Séance du 5 novembre 1998
COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA SITUATION
ET LA GESTION DES PERSONNELS
DE L'ÉDUCATION NATIONALE
Adoption d'une résolution
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 46,
1998-1999) de M. Jean Bernadaux, fait au nom de la commission des affaires
culturelles, sur la proposition de résolution (n° 30, 1998-1999) de MM. Jean
Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan et Adrien Gouteyron
visant à créer une commission d'enquête sur la situation et la gestion des
personnels enseignants et non enseignants de l'éducation nationale. [Avis n° 52
(1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bernadaux,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, mes chers collègues, la présente proposition de résolution tend à la
création d'une commission d'enquête sur la situation et la gestion des
personnels enseignants et non enseignants de l'éducation nationale.
Les auteurs de cette proposition assignent à cette commission d'enquête la
mission de « tenter de faire la lumière sur une gestion opaque, de savoir avec
précision quels sont les effectifs enseignants et non enseignants de
l'éducation nationale, quels sont les effectifs payés et éventuellement
inemployés... et de savoir s'il y a réellement adéquation entre les moyens
humains mis en oeuvre et les objectifs pédagogiques de l'éducation nationale
».
Il appartient à votre commission des affaires culturelles, saisie au fond, de
juger de l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête, tandis
que la commission des lois devra indiquer si cette proposition est conforme à
l'article 6 de l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires.
Je rappellerai brièvement l'importance des moyens accordés à l'éducation
nationale.
Pour accueillir les 12 300 000 élèves de l'enseignement scolaire, celle-ci
utilise 1 300 000 personnes. Un million d'entre elles relèvent de l'Etat : 324
000 enseignants du premier degré sont affectés dans près de 60 000 écoles ; 509
000 enseignants exercent dans nos 6 950 collèges, 800 lycées professionnels et
2 650 lycées.
Ainsi 93 % des 297 milliards de francs du budget de l'enseignement scolaire
sont-ils consacrés aux dépenses de personnel.
Les crédits budgétaires ont augmenté de 150 milliards de francs en dix ans.
Dans le même temps, 40 000 enseignants supplémentaires ont été recrutés, mais
les effectifs d'élèves sont en baisse depuis plusieurs années : ils étaient 65
000 de moins à la rentrée de 1998.
En dépit de ces moyens considérables, l'éducation nationale n'est pas en
mesure d'accueillir de manière satisfaisante tous les élèves : on compte des
personnels en surnombre, non affectés sur un poste, dans certaines disciplines
- on parle de 30 000 enseignants, soit près de 10 % des effectifs du second
degré, dont la moitié de maîtres auxiliaires - alors que des centaines de
postes vacants peuvent être constatés plus d'un mois après chaque rentrée
scolaire.
La gestion actuelle des personnels souffre donc de graves dysfonctionnements.
Ceux-ci résultent d'abord d'une programmation imparfaite des recrutements par
discipline, alors que les besoins s'élèveraient à quelque 12 400 enseignants
titulaires chaque année, toutes disciplines confondues, jusqu'à 2003.
Par ailleurs, si les perspectives de départs massifs en retraite des
enseignants nés dans les années d'après-guerre ont été anticipées par des
recrutements de précaution, ceux-ci n'ont, semble-t-il, pas été ciblés sur les
disciplines qui se libéreront en 2005 : de nombreux titulaires académiques
affectés aujourd'hui à des tâches de remplacement ne sont donc pas assurés dans
l'avenir d'obtenir un poste stable correspondant à leur formation initiale.
J'en viens aux modalités de remplacement. Celles-ci ne sont pas
satisfaisantes, notamment dans l'enseignement secondaire : en 1997, environ 35
000 titulaires académiques étaient affectés à des remplacements à l'année
tandis que 3 700 titulaires remplaçants étaient affectés aux remplacements de
courte et moyenne durée, ce qui est à coup sûr insuffisant.
Quant à l'absentéisme des enseignants, celui-ci se situerait autour de 5 % des
effectifs, c'est-à-dire assez largement en retrait par rapport à certains
chiffres annoncés. Ce taux d'absentéisme apparaît moins en cause que le
fonctionnement même du système de remplacement, qui remplit mal sa fonction.
Il faut noter, par exemple, qu'un grand nombre de titulaires académiques
n'obtiennent pas de poste à l'année dans leur discipline et sont affectés
fictivement dans un établissement en attendant un remplacement hypothétique.
Afin de remédier à cette inadaptation « disciplinaire » des personnels
titulaires aux besoins, l'éducation nationale utilise depuis longtemps des
variables d'ajustement, et notamment des maîtres auxiliaires, à qui elle
demande d'occuper des postes de titulaires non pourvus et de remplacer des
enseignants absents pour cause de maladie ou de formation lorsque le nombre de
titulaires remplaçants est insuffisant.
Le réemploi massif de 27 000 maîtres auxiliaires à la rentrée de 1997 n'a pas
pour autant permis de répondre aux besoins d'encadrement pédagogique. Il a même
été à l'origine d'effets pervers : des maîtres auxiliaires sont aujourd'hui en
surnombre dans certaines disciplines tandis que des postes restent non pourvus
dans d'autres.
Les recteurs ont été ainsi contraints d'embaucher de nouveaux maîtres
auxiliaires, notamment en mathématiques, en sciences et en espagnol, soit plus
de 900 au cours de l'année scolaire 1997-1998.
Force est de constater que la fuite des agrégés vers l'enseignement supérieur
- en augmentation de 40 % depuis 1990 - contribue aussi à multiplier les
vacances de postes.
S'agissant des mises à disposition d'enseignants, aucune statistique
officielle ne permet d'en mesurer l'ampleur pour le premier et le second degré
: une source de 1993 fait état d'un millier d'enseignants mis à disposition
d'administrations ou d'organismes divers, souvent rattachés à la nébuleuse de
l'éducation nationale.
D'autres indications fournies par la presse avancent le nombre de 15 000 mises
à disposition dans le secondaire, dont 12 000 à Paris.
La commission d'enquête devrait faire la lumière sur ce point, qui reste
obscur depuis de longues années.
Je dirai enfin un mot du mouvement des enseignants, c'est-à-dire des mutations
et des affectations.
Comme vous le savez, ce mouvement devrait être décentralisé en 1999 et
s'ordonner autour d'une phase interacadémique nationale et d'une phase
intra-académique gérée au niveau rectoral.
Cette déconcentration suffira-t-elle à réduire les dysfonctionnements
constatés à chaque rentrée scolaire ? L'expérience le dira, mais il semble
qu'elle devra, pour être efficace, s'accompagner d'une véritable programmation
des recrutements par discipline.
Au total, la gestion des personnels de l'enseignement reste opaque et peu
efficace.
Le Parlement n'a connaissance que de lignes d'emplois budgétaires non ventilés
et ne peut contrôler ni les affectations réelles en postes ni leur
répartition.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jean Bernadaux,
rapporteur.
La commission d'enquête devrait donc d'abord s'attacher à
examiner les conditions de répartition, de nomination, de mutation et
d'affectation des enseignants de collège et de lycée en fonction du nouveau
mouvement.
Elle devrait ensuite apprécier la réalité des mises à disposition dans
l'enseignement du premier et du second degré, qui ont pour conséquence
d'écarter de trop nombreux enseignants de leur vocation pédagogique.
Elle aurait aussi à examiner l'importance et les causes de l'absentéisme des
enseignants, ainsi que le fonctionnement du système de remplacement.
Elle devrait enfin mesurer la réalité de la participation des représentants
des enseignants, exercée
via
les commissions techniques paritaires, au
système d'affectation et de mutation aussi bien à l'échelon national qu'au
niveau des académies.
Dans cette perspective, mes chers collègues, la commission des affaires
culturelles vous propose la mise en place de cette commission d'enquête,
conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance de 1958 sur le
fonctionnement des assemblées parlementaires et de l'article 11 du règlement du
Sénat.
Elle vous propose donc de créer cette commission d'enquête, en en modifiant
toutefois le titre afin de limiter ses investigations aux seuls personnels de
l'enseignement scolaire public et privé, enseignants et non enseignants, et
d'en exclure les personnels relevant de l'enseignement supérieur.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, mes chers collègues, le Sénat est appelé
aujourd'hui à statuer sur la proposition de résolution de MM. Arthuis, Cabanel,
de Raincourt, de Rohan et Gouteyron, qui vient d'être excellemment exposée par
notre collègue Jean Bernadaux et qui vise, en résumé, à créer une commission
d'enquête sur la situation et la gestion des personnels enseignants et non
enseignants de l'éducation nationale.
Comme vous le savez, le règlement du Sénat prévoit que la commission des lois
émette un avis sur la recevabilité, et uniquement sur la recevabilité, de cette
proposition de résolution, qui a déjà été examinée par la commission des
affaires culturelles. Je dois rappeler qu'il s'agit là d'une matière
réglementée par une ordonnance de 1958, laquelle a été profondément modifiée le
20 juillet 1991.
Depuis cette refonte, le texte présente peut-être l'inconvénient de regrouper
les commissions d'enquête et les commissions de contrôle sous la dénomination
commune de « commissions d'enquête ». Mais, en dépit de ce changement de
terminologie, la dichotomie entre les classiques commissions d'enquête
stricto sensu
et les commissions chargées de contrôler le fonctionnement
d'une entreprise ou d'un service public n'a pas disparu.
Permettez-moi, mes chers collègues, de vous donner lecture du texte
actuellement en vigueur :
« Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments
d'information, soit sur des faits déterminés » - il s'agit des commissions
d'enquête sur les faits - « soit sur la gestion des services publics ou des
entreprises nationales » - il s'agit des anciennes commissions de contrôle - «
en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.
« Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu
à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en
cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture
d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée
d'enquêter. »
La question est donc de savoir si, dans le domaine qui nous occupe
aujourd'hui, des faits susceptibles de faire l'objet de poursuites judiciaires
risquent de survenir, auquel cas on ne pourrait mettre en place une commission
d'enquête.
Dans les cas où la proposition de résolution tend à créer une commission
d'enquête « pour recueillir des éléments d'information... sur des faits
déterminés », la pratique qui était suivie pour les commissions d'enquête
stricto sensu
continue à être observée. Le président de la commission
des lois demande alors à M. le président du Sénat de bien vouloir interroger le
garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires
concernant les faits en cause.
C'est la pratique qui prévaut pour les commissions d'enquête chargées de
réunir des informations sur des faits. Nous ne sommes pas dans ce cas de
figure.
En revanche, cette procédure d'information ne s'impose pas dans la seconde
hypothèse envisagée par l'article 6 de l'ordonnance de 1958, dans laquelle la
proposition de résolution prévoit de créer une commission d'enquête non pas sur
de simples faits, mais « pour recueillir des éléments d'informations... sur la
gestion des services publics ou des entreprises nationales ». La présente
proposition de résolution correspond manifestement à cette seconde hypothèse,
puisque son article unique prévoit bien la création d'une commission de
contrôle sur le fonctionnement d'un service public, et non pas d'une commission
d'enquête sur des faits déterminés.
Dans ces conditions, la commission d'enquête dont le Sénat décidera sans doute
la création tout à l'heure n'aurait nullement pour objet d'enquêter sur des
faits déterminés pouvant, le cas échéant, donner lieu à des poursuites
judiciaires. La question ne se pose donc pas.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois estime que la
proposition de résolution soumise aujourd'hui à l'examen du Sénat n'est pas
contraire aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17
novembre 1958.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, mes chers collègues, le mouvement des lycéens a mis en
relief un certain nombre de dysfonctionnements au sein de notre système
éducatif, au premier rang desquels des classes surchargées, des locaux dégradés
et parfois vétustes, un manque endémique d'encadrement. Les lycéens n'ont pas
mis en cause leurs professeurs, ils ont plutôt souhaité qu'ils soient plus
nombreux.
On s'aperçoit que les personnels de toutes catégories - personnels
enseignants, personnels de surveillance, personnels ingénieurs, administratifs,
techniciens, ouvriers, de service et de santé - font cruellement défaut à notre
système éducatif, en particulier dans les lycées.
L'idée, à première vue intéressante, de la mise en oeuvre d'une commission
d'enquête sur la situation et la gestion des personnels enseignants et non
enseignants pourrait, dès lors, paraître parfaitement opportune et adaptée si
nous étions assurés de la nature des objectifs visés. Mais comment l'être quand
on sait que les auteurs de cette proposition de résolution se proposaient,
voilà quelques mois à peine, de supprimer quelque 5 000 postes d'enseignant
?
Outre le fait que créer une commission d'enquête - pourquoi ne pas mettre en
place une mission d'information ? - pourrait légitimement faire accroire à
l'opinion que les créations de postes d'enseignants et de non-enseignants sont
mal utilisées, nous sommes surpris que l'on pose ainsi une question à laquelle,
nous en sommes certains, les services du ministère de l'éducation nationale
pourraient répondre.
A moins que l'on ne soupçonne chez ces derniers une volonté d'opacité, ce qui,
de la part de parlementaires proches de l'ancien ministre de l'éducation
nationale, dépasserait notre entendement...
Les motivations des choix qui ont présidé à la rédaction de la proposition de
résolution visant à créer cette commission d'enquête sont, selon nous, à
rechercher ailleurs, et moins dans l'observation de la situation des personnels
de l'éducation nationale que dans les choix de gestion.
Cette attitude détermine, parmi les membres du groupe communiste républicain
et citoyen, plus encore qu'une extrême circonspection : un rejet de principe
tenant au bien-fondé même de la démarche.
Depuis de nombreuses années se multiplient les déclarations, lois, décrets et
circulaires mettant en avant la nécessité, affichée comme un principe, de
déconcentrer l'éducation nationale. Ce n'est donc pas sans arrière-pensées que
cette proposition de résolution nous est soumise... à point nommé, serais-je
tenté de dire.
De fait, comment évoquer la question du niveau de gestion des fonctionnaires
de l'éducation nationale - qui sous-tend très largement cette initiative
parlementaire - sans renvoyer aux principes et aux missions de service public,
qui, loin d'être vieillis, voire archaïques, sont au contraire au coeur de la
modernité ? Il convient, selon nous, de renoncer à tout
a priori
en
matière de gestion.
L'intérêt pour le service public et ses usagers, en l'occurrence les élèves et
leurs parents, est partagé par l'ensemble de la communauté éducative. Il n'est
pas l'apanage de la seule hiérarchie éducative, et pas davantage celui de
quelques dogmatiques.
L'école de Jules Ferry, à laquelle nous sommes attachés et qui a pu, un temps,
promouvoir un type de gestion plutôt qu'un autre, était fort différente de ce
qu'est, aujourd'hui, l'éducation nationale, qu'il s'agisse des missions ou du
nombre des usagers.
Ainsi, la gestion déconcentrée des corps des instituteurs et des professeurs
des écoles ne peut être transposée sans dommage aux enseignants du second
degré, et ce pour des raisons évidentes : pluridisciplinarité, organisation
différente du travail et de la journée scolaire, etc. Il y va de l'intérêt des
élèves et des personnels, de l'idée républicaine qui fonde notre système
éducatif et qui appelle distance, sérénité et équité. Les dogmes de la gestion
au moindre coût ne sauraient à nos yeux pleinement satisfaire à l'exigence d'un
système éducatif garant de la réussite de tous.
La politique menée jusqu'alors en matière de déconcentration aurait été mieux
inspirée si elle avait été fondée sur une connaissance du terrain plutôt que
sur des choix de principe guidés par la pensée unique et la gestion de
l'austérité. Les tenants de cette politique ont préféré, pour des raisons
évidentes de gestion et par terreur devant une certaine conception de
l'économique, le redéploiement et la réduction du nombre des postes à la
création d'emplois et au renforcement des équipes éducatives.
Cependant, des exigences partagées par tous ont été posées par les lycéens.
Plutôt que de chercher ce qui divise et d'entraver la nécessaire mise en oeuvre
d'un système éducatif efficace, nous devrions avoir à coeur de placer au centre
de celui-ci, non seulement les élèves, mais aussi chacun des intervenants, et
entendre ce qui nous est dit.
Par exemple, des mesures urgentes doivent être prises afin de parvenir à un
taux d'encadrement satisfaisant et de limiter les effectifs à vingt-cinq élèves
par classe. Il convient également de renforcer et de multiplier les structures
permettant aux lycéens et à l'ensemble des acteurs de la communauté éducative
d'avoir des droits réels répondant aux exigences d'un enseignement moderne.
Mes chers collègues, abordons ces exigences de front et tâchons de répondre
aux attentes.
S'intéresser à l'éducation nationale en se contentant de présenter les
enseignants comme responsables des difficultés ou fautifs, c'est refuser
d'aborder les problèmes sur le fond et d'y apporter des solutions.
On va chercher des boucs émissaires...
M. Alain Gournac.
Pas du tout !
M. Robert Bret.
Mais si !
M. Ivan Renar.
... en s'appuyant sur les dysfonctionnements constatés çà et là pour en tirer
des leçons générales. Voyez comment nous-mêmes nous réagissons quand on
assimile Parlement et absentéisme ! Ou alors mettons en place une mission
d'information !
Le sort réservé à la jeunesse est injuste. Cela devrait être formidable
d'avoir vingt ans en l'an 2000 ! Or la réalité, c'est l'angoisse de l'avenir,
la peur du chômage, l'incertitude des débouchés à la sortie du lycée,
l'impossibilité matérielle de vivre sa vie.
Malgré tout cela, dans des conditions souvent difficiles, parfois dramatiques,
les enseignants doivent assumer leur mission : instruire, apporter des
connaissances, fixer quelques repères, ouvrir l'esprit... Chaque enseignant est
seul dans sa classe. Il faut le soutenir et l'encourager au lieu de le
déstabiliser encore plus.
M. Robert Bret.
Très bien !
M. Ivan Renar.
Soutenir, ce n'est pas tout accepter ou tout tolérer quand des
dysfonctionnements existent, c'est créer les meilleures conditions possible
pour que les enseignants puissent exercer ce métier passionnant mais
difficile.
Les lycéens ont manifesté non pas contre les professeurs, mais pour que
ceux-ci soient plus nombreux. Accepter le débat réducteur que nous proposent
les auteurs de la proposition de résolution, M. le président de la commission
des affaires culturelles et MM. les rapporteurs, c'est passer totalement à côté
de toutes les questions de fond posées par le mouvement des lycéens.
On ne peut que regretter que la création d'une commission d'enquête soit
demandée alors que le terrain a déjà été balisé par de trop nombreuses
déclarations péremptoires...
M. Alain Gournac.
Du ministre !
M. Ivan Renar.
... sur le statut des enseignants, l'absentéisme, les salaires ou les heures
supplémentaires.
Le devoir de l'Etat républicain, c'est d'abord de défendre et d'estimer ceux
qui le servent.
M. Alain Gournac.
Les estime-t-il beaucoup ?
M. Ivan Renar.
Que vous le vouliez ou non, créer une commission d'enquête, c'est installer le
doute, la suspicion, et c'est tout le corps enseignant qui se retrouve en
quelque sorte mis en examen.
M. Jean Arthuis.
Mais non !
MM. Alain Gournac et Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Pas du tout !
M. Ivan Renar.
La République a le devoir et la mission de protéger ses fonctionnaires. La
commission d'enquête, dans sa forme actuelle, risque de jeter l'anathème sur
une profession qui n'a été que trop décriée,...
M. Jean Arthuis.
Mais non !
M. Jacques Machet.
Au contraire !
M. Jacques Legendre.
C'est un procès d'intention !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Assumez !
M. Ivan Renar.
... alors qu'elle devrait être davantage écoutée.
Les parents que nous sommes tous connaissent la difficulté d'élever des
enfants à notre époque. Qu'en est-il quand il s'agit d'en accueillir plus de
trente-cinq dans une classe ?
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la proposition de résolution qui
est soumise à la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, mes chers collègues, par-delà les problèmes de robinets
qui fuient ou les portes qui claquent, le mouvement actuel des lycéens
cristallise les dysfonctionnements de l'administration de l'éducation
nationale. Il démontre l'incapacité de celle-ci à gérer les effectifs
enseignants et à adapter les affectations aux besoins.
En effet, la dénonciation par les lycéens du manque de professeurs intervient
alors que l'on dénombre 65 000 élèves de moins cette année que l'année
précédente, dont 10 000 lycéens. C'est dire si la gestion du système atteint la
limite du supportable.
Cette carence ne tient nullement à une quelconque insuffisance des moyens
financiers consacrés à l'éducation dans notre pays, loin de là. En effet, la
France est l'un de ceux qui dépensent le plus en ce domaine.
Depuis 1975, les crédits de l'éducation nationale ont ainsi doublé en francs
constants ; ils représentent aujourd'hui le quart du budget de l'Etat. La
dépense globale d'éducation a augmenté de près de 150 milliards de francs entre
1990 et 1995, passant de 445 milliards de francs à 588 milliards de francs.
Dans le même temps, l'enseignement secondaire a été doté de 40 000 enseignants
supplémentaires.
Notre pays, je l'ai déjà dit maintes fois à cette tribune, consacre plus de 10
000 francs par an et par habitant à l'éducation de ses enfants. Ce chiffre nous
place au-dessus de la moyenne européenne.
Cela n'aurait rien de choquant si les résultats, notamment en matière
d'insertion sociale et économique, étaient d'un meilleur niveau.
Cette situation explique que l'on compte, selon les chiffres de M. le
ministre, un enseignant pour douze élèves dans le secondaire. En tenant compte
des durées de présence différentes des enseignants et des élèves au sein des
établissements, on atteint une moyenne de un professeur pour vingt ou vingt et
un élèves. Comment expliquer alors que certaines classes regroupent parfois
plus de trente-cinq élèves ? La conclusion s'impose : ce ne sont pas les moyens
qui font défaut, c'est la mauvaise utilisation de ceux-ci qui est en cause.
Tel est d'ailleurs l'avis de nos concitoyens. Un sondage CSA révèle ainsi que
52 % des Français pensent que les difficultés que connaît notre système
éducatif sont dues à une mauvaise utilisation des moyens actuels, tandis que 34
% d'entre eux les attribuent à un manque de moyens. Ils estiment, dans la même
proportion, que, dans l'ensemble, la qualité du système éducatif s'est plutôt
détériorée.
Tout cela est connu. Et pourtant M. Allègre vient de décider, pour faire face
à la crise lycéenne, d'augmenter une nouvelle fois le budget et de recruter 3
000 surveillants, 10 000 emplois-jeunes et 1 000 appelés du contingent.
Quelques milliards de francs de plus ne changeront pas fondamentalement la
situation. Vous le savez comme moi, le véritable problème est ailleurs : dans
l'hypercentralisation d'un système conçu à l'origine pour 40 000 fonctionnaires
et qui en compte aujourd'hui plus de 1 400 000.
Ce système, dans lequel la décision est souvent prise trop loin de l'action,
est aujourd'hui englué dans des procédures et des cloisonnements
bureaucratiques, sources de dysfonctionnements et de gabegie. Le poids des
corporatismes et la peur de perdre les prérogatives dont on dispose sont un
obstacle à la déconcentration, comme ils sont un frein aux réformes les plus
évidentes.
Il est vrai que le système a atteint une telle opacité qu'il est devenu
impossible de le réformer sans une enquête préalable et approfondie sur son
fonctionnement. On ne réforme bien que ce que l'on connaît bien. Or nous nous
heurtons à un manque de lisibilité dans la gestion des personnels
enseignants.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean-Claude Carle.
Le Parlement n'a aucun moyen de contrôler le nombre des affectations réelles
en postes et leur répartition ; il ne connaît globalement que des lignes
budgétaires affectées sans ventilation. Les motifs de la différence permanente
que l'on constate entre les emplois et les postes restent ainsi mystérieux. Or,
je le répète, il s'agit de la première ligne budgétaire de la nation.
C'est pourquoi la création de cette commission d'enquête s'impose. Elle
permettra de connaître la répartition réelle par région et par établissement
des enseignants, leurs modes de nomination, de mutation et d'affectation, leurs
mises à disposition et les mécanismes de pouvoir réel dans la gestion des
personnels.
Cette enquête fournira une base solide pour élaborer les réformes nécessaires.
La formation et l'éducation sont les investissements les plus précieux que la
nation puisse offrir à ses enfants. Dans le contexte économique et social
actuel, ces investissements n'ont peut-être pas de prix mais, comme toute
chose, ils ont un coût. Il est de notre devoir, comme représentants du peuple,
de nous assurer de la pérennité et de l'optimisation de ces investissements.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera, bien sûr,
cette proposition de résolution.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis.
Je voudrais, au nom du groupe de l'Union centriste, confirmer notre soutien à
cette proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête.
Je voudrais dire à M. Carle que ses propos m'ont beaucoup surpris. Il faut
cesser de considérer la mission de contrôle comme un acte de suspicion.
M. le président.
Monsieur Arthuis, vous voulez sans doute parler de M. Renar ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non, il parlait bien de M. Carle !
M. Jean Arthuis.
Monsieur le président, je m'adressais effectivement à M. Renar. Je sais que M.
Carle partage notre préoccupation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Carle a été très excessif !
M. Jean Arthuis.
La mission de contrôle du Parlement est peut-être plus importante encore que
sa mission législative. Aux termes de nos institutions, c'est en effet
essentiellement le Gouvernement qui élabore la loi. Certes, nous améliorons les
textes, en particulier dans cette enceinte, mais notre mission irremplaçable,
c'est le contrôle. Dans une démocratie, le Parlement exerce son contrôle.
Aujourd'hui, nous voulons aider le Gouvernement à mieux appréhender la
situation des personnels qui dépendent du ministère de l'éducation nationale,
ou du ministère de l'agriculture puisqu'il existe des lycées agricoles au sein
desquels les problèmes de gestion des effectifs se posent aussi avec beaucoup
d'acuité.
Il n'y a donc, de notre part, aucune suspicion. Loin de moi l'idée de porter
un regard accusateur sur telle ou telle catégorie de personnels, qu'il s'agisse
des enseignants ou des non-enseignants.
Ce que nous voulons, c'est aider à la transparence, pour donner une image
fidèle des effectifs. A l'heure actuelle - et cela imprègne la plupart des
discours et des commentaires - on ne sait pas ce qu'il en est, comme si les
pouvoirs publics n'étaient pas capables d'appréhender la situation.
Aujourd'hui, c'est le centralisme à l'état pur. Les effectifs sont gérés par un
énorme ordinateur situé à Montrouge.
Nous voulons aider le Gouvernement à sortir de cette situation qui ne permet
pas d'affecter équitablement les personnels, comme le montrent bien les
manifestations des lycéens.
Alors, de grâce, cessons de laisser accroire qu'il y aurait de notre part je
ne sais quelle intention accusatrice. Nous voulons simplement user de nos
prérogatives et accomplir notre devoir de parlementaires.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Cela étant dit, si M. le président de la commission des affaires
culturelles n'y voit pas d'inconvénient, je demande, monsieur le président, une
suspension de séance d'une dizaine de minutes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez pourtant eu le temps de vous concerter !
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, si M. Arthuis ne l'avait pas fait, j'aurais moi-même demandé une
suspension de séance. Il s'agit en effet d'un sujet très important.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tu parles !
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Nous nous sommes
concertés...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez même cosigné le texte !
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
C'est vrai, mais
compte tenu de l'ampleur du sujet et du montant - important - des crédits
concernés, il est essentiel, vous en conviendrez, de bien définir l'objet de la
commission d'enquête. C'est ce qui justifie la demande de suspension de
séance.
M. le président.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à cette demande.
Je rappelle que nous avons à examiner un article unique, sur lequel je suis
saisi de deux amendements présentés par M. Arthuis.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente-cinq, est reprise à
midi.)