Séance du 29 octobre 1998
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le ministre, le communiqué de presse du 22 octobre 1998 émanant de façon anonyme de Bercy a semé, au Havre, la consternation, le désarroi, et enfin la colère : il a été perçu comme la condamnation à mort des Ateliers et Chantiers du Havre, ACH, soit la suppression de 2 500 emplois directs ou indirects à l'issue de la livraison des trois chimiquiers en cours de construction.
Les travailleurs des ACH, les élus, toutes opinions confondues, l'ensemble de la communauté portuaire, la ville, le département et la région, tous croient - et ils l'ont montré ce matin en défilant dans l'ordre, le calme et la dignité - en l'avenir de la construction navale au Havre et estiment que tout n'a pas été mis en oeuvre pour assurer la pérennité du chantier et le développement de cette activité industrielle.
Ils considèrent que le Gouvernement n'a pas fait tous les efforts nécessaires pour comprendre réellement l'enjeu de la situation et pour mener à leur terme les démarches permettant une reprise de la navale.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt, si une proposition de reprise est déposée dans les semaines ou dans les mois qui viennent et, en tout état de cause jusqu'à la livraison du premier chimiquier, qui doit intervenir normalement au mois de mars - ce qui démontrera d'ailleurs le savoir-faire havrais - à mettre tout en oeuvre pour qu'elle puisse être concrétisée ? Ainsi serait évité le drame humain, social et économique qu'entraînerait la fermeture du chantier, non seulement pour le Havre, mais aussi pour l'ensemble de la politique maritime de notre pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, certaines travées socialistes et certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est très conscient des angoisses que peuvent éprouver les salariés des chantiers du Havre et la population havraise en général, compte tenu des difficultés que connaissent les ACH. Pour répondre à votre question, je vais faire un retour en arrière, bref compte tenu des recommandations de M. le président.
Ces chantiers ont été conduits, en 1995, par le Gouvernement de l'époque, à prendre en commande trois chimiquiers qui se sont révélés, lorsqu'ils ont commencé à être réalisés, extrêmement difficiles à construire et dépassant les compétences, non seulement des chantiers du Havre, mais de bien d'autres chantiers qui, eux, avaient refusé la commande. En fait, l'entreprise a été, à tort selon moi, entraînée dans une voie qui ne lui permettait pas d'assurer sa rentabilité.
Conscient de cette situation, le Gouvernement a été amené à assurer l'équilibre financier de cette société privée. Pour que les salariés puissent continuer à travailler, il a fallu assurer un financement de l'ordre de 100 millions de francs par mois, et ce depuis seize mois. Cela signifie que la collectivité publique a versé jusqu'à maintenant - et ce n'est pas terminé - 1,6 milliard de francs à une entreprise privée.
On peut en faire des choses en matière d'industrialisation avec 1,6 milliard de francs ! Mais il fallait bien assumer jusqu'au bout l'erreur initiale.
Tirant les conséquences de la situation, nous avons ensemble - vous avez bien voulu, monsieur le sénateur, avec d'autres élus havrais, participer aux réunions qui se sont tenues à mon ministère - décidé de chercher un repreneur. L'Etat ne peut en effet, chacun le comprend, financer ainsi, jusqu'à la fin des temps, une entreprise privée.
Nous avons donc, ensemble, engagé la procédure en commençant par demander un rapport à l'ingénieur général Piketty, rapport dont les conclusions, qui définissaient les conditions préalables à une reprise, ont été agréées par les élus de toutes tendances politiques.
Nous nous sommes donné un mois, le mois de septembre, pour trouver un repreneur. Au terme de ce mois, la direction de l'entreprise a déclaré qu'elle avait besoin de trois semaines de plus, et on a pris ces trois semaines supplémentaires.
Au cours de ce mois, l'Etat s'est mobilisé aux côtés de l'entreprise et des élus, et 19 chantiers navals ont été contactés. Cinq se sont déclarés intéressés à la rigueur et trois ont décidé de proposer une offre. Nous avons malheureusement constaté ensemble qu'aucune de ces offres ne tenait la route. Lors de la dernière réunion que nous avons tenue, le maire du Havre a reconnu, en votre nom à tous, que celle qui apparaissait la plus sérieuse, celle de CMN, n'était pas recevable non plus puisque finalement - cela a été publié dans la presse - l'entreprise se bornait à fournir 50 millions de francs alors que l'Etat était sollicité pour 6 milliards de francs de subventions.
Nous avons bien été obligés, la mort dans l'âme, de constater les uns et les autres que, pour le moment, il n'y avait aucun repreneur.
C'est cette constatation que le communiqué auquel vous faisiez allusion a rendu publique.
Il n'y a rien de brutal dans la décision qui a été prise.
Elle résulte d'un long processus dont l'issue n'était pas évidente. On pouvait espérer trouver un repreneur tout comme l'hypothèse inverse était envisageable.
Cette dernière hypothèse étant posée, le Gouvernement estime qu'il est de la responsabilité de l'Etat de réindustrialiser le site et de créer d'autres emplois.
Au demeurant, si un repreneur crédible, muni d'un dossier compatible avec nos engagements internationaux se présente - vous savez que, à partir de l'an 2000, aucune aide ne sera plus consentie à la construction navale - je serai le premier à l'accueillir. Je suis même prêt à le rechercher.
Je comprends l'immense tristesse, pour certains le désespoir, qu'éprouvent les salariés des chantiers du Havre, qui ne sont pas responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent. Mais reconnaissez avec moi, mesdames et messieurs les sénateurs, que l'Etat ne peut continuer à subventionner indéfiniment une entreprise privée. Il importe donc de trouver une autre solution. Voilà où nous en sommes. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
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