Séance du 3 novembre 1998
DÉCENTRALISATION
Suite du débat
sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la
décentralisation.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Revet.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Charles Revet.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est
vrai, et je ne peux être suspecté de complaisance, que les lois de
décentralisation, qui s'inscrivent dans l'esprit de la Constitution, comme l'a
rappelé notre collègue Philippe Marini cet après-midi, sont parmi les plus
importantes de la Ve République. Une quinzaine d'années après leur mise en
oeuvre, il était souhaitable de dresser un bilan : tel est l'objet du débat qui
nous occupe aujourd'hui.
Chacun reconnaît que les résultats s'avèrent largement positifs. Je ne citerai
qu'un exemple pour illustrer cette affirmation, celui des collèges et des
lycées, pour lesquels les conseils généraux et les conseils régionaux sont
respectivement compétents. Sans doute peu - pour ne pas dire pas - de
principaux de collège ou de proviseurs de lycée souhaiteraient revenir à la
situation antérieure.
M. Gérard Braun.
C'est vrai !
M. Louis de Broissia.
Exact !
M. Charles Revet.
Ajouterai-je, pour rester dans le domaine de l'éducation, que si les
collectivités locales ne s'étaient pas intéressées à l'enseignement supérieur,
bien des régions ne posséderaient pas les équipements dont elles disposent
aujourd'hui ? Citerai-je l'exemple de la Seine-Maritime et de la
Haute-Normandie, où, dans le cadre du plan Université 2000, 1,3 milliard de
francs ont été investis, dont 1 milliard de francs par le conseil régional et
le conseil général et 300 millions de francs par l'Etat, lequel au surplus, a
récupéré la TVA ? Cela signifie que, globalement, ce sont les collectivités
locales qui ont financé presque intégralement cet investissement relevant
pourtant de l'Etat.
Je pourrais tenir le même langage s'agissant de la politique sociale ou
culturelle développée par les départements, ou de l'aide aux équipements de nos
villes et communes.
Quels sont les facteurs qui expliquent ces résultats positifs reconnus par
tous ? Je n'emploierai que deux termes : la proximité et la responsabilité.
Il est vrai que le contact permanent avec leurs concitoyens amène les élus à
mieux prendre en compte les besoins et les aspirations de la population.
Cela étant, il importe aujourd'hui de parfaire la décentralisation, et non de
la remettre en cause.
Nous savons bien entendu, messieurs les ministres, qu'il n'était pas dans les
intentions du Gouvernement de remettre en question ni la décentralisation ni,
fût-ce de manière rampante - et j'y reviendrai dans un instant -, les
différents niveaux de collectivités.
Cela avait d'ailleurs été affirmé lors du congrès annuel des présidents de
conseil général qui s'est tenu en Seine-Maritime voilà quelques semaines.
Mais, comme je le disais il y a un instant, il faut parfaire la
décentralisation, et d'abord en clarifiant la répartition des compétences.
Souvent, en effet, en raison d'interférences, nos concitoyens ont du mal à s'y
retrouver.
J'ajouterai que si, pour certains grands projets, les financements croisés
peuvent se justifier, il reste que cette méthode ralentit souvent leur mise en
oeuvre, en raison de l'addition des délibérations.
Il faut aussi et surtout simplifier les procédures. Comme M. Delevoye l'a
rappelé tout à l'heure, celles-ci sont de plus en plus complexes et lourdes.
Ainsi, quand un projet un tant soit peu important est mis en chantier,
l'élaboration et l'instruction du dossier prennent aujourd'hui deux ou trois
fois plus de temps que la réalisation. En outre, les risques juridiques
découlant de ces lourdeurs sont autant d'épées de Damoclès suspendues au-dessus
de la tête des décideurs.
Clarifier et simplifier, telle doit donc être, à mon avis, la ligne directrice
à suivre pour parfaire la décentralisation et lui donner un nouvel élan.
Il est un autre point que je voudrais évoquer et qui relève directement de
l'Etat. Nos collectivités ont chaque jour à travailler en partenariat avec
l'Etat, et elles se trouvent très souvent face à de nombreux interlocuteurs. Il
est donc indispensable non seulement de déconcentrer à l'échelon des préfets,
dans la mesure du possible, le pouvoir de décision chaque fois que nos
collectivités sont concernées, mais aussi et surtout de faire en sorte que
celles-ci aient un interlocuteur unique.
Le Gouvernement a indiqué qu'il n'existait aucune volonté de recentralisation
rampante. Dont acte ! Cela étant, MM. les présidents de la commission des
finances et de la commission des lois ont évoqué la taxe professionnelle. Je
n'y reviendrai pas, mais, dans un autre domaine, qu'est-ce qui justifie la mise
en place par Mme le ministre de l'environnement d'une nouvelle taxe, dite «
taxe générale sur les activités polluantes » ? En effet, celle-ci ramènera dans
les caisses de l'Etat des crédits qui étaient gérés jusqu'à présent par les
agences de l'eau et par l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise
de l'énergie. De quoi s'agit-il, sinon d'une recentralisation ?
M. Gérard Braun.
Tout à fait !
M. Charles Revet.
Prendrai-je un autre exemple qui montre que, dès qu'une mesure visant à la
simplification des procédures est prise, aussitôt sont mises en place des
dispositions réglementaires annulant les effets de celle-ci ? Voilà un an et
demi, le financement du logement social a été modifié, par la substitution à la
prime d'une baisse du taux de la TVA. Je suis d'autant plus à l'aise pour en
parler que, à plusieurs reprises, j'avais déposé des amendements à ce propos.
Ils n'avaient pas été acceptés, pour des raisons que j'ignore, mais qui sont
probablement d'ordre budgétaire. Toutefois, l'Etat, et je m'en étais réjoui,
avait repris ma suggestion à son compte et supprimé la prime, en même temps
qu'il ramenait à 5,5 % le taux de la TVA. Cette mesure devait,
a priori,
permettre d'améliorer l'efficacité du dispositif. Or aujourd'hui, messieurs
les ministres, les réglementations sont telles que le système est encore plus
lourd qu'il ne l'était auparavant, au point que, la plupart du temps, les
crédits ne sont pas totalement utilisés, parce que les organismes qui ont à les
mettre en oeuvre éprouvent de grandes difficultés à mener à bien l'instruction
de dossiers très complexes.
Me permettrez-vous une dernière réflexion ? Il est de bon ton de mettre en
cause la gestion des élus, voire de créer un climat de suspicion. M. Hoeffel
l'a rappelé tout à l'heure, et tout cela n'est d'ailleurs pas innocent.
Certes, s'il existe des dérapages, ils doivent être dénoncés et sanctionnés,
mais cela ne doit pas occulter le travail de celles et de ceux qui remplissent
leur mission avec dévouement, rigueur et efficacité.
En conclusion, messieurs les ministres, nous vous donnons acte de vos
affirmations, mais je ferai miens les propos de notre collègue M. Mauroy, selon
lesquels il existe, quels que soient les gouvernements, une propension
naturelle de l'Etat à recentraliser. Par conséquent, puisque nous sommes
apparemment tous d'accord pour constater les résultats positifs de la
décentralisation, faites en sorte que des dispositions, souvent sournoises, ne
viennent pas accréditer les craintes venant de tous bords quant à une
recentralisation rampante.
Si ce débat, souhaité par notre président - il l'a indiqué à Rouen voilà
quelques semaines - peut permettre une clarification, nous ne pourrons qu'en
être satisfaits. Qu'il soit l'occasion d'un élan nouveau, dont les premiers
bénéficiaires seront nos concitoyens. N'est-ce pas la vraie finalité de notre
action ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'état de
la décentralisation est aujourd'hui au centre de nos débats, et les orateurs
qui m'ont précédé ont décrit, souvent avec talent, les succès de la
décentralisation, mais aussi ses insuffisances.
En fin de compte, cependant, il nous est permis de nous interroger sur sa
réussite ou sur son échec. Il est incontestable, on l'a dit à plusieurs
reprises, que les lois de 1982 portant droits et libertés des communes, des
départements et des régions ont largement contribué à déscléroser une vie
politique qui souffrait de sa trop large centralisation. En tant que maire, je
me félicite de la plus grande autonomie concédée aux acteurs locaux.
Toutefois, messieurs les ministres, ces textes constituaient également, à mon
sens, un appel à des initiatives nouvelles. Force est de constater que cet
appel n'a pas été entendu par les gouvernements qui se sont succédé depuis
1982.
J'évoquerai trois points parmi ceux qui préoccupent le plus les élus locaux et
qui devraient, selon moi, orienter les travaux du Gouvernement sur la
décentralisation : les personnels des collectivités locales, les problèmes de
sécurité et les finances locales.
J'examinerai d'abord le problème des personnels des collectivités locales,
point que vous avez évoqué tout à l'heure, monsieur Zuccarelli.
Nous l'avons constaté les uns et les autres, les collectivités doivent
organiser le fonctionnement d'une administration locale importante et gérer de
nombreux agents publics sans véritablement disposer pour cela des moyens
nécessaires.
En effet, la décentralisation territoriale, telle qu'elle a été voulue par le
législateur, postule, sauf à être privée de toute réalité de droit et de fait,
l'existence d'une fonction publique qui lui soit propre. Or la réglementation
de celle-ci doit pouvoir se concilier avec le principe d'autonomie des
collectivités locales consacré par la loi du 2 mars 1982.
La plupart des questions relatives à la fonction publique territoriale -
créations et suppressions d'emploi, rémunérations - relèvent de la compétence
des organes de la collectivité, qu'il s'agisse du conseil municipal, du conseil
général ou du conseil régional, tous élus au suffrage universel. Or, sauf à
nier entièrement l'existence de ces responsabilités, la loi et la
réglementation doivent laisser un domaine réservé à ces organes élus, ou tout
au moins une compétence partagée, sans laquelle la réalité de l'autonomie des
collectivités territoriales serait réduite à néant.
La gestion du personnel territorial n'échappe pas non plus aux difficultés que
l'incertitude et la multiplicité des textes engendrent de façon inéluctable.
Une loi de base vingt-quatre fois modifiée depuis le 26 janvier 1984 et la
pluralité des statuts conduisent bien souvent les agents et les collectivités à
demander au juge des solutions que les textes ne peuvent plus leur fournir.
Les propositions de réforme de la fonction publique territoriale, point que
vous avez évoqué tout à l'heure, monsieur Zuccarelli, n'ont pas manqué. Je
citerai, par exemple, la proposition ambitieuse déposée, en 1993, par notre
collègue M. Jean Puech.
L'inflation du contentieux en la matière montre qu'il est urgent que la loi
modernise le statut des agents de la fonction publique territoriale et,
surtout, clarifie le rôle et les responsabilités des collectivités locales dans
la gestion de ces personnels.
J'en viens aux problèmes de sécurité et de lutte contre la délinquance.
Les enquêtes d'opinion montrent sans aucune ambiguïté - nous connaissons la
réalité sur le terrain pour la vivre quotidiennement - le fait que nos
concitoyens considèrent le maire comme le responsable dans la commune de la
sécurité des biens et des personnes. Les sondages indiquent que la population
souhaiterait qu'il ait des pouvoirs accrus. Nous ne pouvons que nous féliciter
de cette prise de conscience par nos concitoyens de l'importance d'une
véritable politique de sécurité dans notre pays.
Contrairement à vous - mais l'expression que vous avez employée a sans doute
été malheureuse - je ne pense pas que la sécurité soit un concept de gauche.
Pour autant, je suis heureux de constater que vous ne considérez plus
aujourd'hui la sécurité comme un droit abstrait, un concept global, car, chacun
l'a compris, ce sont les couches sociales les plus démunies qui souffrent de
l'insécurité, laquelle résulte très largement du mal de vivre de ces personnes.
Cette nouvelle attitude me paraît aller dans le bon sens, et je ne peux que
m'en réjouir.
Les élus locaux et moi-même avons été très surpris, monsieur le ministre, de
voir prendre une décision qui a été centralisée, qui n'a fait l'objet d'aucune
concertation avec les élus locaux et les représentants de l'Etat sur le
terrain, et qui concerne un plan de redéploiement des forces de police et de
gendarmerie nationale engagé par le Gouvernement.
L'incompréhension a été telle que vous avez un peu reculé. En effet, vous avez
reconnu l'absence totale de concertation avec les élus locaux et vous avez
suspendu le plan.
En dépit de cette décision, de nombreux élus doutent désormais de la volonté
et de la capacité de l'Etat d'assurer localement la sécurité, et le
développement des polices municipales est le corollaire automatique du relatif
désengagement de l'Etat dans ce domaine.
Dans l'opposition, vous dénonciez souvent, messieurs les ministres, les
transferts de charges. J'espère que vous ne changerez pas d'opinion et que, en
matière de sécurité notamment, les responsables des collectivités locales, en
particulier les maires, auront enfin les moyens qui correspondent à leur
compétence.
Je tiens pourtant à être associé, monsieur le ministre, à ceux qui vous ont
félicité pour avoir voulu, enfin, donner un statut aux polices municipales,
aujourd'hui sans base juridique. Toutefois, je le répète, nous ne pouvons
accepter que la loi n'autorise pas les polices municipales à intervenir en cas
de flagrant délit. De même, nous ne pouvons admettre que les policiers
municipaux doivent travailler de nuit sans être armés. Le souci de la sécurité
la plus élémentaire de ces agents ferait disparaître une bonne part de leur
efficacité, puisqu'ils ne seraient plus envoyés dans certains quartiers où leur
présence est pourtant - vous me l'accordez - particulièrement nécessaire.
Les incertitudes et les ambiguïtés dans les missions et les compétences des
différents responsables de la sécurité des citoyens révèlent l'impérieuse
nécessité d'un important développement de la décentralisation en ce domaine
également.
Le troisième point que je souhaitais aborder concerne les finances locales.
Tout à l'heure, j'ai noté avec beaucoup de satisfaction, monsieur le ministre,
que cette année il n'y aura pas d'augmentation des cotisations des communes à
la CNRACL.
Je reviendrai un instant sur le problème de la taxe professionnelle, qui
soulève bien des interrogations auprès des élus locaux. La première d'entre
elles est de savoir si les collectivités locales disposent d'une véritable
autonomie fiscale.
Par ailleurs, la compensation annoncée nous paraît quelque peu hypocrite
puisqu'elle sera basée sur des sommes que nous devrions retrouver, et non sur
des sommes que nous pourrions espérer.
J'aborderai un dernier point concernant les finances - je l'ai déjà exprimé à
plusieurs reprises à cette tribune et je souhaiterais le voir enfin repris - je
veux parler des contingents payés par les communes au département. Il existe
deux contingents principaux, le contingent d'aide sociale et le contingent
incendie.
L'aide sociale pèse très lourdement sur le budget des communes. A
Salon-de-Provence, qui compte près de 40 000 habitants, le contingent d'aide
sociale s'élève à 12 millions de francs. Que faisons-nous ? Nous prenons cet
argent dans la poche des contribuables, par le biais de nos taxes, et nous le
reversons au département. Ne serait-il pas plus simple que le département lève
cette taxe directement ? On éviterait ainsi aux communes de jouer le rôle de
percepteur.
Une nouvelle loi de décentralisation doit compléter au plus tôt les textes de
1982. Je crois que c'est ce que tout le monde souhaite. Nous voulons qu'elle
soit préparée avec les élus locaux, département par département, sans
arrière-pensée politique, car l'avancée de la décentralisation - M. Raffarin
l'a dit tout à l'heure - ne peut pas être considérée avec des arrière-pensées.
Comme j'ai pu le vérifier au cours de ma récente campagne pour les élections
sénatoriales, les aspirations à une décentralisation raisonnable, équilibrée et
irréversible sont partout les mêmes, à droite comme à gauche.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
(M. Revet applaudit.)
M. Louis de Broissia.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, jamais
autant qu'aujourd'hui le Sénat n'a mérité - plusieurs orateurs l'ont dit - ce
que la Constitution lui reconnaît en son article 24, ce privilège d'être « le
représentant des collectivités territoriales de la République ». Je souhaite au
passage faire part de mon émotion car je m'exprime pour la première fois dans
cette assemblée où j'ai été élu après trois législatures passées, parfois
incomplètement, au Palais-Bourdon. Que M. le président et mes chers collègues
le sachent : c'est pour moi une joie de travailler dans cette enceinte à une
meilleure incarnation de la République, à travers - cela tient à notre collège
électoral - l'armée parfois obscure et sans grade des innombrables conseillers
municipaux, adjoints, maires, conseillers généraux et conseillers régionaux, et
de tous ceux qui travaillent dans les syndicats de communes, les communautés de
communes, les districts, les syndicats de pays, et qui tissent quotidiennement
ce que j'appellerai le « maillage de la République ».
Jamais autant qu'aujourd'hui ce débat n'a été aussi nécessaire, en raison du
brouillard savamment entretenu, hélas ! par tous, à droite comme à gauche - je
pourrais citer des noms - sur le rôle des collectivités territoriales : un
échelon de trop ici, une tutelle nouvelle proposée là, et pendant ce temps, le
monde et l'Europe tournent, sans se préoccuper de nos tergiversations.
Messieurs les ministres, le Gouvernement de M. Lionel Jospin est passé maître
en l'art du brouillard législatif. Jugeons-en plutôt d'après l'actualité de ces
derniers jours.
La semaine passée, le Sénat a débattu du cumul des mandats pour flatter
l'opinion dans le sens du poil et lui faire comprendre que le sénateur
président de conseil général que je suis cumulerait les avantages et - pourquoi
pas ! - les primes et les privilèges, sans mettre en avant la complémentarité
et l'efficacité accrue entre un mandat national et une fonction exécutive dans
une assemblée départementale, bien entendu dans le strict respect des limites
légales des indemnités et au service de nos concitoyens.
Un journal du soir traitait de la discussion engagée sur l'« adaptation de
l'intercommunalité à la réalité urbaine ». Ce même journal parlait d'un «
télescopage du projet Chevènement avec la réforme de l'assiette de la taxe
professionnelle, qui vient, elle, de Bercy ».
Même vous, monsieur le ministre de la fonction publique, de la réforme de
l'Etat et de la décentralisation, vous n'avez pas pacifié le débat, en laissant
à penser, dans un journal du matin - mais votre habileté politique n'est pas
critiquable - qu'il ne fallait pas « sataniser le rôle de l'Etat », alors même
que, voilà deux semaines, lors du congrès de l'Association des présidents de
conseils généraux qui s'est tenu à Rouen, nous avons tous décelé, souligné et
craint le retour de l'Etat à travers ce que nous avons appelé, les uns et les
autres - les formules ont peut-être changé - une renationalisation rampante,
par la fiscalité écologique, par la réforme de la taxe professionnelle, par
l'imagination fertile de certains ministères à proposer des barèmes nationaux
et par un interventionnisme accru des administrations de l'Etat, que d'autres
orateurs ont souligné avant moi.
L'ambiance dans laquelle ont lieu certaines discussions concernant les
contrats de plan Etat-région n'arrange pas - je le dis avec gravité, messieurs
les ministres - la perception d'un traitement républicain, c'est-à-dire
équitable. Le gouvernement auquel vous appartenez, messieurs les ministres,
devra lever une hypothèque, celle d'une conception inquiétante de ce que
j'appellerai la « République discrétionnaire », qui permet, ici, de négocier
avec une région dont l'exécutif lui paraît pur et, là, de contourner l'exécutif
régional au motif que l'élection, qui est légale aux yeux du Conseil d'Etat,
serait illégitime. Que sont devenues les règles de l'égalité républicaine ?
Ayant été, l'an dernier, un des rares rescapés de droite des triangulaires qui
ont plutôt favorisé l'avènement de la gauche, je dois aborder ce sujet.
Ce débat, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues,
doit nous permettre de dresser le bilan et de proposer des pistes pour une
meilleure organisation des pouvoirs de la République. En effet, la République -
c'est, je crois, notre conception commune sur toutes les travées de cet
hémicycle - est partout, elle doit être partout, du chef de l'Etat jusqu'au
plus humble des élus municipaux, départementaux et régionaux. Tous ont reçu
l'onction du suffrage universel et tous appliquent, heureusement, les lois que
vote le Parlement.
Sortons tous du schéma, pourtant, hélas ! encore considéré par nos concitoyens
comme vivace, selon lequel seuls les représentants de l'Etat incarneraient la
République et les élus locaux reconstitueraient, comme une sorte de ligue
dissoute, un pouvoir féodal. J'ai la fierté de dire que, en particulier, les
conseils généraux sont le socle le plus stable de toutes les républiques,
depuis l'Assemblée constituante, depuis 1790 !
Si les grandes lois de décentralisation - disons, par commodité, « les lois
Defferre » n'existaient pas, qu'aurait-il manqué à la nation française ?
Tout d'abord, autorisez-moi à dire que les collectivités territoriales ont été
de remarquables amortisseurs de crise : elles ont répondu rapidement aux
situations locales ; elles ont bâti, aménagé l'espace et géré les solidarités
au quotidien. Et nous savons tous qu'il reste beaucoup à faire dans le domaine
de l'exclusion, du chômage, du logement.
Cette réactivité des collectivités locales s'est marquée singulièrement dans
deux domaines, soulignés par les orateurs précédents : d'une part, le domaine
des investissements - les écoles, les collèges, les lycées, les universités
souvent, les bâtiments publics, les grandes infrastructures - et, d'autre part,
le domaine des méthodes de gestion. Sur ce dernier point, je donnerai un
exemple qui ne vous a certainement pas échappé, messieurs les ministres : celui
de notre gestion de la dette, dont nous souhaiterions que l'Etat puisse
s'inspirer.
Par ailleurs, les collectivités locales font preuve d'imagination - la France
ne peut en effet marcher au même pas à tout instant, en tout endroit du
territoire - de compétition, d'esprit d'observation, de concertation. Tout ce
que l'Etat - les élus des collectivités locales en sont conscients - ne peut
modifier sans réaction souvent brutale, tels des grèves, des blocages
nationaux, peut être amendé par expérimentation ou par partenariat.
A cet égard, messieurs les ministres, mes chers collègues, les collectivités
locales se sont engagées par nature et par vocation dans la contractualisation
et la planification. Comment oublier, en particulier, que le couple formé par
les départements et les communes marche sur cette double base ? Les
collectivités locales ont obligation, dans ce cas-là, de respecter leurs
contrats.
Les collectivités locales ont aussi été obligées de se réformer de l'intérieur
pour paraître moins pesantes sur l'impôt d'aujourd'hui et sur celui de demain -
l'emprunt - et proches de leurs électeurs ; ceux-ci savent en effet que les
régions, les départements et les communes ne pratiquent pas le déficit et
réduisent leur endettement.
Par conséquent, le bilan de la décentralisation n'apparaît pas en demi-teinte,
il est limpide, il est bon. Les débordements, légitimement médiatisés, de
certains élus n'emportent pas l'immense attachement des Français à leurs
responsables locaux, comme les sondages en témoignent.
Seize ans après le début de la décentralisation, peut-on néanmoins rester sur
le mode actuel de fonctionnement ? Non, sans aucun doute, parce que la France
s'intègre de plus en plus dans l'ensemble européen et parce que les citoyens
souhaitent plus de lisibilité, de clarté, plus de transparence, plus
d'engagement possible pour eux dans une démocratie où le débat va du haut vers
le bas, et non simplement des grands élus vers les médias, à destination du
plus grand nombre. Tel est le sens même de la démocratie locale.
Les pistes à ouvrir sont séduisantes, sérieuses et concrètes.
A l'évidence, l'Etat n'échappera pas à une redéfinition de ses missions de
souveraineté. La justice, la sécurité, l'éducation, la solidarité et les liens
entre générations, pour citer quelques exemples, figurent à l'évidence parmi ce
bloc de compétences que l'Etat devra un jour exercer, de façon régalienne,
c'est-à-dire sans partage.
Par ailleurs, comme nous l'avons dit à l'occasion de certains congrès, le
Parlement peut légiférer en vue non pas d'une clarification, mais d'un strict
décroisement de compétences qui permettrait à des collectivités - j'étais
d'accord sur ce point avec l'orateur précédent - d'exercer des responsabilités
et de ne pas enchevêtrer leurs compétences avec d'autres. Nous avions formulé
des propositions en ce sens, notamment pour le bloc sanitaire, qui reviendrait
à l'Etat et le bloc social, qui incomberait au département.
Ensuite, le Parlement doit être - et qui, mieux que le Sénat, peut le faire ?
- l'observateur régulier du bilan de la décentralisation. A l'instar de la Cour
des comptes, qui publie un rapport annuel, peut-on imaginer un jour un
observatoire permanent de la décentralisation qui dresserait une fois par an
l'état de modernité de nos collectivités territoriales ?
En outre, les collectivités locales doivent s'engager vers une démocratie
locale renforcée, c'est-à-dire une transparence accrue, une participation plus
grande des citoyens et plus de proximité avec ces derniers.
Enfin - d'autres l'ont dit avant moi - les élus locaux attendent, un peu comme
soeur Anne, un statut leur garantissant devoirs, droits et contrôle cohérent.
Quel élu local ne s'insurge contre les incohérences de certains avis qui
remettent en cause l'opportunité, alors que seules la légalité et la
régularité, l'orthodoxie doivent être mises en exergue ? Quel élu local
n'estime qu'un pouvoir normatif supranationnal déborde nos collectivités et,
bien souvent, l'Etat ?
En conclusion, ce qui inquiète le plus les collectivités locales, messieurs
les ministres, c'est la boulimie législative, le bouillonnement étatique qui
pousseraient à des textes incohérents et contradictoires, dont j'ai donné
quelques exemples en préambule.
La décentralisation à la française, compte tenu de notre histoire
particulière, de nos territoires, qui sont différents de ceux de nos
concurrents et partenaires européens, et de nos ambitions en Europe,
n'atteindra pas le XXIe siècle sans décision forte. Aucun gouvernement - et le
temps est compté d'ici là - ne pourra se contenter d'un ajout ou d'un
enchevêtrement de textes nouveaux. Il faudra une vraie volonté politique !
Souhaitons que vous l'ayez, messieurs les ministres ! En ce cas, nous serions
tous à vos côtés, sans ambiguïté !
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Je tiens à saluer la première intervention à cette tribune tant de M. de
Broissia, qui vient de s'exprimer, que de M. Cazeau, à qui je donne maintenant
la parole.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la
consolidation de la décentralisation et l'effort d'aménagement du territoire,
questions à l'ordre du jour, mériteraient des développements bien plus longs
que les quelques minutes dont je dispose. Beaucoup de choses ayant déjà été
dites, et bien dites, je me limiterai à faire ici un constat très rapide sur le
bilan que l'on peut tirer à ce jour du mouvement de décentralisation, et trois
commentaires sur les évolutions que le Gouvernement nous propose pour l'avenir
à travers les trois textes qui nous ont été annoncés.
Le constat tient en une phrase : incontestablement, le mouvement de
décentralisation engagé en 1982 est une réussite. La meilleure preuve en est
que, toutes sensibilités politiques confondues, chacun s'est félicité au cours
de la journée de cette réforme ; les plus critiques en 1982 s'érigent même
aujourd'hui en gardiens vigilants de l'évolution de cette décentralisation !
Affirmer cette réussite ne doit d'ailleurs pas en occulter les limites ni
conduire à se voiler la face sur les dérives. Mais, pour être très synthétique,
on peut dire qu'avoir amélioré la gestion des équipements publics, avoir permis
l'éclosion d'initiatives locales, avoir renforcé la démocratie par une gestion
de proximité, bref, avoir été un facteur de modernisation et d'adaptation de
notre République sont des éléments à mettre à l'actif de Gaston Defferre et du
gouvernement de l'époque dirigé par Pierre Mauroy.
Mais, il nous faut maintenant envisager l'avenir.
Au travers des trois projets de lois dont nous aurons prochainement à discuter
- le projet de loi sur l'aménagement durable du territoire, le projet de loi
sur l'intercommunalité ou, du moins, sur son évolution en milieu urbain et le
projet de loi sur les interventions économiques - il faut savoir gré au
gouvernement de M. Jospin d'écrire sans doute la première scène de ce nouvel
acte que beaucoup appellent de leurs voeux.
J'indiquerai ici les trois observations essentielles que nous inspirent ces
projets de loi.
Tout d'abord, parmi les améliorations les plus urgentes à apporter à la
décentralisation figurent incontestablement celles qui portent sur les outils
et les moyens juridiques offerts pour mener une action efficace en matière de
développement économique local.
Je note avec satisfaction que deux des projets de loi annoncés vont très
clairement en ce sens. Il en est tout d'abord ainsi du projet de loi relatif
aux interventions économiques des collectivités locales.
En remplaçant la distinction un peu surranée, s'agissant de la création et du
développement d'entreprises, entre aides directes et aides indirectes par une
graduation des possibilités offertes en fonction de l'importance du projet, la
loi va clarifier le dispositif et permettre aux différents partenaires de mieux
coordonner leurs actions. Je me réjouis d'ailleurs de l'obligation de
transparence faite aux entreprises sur la nature et le montant des aides
perçues au cours des cinq années précédentes. Elle permettra, je l'espère, d'en
finir avec les fameux « chasseurs de primes » qui ont porté un si grand tort
aux interventions économiques des collectivités. Je présenterai toutefois deux
remarques à propos de ce texte.
Tout d'abord, s'il est nécessaire de rechercher à encadrer juridiquement les
interventions des collectivités, il faudrait toutefois éviter de priver ces
dernières de toute possibilité d'action autonome en faveur des entreprises en
difficulté. Je sais qu'un problème lié au droit européen se pose à cet égard.
On ne devrait toutefois pas, à mon avis, fermer complètement la porte à des
solutions qui, en redonnant un bol d'air à une entreprise ponctuellement
défaillante, permettent d'éviter des situations plus délicates par la suite.
Dans le même sens, il me semble que les mesures prudentielles prévues sur la
limitation des interventions en fonction des recettes courantes des
collectivités devraient être accompagnées d'un renforcement du dispositif
redistributif au niveau national. A défaut, nous nous retrouverons dans une
situation où seuls les départements et les régions riches auront les moyens de
faciliter l'implantation ou l'agrandissement des entreprises.
La seconde remarque concerne le projet de loi sur l'intercommunalité.
Instituant la communauté d'agglomération et invitant à systématiser la taxe
professionnelle d'agglomération, ce projet de loi fournit aux villes moyennes
le cadre juridique adapté qui leur faisait défaut pour maîtriser leur
développement. Il contribuera probablement aussi à mettre fin à des situations
de concurrence entre communes, préjudiciables à long terme à l'ensemble de
l'agglomération.
La communauté d'agglomération sera d'ailleurs également un excellent outil
d'application des politiques de la ville, auxquelles le Gouvernement a souhaité
donner un nouvel essor.
J'ajoute que la création de la communauté d'agglomération sera
particulièrement utile si elle incite les conseils généraux ne l'ayant pas
encore suffisamment fait à se préoccuper de la réalité urbaine et à mener, en
particulier dans le domaine social, des politiques plus actives et plus
concertées marquant leur présence. Voilà qui permettrait d'éviter que l'on ne
se pose régulièrement la question des missions de l'échelon départemental en
agglomération.
J'en viens à ma deuxième observation.
Le complément indispensable de la décentralisation est une politique
d'aménagement du territoire ayant l'ambition d'assurer, certes, la réalisation
des équipements structurants nécessaires, mais également le maintien d'une
présence équilibrée des services. Nous nous réjouissons donc de deux évolutions
sensibles que semble devoir marquer la loi d'orientation pour un aménagement
durable du territoire par rapport à celle du 4 février 1995.
Il s'agit, d'abord, de privilégier des schémas régionaux d'aménagement du
territoire plutôt qu'un schéma national trop généraliste. Il s'agit, ensuite,
d'instituer des schémas de services collectifs, qui ont, selon nous, au moins
deux avantages.
Ils signifient qu'en matière d'aménagement du territoire est enfin reconnue au
développement des services une importance au moins aussi grande que celle des
équipements dits structurants.
En effet, sont aussi essentiels à l'avenir de nos régions et de nos
départements l'implantation, voire la mise en réseau, des services
universitaires, de recherche ou de la santé, par exemple, que le nombre de
kilomètres d'autoroutes ou de voies TGV à construire.
Le souci du développement des services doit également être l'occasion de
réfléchir de façon plus globale à l'organisation des services publics en milieu
rural - mais je ne reviens pas sur ce point évoqué dans l'une des interventions
précédentes.
Evidemment, cette démarche aura d'autant plus de sens, monsieur le ministre,
si, avec le soutien du Gouvernement, nous obtenons que le redécoupage des zones
d'intervention des crédits structurels européens ne délaisse pas celles de nos
zones rurales qui sont les plus fragiles.
Je suis tout à fait favorable aux financements croisés, contrairement à
certains.
Ma troisième observation, qui prendra plutôt la forme d'une interrogation,
porte, elle aussi, sur les liens, indissociables à nos yeux, entre aménagement
du territoire et décentralisation.
Très précisément, toute volonté d'aménagement, aussi réfléchie et volontaire
soit-elle, risquerait d'être privée d'efficacité si elle ne savait s'appuyer
résolument sur le réseau des collectivités locales en place.
De ce point de vue, je me demande si la place donnée à la notion de « pays »,
dans la loi d'orientation mais aussi dans les circulaires préparatoires aux
contrats de plan, instituant un étage supplémentaire entre l'échelon municipal
et l'échelon départemantal, et semblant d'ailleurs les ignorer l'un et l'autre,
n'est pas préjudiciable à une bonne réussite des efforts communs de l'Etat et
des collectivités locales en faveur du développement des territoires.
Pour éviter cet écueil, il conviendrait que le Gouvernement confirme de
manière péremptoire son attachement au maintien du département en tant que
collectivité locale de plein exercice, en précisant si possible, dans le texte,
que sa première vocation reste d'assurer l'indispensable solidarité entre monde
urbain et monde rural.
La question se pose en effet clairement de savoir quelle efficacité les pays
pourront avoir en matière de cohésion sociale et territoriale si aucune
structure n'est là pour coordonner leurs projets et leurs actions.
De ce point de vue, l'expérience acquise par les conseils généraux pour
concilier proximité et vision globale me paraît irremplaçable.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, il nous est apparu important de
défendre devant vous l'idée que, s'il nous faut maintenant penser à une
nouvelle évolution de la décentralisation, celle-ci doit être fondée sur le
respect des principes originels des réformes de 1982 et 1983.
Tout d'abord, le respect de l'organisation politique et administrative sur
laquelle est fondé notre système de décentralisation. Il faut s'y faire : la
France n'est ni un pays fédéral ni un pays fondé sur un pouvoir régional fort.
L'exception française, c'est aussi cela : depuis la Révolution, notre pays est
cette République une et indivisible qui, par souci d'efficacité, a choisi de
décentraliser les pouvoirs vers trois échelons. Tous ont leur place, ce qui
n'exclut d'ailleurs pas une évolution.
Les modifications à apporter doivent plutôt porter sur la coopération entre
les divers niveaux d'administration locale ainsi que - on l'a dit - sur le
renforcement du mouvement de déconcentration des services de l'Etat, complément
indispensable de la décentralisation permettant à ces pauvres préfets, voire
sous-préfets, de ne pas venir quémander en permanence dans les conseils
généraux parce qu'ils n'ont de moyens ni en hommes ni en crédits.
Il faut respecter, enfin, la philosophie des réformes de 1982 et 1983.
A la suite de Gaston Defferre, je dirai que décentraliser, c'est simplifier.
C'est éviter la complication des lois, décrets, directives, circulaires et
permettre, par la proximité, une vraie adaptation de l'action publique aux
besoins concrets de nos concitoyens.
Dans le même temps, cette autonomie, cette liberté locale ne doivent pas être
celles du plus fort. Elles doivent être équilibrées par une politique renforcée
de péréquation qui recrée des conditions d'égalité entre les différentes
parties du territoire français.
Espérons, d'ailleurs, que le contrat de croissance et de solidarité dont vous
nous avez parlé aura un effet. Mais sera-t-il suffisant ? Pour l'instant, on
peut en douter.
J'ai bien conscience que les textes de loi qui nous seront prochainement
proposés par le Gouvernement permettront de progresser dans ce sens. J'espère,
pour l'avenir de nos territoires et de notre pays, qu'ils permettront
d'avancer, monsieur le ministre, aussi rapidement que possible.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Amoudry.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Paul Amoudry.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, on l'a
dit, malgré des imperfections inhérentes à toute oeuvre collective, la
décentralisation a fait, depuis une quinzaine d'années, la preuve de sa
capacité à moderniser notre pays et à rapprocher les centres de décision du
citoyen, conformément aux aspirations de la société contemporaine.
L'aptitude des collectivités à assumer leurs nouvelles compétences est
d'autant plus remarquable et avérée que ce processus de décentralisation
correspond à une période où notre pays s'est trouvé confronté à des difficultés
économiques et sociales aggravées.
Et pourtant, qui n'est pas aujourd'hui en proie au doute sur la volonté réelle
de l'Etat de parachever l'oeuvre de décentralisation ?
Les causes de ce doute sont diverses. Je les rangerai en deux catégories :
d'une part, et pour faire simple, une succession d'initiatives gouvernementales
récentes, vécues comme faisant peu de cas du principe de libre administration
des collectivités locales ; d'autre part, des attentes maintes fois exprimées
dans plusieurs domaines, appelant des réformes qui tardent à venir.
Je crois profondément, avant d'aborder, au cours de la présente session
parlementaire, l'examen de ces réformes annoncées par vous, messieurs les
ministres, qu'il importe que nous soyons très précisément éclairés sur les
intentions réelles du Gouvernement, car il en va de la sincérité du débat
d'aujourd'hui comme de son utilité pour mettre en cohérence les réformes ainsi
annoncées. Le débat que nous tenons ce soir - nous en remercions M. le
président du Sénat - doit en effet contribuer à apporter la cohérence voulue
aux textes annoncés.
Nous attendons, messieurs les ministres, que vous donniez des assurances
fortes et que vous leviez l'ambiguïté sur les initiatives prises récemment, et
vécues comme autant de remises en cause, pour ne pas dire de « marches arrière
», imposées à la décentralisation.
Permettez-moi de rappeler quelques exemples parmi d'autres, en matière
financière et fiscale, tout d'abord.
Voilà une réforme annoncée de la taxe professionnelle - il en a été fortement
question ce soir - qui aboutit à étatiser le tiers du produit de cet impôt
local et à diminuer d'autant l'autonomie financière des collectivités
décentralisées.
Le débat devant le Parlement était encore loin que, déjà, l'effet d'annonce
amenait collectivités et entreprises à anticiper la mise en oeuvre de cette
mesure dont on dit aujourd'hui que le bénéfice pour les entreprises ne sera pas
aussi prometteur que sera pénalisant le sacrifice demandé aux collectivités.
Il en va de même de l'annonce, cet été, d'une baisse sensible des droits de
mutation.
L'important, pour nos concitoyens, n'est pas de savoir quand la loi aura rendu
la réforme applicable, encore moins combien perdront les départements, et si
une juste et durable compensation leur sera apportée.
L'essentiel est aujourd'hui l'effet d'une annonce ministérielle qui, plusieurs
semaines, voire plusieurs mois avant le débat au Parlement, acquiert en quelque
sorte force de loi, au point que les agents économiques anticipent sans délai
cette mesure.
Une nouvelle fois, à mes yeux, sont relégués au second plan l'indépendance
financière des collectivités, comme l'ordonnancement constitutionnel qui
préside à l'élaboration de la loi.
Et que dire du projet de taxe générale sur les activités polluantes, mesure
plus discrète mais tout aussi révélatrice d'un projet dont l'objectif manifeste
est la remise en cause de l'autonomie des agences de l'eau, l'une des plus
anciennes institutions décentralisées du pays ?
Autres domaines où ne souffle guère l'esprit de la décentralisation :
l'aménagement du territoire et l'environnement.
La procédure Natura 2000 a déjà été citée dans cet hémicycle comme l'une des
manifestations de ce recul constaté de l'autonomie locale.
En effet, le Gouvernement a, à diverses reprises, donné l'assurance formelle
qu'il ne transmettrait à la Commission européenne que les seuls sites ayant
reçu l'approbation de tous les partenaires de la concertation, y compris donc
les communes.
Or, il apparaît, sur inventaire de l'association nationale des élus de la
montagne, que les observations de plus d'une centaine de communes, sur les
périmètres proposés, n'ont pas été prises en compte. Tant d'indifférence est
ressentie par les élus concernés comme la négation des acquis essentiels de la
décentralisation.
Les procédures actuelles d'élaboration des directives territoriales
d'aménagement, quoique engagées sous le signe de la concertation, nous
conduiront-elles à faire le même constat ?
Si les directives territoriales d'aménagement furent accueillies, à l'origine,
avec un préjugé favorable, en montagne notamment, où l'on voyait en elles le
moyen de concrétiser cette reconnaissance de spécificité inscrite au fronton de
la loi du 9 janvier 1985 mais jamais entrée dans les faits, aujourd'hui, ces
directives apparaissent comme annonciatrices de contraintes nouvelles.
Les programmations régionales et locales semblent devoir s'effacer sans que
quiconque ait le moyen de connaître les projets d'infrastructures auxquels le
Gouvernement donnera suite.
Si l'on ajoute à cela de récentes décisions unilatérales de suppression de
tracés autoroutiers, au mépris d'années de travail et sans la moindre
concertation, on mesure à quel point l'action du Gouvernement, dans ce domaine,
est jugée, sur le terrain, bien étrangère à une politique d'inspiration
décentralisatrice.
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Jean-Paul Amoudry.
Les élus locaux attendent donc, messieurs les ministres, que le Gouvernement
apporte les inflexions de nature à restaurer la confiance.
En particulier, et à titre d'exemple, les élus demandent que le contrat de
croissance et de solidarité annoncé tienne compte de l'explosion, depuis
quelques années, des dépenses relatives aux normes environnementales et de
sécurité déjà citées.
L'attente des collectivités est particulièrement forte sur ce point, comme sur
le terrain des réformes qui s'imposent pour relancer la décentralisation.
Le rapport du groupe de travail sur la décentralisation, créé en 1997 par la
commission des lois du Sénat, formule plusieurs propositions : en particulier,
une nécessaire clarification des relations avec l'Etat, une réforme de
l'intercommunalité et un assouplissement du statut de la fonction publique
territoriale.
D'autres orateurs ont, avant moi, avec plus de talent, développé ces
différents sujets sur lesquels je ne m'attarderai pas, étant précisé que je
souscris pleinement aux propositions faites.
En complément au dispositif annoncé par le Gouvernement, je souhaite mettre
l'accent sur la nécessité d'une plus grande sécurité juridique des actes des
collectivités et d'une modernisation du contrôle financier local.
L'insécurité juridique est l'un des maux dont souffrent le plus souvent les
élus locaux aujourd'hui.
M. Charles Revet.
C'est vrai !
M. Jean-Paul Amoudry.
Tout d'abord, en matière d'urbanisme, on constate dans nombre de communes que
des plans d'occupation des sols élaborés depuis de nombreuses années avec le
concours des services de l'Etat, puis approuvés par les préfets, sont
aujourd'hui remis en cause par ces même services. Bien sûr, sont intervenus
entre temps des recours devant la justice. Mais, concrètement, à quelques
années d'intervalle, le discours tenu par les représentants de l'Etat est
diamétralement opposé sur un même sujet.
M. Charles Revet.
Exact !
M. Jean-Paul Amoudry.
Cette situation est vécue comme une rupture des engagements pris par l'Etat et
entraîne nombre de désordres et de conséquences. Ainsi, tel terrain reconnu un
temps constructible, ayant fait l'objet d'un partage familial et de l'acquit de
droits de succession, est aujourd'hui déclaré inconstructible... On mesure les
conséquences familiales et financières de tels revirements de situation,
moralement imputés aux municipalités !
De même, des communes ayant réalisé des travaux de viabilité dans le cadre de
zones reconnues constructibles sont parfois conduites aujourd'hui à déplorer
l'inutilité de vaines et coûteuses dépenses d'infrastructures.
Cet état de fait doit être dénoncé ; nous avons le devoir collectif d'y
apporter les corrections nécessaires.
En des domaines autres que l'urbanisme, l'insécurité juridique mériterait
d'être corrigée par l'adoption des mesures préconisées dans le rapport du
groupe de travail commun aux commissions des finances et des lois, que j'ai eu
l'honneur de présider, et qui a consacré ses travaux, sous la houlette de son
rapporteur, M. Oudin, au contrôle financier local.
Parmi les mesures que préconise ce rapport, et qui sont propres à renforcer la
sécurité juridique des actes des collectivités locales, j'en relèverai
trois.
Premièrement, il faut clarifier certains aspects de la législation sur la
fonction publique territoriale comme sur les marchés publics. A cet égard, la
réforme annoncée en matière de marchés publics tarde à venir, laissant les
gestionnaires locaux tâtonner dans les arcanes d'une réglementation devenue
trop complexe.
Deuxièmement, pour accroître la sécurité juridique, il serait opportun, dans
l'esprit du rapport du Conseil d'Etat de 1993, d'améliorer le contrôle de
légalité pour renforcer sa complémentarité avec le contrôle financier.
Troisièmement, enfin, les collectivités locales doivent être incitées à
renforcer les procédures de contrôle interne. Cet objectif est d'ailleurs
essentiel pour relancer la décentralisation, car le développement d'une culture
de l'autocontrôle et de l'évaluation des politiques publiques est nécessaire,
afin d'assurer les meilleures allocations possibles des ressources dans un
contexte de rareté de l'argent public.
Je vous remercie, messieurs les ministres, de bien vouloir faire connaître à
la Haute Assemblée les intentions du Gouvernement sur les trois orientations
ainsi proposées, comme d'ailleurs sur les voies qui sont suggérées maintenant
pour moderniser le contrôle financier local.
Nécessaire contrepartie démocratique du renforcement des pouvoirs dévolus aux
collectivités locales, le contrôle financier représente un indéniable facteur
de transparence de la gestion publique locale, et s'analyse donc, plus
généralement, comme le corollaire indispensable de la décentralisation.
Pour autant, l'impact médiatique du pouvoir d'informer, reconnu aux chambres
régionales des comptes par la loi du 15 janvier 1990, impose que la mise en
oeuvre du contrôle s'effectue dans le respect des principes généraux de notre
droit, à commencer par le respect des droits de la défense et le renforcement
des garanties des contrôlés.
Un plus juste équilibre est à atteindre, en ce domaine, pour que le contrôle
financier et l'examen de la gestion des collectivités soient mieux compris et
mieux acceptés, donc plus efficaces.
Tel est bien l'un des principaux enjeux de la modernisation qui s'impose en
cette matière.
Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaite maintenant conclure
mon propos en remerciant les ministres de leur attention, mais surtout des
réponses que nous attendons d'eux : puis-je leur dire que nous comptons sur des
initiatives vigoureuses, de nature à conforter la décentralisation et à faire
vivre la démocratie locale ; l'enjeu, est-il besoin de le rappeler, est de
taille, car c'est parce qu'elles offrent un point d'ancrage et d'enracinement à
nos concitoyens que la décentralisation et la démocratie locale constituent une
réponse moderne aux défis de la mondialisation.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pépin.
M. Jean Pépin.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à mon
tour je me réjouis de l'organisation de ce débat. Je remercie tant le président
du Sénat pour son initiative que le Gouvernement d'avoir, sans tarder, voulu
donner suite à cette demande qui avait été si fortement exprimée par les
présidents de conseils généraux lors de leur congrès de Rouen voilà quelques
jours.
A l'instar de nombre de mes collègues, j'estime que la décentralisation « cela
marche » et qu'une nouvelle étape doit être franchie en matière de
décentralisation. Les lois de 1982 et 1983 et celles qui ont suivi ont
constitué une formidable avancée pour répondre aux attentes de nos populations
et améliorer l'action publique locale.
Quinze ans après, on peut mesurer le chemin parcouru. J'estime pour ma part
que le pari de cette réforme d'envergure a été globalement gagné. La démocratie
locale a été renforcée, la gestion de proximité a montré ses multiples
avantages. Aujourd'hui, les collectivités locales assurent au quotidien et dans
de bonnes conditions de très nombreux services à la population et sont plus
proches des préoccupations des entreprises et des forces vives locales.
Je voudrais rappeler qu'un sondage, réalisé par IPSOS en février 1998 pour un
quotidien national, indiquait que nos concitoyens considéraient comme positif
le fait de transférer plus de pouvoir de l'Etat vers les collectivités locales.
Ils aspiraient plutôt à ce que ce processus s'accélère. Comment ne pas les
comprendre ?
Le contexte de l'intégration européenne ne peut que renforcer le souhait de
nos concitoyens de voir maintenu, voire élargi le champ de compétences du
politique, notamment au niveau le plus proche d'eux, face aux responsables
économiques et financiers et aux marchés qui raisonnent - et c'est probablement
leur rôle - en termes de « mondialisation ». Il y a là, me semble-t-il, un
effet d'équilibre qui, dans l'esprit de nos concitoyens, est souhaité.
En effet, sur un plan économique, les collectivités locales représentent 70 %
de l'investissement civil en France. Elles concourent avec l'Etat et les
entreprises à l'animation et au développement du territoire national et de leur
territoire de proximité. Ce sont elles qui contribuent à nourrir le tissu
territorial. Elles sont essentielles donc à la cohésion sociale, économique et
territoriale de notre pays.
Quant aux élus locaux, ils ont montré leur esprit de responsabilité et, le
plus souvent, leur capacité à gérer.
M. Charles Revet.
Tout à fait !
M. Jean Pépin.
Bien sûr, comme pour toute réforme, on peut discuter du bilan, évaluer et
mettre en avant ce qui a le mieux marché, ou identifier les échecs, les zones
d'ombres, mais l'ensemble est largement positif.
A ce sujet, nous avons ici tous en mémoire le rapport si nourri de mars 1997
du groupe de travail de la commission des lois du Sénat, intitulé «
Décentralisation, messieurs de l'Etat, encore un effort ! »
L'approfondissement de la décentralisation, voire son amplification, va dans
le sens de l'histoire.
Pour autant, ce mouvement doit partir d'une phase d'analyse et d'évaluation
et reposer sur des objectifs de lisibilité, de transparence, de démocratie et
d'efficacité de l'action publique locale.
Mais ce mouvement se doit, par ailleurs, d'être parfaitement maîtrisé. On veut
en effet laisser croire à l'opinion que le débat sur le nombre d'échelons
territoriaux est le seul qui vaille et qu'une fois résolu ce problème la
décentralisation et l'action locale s'en porteront mieux.
Même si la question doit être abordée sans
a priori,
même si nous avons
besoin de clarifier le rôle de chacun, le vrai débat n'est aujourd'hui pas
celui-là. Plusieurs questions plus urgentes doivent être posées et débattues ;
plusieurs chantiers doivent être ouverts préalablement.
Une première série de questions, où les chantiers sont d'ordre général,
concerne particulièrement l'Etat, son mode d'organisation et nos institutions
:
Dans quel système institutionnel entendons-nous évoluer pour faire face à nos
propres enjeux de cohésion, d'administration, de modernité, de compétitivité,
pour faire face également aux enjeux de l'intégration européenne et à ses
nouveaux défis ?
Veut-on tendre vers un fédéralisme, une Europe des régions, ce qui serait pour
nous une révolution compte tenu de notre histoire et de notre culture ?
Veut-on maintenir l'équilibre actuel ?
Veut-on laisser les administrations centrales revenir sur les acquis de la
décentralisation ?
Quelle organisation l'Etat entend-il adopter pour s'adapter aux réalités
locales et véritablement se moderniser ?
Comment l'Etat, avec ses administrations, se situe-il face à la
décentralisation ? Comment entend-il se comporter avec les collectivités
locales ?
A ces questions, messieurs les ministres, il faudra bien que, tous ensemble,
nous tentions d'y répondre.
Une autre série de questions concerne plus précisément les collectivités
locales elles-mêmes, leur mode de fonctionnement, leur fiscalité, leur assise
démocratique, la clarification de leurs responsabilités, de leurs relations.
Des propositions concrètes avaient été faites en mars 1997 dans le rapport que
j'ai cité tout à l'heure.
Si l'on en juge par les orientations actuelles, on a plutôt le sentiment qu'il
n'y a pas de véritable volonté politique d'aborder de manière globale les
choses. Or nos concitoyens nous encouragent à rendre plus lisibles l'action
locale et l'action nationale ; mais pour y parvenir, il faut être en mesure
d'appréhender le débat de manière globale.
La modernité de nos institutions touche à l'organisation de l'Etat, au bon
exercice de la démocratie et des solidarités territoriales et humaines, à
l'aménagement du territoire dans sa diversité et à la fiscalité locale.
On ne peut pas se contenter d'imaginer de nouveaux espaces « pertinents »,
agglomérations et pays, sans réfléchir à leur articulation avec les
collectivités locales de plein exercice. J'y reviendrai tout à l'heure.
Pour parler un peu plus de l'Etat, je dirai qu'il n'a toujours pas redéfini
sur le moyen et le long terme les missions qu'il entendait assurer
prioritairement sur le plan national et local, en se situant clairement par
rapport aux collectivités locales ou en situant clairement les collectivités
locales par rapport à lui. Il n'a toujours pas redéfini son organisation locale
et semble avoir renoncé à une véritable volonté de déconcentration, toujours
annoncée mais rarement avenue. On a plutôt le sentiment que, depuis plusieurs
années, il soit plus enclin à renationaliser les politiques locales en freinant
du même coup leur capacité d'initiative.
L'expérience de ces dix dernières années montre que l'Etat n'a cessé de
cultiver une position que je qualifierai d'ambiguë, ne voulant pas être trop
sévère mais ayant simplement l'intention de poser le problème.
Cette ambiguïté naît de l'exception française en Europe : le doublement
systématique des échelons décentralisés par des administrations d'Etat.
Pourquoi cette exception française ne conviendrait-elle pas, et qui gêne-t-elle
vraiment ?
Tout en laissant les collectivités locales gérer à sa place les compétences
dévolues par les lois de décentralisation, l'Etat est ainsi resté omniprésent
par la définition des cadres nationaux, techniques et financiers. Très vite,
c'est à une inflation normative et réglementaire qu'on est arrivé.
Or, ces nouvelles contraintes ont réduit progressivement les marges de
manoeuvre politique et financière des collectivités locales. Et je ne parle pas
des barèmes nationaux que certains ministères entendent imposer seuls, ni des
pratiques de cogestion qui peuvent s'apparenter à une forme de tutelle.
Dans le cadre de ses politiques contractuelles, l'Etat a, par ailleurs, fait
assumer, parfois et même souvent, ses propres compétences par les collectivités
locales, cela dans de nombreux domaines et sans aucune compensation financière.
La période qui s'ouvre de négociation des futurs contrats de plan montrera si
cette tendance est confirmée.
L'Etat demande également aux collectivités locales, depuis longtemps et de
plus en plus, - je n'en fais pas une affaire de droite et de gauche, je parle
de l'Etat dans sa permanence et non de Gouvernement -, d'accompagner les
politiques et les programmes qu'il arrête sur le plan national.
Enfin, on doit s'interroger sur un certain nombre de mesures dont les
conséquences portent atteinte à l'autonomie des collectivités locales. Les
exemples qui portent sur la fiscalité locale et sur la fiscalité écologique ont
été largement évoqués dans cette enceinte. Je n'y reviens donc pas, mais ils me
paraissent contraires à une véritable décentralisation.
Que veut-on, en définitive ? Un système de cogestion complet ? Que les élus
locaux deviennent des supplétifs de l'Etat ? La démocratie y perdrait, et la
nation, tant les élus locaux, les élus de la nation et l'Etat central sont, à
mes yeux, très largement complémentaires et nécessaires les uns et les
autres.
Que l'on ne s'y trompe pas : les promoteurs des lois fondatrices de 1982
étaient autant attachés à libérer la décentralisation qu'à préserver l'Etat des
prérogatives essentielles, et ce dans un cadre unitaire, tant il est vrai que
la République est une et indivisible. Je partage pleinement ce principe
essentiel originel.
C'est pourquoi ils avaient envisagé que, parallèlement à cette prise
d'autonomie et de compétences des collectivités locales, l'Etat se transforme
véritablement, qu'il engage la déconcentration des circuits et des décisions,
et qu'il réorganise ses services sur le plan local.
Cette réforme, qui toujours a été annoncée, n'a jamais été réellement mise en
oeuvre et, encore aujourd'hui, elle n'est pas, me semble-t-il, à l'ordre du
jour du présent Gouvernement.
La clé est pourtant là : les élus locaux ne demandent pas que l'Etat renonce à
ses missions ; ils demandent mieux d'Etat au niveau local. Mais l'on sait d'où
viennent les blocages : la politique doit revenir en force sur ce dossier.
Après ces remarques concernant l'Etat, j'évoquerai plus brièvement les
collectivités locales pour dire qu'il s'agit là d'un dossier qui mériterait
beaucoup de clarifications.
J'affirmerai d'emblée deux idées : la centralisation doit être clarifiée et
rendue plus lisible, donc plus proche des citoyens. Elle doit appartenir tout
d'abord aux élus locaux, qui, parce qu'ils la font vivre chaque jour en liaison
avec les forces vives locales, sont à même d'engager sa modernisation en vue de
plus de transparence et d'efficacité.
La décentralisation doit être lisible, s'agissant des compétences de chacun
des échelons. Au titre de la clarification, par exemple, l'Etat doit reprendre
le volet sanitaire, tandis que le champ social doit être clairement dévolu au
couple « département-communes ».
La décentralisation doit être lisible et simple en termes d'institutions. Or,
aujourd'hui, à la faveur de deux projets de loi soumis au Parlement, l'un
relatif au développement durable du territoire, l'autre relatif à
l'intercommunalité, notamment urbaine, on a plutôt l'impression que le choix
s'est porté sur une nouvelle stratégie d'empilement. On veut faire coexister
des espaces de projets et des espaces de gestion en indiquant, avec une
certaine hypocrisie, qu'ils ne constituent pas de nouveaux échelons. Mais on
connaît les thèses de la DATAR à ce sujet !
M. Charles Revet.
Certes !
M. Jean Pépin.
Les pays et les agglomérations, qui ont une mission de structuration du
territoire, ne relèveront pas de légimité directe. Pourtant, l'Etat leur
consacrera l'exclusivité des financements des politiques contractuelles et des
fonds structurels européens.
Pays et agglomérations devront trouver, avec les échelons traditionnels, dont
les élus qui agissent avec un mandat issu du suffrage universel, les clés d'une
cohésion territoriale rénovée et retrouvée. Espérons qu'il y parviendront.
La stratégie sera élaborée dans les conférences régionales de l'aménagement et
du développement du territoire, et débattue avec les socioprofessionnels et le
milieu associatif dans une sorte de parlement régional.
Veut-on faire plus que de la prospective et diluer ainsi les responsabilités
des élus locaux ?
Par ailleurs, l'étude d'impact réalisée par le ministère de l'intérieur en
accompagnement de son projet de loi sur l'intercommunalité passe très vite,
monsieur le ministre, sur les relations futures entre les communes et les
communautés d'agglomération ou les communautés urbaines. On se contente
d'affirmer que les communes déterminent ce qui relève de l'intérêt
communautaire.
M. le président.
Mon cher collègue, je vais vous demander de conclure pour laisser à M. Bourdin
un peu de temps de parole. Vous avez déjà dépassé le vôtre de six minutes !
M. Jean Pépin.
Je ne me rendais pas compte, monsieur le président. Je vous prie de m'excuser.
J'avais l'impression qu'en lisant trop vite, j'aurais eu du mal à être compris
; mais, en allant moins vite, je n'ai pas le temps de tout dire. C'est
cornélien !
Les compétences obligatoires ajoutées aux compétences optionnelles ne
laisseront que très peu de compétences aux communes concernées par ces
regroupements.
Peu de lignes - pour ne pas dire aucune ligne - évoquent les relations entre
ces nouvelles communautés, qui se verront conférer un réel pouvoir fiscal,
financier et institutionnel, et les conseils généraux. Pourquoi ? Pourtant, les
promoteurs de 1982 avaient fait du couple département-communes l'un des piliers
de la décentralisation.
Je suis obligé de conclure et donc d'abréger mon propos, monsieur le
président. Mais, bien évidemment, ma conclusion perd une partie de sa logique
puisqu'il n'y a plus d'enchaînement.
Je souhaite simplement que tout ce qui a été dit - mais aussi tout ce qui n'a
pas pu être dit au cours de ce débat - nourrisse de nouvelles réflexions afin
d'aboutir à une décentralisation confirmée qui remettrait au coeur du débat
national nos collectivités locales et les principes de proximité de l'action
publique locale, sa transparence et sa légitimité démocratique.
Je souhaite, messieurs les ministres, que le Gouvernement fasse de cette
décentralisation modernisée une priorité en même temps que la déconcentration,
plutôt que d'aborder par petites touches ce dossier et préférer maintenir
l'ambiguïté de son rôle ainsi que celui des collectivités de plein exercice.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes
travées.)
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat
sur la décentralisation va quelque peu se télescoper avec le projet de loi de
finances, qui va être soumis au Sénat dans quelques jours. Je ne traiterai donc
pas, ce soir, des questions financières dans le détail.
Néanmoins, comme M. le président de la commission des finances m'y a invité
tout à l'heure, je relèverai simplement, monsieur le ministre, que vous nous
avez beaucoup parlé du contrat de croissance et de solidarité que le
Gouvernement va offrir aux collectivités locales et dont le mérite est d'être
pluriannuel.
On a beaucoup critiqué l'ancien parce qu'il était critiquable. Mais celui-ci
ne sera bon que sous certaines conditions. Il convient que M. le ministre de la
fonction publique n'augmente pas trop les dépenses des collectivités locales,
en tout cas pas plus que ce que vous nous donnerez en matière de croissance.
Mme la ministre des affaires sociales ne devra pas nous imposer telle dépense
supplémentaire dans le cadre de la loi d'orientation relative à la lutte contre
les exclusions.
M. Jacques Machet.
Bravo !
M. Michel Mercier.
M. le ministre chargé du logement devra s'abstenir de doubler les crédits du
fonds de solidarité pour le logement.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Voilà !
M. Michel Mercier.
Il faudra aussi que M. le ministre des finances ne reprenne pas pour la caisse
de l'Etat la taxe professionnelle de France Télécom ou telle ou telle taxe que
perçoit actuellement l'Agence de l'eau.
Monsieur le ministre, vous avez tout loisir de faire en sorte que ce contrat
soit bon - cela ne dépend que de la volonté du Gouvernement - et nous sommes
preneurs d'un nouveau et bon contrat.
On parlera aussi de la réforme de la taxe professionnelle, que beaucoup
d'orateurs ont déjà évoquée. La mariée sera peut-être un peu moins belle que ce
que l'on annonce, et il faut dire clairement aux entreprises qu'elles auront à
financer une bonne partie de la réforme.
Mais revenons à ce qui me semble être l'essentiel du débat.
Vous nous avez, l'un et l'autre, parlé des intentions du Gouvernement en
matière de décentralisation. Nous ne vous ferons point de procès à ce sujet,
car nous croyons ces intentions sincères. Néanmoins, la décentralisation n'est
pas simplement une affaire d'intention ; c'est aussi une affaire de réalité.
Que représente la décentralisation dans une République qui demeure unitaire ?
C'est une façon de mieux gouverner pour la République, car les décisions sont
prises au plus près des problèmes, au plus près des gens, grâce à
l'instauration d'un dialogue qui permet de trouver la meilleure solution.
Permettez-moi de m'étonner de la contradiction dans l'action que révèle la
succession des textes qui nous sont soumis. La semaine dernière, vous nous avez
expliqué combien la pratique du cumul des mandats était extrêmement nuisible
aujourd'hui, du fait des responsabilités nouvelles confiées par la
décentralisation aux élus locaux, aux acteurs de la décentralisation. C'est sur
ce point, messieurs les ministres, que je souhaite, pour ma part, vous
interroger. Je crois en effet que la décentralisation a besoin d'acteurs ; ce
sont les élus des collectivités locales. Elle a des bénéficiaires ; ce sont nos
concitoyens. Ces élus sont-ils considérés aujourd'hui comme de véritables élus
responsables ? Telle est la question qui se pose. Pour être de véritables
acteurs, ces élus locaux attendent deux choses de la part de l'Etat : d'abord,
qu'il leur accorde sa confiance, ensuite qu'il leur garantisse un minimum de
sécurité juridique dans leur action.
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Michel Mercier.
De nombreux thèmes ont été abordés sur lesquels je reviendrai très
rapidement.
Confiance, qu'est-ce que cela veut dire ? Que ces élus, choisis par le
suffrage universel, sont proches des problèmes, qu'ils sont les mieux placés
pour les régler, et c'est cela l'esprit de la décentralisation.
M. Charles Revet.
Eh oui !
M. Michel Mercier.
Pourquoi sont-ils enserrés dans autant de règles ?
Alors qu'ils sont responsables des collectivités locales, pourquoi n'ont-ils
pas leur mot à dire quant au recrutement, aux conditions d'avancement, de
rémunération de leurs agents ?
Ne sont-ils pas capables de déterminer, dans le respect de la loi, de
l'égalité, de grands principes républicains qui seraient posés, les conditions
d'exercice d'une véritable fonction publique territoriale, d'autant qu'il n'y a
pratiquement aucune passerelle entre la fonction publique territoriale et la
fonction publique de l'Etat.
M. Alain Lambert
président de la commission des finances.
Il n'y a que de la méfiance !
M. Michel Mercier.
Je citerai un autre exemple - quoique je ne vise pas l'exhaustivité - qui
touche au domaine social et qui a été fréquemment évoqué.
Toute l'année, Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité nous a expliqué
que les collectivités locales faisaient mal leur travail et, notamment, que les
conseils généraux étaient incapables de régler le problème de la prestation
spécifique dépendance. Nous avons donc subi tout au long de l'année la menace
de l'instauration d'un tarif national. C'est le grand mot : chaque fois que
certaines choses ne semblent pas bien aller, le Gouvernement nous menace de
recourir à un tarif national. Que diable, faites un peu confiance aux élus
locaux ! D'ailleurs, le Gouvernement, dans le rapport qu'il vient de présenter
au comité national gérontologique, a enfin reconnu que les départements avaient
dépensé mieux, avec la PSD, que ce qui était fait auparavant.
Cette confiance que les élus locaux réclament de la part de l'Etat et dont ils
ont besoin pour que la décentralisation vive et soit réelle, on peut dans
d'autres domaines en ressentir la nécessité. Je pense, naturellement, au
domaine fiscal, notamment à la réforme que vous projetez de la taxe
professionnelle. Comment quiconque s'élèverait-il contre un abaissement de la
taxe professionnelle ? Encore faudrait-il y regarder de plus près.
Mais que va-t-il se passer ? La compensation sera opérée par l'Etat. Elle peut
certes faire l'objet de critiques, ce que nous ne manquerons pas de faire lors
de la discussion du projet de loi de finances. Quoi qu'il en soit, c'est l'Etat
qui va décider de l'enveloppe dont disposeront les collectivités locales. Où se
situe leur responsabilité ? Uniquement dans la répartition d'une dotation que
l'Etat aura par ailleurs décidée selon ses règles.
Il serait probablement plus audacieux et aussi plus respectueux de l'esprit de
la décentralisation de rechercher une compensation dans l'abandon par l'Etat
d'un impôt ou d'une part d'impôt. Là, au moins, les élus pourraient être de
véritables responsables de la levée de l'impôt.
Voilà quelques exemples qui montrent que cette confiance dans les élus locaux,
qui est tout à fait nécessaire et essentielle à la décentralisation, n'est pas
toujours au rendez-vous. C'est pourquoi nombre de mes collègues ont pu
s'interroger sur une recentralisation plus ou moins rampante.
Il est une seconde condition, qui me semble essentielle pour que la
décentralisation vive : un minimum de sécurité juridique. Mon collègue M.
Amoudry a beaucoup insisté sur ce point, je serai bref.
Je dirai simplement que nombre d'élus locaux ont appris, souvent durement, que
le contrôle de légalité n'était jamais un certificat de légalité. De très
nombreux magistrats, de l'ordre administratif ou pénal, le leur ont appris.
Le Gouvernement pourrait très bien saisir le Parlement d'un projet de loi
susceptible de donner aux élus locaux ce minimum de sécurité juridique dont ils
ont besoin.
Tels sont, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers
collègues, les deux points sur lesquels je voulais insister en cette fin de
soirée.
Naguère, une de nos gloires littéraires disait qu'elle pardonnait à la
République de mal gouverner parce qu'elle gouvernait peu. Si, demain, vous êtes
capables de vous débarrasser de cette gangue réglementaire qui étouffe la
décentralisation, vous permettrez qu'enfin la République gouverne mieux, et
nous saurons vous soutenir dans cette voie.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'une des
grandes réussites de cette fin de siècle aura été la mise en oeuvre d'un modèle
de décentralisation à la française, et ce dans un pays où, depuis les «
quarante rois qui ont fait la France », depuis que les esprits ont été
imprégnés d'une culture jacobine, l'on a appris à encenser l'unité et
l'uniformité.
Ces temps sont révolus.
Que d'avancées a-t-on pu réaliser en quelques années ! J'en prends pour
preuves : un meilleur exercice, au plus près du terrain, des compétences de
proximité, qu'il s'agisse de l'aide sociale, de l'enseignement du second degré
; une constante amélioration des conditions de la démocratie locale ; un
nouveau partage entre l'Etat et les collectivités des responsabilités de
développement économique. Mais j'insisterai surtout sur une donnée méconnue,
mise en valeur par des travaux universitaires : toute décentralisation d'un
point de PIB de la dépense publique - un point de moins pour l'Etat, un point
de plus pour les collectivités - conduit, mécaniquement, à une réduction d'un
point de PIB du poids du secteur public dans l'économie, et ce en raison d'une
offre de biens publics excessive, compte tenu des besoins réels au niveau
national. On peut ainsi illustrer la très grande complémentarité de la
décentralisation institutionnelle et du libéralisme.
Pour autant, éprouve-t-on le sentiment d'un inachèvement ?
Tout d'abord, cet inachèvement se fait sentir dans le domaine des
structures.
Tout le monde sait qu'il existe bien trop de catégories juridiques
d'établissements publics de coopération, comme cela a été souligné par maints
de nos collègues.
La loi de 1995 imposait la révision de ces instances. Elle n'a abouti qu'à la
réalisation d'un rapport. Trois ans après, nous nous trouvons de nouveau face à
un projet de loi, je veux parler du projet de loi sur l'intercommunalité, qui,
comme le précédent, ménage excessivement les situations acquises.
Que signifie en effet la distinction entre les communautés de communes, les
communautés de villes et les districts, qui se ressemblent étrangement ?
L'idée d'une taxe professionnelle d'agglomération n'est pas nécessairement
mauvaise, mais elle n'est en rien nouvelle puisqu'elle existe dejà depuis 1992
et que peu d'agglomérations l'ont adoptée. Bizarrement d'ailleurs, elle a été
choisie plutôt par les communautés rurales.
Il est temps que l'on simplifie la nomenclature des EPCI, les établissements
publics de coopération intercommunale, et que l'on en revienne à des principes
simples, avec un choix plus limité de formes d'intercommunalité.
Au surplus, que dire des pays aux structures non définies ? Comment peut-on
imaginer qu'ils puissent se distinguer pour contracter avec l'Etat, alors
qu'ils n'ont pas de personnalité juridique ? Comment peut-on concevoir, comme
l'imagine le Gouvernement, qu'une simple association puisse, à cet égard, se
substituer à des établissements publics locaux ?
Dans une nation qui, à juste titre, peut se targuer d'avoir d'excellentes
facultés de droit, on ne devrait plus entendre parler de calembredaines de cet
acabit.
On peut également constater un inachèvement dans le domaine des finances.
La décentralisation y est restée lettre morte. Les grandes lois prévues en
1982 n'ont jamais vu le jour et l'on est allé de réforme ponctuelle en réforme
ponctuelle sans rien revoir au fond. Mais croit-on que l'on pourra encore
longtemps asseoir les recettes fiscales des collectivités locales sur des bases
aussi archaïques que les valeurs cadastrales, tarabiscotées et injustes ?
Croit-on que l'on pourra longtemps persister à compter sur un système fiscal
alimenté à coup de compensations, de dégrèvements et de péréquations par l'Etat
? Alors que les ressources des collectivités locales sont de plus en plus
octroyées par l'Etat, nous sommes non plus dans un schéma de décentralisation,
mais dans un schéma de recentralisation.
A cet égard, on peut dire que, si l'intention du Gouvernement de réduire le
poids de la taxe professionnelle en supprimant pour les entreprises la part
salariale de l'assiette paraît louable, le moyen choisi, c'est-à-dire une
compensation mal assurée, accentue le caractère de recentralisation de la
politique gouvernementale actuelle. J'ajoute que l'on n'a pas encore perçu
l'ampleur des distorsions de concurrence que le projet gouvernemental risque de
provoquer en raison de la non-uniformité de la structure de l'assiette de la
taxe professionnelle. L'Allemagne a fait la cruelle expérience de ce dispositif
en 1981, et elle n'en a pas gardé le meilleur souvenir.
Cette modification y entraîna en effet - certains s'en souviennent encore -
une polémique non négligeable engendrée par l'injustice des effets de la
mesure.
Toujours dans le domaine des finances, on ne peut passer sous silence,
certains y ont déjà fait allusion, le projet du Gouvernement d'instaurer une
taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP.
En substituant à diverses redevances ponctuelles la TGAP, qui est une taxe
budgétaire, l'Etat propose au Parlement que, dorénavant, l'AEME, l'agence de
l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, soit financée par des
subventions allouées par lui-même. Est-ce vraiment un progrès de la
décentralisation ?
Demain, ce seront les agences de l'eau, que, apparemment tous les pays nous
envient, qui seront soumises au même sort, puisqu'il est proposé de remplacer
les redevances perçues au titre de la pollution et les prélèvements par une
taxe budgétaire.
On croit rêver devant un tel acharnement qui, non seulement, heurte une
évolution que tout le monde souhaite, mais risque, en outre, de contrarier la
mise en oeuvre d'une politique de l'eau que tout le monde soutient.
Que ce soit par le biais de la réforme de la taxe professionnelle ou par celui
de l'instauration de la TGAP, le Gouvernement est pris en flagrant délit de
jacobinisme récessif, peu conforme à ses déclarations d'intention.
Pour en terminer avec le domaine financier, j'aimerais évoquer le sujet du
mode d'évolution de la dotation générale de fonctionnement, la DGF.
Le Gouvernement annonce son intention - M. le ministre l'a dit tout à l'heure
- d'indexer pour partie le montant de la DGF sur le taux de croissance. C'est
bien. Mais cela reste bien en deçà de ce que prévoyait la loi Hoeffel en
1993.
Bien plus opportune à mon sens serait une indexation sur le véritable coût de
la vie des communes, sur l'évolution de leurs charges. Or, quel sens a
l'indexation de la DGF sur l'inflation représentative de l'évolution du coût de
la vie des ménages ? Ce serait quand même bien étonnant que le panier de la
ménagère soit représentatif de la structure des coûts des collectivités locales
! A la vérité, s'il n'y a pas d'obstacle méthodologique à l'établissement d'un
indice du coût de la vie des collectivités locales, l'Etat ne veut pas qu'il
soit établi. Pourtant, dans le cadre de l'observatoire des finances locales,
devant lequel chaque année je fais un rapport, il est souligné que l'indice des
charges des collectivités locales, très approximatif et non scientifique, est
en moyenne de 4 %. On est loin du compte lorsque l'indexation représentative
des charges est chaque année maintenue à un chiffre inférieur à 1,5 %.
Enfin, l'inachèvement touche le domaine des politiques.
Nous sommes loin du grand débat de 1994-1995 sur l'aménagement du territoire.
Il y avait alors un foisonnement d'idées, mais il paraît que la loi de 1995 qui
en découla était trop ruraliste. Dès lors, on nous rebat les oreilles d'un
schéma qui, cette fois-ci, serait favorable aux agglomérations avec des moyens
accrus pour lesdites agglomérations. Mais est-on sûr du diagnostic ? Est-on sûr
que la loi de 1995 était peu favorable aux agglomérations ? Sur ce sujet, on
manque d'analyse sérieuse, on manque de diagnostic.
On n'a pas encore eu le temps d'expérimenter la loi de 1995 et d'en tirer des
enseignements que, déjà, on se propose d'aller dans une nouvelle direction.
Cela sent un peu la doctrine et l'improvisation !
Le résultat est détestable : une action gouvernementale à courte vue ne peut
contribuer à assurer la cohérence des choix publics à long terme.
Dans ces conditions, comment aborder le XXIe siècle ? Trois impératifs
doivent, à cet égard, être respectés.
Le premier implique de mieux coordonner les efforts conjugués des
collectivités et de l'Union européenne. Il est bon de mettre en phase les
calendriers des contrats de plan et des fonds structurels, mais il faut aussi
apprendre à utiliser à bon escient les aides communautaires : la
sous-consommation des crédits est surprenante ! D'où la nécessité de favoriser
les « interfaces » directes entre l'Union et nos collectivités.
A cet égard, saluons la justesse de vue du président Poncelet lorsqu'il évoque
le « mariage » de la décentralisation et de l'Europe : selon lui, « le plus
naturel qui soit ».
Cependant, pour progresser en ce sens, force est de passer au stade des
réalisations communes, notamment à celui de l'harmonisation fiscale. Il s'agit
d'ouvrir un très grand chantier, aux multiples aspects : la rationalisation des
assiettes et des taux. Le modèle français a tout à gagner à être exporté : il
ménage, en ce domaine, une liberté d'action et une marge de manoeuvre des élus
tout à fait singulière en Europe.
Le deuxième impératif est de réduire les inégalités territoriales : vaste
sujet dont on connaît les tenants et les aboutissants, mais au contenu
renouvelé par les perspectives de croissance ; des sources de financement
supplémentaires pourront alimenter dans de très fortes proportions les guichets
traditionnels de redistribution.
A cet égard, évitons de donner l'impression qu'il faut privilégier les
agglomérations au détriment des zones rurales. Evitons d'aller à l'inverse de
ce que préconisent les meilleures politiques d'aménagement du territoire.
Est-on sûr que, lorsqu'on aura vidé encore plus les campagnes pour accentuer le
phénomène d'agglomération, on aura accru le bien-être collectif ?
Le troisième et dernier impératif est la clarification des compétences de
chaque niveau de collectivités. Il faut avoir le courage, ici, de supprimer,
là, d'ajouter tel ou tel chef de compétence.
Au fond, il n'existe pas de différence de nature entre « décentralisation » et
« fédéralisme », mais il existe une différence de degré. L'Europe fédérale
naît, la démocratie locale cherche encore, en France, son modèle idéal.
Pourquoi ne pas choisir d'aller vers un modèle local fédéral au moment où le
modèle de l'Etat évolue si rapidement ? Le sujet n'est sans doute pas encore
d'actualité, mais il affleure dans toutes les grandes discussions, qu'il
s'agisse de la revendication du droit à l'expérimentation, du contrat social de
proximité ou de l'autonomie financière.
Assumer cette tendance lourde aboutirait à repenser la carte de nos
structures. S'ouvrirait alors un tout nouveau chapitre de l'histoire de notre
pays.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Je
demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette
discussion, nous pouvons d'abord constater que tous les orateurs se sont
rejoints pour saluer l'oeuvre de la décentralisation. Je ne retiendrai que les
expressions de M. Pépin, qui évoquait une « formidable avancée », et de M.
Bourdin, qui vient de parler de « grande réussite ».
Le consensus est complet sur cette volonté, à l'oeuvre depuis quinze ans, qui
a transformé le paysage politique et administratif de notre pays.
J'étais jeune député quand Gaston Defferre a présenté, en 1981, les premières
lois de décentralisation. Je me rappelle que celui-ci tenait à voir ces textes
adoptés le plus rapidement possible. Durant de nombreuses séances, parfois
jusque tard dans la nuit, il était au banc du gouvernement, subissant les
critiques de l'opposition. Mais il faisait avancer la discussion sans relâche
pour mettre la décentralisation sur les rails.
Sans doute se souvenait-il que son prédécesseur, M. Christian Bonnet, ministre
de l'intérieur de M. Barre, sous la présidence de M. Giscard d'Estaing, avait
vu, pendant près de dix-huit mois, son projet de loi de décentralisation rester
ici, au Sénat, en cale sèche.
Il fallait donc que cette réforme fondamentale du mode d'administration de la
vie locale dans notre pays soit engagée avec détermination. En ce sens, on peut
parler de « révolution tranquille ».
Celle-ci est maintenant entrée dans les moeurs. Permettez donc au ministre de
l'intérieur par intérim, qui était jeune parlementaire de la majorité en 1981,
de saluer, dix-sept ans après, cette formidable avancée, à laquelle se rallient
maintenant toutes les formations politiques.
Il n'est pas toujours bon d'avoir raison trop tôt, dit l'adage. En
l'occurrence, il ne s'est pas vérifié ! La décentralisation constitue bien
maintenant un élément fondamental de l'organisation des pouvoirs dans notre
pays. Il faut donc poursuivre cette oeuvre.
Quand il n'y a pas d'avancée dans la décentralisation, disait Pierre Mauroy,
le risque est constant de voir l'Etat prendre le dessus et le mouvement
séculaire de centralisation venir modifier les équilibres. La dernière grande
loi de décentralisation, qui avait été présentée par Pierre Joxe, remonte à
1992. Il convient maintenant de franchir de nouvelles étapes.
Je ne reviendrai pas sur les trois projets de loi que le Parlement aura à
débattre au cours des prochains mois et qui porteront sur l'aménagement du
territoire, l'intercommunalité et les interventions économiques des
collectivités locales.
Outre la question régionale et le cumul des mandats, d'autres chantiers sont
ouverts, et vous les avez souvent évoqués vous-mêmes : clarification du domaine
de l'action sanitaire et sociale - beaucoup des présidents de conseils généraux
qui siègent ici se sont notamment exprimés à ce sujet - réforme du code des
marchés publics, réforme des contingents d'aide sociale, péréquation renforcée
au regard de la dotation globale de fonctionnement. Ces questions sont
difficiles parce que les rapports entre les collectivités peuvent se modifier,
mais le Gouvernement souhaite les traiter avec votre concours et parvenir ainsi
à de nouvelles avancées.
Monsieur de Broissia, il n'y a pas de « brouillard sur la ligne ». La position
du Gouvernement est de faire cheminer ces textes, en particulier celui qui est
relatif à l'intercommunalité, que j'ai présenté en conseil des ministres, pour
structurer une nouvelle étape de la décentralisation et pour prendre en compte,
sans négliger le monde rural, le fait d'agglomération, qui m'apparaît comme un
élément essentiel dans la construction de l'Europe au cours des prochaines
années : il y a là, pour nous, un enjeu majeur si nous voulons être compétitifs
au regard des grands réseaux de villes européens.
J'ai noté un large accord pour que cette progression de la décentralisation
s'appuie sur les niveaux existants. Personne n'a sollicité le remplacement de
l'un ou l'autre d'entre eux.
M. Raffarin a affirmé tout à l'heure qu'il n'y aurait pas de guerre entre les
collectivités locales. Le Gouvernement partage ce point de vue.
Des interrogations ont été formulées en ce qui concerne les pays, notamment
par MM. Bourdin et Cazeau. Celui-ci se demandait quel devait être le rôle des
pays. Je crois qu'il faut préserver leur fonction d'instance de concertation,
de regroupement, ouverte aux forces vives. Il ne saurait en aucun cas s'agir
d'une concurrence avec les structures de nature intercommunale. Peut-être les
pays évolueront-ils, se structureront-ils, deviendront-ils des établissements
publics, mais nous serons alors en face d'un régime de coopération.
Quoi qu'il en soit, le pays doit rester cette instance de réflexion, de
concertation et de coordination des politiques publiques. Il n'est donc pas
question de mettre en cause les collectivités existantes, comme les
départements ou les regroupements inter-communaux, même si les pays peuvent, à
un moment donné, permettre de nouvelles collaborations entre les collectivités
locales.
Les rapports avec l'Etat ont été souvent abordés. Ces rapports, à mon avis, ne
se vivent plus en termes d'opposition. On parle beaucoup de partenariat.
Certains, notamment M. Lambert, puis M. Mercier, ont sollicité la confiance. Je
partage leur analyse : je crois que nous ne sommes plus dans un temps de
confrontation entre l'Etat et les collectivités locales, confrontation dont on
nous disait jadis qu'elle relevait largement de la rhétorique et qu'elle
masquait un accommodement avec la centralisation.
En tout cas, nous sommes sortis de ce système hérité du jacobinisme, ayant
trouvé maintenant un nouvel équilibre de la démocratie, qui voit les
collectivités locales et l'Etat s'efforcer de cheminer ensemble.
Je ne crois pas à un effacement de l'Etat, même dans le cadre européen, mais
je pense que l'Etat ne peut plus être omnipotent, que nous sommes obligés de
conjuguer l'intérêt national et la dimension de proximité, en procédant à des
ajustements au cas par cas, en fonction de diverses évolutions, mais aussi sous
la pression de la société.
Ainsi, après le transfert des lycées aux régions et des collèges aux
départements, on a pu mesurer les efforts considérables qui ont été accomplis
par les unes et par les autres. Ces efforts, après la grande phase de
construction des établissements des années soixante, ont permis de rattraper
beaucoup de retard. C'est en fait la réalité qui dicte les ajustements.
A cet égard, il importe que la collaboration entre l'Etat et les collectivités
locales permette d'aller de l'avant, de prendre en compte à la fois l'intérêt
général et l'intérêt local, en évitant la prédominance de l'un sur l'autre.
Je laisserai à mon collègue Emile Zuccarelli le soin de répondre sur d'autres
points, notamment sur les questions d'égalité entre les fonctions publiques. Je
veux néanmoins aborder le problème de la taxe professionnelle, et j'évoquerai
non le contenu même de la réforme mais son principe et l'enjeu financier
qu'elle représente.
Sur ce sujet, je dirai d'abord à M. Raffarin que nous rêvons tous d'une
spécialisation de l'impôt. Nous voudrions tous que chaque collectivité ait son
propre impôt : ce serait alors la fin des fiscalités additionnelles ou des
empilements de fiscalités susceptibles de nuire à un consentement normal de nos
concitoyens à l'impôt, et donc au financement des dépenses des collectivités
locales.
Prenons l'exemple de la taxe professionnelle unique. Dans ce domaine,
l'objectif est précisément de parvenir à ce que la structure à fiscalité propre
ait comme ressource unique la taxe professionnelle, la taxe foncière et la taxe
d'habitation étant laissées aux communes. Or cette structure à fiscalité
propre, autorisée dès 1980, renforcée par la loi de 1992, s'est très
difficilement mise en place : seulement quatre-vingt-trois structures à taxe
professionnelle unique ont été créées dans notre pays. Cela montre combien il
est difficile de partager les ressources et aussi de mettre sur pied des
politiques communes quand il y a des rivalités dans un bassin d'agglomération
ou dans un bassin de communes.
Donc, oui à la clarification, oui à la simplification en matière d'impôts
locaux pour chaque niveau de collectivité locale ; mais, pour y parvenir, il
nous faudra beaucoup de détermination, notamment en ce qui concerne la taxe
professionnelle unique, aussi indispensable que soit, dans notre pays, cette
forme de solidarité fiscale.
S'agissant de la taxe professionnelle, nous entendons depuis très longtemps de
très nombreuses critiques à l'encontre de cet impôt. Nous avons tous souligné,
à l'occasion de la présentation des budgets locaux, qu'il s'agissait d'un impôt
absurde qui pénalisait l'emploi sans correspondre à la réalité économique des
entreprises. La taxe professionnelle pèse notamment très lourdement sur les
entreprises de main-d'oeuvre. Je voudrais indiquer à ce propos que la réforme
de la taxe professionnelle qui va être engagée ne porte pas atteinte aux
ressources des collectivités locales. Bien au contraire, le système de
compensation qui a été défini et dont vous aurez à examiner la teneur dans
quelques jours me paraît protéger les intérêts de celles-ci.
De nombreux orateurs se sont prononcés en faveur de la formule du dégrèvement.
Le Gouvernement ne considère pas - mais nous aurons l'occasion d'en reparler -
que ce choix soit le meilleur, dans la mesure où le dégrèvement impliquerait
d'imposer aux entreprises une obligation déclarative en matière de salaires.
Cela signifierait notamment que les petites entreprises, qui seraient
assujetties à cette obligation, continueraient à remplir des formulaires, pour
se voir ensuite ristourner le montant de la taxe professionnelle, ou être
dispensés du paiement de celle-ci.
Pour notre part, nous avons choisi la compensation indexée sur la DGF, parce
qu'elle présente deux avantages.
En premier lieu, l'indice « retour » nous paraît très convenable. Ces dix
dernières années, il a été légèrement plus favorable que l'évolution spontanée
de la part des salaires dans l'assiette de la taxe professionnelle. Quand on
examine la structure de la taxe professionnelle, on constate que la part des
immobilisations a progressé beaucoup plus vite que la part des salaires au
cours de cette même période, et que l'importance de la part salariale dans
l'assiette de la taxe professionnelle diminue.
En second lieu, cette compensation représente une sécurité juridique pour les
collectivités locales, notamment pour celles dont le tissu industriel est
fragile et qui pourraient voir disparaître des activités génératrices de taxe
professionnelle.
Telles sont les raisons qui ont justifié notre démarche, dont vous aurez à
débattre plus en profondeur.
Je voudrais dire à M. Arthuis que le choix qui a été fait de relever le taux
de la cotisation minimale établie en fonction de la valeur ajoutée correspond à
la volonté des élus locaux, toutes catégories confondues, et notamment de
l'Association des maires de France. Mais j'anticipe là sur le débat
budgétaire.
Je parlerai maintenant des relations financières entre l'Etat et les
collectivités locales. Je souhaite, à l'instar de M. Mercier, que nous
établissions un bon contrat.
Nous sortons de ce que l'on appelait le pacte de stabilité, qui a été imposé
par le gouvernement précédent, puisque les collectivités locales, au travers de
leurs associations, n'ont pas souhaité le signer. Nous proposons pour notre
part un contrat de croissance et de solidarité. En effet, nous souhaitons
indexer l'ensemble des concours apportés aux collectivités locales sur
l'évolution de la croissance. En particulier, l'Assemblée nationale s'est
prononcée, au titre de 1999, pour la prise en considération de 20 % du PIB, en
plus de l'indice des prix, dans le calcul de l'évolution de cette dotation
globale, et aussi, outre cette indexation, pour l'octroi d'un crédit de 500
millions de francs en faveur de la dotation de solidarité urbaine.
J'ajoute que l'effort que l'Etat consentira au titre de l'encouragement à
l'intercommunalité quand la loi aura été votée sera également de 500 millions
de francs. Il s'agit, par conséquent, d'une progression significative de la
dotation et de l'ensemble des concours financiers apportés par l'Etat aux
collectivités locales.
S'agissant de la péréquation - la question de la répartition est toujours
posée, et c'est pour cette raison que nous parlons de solidarité et pas
seulement de croissance -, deux avancées majeures seront obtenues, au travers
de la stabilisation de la dotation de compensation de taxe professionnelle,
d'une part, et d'un effort considérable consenti en faveur de la dotation de
solidarité urbaine, laquelle progressera de plus de 42 %, d'autre part.
Tels sont les principaux éléments que je souhaitais vous soumettre, mesdames,
messieurs les sénateurs. Je ne reviendrai pas sur tous les thèmes qui ont été
évoqués au cours du débat, mais je pense que l'Etat partage tout à fait le
souhait des élus locaux, dont vous vous êtes faits les interprètes, de voir
s'instaurer davantage de lisibilité, de stabilité et de sécurité dans les
rapports entre l'Etat et la décentralisation. Nous aurons la volonté de
progresser dans cette voie au cours des prochains mois, grâce non seulement à
des projets de loi, mais aussi à des mesures concrètes. Je pense que la
décentralisation, qui constitue une grande avancée pour notre pays, doit
toujours être consolidée. Je crois que le débat que nous venons d'avoir a été à
cet égard riche et dense, même si des interrogations ou des critiques ont été
formulées. Le Gouvernement tient à remercier l'ensemble de la Haute Assemblée
d'avoir, sous l'impulsion de M. le président du Sénat, participé activement à
cet échange de vues.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais à mon
tour me féliciter de la tenue de ce débat, qui a été de qualité, si vous me
permettez de porter une appréciation. Soyez en tout cas assurés de l'intérêt
que j'ai pris à entendre les orateurs qui se sont succédé au long de cette
journée.
Comme l'a dit à l'instant mon collègue Jean-Jack Queyranne, un consensus en
faveur de la décentralisation s'est dégagé aujourd'hui. Tel n'a pas toujours
été le cas dans le passé, mais on s'accorde maintenant, sur toutes les travées
de la Haute Assemblée, à juger que la décentralisation devait être engagée, que
son bilan est positif et qu'elle doit être approfondie.
Bien sûr, j'ai entendu çà et là s'exprimer quelques craintes, voire un certain
scepticisme. Cela est normal.
Ainsi, M. Revet citait tout à l'heure Pierre Mauroy, qui avait en effet évoqué
la tendance naturelle d'un Etat à recentraliser. Cependant, si l'on souhaite se
référer à ce dernier, il faut rappeler l'intégralité de ses propos, selon
lesquels la meilleure façon de prévenir toute tentative de recentralisation,
c'est de voter les textes d'approfondissement de la décentralisation présentés
par le Gouvernement.
Celui-ci propose en effet trois textes d'approfondissement, de consolidation
et de confirmation de la décentralisation. A ce sujet, j'ai entendu formuler
quelques appréciations un peu surprenantes pour qui a relevé, au cours des
dernières années, le nombre impressionnant d'initiatives globales et
pertinentes visant à affirmer la décentralisation. Les textes que le
Gouvernement soumet au Parlement, pour être présentés chacun par un ministre
différent, n'en constituent pas moins un ensemble cohérent ayant fait l'objet
d'un travail commun.
Chacun a bien vu, me semble-t-il, la nécessité de marier l'aménagement du
territoire et la décentralisation. Chacun, de même, a convenu - je n'ai entendu
aucun propos contraire - de la complémentarité de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Quant à l'organisation et à l'amélioration de la déconcentration des services
de l'Etat, elles ont été plébiscitées. MM. Pépin, Cazeau et Peyronnet, pour ne
citer que quelques-uns des sénateurs qui sont intervenus à ce propos, ont ainsi
souligné qu'une telle évolution était nécessaire.
M. Peyronnet, qui est élu de la Haute-Vienne et qui se disait préoccupé par
l'excessive concentration de certaines activités dans la région parisienne, est
d'ailleurs bien placé pour constater que le Gouvernement est capable de
détermination en matière, par exemple, de délocalisation.
Je voudrais également remercier M. Loridant, qui a mis l'accent sur le rôle
des sous-préfets, faisant ainsi écho, d'une certaine manière, à M. Raffarin,
lequel nous a mis en garde contre les féodalités et le centralisme régional. M.
Yvon Collin, dans le même ordre d'idée, s'est opposé à ce qu'une collectivité
puisse exercer une tutelle sur une autre. Je crois qu'il faudra en effet que,
dans les collectivités locales, la décentralisation amène dans l'avenir la mise
en place de contre-pouvoirs, comme cela a été le cas, au fil des décennies et
des siècles passés, dans l'Etat républicain.
J'ai noté également une grande convergence de vues en faveur d'une
amélioration de la sécurité juridique des élus et des décideurs. Ce n'est pas,
à mon sens, le contrôle de légalité qui peut représenter une réponse suffisante
à cette préoccupation. Pour pousser cette logique jusqu'à son terme, je crois
que faire du contrôle de légalité un certificat de légalité irait à l'encontre
de l'esprit de la décentralisation. J'estime pour ma part que la sécurité
progressera par la clarification des textes et par la simplification des
procédures, comme le réclamait M. Revet. Il faudrait rendre plus homogène la
jurisprudence, notamment dans les chambres régionales des comptes - je pense
ici au rapport établi par MM. Amoudry et Oudin - et améliorer les
qualifications. Nous retrouvons, sur ce dernier point, l'une des préoccupations
exprimées dans le rapport Schwartz sur la formation au sein de la fonction
publique territoriale.
J'ai bien noté le souci constant d'accroître l'efficacité dans le domaine de
l'action publique fortement affirmé notamment par M. Delevoye. Certes, il est
vrai que la croissance tient dans une large mesure à l'action des collectivités
locales, d'où mon texte sur les interventions économiques desdites
collectivités. M. Cazeau a bien voulu en souligner la pertinence, mais a
regretté que l'on ne fasse pas spécialement mention des entreprises en
difficulté. Je lui signale à ce propos qu'il est prévu que l'on puisse
favoriser les investissements lorsque, par exemple, ils sont la condition
sine qua non
du maintien d'emplois menacés.
J'ai également relevé un consensus en faveur de la modernisation des moyens et
d'une plus grande proximité des services publics et des citoyens. Une unanimité
s'est en outre dégagée quant au nécessaire développement des politiques
d'évaluation.
De la même façon, un accord est apparu s'agissant de la clarification des
compétences. Cette question a été soulevée par MM. Bret et Hoeffel, que je
remercie d'avoir souligné l'importance de la mise en place d'un statut
respecté, moderne et dynamique de la fonction publique territoriale permettant
la mobilité vers la fonction publique d'Etat, même s'il convient, monsieur
Vallet, de concilier la force du statut et la libre administration des
collectivités.
Je note cependant au passage que la fonction publique territoriale, qui est
une jeune fonction publique, ne dispose que de soixante statuts différents pour
1 400 000 agents. Elle est donc plus simple et plus « svelte », à certains
égards, que la fonction publique d'Etat.
MM. Alain Lambert et Michel Mercier se sont notamment inquiétés, quant à eux,
de l'accord salarial, que je crois indispensable, et du coût de ce dernier. A
ce propos, je voudrais souligner que, tout au long de la négociation que j'ai
conduite avec les syndicats, j'ai tenu les principales organisations d'élus
informées de ma démarche et des perspectives qu'ouvrait cet accord. Il est vrai
qu'un alignement automatique des rémunérations sur celles de la fonction
publique d'Etat est prévu. Mais les élus pensent-ils que, s'ils menaient une
négociation de leur côté, les choses iraient mieux ? Poser la question, c'est,
me semble-t-il, y répondre !
D'ailleurs, l'été dernier, lorsque nous avons évoqué cette question au cours
de multiples réunions de concertation avec les élus, je n'ai pas entendu
beaucoup de protestations !
Ici même, dans cet hémicycle, j'ai été plus souvent sollicité pour augmenter
les rémunérations ou pour ouvrir des possibilités de les augmenter - je pense
notamment aux aménagements qui ont été apportés à l'article 111 de la loi de
1984 - que pour les réduire.
Pour terminer sur ce point, je dirai que cet accord était nécessaire et
bienvenu pour renouer le dialogue social. Je note au passage qu'il soutient la
consommation, et donc la croissance.
Nombre d'orateurs, en particulier MM. Jacques Larché et Philippe Marini, ont
évoqué la perte d'autonomie. A cet égard, je n'irai pas sur les brisées de M.
Jean-Jack Queyranne, je vous livrerai simplement une réflexion.
A de nombreuses reprises, certains d'entre vous ont regretté que, par le biais
d'un certain nombre de suppressions d'impôts, impopulaires ou fortement
critiqués et compensés, la part des perceptions diverses directement maîtrisées
par les collectivités ne se réduise. La France est tout de même, en Europe,
l'un des pays les mieux placés, après la Suède, pour la proportion des
ressources locales directement maîtrisées. En 1995, la France était encore
deuxième, avec 54 % de ressources locales directement maîtrisées, contre 14 %
en Grande-Bretagne, pays si décentralisé, et 8 % aux Pays-Bas.
On ne peut vouloir beaucoup de péréquation et, dans le même temps, ne pas
accepter qu'une part assez importante des ressources des collectivités passe
par la pompe aspirante et foulante du budget de l'Etat. Il faut bien en prendre
conscience. En effet, l'autonomie, c'est d'abord et avant tout la liberté
d'utiliser les ressources.
Vous m'avez interrogé sur le temps de travail. M. Roché me remettra son
rapport avant la fin de l'année. Avec l'établissement de cet état des lieux des
pratiques en matière de temps de travail dans les trois fonctions publiques, il
a du pain sur la planche. En effet, la variété des situations dans les
collectivités locales est très importante. Elle illustre la propension des
collectivités à disperser leurs pratiques à travers des négociations. C'est un
point positif lorsque cela stimule les initiatives locales. Mais cela peut
aboutir à des foisonnements dommageables au regard de l'unité de la fonction
publique, et peut-être de la lisibilité de la décentralisation.
Plusieurs orateurs ont évoqué le jacobinisme. En tant que ministre de la
décentralisation, je me suis toujours défini et assumé comme un jacobin. A
Rouen, à la tribune du congrès de l'Association des présidents de conseils
généraux, j'avais même précisé - c'était un peu provocateur - que j'étais un
jacobin décentralisateur.
En effet, selon moi, le jacobinisme n'a jamais été l'équivalent du
centralisme. La centralisation a toujours été le souci obsessionnel de
l'égalité des chances. C'est à travers ce crible qu'il faut réfléchir à une
répartition des compétences et des tâches au cours des années à venir. Il faut
aller au plus près du terrain, avec tout ce que cela peut comporter de
foisonnement d'initiatives et de dynamisme, avec pour contrepartie la
préservation de l'égalité des chances.
Je vois M. de Broissia réagir et je le comprends car il tentait de faire une
autre classification, d'après un autre critère de répartition, qui a d'ailleurs
été évoqué sous diverses formes. J'ai entendu dire que l'Etat devait être plus
modeste, plus svelte et se replier sur ses fonctions régaliennes, sur un bloc
de souveraineté, comme M. de Broissia a dit. Il a dû percevoir le caractère
très restreint de son propos car il a ajouté que le bloc de souveraineté
comprendrait l'éducation. Je ne sais pas s'il y a intégré la santé.
(M. de Broissia fait un signe de dénégation.)
Or l'éducation et la santé
ne font pas partie du bloc de souveraineté. Mais, chacun en convient, c'est un
domaine dans lequel l'Etat doit s'impliquer fortement si l'on veut préserver
l'égalité des chances.
M. Raffarin esquissait tout à l'heure, de manière très pertinente, la même
réflexion que celle que je viens de faire. S'agissant de l'éducation, il
affirmait que l'Etat devait s'occuper totalement du contenu et que, pour le
contenant, il convenait de laisser un peu l'initiative au dynamisme local.
Ainsi, nous parviendrions à concilier dynamisme et égalité des chances,
ajoutait-il. Tel est le voeu qu'il faut formuler pour la décentralisation.
Soyez-en sûrs, le Gouvernement veut la poursuivre et l'approfondir.
Je vous remercie, monsieur le président, et, à travers vous, M. le président
Poncelet, ainsi que l'ensemble du Sénat d'avoir bien voulu organiser ce
débat.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n°
47 et distribuée.
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