Séance du 23 novembre 1998







M. le président. « Art. 16. - I. - L'article 167 du code général des impôts est ainsi modifié :
« A. - Il est inséré un 1 bis ainsi rédigé :
« 1 bis. Lorsque le contribuable transfère son domicile hors de France, les plus-values de cession ou d'échange de valeurs mobilières ou de droits sociaux dont l'imposition a été reportée sont immédiatement imposables. »
« Toutefois, le paiement de l'impôt correspondant peut être différé dans les conditions et les modalités prévues au II de l'article 167 bis, jusqu'au moment où s'opérera la transmission, le rachat, le remboursement ou l'annulation des droits sociaux concernés.
« Lorsque le contribuable transfère de nouveau son domicile en France, l'impôt dont le paiement est en sursis, sur le fondement de l'alinéa précédent, est dégrevé d'office en tant qu'il se rapporte à des plus-values afférentes aux titres qui, à cette date, demeurent dans le patrimoine du contribuable. Dans ce cas, les reports existants sur ces mêmes titres à la date du transfert du domicile hors de France sont rétablis de plein droit. »
« B. - Au 2, après les mots : "du 1", sont insérés les mots : "et du 1 bis " et les mots : "dans les dix jours qui précèdent la demande de passeport" sont remplacés par les mots : "dans les trente jours qui précèdent le transfert du domicile hors de France".
« II. - Il est inséré, dans le code général des impôts, un article 167 bis ainsi rédigé :
« Art. 167 bis . - I. - 1. Les contribuables fiscalement domiciliés en France pendant au moins six années au cours des dix dernières années sont imposables, à la date du transfert de leur domicile hors de France, au titre des plus-values constatées sur les droits sociaux mentionnés à l'article 160.
« 2. La plus-value constatée est déterminée par différence entre la valeur des droits sociaux à la date du transfert du domicile hors de France, déterminée suivant les règles prévues aux articles 758 et 885 T bis et leur prix d'acquisition par le contribuable ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation.
« Les pertes constatées ne sont pas imputables sur les plus-values de même nature effectivement réalisées par ailleurs.
« 3. La plus-value constatée est déclarée dans les conditions prévues au 2 de l'article 167.
« II. - 1. Le paiement de l'impôt afférent à la plus-value constatée peut être différé jusqu'au moment où s'opérera la transmission, le rachat, le remboursement ou l'annulation des droits sociaux concernés.
« Le sursis de paiement est subordonné à la condition que le contribuable déclare le montant de la plus-value constatée dans les conditions du I, demande à bénéficier du sursis, désigne un représentant établi en France autorisé à recevoir les communications relatives à l'assiette, au recouvrement et au contentieux de l'impôt et constitue auprès du comptable chargé du recouvrement, préalablement à son départ, des garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor.
« Le sursis de paiement prévu au présent article a pour effet de suspendre la prescription de l'action en recouvrement jusqu'à la date de l'événement entraînant son expiration. Il est assimilé au sursis de paiement prévu à l'article L. 277 du livre des procédures fiscales pour l'application des articles L. 208, L. 255 et L. 279 du même livre.
« Pour l'imputation ou la restitution de l'avoir fiscal, des crédits d'impôt et des prélèvements ou retenues non libératoires, il est fait abstraction de l'impôt pour lequel un sursis de paiement est demandé en application du présent article.
« 2. Les contribuables qui bénéficient du sursis de paiement en application du présent article sont assujettis à la déclaration prévue au 1 de l'article 170. Le montant cumulé des impôts en sursis de paiement est indiqué sur cette déclaration à laquelle est joint un état établi sur une formule délivrée par l'administration faisant apparaître le montant de l'impôt afférent aux titres concernés pour lequel le sursis de paiement n'est pas expiré ainsi que, le cas échéant, la nature et la date de l'événement entraînant l'expiration du sursis.
« 3. Sous réserve du 4, lorsque le contribuable bénéficie du sursis de paiement, l'impôt dû en application du présent article est acquitté avant le 1er mars de l'année suivant celle de l'expiration du sursis.
« Toutefois, l'impôt dont le paiement a été différé n'est exigible que dans la limite de son montant assis sur la différence entre le prix en cas de cession ou de rachat, ou la valeur dans les autres cas, des titres concernés à la date de l'événement entraînant l'expiration du sursis, d'une part, et leur prix ou valeur d'acquisition retenu pour l'application du 2 du I, d'autre part. Le surplus est dégrevé d'office. Dans ce cas, le contribuable fournit, à l'appui de la déclaration mentionnée au 2, les éléments de calcul retenus.
« L'impôt acquitté localement par le contribuable et afférent à la plus-value effectivement réalisée hors de France est imputable sur l'impôt sur le revenu établi en France à condition d'être comparable à cet impôt.
« 4. Le défaut de production de la déclaration et de l'état mentionnés au premier alinéa du 2 ou l'omission de tout ou partie des renseignements qui doivent y figurer entraînent l'exigibilité immédiate de l'impôt en sursis de paiement.
« III. - A l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la date du départ ou à la date à laquelle le contribuable transfère de nouveau son domicile en France si cet événement est antérieur, l'impôt établi en application du I est dégrevé d'office en tant qu'il se rapporte à des plus-values afférentes aux droits sociaux qui, à cette date, demeurent dans le patrimoine du contribuable. »
« III. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article, et notamment les modalités permettant d'éviter la double imposition des plus-values constatées ainsi que les obligations déclaratives des contribuables et les modalités du sursis de paiement.
« IV. - Les dispositions du présent article sont applicables aux contribuables qui transfèrent leur domicile hors de France à compter du 9 septembre 1998. »
Par amendement n° I-13, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose à la fin du premier alinéa du texte présenté par le II de cet article pour l'article 167 bis du code général des impôts de remplacer les mots : « mentionnés à l'article 160. » par les mots : « dont la valeur, à la date de ce transfert, est supérieure à dix millions de francs. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet article concerne l'imposition de certaines catégories de plus-values. Les mesures qui nous sont proposées s'appliqueraient en cas de transfert du domicile fiscal d'un contribuable hors de France.
Le dispositif du Gouvernement est double.
Le premier volet vise à imposer immédiatement, lors du transfert du domicile fiscal, les plus-values dont l'imposition aurait été reportée. Cela signifie donc rupture du report d'imposition et assujettissement immédiat des plus-values déjà calculées. Toutefois, le contribuable concerné aurait la possibilité d'obtenir un sursis de paiement et son impôt pourrait même faire l'objet d'un dégrèvement si, lorsque le contribuable transfère de nouveau son domicile en France, les titres de participation concernés sont toujours dans son patrimoine. S'agissant de ce premier volet, la commission des finances n'a pas d'objection.
En ce qui concerne le second volet, la situation est un peu différente. Il s'agit de procéder à l'imposition immédiate des plus-values latentes sur les participations substantielles détenues par le contribuable. Une participation substantielle est une participation dans une société ayant dépassé le taux de 25 % du capital à un moment quelconque au cours des cinq dernières années. Cette disposition ne concernerait que les contribuables ayant vécu au moins six ans en France dans les dix dernières années. De même que pour les plus-values en report d'imposition, la possibilité serait ouverte d'obtenir un sursis de paiement, voire un dégrèvement si les titres ne sortent pas du patrimoine et si l'intéressé revient en France.
Ce second volet du dispositif appelle des remarques de notre part. En effet, il est tout à fait exceptionnel, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on liquide une imposition sur des plus-values latentes, et je formulerai une observation à ce sujet, portant sur l'intitulé même de l'article.
Vous parlez de plus-values constatées, monsieur le secrétaire d'Etat ; or il s'agit, à mes yeux, de plus-values latentes. Des plus-values constatées, ce sont des plus-values dont on détermine le montant au moment où un transfert de propriété a lieu. Cela étant, pour lutter contre certains aménagements patrimoniaux et territoriaux, vous nous proposez donc ce second volet. La crainte de la commission est que vous ne trouviez dans votre fenêtre de tir, si j'ose m'exprimer ainsi, des contribuables tels que des créateurs d'entreprise qui seraient amenés, par la logique de leurs affaires, à déplacer leur domicile fiscal et qui se trouveraient ainsi brutalement redevables d'un impôt calculé sur la plus-value latente lors du transfert de leur domicile fiscal.
Il nous semble nécessaire de mieux définir la notion de participation substantielle, car dans la rédaction actuelle du texte - il faut dépasser le taux de 25 % du capital à un moment quelconque dans les cinq dernières années - la disposition peut viser un créateur d'entreprise et une activité dont la substance économique ne serait pas considérable.
En résumé, cette disposition nous semble étrange, dans la mesure où elle vise à liquider des impositions sur de simples plus-values latentes et où elle applique ce mécanisme à une notion, somme toute floue, de participation substantielle.
La commission ne souhaite pas contredire le Gouvernement en ce qui concerne ses objectifs de lutte contre les délocalisations d'impôts, de lutte contre l'évasion fiscale. Aussi, quel que soit notre scepticisme à l'égard de la notion d'imposition liquidée sur des plus-values encore latentes, nous bornons-nous, avec cet amendement n° I-13, à préciser la notion de participation substantielle pour qu'il soit entendu qu'elle ne s'applique qu'à des participations dont la valeur estimée est supérieure à 10 millions de francs. Le seuil quantitatif de 10 millions de francs est donc substitué à la notion de participation substantielle qui résulte d'un autre texte et qui présente les inconvénients que j'ai indiqués.
M. le secrétaire d'Etat observera qu'il s'agit d'une proposition très modérée par rapport à l'ensemble du dispositif, sachant, je le répète, que nous ne souhaitons pas aller à l'encontre des objectifs de lutte contre l'évasion fiscale et quelles que soient les critiques techniques que ce dispositif appelle.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. D'un côté, M. le rapporteur général, avec le grand talent qu'on lui connaît, continue son travail de sape...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oh !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... de toutes les dispositions que propose le Gouvernement pour empêcher l'évasion fiscale relative à l'impôt de solidarité sur la fortune. Mais, d'un autre côté, M. le rapporteur général en accepte la logique, puisqu'il propose un seuil de dix millions de francs. C'est un seuil excessif, qui enlève, je crois, beaucoup de portée au dispositif prévu à l'article 16 et qui a été adopté par l'Assemblée nationale.
Je rappellerai à la Haute Assemblée que le dispositif proposé par le Gouvernement est pratiqué par l'Allemagne. Je comprends mal que, parfois, on loue l'Allemagne pour ses baisses d'impôt sur le revenu et que, d'autres fois, on refuse d'adapter dans notre droit des mesures de lutte contre l'évasion fiscale qui ont une large diffusion, non seulement en Allemagne mais dans de nombreux pays de l'OCDE. Je prends acte de la volonté de M. le rapporteur général de s'inscrire dans la démarche du Gouvernement de lutter contre ce type d'évasion fiscale. A tout prendre, je préfère le dispositif du Gouvernement à celui que vous suggérez, monsieur le rapporteur général. C'est pourquoi je demande au Sénat de rejeter cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-13, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 16, ainsi modifié.

(L'article 16 est adopté.)

Article 17