Séance du 4 novembre 1998
ACCE`S AU DROIT
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 530, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accès au droit et à la résolution
amiable des conflits. (Rapports n° 41 [1998-1999]).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la demande de connaissance et
de reconnaissance de ses droits constitue pour chaque citoyen, et même pour
tout être humain, une exigence fondamentale.
Le droit au droit, je l'ai déjà dit et je le répéterai encore ici, est un
principe essentiel du pacte démocratique, parce qu'il est la conséquence du
principe d'égalité, parce qu'il est consubstantiel à l'exercice effectif de la
citoyenneté, parce qu'il participe de la dignité humaine.
C'est pourquoi j'ai fait du projet de loi, adopté le 29 juin dernier par
l'Assemblée nationale et relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable
des conflits, l'une de mes priorités.
Vous savez - je l'ai déjà exprimé devant vous - que mon action à la tête du
ministère de la justice s'articule autour de trois grands axes : une justice au
service des citoyens, d'abord ; une justice au service des libertés ensuite ;
une justice indépendante et impartiale, enfin.
A mes yeux, une justice au service des citoyens impose, en premier lieu, une
justice plus accessible pour tous.
Le texte soumis à votre examen, mesdames, messieurs le sénateurs, constitue
donc un aspect fondamental du plan de réforme de la justice que, dès ma prise
de fonction - vous le savez - j'ai souhaité voir mettre en oeuvre.
Le présent projet de loi marque ma volonté d'instaurer une véritable politique
publique de régulation sociale par le droit qui, en distinguant l'accès au
droit de l'accès à la justice - sans les opposer, bien entendu - offre à chacun
la possibilité de recourir à des modes alternatifs de règlement des litiges.
Vouloir régler un conflit autrement que par un procès constitue une approche
qui, pour le monde judiciaire, modifie bien des habitudes et lui impose une
véritable révolution culturelle.
Certains voient dans cette approche un remède à l'engorgement des juridictions
et une réponse à la lenteur des procédures. Je ne crois pas qu'il faille
écarter cet objectif, tant je sais combien il est difficile pour les magistrats
de rendre une justice de qualité du fait de leur surcharge permanente
d'activité.
Toutefois, le projet de loi qui vient en discussion devant le Sénat s'inscrit
dans une perspective plus ambitieuse. J'ai en effet acquis la conviction, en
écoutant les femmes et les hommes de terrain - magistrats, auxiliaires de
justice, membres du mouvement associatif - que les solutions négociées peuvent
souvent apporter une réponse plus adaptée à de nombreux litiges et qu'elles
doivent, dans le cadre de l'institution judiciaire, trouver une place à côté de
la réponse classique qu'est le jugement.
La négociation doit constituer non seulement une alternative au jugement, mais
aussi, et surtout, une alternative au procès lui-même. Il faut cesser de
confondre l'accès au droit et l'accès à la justice. Au-delà du projet qui vous
est présenté, je m'emploie, depuis ma prise de fonctions, à faire progresser
cette idée. Je crois, maintenant, que cette distinction commence à se faire
dans les esprits.
En consacrant la transaction, le projet de loi en discussion lui donnera une
impulsion décisive.
La réforme proposée repose sur trois volets.
Le premier volet tend à instaurer les conditions d'une politique égalitaire
d'accès au droit en généralisant, grâce à un dispositif simplifié, les actuels
conseils départementaux de l'aide juridique, sous une nouvelle dénomination ;
ce volet contribuera aussi à rénover le contenu de l'accès au droit.
Le deuxième volet a pour objectif d'offrir à chacun, quelles que soient ses
ressources, une gamme de réponses qui ne se limite pas au seul accès au droit,
mais qui comprend aussi les modes amiables de règlement des conflits, en
matière civile comme en matière administrative.
Enfin, le troisième volet vise, dans le même esprit, à développer la médiation
pénale et les maisons de justice et du droit.
S'agissant de l'accès au droit, la loi du 19 juillet 1991, que nous devons à
la volonté réformatrice de Henri Nallet, avait - nous le savons - franchi un
premier pas en permettant de faire valoir leurs droits à ceux qui étaient
dépourvus de moyens financiers. Cette aide sociale particulière qu'est l'aide
juridictionnelle avait été alors réformée en profondeur.
La loi de 1991 a aussi instauré un dispositif nouveau d'aide à l'accès et à la
connaissance du droit : le conseil départemental de l'aide juridique.
En cela, cette loi a marqué une innovation qui est essentielle, mais qui n'a
pas, pour des raisons diverses, connu le succès qu'elle méritait.
Actuellement, c'est-à-dire sept ans après l'entrée en vigueur de la loi,
vingt-huit conseils départementaux fonctionnent. C'est peu, même si, depuis mon
arrivée, le rythme de création - j'ai demandé à mes services d'y prêter une
attention particulière - s'est sensiblement accéléré.
C'est ainsi que sept conseils ont vu le jour depuis un an et que plusieurs
autres devraient être créés dans les prochains mois, notamment dans les
départements du Val-de-Marne, de la Seine-Maritime, de la Marne ou de
l'Eure-et-Loir.
Ces progrès sont encourageants, bien sûr, mais je considère qu'ils demeurent
insuffisants. Une véritable politique d'incitation doit être menée, qui doit se
traduire tant par des efforts budgétaires que par une adaptation des textes en
vigueur.
En un an, le budget de l'accès au droit a augmenté de 7 %. Il est clair - je
m'y engage - que la généralisation de l'implantation des conseils
départementaux de l'aide juridique s'accompagnera d'une augmentation budgétaire
en conséquence. A cette fin, 5 millions de francs de crédits d'interventions et
6 millions de francs de crédits de fonctionnement supplémentaires ont été
réservés dans le projet de budget 1999, si, toutefois, la Haute Assemblée le
vote.
Mais, quels que soient les moyens financiers employés, le développement des
conseils passe par une démarche impulsée par les acteurs du terrain.
J'ai souhaité aller à leur rencontre. J'ai pu apprécier leur dynamisme. J'ai
écouté les présidents des conseils départementaux de l'aide juridique ; j'ai
mesuré la motivation et l'action des barreaux, tels que ceux de Paris, de Lyon,
de Lille et de Marseille ; j'ai voulu connaître les réalisations des
associations ; j'ai pu constater, lors du colloque de la Sorbonne du printemps
dernier, une volonté de renouveau de tous les praticiens concernés.
Ces rencontres m'ont convaincue de la nécessité d'adapter, sans la
bouleverser, la structure des conseils départementaux, de permettre une
accélération de leur implantation grâce à l'assouplissement du dispositif
retenu.
L'enjeu aujourd'hui est de développer une véritable politique d'accès au droit
sur tout le territoire, en créant les conditions d'une généralisation, dans un
délai rapide, des conseils départementaux, car tout citoyen, quel que soit le
département où il réside, a le droit de connaître ses droits.
Comment va s'organiser cette structure allégée des conseils départementaux
?
Ce n'est pas sur leur forme juridique que les adaptations doivent porter,
c'est sur leur composition qui doit être simplifiée.
Tout en restant un groupement d'intérêt public, le conseil départemental me
paraît devoir comporter un nombre resserré de membres fondateurs.
Il ne s'agit nullement - et je tiens à dissiper toute ambiguïté - d'écarter
certains professionnels du droit, dont on sait qu'ils jouent un rôle majeur
dans la politique d'accès au droit.
Mais la pratique a révélé que la création même d'un conseil départemental
était parfois freinée par un trop grand nombre d'acteurs. C'est pourquoi le
projet de loi a réduit à cinq le nombre des membres fondateurs.
Pour autant - et je souhaite vous apporter tous les apaisements sur ce point,
monsieur le rapporteur - ne se trouvera pas exclue l'intégration, au sein du
conseil, de nouveaux membres, dès lors que la convention constitutive
déterminera les conditions dans lesquelles ceux-ci pourront y être
accueillis.
Ensuite, le président du conseil départemental peut appeler à siéger, avec
voix consultative, toute personne particulièrement qualifiée.
L'ensemble de ce dispositif a le mérite d'introduire une plus grande souplesse
dans la constitution des conseils. Ils pourront ainsi s'adapter aux réalités du
terrain et aux particularités des départements concernés.
Je préfère être pragmatique dans la méthode, n'exclure personne et permettre
une certaine souplesse pour généraliser le dispositif.
Le dispositif retenu permet également de répondre à l'objection de votre
commission des lois de voir écarter des professionnels tels que les notaires,
les avoués ou les huissiers.
En centrant le mécanisme de constitution du conseil sur un « noyau dur »,
selon l'expression consacrée, le projet n'entend nullement limiter la
participation des professionnels concernés au fonctionnement même du
conseil.
Si nous divergeons sur cette approche, nous nous rejoignons, en revanche, sur
la place qui doit revenir aux associations.
En l'état, leur intervention est purement facultative. Or les actions que des
associations comme ATD Quart Monde ou Droits d'urgence conduisent sur le
terrain désignent ces dernières comme des acteurs incontournables.
A ce titre, les associations ont vocation à siéger parmi les membres de
droit.
Votre commission, tout en partageant ce point de vue, suggère une modification
dans les modalités de leur désignation.
Parce qu'il est dépositaire des statuts de toutes les associations dans le
département, le préfet me paraît être le plus à même d'opérer un choix avisé.
Votre commission préfère lui conférer un rôle de simple proposition. Je n'y
suis pas opposée dès lors que ce dispositif permet d'aboutir également à la
désignation de l'association la plus appropriée et que le préfet aura pu
apporter son expertise sur la « moralité » de l'association proposée et sur les
conditions de fonctionnement de cette dernière.
Si la réforme de structure des conseils départementaux m'apparaît essentielle,
parce que d'elle dépend la constitution de nouveaux conseils, l'instauration
d'une véritable politique publique d'accès au droit impose d'en rénover aussi
le contenu.
J'ai souhaité que ce projet de loi précise et enrichisse le contenu de la
politique d'accès au droit.
Si essentielles que soient la consultation juridique et l'assistance au cours
de procédures non juridictionnelles, seules modalités visées par la loi de
1991, elles n'englobent pas toutes les missions susceptibles d'être menées au
titre de l'accès au droit.
Je pense en particulier à tous nos concitoyens touchés par l'exclusion. Leur
permettre, comme le relève Mme Geneviève De Gaulle-Anthonioz, de faire valoir
leurs droits, de se défendre, c'est leur rendre leur dignité.
Nous devons mettre en place des mécanismes préventifs pour éviter que les
publics les plus marginalisés ne basculent dans l'exclusion. Il faut aussi
aller au-devant d'eux. A cet égard, j'ai pu mesurer personnellement l'impact de
l'engagement des juristes de l'association Droits d'urgence.
L'accès au droit doit répondre aux attentes des populations les plus en
difficulté par une assistance, un accompagnement personnalisé dans les
démarches administratives, souvent les plus élémentaires de la vie courante, et
l'orientation vers les organismes chargés de la mise en oeuvre des droits, dont
bien souvent ces publics ignorent jusqu'à l'existence.
C'est bien cette spirale de l'exclusion que nous devons parvenir à briser.
C'est la raison pour laquelle je pense qu'il nous faut soutenir en effet les
associations qui vont au-devant de ces publics en difficulté, dont on peut
douter qu'ils viennent jamais dans un conseil départemental de l'aide
juridique.
Cette émergence de besoins nouveaux doit figurer dans la politique d'accès au
droit, tout comme d'ailleurs doit y être incluse la diversification des modes
de règlement des conflits.
C'est pourquoi j'ai souhaité voir expressément mentionné dans le projet de loi
que les actions menées par les conseils départementaux seront conduites de
manière à favoriser le règlement amiable des litiges. Il y a là un aspect
didactique qui me paraît essentiel.
C'est également pour cette raison que j'ai tenu à voir enrichir la
dénomination des conseils départementaux que j'espère désormais voir appelés «
conseils de l'accès au droit et de la résolution amiable des litiges ».
Si votre commission diverge sur cet aspect sémantique, elle partage les
préoccupations du Gouvernement de voir développer par les conseils les actions
propres à éviter que le procès soit perçu comme l'aboutissement naturel d'un
différend.
J'en viens donc maintenant aux modes de résolution amiable des litiges.
La justice civile connaît depuis longtemps, nous le savons, la conciliation et
la médiation. Mais force est de constater que ces modes de règlement des
litiges sont encore trop peu utilisés.
Or, une justice moderne doit notamment permettre d'agir en amont du
judiciaire, avant que le juge n'ait rendu sa décision ou, mieux encore, avant
même qu'il ne soit saisi.
Dans ce cadre, la transaction à laquelle le projet de loi accorde une place
nouvelle trouve toute son importance. En effet, la transaction précontentieuse
doit devenir un instrument efficace pour les parties en lui conférant une force
comparable à celle d'un jugement exécutoire, au terme d'une procédure très
simple. C'est l'une des mesures prévues par le projet de décret réformant la
procédure civile, actuellement soumis à l'examen du Conseil d'Etat.
Il ne faut toutefois pas le cacher : le développement de la transaction ne se
fera pas sans incitation financière.
Certes, en l'état actuel des textes, l'avocat est rétribué, mais sous une
double condition : qu'il parvienne effectivement à une transaction et que cette
transaction soit conclue pendant l'instance. Un tel dispositif n'incite pas les
avocats à favoriser entre leurs clients des négociations précontentieuses.
C'est pourquoi le projet de loi prévoit l'élargissement du domaine de l'aide
juridictionnelle pour que la transaction avant procès soit rétribuée à ce
titre. Il en sera de même des pourparlers transactionnels qui auront échoué
malgré les diligences sérieuses accomplies.
L'égalité impose que toute personne, quelles que soient ses conditions de
ressources, puisse faire valoir ses droits, avec le concours d'un avocat, sans
obligatoirement assigner son adversaire devant le tribunal.
Il est clair que la réussite du dispositif retenu repose pour l'essentiel sur
les avocats.
Mais, comme l'a indiqué Mme la bâtonnière Dominique de la Garanderie au cours
du colloque consacré, à la cour d'appel de Paris, aux conciliateurs de justice,
la profession d'avocat a connu une rapide évolution qui « a mené l'avocat d'une
image presque exclusive de défenseur et d'amateur de contentieux à l'image
aujourd'hui au moins égale de l'avocat qui conseille, de l'avocat qui négocie
».
Je sais que certains d'entre eux auraient souhaité que, en cas d'échec de la
transaction, leur rétribution ne soit pas imputée sur celle qui leur est due
pour l'instance. Ce cumul des rétributions, outre qu'il risquerait d'inciter
les justiciables à tenter une transaction alors même qu'elle n'aurait aucune
chance d'aboutir, alourdirait considérablement le coût de la mesure.
C'est donc dans un véritable partenariat entre les magistrats et les
auxiliaires de justice que les esprits intégreront la distinction entre accès
au droit et accès à la justice, et que l'évolution culturelle en faveur des
modes amiables de règlement des conflits se produira dans l'intérêt des
citoyens.
Je tiens, à ce titre, à souligner la force de l'engagement de l'Etat, qui
offre - et c'est une grande innovation - son concours à des modes de régulation
du contentieux en dehors de l'enceinte judiciaire.
L'effort financier consenti par l'Etat doit s'accompagner d'un dispositif
spécifique de maîtrise de la dépense qui viendra compléter les efforts de
rationalisation du bon fonctionnement des bureaux d'aide juridictionnelle et
l'amélioration des procédures de récupération de cette aide, au bénéfice de
l'Etat.
La commission des lois, et je l'en remercie, approuve l'ensemble de ce
dispositif, tout en l'enrichissant de quelques suggestions qui me paraissent
judicieuses.
J'en viens maintenant à la médiation pénale et aux maisons de justice et du
droit, troisième volet de ce projet de loi.
Le développement des modes amiables de règlement des conflits concerne aussi
la justice pénale.
De 11 000 en 1992, les médiations pénales ont atteint le chiffre record de 60
000 fin 1997. Des juridictions comme Lyon, Bobigny ou Pontoise y recourent
quotidiennement.
Grâce à ce qu'il est convenu d'appeler désormais « la troisième voie », le
ministère public apporte une nouvelle réponse judiciaire à des infractions
qualifiées à tort de mineures alors qu'elles sont si présentes dans la vie
quotidienne de nos concitoyens.
Je crois que, pour mieux lutter contre la petite et moyenne délinquance, celle
qui empoisonne le plus cette vie quotidienne, il faut en effet encourager et
développer ces pratiques initiées dans certains parquets.
C'est pourquoi le projet qui vous est présenté tend aussi à favoriser la
médiation pénale.
Pour assurer l'effectivité du concours de l'avocat dans ce domaine, au même
titre que dans celui de la transaction civile, il est prévu un régime de
financement spécifique. J'évoquerai, enfin, l'institutionnalisation par le
projet de loi des maisons de justice et du droit.
Il s'agit de consacrer d'une manière à la fois symbolique et solennelle une
expérience maintenant bien ancrée dans notre paysage judiciaire. Lorsque, dans
le ressort du tribunal de grande instance de Lyon, les formations
correctionnelles jugent dans l'année 8 000 affaires, tandis que 4 000 font
l'objet d'une médiation pénale au sein d'une maison de justice et du droit,
cela veut dire que le stade de l'expérimentation est dépassé et que cette
pratique s'inscrit désormais dans une véritable politique judiciaire.
Lieux de justice placés sous l'autorité des chefs de juridiction, les maisons
de justice et du droit permettent de répondre de manière adaptée à la petite
délinquance et aux litiges civils d'enjeux mineurs, matières dans lesquelles
précisément la réponse judiciaire n'est sans doute pas la plus adaptée.
Le développement de ces structures porte, je crois, témoignage de leur
efficacité.
Le projet de loi, qui leur reconnaît une existence juridique en leur
consacrant un titre du code de l'organisation judiciaire, devrait favoriser
encore leur essor, permettant ainsi à la justice de devenir plus proche des
préoccupations quotidiennes de nos concitoyens.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos liminaires que je
souhaitais formuler avant que vous n'entamiez la discussion du projet de loi
qui vous est soumis.
Celui-ci s'inscrit, vous l'avez compris, dans une nouvelle vision de
l'institution judiciaire, plus démocratique, plus accessible et plus
humaine.
Votre commission des lois, à laquelle je tiens à rendre hommage - je m'adresse
particulièrement à son rapporteur M. Luc Dejoie - pour la qualité de ses
travaux, approuve très globalement les orientations du projet de loi et vous
invite à manifester votre adhésion à ce pan fondamental de la réforme globale
de la justice ; je ne puis que m'en féliciter.
C'est ensemble, je l'espère, que nous pourrons améliorer la qualité des
réponses judiciaires au service de nos concitoyens.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Luc Dejoie,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, nous sommes donc chargés d'examiner le projet de
loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des litiges.
Vous venez de nous présenter ce texte, madame la ministre, comme un élément
clef de la réforme de la justice en vue de son amélioration au quotidien.
Permettez-moi de dire qu'il n'apporte que des aménagements limités au régime
actuel de l'aide juridique défini par la loi de juillet 1991, dont j'avais eu
l'honneur d'être le rapporteur.
Je ferai remarquer que ce projet s'inscrit dans le prolongement direct des
différentes propositions faites depuis un certain nombre d'années pour
améliorer cette loi, parmi lesquelles figurent notamment les conclusions de la
mission d'information sur les moyens de la justice constituée par la commission
des lois du Sénat en 1996 et dont le président était notre collègue Charles
Jolibois et le rapporteur, notre collègue Pierre Fauchon.
J'ai été un peu surpris qu'il ne soit fait aucune mention de tout le travail
réalisé par une commission qui avait été mise en place auprès de la
Chancellerie voilà quelques années, à laquelle j'ai participé avec d'autres, et
dont les réflexions semblent avoir été enfermées dans le fond d'un tiroir ;
mais les tiroirs s'ouvrent toujours !
Ce projet de loi, on vient de nous l'expliquer, comporte trois volets : l'aide
juridictionnelle, l'aide à l'accès au droit, les maisons de justice et du
droit.
Le dispositif actuel de l'aide juridictionnelle est régi par la loi du 10
juillet 1991. Cette loi a constitué un moment important dans le domaine qui
nous intéresse puisque le nombre de bénéficiaires est passé de 400 000 en 1992
à 700 000 en 1997, ce qui démontre son bien-fondé et son intérêt.
Par voie de conséquence - c'est peut-être moins agréable - les dépenses, qui
s'élevaient à 400 millions de francs en 1991, atteignent 1,4 milliard de francs
aujourd'hui - c'est la dotation budgétaire qui est prévue pour 1999.
Le présent projet de loi prévoit une extension du champ d'application de
l'aide juridictionnelle au règlement amiable des conflits avant toute saisine
d'une juridiction.
En matière civile, cette extension porte sur la recherche d'une transaction.
J'ai d'ailleurs été amené à déposer, à titre personnel, un amendement qui ne
peut qu'aller dans le droit-fil de la recherche du règlement amiable des
litiges dont vous venez de nous exposer l'intérêt, madame le garde des
sceaux.
En matière pénale l'extension du champ d'application de l'aide
juridictionnelle concerne l'institution d'un mécanisme d'aide à l'intervention
de l'avocat dans le cadre de la médiation pénale.
Le projet de loi comporte par ailleurs plusieurs dispositions destinées à
assurer une meilleure maîtrise des dépenses d'aide juridictionnelle, notamment
à faciliter la mise en oeuvre du retrait de l'aide juridictionnelle dans un
certain nombre de cas.
Enfin, le projet de loi vise à simplifier le fonctionnement des bureaux d'aide
juridictionnelle, d'une part en donnant au président du bureau d'aide
juridictionnelle le pouvoir de statuer seul sur les demandes ne présentant
manifestement pas de difficultés, d'autre part, en clarifiant le rôle du
greffier en chef qui assure les fonctions de vice-président de ce bureau.
A ces dispositions, qu'elle approuve, la commission des lois propose
d'apporter quelques compléments.
Elle a cherché à remédier à une incohérence du régime actuel de l'aide
juridique concernant les anciens combattants qui s'adressent à une juridiction
compétente en matière de pensions militaires ; c'est une suggestion qui nous a
été formulée par M. le médiateur de la République.
La commission des lois propose également d'étendre l'aide à l'intervention de
l'avocat en matière de médiation pénale, à la mise en oeuvre par le parquet de
la procédure de réparation spécifique aux mineurs, qui s'apparente largement à
la médiation pénale.
J'en viens au second volet du projet de loi : l'aide à l'accès au droit.
Aux termes de la loi de 1991, un conseil départemental devait être créé dans
chaque département. Or, comme vient de le dire Mme la ministre, la réalité est
un peu décevante puisque seulement vingt-huit de ces conseils départementaux
ont été mis en place.
Vous avez dit, madame, que les raisons de cette application limitée étaient
diverses, et je partage parfaitement ce point de vue. Vous en avez déduit qu'il
fallait modifier quelque peu la composition de ces organes.
Tel n'est pas tout à fait l'avis de la commission des lois, qui souhaite le
maintien au sein du conseil départemental des professionnels du droit qui
figuraient dans le texte de 1991.
En effet, ils n'ont pas démérité, que je sache ! Il s'agit de professionnels
qui, jour après jour, année après année, pendant toute leur carrière,
pratiquent la résolution amiable des litiges et sont donc particulièrement bien
placés pour faire partie du conseil départemental.
Je regrette donc que le projet de loi ne les mentionne qu'avec voix
consultative et non pas comme membres de droit, ce qui aura sans doute pour
effet de les écarter du dispositif alors qu'ils peuvent rendre de grands
services, notamment en apportant un concours matériel et financier dont il
serait, à mes yeux, peu raisonnable de se passer.
Les dispositions du projet de loi prévoient une nouvelle définition de l'accès
au droit incluant les actions en faveur de la résolution amiable des
litiges.
Il est également prévu d'élargir les compétences des conseils départementaux,
sans toutefois que les moyens correspondants leur soient précisément donnés.
Enfin, un aménagement des modalités de fonctionnement de ces conseils est
également envisagé.
Il faut souligner que, pour une grande part, les articles du projet de loi ne
font que reprendre, sous une autre forme, des dispositions qui existent déjà
dans la loi de 1991 en modifiant légèrement leur rédaction, voire en les
déplaçant purement et simplement sans en modifier le contenu, ce qui ne
contribue pas forcément à la clarté des nouvelles dispositions.
A propos de clarté, j'indique que la commission des lois souhaite abréger la
dénomination du conseil départemental, proposant de l'appeler simplement : «
conseil départemental de l'accès au droit ».
Il nous est, en effet, tout d'abord apparu que « conseil départemental de
l'accès au droit et de la résolution amiable des litiges » constituait un titre
fort long et un peu compliqué.
Par ailleurs, le maintien de cette dénomination pourraît donner à penser qu'en
dehors de cette commission la résolution amiable des litiges n'existe pas.
Or, en tout état de cause, au moins 80 % des litiges résolus à l'amiable le
seront en dehors de ce conseil départemental. Dès lors, il ne serait guère
judicieux de sembler en faire l'instance hégémonique de la résolution amiable
des litiges en faisant figurer ces mots dans sa dénomination.
Je viens de parler des propositions de la commission des lois sur la
composition du conseil départemental. La commission, qui a bien voulu me
suivre, suggère également d'y inclure l'association départementale des maires.
L'association des maires de France, à laquelle j'ai soumis cette suggestion,
l'a d'ailleurs approuvée.
Voilà bien une catégorie de nos concitoyens - ils sont un peu plus de 36 000 -
qui est amenée à s'occuper régulièrement de résolution amiable des litiges. Le
concours du représentant des maires peut donc se révéler fort utile dans le
fonctionnement de ce conseil départemental.
La commission a noté que ce conseil départemental était présidé par le
président du tribunal de grande instance du département. Elle n'y voit aucun
inconvénient, mais elle s'est demandé s'il n'y avait pas là une charge de
travail supplémentaire pour ce magistrat. Elle souhaiterait donc recueillir
votre avis sur ce point, madame le garde des sceaux.
Par ailleurs, la commission des lois proposera de supprimer un certain nombre
de mentions soit inutiles, soit redondantes, soit ne relevant manifestement pas
du domaine de la loi, qui ne feraient donc qu'alourdir le texte.
S'agissant des maisons de justice et du droit, il convient de rappeler
qu'elles se sont implantées quasi spontanément en divers point du territoire,
mais plus particulièrement dans les quartiers qualifiés de « difficiles », sans
qu'aucun texte de quelque nature que ce soit les ait créées.
Le présent texte, en donnant en quelque sorte une consécration législative à
leur existence, met fin à un vide juridique, et la commission des lois ne peut
qu'approuver cette démarche.
Cependant, au-delà de cette approbation, elle estime que les dispositions
proposées sont incomplètes.
Ainsi, les modalités de création et de fonctionnement de ces maisons sont
renvoyées à un décret, à propos duquel, madame le garde des sceaux, la
commission souhaiterait que vous vouliez bien apporter quelques éléments de
précision.
Sans aller jusqu'à manifester de l'inquiétude, elle n'a pas jugé souhaitable
que ces maisons de justice et du droit se généralisent sur l'ensemble du
territoire. Cela pourrait en effet aboutir à la mise en place d'un degré de
juridiction supplémentaire, d'une sorte de justice parallèle, qui n'offrirait
peut-être pas tout à fait les mêmes garanties que les tribunaux.
En conclusion, je dirai que ce projet de loi apporte des améliorations très
intéressantes et nécessaires à la loi de 1991. La commission s'est prononcée à
l'unanimité en faveur de ce texte, sous réserve de l'adoption des amendements
que je serai amené à présenter.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de
l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discution générale, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la loi
du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique a remanié l'aide
juridictionnelle, destinée à permettre aux plus démunis de faire valoir leurs
droits en justice.
Elle a, par ailleurs, instauré un dispositif d'aide à l'accès au droit et à la
connaissance du droit s'appuyant sur la mise en place de conseils
départementaux de l'aide juridique.
Sept années après son adoption, force est de constater que les deux aspects de
cette loi - aide juridictionnelle et aide à l'accès au droit - n'ont pas connu
le même développement.
Si le budget de l'aide juridique est passé de 400 millions de francs en 1990 à
plus de un milliard de francs aujourd'hui, il a été exclusivement consacré à la
rétribution des auxiliaires de justice au titre de l'aide juridictionnelle.
En revanche, bien peu a été fait concrètement en faveur de l'aide à l'accès au
droit.
Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, madame la garde des
sceaux, vise à remédier à cette situation en donnant un nouvel essor à l'aide à
l'accès au droit, tout en encourageant, parallèlement, le règlement amiable des
litiges.
La nécessité et la volonté de développer l'accès au droit, affirmées dans la
loi relative à la prévention et à la lutte contre l'exclusion, trouvent leur
prolongement dans ce texte.
L'accès au droit, désormais reconnu comme un élément fondamental de la
citoyenneté, nécessite un panel de mesures destinées aux publics qui sont le
plus en difficulté, leur ignorance même du droit contribuant à leur
exclusion.
Nul ne peut contester, pas plus aujourd'hui qu'hier, qu'un nombre sans cesse
croissant de nos concitoyens se trouvent démunis face à la justice.
Quand la baisse du pouvoir d'achat, la précarisation du travail, le chômage
gagnent du terrain, comment s'étonner qu'une partie de la population soit mise
dans l'impossibilité d'accéder à l'usage du droit, pourtant véritable nécessité
sociale ?
Paradoxalement, dans le même temps, les décisions de justice sont de plus en
plus le reflet des inégalités sociales. C'est notamment le cas des expulsions,
des saisies mobilières ou immobilières, des injonctions de payer, des
liquidations de biens. Les contentieux s'accroissent donc considérablement.
Un véritable accès au droit pour tous est, par conséquent, une exigence
démocratique à laquelle il nous faut répondre.
La généralisation des conseils départementaux d'aide juridique et le
développement des maisons de justice et du droit, tels qu'ils sont prévus par
le présent projet de loi, devraient nous y aider.
Alors que n'ont été créés à ce jour que vingt-huit conseils départementaux,
l'article 9 du texte prévoit, à juste titre, de simplifier les modalités de
création et de fonctionnement desdits conseils.
Outre le changement de leur dénomination, qui permettra désormais de mieux
refléter leurs missions, il est proposé de réduire le nombre des membres
fondateurs aux partenaires incontournables et de rendre obligatoire la présence
d'une association oeuvrant dans le domaine de l'accès au droit.
Par ailleurs, une mission nouvelle de développement des modes alternatifs de
règlement des conflits est assignée à ces conseils.
Toujours dans la logique de la promotion de l'aide à l'accès au droit, vous
proposez, madame la garde des sceaux, de donner un cadre légal aux maisons de
justice et du droit en les intégrant dans le code de l'organisation
judiciaire.
Cependant, nous regrettons d'avoir à légiférer en la matière sans connaître
précisément les modalités de création et de fonctionnement de ces maisons de
justice.
Celles-ci ont, d'une part, l'avantage certain de la proximité, car elles sont
implantées au plus près du justiciable, au coeur même des quartiers, et,
d'autre part, celui de la gratuité, en ce qu'elles proposent des consultations
juridiques gratuites.
Elles sont aussi un lieu de médiation, répondant à la demande d'une justice
rapide, plus accessible, plus proche.
La médiation permet en effet de confronter rapidement les auteurs de petits
délits à la justice, combattant par là même le sentiment d'impunité, notamment
chez les mineurs.
Toutefois, il ne faudrait pas - et nous savons combien la tentation peut être
grande - que ces lieux, principalement financés par les collectivités locales,
se multiplient et fonctionnent comme des substituts aux tribunaux engorgés,
voire qu'ils deviennent des « tribunaux du pauvre ».
La médiation confiée à des non-magistrats ne saurait être utilisée à outrance
dans le but de remédier, à moindre coût, au manque de moyens et de personnels
et à l'augmentation des contentieux, au risque d'aggraver le sentiment d'une
justice à deux vitesses.
La question cruciale en la matière réside donc dans le financement de l'aide à
l'accès au droit.
C'est déjà ce volet qui faisait défaut dans la loi de 1991, ce qui a empêché
le développement de l'accès effectif au droit, voire contribué à renforcer les
inégalités.
Pour mémoire, je rappelle que mon groupe, par la voix de mon ami Robert Pagès,
s'était abstenu lors du vote de la loi de 1991, dénonçant « l'insuffisance des
mesures d'accompagnement financières, en dehors de celles qui consistent à
s'appuyer davantage sur les collectivités locales ».
Ainsi, selon les choix financiers faits par les villes, la réalité de l'aide à
l'accès au droit diffère d'un département à l'autre ; c'est bien évidemment
contraire au principe, qui a valeur constitutionnelle, d'égalité des citoyens
face à la justice, quels que soient le lieu d'habitation et les moyens de
chacun.
La seule façon de garantir l'application effective de ce principe est de
prévoir expressément le financement par l'Etat de l'aide à l'accès au droit. On
va me reprocher de demander encore un effort à l'Etat, mais j'y reviendrai lors
de la discussion des articles.
Le projet de loi vise, par ailleurs, à améliorer et à élargir l'aide
juridictionnelle ainsi que le règlement amiable des litiges.
Désormais, le bénéfice de l'aide juridictionnelle sera étendu aux personnes
qui souhaitent recourir à un avocat au lieu d'engager un procès.
Il s'agit d'un concept innovant, auquel nous souscrivons. En effet, élargir le
champ d'application de l'aide juridique est une chose, éviter l'écueil de
l'inflation du contentieux et de l'encombrement des juridictions en est une
autre.
C'est pourquoi tout ce qui peut favoriser la conciliation et la médiation,
afin d'éviter toutes sortes de dépenses, de démarches et de procès, est
bienvenu, à condition, je le répète, d'avoir l'assurance que cette forme de
règlement n'équivaudra pas à une justice au rabais, offrant des garanties
moindres au justiciable.
Je voudrais souligner ici la faiblesse des plafonds de ressources, qui écarte
du bénéfice de l'aide juridictionnelle un pourcentage important de la
population. Pour tenter d'améliorer cette situation, nous avons déposé un
amendement tendant à relever ces plafonds, tout en faisant expressément
référence au SMIC. Là aussi, on m'a fait remarquer que cela finissait par
coûter cher !
Le présent texte prévoit également, dans le souci du respect de la défense, de
favoriser l'intervention de l'avocat au cours de la médiation pénale en
permettant aux personnes dont les ressources sont insuffisantes d'obtenir une
aide financière de l'Etat.
Nous approuvons cette disposition, mais nous aurions souhaité connaître, là
encore, le contenu du décret à venir déterminant les modalités de son
financement.
« Le projet de loi comporte par ailleurs plusieurs dispositins destinées à
assurer une meilleure maîtrise des dépenses d'aide juridicionnelle », note M.
Dejoie dans son rapport.
Il y a, à mes yeux, quelque contradiction à vouloir développer l'accès au
droit tout en souhaitant faire des économies !
Aider les personnes les plus démunies à avoir accès au droit a un coût ; il
convient d'y consacrer les moyens
ad hoc,
faute de quoi cette réforme
risque fort de connaître le même sort que la précédente.
Il est enfin prévu par le texte de simplifier le fonctionnement des bureaux
d'aide juridictionnelle, « afin de leur permettre de faire face plus rapidement
et plus efficacement à l'afflux des demandes ».
Or accorder ou non l'aide juridictionnelle, laquelle touche essentiellement
des personnes en difficulté, est une décision importante. Il conviendrait, en
conséquence, de veiller à ne pas confondre vitesse et précipitation en ce
domaine.
Madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen se prononcent en faveur de ce projet de loi, dont ils
mesurent l'importance en termes de lutte contre l'exclusion, de reconnaissance
des droits de tout un chacun et de possibilité de les exercer quelles que
soient ses ressources.
Toutefois, pour que ce grand projet ait sa pleine efficacité, il convient de
dégager des moyens supplémentaires. Nous savons pouvoir compter pour cela,
madame la garde des sceaux, sur un budget de la justice ambitieux pour 1999.
Nous ferons, par ailleurs, au cours de la discussion des articles, différentes
propositions, même si elles ont toutes été rejetées par la commission des lois,
pour tenter d'améliorer encore le dispositif proposé.
(Applaudissements sur
plusieurs travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le
projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui répond au double souci de
poursuivre la réforme en profondeur de notre justice et de lutter contre les
exclusions, tant il est vrai que l'exclusion ne se réduit pas à de seules
considérations matérielles.
Pour comprendre l'ambition de ce texte, il convient non pas de l'étudier
isolément, mais de le replacer dans une « architecture » d'ensemble visant à
rapprocher la justice du citoyen.
Il est également nécessaire de l'examiner au regard de l'augmentation
importante de votre budget, madame la ministre, qui dégage, depuis cette année,
les moyens indispensables, tant matériels qu'humains, pour inscrire les
réformes législatives dans la réalité.
Ces réformes tendent à améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien,
à rendre celle-ci plus proche et plus compréhensible pour nos concitoyens, à
faire en sorte qu'ils puissent se l'approprier.
En effet, le besoin de connaître ses droits va grandissant. Il suffit de lire
n'importe quelle gazette, quotidien ou périodique pour constater qu'une
rubrique juridique est désormais proposée aux lecteurs. Cependant, ces
rubriques s'adressent à une clientèle précise, et portent donc sur des centres
d'intérêt particuliers, tels que le droit successoral, le droit du travail,
celui de la famille ou de la consommation. Cette vulgarisation de la loi est
certes utile, mais elle ne touche pas les personnes les plus démunies, pour qui
l'achat d'un journal est un luxe interdit et dont les préoccupations sont en
outre, hélas ! totalement différentes.
Permettre à chacun, tout particulièrement aux plus défavorisés, d'accéder au
droit répond donc à un souci d'inscrire l'égalité républicaine dans les
faits.
Si le besoin de connaître ses droits va grandissant, il en est de même pour le
besoin de justice. Sans tomber dans les excès américains du procès à tout-va,
ce point est à prendre en compte, parce qu'il témoigne des maux d'une société,
mais aussi de l'énergie que celle-ci déploie pour y remédier. Demander justice
ou se défendre, c'est affirmer sa place en tant que citoyen.
Dans le même temps, la critique envers la justice reste sévère. Lenteur de la
procédure, tribunaux engorgés, coûts importants, sentiment d'être confronté à
une justice à plusieurs vitesses et manque d'écoute : le justiciable, dès le
départ, ne fait pas confiance à la société et à sa justice pour régler ses
problèmes. Ce constat est terrible. Ne pas tenter de remédier à cette situation
porterait atteinte aux fondements mêmes de notre société républicaine.
Le projet de loi dont nous allons discuter aujourd'hui comporte plusieurs
volets complémentaires tendant à mettre en oeuvre une politique publique
renouvelée, garantissant à tous l'accès au droit et favorisant la résolution
amiable des litiges.
En effet, l'accès au droit est l'un des fondements de notre démocratie. C'est
ce qu'a réaffirmé récemment la loi de lutte contre les exclusions défendue avec
beaucoup de conviction par Mme Aubry. L'article 1er de cette loi prévoit que
tout un chacun, dans une égale dignité, doit avoir accès à ses droits
fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la santé, de la
culture et de la justice. A cet égard, nous ne devons pas oublier que l'exclu
l'est doublement : de la connaissance de ses droits d'abord, des moyens qui lui
permettent de les exercer ensuite.
Remédier à cette double exclusion est la mission que la loi de 1991 a dévolue
aux conseils départementaux d'aide juridique. Malheureusement, force est de
constater que, sept ans après leur institutionnalisation, un tiers seulement
des départements ont mis en place cette instance, et ce, comme vous l'avez
rappelé, madame la ministre, parfois très récemment. Les crédits prévus n'ont
d'ailleurs pas toujours été consommés, et nous avons bien noté votre engagement
s'agissant de l'augmentation à venir des crédits.
L'action de ces conseils départementaux, très variée et très variable selon
l'énergie et les moyens qui lui ont été consacrés, a surtout été orientée en
direction de l'information du public et de l'organisation de consultations
juridiques.
Il est vrai que l'intervention de professionnels de la justice ne permet pas
seulement de traiter des cas bien circonscrits. Elle permet auissi de donner
une dimension juridique à des situations complexes et d'en faire prendre
conscience aux personnes concernées. Je pense par exemple aux femmes battues,
qui, paradoxalement, se sentent coupables alors qu'elles sont victimes et
ignorent qu'elles ont des droits. Je pense également aux personnes qui ont «
basculé » à la suite d'un « accident de vie » et qui ont abandonné, en même
temps que leur dignité, l'idée de se battre et d'obtenir réparation.
Tout comme elles en viennent à oublier leur corps au point de ne plus se
soigner parce qu'on ne les regarde plus, les personnes exclues perdent la
conscience de leurs droits parce qu'on ne les écoute plus. C'est pourquoi
j'approuve totalement, madame la ministre, votre volonté de réaffirmer, dans la
lettre de la loi, que les actions d'aide au droit doivent être « adaptées aux
besoins des personnes en grande précarité ».
La commission des lois du Sénat a voulu y voir une précision inutile, relevant
davantage de l'exposé des motifs. Je comprends le souci du législateur, mais je
ne souscris pas à cette analyse. Je pense, pour ma part, que dans un texte
comme celui-ci, qui traite justement de l'accès au droit, notamment pour les
plus démunis, il est bon de dire précisément les choses, de les rendre lisibles
et compréhensibles. En effet, la loi est perçue par nombre de nos concitoyens
comme trop technique, voire abstraite. Comment, dans ces conditions,
pourraient-ils se l'approprier ? C'est là, pensent-ils, affaire des seuls
professionnels. Ils m'apparaît donc souhaitable que les principes qui inspirent
cette loi y soient littéralement inscrits.
Par ailleurs, le statut de groupement d'intérêt public pour les conseils
départementaux n'est pas remis en cause, mais chacun sait que la mise en place
de tels groupements est difficile et lourde. Aussi, conformément aux
propositions approuvées par le Conseil national de l'aide juridique et aux
conclusions du rapport de M. Coulon, des mesures sont-elles prévues. Il s'agit
de faciliter la création des conseils départementaux par un allégement du
collège des fondateurs et d'assouplir les mécanismes de décision en lui
conférant davantage de rapidité et de dynamisme.
La commission des lois du Sénat, tout en constatant qu'il y a bien carence en
matière de création des conseils départementaux, ne souhaite pas revenir sur la
composition de ceux-ci. Elle accepte qu'ils comptent en leur sein une
association oeuvrant dans le domaine de l'accès au droit et elle ajoute à la
liste un représentant de l'association départementale des maires. Nul doute
qu'elle ne prenne ainsi le risque d'aller à l'encontre de sa propre volonté
affichée de voir se développer rapidement les conseils départementaux sur
l'ensemble de notre territoire. Nous ne pouvons la suivre sur ce point.
En outre, le projet de loi confie aux conseils départementaux une nouvelle
mission relative à la résolution amiable des litiges, que le Gouvernement
entend largement promouvoir. Vous marquez ainsi, madame la ministre, votre
volonté de lier à l'accès de tous au droit, principe démocratique fondamental,
une conception renouvelée de la justice, laquelle ne passerait pas
nécessairement par la judiciarisation.
En toute logique, vous proposez donc que cette dimension apparaisse clairement
dans la dénomination du conseil, qui deviendrait le « conseil départemental de
l'accès au droit et de la résolution amiable des litiges ». Certes, ce titre
est un peu long, chacun en conviendra, mais faut-il pour autant, comme le
souhaite M. le rapporteur, supprimer totalement cet ajout et parler uniquement
d'un « conseil départemental de l'accès au droit » ? Je ne le crois pas.
D'ailleurs, le motif invoqué pour demander le retrait du second membre du
titre serait que le conseil départemental n'est pas le seul lieu où l'on
pourrait effectivement obtenir une résolution amiable des litiges. Mais, en ce
cas, il faudrait aussi supprimer du titre l'expression « accès au droit »,
puisque, et je l'espère, on accède au droit dans ce pays non pas exclusivement
par le biais du conseil départemental, mais également dans d'autres lieux,
nombreux, auxquels nos concitoyens peuvent s'adresser.
En aval de la prise de conscience des droits dont nous sommes tous, à égalité,
possesseurs, il faut que ceux-ci puissent être mis en oeuvre au travers de
l'ensemble des modes de résolution des conflits actuellement offerts. C'est ce
que prévoit le présent projet de loi en développant l'aide juridictionnelle
pour les plus démunis de nos concitoyens et en étendant ce dispositif aux
procédures amiables. La réforme voulue par M. Henri Nallet a été couronnée de
succès.
A cet égard, les chiffres sont connus, et ils ont été rappelés : le nombre des
bénéficiaires de l'aide juridictionnelle est passé de 400 000 en 1992 à plus de
700 000 en 1997, soit une progression de plus de 80 % en cinq ans, qui se
poursuit à un rythme de 7 % par an actuellement. Il est intéressant de
constater que les femmes et les demandeurs d'emploi sont les principaux
bénéficiaires de cette aide. Le coût de la mise en oeuvre de cette mesure, qui
est juste, a été multiplié par trois, passant de 400 millions de francs en 1991
à 1,2 milliard de francs l'année dernière.
Sept ans après cette réforme, le bilan est donc positif. Mais l'augmentation
très forte du nombre des demandes a provoqué un encombrement des bureaux d'aide
juridictionnelle et une hausse importante de leurs budgets. Les mesures que
vous proposez vont dans le bon sens, madame la ministre. En effet, elles visent
à élargir les pouvoirs du président et du vice-président, afin de permettre de
meilleures conditions de fonctionnement en matière d'attribution de l'aide
juridictionnelle. Elles visent à contenir les dérives financières et à
moraliser la perception de l'aide juridictionnelle, en facilitant les
procédures de retrait et de remboursement de l'aide et en invitant l'avocat à
ne pas percevoir la part contributive de l'Etat en cas de condamnation de la
partie adverse au paiement d'une indemnité.
Pour significatives et concrètes que soient ces dispositions, elles ne
constituent pas l'essentiel du projet de loi. En effet, la mesure la plus
importante et la plus innovante est l'extension du bénéfice de l'aide
financière de l'Etat à la transaction avant procès et à la médiation pénale.
Il s'agit ainsi de promouvoir d'autres modes de règlement des conflits :
c'est, en quelque sorte - et vous l'avez noté, madame la garde des sceaux - une
révolution culturelle tant la tradition française est éloignée de cette
approche. Déjà, au XVIIe siècle, Racine fustigeait, dans
Les Plaideurs,
une comédie dont l'un des protagonistes se nomme justement Chicaneau, les
procéduriers excessifs et parfois abusifs. Il s'agissait, certes, d'une
caricature, mais qui peut expliquer, encore aujourd'hui, le sentiment de nos
concitoyens qu'il ne saurait y avoir de bonne justice sans jugement et donc
sans intervention d'un juge.
C'est cette tendance qu'il nous faut aujourd'hui renverser pour garantir plus
d'efficacité et pour apporter des réponses modernes à des problèmes nouveaux.
Le dialogue, la recherche de l'accord, l'écoute entre justiciables participent
d'une conception presque éthique de la justice. Les citoyens sont invités à se
responsabiliser : cette procédure permet de faire déboucher des conflits qui
auraient pu être longs et stériles sur une issue acceptable pour les deux
parties.
On recourt également de plus en plus, depuis son instauration en 1994, à la
médiation pénale. Dans ce cas, la résolution du conflit vient d'une réponse
judiciaire sans que, pour autant, une poursuite soit engagée. Le développement
de la médiation pénale, notamment dans les cas de petite délinquance, participe
d'une politique de la ville moins répressive et plus pédagogique. Elle redonne
à la justice toute son utilité sociale en encourageant la réparation effective
du préjudice causé à la victime. Elle lève également l'impression, trop souvent
exprimée par nos concitoyens, d'une impunité pour les coupables de ces petits
délits qui, disons le mot, « gâchent » la vie dans les quartiers.
La promotion de ces modes de règlement des conflits doit passer - c'est là un
souci du gouvernement auquel vous appartenez, madame la garde des sceaux - par
l'extension à ces procédures du bénéfice de l'aide financière de l'Etat.
Aujourd'hui, la transaction avant saisine d'une juridiction n'est possible
qu'avec l'aide d'un avocat : ceux qui ont des ressources suffisantes peuvent
donc négocier et transiger. Mais qu'en est-il des personnes à faibles revenus ?
Leur avocat, qui intervient au titre de l'aide juridictionnelle, ne sera
rémunéré qu'en engageant un procès devant une juridiction. Alors que le litige
pourrait être réglé plus ou moins facilement mais plus rapidement par une
transaction à l'amiable, la procédure juridictionnelle est engagée de façon
systématique.
Aux termes de l'article 1er du présent projet de loi, l'avocat sera rétribué
en cas de réussite de la transaction au même titre que s'il avait mené
l'affaire devant un tribunal. En cas d'échec, sa rétribution s'imputera sur
celle qui sera due pour l'instance engagée par la suite.
De même, l'aide juridictionnelle en matière pénale ne peut actuellement jouer
que si des poursuites sont engagées devant une juridiction. L'article 14
institue donc une aide à l'intervention de l'avocat en matière de médiation
pénale.
Cette aide, dont le montant sera fixé par décret en Conseil d'Etat, profitera
et à la victime et à la défense. Je ne peux, ici, qu'approuver la proposition
de la commission des lois du Sénat, qui vise à étendre cette disposition à la
procédure de réparation spécifique aux mineurs. Il s'agit, en effet, d'une
procédure très proche de la médiation pénale et il serait juste que les mineurs
puissent, dans ce cadre, bénéficier des mêmes garanties de défense que leurs
aînés.
Par ailleurs, je souhaite que les procédures devant le tribunal départemental
des pensions et la cour régionale des pensions restent gratuites pour tous les
justiciables envers qui la nation a contracté une dette. Mais je conçois qu'il
n'est pas totalement juste que l'expression de cette solidarité nationale soit
à la charge exclusive des avocats. J'espère donc que nous pourrons trouver une
solution.
Enfin, le dernier volet de la présente réforme concerne les maisons de la
justice et du droit. Elles ont été mises en place ici ou là, souvent grâce à la
détermination des élus, dans des villes ou des quartiers en difficulté. Ces
expérimentations ont donné des résultats très satisfaisants.
Ces structures offrent en effet un cadre privilégié pour mettre en oeuvre des
mesures alternatives aux poursuites pénales, comme la médiation pénale, la
réparation pour les mineurs, le rappel à la loi, le classement sous conditions.
Elles jouent aussi un rôle important dans la mise en oeuvre de l'aide à l'accès
au droit, notamment grâce aux permanences tenues par des travailleurs sociaux,
des avocats, des associations d'aide aux victimes ou des associations
d'information sur les droits, comme les centres d'information sur les droits
des femmes. Elles assurent ainsi un lien entre le monde judiciaire et les
quartiers difficiles, dans lesquels elles réalisent concrètement un ancrage du
service public de la justice.
Il est toutefois nécessaire de donner à cet outil, qui a prouvé à maintes
reprises son efficacité, un cadre juridique clairement défini, faute de quoi on
risquerait de voir se développer toute une série d'initiatives qui n'auraient
de maison de la justice et du droit que le nom.
Certes, le projet de loi renvoie au Conseil d'Etat le soin de définir les
modalités de création et de fonctionnement des maisons de la justice et du
droit. On peut le regretter. Mais on ne peut être que satisfait de leur
reconnaissance pleine et entière par la loi. Cette institutionnalisation sera
la garantie d'une bonne justice au quotidien, d'un accès au droit pour tous, en
particulier pour les personnes les plus démunies. Elle encouragera également la
résolution extrajudiciaire des conflits.
En conclusion, madame la ministre, nous apprécions très positivement votre
détermination, votre volonté de faire de la justice au quotidien votre première
priorité.
Une société plus juste, qui garantit à tous l'accès au droit et à la justice,
une société pacifiée, qui donne au dialogue et à la conciliation leur
importance presque éthique, c'est le premier objet du présent projet de loi.
C'est pourquoi le groupe socialiste approuvera ce texte.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le
présent projet de loi est important puisqu'il compte dix-neuf articles. Il
comporte trois volets.
Le premier vise à améliorer le dispositif de l'aide juridictionnelle, en
l'étendant, notamment, à la médiation pénale et, en matière civile, aux
transactions intervenant avant toute saisine d'une juridiction. Ces
dispositions s'inscrivent dans le droit-fil de la législation en vigueur depuis
plusieurs années et que l'on améliore au fil des ans pour permettre une
résolution non juridictionnelle des conflits. Il était nécessaire d'adapter le
dispositif de l'aide juridictionnelle. Aussi est-il tout à fait normal que de
telles dispositions soient incluses dans le projet de loi qui nous est
soumis.
Comme l'a dit Mme Derycke, nos concitoyens aiment bien faire des procès. On le
constate quotidiennement. Devant un litige de voisinage, il n'est parfois pas
facile de trouver une solution transactionnelle, car, derrière le litige, il y
a mésentente entre les parties, et c'est pourquoi elles souhaitent saisir la
justice.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Les servitudes de passage, c'est ce qu'il y a de pire !
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement !
Quand on est maire d'un village, ce qui est très intéressant, force est de
constater qu'il est très difficile de trouver des solutions de transaction, par
exemple en invitant les personnes concernées à rencontrer un conciliateur. En
effet, les protagonistes veulent aller jusqu'au procès, pour lequel ils
demandent d'ailleurs l'aide juridictionnelle.
M. Raymond Courrière.
Il fallait maintenir les juges de paix !
M. Jean-Jacques Hyest.
J'y reviendrai, monsieur Courrière, mais laissez-moi poursuivre mon propos.
Par ailleurs, comme l'a noté le président Jacques Larché, nombre de procès
n'ont pas de véritable fondement. C'est d'ailleurs tout le problème du sérieux
de la contestation qui se pose aux bureaux d'aide juridictionnelle et aux
juridictions. La plupart du temps, celles-ci n'osent pas dire qu'il n'y avait
pas lieu d'engager un procès. Les procéduriers abusifs devraient être
sanctionnés. Selon moi, on ne le fait pas assez. Or, ce serait parfois utile.
Chacun connaît des personnes dont la principale occupation consiste à faire des
procès. A cet égard, le dispositif qui nous est proposé améliore la
situation.
Le deuxième volet du projet de loi concerne l'aide à l'accès au droit.
Je voudrais dissiper une confusion. Certes, le droit a une place de plus en
plus importante dans notre société. D'ailleurs, certains bons esprits
considèrent que, aujourd'hui, au-delà de l'instruction et de l'éducation
civiques, il faudrait, donner une certaine formation juridique dans les écoles
et les lycées. Il est tout de même paradoxal que de nombreuses informations
soient données sur des multitudes de sujets et qu'il n'en aille pas de même
pour le droit, qui est nécessaire à la vie et qui concerne tout le monde.
M. Guy Allouche.
A la base !
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement !
De nombreux organismes s'efforcent de permette l'accès au droit.
Il en est ainsi en matière de logement. Il existe - hélas ! pas dans tous les
départements - des associations départementales d'information sur les
logements, les ADIL, au sein desquelles des personnes compétentes peuvent
renseigner à la fois les locataires et les accédants à la propriété. Bien
souvent, quand ils survient des catastrophes, notamment en matière de
surendettement, c'est parce que les personnes concernées ne sont pas allé voir
préalablement ceux qui étaient capables de les informer. Je le constate
régulièrement, si les personnes avaient pris la peine de se renseigner auprès
d'une ADIL, elles ne se seraient pas retrouvées devant le juge ; encore qu'en
matière de surendettement on s'efforce d'éviter la procédure contentieuse.
Il en va de même pour le droit de la consommation. Dans tous les départements,
il est possible de se renseigner, d'obtenir des avis juridiques émanant de
personnes compétentes. Il en va aussi de même dans le domaine de l'assurance et
du crédit.
Mais on ne recourt pas assez aux possibilités qui existent. D'ailleurs, on le
constate en ce qui concerne l'aide à l'accès au droit. En effet, depuis 1991,
seulement vingt-huit départements ont mis en place un conseil départemental de
l'aide juridique. La lourdeur du GIP, le groupement d'intérêt public, n'a
peut-être pas incité à la mise en place de ce dispositif. Au-delà de cet
aspect, il faut noter la difficulté de rendre effectif l'accès au droit.
Dans une maison de la justice et du droit, se côtoient des travailleurs
sociaux et des personnes compétentes en matière de droit. Il est impératif que
ceux qui donnent des conseils juridiques soient des personnes qualifiées en ce
domaine. Au cours du long débat sur l'exercice des professions judiciaires que
nous avons eu dans cette enceinte, et dont chacun se souvient, nous avions
d'ailleurs veiller à le souligner. Rien n'est plus dangereux, notamment pour
les personnes les plus démunies, que de se confier à n'importe quelle bonne
volonté qui n'a pas de qualification juridique.
En fait, les travailleurs sociaux permettent non pas l'accès au droit, mais
l'accès aux droits. « Accès aux droits », cela signifie : « A quoi avez-vous
droit ? » Bien souvent, les personnes les plus démunies ne savent pas à quoi
elles ont droit, notamment en matière de prestations sociales. On le constate
quotidiennement. L'accès au droit, c'est tout de même autre chose. Il ne
faudrait pas que s'établisse une confusion.
S'agissant du troisième volet, le projet de loi va dans le bon sens. Il vise à
améliorer un certain nombre de possibilités, notamment pour les personnes les
plus démunies. Récemment, nous avons voté une loi relative à la lutte contre
les exclusions. L'exclusion, c'est aussi l'exclusion du droit. Il est donc
souhaitable d'offrir des possibilités nouvelles à cet égard.
Le dernier point, celui qui me gêne le plus, concerne les maisons de la
justice et du droit. Je suis favorable à la résolution amiable des conflits.
Cependant, les maisons de la justice et du droit ne doivent pas devenir des
supermarchés du droit. D'une part, nous ne connaissons pas très bien leur
mission. D'autre part, la justice doit garder une certaine solennité. Il ne
faudrait pas que la justice soit à deux vitesses : une justice que l'on rend
dans les quartiers et une justice solennelle qui serait rendue dans les palais
de justice. Tout le monde a droit à la solennité de la justice. Nous devons
être très vigilants. Nos concitoyens sont eux aussi et à juste titre attachés à
ce que la justice soit rendue d'une manière solennelle. Il ne faut pas
banaliser l'acte de justice.
Les dispositions proposées comportent des aspects positifs. Pour un certain
nombre de litiges, on peut recourir aux maisons de la justice et du droit, qui
sont des maisons de proximité.
Toutefois, comme l'a dit l'un d'entre nous, en fin de compte on réinvente ce
qui a été supprimé voilà quelques décennies : les juges de paix.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur plusieurs travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'an dernier,
dans mon rapport, au nom de la commission des finances, sur les crédits du
ministère de la justice, j'abordais la question de l'Etat de droit et
j'insistais sur la nécessité de mettre en place un dispositif de résolution
amiable des conflits. Dans une approche visant à une meilleure utilisation des
crédits des services judiciaires, je rappelais qu'aucune réforme de
l'institution judiciaire ne pourrait échapper à la question fondamentale de la
redéfinition des missions de la justice, car la judiciarisation croissante des
questions de société conduit la justice à élargir à l'infini le champ de ses
interventions.
J'insistais aussi sur le fait que l'accès au droit ne signifie pas
nécessairement - et heureusement - accès à la justice ; c'est d'ailleurs ce qui
est indiqué largement dans le présent projet de loi. Au contraire, le recours
au juge dans certaines affaires doit être subsidiaire, lorsque toutes les
autres voies de médiation et de conciliation ont été épuisées, et doit servir
uniquement à trancher un conflit en disant le droit. Parallèlement, il faut
mieux informer nos concitoyens de leurs droits et de leurs devoirs, et
permettre aux plus défavorisés d'avoir accès au droit.
J'insistais aussi sur le fait qu'il fallait encourager le développement des
modes alternatifs de résolution des conflits. Je regrettais par ailleurs que
l'aide juridictionnelle, comme M. le rapporteur l'a d'ailleurs fort bien dit,
absorbe la quasi-totalité des crédits mis à sa disposition, au détriment de
l'aide à l'accès au droit, qui devait être encouragée davantage.
Votre projet de loi, madame la ministre, répond à ces préoccupations.
L'ambition affichée est bien de « mettre en oeuvre une véritable politique
publique d'accès au droit et de résolution amiable des conflits, avant même la
saisine du juge et en alternative au procès », selon vos propres propos.
Le bilan de l'aide juridictionnelle n'est pas satisfaisant, ainsi que l'a
indiqué M. le rapporteur. L'an dernier, je le soulignais également, considérant
que la montée en puissance des crédits de l'aide juridictionnelle était devenue
tout à fait inquiétante et que cette évolution avait entraîné une véritable
explosion des dépenses d'aide juridictionnelle, ces dernières étant passées de
1 401 millions de francs en 1991 à 1 209 millions de francs en 1997, soit tout
de même une augmentation de 201 %.
Notons que le projet de loi de finances pour 1999, que j'examine actuellement,
prévoit une dotation budgétaire de 1 443 millions de francs contre 1 228
millions de francs en 1998, soit une progression de 17,5 % par an.
Vous soulignez fort justement, monsieur le rapporteur, que le bilan des trois
premières années d'application de la loi de 1991 réalisé par l'inspection
générale des services judiciaires en 1995 a fait ressortir une amélioration de
l'accès des plus démunis aux juridictions par rapport au régime antérieur de
l'aide judiciaire. Il a également fait apparaître la nécessité de parvenir à
une meilleure maîtrise des dépenses des juridictions et à une meilleure
organisation des bureaux d'aide juridictionnelle pour faire face à l'afflux de
demandes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et alors ?
M. Hubert Haenel.
Fort justement, le texte qui nous est soumis prend en compte ces difficultés
pour y remédier.
Rappelons aussi que diverses propositions ont été faites en vue d'améliorer le
fonctionnement du régime de l'aide juridictionnelle.
La mission sénatoriale d'information Jolibois-Fauchon sur les moyens de la
justice a suggéré que soit améliorée l'information des justiciables
bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, notamment sur les conséquences d'un
rejet de leur demande, et que soit assuré un meilleur contrôle des demandes
d'aide juridictionnelle afin d'éviter les abus. Elle a aussi proposé la
généralisation et la valorisation des tentatives de conciliation au civil comme
au pénal.
Les dispositions de ce projet de loi s'inscrivent dans le prolongement direct
tant de ces propositions - nous devons le souligner - que de celles qui ont été
formulées par M. Jean-Marie Coulon, président du tribunal de grande instance de
Paris, dans son rapport sur la procédure civile remis au garde des sceaux en
octobre 1995.
Les aménagements prévus par le projet de loi ont trois objectifs : le
développement du recours au mode amiable de règlement des conflits, une
meilleure maîtrise des dépenses d'aide juridictionnelle et une simplification
du fonctionnement des bureaux d'aide judiciaire.
Mais, avant d'aborder le fond du projet de loi, madame la ministre, permettez
au rapporteur spécial des crédits de la justice que je suis de vous poser une
question relative à la fiche d'impact budgétaire réalisée par vos services,
fiche dont les conclusions me paraissent presque trop précises, et en tout cas
un peu trop optimistes. Pourriez-vous nous indiquer comment procèdent les
services de la chancellerie pour établir une telle fiche ? Certes, nous
pourrons revenir sur ce point lors de l'examen des crédits de la justice. Mais
je me permets de vous demander dès à présent si l'avis de certaines
juridictions types sur l'application de ce texte - entraînera-t-elle une
surcharge de travail ou, au contraire, dégagera-t-elle des plages de travail ?
- a été sollicité. Les différentes directions concernées se concertent-elles
sur ce point ?
Je proposerai d'ailleurs à la commission des finances, à l'occasion, la
vérification des procédures d'études d'impact. En effet, quand une réforme a
des conséquences sur le fonctionnement de la justice, sur l'utilisation des
crédits tant au niveau matériel qu'au niveau des ressources humaines, il faut y
faire très attention.
Mais revenons-en à la réforme. Moins symbolique que la réforme du Conseil
supérieur de la magistrature ou du parquet, mais touchant de près au
fonctionnement quotidien de la justice, ce projet de loi, élaboré parallèlement
au projet de loi contre l'exclusion présenté par Mme Aubry, vise, selon
l'exposé des motifs, à « assurer le droit au droit pour tous, particulièrement
aux plus démunis », et à permettre que « l'accès au droit ne se transforme pas
mécaniquement en accès à la justice ».
La distinction opérée entre l'accès au droit et l'accès à la justice constitue
incontestablement la clé de voûte du texte. Ce dernier vise, dans un contexte
de judiciarisation croissante de la société française au sein de laquelle la
régulation des rapports sociaux tend à se décliner sur le mode juridique, à
privilégier dans tous les cas ou presque le règlement amiable des conflits.
Ce texte est au moins aussi important - sinon plus - dans sa portée que
d'autres textes sur lesquels on s'attarde trop souvent. Il s'agit de la justice
et du droit de tous les jours et de tout le monde.
Le texte, face à l'engorgement des tribunaux et à la lenteur de la justice
dénoncée par la Cour de justice européenne, privilégie la médiation avant la
saisine de la justice.
J'en viens au deuxième grand axe du projet de loi : ce dernier a été voulu
pour aider les plus défavorisés de nos concitoyens. Il vise en priorité à
régler les situations de grande précarité, ce qui est fondamental et vital.
Telle est l'ambition du texte, mais aussi l'une de ses faiblesses. En effet,
si ce projet de loi complète le service public de la justice, impulsé largement
par la loi du 10 juillet 1991, il n'a pas l'ambition de créer une sécurité
sociale judiciaire et exclut pas moins de 13 millions de foyers fiscaux. Ainsi,
la volonté du projet de loi de revisiter, de réaffirmer et d'actualiser le
principe d'égalité, pierre angulaire des principes républicains ne va pas
toujours jusqu'au bout de sa logique.
Dans la conception d'une justice négociée que consacre le projet de loi, le
rôle de l'avocat devient central. Ainsi son intervention en dehors de tout
procès sera-t-elle rémunérée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
C'est une avancée non négligeable qui a le mérite d'associer et d'impliquer de
manière beaucoup plus étroite les avocats dans les modes alternatifs de
règlement des conflits, objectif nettement déclaré du texte.
Enfin, ce projet de loi vise au développement d'une culture de compromis. En
aucun cas l'aide juridictionnelle à la tentative de règlement amiable ne
recouvre une dimension de « justice au rabais » destinée aux plus démunis. Ce
texte s'inscrit dans une logique d'apaisement social à l'heure où la société
française entre dans une tendance lourde de judiciarisation.
Si l'aide juridictionnelle a été une avancée incontestable dans l'accès à la
justice, elle présente cependant des limites.
L'aide juridictionnelle, instituée par la loi du 10 juillet 1991 et succédant
à l'aide judiciaire, instaurée par la loi du 3 juillet 1972, a consacré une
avancée décisive en termes de mise en oeuvre du principe d'égalité, ce que
n'avait pas manqué de souligner à l'époque M. Luc Dejoie, alors rapporteur de
la commission des lois.
En effet, lors de la promulgation de la loi du 10 juillet 1991, la France
accusait un retard très net sur ses principaux partenaires en termes d'aide
juridictionnelle : selon la commission Bouchet, réunie en 1989, la France
consacrait à l'époque 7 francs par habitant à l'aide juridique, contre 98
francs en Grande-Bretagne, 30 francs en Allemagne, 34 francs aux Etats-Unis et
48 francs aux Pays-Bas. De plus, les plafonds d'admission à l'aide judiciaire
totale ou partielle se révélaient être particulièrement insuffisants.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ils le sont toujours !
M. Hubert Haenel.
Le corollaire de la réforme de 1991 a été l'accroissement très sensible des
dépenses de l'Etat en matière d'aide juridictionnelle. On peut mesurer ainsi
une explosion des dépenses, passant de 401 millions de francs en 1991 à 1 209
millions en 1997 ; pour 1999, ces dépenses sont évaluées à plus de 1 400
millions de francs. D'ailleurs, la maîtrise des dépenses en matière d'aide
juridictionnelle constitue l'une des ambitions de ce projet de loi.
Néanmoins, notre collègue Luc Dejoie dénonçait déjà l'exclusion de plus de 13
millions de foyers sociaux de ces mécanismes d'aide. Notons cependant que la
loi de 1991 a permis à 11,8 millions de foyers d'être couverts contre 7
millions auparavant. Ce pas en avant s'est d'ailleurs accompagné d'une hausse
très sensible des demandes d'aides, qui atteignent la barre des 700 000 par an,
plus de 87 % des demandes étant acceptées ; notons également que les mécanismes
de retrait ou de refus de l'aide juridictionnelle présentent une évidente
complexité.
Ce projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des
conflits s'articule autour de trois orientations majeures : une extension du
champ d'application de l'aide juridictionnelle au règlement amiable des
conflits avant la saisine d'une juridiction, un développement de l'aide à
l'accès au droit et une consécration législative tout à fait souhaitable des
maisons du droit et de la justice. Ces dernières sont, à mon avis, plus que de
simples antennes du palais de justice, et elles doivent avoir une mission
pluridisciplinaire. J'ai eu l'occasion de visiter une telle maison dans la
banlieue lyonnaise : cette formule, qui m'a paru très satisfaisante,
mériterait, je crois, d'être largement répandue et pourrait servir de modèle
pour d'autres départements.
Le principal mérite de ce projet de loi est incontestablement d'opérer une
distinction entre l'accès au droit et l'accès à la justice. Si, sur le
principe, nous ne pouvons que manifester notre approbation, nous n'en relevons
pas moins de nombreuses limites, que M. le rapporteur a d'ailleurs déjà
soulignées, considérant que le projet de loi n'est pas toujours à la hauteur
des ambitions affichées : il souffre d'un manque de visibilité, du fait de sa
subdivision en sept textes, ce qui interdit toute vision d'ensemble. Mais il
suffira de faire un peu de pédagogie pour le présenter aux élus locaux et aux
personnes qui s'intéressent à ces domaines.
En outre, la consécration législative des maisons du droit et de la justice
n'est pas accompagnée d'une répartition toujours claire et nette des
compétences avec les conseils départementaux d'accès au droit, mis en place par
la loi de 1991. Par ailleurs, ceux-ci ne se sont pas développés de la manière
souhaitée : en 1997, seulement vingt-huit départements s'étaient dotés d'un
conseil départemental d'accès au droit. De plus, ces conseils gagneraient en
légitimité et en efficacité s'ils associaient d'autres professions
juridiques.
La justice doit pouvoir sortir des palais de justice : la situation de grande
précarité dans laquelle se trouvent nombre de nos concitoyens implique de créer
une justice de très grande proximité. L'ouverture de consultations juridiques
au sein des ANPE et des centres de sécurité sociale serait un moyen efficace de
créer cette proximité.
Nous regrettons, par exemple, que ce texte exclue de l'aide juridictionnelle
une personne gagnant 7 000 francs par mois, qui n'a donc pas forcément les
moyens de se faire assister dans le règlement des conflits. Je pense qu'une
autre étape sera franchie dans quelque temps car, aujourd'hui, lorsque l'on
gagne 7 000 francs, une fois payés les impôts nationaux et locaux,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et les dettes !
M. Hubert Haenel.
... et les dettes - vous avez raison de le souligner, mon cher collègue ! - il
ne reste pas grand-chose pour vivre !
Nous ne pouvons qu'approuver les principales modifications présentées par la
commission des lois, modifications qui visent à remédier à une incohérence du
régime actuel de l'aide juridique concernant le cas particulier des instances
devant les juridictions compétentes en matière de pensions militaires, à
étendre l'aide à l'intervention de l'avocat en matière de médiation pénale
prévue par l'article 14 du projet de loi à la mise en oeuvre par le parquet de
la procédure de réparation spécifique aux mineurs prévue par l'article 12-1 de
l'ordonnance du 2 février 1945, à simplifier la dénomination du nouveau conseil
départemental appelé à se substituer à l'actuel, à élargir la composition de ce
conseil départemental aux représentants de l'ensemble des professions
concernées par l'aide à l'accès au droit, par exemple les notaires ou les
huissiers.
Sous le bénéfice de ces observations, monsieur le président, madame le garde
des sceaux, mes chers collègues, les membres du groupe du Rassemblement pour la
République voteront ce texte ainsi amendé. En effet, sans accès au droit et à
la justice, il n'y a ni véritables droits de l'homme ni Etat de droit.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je tiens à remercier l'ensemble des orateurs d'avoir
apporté leur soutien à ce projet de loi et d'avoir souligné, avec beaucoup
d'intelligence, de finesse et de compétence, combien ce texte est important
dans l'architecture d'ensemble de la réforme de la justice que je conduis au
nom du Gouvernement.
Vous avez, certes avec des nuances mais avec beaucoup de force, souligné les
uns et les autres que ce projet de loi est un texte clé en matière de justice
au quotidien, de justice de proximité. Ce projet est en effet, à mes yeux,
aussi important, voire plus, que certains autres qui ont peut-être fait écrire
davantage mais qui sont sans doute moins immédiatement urgents pour les
justiciables.
Je ne veux pas allonger les débats, mais permettez-moi seulement d'apporter
quelques réponses aux questions précises qui ont été posées au cours de ce
débat.
Ainsi, monsieur le rapporteur, vous avez émis la crainte que la présidence des
conseils départementaux ne soit une charge nouvelle pour les présidents des
tribunaux de grande instance. Or, actuellement, l'article 55 de la loi de 1991
prévoit déjà que le président de tribunal de grande instance préside le conseil
d'administration, qui est, de fait, l'organe clé. Dans ces conditions, je ne
pense pas que le dispositif proposé impose davantage de charges aux intéressés.
Certes, nous suscitons une demande supplémentaire, mais la politique d'ensemble
qui est menée est destinée à permettre à un plus grand nombre de nos
concitoyens d'avoir accès aux conseils juridiques.
Par ailleurs, j'espère que le dispositif des emplois-jeunes pourra être
davantage utilisé par les conseils départementaux d'aide juridique, apportant
ainsi des moyens en personnels non négligeables. Ce dispositif me semble, en
effet, particulièrement adapté à ce type d'activité.
A M. Bret, je voudrais dire que je comprends tout à fait ses interrogations
sur le mode de fonctionnement des maisons de la justice et du droit. Je vais
tenter brièvement - mais nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la
discussion des articles - de lui apporter quelques éclaircissements.
Le décret d'application prévoit que les maisons de justice seront créées sur
la base d'une convention constitutive signée par plusieurs partenaires - chefs
de juridiction, préfets, administrations concernées, associations, maires,
avocats, ainsi que différentes professions - et que l'animation en sera assurée
par un comité de pilotage, l'accueil et le secrétariat étant effectués par des
fonctionnaires de justice. Nous réalisons ainsi un bon mélange entre
l'expertise dont peuvent faire preuve les fonctionnaires et l'apport d'autres
professionnels.
Vous avez manifesté, monsieur le sénateur - comme d'autres après vous - le
souci que les maisons de la justice et du droit ne constituent pas un cadre où
serait rendue une justice au rabais. Or les services traditionnels de la
justice sont loin de se désengager de la justice au quotidien, et les maisons
de la justice et du droit ne sont évidemment pas destinées à délivrer une «
sous-justice ». En favorisant la diversification des lieux de justice grâce aux
juridictions, aux maisons de la justice et du droit et aux antennes de justice,
nous pourrons faire face de façon plus appropriée à la diversité croissante des
besoins et des demandes de justice de nos concitoyens.
A Mme Derycke, je veux dire à quel point j'ai apprécié les développements
qu'elle a spécialement consacrés à la lutte contre l'exclusion et à l'apport de
ce projet de loi en la matière. Vous avez tout à fait eu raison de le
souligner, madame, lorsque nous avons travaillé avec Martine Aubry sur la loi
contre les exclusions, nous y avons inclus un certain nombre de dispositions,
notamment en matière d'expulsions. Nous avons effectivement besoin de
manifester que la lutte contre l'exclusion ne se réduit pas au fait de pouvoir
subvenir aux besoins matériels immédiats, mais que l'accès à la dignité de la
personne humaine dans toutes ses composantes, de l'accès au droit à l'accès à
la culture, par exemple, constitue un aspect extrêmement important.
Il ne s'agit pas de faire des phrases pour le plaisir de faire des phrases,
encore faut-il inscrire les principes qui guident nos actions dans les textes
législatifs pour permettre à chacun une meilleure approche du sens de notre
travail. La remarque vaut malheureusement surtout dans le domaine de la
justice, où interviennent des lois et des réglementations qui, par nécessité,
concernent des domaines très techniques. Il me paraît particulièrement
important de pouvoir rappeler constamment le sens de ce que nous faisons !
La disposition qui prévoit notamment que les modalités de l'aide à l'accès au
droit sont adaptées aux besoins des personnes en situation de grande précarité
ne se réduit pas à une position de principe. Tous nos concitoyens doivent avoir
droit au droit, et c'est encore plus vrai pour ceux qui cumulent les « sans » :
sans domicile, sans travail, sans famille, sans conseil. Il nous appartient
donc de manifester à leur égard un devoir de solidarité et de les prendre
véritablement en compte, tant il est vrai que l'accumulation des exclusions ne
peut que miner le fonctionnement de notre démocratie. Il suffit, pour s'en
convaincre, de constater que les publics concernés par la justice sont souvent
des publics d'exclusion : ainsi, en prison, beaucoup des jeunes délinquants ont
derrière eux toute une série de handicaps.
J'ai déjà répondu en partie aux questions et aux observations formulées par M.
Hyest, qui a souhaité lui aussi que les maisons de la justice et du droit ne
délivrent pas une justice au rabais. Il n'en est évidemment pas question, mais
il s'agit, je l'ai dit tout à l'heure, de diversifier l'offre de justice pour
mieux répondre à la demande. Cela n'empêchera pas - au contraire, me
semble-t-il - les tribunaux de continuer à rendre la justice de façon
solennelle ! Toutefois, si les maisons de justice nous permettent de traiter,
ou même de prévenir certains contentieux, alors les tribunaux pourront d'autant
mieux rendre une justice de qualité, en disposant du temps nécessaire pour le
faire. Tous les magistrats que je rencontre me disent en effet qu'ils
souffrent, souvent, de ne pas avoir le temps nécessaire pour rendre une justice
de qualité.
Enfin, je remercie M. Haenel de l'intelligence avec laquelle il a analysé ce
texte, en reconnaissant sa place dans l'architecture de la réforme de la
justice.
Il m'a posé une question précise sur l'élaboration des fiches budgétaires.
Elles sont élaborées en plusieurs étapes : d'abord, établissement annuel de
l'activité des juridictions à partir des données fournies par elles ; ensuite,
exploitation statistique par la direction de l'administration générale et de
l'équipement pour dégager des évolutions ; à partir de cette exploitation
statistique, simulations et évaluations, avec hypothèse haute et hypothèse
basse ; enfin, chiffrage de chaque hypothèse.
En conclusion, si je n'ai pas répondu à toutes vos questions, je vous aurai au
moins donné mon point de vue sur les remarques les plus importantes que vous
avez présentées au cours de ce débat.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
DISPOSITIONS MODIFIANT LA LOI NO 91-647
DU 10 JUILLET 1991
RELATIVE À L'AIDE JURIDIQUE
Chapitre Ier
De l'aide juridictionnelle
Articles additionnels
avant l'article 1er et après l'article 3