pour objet ou pour résultat de multiplier les obstacles sur la voie de
l'élaboration des normes communautaires.
Je voterai donc la révision constitutionnelle indispensable à la ratification
par la France du traité d'Amsterdam. Mais l'autorisation de cette ratification
par le Parlement devra être l'occasion pour notre pays de marquer
solennellement l'importance cruciale d'une véritable réforme institutionnelle
de l'Union européenne, menacée de paralysie par ses élargissements
successifs.
Car le traité d'Amsterdam, sur ce point - le plus important -, a failli à ses
objectifs qui figuraient, pourtant, au premier rang des missions de la
Conférence intergouvernementale.
Chacun sait que la marche de la Communauté est déjà devenue très laborieuse à
quinze avec des institutions conçues pour six pays. Qu'en serait-il à vingt ou
vingt-cinq, lorsqu'un simple tour de table au Conseil n'exigera pas moins de
quatre heures ? Tel est le principal problème auquel devra faire face, demain,
l'Union européenne. Nous le savons. Nous devons y répondre ! Elargir dans les
conditions actuelles serait faire le choix de la paralysie. Personne n'y a
intérêt, sauf ceux qui spéculent sur le recul de l'Union, la dilution de ses
politiques communes et sa réduction à une simple zone de libre-échange.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oui !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Merci.
La réforme des institutions constitue donc une incontestable priorité avant
tout nouvel élargissement. La France, l'Italie et la Belgique l'ont affirmé
dans une déclaration annexée au traité d'Amsterdam. C'est un premier pas. Il
est insuffisant.
Nos objectifs sont connus.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ils le sont, en effet !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Ils sont pragmatiques
: renforcer la collégialité de la Commission, faciliter l'extension de la
majorité qualifiée qui, pour le premier pilier, devrait devenir la règle et non
plus l'exception, et établir un nouveau système de pondération des voix, plus
juste et plus efficace.
Comment y parvenir ? Nous devons d'abord saisir l'occasion de la ratification
du traité d'Amsterdam pour réaffirmer, monsieur le ministre, cette exigence.
J'ai plaidé, il y a déjà six mois, devant la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, pour l'adjonction
exceptionnelle d'un article 2 au projet de loi de ratification. Cet article
devrait être élaboré par le Gouvernement en concertation avec le Parlement pour
bénéficier du soutien le plus large possible.
Je me réjouis, monsieur le ministre, de l'accord que vous avez donné à une
telle démarche. Nous ne devons pas, je crois, mésestimer la valeur que pourrait
avoir un tel article 2. Il aurait juridiquement force de loi. Et,
politiquement, un tel texte, engageant le Gouvernement vis-à-vis du Parlement,
conforterait la position du gouvernement français dans les négociations qui
s'engageront vis-à-vis de nos partenaires. Souvenons-nous de la portée qu'avait
eu, en son temps, l'adjonction faite par le Parlement allemand, hélas ! en
1963, au traité de l'Elysée...
Rien ne sera pour autant acquis avec l'adoption de cet article additionnel.
Nous devrons ensuite élargir le cercle de nos soutiens à cet objectif d'une
véritable réforme institutionnelle. Certains progrès semblent avoir été faits à
cet égard, sur le plan des positions de principe, depuis la déclaration
franco-italo-belge. Il reste à passer aux actes.
Cela supposera non seulement de clarifier et de faire partager à nos
partenaires notre propre conception de la réforme, mais encore de choisir le
bon moment pour cette négociation institutionnelle préalable à l'élargissement.
Il faudra enfin, sans doute, prendre l'initiative de proposer une méthode
susceptible d'être plus efficace que celle de la Conférence
intergouvernementale, qui a montré ses limites.
Pour le moment, il nous appartient de montrer que la France, à l'heure du
choix, est prête, une fois encore, à faire celui de l'espérance, celui d'une
Union européenne ouverte sur l'avenir, et à rejeter la frilosité d'un pays
affaibli et replié sur lui-même.
Monsieur le président, mes chers collègues, le Sénat n'a jamais jusqu'ici
marchandé son soutien à l'oeuvre historique que constitue la construction
européenne.
Mme Hélène Luc.
Ça c'est vrai !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Ne brisons par l'élan
! Je suis convaincu qu'une fois encore la Haute Assemblée fera le choix de
l'avenir.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées socialistes et du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Barnier, président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers
collègues, l'examen par la Haute Assemblée de ce projet de révision de la
Constitution me donne l'occasion, dans un premier temps, de dire mon sentiment
sur le traité d'Amsterdam lui-même, qui impose et justifie cette révision, et
sur les enjeux de sa ratification.
Mais, dans un second temps, je réfléchirai à l'occasion qui nous est donnée
grâce à cette révision - occasion que nous ne devrions pas manquer - de rendre
plus démocratique, plus proche des gens, l'Europe qui se construit, cette
ambition étant indissociable d'une ambition plus haute : celle de construire
désormais l'Europe politique !
Evoquons d'abord la révision de la Constitution, passage obligé vers la
ratification du traité d'Amsterdam. « Passage obligé » est en effet la formule
qui me vient immédiatement à l'esprit, madame le garde des sceaux, monsieur le
ministre, tant la démarche du Gouvernement est apparue depuis des mois comme
ployant sous la contrainte.
Contrainte du temps d'abord ; en effet, le temps presse puisque, comme vient
de le rappeler M. de Villepin, la France sera probablement bonne dernière à
mettre en oeuvre, à la veille de Noël, son processus de ratification.
Contrainte politique ensuite ; le Gouvernement, permettez-moi de vous le dire
franchement, donne l'impression de transporter ce projet sous le manteau, et il
a pour l'heure dépensé davantage d'efforts à ne rien revendiquer - ou quasiment
rien - du traité d'Amsterdam qu'à susciter l'adhésion à son sujet.
Et pourtant, nous sommes nombreux ici, madame le garde des sceaux, monsieur le
ministre, souvenez-vous en, à avoir fait preuve d'une autre ardeur à l'époque
pour expliquer et défendre le traité de Maastricht que nous n'avions pourtant
ni négocié ni signé.
Est-ce pour les mêmes raisons que vous nous invitez, madame, monsieur le
ministre, à tailler, aujourd'hui, à la sauvette, dans la belle robe de la
Constitution de 1958 ? Une retouche par-ci, pas de retouche par-là, et le tour
serait joué...
Belle robe certes, mais vingt fois recousue, un peu comme les traités
fondateurs de l'Union européenne confèrent cette impression d'être cent fois
ravaudés. Au risque d'égratigner notre tradition juridique, je crois qu'il faut
s'interroger - je ne suis pas le premier à le faire ici - sur la double logique
qui conduit, d'une part, à mettre notre Constitution en chantier si souvent et,
d'autre part, à laisser les traités européens devenir ce magna juridique
indescriptible.
A cet égard - M. le président Larché l'a fait tout à l'heure, comme M. le
rapporteur et M. de Villepin - il y a peut-être lieu d'étudier, à l'échelon
national, la possibilité - c'est une possibilité qu'approuverait alors le
peuple, et lui seul - d'adapter durablement notre Constitution aux transferts
de compétences impliqués par notre participation à l'Union européenne. C'est
d'ailleurs ce que pratique sans état d'âme l'Allemagne, par exemple.
Sur le plan européen, il y a peut-être lieu aussi d'appeler à une politique de
codification accrue conduisant - pourquoi pas ? Philippe Séguin l'a évoqué
l'autre jour - à une véritable constitution européenne à laquelle les citoyens
comprendraient enfin quelque chose.
Vous l'avez compris, mes chers collègues, après ces quelques mots, nous
souhaitons - nous sommes nombreux, sans doute unanimes, à le souhaiter - que se
déroule ici et maintenant un véritable débat, sans outrance et sans tabou, sur
le traité d'Amsterdam et les conditions de sa ratification. Ni la démocratie,
ni l'idéal, ni même votre gouvernement n'ont quoi que ce soit à gagner à
escamoter ce débat.
Certes, monsieur le président, mes chers collègues, ce traité n'a rien pour
déchaîner l'enthousiasme,...
MM. Charles Ceccaldi-Raynaud et Paul Masson.
Ah ?...
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
... mais la
chose est rare en matière européenne.
Néanmoins, et c'est bien là l'essentiel, permettez-moi de le dire avec
humilité mais aussi avec conviction, ce traité possède quelques solides
qualités qu'il serait injuste de passer sous silence.
En fait, pour essayer de les embrasser d'une seule formule, je dirai que le
traité d'Amsterdam solde les critiques de l'après-Maastricht.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Tiens ?...
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
On nous
disait que la construction européenne s'était enfermée dans une logique
exclusivement économico-monétaire ; voilà un traité qui ne parle que de
politique !
On nous disait que l'Union européenne était devenue sourde aux réalités
sociales, qu'elle consacrait la loi du plus fort ; voilà un traité qui intègre
le protocole social dans le socle des règles communes, qui reconnaît les
missions de services publics - et je peux témoigner que nous l'avons obtenu
grâce à la détermination du Président de la République et du Premier ministre
Alain Juppé - voilà encore un traité qui protège les régions faibles et
périphériques, tels nos départements d'outre-mer.
On nous disait que la politique étrangère et de sécurité commune, à peine
enfantée à Maastricht, était déjà morte à Sarajevo ; voilà un traité qui la
dote de nouveaux outils stratégiques, de nouvelles procédures de décision, d'un
haut représentant - vous l'avez évoqué monsieur Moscovici - la voix et le
visage de l'Union.
Il y aura désormais un tableau de bord de la politique étrangère et un pilote
devant ce tableau de bord. Je fais observer, mes chers collègues, qu'il n'est
pas indifférent pour l'idée que nous nous faisons de l'Europe politique que ce
tableau de bord et ce pilote se trouvent placés sous l'autorité du Conseil
européen, conseil des chefs d'Etat et de Gouvernement et, naturellement, aux
côtés du conseil des ministres, c'est-à-dire là où se situe réellement la
légitimité démocratique, le lieu de l'impulsion politique, ce qui n'exclut
d'ailleurs pas que ce haut représentant travaille, comme ce sera nécessaire, en
cohérence avec la Commission, notamment pour la mise en oeuvre des crédits très
importants qu'elle gère pour l'action extérieure de l'Union.
On nous disait que l'Union européenne se fichait de l'emploi. Celui-ci est,
aujourd'hui, au coeur de la problématique européenne, comme on l'a vu à Vienne
sous l'impulsion commune du Président de la République, du Premier ministre et
du chancelier Schroeder. Rappelons que c'est Jacques Chirac, qui, le premier,
en a exprimé le souhait dans le mémorandum pour le modèle social européen.
On nous disait enfin que l'Union européenne serait incapable de réagir face
aux menaces contre sa sécurité intérieure, qu'elle serait inévitablement
débordée à ses frontières extérieures, que les « nouveaux barbares »
préparaient l'invasion. Non seulement le cataclysme n'a pas eu lieu, mais voilà
un traité qui donne une véritable impulsion aux politiques dites du troisième
pilier - sécurité, police, justice, immigration - et fait naître l'espoir d'une
réponse efficace et commune.
Voilà pour le traité d'Amsterdam. Il est simplement, ce n'est pas si mal, une
étape positive dans la construction de l'Europe, et nous souhaitons, dans notre
grande majorité, que la France franchisse cette étape sans tarder davantage.
Permettez-moi maintenant, avec un peu plus de liberté, au-delà de la mission
qui est la mienne à la tête de la délégation, de vous livrer mon sentiment non
seulement sur ce traité - que je connais bien pour l'avoir négocié presque
jusqu'au bout - mais aussi sur l'opportunité, peut-être historique, qu'il nous
offre de changer notre rapport à la politique européenne.
Oui, c'est vrai, le traité d'Amsterdam n'apporte pas de réponse de fond au
risque de blocage des institutions européennes : raison de plus pour redoubler
d'efforts dans ce sens.
Non, il est faux de prétendre que le traité d'Amsterdam engendrerait une sorte
de super Etat européen. Il recrée simplement, pour la sécurité des citoyens,
une capacité d'agir mieux ensemble qu'en restant chacun chez soi, chacun pour
soi.
Que personne ne se trompe pourtant ! Je le dis à tous ceux qui voudront
l'entendre : si cette politique commune, un jour communautaire, de la sécurité
est mise en oeuvre dans des conditions à la fois sérieuses, efficaces et
satisfaisantes pour la démocratie, les élus du Rassemblement pour la
République, dans leur très grande majorité, la soutiendront sans réserve.
Quel que soit votre souci d'aller vite, monsieur le ministre - trop vite, me
semble-t-il - quelles que soient la prudence de certains et l'habileté de
quelques autres, on aurait tort, sur ce sujet européen, de chercher - parce que
ce serait en vain - à mettre le groupe du Rassemblement pour la République dans
un coin, comme s'il devait être le mauvais élève de la classe européenne.
Au contraire, puisque l'Assemblée nationale, saisie de vertige majoritaire,
s'est contentée bien rapidement de la « petite réforme » que vous nous
soumettez aujourd'hui, n'est-ce pas à nous, mes chers collègues, au-delà de tel
ou tel groupe, ensemble, ici et maintenant au Sénat, d'avoir de l'ambition pour
le Parlement tout entier ?
L'histoire, d'ailleurs, se répéterait si nous y parvenions, madame le garde
des sceaux, monsieur le ministre : déjà, lors du processus de ratification du
traité de Maastricht, on attendait, on souhaitait que le Parlement enregistre à
la va-vite les modifications constitutionnelles comme une lettre à la poste, et
c'est du Sénat qu'est venue cette première avancée démocratique que constitue
le vote de résolution sur les actes et projets d'actes communautaires.
Notre délégation a beaucoup discuté. Elle l'a fait, d'ailleurs, dans le
prolongement des travaux et des débats lancés voilà plusieurs mois par les
rapports de nos collègues MM. Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Christian de La
Malène et Jacques Genton. Nous avons eu une discussion ouverte sur plusieurs
propositions d'amendements que je m'étais permis de suggérer. Finalement, nous
proposerons trois amendements qui devraient, en toute logique, être ceux du
Sénat tout entier, et qui seront soutenus par nos collègues Patrice Gélard et
Paul Masson.
Ces propositions sont raisonnables ; elles sont porteuses de plus de
démocratie et elles verront le jour tôt ou tard, permettez-moi de vous le
dire.
Je suis même prêt à parier, madame le garde des sceaux, quoi que vous ayez dit
tout à l'heure, s'agissant du troisième amendement, qui suscite le plus de
débat et qui consisterait à prévoir que, dans cinq ans, une loi autorise le
Gouvernement à passer de l'unanimité à la majorité qualifiée, c'est-à-dire à
renoncer à son droit de veto sur une partie de la politique du troisième
pilier, c'est-à-dire sur la communautarisation de Schengen, je suis prêt à
parier, que dis-je, quel que soit le gouvernement à cette époque, cette
décision sera précédée au Sénat et à l'Assemblée nationale d'un débat et d'un
vote que nous demandera le Gouvernement après nous avoir proposé le projet de
politique communautaire.
Madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je vous le dis avec
beaucoup de respect, vous avez eu tort tout à l'heure de caricaturer ces
amendements. Lorsque le traité ne prévoit pas expressément de procédure
d'approbation nationale, c'est-à-dire lorsque ne s'applique pas le fameux
article K 14, qui est devenu l'article 42, cela signifie simplement que la
décision devient exécutoire dès que le Conseil l'adopte.
En revanche, le processus interne selon lequel un Etat, un gouvernement se
détermine pour le vote de son représentant à Bruxelles reste de la compétence
de chaque Etat.
Ne vous faites pas peur à vous-même et, de grâce, n'évoquez pas quelque
mauvais signal que nous donnerions à nos partenaires. C'est une fable !
Regardons autour de nous.
Au Danemark, le
Folketing
peut donner un mandat au ministre compétent.
En Allemagne, le
Bundesrat
peut prendre une décision contraignante pour
le ministre si l'on se trouve dans le domaine des compétences exclusives des
länder.
Aux Pays-Bas, c'est une disposition que vient de voter le
parlement à propos du traité d'Amsterdam, la deuxième chambre peut désormais
user d'un pouvoir d'approbation si cela entre dans les domaines transférés, par
le traité d'Amsterdam, du troisième pilier au premier pilier.
Donc, je vous en prie, pas de caricature ! Examinons ces amendements pour ce
qu'ils sont, c'est-à-dire raisonnables et somme toute assez modestes, même
s'ils sont significatifs.
Cependant, si ces amendements devaient ne pas être adoptés, je pense que nous
aurions tous à le regretter, et peut-être plus tôt que prévu. Le Gouvernement
regretterait sans doute un jour de n'avoir pas fait confiance au Parlement, et
le Parlement surtout regretterait de ne pas s'être fait confiance à
lui-même.
Après vous avoir écoutés attentivement, madame le garde des sceaux, monsieur
le ministre, nous n'arrivons toujours pas à comprendre pourquoi il serait
dangereux, ou mauvais, ou grave que le Parlement soit pleinement associé à la
conduite au jour le jour de la politique du Gouvernement.
Nous n'arrivons pas à comprendre pourquoi vous refusez que soient transmis au
Parlement tous les documents qui sont nécessaires à son travail de législateur,
et pourquoi vous refusez qu'il se prononce, alors qu'il a précisément été élu
pour cela.
Comme j'ai eu la chance et l'honneur d'être député puis membre du
Gouvernement, je peux bien dire que vous commettez un erreur en ne faisant pas
davantage confiance au Parlement. C'est une erreur de ne pas vous entourer de
ce conseil, de cet avis, de cette contribution que peuvent apporter des
parlementaires, qui sont sur le terrain, en vue de l'élaboration, quand il en
est encore temps, de certains textes européens, de certaines directives.
Si de telles procédures d'avis et de consultation modernes avaient été prévues
à l'époque, je ne suis pas certains que nous aurions de telles difficultés
aujourd'hui pour appliquer telle directive sur la qualité de l'eau, telle
directive sur le traitement des déchets ménagers, telle directive sur la
chasse. A propos de la chasse, je vous ai interpellé plusieurs fois pour vous
prévenir des difficultés que nous allions rencontrer compte tenu du manque
d'anticipation dont fait preuve votre gouvernement sur cette question.
Je ne suis donc pas certain que, sur tous ces textes - mais je pourrais en
citer d'autres - notre pays connaîtrait aujourd'hui les mêmes difficultés
d'application concrète si le Parlement avait été, à l'époque, mieux associé.
Alors, tenons compte de ces erreurs ou de ces insuffisances et apportons les
correctifs nécessaires, puisque nous en avons la possibilité.
Permettez-moi, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, de vous poser
une question : sincèrement, en conscience, les propositions que nous soutenons
vous choquent-elles vraiment ? Etes-vous donc à ce point attachés, cramponnés,
à la Ve République qu'il vous faille refuser de l'adapter à la réalité ? Ou
seriez-vous victimes, vous aussi, de cet archaïsme - je pèse le mot - qui fait
croire que la politique européenne de la France serait toujours de la politique
étrangère, et que sa conduite appartiendrait exclusivement et pour l'éternité
au chef de l'Etat, au Gouvernement, le Parlement faisant figure de simple
témoin ?
Soyons sérieux ! La politique agricole, les transports, les échanges
commerciaux, monétaires, industriels, ce serait donc de la politique étrangère
?
L'environnement, la chasse, la santé, les normes de sécurité, ce serait encore
de la politique étrangère ?
L'immigration, les visas, la justice, la sécurité des personnes, ce serait
toujours de la politique étrangère ?
Non, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, cela ne peut plus durer
ainsi, alors que, partout ailleurs en Europe, républiques ou monarchies, Etats
fédéraux ou Etats unitaires, régimes parlementaires ou non, la politique
européenne a cessé d'être - plus que chez nous - la seule affaire des
diplomates, des fonctionnaires et des ministres.
Mes chers collègues, m'adressant au Gouvernement mais aussi à certains d'entre
vous, je veux dire que ce serait une erreur que de rejeter ce texte pour aller
vite, pour se décerner je ne sais quel brevet de « plus européen que moi, tu
meurs ». Oui, ce serait certainement une erreur.
Personne ne peut mettre en cause l'attachement qui est le mien et la
combativité qui restera la mienne pour construire une Europe plus intégrée et
plus politique. Je crois sincèrement, je le répète, que ce serait une erreur de
manquer cette nouvelle occasion de rapprocher un peu plus et un peu mieux les
citoyens de l'Europe et de leurs représentants.
Ce serait d'ailleurs la deuxième erreur que nous commettrions. En effet, le
Gouvernement, par manque de détermination, s'est déjà heurté à la conjonction
de plusieurs conservatismes ; je veux ici parler du refus d'élaborer un nouveau
mode de scrutin pour l'élection des députés européens.
M. Claude Estier.
Oh !
M. Paul Loridant.
Alors, faisons l'Europe des régions !
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Le traité
d'Amsterdam est utile, mais il est aussi insuffisant. Il faut le ratifier, et
il faut le dépasser.
Je conclurai en évoquant la direction que nous devons prendre après l'avoir
ratifié et dépassé.
C'est le débat sur l'Europe politique que je vise ici, car c'est ce débat
qu'il faut amplifier.
En vérité, mes chers collègues, ce débat n'a fait que commencer à
Amsterdam.
Puis-je le dire, en tant que l'un des acteurs de cette négociation, il était
sans doute trop tôt, et l'effort qu'impliquait l'entrée dans la monnaie unique
pour chaque pays, à cet instant de la négociation d'Amsterdam, était trop
proche dans le temps et trop exigeant pour aller au-delà.
Comme l'a d'ailleurs dit un jour Raymond Barre, en homme d'expérience, «
l'Europe ne peut faire bien qu'une seule chose à la fois ».
M. Christian Poncelet.
Elle s'occupe de l'euro !
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Mes chers
collègues, l'Europe politique, ce n'est pas seulement une union qui fonctionne
bien ou mieux, avec une Commission efficace, collégiale, un système de vote
plus juste, plus représentatif du poids et de la population de chaque Etat, et
le vote unanime réservé aux sujets les plus graves. Je rejoins sur ces trois
points M. de Villepin.
L'Europe politique, c'est une union qui veut « faire de la politique »,
développer une action extérieure commune, construire une identité de défense
qui lui soit propre.
Mes chers collègues, prenons garde : si cette volonté faisait défaut, personne
ne devrait alors s'étonner que l'organisation politique de notre continent se
fasse dans le seul cadre de l'OTAN, c'est-à-dire sous l'égide des Américains.
C'est là le véritable enjeu.
Voulons-nous, pour le prochain siècle, d'une Europe européenne, alliée et
solidaire des Etats-Unis, mais européenne, c'est-à-dire indépendante et
souveraine ?
Oui, et c'est au nom de cette ambition que nous avons été nombreux, sur toutes
les travées, à approuver la création de l'euro, parce que la monnaie unique est
bientôt, est déjà un instrument de notre indépendance.
Mais jamais notre idée, jamais notre idéal européen ne se résumeront à un
marché et à une monnaie. A nos yeux, la monnaie et le marché ne pouvaient que
précéder l'union politique, sans laquelle ils n'auraient pas de sens
durable.
C'est donc maintenant, et au plus tard en l'an 2000, qu'il faut réussir la
réforme des institutions européennes, en toute hypothèse avant que ne s'engage
l'élargissement vers l'Europe centrale, orientale et baltique. A cet égard, si
je vous ai bien compris, le Gouvernement rédigera un article additionnel au
projet de loi de ratification du traité d'Amsterdam.
Qui donnera cette impulsion politique ? Qui permettra à l'Union de devenir
progressivement une puissance au moment où elle accueillera de nouveaux membres
?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
L'Etat !
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Qui donnera
cette impulsion politique ? Le Royaume-Uni s'y prépare. C'est ainsi qu'il faut
entendre, mes chers collègues, le récent discours de Tony Blair sur la
défense.
M. le président.
Mon cher collègue, je vous demande de bien vouloir conclure.
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Je conclus
en vous remerciant de votre compréhension, monsieur le président.
Comme l'a proposé et voulu le Président de la République, nous devons prendre
notre part et jouer notre rôle dans la nouvelle dynamique qui se dessine. Pour
cela, l'Allemagne et la France doivent mieux travailler ensemble.
Vers cette union politique, notre pays, partenaire des plus grands, doit, mais
sans arrogance à l'égard des plus petits, entraîner, convaincre, et d'abord
proposer.
Madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, vous avez exprimé assez
souvent depuis quelques semaines votre grande joie que tant de gouvernements
soient issus, en ce moment, d'une majorité social-démocrate. Une joie telle,
d'ailleurs, que l'ancien Premier ministre socialiste a osé parler d'Europe de
gauche, comme si l'Europe était de gauche, de droite ou du centre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Bien sûr que non !
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Je veux
souhaiter que votre gouvernement, au-delà des timidités qui sont les siennes ou
des habiletés que démontre le débat d'aujourd'hui, sache lui aussi entraîner et
convaincre les autres gouvernements dont vous vous dites si proches, pour
construire avec nous cette Europe politique et indépendante, cette Europe unie
des Etats, comme l'a dit récemment le Président de la République.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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