Séance du 23 novembre 1998
M. le président. « Art. 14 ter . - A l'article 3 de l'arrêté du 21 prairial an IX, la phrase suivante est supprimée :
« La peine du droit en sus encourue par défaut de déclaration dans le délai de six mois restera abrogée. »
Sur cet article, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-11, MM. Marini et de Rocca Serra, au nom de la commission des finances, proposent :
A. - De compléter in fine cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« II. - Ces dispositions s'appliquent à compter du 1er janvier 2001. »
B. - En conséquence, de faire précéder le début de cet article de la mention : « I. - ».
Par amendement n° I-222 rectifié, MM. Charasse, Angels, Mme Bergé-Lavigne, MM. Demerliat, Haut, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit l'article 14 ter :
« I. - A l'article 3 de l'arrêté du 21 prairial an IX, la phrase suivante est supprimée pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 1999 :
« La peine du droit en sus encourue par défaut de déclaration dans le délai de six mois restera abrogée. »
« II. - Pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 1999, les règles d'évaluation sont celles de droit commun, applicables en France continentale. »
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° I-11.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous abordons, si j'ose dire, un vieux sujet, un sujet vieux de deux siècles ! Il s'agit des conditions particulières du régime des successions en Corse depuis les arrêtés Miot de 1799.
Mes chers collègues, nous ne pouvons, pour la totalité d'entre nous, j'en suis certain, que partager les orientations visant à ce que les départements de Corse respectent totalement l'ordre public républicain.
M. Jacques Oudin. Oh, cela c'est difficile !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est une orientation générale à laquelle nous ne pouvons bien entendu, les uns et les autres, que souscrire.
L'un de nos collègues député s'est inscrit dans ce mouvement en proposant un amendement que l'on a appelé, à l'Asssemblée nationale, l'amendement de Courson et qui est devenu l'actuel article 14 ter du projet de loi de finances.
Ce texte établit le système de sanctions de droit commun en cas de défaut de déclaration de succession dans le délai de six mois.
Toutefois, à l'examen - et nous nous sommes livrés, en commission des finances, à une discussion assez longue et approfondie sur ce sujet - nous avons été amenés à constater que les dispositions de cet amendement ne sauraient être vraiment opérantes dans l'état actuel des choses.
En effet, il convient de regarder la structure foncière corse telle qu'elle est, c'est-à-dire de noter que le problème de l'indivision de nombreuses propriétés fait obstacle à une irruption aussi rapide du droit commun en matière de succession.
Il convient également de rappeler les propos tenus voilà déjà un certain temps, en 1984, par deux inspecteurs des finances qui ont travaillé sur le sujet, à savoir : « L'obligation de déclaration ne peut pas toutefois être rétablie sans ménagement ni transition en Corse, car, souvent, le partage des biens n'y a pas été effectué depuis plusieurs générations, et les successions consécutives n'ont pas été liquidées. Or, pour que les déclarations futures puissent être déclarées, il faut que celles qui les ont précédées aient été au préalable réglées. La remise en ordre de la situation héritée du passé requiert du temps, et l'obligation de déclaration ne pourrait entrer en vigueur que progressivement. »
Dans cet esprit, la loi de finances pour 1986 comportait un dispositif qui exonérait de droits les actes de partage et de licitation des biens immobiliers situés en Corse ainsi que les actes réalisés en vue du règlement des indivisions successorales jusqu'au 31 décembre 1991. Ce dispositif, qui n'était manifestement pas mis à profit, ou qui l'était insuffisamment, a été prorogé une première fois jusqu'au 31 décembre 1997, puis une seconde fois, et, tout récemment, jusqu'au 31 décembre 2000.
Il est proposé ici, par ce premier amendement de la commission, d'en rester à la décision qui a donc déjà été prise par le Parlement, ce qui conduit à repousser au 1er janvier 2001 l'applicabilité du droit commun en matière de dépôt des successions dans le délai de six mois suivant un décès. C'est le premier des deux amendements présentés par la commission des finances sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° I-222 rectifié.
M. Michel Charasse. L'amendement n° I-222 rectifié, que nous présentons, est très différent de celui du rapporteur général.
En effet, après nous avoir expliqué avec beaucoup de précisions dans quelle confusion nous sommes en Corse de ce point de vue-là - si ce n'était d'ailleurs que de ce point de vue, ce ne serait pas grave, mais ce n'est qu'un exemple ! - le rapporteur général nous propose au fond de reporter la confusion en 2001.
M. Paul d'Ornano. Il a raison !
M. Michel Charasse. Bien sûr ! Il a raison !
Enfin, c'est ce qu'on dit en Corse, c'est-à-dire qu'il est urgent de ne rien faire ! (Sourires.)
En revanche, l'Assemblée nationale, sur la proposition de M. de Courson, nous suggère une autre démarche. Mais en la reportant, M. le rapporteur général et la commission proposent, comme je l'ai indiqué, le report pour 2001 de quelque chose d'inopérant.
Quel est le problème qui se pose en matière de droits de succession en Corse ? Il est très simple ; très simple en tout cas à énoncer.
M. Paul d'Ornano. Il y a des cas simples !
M. Michel Charasse. D'ailleurs, il est compris d'une façon tout à fait différente en Corse. Si vous m'accordez une seconde pour faire une explication historique, on va s'amuser. E basta cusi o !
D'abord, aucun délai n'est imposé pour le dépôt des déclarations. Ce sont les arrêtés Miot. M. de Courson et l'Assemblée nationale nous proposent d'instaurer en Corse le droit commun en la matière, c'est-à-dire le délai de six mois qui suit le décès.
Ensuite, autre élément que ne règlent pas l'amendement de M. de Courson et l'Assemblée nationale : il n'y a pas, en Corse, de base d'imposition pour calculer les droits de succession. Il faut dire que la base d'imposition a suivi des vicissitudes extaordinaires !
Les Corses sont persuadés que l'absence de délai les exonère en fait de l'impôt de mutation et, s'agissant des bases, qu'ils doivent leur bonheur à la générosité de l'empereur Napoléon. Or, contrairement à ce qu'on croit à tort, il n'avait pas vraiment d'affection particulière pour ses compatriotes ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Philippe Lachenaud. Il le lui rendaient d'ailleurs !
M. Michel Charasse. Je vais vous donner l'explication. Je n'y peux rien, l'histoire c'est l'histoire !
Lorsqu'en 1812 le décret impérial est intervenu pour exonérer la Corse des droits indirects, il est précisé de la façon la plus claire, dans l'exposé des motifs du décret soumis à l'empereur, que les droits indirects sont supprimés en Corse parce que la fuite des contribuables dans le maquis rend la perception de tels droits impossible. L'empereur, en ayant assez d'expédier en vain ses douaniers à la poursuite des contrevenants, a donc décidé de supprimer les droits indirects. Mais, en contrepartie, il a doublé le montant de la contribution foncière, perçue à l'époque au profit de l'Etat.
En matière de cadeau, ça se pose un peu là ! On peut chanter tant qu'on voudra l'Ajaccienne à Ajaccio, ce n'est pas si glorieux que cela !
Est arrivé 1948. Lorsque l'impôt d'Etat a été supprimé, on a établi en Corse les règles de droit commun. Mais, à la suite de protestations, déjà - ce n'est pas d'aujourd'hui que les Corses n'acceptent pas les lois de la République dans ce pays ! -...
M. Alain Gournac. Dans cette région !
M. Michel Charasse. ... le ministre des finances a dû céder et, par une simple lettre totalement illégale, a décidé d'appliquer des règles particulières à la contribution foncière et à l'évaluation des droits de succession. Mais celles-ci ont été flanquées par terre, comme il se doit, par un arrêt de la Cour de cassation du 2 janvier 1992.
On peut donc voter tous ensemble, autant qu'on voudra, l'amendement de Courson : il est inopérant puisque les droits de succession n'ont pas de base !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Michel Charasse. Contrairement à l'amendement n° I-11 de nos collègues MM. Marini et de Rocca Serra, au nom de la commission des finances, qui proposent de reporter à 2001 quelque chose qui n'existe pas, nous proposons, avec l'amendement n° I-222 rectifié, de dire que, pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 1999, les règles d'évaluation sont celles de droit commun. On aura en Corse un délai de six mois pour déclarer les successions ouvertes, comme ailleurs, sous peine de poursuites fiscales, et on les déclarera sur les bases applicables en France continentale, c'est-à-dire celles qui sont déjà applicables en Corse depuis 1988 pour l'impôt de solidarité sur la fortune, impôt qui s'applique normalement en Corse, j'en sais quelque chose, puisque c'est moi qui l'ai fait voter ! Je dois dire qu'il y avait même dans cette assemblée, ce jour-là, un choeur sympathique de collègues originaires de l'île qui n'étaient pas tout à fait pour !
Dernière chose qui différencie notre amendement de celui de M. de Courson et de celui de M. Marini, qui reporte le premier en 2001 sans lui enlever ses défauts et sans combler ses lacunes, c'est que le nôtre ne concerne en rien le passé. Rien n'est donc changé pour les successions ouvertes avant le 1er janvier 1999 à zéro heure. Si l'on s'en tenait à l'amendement de Courson, on pourrait poursuivre les successions non réglées au cours des dix années passées, c'est-à-dire pendant le délai de répétition ouvert à l'administration en matière de droit de succession.
Certes, on pourrait essayer de poursuivre, essayer de sanctionner, mais on ne sanctionnerait sur aucune base, puisqu'il n'en existe pas !
L'amendement n° I-222 rectifié est donc très simple : il vise à faire entrer la Corse dans le droit commun, en matière de droit de succession, à partir du 1er janvier 1999, pour la raison très simple que les droits de succession n'ont rien à faire et n'ont rien à voir avec l'ensemble du régime fiscal de la Corse.
D'abord, il s'agit d'une somme relativement modeste - une cinquantaine de millions de francs, voire 60 millions ou 70 millions de francs, quelques successions étant, cependant, actuellement déclarées chaque année parce que certaines personnes veulent sortir de l'indivision.
Enfin, cette fiscalité est tout à fait différente de celle qui existe en matière de TVA, de taxe professionnelle et autres, c'est-à-dire que cette fiscalité-là peut avoir un effet d'incitation ou de soutien économique, ce qui n'est pas le cas des droits de succession.
On a donc le choix de ne rien faire et de reporter le problème jusqu'en 2001, date à laquelle on n'aura toujours rien fait, ou bien de régler définitivement le problème par cet amendement n° I-222 rectifié, démarche républicaine qui serait appréciée au moment où l'Etat s'efforce de faire entrer la Corse dans le droit commun ! (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s I-11 et I-222 rectifié ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je reprendrai les deux amendements successivement parce que, comme M. Charrasse l'a indiqué, ils n'ont pas beaucoup de points en commun.
Je commencerai par dire qu'à l'Assemblée nationale, lorsque cet amendement de M. de Courson a été examiné et qu'il a été adopté à l'unanimité par les membres de la commission des finances, j'avais indiqué au cours du débat que cet amendement allait dans le bon sens, quoique de façon quelque peu précipitée.
Cet amendement - cela a été dit - remettait en cause une situation de fait qui perdure depuis 1949 du fait de l'arrêté Miot et de la disparition, depuis cette date, de toute référence en matière d'évaluation des immeubles situés en Corse. Nous nous trouvons effectivement - M. Charasse l'a souligné - dans une situation de vide juridique qui conduit à dispenser les personnes résidant en Corse de tout impôt sur les successions.
Je rappelle à la Haute Assemblée que le Gouvernement s'en était remis à la sagesse de l'Assemblée nationale, qui a adopté cet amendement, une partie de l'opposition ayant joint ses voix à celle du parti socialiste. M. Jégou, membre de l'UDF, a déclaré que c'était l'honneur du Parlement que de mettre un terme à la situation créée par les arrêtés Miot.
Avec les amendements n° I-11 et I-12 de la commission des finances - mais je ne commenterai que l'amendement n° I-11 qui est en cours d'examen - j'observe que, sur un sujet important, celui de la politique que l'Etat doit mener en Corse, l'opposition étale quelques divisions ; mais ce n'est pas le point principal.
Le point principal est que l'amendement n° I-11 vise à repousser à 2001 le retour au droit commun en Corse. Il tend également à réactiver la commission paritaire initialement prévue par l'article 63 de la loi de 1991 sur le statut de la collectivité territoriale de Corse et à la charger de rédiger un rapport sur ce sujet.
Le Gouvernement est attaché à la concertation. Mais la proposition de M. le rapporteur général revient en fait à repousser sine die la mise en oeuvre des dispositions contenues dans l'amendement Courson. Je le rappelle, en 1991, cette commission paritaire n'avait pu produire le rapport qui lui était demandé, les représentants corses l'ayant quittée de manière unilatérale au cours des discussions.
On peut très facilement imaginer ce qui adviendrait si on lui soumettait la mise en oeuvre effective des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale !
Dans la mesure où le Gouvernement considère que l'amendement Courson allait dans le bon sens, le Gouvernement ne peut qu'émettre un avis défavorable sur l'amendement n° I-11, qui va dans le sens contraire.
L'amendement défendu par M. Charasse n'est pas dilatoire, contrairement à celui que je viens de commenter ; il se veut constructif. Il est donc inspiré par des motivations tout à fait différentes.
En effet, comme M. Charasse l'a fort bien expliqué, cet amendement, déposé par le groupe socialiste, dans un paragraphe I, reprend la suppression de la dernière phrase de l'article 3 de l'arrêté Miot, ce qui, en pratique, met fin à l'absence de sanction par défaut de déclaration.
Par ailleurs, dans un paragraphe II, il est précisé que les règles d'évaluation des immeubles situés en Corse seront alignées sur celles qui seront applicables sur le reste du territoire national. A compter du 1er janvier 1999, un vide sera donc comblé par cette proposition.
S'il était adopté, cet amendement permettrait un alignement sur le droit commun du régime fiscal des successions en Corse. Il n'aurait pas pour effet de pénaliser tous les Corses, notamment pas les plus modestes d'entre eux dans la mesure où, en matière d'imposition sur les successions, sont appliqués des abattements à la base de 300 000 ou de 400 000 francs. Les trois quarts des successions sont ainsi exonérées dans notre pays. Il en serait de même en Corse, voire davantage compte tenu des niveaux de patrimoine.
L'amendement défendu par M. Charasse présente deux avantages majeurs.
Le premier, c'est d'éviter des situations systématiques et durables d'indivision dont les effets, chacun le reconnaît, sont très pénalisants pour l'économie corse, entravant le développement économique et freinant l'emploi.
Le second avantage serait d'assujettir à l'impôt les grosses successions, celles qui ne se localisent en Corse que pour échapper à l'impôt et non pas pour participer au développement de l'île.
M. Michel Charasse. Voilà !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je rappelle en effet que, dans la situation actuelle, tous les immeubles situés en Corse sont exonérés. On peut imaginer que certains voudraient profiter de cette situation de non-droit pour localiser des intérêts ayant pour but d'échapper à l'impôt et pas nécessairement de développer la Corse.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je répète donc que l'amendement proposé par M. Charasse et les membres du groupe socialiste va dans le bon sens puisqu'il complète utilement les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale. J'observe cependant - M. Charasse me le pardonnera - que sa rédaction comporte un certain nombre de maladresses.
J'en cite quelques-unes : les règles d'évaluation ne sont pas explicitement visées ; il n'est pas fait référence aux seuls biens d'immeubles, alors que l'évolution pour les autres biens ne pose pas de problème aujourd'hui. Par ailleurs, il est fait référence à une notion de France continentale, qui est juridiquement inexistante.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. En outre, le paragraphe II renvoie aux successions visées au paragraphe I, lequel ne vise pas explicitement les successions.
En raison de ces maladresses, tout en ayant souligné le caractère constructif de l'amendement déposé par M. Charasse, je lui demande de bien vouloir le retirer. (Exclamations.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. On ne comprend plus !
M. le président. Monsieur Charasse, maintenez-vous votre amendement ?
M. Alain Gournac. Il est tellement bon qu'il faut le retirer !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il est beaucoup trop bon !
M. Michel Charasse. Monsieur le président, je ne comprends rien ! Si l'amendement, et je remercie M. le secrétaire d'Etat de l'avoir remarqué, soulève les bonnes questions, on doit pouvoir tous les deux, en trente secondes, rectifier son dispositif.
S'il faut supprimer les mots : « France continentale », je le fais bien volontiers, monsieur le président. S'il faut préciser qu'il s'agit des successions en Corse, alors je le fais figurer les mots : « Pour les successions ouvertes en Corse à compter du 1er janvier 1999 ».
Dès lors, je ne vois pas très bien ce qui manque. M. le secrétaire d'Etat dit que les règles d'évaluation ne sont pas précisées. Mais ce sont celles du droit commun ! Je ne vais pas énumérer tous les articles 700, 800 et quelque du code général des impôts !
Par conséquent, monsieur le président, je ne comprends pas ce que souhaite exactement M. le secrétaire d'Etat.
M. Alain Gournac. Nous non plus !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Vous n'êtes pas le seul !
M. Michel Charasse. Et sourtout, si je retirais mon amendement, qu'arriverait-il, puisque l'amendement Courson n'est pas applicable aujourd'hui et que celui de la commission des finances ne le sera pas plus demain, c'est-à-dire dans deux ou trois ans...
Par conséquent, monsieur le président, je maintiens mon amendement en ajoutant au paragraphe II « en Corse ».
Quant au paragraphe I, il s'applique forcément en Corse puisque les arrêtés Miot ne s'appliquent pas ailleurs. Les règles d'évaluation sont celles du droit commun. J'enlève les mots : « applicables en France continentale » : tout le monde comprend ce que cela veut dire ; en tout cas, les débats parlementaires, les travaux préparatoires auront parfaitement éclairé ce point.
Si maintenant M. le secrétaire d'Etat souhaite que je retire mon amendement pour d'autres raisons, je le supplie de me dire lesquelles,...
M. Jean Arthuis. Très bien !
M. Michel Charasse. ... mais je pense que, au moment où nous rétablissons l'état de droit en Corse, et où nous sommes encore en train de nous interroger sur ceux qui ont assassiné le préfet Erignac, ce qui est la plus grosse atteinte portée à l'autorité de l'Etat depuis la guerre, puisqu'aucun préfet n'a été assassiné dans ce pays depuis Jean Moulin et plusieurs autres de ses collègues du corps préfectoral qui ont péri pendant la guerre, nous n'avons pas le droit, mes chers collègues, de baisser la garde.
MM. Jean Arthuis et Yves Fréville. Très bien !
M. Michel Charasse. La Corse n'a jamais été exonérée des droits de succession, même si elle a utilisé, en les tournant, les textes existants à son profit. Il y a eu un certain nombre de cafouillages, dus d'ailleurs à l'Etat, en ce qui concerne les évaluations. Nous remettons les choses en ordre. Sortons de cette situation, et je remercie M. le secrétaire d'Etat d'avoir souligné que la situation de l'indivision était pénalisante pour l'économie corse, ce qui veut dire que l'exonération des droits de succession, dans les conditions actuelles, va à l'encontre de l'intérêt de la Corse.
Par conséquent, je maintiens mon amendement en le rectifiant dans le sens que j'ai indiqué.
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° I-222 rectifié bis, présenté par MM. Charasse, Angels, Mme Bergé-Lavigne, MM. Demerliat, Haut, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à rédiger comme suit l'article 14 ter :
« I. - A l'article 3 de l'arrêté du 21 prairial an IX, la phrase suivante est supprimée pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 1999 :
« La peine du droit en sus encourue par défaut de déclaration dans le délai de six mois restera abrogée. »
« II. - Pour les successions ouvertes en Corse à compter du 1er janvier 1999, les règles d'évaluation sont celles de droit commun. »
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pour formuler l'avis de la commission, il faut que je complète mes explications sur notre position.
Jusqu'ici, mes chers collègues, je ne vous ai présenté que le premier de nos amendements, à savoir l'amendement n° I-11, qui est un amendement de cohérence avec une disposition votée récemment, si je ne me trompe, à l'occasion de l'examen d'un récent projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier présenté par l'actuel gouvernement. C'est dans ce texte, que vous avez probablement vous-même défendu ici, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on a reporté au 1er janvier 2001 la date d'expiration des mesures transitoires en vue de faciliter les partages successoraux en Corse.
Nous disons simplement qu'il faut en rester, sur ce premier point, à la décision qui a été prise très récemment.
Mais nous proposons aussi un deuxième amendement, l'amendement n° I-12 rectifié, que je vais défendre maintenant, si M. le président le veut bien, car c'est pour moi la seule façon d'expliciter clairement l'avis de la commission sur l'amendement de M. Charasse et du groupe socialiste.
Quelle est notre position en la matière ?
Certes, il faut que la Corse revienne, dans une certaine mesure, dans le droit commun, mais il faut aussi avoir conscience de l'existence de conditions spécifiques à ses deux départements. C'est pourquoi, il y a lieu, monsieur le secrétaire d'Etat, de jouer - et vous avez utilisé l'expression à plusieurs reprises - le jeu de la concertation avec les représentants de ces deux départements.
Le statut, dit « statut Joxe », de 1991 comportait en effet la mise en place d'une commission paritaire dont la mission était de déboucher sur des propositions d'adaptation de différentes règles et, en particulier, du statut fiscal de la Corse.
Est-il bon aujourd'hui de régler d'un trait de plume, de manière quelque peu jacobine, une question aussi spécifique ? N'est-il pas préférable de jouer le jeu de la concertation tout en évitant, évidemment, que l'on n'abuse de la concertation, ce qui vouerait celle-ci dès le départ à l'échec ?
Avec l'amendement n° I-12 rectifié, nous souhaitons, monsieur le secrétaire d'Etat, que la commission soit remise en place mais nous encadrons son activité dans un délai précis et nous prévoyons que, si elle « n'accouche » de rien, ce sera le préfet de région qui se substituera à elle, de plein droit et en totalité, dans son rôle de proposition.
Que souhaitons-nous en vérité ? Nous souhaitons que l'on débouche sur un modus vivendi qui réunisse un consensus suffisant. Nous souhaitons que l'on prenne soin du développement des deux départements de la Corse, ce qui suppose sans doute que, au-delà de la seule question de la sortie de l'indivision et des droits de succession, on traite aussi d'autres sujets relatifs à d'autres aspects de la fiscalité telle qu'elle est appliquée dans ces deux départements de la République.
Sans doute faut-il aussi que, d'ici à l'an 2001, c'est-à-dire d'ici à la date d'expiration fixée pour les mesures transitoires visant à faciliter la sortie de l'indivision, un effort nécessaire de recherche soit fait pour trouver une formule permettant d'appliquer la fiscalité de la République à la Corse, et ce dans un contexte qui rende ces transformations acceptables et acceptées par le corps social et de nature à participer à l'effort de remise en ordre qui est assurément nécessaire.
Ainsi, la commission est défavorable à l'amendement de notre collègue M. Charasse, qui préjuge le résultat de cette concertation.
Voilà pourquoi la commission a conçu ce dispositif à double détente sur un sujet bien délicat en formulant une proposition que nous espérons constructive, sachant bien qu'en pareille matière nous naviguons entre différents écueils dont nous essayons de nous garder.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-11.
M. Michel Charasse. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai bien entendu ce que vient de dire M. le rapporteur général, dont je ne mets pas en doute la bonne foi ni même, comme certains pourraient en être tentés, le courage. Je voudrais lui dire que les partages successoraux bénéficient d'un régime particulier jusqu'en 2001, comme il vient de le rappeler, mais on peut considérer qu'il s'agit de ceux qui sont ouverts jusqu'à maintenant. Or mon amendement règle la question pour les successions à venir. Il s'agit de deux choses différentes.
M. le rapporteur général - et il a raison de le faire - a couplé l'amendement n° II-11 et l'amendement n° II-12 rectifié qu'il présente avec M. Rocca Serra, en nous disant qu'il faut procéder à une concertation. Mais la concertation en Corse, cela fait vingt ou trente ans qu'elle existe, vingt ou trente ans qu'on tue et qu'il y a des attentats ! La concertation a toujours été considérée par les Corses comme un moyen de faire reculer l'Etat un peu plus. Toutes les fois que l'Etat a reculé, l'autorité de la République n'y a rien gagné, au contraire.
En 1991, j'étais le ministre qui a mis en oeuvre la disposition en question, notamment la commission paritaire fiscale. Je me suis heurté à un refus absolu des Corses de faire quelque proposition que ce soit pour réformer le statut fiscal de la Corse, comme le prévoyait la loi Joxe.
Or l'interlocuteur corse, lui, ce qu'il veut, c'est non seulement garder le régime fiscal favorable existant à ce jour, mais encore ajouter d'autres dispositions qui permettraient de doubler le montant des allégements et exonérations. Dès lors, il n'y a pas moyen de s'entendre, pas plus aujourd'hui, je pense, qu'hier. Par conséquent, je ne vois pas à quoi va aboutir la proposition de la commission des finances.
Quant à dire que, si la commission paritaire ne veut pas - parce que la partie corse ne voudra pas discuter et proposer - c'est le préfet qui, etc. Mais le préfet, c'est le représentant de l'Etat !
M. Alain Gournac. Quand on ne l'assassine pas !
M. Michel Charasse. Vous allez donner au représentant de l'Etat en Corse le pouvoir extraordinaire de faire des propositions au Gouvernement et au Parlement en matière fiscale, alors qu'il s'agit d'une attribution du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, ce pouvoir exécutif dont le préfet de Corse, quelle que soit sa valeur, n'est que le petit démembrement local ! C'est absolument ahurissant !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Il a raison !
M. Michel Charasse. Comment, dans ces conditions, attendre du préfet, après ce qui est arrivé à son malheureux prédécesseur, qu'il manifeste de la témérité ? Que ses propositions aillent dans le sens de ce que nous recommandons, arrivent à Paris et soient adoptées, et il court un nouveau risque ! Mais, mes chers collègues, c'est exactement la situation dans laquelle se trouverait un juge unique ayant à juger des gangsters et qui serait attendu à la sortie du palais de justice par ceux qu'il a condamnés ou par leurs amis parce qu'il pourrait être montré du doigt comme le responsable de la condamnation.
Par conséquent, je ne peux pas m'associer à cette démarche de la commission des finances. C'est la raison pour laquelle, avec mes amis du groupe socialiste, je ne voterai pas l'amendement n° I-11.
Mes chers collègues, si vous voulez faire preuve de courage, de réalisme, si vous voulez adresser un signal à la Corse et à ceux qui, en Corse, croient à la République - ils sont la majorité - si vous voulez apporter votre aide à ceux qui, là-bas, sont chargés de rétablir l'autorité de l'Etat - je pense au préfet, isolé dans son palais et dépourvu de réelles possibilités de se déplacer librement parce qu'il est menacé en permanence - c'est à la solution proposée par le groupe socialiste, dans la ligne de ce que l'Assemblée nationale a adopté sur proposition de M. de Courson, que vous devez vous rallier.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Le non-droit en Corse fait offense à la République, et les différents particularismes, s'ils avaient tant de vertu, auraient déjà démontré leurs bienfaits dans le développement de l'économie de l'île.
Il me semble que l'Assemblée nationale, par l'amendement qu'elle a voté, va dans la bonne direction et que nous devons nous efforcer, nous, sénateurs, de rendre applicables de telles dispositions.
Je comprends bien le souci qui anime le rapporteur général. Sans doute faut-il prendre quelques précautions, mais nous avons le devoir, me semble-t-il, de donner un signe clair à nos compatriotes corses et de les convaincre que l'heure est venue de faire respecter l'état de droit en Corse.
Voilà pourquoi je ne pourrai, à mon grand regret, suivre la commission des finances et je voterai l'amendement défendu par M. Charasse.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il ne faudrait pas que, après avoir entendu les uns et les autres, ceux qui partagent le point de vue de la commission puissent être suspects de pleutrerie, soupçonnés de ne pas avoir le sens de l'Etat et de ne pas croire à la nécessité de rétablir l'état de droit en Corse. Chacun se détermine en conscience.
Personnellement, je suivrai la préconisation de M. le rapporteur général parce que je ne crois pas que le message que Michel Charasse veut adresser aux Corses puisse modifier substantiellement les choses.
Michel Charasse a évoqué la mémoire du préfet Erignac. Je fais partie de ceux qui l'ont connu, et je dois dire que ce n'est pas avec des amendements de ce type que, selon moi, la République réparera ce crime odieux.
J'ai entendu, s'agissant de la propriété en Corse, un certain nombre de propos qui ne me paraissent pas tout à fait conformes à la réalité juridique telle qu'elle est vécue.
Pour sortir de l'indivision, encore faut-il connaître les indivisaires. Or l'indivision est si ancienne, dans cette île, que ceux qui s'acharnent à vouloir partager connaissent de vraies difficultés à retrouver tous les co-indivisaires. C'est si vrai que l'on utilise simplement la prescription pour rétablir la propriété de ceux que l'on a pu éventuellement recenser. Le risque juridique est réel, mais cela se passe ainsi.
Ainsi s'explique le fait que beaucoup de temps se soit écoulé depuis que l'exonération du droit de partage a été instaurée.
Il y a deux façons d'envisager le problème : soit on maintient le dispositif une année ou deux de plus afin de permettre aux co-indivisaires qui le souhaitent - il ne s'agit pas de le leur imposer - de sortir de l'indivision, après quoi cet avantage fiscal sera définitivement supprimé ; soit on se fait plaisir en ayant le sentiment de laver tout ce qui s'est passé dans cette île et que nous déplorons au moyen d'un amendement, certes sympathique, mais qui ne changera pas fondamentalement le cours des choses.
Il faut que l'état de la propriété soit établi de telle sorte que, au moment du décès, les déclarations puissent être déposées dans le délai voulu et que les transferts de propriété liés aux décès puissent s'opérer dans les mêmes délais que sur le continent. Nous aurons ainsi rétabli l'état de droit s'agissant de la propriété.
Car, que je sache, il ne s'agit pas, ce soir, de faire du droit pénal ou de rétablir l'ordre public dans les deux départements de Corse. Il s'agit seulement de faire en sorte que le droit fiscal s'applique dans les mêmes conditions que sur le continent.
Je respecte tout à fait le point de vue éminent de ceux qui se sont exprimés. Je voulais simplement indiquer qu'il est possible de voter différemment sans avoir le sentiment que les autres se trompent, tout en étant convaincu d'être soi-même proche de la vérité.
M. Michel Charasse. Personne n'a soutenu le contraire !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Au sein du groupe des Républicains et Indépendants, nous sommes d'accord sur la nécessité de trouver une solution fiscale proche du droit commun qui s'applique à l'ensemble de la République. Toutefois, nous constatons que, d'un point de vue technique, il subsiste de nombreuses divergences quant au moyen de faire accepter le nouveau dispositif par l'ensemble des citoyens résidant en Corse.
A cet égard, le problème de la date revêt une importance majeure. Par exemple, les dispositions préconisées par notre collègue Michel Charasse n'auraient-elles pas une plus grande portée si le délai prévu pour leur application était mieux conçu, ou mieux expliqué, voire concerté ?
C'est pourquoi, monsieur le président, je me permets de solliciter une courte suspension de séance, qui nous permettrait de nous mettre vraiment d'accord sur cette question.
M. le président. Mes chers collègues, afin d'accéder à la demande de M. Lachenaud, qui me paraît justifiée, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mardi 24 novembre 1998 à zéro heure vingt-cinq, est reprise à zéro heure trente-cinq.)