Séance du 16 novembre 1998
M. le président. « Art. 17. - I A. - Après le cinquième alinéa (2°) de l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 2° bis. Le cas échéant, les conditions tendant à éviter à l'assuré social de payer directement les honoraires aux médecins ; ».
« I. - B. - Après le sixième alinéa (3°) de l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 3° bis. Le cas échéant, les conditions de promotion des actions d'évaluation des pratiques professionnelles individuelles ou collectives ; »
« I. - Après le 11° de l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 12° et un 13° ainsi rédigés :
« 12° Le cas échéant,
« a) Les conditions particulières d'exercice propres à favoriser la coordination des soins par un médecin généraliste choisi par le patient, et les modes de rémunération, autres que le paiement à l'acte, y afférents,
« b) Les conditions particulières d'exercice permettant la prise en charge globale de patients dans le cadre de réseaux de soins, et les modes de rémunération des médecins participant à ces réseaux,
« c) Les droits et obligations respectifs des médecins, des patients et des caisses, ainsi que des modalités d'évaluation associées aux formes d'exercice et modes de rémunération mentionnés aux a et b ci dessus ;
« 13° Le cas échéant, les modes de rémunération, autres que le paiement à l'acte, des activités de soins ainsi que les modes de rémunération des activités non curatives des médecins, et notamment de prévention, d'éducation pour la santé, de formation, d'évaluation, d'études de santé publique, de veille sanitaire, prévus par des contrats passés entre les médecins concernés et les organismes d'assurance maladie et définissant les obligations relatives aux conditions d'exercice qui en résultent pour les intéressés. »
« II. - L'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour la mise en oeuvre des 12° et 13° , il peut être fait application des dérogations mentionnées au II de l'article L. 162-31-1. »
« III. - Les dispositions du présent article sont applicables à compter du 3 juillet 1998. »
Sur l'article, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. L'article 17 a pour objet d'élargir le champ conventionnel en donnant aux partenaires de santé la possibilité de mettre en oeuvre des outils nouveaux d'exercice de la médecine libérale propres à moderniser notre système de soins.
Il est indéniable que les interventions de divers professionnels de santé des secteurs ambulatoire ou hospitalier sont actuellement cloisonnées.
Pour le bien-être des patients, le suivi de pathologies complexes ou la prise en charge des personnes défavorisées et des personnes âgées, il convient d'assurer une meilleure coordination des soins.
Pour autant, la mise en place de filières de soins ou de réseaux telle qu'elle était envisagée jusqu'à présent est peu satisfaisante. L'objectif est, à terme, de mieux maîtriser sur le plan comptable les dépenses de santé sans que pour autant le malade, subissant certaines contraintes, bénéficie d'une nette amélioration de la qualité des soins.
Prévues à titre expérimental par les ordonnances Juppé, intégrées dans la convention médicale annulée depuis par le Conseil d'Etat, de nouveau envisagées dans le protocole d'accord négocié entre la CNAM et MG-France, les filières de soins, et en particulier la notion de « médecin référent », sont en passe d'être légalisées par le biais de cet article.
Cette perspective est peu satisfaisante.
Lié par contrat à son médecin généraliste, l'assuré ne peut accéder aux soins spécialisés ou à l'hôpital que sur prescription de son généraliste, qui assure ainsi un suivi médical à la fois global et économique.
Remarquons que la filière de soins est gérée par un organisme - groupement de médecins, laboratoires, mutuelles ou compagnies d'assurances - et qu'elle est, elle-même, tenue de respecter le contenu de son accord avec la sécurité sociale.
En contrepartie de son adhésion à la filière de soins, le patient bénéficie, bien entendu, de certains avantages, notamment la dispense d'avance de frais. Cependant, il renonce dans le même temps au libre choix de son médecin généraliste et au libre accès au spécialiste ou à l'hôpital. Renoncements dangereux !
De plus, ce système des filières de soins favorisera à terme la privatisation de la santé. Les assureurs privés ne manqueront pas d'investir le secteur de la santé, sélectionnant les patients, s'occupant en priorité des plus solvables. Autant de considérations étrangères à la santé du malade !
Il est très significatif que, parmi les premiers projets acceptés par la commission Soubie, chargée de délivrer des avis sur de tels projets d'expérimentation, figure le projet de l'assureur Groupama !
En aucun cas je ne veux cautionner un dispositif qui permettra aux assurances de conquérir le domaine de la protection mutualiste et, au-delà, celui de notre protection sociale.
Je sais que les tentations sont fortes de voir banalisée la mutualité, de voir disparaître les principes de solidarité et de non-discrimination.
J'espère que le Gouvernement ne cédera pas aux injonctions de Bruxelles et qu'il réaffirmera ainsi sans équivoque que tout oppose assurances et mutuelles.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je ne comprends pas ce que Bruxelles vient faire ici. Je ne vois pas en quoi les syndicats qui ont expérimenté ce mode de prise en charge des malades et cette filière de soins obéissent à Bruxelles. Je ne comprends pas davantage cette crainte de l'intrusion de l'assurance privée dans une organisation qui au contraire, nous permet de garantir que notre système à la française - que tout le monde nous envie, notamment les ministres de la santé de l'Union européenne que nous avons encore rencontrés la semaine dernière - restera très performant et demeurera à l'abri de la tentation évoquée. En tout cas, c'est ce que pense le Gouvernement.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 14, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose de supprimer l'article 17.
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. L'article 17 du projet de loi prévoit d'élargir le champ de compétence des partenaires conventionnels. Il fait suite à l'annulation par le Conseil d'Etat de la convention nationale des médecins généralistes signée par MG-France.
Le 3 juillet dernier, le Conseil d'Etat a estimé que les syndicats et les caisses d'assurance maladie n'avaient pas compétence pour instituer par voie conventionnelle des filières de soins ; il s'agit de l'option dite du « médecin référent ».
En effet, l'ordonnance du 24 avril 1996 dispose que les projets de filières et de réseaux de soins ne peuvent être engagés qu'à titre expérimental, pendant une durée de cinq ans, s'ils ont été agréés par l'Etat après avis d'un conseil d'orientation ad hoc. Il s'agit de la commission Soubie, à laquelle faisait référence tout à l'heure Mme Borvo.
Si l'article 17 était adopté, les partenaires conventionnels pourraient déroger, à titre permanent et sans l'avis du Parlement, à des dispositions essentielles de la législation sur la sécurité sociale, qu'il s'agisse du ticket modérateur, du tiers payant, ou des tarifs et honoraires des médecins.
Sans qu'il soit besoin d'examiner cet article en opportunité, nous estimons qu'il n'est pas conforme aux textes constitutionnels, que le Parlement se dessaisisse ainsi de sa compétence en permettant aux partenaires conventionnels de déroger à titre permanent, et pour l'ensemble des médecins, à la loi de la République.
Si la loi de la République est mauvaise, il faut la changer ! Si la loi est imparfaite, le Parlement peut, comme l'ont fait les ordonnances, prévoir des expérimentations localisées et temporaires impliquant une dérogation aux textes législatifs.
Je vous saurais gré, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous dire quel est le bilan de la commission Soubie.
Je voudrais, par ailleurs, revenir sur le projet préparé par Groupama et la Mutualité sociale agricole, la MSA, qu'a évoqué Mme Borvo. Je croyais que c'était un grand projet très révolutionnaire, mais, après avoir auditionné ses auteurs, j'ai constaté qu'il s'agissait simplement d'un projet d'autorisation de tiers payant pour le complémentaire. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi le Gouvernement ne l'a pas encore accepté, puisque la commission Soubie a donné un avis favorable. De toute manière, ce projet ne met absolument pas en jeu le monopole de la sécurité sociale et ne conduit aucunement à une privatisation de la sécurité sociale.
Dans ces conditions, pour des raisons juridiques, je vous propose de supprimer cet article. Au cas où je ne serais pas suivi, je crains que d'autres que nous ne s'en chargent.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
La convention qui a été passée entre un syndicat médical et la caisse d'assurance maladie va, et sur une période de temps qui n'a rien à voir avec cinq ans, porter ses fruits pour le plus grand bénéfice des malades. Si d'autres veulent passer des conventions, libre à eux !
Quant au bilan de la commission Soubie - je vois bien le rapport, monsieur le rapporteur, que vous entretenez avec cette expérimentation - avec, en un an, un dossier agréé et deux dossiers à l'étude ayant reçu un avis favorable de la commission, je le trouve assez faible. A ce rythme, cela ne va pas transformer l'atmosphère !
J'espère, en revanche, que les rapprochements entre les partenaires conventionnels vont en effet nous permettre d'apporter des soins de bonne qualité aux citoyens qui le demandent.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. François Autain. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Le groupe socialiste votera, bien sûr, contre l'amendement n° 14.
Cet amendement semble être la parfaite défense et illustration de la médecine libérale et du refus de toute évolution. Particulièrement conservateur à mes yeux, il doit à ce titre être écarté.
Il dénote dans le même temps de la part de son auteur et de la majorité sénatoriale qui le soutient un bien subit attachement à la loi, d'autant plus curieux de la part d'un groupe qui prétend attacher tant d'importance, on le verra peut-être par la suite, à la liberté conventionnelle.
Le texte du Gouvernement arrive à point nommé : il est temps de permettre que soit défini autrement, dans l'intérêt des patients, de l'assurance maladie et des professions de santé, le mode de rémunération des médecins. C'est à ce prix que nous arriverons à sortir des difficultés dans lesquelles se trouve actuellement le système de distribution de soins, notamment ambulatoires.
M. Dominique Leclerc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Contrairement à mon collègue M. François Autain, je ne suis pas sûr que, par le rejet de cette disposition, nous allions à l'encontre de l'intérêt des malades et des acteurs de santé.
Il faut le dire : l'article 17 vise à modifier totalement le système.
D'abord, il n'est pas bon de généraliser le tiers payant, tout au moins de l'institutionnaliser de la sorte.
Ensuite, tout placer sur le plan conventionnel alors que, à l'heure actuelle, l'accord n'est intervenu qu'avec une minorité de praticiens qui ne représentent pas suffisamment la profession constitue un obstacle à la transparence et à l'efficacité que nous recherchons pour le système de santé.
Enfin, affirmer que la négociation se déroule librement, c'est tout de même oublier les pressions grossières de la part des autres partenaires à l'égard de certaines personnes qui ont du mal à s'y retrouver dans le système que nous souhaitons instaurer. Je ne suis pas sûr que l'intérêt des patients soit aujourd'hui la première préoccupation.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Je veux bien tout ce qu'on veut, mais c'est le Conseil d'Etat qui a annulé la convention. Sans doute est-il hyperconservateur ! C'est lui qui a dit que les syndicats et les caisses n'avaient pas compétence pour instituer, par voie conventionnelle, des filières de soins, et non pas la majorité du Sénat, qui serait conservatrice.
Le Conseil d'Etat s'est prononcé en droit. Si certains veulent aller au-delà du droit, nous verrons bien ce qu'il en adviendra.
Je maintiens bien sûr l'amendement.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Cette convention a été annulée par le Conseil d'Etat pour défaut de base légale. Or nous sommes en train de lui en donner une. Lorsque celle-ci existera, il n 'y aura plus de motif à annulation.
De plus, pardonnez-moi, rien n'est obligatoire ! N'exagérez pas l'emprise de la filière de soins. Le mot lui-même pourrait d'ailleurs être matière à débat. Comme vous le savez, cette filière est bien « douce ».
Par ailleurs, lorsqu'un patient ne s'insère pas dans ce système, c'est-à-dire quand il est un patient comme les autres, qui n'a pas choisi de recourir à un médecin référent, il peut se rendre chez un autre médecin, et la situation ne change pas. Il ne s'agit donc pas d'une révolution !
Les propos de M. Autain me paraissent importants. Comme je l'ai souligné dans mon bref discours liminaire, l'expérimentation de mise en réseau et de forfait par pathologie ou en fonction d'un aspect particulier d'une pathologie, à côté du paiement à l'acte et non pour remplacer celui-ci, me semble très prometteur pour le malade. Voilà ce que j'ai dit. Cette expérimentation sur la douleur, sur le diabète, sur les soins d'accompagnement... et peut-être même - pourquoi pas ? - sur la toxicomanie portera certainement ses fruits, à côté du paiement à l'acte.
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Je persiste à affirmer que, par la loi, le Parlement ne peut pas se dessaisir de ses compétences.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par le Gouvernement.
Mme Nicole Borvo. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 17 est supprimé.
Article 18