Séance du 4 novembre 1998
QUALIFICATION D'OFFICIER
DE POLICE JUDICIAIRE
Adoption définitive d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 532,
1997-1998), adoptée par l'Assemblée nationale, portant extension de la
qualification d'officier de police judiciaire au corps de maîtrise et
d'application de la police nationale. [Rapport n° 42 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat de la République examine
aujourd'hui une proposition de loi, adoptée le 30 juin 1998 par l'Assemblée
nationale, portant extension de la qualification d'officier de police
judiciaire au corps de maîtrise et d'application de la police nationale.
M. Hyest, au nom de la commission des lois, a présenté, avec la clarté et la
compétence que nous lui connaissons, la proposition de loi dans son rapport.
Je me bornerai donc à formuler quelques observations complémentaires.
Je rappellerai tout d'abord combien je suis attachée à une conception
ambitieuse de la qualification d'officier de police judiciaire, au nom de
l'efficacité de la justice et du respect des libertés individuelles.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Cette proposition de loi est la conséquence directe de
la réforme des corps et carrières de la police nationale intervenue en 1995.
Cette réforme, engagée par la loi du 21 juin 1995 d'orientation et de
programmation relative à la sécurité, a débouché sur une nouvelle organisation
de la police nationale et a conduit à une réduction substantielle du nombre des
officiers de police judiciaire.
Or, la recherche des infractions et de leurs auteurs impose que les officiers
de police judiciaire soient en nombre suffisant. En effet, ce sont eux qui
conduisent les enquêtes, qui mènent les recherches, qui établissent les
procédures et qui amènent devant les magistrats les suspects.
De la qualité de leur diligence dépend pour beaucoup la qualité de la justice
pénale elle-même.
L'ouverture de la possibilité de devenir officier de police judiciaire aux
corps de maîtrise et d'application de la police nationale est apparue
susceptible de combler la diminution du nombre des officiers de police
judiciaire induite par la réforme.
Je rappelle que ce corps de maîtrise et d'application comprend 17 000
fonctionnaires et qu'il est composé de brigadiers-majors, de brigadiers et de
gardiens de la paix.
A l'heure actuelle, ces fonctionnaires sont agents de police judiciaire. A ce
titre, ils « secondent dans l'exercice de leur fonction les officiers de police
judiciaire », selon les termes mêmes de l'article 21 du code de procédure
pénale.
Ils ne disposent pas des pouvoirs coercitifs dont sont dotés les officiers de
police judiciaire : saisies, perquisitions et placements en garde à vue.
De tels pouvoirs ne peuvent être confiés à des fonctionnaires de police qu'en
vertu de textes prévoyant des garanties effectives et incontestables en termes
de formation et de contrôle. C'est l'objet même du texte qui est soumis à votre
examen.
Ce texte prévoit trois garanties qui me paraissent essentielles.
En premier lieu, les fonctionnaires devront avoir effectué au moins trois
années de service dans le corps de maîtrise et d'application. Ce délai doit
leur permettre d'acquérir raisonnablement maturité personnelle et expérience
professionnelle.
Cependant, cela est loin d'être suffisant, et la question de la formation est
évidemment essentielle.
La deuxième garantie tient à la formation juridique et technique exhaustive et
approfondie, supervisée par des magistrats, que devront avoir reçue les
fonctionnaires.
Le bon niveau culturel de l'ensemble des gardiens de la paix - M. Hyest
rappelle, dans son rapport, que, en 1997, près de 83 % des gardiens de la paix
étaient titulaires du baccalauréat - ne peut cependant dispenser de
l'obligation de suivre un cycle de formation approfondi.
Pour répondre à cette obligation, il a ainsi été prévu, d'une part, un cycle
accéléré sur un an comprenant vingt-huit jours de stage pour les fonctionnaires
qui seront titulaires d'un DEUG en droit et, d'autre part, un stage se
déroulant sur deux ans et comprenant cinquante-cinq jours de formation pour les
autres fonctionnaires.
Cette formation sera sanctionnée par un examen devant la commission qui donne
d'ores et déjà son avis sur l'attribution de la qualité d'officier de police
judiciaire aux commissaires de police et aux fonctionnaires du corps de
commandement et d'encadrement.
Présidée par le procureur général de la Cour de cassation, cette commission
est composée paritairement de magistrats et de hauts fonctionnaires de
police.
Elle ne déclarera admis que les candidats ayant démontré qu'ils possédaient
des connaissances juridiques et des qualités professionnelles et personnelles
nécessaires à l'exercice des fonctions d'officier de police judiciaire.
Dans la pratique actuelle, la commission, nous le savons, est exigeante, voire
sévère, ce dont nous devons, à mon avis, nous féliciter. Cette exigence
constitue, en effet, la garantie que les officiers de police judiciaire qu'elle
accepte sont des officiers de police judiciaire de qualité, et c'est ce que
nous voulons.
La troisième garantie concerne l'affectation des personnels. Il s'agit là d'un
point majeur.
Le texte prévoit que les fonctionnaires ayant réussi l'examen devront, pour
être habilités à exercer les fonctions d'officier de police judiciaire, être
affectés dans l'un des services visés par l'article 15-1 du code de procédure
pénale. Ce sont des services qui ont à titre principal une mission de police
judiciaire.
Il me paraît en effet essentiel que les officiers de police judiciaire soient
affectés exclusivement dans ces services ou dans des unités de police
judiciaire dépendant de ces services.
Certes, la présence de policiers sur la voie publique, dans les banlieues,
dans les quartiers sensibles, de tous ces fonctionnaires qui représentent la
police de proximité est essentielle pour la sûreté de nos concitoyens ; ces
fonctionnaires remplissent des missions de sécurité et participent au maintien
de la paix publique.
Mais il ne peut y avoir de confusion entre les missions de ces policiers et
celles des officiers de police judiciaire. Ceux-ci doivent diligenter des
enquêtes à la suite des plaintes de nos concitoyens et appréhender les
malfaiteurs.
La justice a besoin de ces officiers de police judiciaire qui oeuvrent chaque
jour sur le terrain au contact des plaignants. Par leur travail quotidien et
leur excellente connaissance d'un quartier ou d'une circonscription, patiemment
et méthodiquement, ils parviennent un jour à révéler un petit trafic de
stupéfiants, un autre jour à interpeller un auteur de petits vols multiples, un
autre jour encore à résoudre des affaires de violences entre voisins.
Il s'agit là d'une police judiciaire au quotidien, qui mérite d'être maintenue
et de conserver sa spécificité. Elle se situe entre la police judiciaire
chargée de la lutte contre la grande criminalité et la police chargée de la
sécurité.
Cette place spécifique et privilégiée doit être préservée, car la justice et
nos concitoyens méritent d'avoir une police judiciaire de qualité au
quotidien.
Je le répète, de la qualité des officiers de police judiciaire dépendent la
qualité des enquêtes et l'efficacité de la justice.
C'est pourquoi je souhaite que toutes les garanties soient prises afin que les
fonctionnaires destinés à bénéficier de la qualité d'officier de police
judiciaire exercent leurs fonctions dans des services où s'effectuent
régulièrement des missions de police judiciaire.
Je rappelle que les pouvoirs exorbitants dont un officier de police judiciaire
dispose - pouvoirs de contrainte sur les hommes et sur les biens - doivent être
mis au service exclusif de la justice.
Ces pouvoirs sont exercés « sous la direction du procureur de la République,
sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre
d'accusation », comme le prévoient les articles 12, 13 et 41 du code de
procédure pénale. Ces garanties judiciaires sont indispensables, compte tenu
des atteintes portées aux libertés individuelles par les nécessités de
l'enquête judiciaire, et je souhaite d'ailleurs les renforcer.
Le projet de loi visant à préciser les rapports entre la Chancellerie et les
parquets, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, prévoit expressément
les dispositions renforçant le contrôle de la justice sur la police judiciaire
: ainsi, les décisions de suspension de l'exercice des fonctions d'officier de
police judiciaire prises par la chambre d'accusation de la cour d'appel seront
exécutoires en dépit de l'exercice des voies de recours.
Permettez-moi de vous livrer un dernier mot avant de conclure.
Un amendement déposé par M. Charasse tend à conférer certaines missions de
police judiciaire à des agents des douanes, sans pour autant leur attribuer la
qualité d'officier de police judiciaire.
Le Gouvernement connaît bien ce texte, auquel M. Charasse s'intéresse depuis
longtemps, et il est en parfait accord sur le fond avec l'auteur de
l'amendement. Fondamentalement, la participation de la douane à certaines
missions particulières de police judiciaire est, à mon avis, nécessaire. Cela
permettrait notamment d'améliorer le traitement des procédures relatives aux
fraudes communautaires, qui grèvent lourdement le budget de l'Union européenne.
Je pense, en particulier, à la contrefaçon ou aux grandes fraudes alimentaires.
Vous connaissez l'extrême vigilance de la Commission et du Parlement européens
sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.
Aussi, sous de strictes conditions procédurales, la douane pourrait, en tant
qu'administration économique, apporter des compétences nouvelles utiles à
l'autorité judiciaire.
Toutefois, il me semble que ce texte doit faire l'objet d'un débat et qu'il
doit être examiné au fond par votre commission des lois.
L'adoption de cet amendement pourrait par ailleurs retarder la promulgation de
la présente proposition de loi, alors que celle-ci revêt un caractère de
particulière urgence, compte tenu des besoins en officiers de police judiciaire
actuellement rencontrés.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'adoption du présent amendement dans
le cadre du projet dont nous débattons aujourd'hui, tout en y étant, je l'ai
indiqué, favorable sur le fond.
M. Jean Chérioux.
Subtile distinction !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Je m'engage, par conséquent, à
ce que soit examiné cet important sujet dans les plus brefs délais. Le projet
de loi relatif aux alternatives aux poursuites et renforçant l'efficacité de la
procédure pénale offrira le cadre de cet examen et vous permettra ainsi de
débattre de ce texte.
Le Gouvernement remercie en toute hypothèse M. Charasse pour la constance de
son intérêt pour ce dossier
(Exclamations ironiques sur les travées du RPR
et de l'Union centriste.),...
M. Alain Gournac.
Chouchou !
(Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... qu'il a permis de faire progresser depuis le dépôt
de son premier amendement sur ce thème, en novembre 1992.
En conclusion, je souhaite que cette proposition de loi, d'ores et déjà
adoptée par l'Assemblée nationale, recueille l'approbation de votre Haute
Assemblée et je remercie votre rapporteur et votre commission d'avoir conclu à
l'adoption conforme du texte transmis par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Madame le
garde de sceaux,...
M. Alain Gournac.
La gardienne des sceaux ! C'est féminin !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
... vous venez d'exposer parfaitement l'économie de ce texte,
ce qui me permettra de limiter mon propos. Cela étant, vous avez commis un
lapsus à un moment en parlant de projet de loi...
M. Hubert Haenel.
C'était à l'origine un projet de loi !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
... alors qu'il s'agit d'une proposition de loi, même si
c'est presque un « quasi-projet de loi ».
Notre collègue M. Loridant a déposé sur ce sujet une proposition de loi
identique au mois de juin, mais nous avions alors estimé - M. Dreyfus-Schmidt
doit s'en souvenir ! - que nous ne pouvions l'examiner en urgence. Ensuite,
l'Assemblée nationale a adopté, en juillet dernier, une proposition de loi
similaire de M. François Huwart.
La proposition qui nous est soumise revêt un caractère d'urgence, dans la
mesure où, en raison de la réforme des structures de la police nationale et de
la mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation relative à la
sécurité, les commissaires de police verront leurs effectifs diminuer de 600,
tandis que les fonctionnaires appartenant au corps de commandement et
d'encadrement verront les leurs réduits de 5 500.
On compte actuellement, dans la police nationale, 18 000 officiers de police
judiciaire, et c'est, bien entendu, la conjugaison de ces deux facteurs qui a
conduit le Gouvernement à souhaiter un accroissement du nombre des officiers de
police judiciaire d'environ 8 000. Il fallait donc trouver une solution et
augmenter, dans la police nationale, le nombre de personnes susceptibles
d'exercer cette fonction.
Nous savons aussi que, bien souvent, notamment dans les services chargés de la
sécurité publique, on ne trouve aucun officier de police judiciaire disponible,
contrairement à ce qui se passe dans les brigades de gendarmerie, où il y a au
moins un, et bien souvent deux officiers en permanence.
Pour toutes ces raisons, il est proposé d'étendre la qualification d'officier
de police judiciaire au corps de maîtrise et d'application.
Compte tenu des pouvoirs importants exercés par les officiers de police
judiciaire, il est bien évident qu'il faut prendre toutes les garanties pour
que l'on n'abaisse pas le niveau des intéressés, mais aussi bien le texte de la
proposition de loi que le travail de l'Assemblée nationale me paraissent
contribuer à accorder toutes les garanties à cet égard.
Vous l'avez dit, madame le garde des sceaux, le niveau de recrutement des
gardiens et des gradés, même s'il n'y a pas, en l'occurrence, exigence de
diplôme, a augmenté : 83 % sont titulaires du baccalauréat et 8 % des admis
possédaient en 1997 un diplôme supérieur ou égal à la licence.
Cela étant, il n'y a pas non plus exigence de diplôme pour les gendarmes, bien
qu'ils puissent acquérir la qualité d'officier de police judiciaire après trois
ans de service.
M. Michel Charasse.
Il y a une formation obligatoire et un examen interne !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Nous allons y venir !
Il faut en effet assurer une formation...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Accélérée !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
... de cinquante-cinq jours sur deux années avant d'acquérir
cette fonction, et ce après trois années de service effectif. Par ailleurs,
pour les titulaires d'un DEUG de sciences juridiques et pour les ex-enquêteurs,
une formation de vingt-huit jours suffit avant de passer l'examen technique
d'aptitude, qui demeure nécessaire comme pour les gendarmes.
Aux termes de la présente proposition de loi, « une commission » accordera la
qualité d'officier de police judiciaire. L'Assemblée nationale a, à juste
titre, prévu que cette commission serait la même que celle qui est compétente
pour donner un avis sur l'accès à la qualification d'officier de police
judiciaire des commissaires de police, et qu'elle serait donc présidée par le
procureur général près la Cour de cassation ou son délégué, et composée
paritairement, vous l'avez dit, de sept magistrats et de sept représentants de
la police nationale. Cela me paraît une bonne mesure, parce que prévoir
simplement « une commission » était trop vague.
De surcroît, une seconde garantie est apportée par une habilitation
personnelle du procureur général près la cour d'appel.
Enfin - c'est peut-être le point le plus délicat parce que cela dépend
largement du pouvoir réglementaire - ces officiers de police judiciaire ne
pourront être affectés que dans certains services appartenant à une catégorie
déterminée par arrêté ministériel.
Il me semble tout à fait normal que la direction centrale de la police
judiciaire, la direction de la surveillance du territoire, la sous-direction
chargée des courses et des jeux au sein de la direction centrale des
renseignements généraux - mais aussi le détachement de la police nationale
auprès de la direction nationale des enquêtes douanières : on retrouve là le
sujet favori de M. Charasse - soient notamment concernées.
M. Hubert Haenel.
Il y en a d'autres !
M. Pierre Fauchon.
Et M. Charasse a d'autres sujets favoris !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
C'est son sujet favori pour l'heure et dans cadre de notre
débat, même si, bien entendu, M. Charasse a une grande richesse de sujets
favoris,...
M. Jean Chérioux.
Inégalée ! Et ils sont marqués par le bon sens !
M. Pierre Fauchon.
Et l'expérience !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
... que tout le monde admire, au demeurant.
M. Michel Charasse.
En ce temps de Pacs, ne parlez pas trop de favoris !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Pas trop de favoris en cette période de PACS, vous avez
raison de le dire.
(Nouveaux sourires.)
Cela dit, madame le garde des sceaux, je m'interroge : il est évident que les
problèmes se posent davantage dans les services de sécurité publique, et
j'entends bien qu'il ne faut pas donner la qualité d'officier judiciaire à un
trop grand nombre de fonctionnaires qui ne seraient pas encadrés, notamment par
les parquets, sous l'autorité desquels ils exerceront leurs fonctions. A cet
égard, vous avez eu raison de nous donner la primeur des dispositions que vous
prévoyez d'inclure dans un projet de loi que nous aurons à examiner
prochainement.
Affirmer qu'une police de proximité est nécessaire, cela suppose aussi
l'affectation des fonctionnaires concernés non dans des services spécialisés,
mais dans un certain nombre de services de sécurité publique et dans les
brigades de gendarmerie, afin d'assurer les missions de police judiciaire qui
sont la mission première de toute police.
Pour tous ces motifs, en raison des garanties qui nous sont apportées en
matière de formation, parce que l'autorité judiciaire exercera un contrôle sur
les OPJ et compte tenu de l'urgence à laquelle nous devons faire face, la
commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter conforme la
proposition de loi que nous a transmise l'Assemblée nationale.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de
l'Union centriste.)
M. Charles Pasqua.
Il vaut mieux applaudir avant, c'est plus sûr !
(Sourires.)
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la
proposition de loi qui nous est soumise a pour objectif de permettre aux
fonctionnaires du corps de maîtrise et d'application de la police nationale
d'accéder à la qualité d'officier de police judiciaire.
On peut faire de ce texte une double lecture.
La première est de constater, à partir d'une approche anodine et technique,
que cette proposition de loi reprend l'essentiel de l'article 13 du projet de
loi portant diverses dispositions relatives à la justice qui avait été déposé
par l'ancien ministre de la justice, M. Jacques Toubon.
Mais ce texte tire également les conclusions de la qualité grandissante du
recrutement dans le corps de maîtrise et d'application de la police nationale
et constitue le prolongement de la loi d'orientation et de programmation
relative à la sécurité du 21 janvier 1995.
Le corps des commissaires de police va voir, dans les prochaines années, ses
effectifs baisser de 2 200 à 1 700, et le corps des officiers, lieutenants,
capitaines et commandants de police va perdre environ 5 000 fonctionnaires.
Pour que ce mouvement ne se traduise pas par une dégradation de l'activité de
police judiciaire, il convient donc de permettre à des fonctionnaires du corps
de maîtrise et d'application d'accéder à la qualité d'officier de police
judiciaire.
On nous a dit que la réforme participait au renforcement de la police de
proximité, que les nouveaux officiers de police judiciaire seraient affectés en
priorité à la police de proximité, c'est-à-dire aux unités de voie publique qui
sont chargées de l'ensemble des affaires judiciaires ne nécessitant pas
d'investigations complexes. On nous a dit aussi - et c'est en partie vrai - que
la police de proximité disposerait de plus de personnels aptes à lutter contre
la petite délinquance. Le fait que les officiers de police judiciaire disposent
de pouvoirs de coercition permettra, dans chaque quartier, plus d'efficacité
contre cette délinquance et plus de rapidité dans le traitement des affaires,
les phases policières et judiciaires étant mieux articulées.
Récemment, l'ancien directeur général de la police nationale, M. Guéant, me
disait : « Monsieur Haenel, vous devriez être content, on va un peu plus
judiciariser la police. » Tout cela est vrai !
On nous a dit aussi que cette réforme apporterait toutes garanties quant à
l'habilitation, ce qui est moins sûr, et j'y reviendrai. Ce texte modifie en
effet l'article 16 du code de procédure pénale pour ouvrir aux fonctionnaires
du corps de maîtrise et d'application de la police nationale l'accès à la
qualification d'officier de police judiciaire.
Voilà pour la forme et pour l'apparence. Nous serons, dans ces conditions,
conduits, nécessité oblige, à un vote conforme de cette proposition de loi, qui
ne fait que reprendre une partie d'un projet de loi déposé par le précédent
gouvernement.
Convenons tout de même qu'il est toujours regrettable, même si l'on est obligé
d'agir vite, de légiférer dans l'urgence, sous la pression de la nécessité,
surtout s'agissant de textes qui touchent à la liberté individuelle, à la
justice et aux droits de l'homme.
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Hubert Haenel.
Ce texte d'apparence anodine et purement technique appelle plusieurs
observations.
L'élargissement de la liste des personnes susceptibles d'acquérir la
qualification d'officier de police judiciaire constitue la quatrième
modification en la matière depuis 1994. Il me semble toutefois que réformer au
coup par coup, pour faire face à chaud aux contraintes liées à la réforme des
corps et carrières de la police nationale organisée par la loi n° 95-73 du 21
janvier 1995 n'est pas nécessairement la bonne voie dans un domaine qui touche
expressément à la liberté individuelle.
Rappelons tout de même, pour remettre en perspective cette réforme aux
apparences purement techniques, ce qu'est un officier de police judiciaire et
quels sont ses pouvoirs.
Comme l'a souligné dans son rapport notre excellent collègue M. Hyest, la
qualité d'officier de police judiciaire permet aux personnes auxquelles elle
est conférée d'exercer un nombre important de prérogatives.
Selon l'article 14 du code de procédure pénale, la police judiciaire est
chargée de constater les infractions à la loi pénale, de rassembler les preuves
et d'en rechercher les auteurs.
Mais il faut toujours se rappeler que les officiers de police judiciaire ont
des pouvoirs « exorbitants », notamment celui, qui leur est propre, de placer
en garde à vue. Or, j'y reviendrai tout à l'heure, chaque année, 320 000
décisions de garde à vue sont prises. Ce n'est donc pas un pouvoir
négligeable.
A cela s'ajoute le pouvoir de perquisitionner, de mener une enquête, et l'on
sait combien une enquête mal commencée peut aboutir parfois à des classements
sans suite - je l'ai dit récemment dans un rapport fait au nom de la commission
des finances - ou à des erreurs, voire à des erreurs judiciaires.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A la garde à vue !
M. Hubert Haenel.
Je vais y revenir, mon cher collègue.
Les officiers de police judiciaire détiennent donc un pouvoir exorbitant du
droit commun, notamment par rapport à leurs autres collègues, fonctionnaires de
police ou militaires de la gendarmerie, qui sont simplement agents de police
judiciaire. Ce pouvoir, ils le détiennent parce qu'ils ont été habilités
nommément - on vient de le dire - par le procureur général.
Cela signifie que les officiers de police judiciaire sont non pas de simples
auxiliaires de justice, mais, disons, des délégataires des mandataires de
justice. Ils participent non seulement au travail de la justice mais à l'oeuvre
de justice proprement dite.
Ce point mérite qu'on s'y arrête un instant. Les OPJ sont donc placés sous la
direction du procureur de la République ou, le cas échéant, du juge
d'instruction, quand une instruction est ouverte.
A cet égard, ne nous voilons pas la face : nous souffrons des interprétations
données à ces textes pour leur application selon que l'on se situe place
Beauvau ou place Vendôme !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bien sûr !
M. Hubert Haenel.
N'ayons pas peur de le dire ; en tant que parlementaires, nous sommes libres
de nos propos.
Les OPJ sont donc plus que de simples auxiliaires de justice, je l'ai dit. De
par leurs pouvoirs coercitifs pouvant porter atteinte à certains droits
fondamentaux, ils sont des mandataires de justice.
Ils peuvent - j'y arrive, monsieur Dreyfus-Schmidt - placer en garde à vue. Je
le répète, on compte 320 000 décisions de garde à vue par an, dont 60 000 de
plus de vingt-quatre heures, autorisées, c'est vrai, par le procureur de la
République. Le placement en garde à vue est une mesure grave en ce qu'il porte
atteinte à la liberté individuelle. Il est dommage que la réforme de 1995 ait
en quelque sorte banalisé le statut d'OPJ. Tout à l'heure, notre collègue M.
Fauchon disait : « On descend encore d'un cran. »
M. Pierre Fauchon.
Je l'ai dit
in petto
, cela ne compte pas !
M. Hubert Haenel.
Mais vous savez l'importance que moi-même, nos collègues de la commission des
lois et l'ensemble des sénateurs attacherons à vos propos, mon cher collègue
!
M. Henri de Raincourt.
Avec raison !
M. Charles Pasqua.
Ne perdons pas le fil du raisonnement !
(Sourires.)
M. Hubert Haenel.
La conjugaison avec la réforme des corps de police va conduire à un déficit de
l'ordre de 8 000 officiers de police. Cela mérite qu'on s'y arrête.
Ce n'est pas une raison pour rejeter purement et simplement les propositions
qui nous sont faites dans ce petit texte qui ne compte qu'un article. Mais il
faut savoir qu'une augmentation d'effectifs équivalente n'est possible qu'en
élargissant la liste des personnes susceptibles d'accéder à la qualité
d'officier de police judiciaire.
La police nationale manque d'OPJ pour assurer ce que l'on appelle les « quarts
» dans les commissariats parce qu'on a diminué le nombre des commissaires de
police - mais cela, il fallait le voir avant ! - de 600 unités et celui des
fonctionnaires appartenant au corps de commandement et d'encadrement de 5 500.
La seule solution consiste donc à descendre dans l'échelle hiérarchique.
Ce texte peut avoir les apparences d'un texte de circonstance.
Il aurait sans doute mieux valu - on n'y arrivera sans doute jamais, mais je
le redis tout de même - remettre à plat le statut des OPJ, compte tenu des
réalités et des exigences nouvelles de la délinquance actuelle. On y aurait vu
plus clair.
Il aurait sans doute mieux valu aborder le sujet tabou s'il en est - nous le
ferons tout à l'heure grâce à M. Charasse - du statut des fonctionnaires des
douanes, statut qui, s'il était soumis aujourd'hui au Conseil constitutionnel,
serait anticonstitutionnel, j'en mettrais ma tête à couper.
(Non ! sur de
nombreuses travées.)
M. le président.
Ne prenez pas ce risque, mon cher collègue !
M. Henri de Raincourt.
Cela n'en vaut pas la peine !
M. Marcel Charmant.
La guillotine a été supprimée !
M. Hubert Haenel.
M. Charasse va en effet essayer une nouvelle fois de relancer le sujet.
Madame le garde des sceaux, vous vous êtes engagée, je crois, à aborder ce
problème le plus rapidement possible. Nous n'y échapperons pas, et il me paraît
souhaitable que tel soit le cas, à l'occasion de la discussion d'autres textes,
dans le délai d'un an.
Compte tenu de ce que je viens de dire, le problème des OPJ aurait également
pu être abordé à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la présomption
d'innocence puisqu'il y sera notamment question de la garde à vue.
En effet, l'un des pouvoirs les plus lourds de conséquences confiés aux OPJ
est bien celui de placer en garde à vue. Votre texte, madame le garde des
sceaux, prévoit d'ailleurs l'intervention de l'avocat dès la première heure de
garde à vue. Cela prouve que les magistrats sont dans l'incapacité, faute de
moyens, et parfois parce qu'ils sont las, de contrôler réellement la garde à
vue.
Pour illustrer ce que je dis, j'ai interrogé récemment quelques procureurs
généraux et procureurs - j'ai d'ailleurs posé une question écrite à ce sujet au
ministre de l'intérieur et à vous-même, madame le garde des sceaux. Je leur ai
demandé s'ils avaient un registre recensant les locaux de garde à vue de leur
ressort. La réponse a été négative.
De même, il n'y a pas de document dans les parquets recensant le nombre de
contrôles effectués par les procureurs et leurs substituts. Vous me direz qu'il
y a un registre de garde à vue ; mais ce registre est interne aux services de
police et de gendarmerie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'y a quasiment pas de contrôle !
M. Hubert Haenel.
A cela s'ajoute le risque de voir de plus en plus d'avocats - il n'est qu'à
voir la jurisprudence - arguer devant le tribunal correctionnel que la garde à
vue n'était pas nécessaire à l'enquête, en vertu de l'article 63 du code de
procédure pénale. Tel a été récemment le cas à Strasbourg.
On verra ce que décidera la chambre des appels correctionnels. Pour l'instant,
on a la chance que la Cour de cassation « verrouille » ; elle ne veut pas trop
mettre son nez dans ces affaires. Mais, tôt ou tard, ce verrou-là sautera.
S'agissant du contrôle, l'article 19 de la loi du 4 janvier 1993 sur la
procédure pénale prévoyait que la notation des officiers de police judiciaire
effectuée par les procureurs généraux était prise en compte pour leur
avancement. L'application de cet article nécessitait un décret d'application ;
celui-ci n'est toujours pas paru.
Je me suis renseigné. On m'a indiqué, pas plus tard que ce matin, qu'après
plus de cinq ans de bras de fer entre la place Beauvau et la place Vendôme,
toutes tendances politiques confondues, on allait enfin parvenir à élaborer un
décret. Le texte serait actuellement soumis à l'arbitrage du Premier ministre
et devrait donc être publié prochainement.
Madame legarde des sceaux, si vous n'y veillez pas, tout un volet du contrôle
prévu par le texte sera sans effet. Imaginez-vous : 8 000 OPJ nouveaux en
quelques années, il va falloir faire avec ! Il n'est pas sûr que nous ne soyons
pas prochainement saisis d'un texte visant à créer une sous-commission de la
commission chargée de donner une qualification aux officiers de police
judiciaire !
Vous avez fait état également de la nécessité de mettre en place une police de
proximité de plein exercice. Nous ne pouvons qu'approuver cet objectif. La mise
en place de services dits de « quart » dans les circonscriptions de sécurité
publique est absolument nécessaire.
Les auteurs de la proposition de loi indiquent que ces nouvelles orientations
seront fortement « consommatrices » de police judiciaire. La réforme qui nous
est proposée règle, il est vrai, un problème urgent, celui du déficit en OPJ,
pour à la fois aider le ministre de l'intérieur à gérer sa réforme statutaire
du corps de la police nationale et répondre à la nécessité de disposer de plus
d'OPJ sur la voie publique. Cette proposition de loi n'est cependant pas mise
en perspective avec toutes les attentes et les préoccupations du moment.
Enfin, il ne me semble pas qu'il ait été répondu de façon satisfaisante à deux
questions posées par M. Caresche, rapporteur de la commission des lois de
l'Assemblée nationale, qui prétend qu'en fait les gendarmes et les policiers ne
seront pas traités de la même manière et qu'on envisage même un gommage. Nous
aimerions bien savoir de quel gommage il s'agit. N'y a-t-il pas lieu, tout de
même, de considérer les spécificités, les us et coutumes des uns et des autres,
notamment une hiérarchie plus forte dans la gendarmerie que dans la police
nationale ? Cela aussi, c'est une réalité !
Par ailleurs, la rédaction proposée ne précise pas suffisamment quelle
commission sera compétente s'agissant des OPJ recrutés au sein du corps de
maîtrise et d'application.
Avons-nous, madame le ministre, toute garantie que les candidatures des OPJ de
toute origine seront examinées dans des conditions offrant les mêmes garanties
qu'actuellement ?
Pour conclure, j'espère recevoir de votre part, madame le ministre, les
réponses aux questions de fond très précises que je me suis permis de poser. Je
souhaite que vous réussissiez à apaiser mes craintes, celles de certains
collègues ici présents, mais aussi celles qui ont été exprimées à l'Assemblée
nationale, notamment par Mme Tasca et par M. Mermaz.
En tout cas, je le répète, il est sans doute regrettable que l'on se précipite
pour voter ce texte isolé de son contexte, sans que le débat de fond sur les
pouvoirs des OPJ, leur direction, leur contrôle et sur la garde à vue ait été
esquissé à l'occasion de l'examen du texte sur le statut du Parquet et de celui
qui concerne la présomption d'innocence.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, après
l'emploi, la sécurité est l'une des préoccupations essentielles de nos
concitoyens. Ce droit à la sécurité, fondamental pour l'exercice des libertés
individuelles, est reconnu dans la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen. Mais nous le savons tous en tant qu'élus locaux, il est trop souvent
bafoué.
La progression ininterrompue de la violence depuis de nombreuses années est
d'autant plus inacceptable qu'elle frappe les plus démunis de nos concitoyens.
C'est en effet dans les banlieues, où la crise a causé d'énormes dégâts sociaux
et humains, que les faits délictueux sont les plus importants. Les conséquences
humaines n'en sont que plus lourdes.
Lors du colloque de Villepinte, le Gouvernement, par la bouche de M.
Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, a exprimé sa volonté de
refaire de nos cités des villes sûres pour des citoyens libres.
En tant que parlementaire et maire d'une commune de banlieue, je ne peux que
soutenir le Gouvernement sur cette orientation.
Les citoyens ne peuvent exercer pleinement leurs libertés sans sécurité des
biens et des personnes. Nous avons besoin d'une police de proximité mais
également d'une police efficace pour traiter complètement la petite
délinquance.
La politique volontariste du Gouvernement suppose un resserrement de la
coordination entre les phases policière et judiciaire de l'action publique pour
assurer un meilleur traitement en temps réel des procédures judiciaires.
Tel est précisément l'objet de cette proposition de loi.
Cette politique nécessite un renforcement des moyens en officiers de police
judiciaire de la police nationale pour faire face à l'évolution de la nature et
du niveau de la délinquance juvénile observée dans les quartiers les plus
sensibles, qui sont aussi, hélas ! les plus défavorisés.
Or, ces besoins nouveaux se cumulent avec le déficit en officiers de police
judiciaire résultant de la réforme des corps et carrières organisée dans la loi
de programmation de la sécurité du 21 janvier 1995.
D'ores et déjà, en application de cette loi, le maintien à niveau du service
public de l'activité judiciaire accuse un déficit de 1 600 OPJ. Il en résulte
des dysfonctionnements dans les petites circonscriptions de sécurité publique,
où le délai d'instruction des plaintes, voire leur simple enregistrement, se
prolonge sensiblement.
A terme - d'autres l'ont dit avant moi - cette réforme conduit à une réduction
importante du nombre de commissaires de police, qui doit passer de 2 200 à 1
600 à l'horizon 2006, et d'officiers qui passera, dans le même temps, de 18 000
à 12 500.
Au total, les effectifs nécessaires à la réalisation d'une police de proximité
efficace dans les commissariats de sécurité publique, conjugués à la déflation
programmée d'officiers de police judiciaire par la loi précitée, conduisent à
prévoir la formation de 8 000 nouveaux OPJ sur une période de huit ans.
Cette proposition de loi, nous la soutenons, car elle permettra le
fonctionnement des services de police et la revalorisation des missions du
corps de maîtrise et d'application. Nous y sommes d'ailleurs d'autant plus
favorables que j'avais déposé, avec certains de mes collègues du groupe
communiste républicain et citoyen, une version quasi identique de cette
proposition de loi.
Hélas, certains membres de la commission des lois n'ont pas souhaité qu'elle
soit examinée et ont ainsi permis à l'Assemblée nationale de prendre
l'initiative de présenter cette proposition de loi.
De sérieuses garanties sont prévues en matière d'ancienneté requise, de
formation et d'encadrement pour conserver à ces missions leur caractère
spécifique sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
En effet, la proposition de loi prévoit une période de trois années de
service. Sur ce point, madame le garde des sceaux, nous vous proposerons un
amendement visant à permettre l'accès à la qualification d'OPJ uniquement aux
fonctionnaires du corps de maîtrise et d'application justifiant de trois années
de service effectif en qualité de titulaire.
Par ailleurs, ne pourront être habilités à exercer la qualité d'OPJ que les
fonctionnaires de police affectés dans l'un des services visés par l'article
15-1 du code de procédure pénale ; vous l'avez rappelé tout à l'heure, madame
le garde des sceaux.
La proposition de loi prévoit encore que la qualité d'OPJ ne sera obtenue qu'à
l'issue d'un stage de formation juridique d'une année ; le groupe communiste
républicain et citoyen est très attaché à cette disposition.
Enfin, ce stage sera sanctionné par un examen devant une commission présidée
par le procureur général.
Cette proposition de loi fait suite à des mesures fortes du Gouvernement comme
le recrutement de près de 25 000 adjoints de sécurité. Elle atteste de sa
détermination pour que la sécurité soit un droit reconnu pour tous nos
concitoyens.
C'est pourquoi nous la soutiendrons tout en réaffirmant avec force qu'elle
doit s'accompagner de moyens humains et matériels supplémentaires, ainsi que
vous l'avez indiqué, madame le garde des sceaux, mais aussi de moyens de
formation et, sur ce point, je ne peux qu'approuver les propos des orateurs
précédents.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il
s'agit là d'un problème délicat, mais que nous connaissons bien puisque c'est
la quatrième fois depuis 1994 - c'est indiqué, d'ailleurs, dans le rapport de
la commission - que nous l'étudions.
S'il n'y a plus assez d'officiers de police judiciaire, c'est, paraît-il - je
le crois volontiers - parce qu'il n'y a plus assez de commissaires. Il
suffirait évidemment de nommer plus de commissaires, ce qui - il est vrai -
coûterait plus cher que d'étendre la qualification d'officier de police
judiciaire au corps de maîtrise et d'application de la police nationale.
Certes, notre ami Paul Loridant avait déposé une proposition de loi, qui a été
inscrite aussitôt, d'ailleurs, à notre ordre du jour par le Gouvernement, et
que notre commission des lois a examinée alors que son président et plusieurs
de nos collègues rentraient à peine d'un déplacement en Nouvelle-Calédonie.
Elle a estimé alors que ce texte méritait une plus grande réflexion et ce, à
juste titre, puisque M. Loridant vient de rappeler que seuls les fonctionnaires
du corps de maîtrise et d'application et les fonctionnaires de police affectés
à un service spécifique pourraient être habilités à exercer en qualité
d'officiers de police judiciaire, ce qui - je me permets de le lui faire
remarquer très amicalement - n'était pas prévu par sa proposition de loi. Le
temps de la réflexion a donc été bénéfique.
J'attire toutefois l'attention du Sénat sur ce point : on nous explique que,
pour être officier de police judiciaire, il faut et il suffit d'avoir une
formation, d'être agréé par une commission et d'être nommé par le procureur
général. Dans ces conditions, pourquoi prendre en considération une ancienneté
dans le service qui varie d'année en année ?
En 1994, il avait été décidé que l'ancienneté requise pour qu'un gendarme
puisse être nommé officier de police judiciaire passerait de cinq à quatre ans.
En 1996, ce délai avait été ramené à trois ans. Je parle sous le contrôle de M.
le rapporteur. Entre temps, en 1995, il avait été décidé qu'aucune ancienneté
ne serait requise pour le corps de commandement et d'encadrement.
Aujourd'hui, notre collègue M. Loridant propose, comme il le faisait dans sa
proposition de loi, qu'un gardien de la paix ne puisse devenir officier de
police judiciaire qu'après avoir exercé ses fonctions pendant trois ans en
qualité de titulaire, soit quatre années de service au total.
La commission des lois a estimé qu'il n'y avait pas de raison de faire une
différence entre les gendarmes et les policiers. Elle a donc prévu un délai
total de trois ans.
On ne manquera pas de nous proposer, année après année, une ancienneté de deux
ans, puis d'un an, puis de six mois - après tout pourquoi pas dès lors que les
intéressés sont formés, agréés, puis nommés par le procureur général ? - et ce,
aussi bien pour les gendarmes, les gardiens de la paix et les douaniers car il
n'y a pas de raison qu'ils ne soient pas, eux aussi, OPJ. A ce rythme - trois
diminution de délais pour trois catégories - le Parlement, qui a mieux à faire,
aurait à débattre pendant neuf ans d'une proposition de loi analogue à celle
qui nous est soumise aujourd'hui.
Je suggère donc à la commission et au Gouvernement de prévoir qu'il n'est pas
besoin de prendre leur ancienneté en considération dès lors que les personnes
concernées ont une formation, qu'elles sont agréées par la commission
ad
hoc
et qu'elles sont nommées par le procureur général.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Les observations de M. Haenel, comme toujours, sont
fort pertinentes. Ses interrogations quant à la protection des libertés
individuelles, je me les suis moi-même posées lorsque j'ai examiné, avec mon
collègue ministre de l'intérieur, ce texte.
Je voudrais lui répondre que l'attribution de la qualité d'officier de police
judiciaire aux gardiens de la paix ayant réussi à l'examen, puis étant
habilités par le procureur général doit aller de pair avec l'intervention de
l'avocat dès la première heure de la garde à vue. Cette garantie est
essentielle pour les citoyens ; elle est prévue, vous l'avez rappelé, dans le
projet de loi relatif à la présomption d'innocence dont l'Assemblée nationale
sera saisie le mois prochain.
Quant au décret relatif à la notation des officiers de police judiciaire, il
est actuellement soumis à la signature du Premier ministre ; sa parution et
donc sa mise en application sont imminentes.
Enfin, la commission habilitée pour émettre un avis conforme sur l'attribution
de la qualité d'officier de police judiciaire sera la même pour les policiers
appartenant au corps de maîtrise et d'application que celle qui est compétente
pour les commissaires de police et pour les fonctionnaires du corps de
commandement et d'encadrement, et ce aux termes du texte adopté par l'Assemblée
nationale, approuvé par votre commission des lois.
S'agissant de M. Loridant, je comprends ses observations. Nous poursuivons les
mêmes objectifs, mais les modalités qui figurent dans la proposition de loi me
paraissent mieux adaptées que celles qu'il propose. J'y reviendrai lors de la
discussion de son amendement.
Enfin, je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que j'ai dit dans mon exposé
liminaire concernant l'amendement de M. Charasse ; mais nous y reviendrons lors
de son examen.
Je comprends bien - M. Dreyfus-Schdmit s'en est fait l'écho - qu'en ces
matières il faille être très vigilant quant à la qualité et au contrôle. En
effet, nous touchons aux libertés individuelles et il ne faut pas que, de
proche en proche, nous finissions par être moins vigilants et moins regardants
sur les garanties qui sont apportées aux citoyens.
Croyez bien que je me suis posé ces questions, mais je pense qu'avec les
garanties qui sont incluses dans cette proposition de loi - M. le rapporteur a
bien voulu les relever - nous avons les assurances nécessaires.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique et de l'amendement tendant à
insérer un article additionnel.
Article unique