Séance du 27 octobre 1998






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Modification de l'ordre du jour (p. 1 ).

3. Organismes extraparlementaires (p. 2 ).

4. Questions orales sans débat (p. 3 ).

APPLICATION DE L'ARTICLE 62 DU CODE DE LA FAMILLE
ET DE L'AIDE SOCIALE (p. 4 )

Question de M. Franck Sérusclat. - Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication ; M. Franck Sérusclat.

AVENIR DU SERVICE D'ONCOLOGIE PÉDIATRIQUE
DE L'HÔPITAL ROBERT-DEBRÉ (p. 5 )

Question de Mme Nicole Borvo. - Mmes Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication ; Nicole Borvo.

CONDITIONS D'ORGANISATION DES SPECTACLES
FAISANT APPEL À DES ARTISTES ÉTRANGERS (p. 6 )

Question de M. Jean Boyer. - Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication ; Jean Boyer.

SITUATION DANS LES SERVICES
D'ARCHIVES DÉPARTEMENTALES (p. 7 )

Question de M. Guy Cabanel. - Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication ; M. Guy Cabanel.

CONTRÔLE DES FORAGES INDIVIDUELS (p. 8 )

Question de M. Philippe Richert. - Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication ; M. Philippe Richert.

NÉCESSITÉ DE RÉGULARISATION
DE LA PROLIFÉRATION ANARCHIQUE
DES RELAIS DE TÉLÉPHONIE MOBILE (p. 9 )

Question de M. Jacques Valade. - Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication ; M. Jacques Valade.

NUISANCES SONORES
CAUSÉES PAR LE TGV PARIS-LYON (p. 10 )

Question de M. Jean Pépin. - Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme ; M. Jean Pépin.

ÉQUIPEMENTS ROUTIERS EN SEINE-SAINT-DENIS
ET DANS LE VAL-D'OISE (p. 11 )

Question de Mme Marie-Claude Beaudeau. - Mmes Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme ; Marie-Claude Beaudeau.

TGV BRETAGNE-PAYS DE LA LOIRE (p. 12 )

Question de M. Josselin de Rohan. - Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme ; M. Josselin de Rohan.

AMÉNAGEMENT DE LA RN 89 (p. 13 )

Question de M. Marcel Bony. - Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme ; M. Marcel Bony.

PUBLICATION DU DÉCRET RELATIF À L'ANNUALISATION
DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE (p. 14 )

Question de M. Jean-Paul Delevoye. - MM. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation ; Jean-Paul Delevoye.

STOCKAGE ET DESTRUCTION
DES ENGINS RÉSIDUELS DE GUERRE (p. 15 )

Question de M. Marcel Deneux. - MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim ; Marcel Deneux.

Suspension et reprise de la séance (p. 16 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

5. Scrutins pour l'élection de juges à la Haute Cour de justice (p. 17 ).

6. Scrutin pour l'élection de juges à la Cour de justice de la République (p. 18 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 19 )

7. Cumul des mandats. - Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi (p. 20 ).
Discussion générale commune : MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim ; le président, Jacques Larché, président et rapporteur de la commission des lois ; Bernard Plasait, Paul Girod.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

MM. Jean-Paul Delevoye, Philippe Adnot, Robert Bret, Guy Allouche.

8. Election de juges à la Cour de justice de la République (p. 21 ).

9. Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République (p. 22 ).

10. Cumul des mandats. - Suite de la discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi (p. 23 ).
Discussion générale commune (suite) : MM. Daniel Hoeffel, André Boyer, Jacques Peyrat, Jean-Jacques Hyest, Bernard Joly.
Renvoi de la suite de la discussion.

11. Election de juges à la Haute cour de justice (p. 24 ).

12. Prestation de serment de juges à la Haute cour de justice (p. 25 ).

13. Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle (p. 26 ).

14. Dépôt d'une proposition de loi (p. 27 ).

15. Dépôt d'une proposition d'acte communautaire (p. 28 ).

16. Dépôt de rapports (p. 29 ).

17. Dépôt d'un rapport d'information (p. 30 ).

18. Ordre du jour (p. 31 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE
DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.

2

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. J'informe le Sénat que la question orale sans débat n° 316 de M. Jean-Pierre Raffarin est retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui.

3

ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires.
En conséquence, j'invite la commission des finances à présenter un candidat appelé à siéger au sein du Conseil national du crédit et un candidat appelé à siéger au sein du Conseil national des assurances.
Les nominations des sénateurs appelés à siéger au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

4

QUESTIONS ORALES SANS DÉBAT

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales sans débat.

APPLICATION DE L'ARTICLE 62 DU CODE DE LA FAMILLE ET DE L'AIDE SOCIALE

M. le président. La parole est à M. Sérusclat, auteur de la question n° 270, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Franck Sérusclat. Madame la ministre de la culture et de la communication, je ne m'attendais pas, vous vous en doutez, à ce que ce soit vous qui veniez répondre, ce matin, à cette question que j'avais posée à Mme Martine Aubry, voilà un an ; mais je suis persuadé que vous avez les qualités et les capacités requises pour le faire.
Cette question orale, qui reprend, en fait, une question écrite à laquelle je n'avais pas eu de réponse, concerne la recherche par des enfants abandonnés, adoptés ou non, de l'identité de leur parents d'origine.
Je ne sais si vous avez eu vous-même à vous préoccuper parfois de ces recherches, madame la ministre ; dans l'affirmative, vous savez qu'elles sont toujours angoissantes pour ceux qui souhaitent connaître une origine qu'ils ignorent.
Je tiens à faire quelques rappels sur cette question, avant de vous demander des précisions sur les chances, accrues ou non, d'aboutissement de ces recherches. L'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale, tel que modifié par la loi du 5 juillet 1996 relative à l'adoption, a permis de préciser quelque peu la situation des enfants abandonnés. Il énonce, en effet, qu'une personne qui remet un enfant de moins d'un an au service de l'aide sociale à l'enfance peut demander le secret de son identité, secret ne signifiant pas anonymat.
On a également tendance à parler d'anonymat pour l'accouchement « sous X », alors qu'il s'agit du secret des informations données, secret que l'on peut envisager de lever, ce qui est impossible dans le cas de l'anonymat. Celui qui donne des indications est donc informé, au moment où il les donne, de la possibilité d'une demande ultérieure de levée du secret.
Les documents contenant les renseignements sont ensuite conservés sous la responsabilité du président du conseil général, qui les tient à disposition de l'enfant, ainsi que le prévoit l'article 62-1 du code de la famille et de l'aide sociale.
Mes questions sont les suivantes.
La demande de secret formulée par la mère interdit-elle que ce secret soit levé, bien évidemment avec son accord et après qu'elle eut été informée de la demande de levée de ce secret par son enfant qui la recherche ?
Les dispositions de la loi du 5 juillet 1996, date avant laquelle la possibilité expresse de demander la levée du secret n'existait pas, sont-elles rétroactives ?
Enfin, que penser du comportement, encore trop fréquent, des agents des services sociaux qui ont tendance à s'opposer à cette levée du secret ou à ne pas y donner suite en invoquant, par exemple, la notion de « secret absolu », qui ne figure nulle part dans les textes ?
Ainsi, je connais un cas, dans la région marseillaise, où le refus a été fondé sur le fait que tant de femmes portaient le même nom que la mère d'origine qu'on ne voyait pas comment on pourrait rechercher correctement la personne concernée, alors que l'identité de cette dernière est tout de même mentionnée dans les dossiers. De même, on a dit à une personne qui cherchait à retrouver sa mère que celle-ci avait une déformation du palais et qu'elle avait eu un autre enfant. On savait donc très bien de qui il s'agissait. Mais l'agent a prétexté que ce n'était pas à lui de faire les recherches ; il aurait pourtant pu, à la rigueur, donner le nom, de manière que la personne fasse elle-même les recherches si elle le souhaitait.
En outre, on a invoqué la non-rétroactivité de ce texte de loi puisque, en l'occurrence, le demandeur était né en 1956.
Je suis persuadé, madame la ministre, que vous saurez apporter des réponses utiles à mes questions.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, permettez-moi, tout d'abord, puisque c'est la première fois, je crois, que vous assurez la présidence à l'occasion de cette séance de questions orales sans débat, de saluer l'événement.
M. le président. Je vous remercie, madame le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, vous avez marqué votre surprise en me voyant seule au banc du Gouvernement. En fait, Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, et M. Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sont retenus ce matin à l'Assemblée nationale par le débat sur la loi de financement de la sécurité sociale, et ce en raison d'une modification de l'ordre du jour initial.
Je serai donc polyvalente, ce matin, puisque je remplacerai également Mme Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention de madame la ministre de l'emploi et de la solidarité sur l'interprétation qu'il convient de faire de l'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale.
Vous l'avez rappelé, la loi du 5 juillet 1996 réformant le régime juridique de l'adoption a modifié les conditions dans lesquelles les enfants accueillis par les services de l'aide sociale à l'enfance peuvent avoir accès à leur histoire familiale lorsque leurs parents ou l'un d'entre eux ont demandé que soit préservé le secret de leur identité.
Selon l'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale, la demande de secret est conditionnée par l'âge de l'enfant : celui-ci ne doit pas avoir atteint l'âge d'un an. Par ailleurs, le secret ne concerne plus l'état civil de l'enfant, il porte désormais sur l'identité des parents.
Trois obligations s'imposent en outre au service chargé de l'aide sociale à l'enfance.
Il lui revient, en premier lieu, d'informer la personne demandant l'admission de l'enfant de la possibilité de protéger le secret de son identité. Dans ce cas, conformément à l'article 62, alinéa 4°, il doit en être fait mention au procès-verbal d'admission de l'enfant.
Il appartient, en second lieu, au service d'informer la personne souhaitant préserver le secret de son identité de la possibilité de lever ultérieurement ce secret. Le procès-verbal doit également mentionner que cette information a été communiquée à l'intéressé.
Il convient à cet égard de préciser que ce droit de la personne de faire connaître, à tout moment, son identité était déjà applicable avant le vote de la loi du 5 juillet 1996.
Enfin, il est de la responsabilité du service d'indiquer au demandeur que, dans le cas où il lèverait le secret, seuls pourront être informés de sa décision le représentant légal de l'enfant, l'enfant devenu majeur ou ses descendants en ligne directe s'il est décédé. Ces informations pourront être transmises à ces personnes, sous réserve qu'elles aient, au préalable, expressément formulé cette demande auprès du service.
En revanche, la loi ne prévoit pas, lorsque l'enfant souhaite consulter son dossier, que le service de l'aide sociale à l'enfance doive rechercher les parents afin de leur faire savoir que celui-ci demande à connaître leur identité.
Dans l'esprit du législateur, la levée du secret ne produit pleinement ses effets que lorsque deux volontés se rencontrent : celle des parents de se faire connaître, d'une part, et celle de l'enfant de connaître ses origines familiales, d'autre part.
Il reste que, si cette loi paraît mieux prendre en compte que dans le passé l'aspiration de beaucoup de personnes à connaître leurs origines familiales, elle n'exclut pas pour autant la possibilité qu'une nouvelle réflexion soit prochainement menée sur cette difficile et douloureuse question dont vous avez remarquablement détaillé la problématique.
Je vous remercie, monsieur le sénateur, au nom de mes collègues, des réflexions que vous avez bien voulu exprimer et dont je leur ferai part.
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir bien précisé que, dans l'esprit du législateur, la levée du secret de l'identité ne peut se faire dans de bonnes conditions que lorsque les deux parties concernées en manifestent la volonté.
Vous avez par ailleurs indiqué que si l'agent des services de l'aide sociale à l'enfance n'était pas chargé de faire lui-même la recherche, il devait fournir les éléments pour y procéder. C'est le point important. Si l'agent ne fait pas lui-même la recherche, ce qui est tout à fait acceptable, il doit fournir les éléments de la recherche.
S'agissant des hypothèses d'avenir, il est exact qu'avec mon ami le député Jean-Paul Bret nous préparons une proposition de loi portant sur ce point particulier qui sera présentée simultanément, dans les mêmes termes, à l'Assemblée nationale, par lui, et au Sénat, par moi.
Je retiendrai les informations que vous venez de donner et que je vous remercie à nouveau d'avoir apportées.

AVENIR DU SERVICE D'ONCOLOGIE PÉDIATRIQUE
DE L'HÔPITAL ROBERT-DEBRÉ

M. le président. La parole est à Mme Borvo, auteur de la question n° 323, adressée à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
Mme Nicole Borvo. Madame la ministre, la décision de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris de fermer le service d'oncologie pédiatrique de l'hôpital Robert-Debré, pose de très nombreux problèmes.
Des centaines de familles de malades, d'anciens malades, des représentants syndicaux s'opposent actuellement au démantèlement de ce service, voulu par l'ancienne direction depuis de longues années, pour des raisons difficilement compréhensibles, je dois le dire.
Ce service unique de l'assistance publique a un taux d'occupation proche de 100 % et donne satisfaction aux patients et à leurs familles. Il a, sur le plan national et international, une réputation scientifique qui le place aux premiers rangs dans la recherche clinique et le traitement des tumeurs solides des os.
Faire bénéficier d'autres enfants atteints par ce terrible mal de ces traitements, c'est l'objet de ce mouvement, qui souligne le danger pour les enfants malades, tant sur le plan psychologique que sur le plan du suivi strictement médical, de changer d'équipe médicale, même en cas de transmission intégrale des données. En effet, un traitement sur mesure n'est jamais reproductible, quelle que soit la qualité des équipes.

Aux yeux de tous ceux qui s'intéressent à la question, aucun argument ne peut justifier l'éclatement de ce service.
Par ailleurs, pourquoi couper ce service en deux alors que les cancers des os, s'ils touchent principalement les enfants, entraînent un contrôle long qui peut se poursuivre pendant dix ans ou plus ? La séparation des enfants et des parents n'induira-t-elle pas fatalement un changement d'équipe médicale et forcément du traitement lui-même pour les enfants qui sont actuellement suivis à l'hôpital Robert-Debré ?
Quelles sont les mesures qui peuvent être prises afin de maintenir cette entité ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, vous avez appelé l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur l'avenir du service d'oncologie de l'hôpital Robert-Debré.
L'association des familles qui s'est constituée ainsi que le médecin - puisqu'il s'agit d'un seul médecin - ont été reçus par le cabinet de M. Kouchner et longuement écoutés.
L'Assistance publique des hôpitaux de Paris est souvent critiquée, en particulier pour son immobilisme et pour son attitude volontiers « parisiano-centriste ».
Dans le dossier qui nous préoccupe, l'Assistance publique des hôpitaux de Paris prend une décision non pas de fermeture mais de transfert d'un service vers une structure pédiatrique située à proximité, l'hôpital Trousseau, qui jouit d'une reconnaissance indiscutable en ce qui concerne le service d'oncohématologie. Dois-je ajouter que les deux établissements ne sont distants que de deux à trois kilomètres, alors qu'en province les services communs sont la règle et sont généralement uniques par région ?
J'en profite pour ajouter que la région d'Ile-de-France dispose de deux autres structures de cancérologie pédiatrique qui offrent également aux familles des conditions remarquables de prise en charge.
En vérité, je ne crois pas que cette décision soit contraire à la santé publique et, à la connaissance de mon collègue, ce transfert est aujourd'hui accepté par le médecin.
Le problème qui se pose est d'ordre humain, du fait de l'attachement très particulier - j'insiste sur le mot « particulier » - de ces familles à un médecin dont elles sont persuadées qu'il est le seul à pouvoir prendre en charge correctement leur enfant. Croyez bien que M. Bernard Kouchner comprend ce souci, que nous partageons tous, étant donné la gravité des cas. Toutefois, je tiens à vous assurer qu'il n'y a pas et qu'il n'y aura pas de rupture dans la prise en charge des enfants atteints de pathologies aussi graves.
Vous comprendrez bien, madame la sénatrice, que nous ne pouvons pas cautionner l'idée selon laquelle on hospitaliserait de jeunes enfants dans un service d'adultes où ils ne trouveraient pas l'environnement pédiatrique classique et souhaitable en termes de soins, d'activités scolaires et de jeux.
S'agissant des enfants plus jeunes qui ont déjà commencé des traitements lourds avec ce médecin, il paraît souhaitable qu'ils puissent continuer à être suivis par ce médecin, et c'est ce que le cabinet de M. Kouchner lui a fait savoir et a confirmé auprès de l'Assistance publique. Les enfants pourront donc continuer à être suivis par le même médecin.
Il s'agit non pas de démanteler un service aux compétences reconnues, mais de mieux organiser les activités médicales entre les différents hôpitaux de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris. Le transfert de l'activité d'oncologie de l'hôpital Robert-Debré va permettre le renforcement du pôle de cancérologie pédiatrique de l'hôpital Armand-Trousseau et du pôle de cancérologie pour les adultes de l'hôpital Avicenne. Vous savez que le secrétaire d'Etat à la santé est particulièrement attaché à ce dernier projet.
En revanche, et pour répondre aux besoins de la population, ce transfert permettra le développement de la pédiatrie générale et de la pédiatrie à orientation pneumologique à l'hôpital Robert-Debré, favorisant ainsi une meilleure adaptation des orientations de l'établissement.
Madame la sénatrice, M. Bernard Kouchner confirme que cette opération de transfert intervient dans des conditions garantissant la continuité des soins et la sécurité des enfants et des jeunes adultes qui sont actuellement suivis.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Vous comprendrez, madame la ministre, que je ne sois pas intégralement satisfaite par votre réponse.
Je sais que la création d'une unité fonctionnelle d'adolescents, selon les critères de l'OMS, c'est-à-dire d'une unité destinée aux jeunes âgés de dix à vingt ans, dans laquelle seraient pris en charge tous les enfants, adolescents et jeunes adultes traités actuellement dans le service d'oncologie par l'équipe Desbois-Delépine, est une idée chère à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
Si on lui en donne les moyens, l'hôpital Avicenne, dirigé par des administratifs et des médecins respectés et qui savent se faire respecter, est prêt à recevoir dans ses murs cette petite équipe de très haut niveau, spécialisée dans le traitement des cancers rares de l'enfant et de l'adolescent. Il n'y aurait donc aucun risque pour les enfants de dix à quinze ans, surtout si la garde médicale spécialisée qui a permis le développement de ces activités pointues depuis 1986 est maintenue.
Cette solution que vous n'avez, me semble-t-il, pas évoquée, permettrait de résoudre les problèmes d'éclatement de ce service vers deux hôpitaux différents.
Je me permets d'évoquer cette éventualité, parce que l'éclatement du service entre les deux hôpitaux me paraît contestable. Je ne sais pas ce que les intéressés en pensent exactement à l'heure qu'il est, mais il me semble que l'on devrait prendre davantage en considération l'hypothèse d'un transfert global.

CONDITIONS D'ORGANISATION DES SPECTACLES
FAISANT APPEL A` DES ARTISTES ÉTRANGERS

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 299, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les organisateurs de festivals culturels subissent aujourd'hui d'importantes contraintes administratives lorsqu'ils souhaitent accueillir des troupes ou des orchestres étrangers en tournée en France.
Les producteurs établis hors de l'Union européenne, notamment dans des pays aux structures artistiques, sociales ou culturelles très différentes des nôtres, sont souvent dans l'incapacité de fournir toutes les pièces exigées en France des employeurs.
Dans ces conditions, l'inspection du travail, les ASSEDIC et les caisses de retraite se tournent vers l'organisateur du festival en France, qu'elles considèrent comme employeur de fait.
L'organisateur se trouve alors dans l'obligation d'effectuer les déclarations liées à l'embauche et à l'emploi sous contrat à durée déterminée des artistes étrangers et de verser l'ensemble des cotisations et contributions sociales à la place du producteur étranger.
Madame le ministre, ces contraintes sont totalement inadaptées aux moyens des communes et des associations qui font appel à des troupes ou à des orchestres étrangers pour une ou deux journées au maximum.
Je peux vous donner l'exemple du festival Berlioz, de la Côte-Saint-André, qui accueille régulièrement des orchestres venus d'Europe et, souvent, d'Asie centrale. Le simple fait de faire venir un orchestre d'une centaine de musiciens pour une journée nous oblige à consacrer plusieurs jours à l'établissement de contrats de travail et de fiches de paie individualisés et à la recherche de justificatifs souvent impossibles à obtenir dans le pays d'origine.
Il y a là une vraie contrainte pour les organisateurs de festivals et un véritable frein aux échanges culturels entre la France et certains pays qui frappent aujourd'hui aux portes de l'Europe.
Est-ce vraiment aux organisateurs français de festivals d'effectuer toutes les démarches exigées aujourd'hui ?
L'administration ne peut-elle trouver une solution pour régler elle-même le problème avec les pays concernés, surtout lorsque la France a signé avec eux des conventions ?
Dans le cas où il ne serait pas possible de faire autrement, ne pourrait-on au moins simplifier les démarches administratives ? Pourquoi ne pas envisager un formulaire unique en fonction du cachet versé à la troupe ou à l'orchestre étranger ?
Je vous remercie, madame le ministre, de bien vouloir répondre à ces deux séries de questions, qui concernent non seulement les neuf cents festivals organisés chaque année en France, mais aussi les nombreuses salles de spectacles qui accueillent des artistes étrangers.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, je suis parfaitement consciente de la portée de vos questions. Aussi, je souhaite vous apporter les éléments de réponse suivants.
Les règles relatives à l'emploi en France des artistes et techniciens du spectacle qui restent salariés d'entrepreneurs de spectacles vivants établis à l'étranger sont fixées par les dispositions du droit du travail et du droit de la sécurité sociale.
Au regard du droit de travail, les obligations à respecter et les démarches à effectuer sont notamment fixées par les dispositions de l'article L. 341-5 et les règlements pris pour son application. Ces obligations ont été précisées dans une circulaire établie en 1996 par le ministère de l'emploi et de la solidarité.
Au regard de la sécurité sociale, les artistes et les techniciens affiliés dans un des trente-trois pays ayant signé avec la France une convention internationale de sécurité sociale sont dispensés de l'affiliation au régime français de sécurité sociale. Ils doivent bien entendu justifier du maintien de cette affiliation en produisant le formulaire spécifique à la convention disponible dans leurs caisses d'affiliation d'origine.
Par ailleurs, faisant suite à la mission d'intermédiation confiée à M. Pierre Cabanes en mars 1997, l'Etat s'est engagé à conduire certaines actions précises en vue de mieux encadrer le régime d'indemnisation des intermittents du spectacle.
Une de ces actions porte sur la création d'un « guichet unique » pour simplifier les obligations sociales des entrepreneurs occasionnels de spectacles vivants. A cet égard, une disposition législative a été adoptée ; c'est l'article 6 de la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier du 2 juillet 1998. C'est auprès d'un seul organisme habilité que ces employeurs occasionnels procéderont désormais aux déclarations obligatoires liées à l'embauche et à l'emploi de personnel sous contrats de travail à durée déterminée et au versement de l'ensemble des cotisations et contributions sociales.
A partir de la mise en oeuvre de cette mesure totalement novatrice et de l'évaluation de son efficacité, les pouvoirs publics pourront étendre éventuellement les procédures de simplification à l'ensemble des professionnels accueillant des artistes étrangers, voire étudier la possibilité de proposer le règlement de leurs obligations sous forme de forfait ainsi que vous le suggérez.
Pour sa part, le projet de loi portant réforme de l'ordonnance du 13 octobre 1945 qui a été adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture et qui doit revenir en débat prochainement devant la Haute Assemblée modernise une réglementation désuète de la profession d'entrepreneur de spectacle vivant. Ce projet prend en compte l'évolution des métiers et des pratiques contractuelles, mais il n'a ni pour objet ni pour effet de modifier la présomption de salariat établie par l'article L. 762-1 du code du travail.
Croyez bien que je n'ignore pourtant pas les préoccupations des organisateurs de festivals culturels de bonne foi et, en ce qui concerne mon secteur, je puis vous dire que j'ai donné des instructions à mes services pour qu'ils préparent avec ceux de Mme Aubry, dès que le texte sera voté, une circulaire d'application précisant les droits et obligations de chacun dans ce domaine, afin que toutes les parties prenantes - employeurs, diffuseurs, exploitants de lieux, salariés et administrations chargées des contrôles - soient clairement informées du droit applicable et afin d'éviter des situations d'iniquité manifeste.
Enfin, je souhaite vous rassurer sur un dernier point : dans le cadre de la réforme de l'ordonnance, chaque entrepreneur de spectacles vivants, exploitant de lieux, producteur et entrepreneur de tournées, diffuseur de spectacles intervenant dans la représentation publique du spectacle devra assumer ses responsabilités, notamment ses obligations salariales. Le projet de loi attribue sans ambiguïté la responsabilité d'employeur à l'égard du plateau artistique au producteur. La présomption de contrat de travail pèse en conséquence et en premier lieu sur cet entrepreneur, ce qui délimite restrictivement, a contrario, le rôle de premier plan des organisateurs de festivals ; la situation sera ainsi beaucoup plus claire.
A l'inverse, il est bien évident que la défaillance de l'entrepreneur peut entraîner la mise en cause des autres intervenants s'ils n'ont pas satisfait à leurs obligations, conformément, cette fois, à une jurisprudence constante de la Cour de cassation.
Voilà, monsieur le sénateur, le point où nous en sommes très exactement. La circulaire qui suivra le vote de la loi permettra de clarifier la situation et évitera certaines des difficultés qui sont rencontrées par les organisateurs de festivals.
M. Jean Boyer. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Madame le ministre, je tiens à vous remercier de votre réponse très constructive concernant le guichet unique.
S'agissant du projet de loi portant réforme de l'ordonnance de 1945, la disposition à laquelle vous avez fait particulièrement allusion à la fin de votre intervention ne s'applique pas au festival Berlioz, par exemple, car nous n'en sommes pas le producteur.
Dans ce cas précis, l'employeur est l'organisateur et supporte donc, par définition, tous les coûts, en raison de la défaillance des producteurs étrangers.
Très sincèrement, je pense que cette question devra être approfondie, en tenant compte de la diversité des situations. En tout cas, je vous sais gré d'avoir examiné ma question avec attention.

SITUATION DANS LES SERVICES
D'ARCHIVES DÉPARTEMENTALES

M. le président. La parole est à M. Cabanel, auteur de la question n° 324 adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
M. Guy Cabanel. Madame la ministre, j'ai souhaité vous interroger aujourd'hui sur les difficultés actuellement rencontrées par certains services d'archives départementales.
En effet, dans ces établissements, qui sont des services départementaux, les personnels scientifiques et de documentation sont nommés par votre ministère et payés par l'Etat, bien que mis à disposition du président du Conseil général. Or ces postes scientifiques et de documentation, une fois vacants, ne sont pas régulièrement pourvus par l'Etat. Il en résulte que les missions de collecte, de conservation et de documentation de certains de ces services sont assurées dans des conditions devenues malaisées, par un personnel toujours plus réduit.
Je peux citer ici l'exemple de mon département. En Isère, sur les six postes mis à disposition par l'Etat, seuls trois sont réellement pourvus, dont deux à mi-temps. En effet, depuis une dizaine d'années, l'effectif théorique des personnels scientifiques et de documentation des archives départementales de l'Isère comprenait trois conservateurs d'archives et trois documentalistes. Aujourd'hui, deux postes de conservateur sont pourvus, dont l'un à mi-temps, et un seul poste de documentaliste est occupé par une personne en cessation progressive d'activité et travaillant à mi-temps. Des difficultés de même nature sont signalées dans d'autres départements de la région Rhône-Alpes.
Je n'ignore pas les problèmes de recrutement. C'est ainsi qu'en juillet 1998 ne sont sortis de l'Ecole nationale du patrimoine que cinq conservateurs d'archives pour une vingtaine de postes à vacance déclarée.
Il me semble, madame la ministre, que devant une telle situation la solution qui a été précédemment adoptée pour les bibliothèques départementales pourrait être ici également utilisée. Il s'agit d'opérer un transfert des crédits correspondant aux vacances d'emplois, par le biais de la dotation générale de décentralisation. Appliquée aux services d'archives départementales, cette opération permettrait aux départements de pourvoir directement les postes vacants.
C'est pourquoi, madame la ministre, je vous demande de bien vouloir me faire connaître vos intentions concernant ce problème et les mesures que vous envisagez de prendre pour améliorer les conditions de fonctionnement des services d'archives départementales.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, j'étudie à l'heure actuelle le problème posé par les archives nationales et départementales.
La crise qu'ont connue cet été les Archives nationales n'est pas totalement résolue. J'ai chargé M. Bélaval de rédiger un rapport relatif à l'évolution de cette situation difficile et aux réponses à y apporter. L'intervention de l'Etat, en particulier sa responsabilité vis-à-vis des archives départementales et des conseils généraux, qui sont directement concernés, est également visée.
Je suis donc très attentive à la situation des effectifs de l'Etat dans l'ensemble des services départementaux, car l'exemple que vous donnez est particulièrement révélateur d'une situation qui, malheureusement, touche d'autres départements.
De nombreux postes sont publiés à échéance régulière dans les avis de vacances diffusés aux membres des corps scientifiques et de documentation concernés.
Dans le cas de l'Isère, la procédure a été appliquée et renouvelée à différentes reprises et continuera de l'être. Afin d'encourager d'autres candidatures, l'expérience a même été tentée, en septembre dernier, de déclarer la vacance d'un poste de secrétaire de documentation qui se serait substitué à l'emploi existant de chargé d'études documentaires, et ce afin de ne pas dégrader le service public des archives départementales.
Par ailleurs, je puis vous annoncer qu'un concours national sera organisé en 1999, afin de procéder au remplacement d'agents partis à la retraite dans les corps de documentation de catégorie A et B. Dans ce contexte, un examen de la situation des services départementaux d'archives sera bien entendu à nouveau engagé.
En revanche, l'utilisation de la dotation générale de décentralisation ne me paraît pas, à première vue, pouvoir être retenue en l'état : cette dotation, en effet, n'est pas destinée à recueillir les crédits correspondant aux emplois d'agents de l'Etat concernés, la mise à disposition de ceux-ci, aux termes de l'article 66 modifié de la loi du 22 juillet 1993, ne constituant qu'une faculté laissée à l'Etat. La réflexion doit donc être poursuivie sur ce point.
En tout cas, je vous remercie, monsieur le sénateur, d'avoir évoqué cette possibilité, car nous devons à la fois réexaminer le problème des postes mis à disposition, dans la mesure où les services d'archives départementales manquent de personnel, et améliorer la décentralisation en ce domaine. Je travaillais hier avec le directeur de l'administration générale du ministère et nous avons évoqué ce point particulièrement préoccupant.
J'aurai certainement d'autres éléments de réponse à vous apporter après la publication du rapport de M. Bélaval et après examen, y compris avec mes collègues, du devenir de ces personnels et du rôle des départements en vue d'une organisation correcte du service public, qui relève plus directement de leur responsabilité, mais qui engage par ailleurs l'Etat, dont je ne me désolidarise pas du tout.
M. Guy Cabanel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Madame « la » ministre - cette expression est aujourd'hui entrée dans les moeurs ! - je vous remercie de votre réponse si détaillée et très claire. Cependant, je formulerai deux remarques.
Je comprends parfaitement que le mécanisme d'intervention que je vous ai proposé dans l'urgence, c'est-à-dire l'utilisation de la dotation générale de décentralisation, ne puisse pas être mis en oeuvre sans une réflexion plus approfondie. Il s'agit de postes d'Etat. Je reconnais que les services départementaux rencontreraient des difficultés à procéder à des nominations, à moins d'utiliser les fonds pour opérer une sorte d'intérim en attendant que soit réglé le problème des nominations suivant les critères d'Etat. Je comprends donc vos réticences.
Permettez-moi cependant d'insister et de vous demander de réfléchir, car cette situation ne peut perdurer.
Que les Archives nationales donnent lieu à une mission d'investigation, c'est une bonne chose. Mais je ne voudrais pas que le problème des archives départementales dépende trop des solutions qui seront trouvées pour les Archives nationales.
J'attire votre attention sur le fait que, dans certains départements, les archives départementales ont pris une importance considérable.
J'en reviens au cas de l'Isère.
Nous avons subi, comme tout le monde, une profonde mutation industrielle dans les années quatre-vingt. Nous avons vu disparaître la métallurgie lourde et la chaudronnerie lourde, qui étaient destinées à fournir le matériel pour les barrages hydroélectriques. Nous avons pu développer ensuite, heureusement, d'autres industries plus fines, plus technologiques, qui nous ont permis d'éviter de trop graves conséquences pour la région.
Nous possédons de très riches archives qu'il faut maintenant saisir. Il y a non seulement le courant des archives d'un département qui a un passé historique, à travers le Dauphiné, mais encore ces archives récentes de la société industrielle que nous ne pouvons pas laisser se dégrader.
Très franchement, le cri d'alarme que je lance en effet appelle une suite. Vous avez proposé que la réflexion se poursuive : poursuivons-la sans trop attendre. Il nous faut trouver des solutions.

CONTRÔLE DES FORAGES INDIVIDUELS

M. le président. La parole est à M. Richert, auteur de la question n° 306, adressée à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
M. Philippe Richert. Madame la ministre, ma question se rapporte aux réalisations de plus en plus fréquentes de forages individuels d'eau potable et aux conséquences qui en découlent.
En effet, bon nombre de personnes résidant dans des zones où la nappe phréatique est facilement accessible - il y en a beaucoup en Alsace - réalisent, pour échapper aux taxes et redevances, des puits privés destinés à prélever directement l'eau nécessaire à la satisfaction de leurs besoins au lieu d'utiliser le réseau public de distribution d'eau potable.
Outre les risques sanitaires pris par les usagers de ces forages individuels, la qualité de l'eau ainsi obtenue n'étant pas toujours contrôlée, ces derniers présentent également des risques pour les collectivités : risque notamment de mettre en péril l'équilibre financier des services des eaux et de l'assainissement, risque que les installations privées soient réalisées en contravention avec le règlement départemental, risque de pollution de la nappe, bien sûr.
Au moment où les exigences réglementaires sont de plus en plus fortes et alors que la gestion des réseaux de distribution d'eau et de traitement d'eaux usées nécessite des investissements particulièrement performants au niveau technique et lourds au niveau financier, le développement accéléré, et parfois anarchique, de ces captages opérés dans la nappe phréatique pour se soustraire à l'effort global pose un problème.
C'est pourquoi je souhaiterais que soient précisées les bases légales sur lesquelles les élus locaux peuvent s'appuyer pour opérer un recensement complet des puits privés réalisés parfois en secret, ainsi que les concours qu'ils peuvent attendre des services de l'Etat en la matière.
Je souhaiterais, par ailleurs, connaître les modalités pratiques d'application du décret n° 67-945 autorisant la taxation forfaitaire des particuliers s'approvisionnant partiellement ou totalement à une autre source que le réseau public et savoir s'il est envisagé, le cas échéant, de préciser la réglementation actuellement en vigueur.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé ma collègue Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur les possibilités légales, pour les élus locaux, de recenser les puits privés permettant des prélèvements d'eau dans les nappes phréatiques et, le cas échéant, de limiter le développement de ces forages.
L'utilisation des eaux souterraines constitue une conséquence du droit de propriété et le législateur n'a pas souhaité restreindre l'exercice de ce droit lorsqu'il est réservé à des fins domestiques ou assimilé à un tel usage, aux termes de l'article 10 de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, votée à l'unanimité. L'article 3 du décret du 29 mars 1993 définit ce qui est considéré comme usage domestique de l'eau et y assimile notamment tout prélèvement inférieur ou égal à 40 mètres cubes par jour.
Les pouvoirs publics ne peuvent donc limiter l'usage domestique des eaux souterraines même si cet usage peut se substituer pour tout ou partie à l'utilisation des eaux distribuées par les services publics d'alimentation en eau potable. Réciproquement, les communes n'ont pas l'obligation légale d'assurer la distribution d'eau potable sur la totalité de leur territoire.
En matière d'assainissement des eaux usées, la situation est différente. Dans les zones d'assainissement collectif délimitées par les communes, les usagers domestiques ont une obligation de raccordement au réseau public d'assainissement et donc de participation au coût de son fonctionnement lorsqu'ils sont desservis par ce réseau. Les communes sont en droit de tenir compte, pour la fixation des redevances dues au titre du service d'assainissement collectif, des volumes d'eau rejetés dans le réseau qui proviendraient de puits privés.
Le décret n° 67-945 autorise ainsi à cette fin la taxation forfaitaire des particuliers s'approvisionnant totalement ou partiellement à une autre source que le réseau public. Ce décret est actuellement en cours de mise à jour en concertation avec les représentants de l'Association des maires de France et de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Le projet de texte révisé sera soumis à l'examen du Comité national de l'eau lors de sa prochaine réunion puis à l'avis du Conseil d'Etat. Il devrait pouvoir être publié au début de l'année 1999.
Il précisera les modalités de fixation des redevances d'assainissement compte tenu des évolutions législatives intervenues depuis 1967, notamment de l'obligation, résultant de l'article 12 de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, faite à tout propriétaire ou exploitant d'une installation de prélèvement d'eau souterraine de pourvoir celle-ci des moyens de mesure ou d'évaluation appropriés. Cette obligation s'applique à toutes les installations de prélèvement dans les eaux souterraines, y compris de prélèvements domestiques, depuis le 3 janvier 1997.
M. Philippe Richert. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Madame le ministre, je vous remercie des précisions que vous avez apportées. Je vous suis gré notamment de m'avoir fait part du décret en préparation, qui ouvre des perspectives.
Permettez-moi cependant de revenir sur quelques éléments du dossier.
Je tiens de nouveau à attirer votre attention sur le risque de pollution de la nappe phréatique, risque ô combien important.
Il ne faut pas surestimer non plus les difficultés qu'il peut y avoir à procéder à un recensement exhaustif de l'ensemble des puits déjà creusés, alors que, très souvent, ces captages se font non pas dans l'illégalité, mais sans publicité particulière.
Il est très délicat pour les organismes de gestion d'eau et d'assainissement de savoir quelles taxations appliquer à l'eau prélevée, d'une part, et à l'eau rejetée dans le réseau d'assainissement géré par la collectivité, d'autre part.
J'espère que le décret en préparation prendra en compte l'ensemble de ces éléments.

NÉCESSITÉ DE RÉGULARISATION DE LA PROLIFÉRATION
ANARCHIQUE DES RELAIS DE TÉLÉPHONIE MOBILE

M. le président. La parole est à M. Valade, auteur de la question n° 328, adressée à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
M. Jacques Valade. Madame le ministre, je regrette l'absence de Mme Voynet, mais je suis persuadé que vous lui transmettrez le contenu de ma question, d'autant que celle-ci concerne le paysage, tant urbain que rural, sujet auquel vous n'êtes pas indifférente.
Nous constatons tous le développement considérable des téléphones mobiles. Or, en dehors des nuisances que l'utilisation de ces petits appareils peut engendrer dans les lieux publics, il est évident que la mise en place du réseau nécessaire à une bonne diffusion suscite des contraintes, tant au niveau urbain qu'au niveau rural.
Il existe deux cas de figure : ceux qui sont desservis protestent contre les nuisances qu'occasionnent les nombreuses installations ; ceux qui ne sont pas desservis protestent parce qu'ils estiment que l'installation des ré-émetteurs dans leur département tarde.
Aujourd'hui, madame le ministre, je voudrais appeler votre attention sur la prolifération des émetteurs en milieu urbain, mais également quelquefois en milieu rural.
Au cours de la campagne électorale qui vient de se dérouler, en circulant dans nos départements, nous avons tous pu nous rendre compte des installations tout à fait anarchiques de ces réémetteurs que l'on voit tantôt sur un château d'eau, voire le clocher d'une église, tantôt sur des pylônes implantés ici ou là, au gré sans doute de la volonté des propriétaires des terrains sur lesquels ils sont installés.
Il est clair, en outre, que la prolifération des opérateurs - actuellement il en existe trois sur le territoire national, mais il pourrait y en avoir d'autres dans l'avenir - aura pour conséquence la multiplication de ces relais.
De nombreuses questions, notamment de très nombreuses questions écrites, ont été posées à cet égard. J'en ai recensé six pour l'année 1998. Elles ont toutes obtenu la même réponse, à savoir que nous sommes sous le régime de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 - sans doute la réponse qu'on vous a préparée y fait-elle allusion, madame le ministre - tout particulièrement, en l'occurrence des articles 1er, 6 et 11.
Toutefois, les entreprises concernées ne ressortissent pas à l'application de cette loi dans la mesure où leurs licences ont été accordées avant 1996. Aussi, si on ne peut dire qu'elles font ce qu'elles veulent, cela revient un peu à cela.
Ne pouvant faire référence à une loi, on invoque une circulaire en préparation, des concertations avec les services déconcentrés, ce qui n'aboutit à rien, ou la réunion d'un groupe de travail, qui devrait déboucher sur la rédaction d'une charte de recommandations environnementales.
Quoi qu'il en soit, quelle que soit la volonté du ministre, quelle que soit la bonne volonté du Gouvernement et, éventuellement, de l'administration, nous sommes sous le régime du « laissez-faire ». Je vous assure que les maires, mais également nos concitoyens ne supportent plus cette offense permanente que constitue la mise en place de ces relais qui n'ont jamais la même forme, qui ne bénéficient jamais du même support et qui sont quelquefois placés dans des endroits où ils n'ont pas lieu d'être.
Les responsables des collectivités locales, tout en souhaitant une bonne couverture du territoire communale et départementale, sont très démunis face à ce problème.
Je souhaiterais que vous me disiez, madame le ministre, de quelle façon le Gouvernement entend le régler.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, vous avez pensé que je ferais référence aux textes qui ont été évoqués dans les différentes réponses qui ont déjà été données sur le sujet. En fait, comme vous l'avez rappelé, l'application des textes en vigueur nous pose quelque difficulté.
La loi de juillet 1996 a apporté un certain nombre de modifications par rapport à ce qui existait. Mais les opérateurs de réseaux présents sur le marché avant sa promulgation ne sont pas concernés. Aussi, nous cherchons à les sensibiliser au problème et à les amener, petit à petit, à consulter systématiquement les services instructeurs au niveau déconcentré à l'occasion de tout nouveau projet d'implantation, de façon à mettre fin à cette anarchie que vous avez relevée.
Pour ce qui est des secteurs sauvegardés, ils disposent d'un appareil juridique suffisant pour éviter les erreurs, à condition que chacun fasse bien son travail. Sous l'autorité du préfet, les services déconcentrés sont chargés d'instruire les dossiers d'implantation avec la direction départementale de l'équipement, la DDE, avec les directions régionales de l'environnement, les DIREN, le service départemental de l'architecture et même les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, le cas échéant.
Pour ce qui concerne le reste des territoires communaux, voire les milieux naturels, en l'absence d'une réglementation spécifique sur les pylônes, une circulaire a été adressée aux préfets pour leur demander de mettre en place des instances de concertation entre les services déconcentrés et les opérateurs de réseaux.
Celles-ci ont pour objectif de faire respecter les phases de consultations préliminaires aux installations en établissant un dialogue en amont des projets d'équipement. Elles visent également à favoriser l'insertion de ces équipements dans l'environnement dès lors que l'on ne peut pas trouver de sites différents.
Enfin, des discussions ont été entreprises à l'échelon national avec des représentants des DIREN et les différents opérateurs pour mettre en oeuvre une charte de recommandations environnementales destinée à orienter le choix des implantations d'équipements, dans le respect des contraintes environnementales liées à la fragilité des milieux et des paysages naturels.
Sachez, monsieur le sénateur, que, chargée, de par mes fonctions ministérielles, de l'architecture et, par voie de conséquence, de la qualité de l'aménagement des espaces publics, je rejoins la préoccupation de ma collègue Mme Voynet. Mes services travaillent beaucoup en liaison avec le ministère de l'équipement, de façon à éviter le foisonnement d'installations diverses qui transforme parfois nos quartiers en autant de forêts de pylônes.
Le souci que vous avez manifesté est en fait celui de voir respecter la qualité de l'environnement urbain et rural. Nous le partageons pleinement.
Je le répète, les dispositions qui existent nous amènent à inciter les différents interlocuteurs à engager une démarche de consultation en vue de respecter les conditions d'implantation élaborées conjointement par les différents ministères concernés.
Je pense que la charte de recommandations environnementales, élaborée dans la concertation mais présentant un caractère contraignant, constituera un outil important pour les élus, qui pourront s'y référer avant de décider d'opter pour telle implantation plutôt que pour telle autre. On évitera ainsi que les communes ne soient en proie à la pose anarchique de relais et que le maire ne soit systématiquement l'autorité prise à parti.
M. Jacques Valade. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Je remercie Mme le ministre de la réponse qu'elle m'a apportée, mais je dois lui avouer que celle-ci me laisse quelque peu sur ma faim dans la mesure où elle reprend les termes de réponses écrites qui avaient été faites à des questions écrites.
Bien sûr, la charte qui a été évoquée laisse place à un certain espoir. Il reste qu'une charte n'a de valeur que si elle est respectée.
Je me demande donc s'il ne faudrait pas aller un peu plus loin et durcir la réglementation dans ce domaine. En effet, quelle que soit la bonne volonté des différents opérateurs, ceux-ci ne sont pas insensibles aux éléments qui peuvent leur être favorables au regard de la concurrence ; ils sont ainsi amenés à choisir les sites les plus adéquats pour installer leurs émetteurs.
Je resterai donc attentif aux termes de la charte, mais je pense qu'il ne faut pas en rester là.

NUISANCES SONORES
CAUSÉES PAR LE TGV PARIS-LYON

M. le président. La parole est à M. Pépin, auteur de la question n° 298, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Jean Pépin. Monsieur le président, ma question s'adresse effectivement à M. Gayssot mais je constate que celui-ci est représenté par Mme Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme. Tout en la saluant, je la prie de bien vouloir transmettre à M. Gayssot les remarques générales se rapportant à ma question que je serai amené à formuler.
Ma préoccupation immédiate a trait aux importantes nuisances sonores que subissent les habitants de la commune de Grièges, dans le département de l'Ain, riverains de la ligne SNCF à grande vitesse Paris-Lyon.
La mise en place d'aménagements tels que des écrans antibruit permettrait d'atténuer considérablement cette incommodité. Par conséquent, je souhaite savoir si M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement entend proposer la réalisation de tels équipements aux abords de la ligne à grande vitesse Paris-Lyon, sur le territoire de la commune de Grièges.
Je me permets de rappeler qu'il s'agit de la plus ancienne ligne TGV de France. Depuis sa mise en service initiale, voilà maintenant vingt ans, la fréquence de passage des trains s'est fortement accrue. Parallèlement, les exigences de nos concitoyens en matière de qualité de la vie s'est, elle aussi, accrue et appelle, par rapport à des grands équipements de ce type, une approche complémentaire. C'est, en fin de compte, le sens de ma question.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme. Monsieur le sénateur, M. Jean-Claude Gayssot, qui est actuellement à l'Assemblée nationale, m'a demandé de vous répondre à sa place, ce que je fais bien volontiers.
Le Gouvernement est, comme vous, attentif aux conditions d'insertion des infrastructures de transports dans l'environnement, et il se préoccupe en particulier des nuisances sonores que subissent certains riverains.
Réseau ferré de France - RFF - poursuit les actions engagées par la SNCF pour ramener les nuisances engendrées par la circulation des TGV sur la ligne Paris-Lyon à hauteur de la commune de Grièges au niveau des seuils fixés par les décrets d'utilité publique des lignes à grande vitesse construites ultérieurement.
RFF s'est donc rapproché de l'association des riverains de Grièges et a récemment fait part de son accord pour la mise en oeuvre et la prise en charge de protections phoniques permettant de garantir un niveau de bruit inférieur à 65 décibels au droit de toutes les habitations situées à proximité de la ligne.
Il a été proposé de définir cette année la nature des ouvrages à constuire - murs et merlons - en vue de la réalisation des travaux correspondants en 1999.
Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, les choses avancent.
Au-delà de ces propositions, RFF pourra apporter son appui technique à la mise au point du dossier, dès lors que les concours financiers nécessaires seront réunis, sur l'initiative des autres intervenants, pour réaliser des compléments aux dispositions envisagées.
Dans le même esprit, à l'occasion du renouvellement du ballast, qui devrait intervenir dans ce secteur à l'horizon 2000, les matériaux de l'ancien ballast pourront être tenus à disposition des communes qui le souhaiteraient, dans des conditions définies en accord avec celles-ci. Ces matériaux pourront alors servir à la constitution des protections phoniques complémentaires.
Nous ne pouvons que nous féliciter de cette coopération, qui permettra d'améliorer sensiblement l'environnement des riverains de cette infrastructure.
M. Jean Pépin. Je demande la parole.
M. le président. Le président du conseil général de l'Ain va nous dire s'il est satisfait de cette réponse.
La parole est à M. Pépin.
M. Jean Pépin. En vérité, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, je suis partiellement satisfait.
Je suis, en effet, heureux de constater que les riverains sont enfin écoutés. Et ils méritaient de l'être, sachant qu'ils subissent maintenant un trafic de TGV qui n'a plus aucune commune mesure avec ce qu'il était à l'origine puisqu'il est maintenant environ sept fois plus intense.
Il est donc indispensable d'adapter cet équipement remarquable aux besoins actuels et futurs.
Ma satisfaction est cependant tempérée par un regret, regret de voir qu'on fait appel aux collectivités locales pour apporter une solution à un problème que pose un grand équipement national. Il me paraîtrait logique, s'agissant d'un tel équipement, que cette solution fasse l'objet d'un financement national, que ce soit par le biais de Réseau ferré de France, par celui du budget du ministère de l'équipement, ou encore par celui d'un contrat de plan. Je ne trouve pas normal que les collectivités locales riveraines, qui subissent précisément les inconvénients du passage des trains à grande vitesse, soient en plus sollicitées lorsqu'il s'agit de financer des travaux propres à atténuer ces inconvénients.
Sous le bénéfice de cette réserve, je prends acte du souci que l'on semble maintenant avoir quant aux nuisances sonores que peuvent engendrer de tels équipements. Je suis d'ailleurs persuadé que c'est un aspect dont il faudra systématiquement tenir compte lors de la conception et de la réalisation des équipements futurs, faute de quoi, dans dix ans, nos concitoyens n'auront aucune confiance dans la qualité phonique, notamment, de ces équipements et il ne sera plus possible de construire quoi que ce soit.
C'est en ce sens que ma question dépasse, je crois, très largement le problème strict de Grièges, commune de mon département que je tiens à défendre parce que cela est aussi mon rôle.

ÉQUIPEMENTS ROUTIERS EN SEINE-SAINT-DENIS
ET DANS LE VAL-D'OISE

M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 307, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, dans le cadre de la réunion d'étape sur l'extension de l'aéroport Charles-de-Gaulle, M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement a intégré, au titre de l'amélioration du cadre de vie des populations riveraines, trois actions du Gouvernement : premièrement, s'agissant des transports en commun, le système Centaure et la tangentielle nord ; deuxièmement, la réhabilitation des logements sociaux ; troisièmement, la réalisation de l'autoroute A 16.
On est en droit de se demander si cette troisième action participe réellement de l'amélioration du cadre de vie. Beaucoup sont convaincus du contraire.
Parmi les orientations du projet d'autoroute A 16 telles qu'elles sont définies par M. Gayssot figure la reprise des études en vue d'une déclaration d'utilité publique du raccordement à la Francilienne. Le conseil général du Val-d'Oise a sollicité cette déclaration d'utilité publique.
Il apparaît en effet logique que le flux des véhicules venant du nord de la France empruntent la voie circulaire qu'est la Francilienne : la circulation serait ainsi ventilée et non contrainte de s'engouffrer dans le goulet encombré en permanence, souvent saturé, qu'est l'autoroute A 1.
Mais les populations et les élus s'émeuvent et ne suivent plus M. Gayssot lorsqu'il souhaite prolonger l'autoroute A 16 dans les zones urbaines du Val-d'Oise jusqu'au boulevard intercommunal du Parisis.
M. Gayssot a reconnu à plusieurs reprises que l'autoroute A 16 ne devait pas traverser les zones urbaines de Seine-Saint-Denis.
Tout comme lui, nous avons participé aux luttes communes des élus et des populations de Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise. Aujourd'hui, nous sommes heureux que l'autoroute A 16 ne massacre pas le parc départemental de La Courneuve, que les villes de Stains, Dugny, La Courneuve, Saint-Denis, Aubervilliers soient épargnées. Mais nous serions également heureux que ladite autoroute ne puisse pas non plus sectionner de six voies parallèles les villes de Villiers-le-Bel, de Sarcelles, d'Arnouville-lès-Gonesse et préserve Garges de l'accroissement d'une circulation déjà insupportable.
Trois mesures qui dépendent du ministre de l'équipement, des transports et du logement peuvent être prises.
Tout d'abord, l'Etat étant maître d'ouvrage du projet, pour qu'il soit abandonné, il suffit que le ministre le décide.
Ensuite, le conseil régional pourra engager la procédure tendant à la levée des emprises foncières aussi bien en Seine-Saint-Denis qu'en Val-d'Oise, à partir de la Francilienne.
Enfin, les mêmes mesures doivent être prises pour résoudre les problèmes d'encombrement existant aussi bien en Seine-Saint-Denis que dans le Val-d'Oise.
De telles mesures éviteraient l'engagement des dépenses considérables que j'ai déjà évoquées en posant une question orale relative à l'autoroute A 16, libéreraient des terrains gelés et inutiles depuis des années et conduiraient, avec le boulevard intercommunal du Parisis, la RD 370, la RN 1 à améliorer les liaisons inter-banlieues transversales.
Ma question est simple : M. Gayssot est-il maintenant prêt à prendre ces mesures ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme. Madame la sénatrice, M. Jean-Claude Gayssot ne pouvant être présent ce matin au Sénat, ainsi que je l'ai déjà indiqué, il m'a demandé de vous présenter sa réponse.
A la suite de sa décision du 23 septembre 1997 concernant l'autoroute A 16, M. Gayssot a demandé au directeur régional de l'équipement de l'Ile-de-France de mener une étude globale de circulation sur le réseau routier principal dans le secteur limité au nord par la Francilienne, au sud par l'A 86 et le boulevard périphérique, à l'ouest par l'A 115 et l'A 15 et, enfin, à l'est par l'A 1 et l'A 3.
Cette étude distingue deux scénarios principaux, correspondant, le premier, à l'arrêt de l'A 16 sur la Francilienne, et le second à sa poursuite jusqu'au boulevard intercommunal du Parisis, le BIP.
Sur cette base, les études d'avant-projet sommaire de l'A 16 seront reprises avec un découpage en deux phases de réalisation, à savoir L'Isle-Adam-Francilienne, puis Francilienne-BIP. Le ministre de l'équipement, des transports et du logement compte bien entendu, le moment venu, associer les collectivités locales à la recherche du tracé et à la définition des mesures d'accompagnement, avant la mise à l'enquête publique du projet.
Bien que la décision de ne pas réaliser l'A 16 en Seine-Saint-Denis soit claire et définitive, sa traduction juridique dans les documents d'urbanisme locaux ne pourra intervenir effectivement que lors d'une prochaine révision du schéma directeur régional d'Ile-de-France.
La modification anticipée des plans d'occupation des sols ferait naître, en effet, une situation d'insécurité juridique pour les projets de construction susceptibles de se développer dans les emprises concernées.
Pour ce qui est de la route départementale 370, une déviation sous la forme d'une voie urbaine sur les communes de Gonesse et de Villiers-le-Bel est projetée. Il s'agit, toutefois, d'une opération dont la maîtrise d'ouvrage serait assurée par le département du Val-d'Oise, à qui il revient de fixer les conditions de sa réalisation.
L'Etat finance actuellement, avec le concours de la région d'Ile-de-France, les travaux de la partie ouest du BIP entre l'A 15 et la route départementale 109, ainsi que les études des parties centre et est entre la route départementale 109, les routes nationales 1 et 370.
La vocation de cette voie est d'assurer le désenclavement du secteur est du Val-d'Oise et de la vallée de Montmorency et leur liaison avec les pôles d'emploi de Roissy à l'est, de Cergy-Pontoise et La Défense à l'ouest. Elle contribuera ainsi au délestage des voiries locales actuellement saturées, comme les routes départementales 125 et 208.
Le BIP-Est, qui correspond à la section comprise entre Sarcelles et Gonesse, a été déclaré d'utilité publique le 18 juillet 1990. Les services du ministre de l'équipement vont engager une concertation locale qui permettra de déterminer ses emprises de façon définitive et le phasage de sa réalisation. Il est prévu que les acquisitions foncières nécessaires soient financées l'année prochaine.
Le coût global de la section est du BIP s'élève à plus d'un milliard de francs. M. Jean-Claude Gayssot m'a indiqué qu'il proposera que des crédits soient inscrits pour cette opération au prochain contrat entre l'Etat et la région, mais qu'une réalisation fractionnée devra être envisagée sur deux plans.
Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement est décidé à poursuivre les efforts d'aménagement routier dans votre département.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, une étude globale est en cours, dites-vous. La décision de l'arrêt de l'autoroute A 16 à la Francilienne, à la Croix-Verte, n'a donc pas encore été prise, puisque vous avez développé les deux scénarios possibles.
Il faut que M. Gayssot le sache : le prolongement de l'A 16 au-delà de la Francilienne ne satisfait personne, pas même les usagers qui seraient contraints de l'utiliser.
Le péage, puisque ce mode de financement est prévu, ajouterait à la dégradation de l'environnement une pénalisation financière qui, si on se réfère aux tarifs qui sont pratiqués sur le tronçon L'Isle-Adam-Beauvais, peut être estimée à plusieurs centaines de francs par mois pour les automobilistes, qui retomberaient dans des encombrements très importants, puisque les problèmes de circulation entre les communes du département ne seraient pas résolus.
C'est pourquoi, avec toutes les associations de défense, y compris celles de la Seine-Saint-Denis, alors que, comme vous venez de le réaffirmer, ce département ne serait par touché par le passage de l'autoroute A 16, et avec de nombreux élus, je vous propose de substituer à ce projet un certain nombre de mesures d'accompagnement pour un mieux-vivre, sur lesquelles je vais maintenant dire quelques mots.
Tant que les emprises foncières n'auront pas été levées, le risque existera, y compris pour la Seine-Saint-Denis, de voir passer l'A 16. Il faut donc arrêter l'A 16 à la Francilienne. Il faut définir une politique de transport visant à enrayer le flux de véhicules vers le coeur de l'Ile-de-France. On ne peut continuer à faire passer sur nos routes tous les véhicules, je pense principalement aux camions, qui se dirigent vers Paris. Il faut développer les transports en commun, et notamment améliorer la desserte par la voie ferrée des ensembles urbains de Sarcelles, Garges, Villiers-le-Bel, Gonesse, Arnouville et Goussainville. De telles mesures permettraient d'améliorer le cadre de vie. Mais on ne peut pas dire que le prolongement de l'A 16 jusqu'au boulevard intercommunal du Parisis à Sarcelles améliorerait le cadre de vie, déjà fortement dégradé, des populations concernées, qui subissent les nuisances sonores de Roissy.
Au regard de l'avenir de la région est du Val-d'Oise et de la Seine-Saint-Denis, ces mesures doivent être prises rapidement.

TGV BRETAGNE-PAYS DE LA LOIRE

M. le président. La parole est à M. de Rohan, auteur de la question n° 313, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de l'entretien qu'il a bien voulu m'accorder, ainsi qu'à mes collègues du conseil régional de Bretagne, M. Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, avait annoncé son intention de prendre une décision en septembre sur le tracé futur de la liaison à grande vitesse entre Le Mans et Rennes.
Ce projet, qui est inscrit au schéma national des liaisons à grande vitesse, constitue un enjeu essentiel pour l'avenir de la Bretagne. Il est soutenu par l'ensemble des forces politiques bretonnes.
C'est un enjeu d'aménagement du territoire au moment où s'accentuent les risques de « périphéricisation » de la Bretagne, et d'ailleurs de l'ensemble de la façade atlantique. Le TGV Ouest est indispensable pour permettre à notre région, et singulièrement à sa partie occidentale, avec Brest et Quimper, d'être reliée en trois heures à Paris et plus encore, grâce à l'interconnexion, à l'ensemble du réseau européen de trains à grande vitesse.
Ce projet constitue ensuite un enjeu économique. Outre cette ouverture sur l'Europe, la création d'une nouvelle ligne permettra de développer sur les voies libérées le transport combiné de marchandises, dont le rôle deviendra décisif, en particulier pour les produits agroalimentaires.
Le projet présente un double avantage pour la SNCF : il est assuré d'une rentabilité particulièrement élevée au regard d'autres projets du même ordre et il permettra une croissance du trafic de voyageurs d'environ 2 millions de voyageurs. Le président de la SNCF s'est d'ailleurs prononcé favorablement sur ce projet.
Les études préliminaires sont terminées. Elles ont permis d'examiner les différents fuseaux dans lesquels pourrait s'inscrire le nouveau tracé. Il faut aujourd'hui arrêter un choix.
Pour cette raison, je souhaiterais, madame la secrétaire d'Etat, que vous m'apportiez des précisions sur un certain nombre de points.
D'abord, le ministre de l'équipement, des transports et du logement a-t-il décidé le contournement du Mans, qui permettrait de gagner près de treize minutes sur le parcours entre Le Mans et Rennes ? Ensuite, a-t-il retenu un fuseau dans lequel pourrait s'inscrire le nouveau tracé ? En outre, a-t-il déterminé un phasage pour la réalisation des opérations ? Enfin, les premières phases de la réalisation du projet peuvent-elles être envisagées à l'occasion du prochain contrat de plan ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme. Monsieur le sénateur, M. Gayssot, qui, comme vous le savez, ne peut être présent ce matin, puisqu'il est retenu à l'Assemblée nationale, m'a demandé de vous communiquer la réponse qu'il vous a préparée.
Le schéma directeur national des liaisons ferroviaires à grande vitesse, approuvé en avril 1992 après consultation des conseils régionaux, prévoit pour la desserte de l'ouest de la France la réalisation des TGV Bretagne et Pays de la Loire, prolongements du TGV Atlantique du Mans à Rennes et du Mans à Angers.
L'engagement des différentes procédures s'est d'abord traduit par l'organisation d'un débat préalable sur l'intérêt économique et social du projet et sur ses grandes fonctionnalités. A l'issue de ce débat, un cahier des charges a été établi et approuvé le 9 mai 1995.
En décembre 1995, les études préliminaires du projet ont été lancées ; elles visaient à comparer différentes variantes de fuseaux. C'est sur cette base que les collectivités locales ont été consultées entre avril et septembre 1997.
En décembre 1997, le préfet de la région Bretagne, préfet coordonnateur, a présenté à M. Jean-Claude Gayssot ses conclusions sur les études ainsi que le bilan des consultations.
Il ressort clairement de ces consultations que le rattachement de la Bretagne aux grands réseaux de communication est un enjeu fort, et qu'il doit être assuré de manière performante.
A cet égard, le ministre considère que le projet de TGV Bretagne-Pays de la Loire, inscrit au schéma directeur, constitue une composante essentielle de ce rattachement.
Cependant, si les deux régions sont d'accord pour améliorer les relations ferroviaires, elles ne partagent pas la même vision des investissements à réaliser.
M. Gayssot, comme il a déjà eu l'occasion de l'indiquer lors de son récent déplacement à Brest, compte, dans les prochaines semaines, se prononcer sur les résultats de la concertation concernant les fuseaux entre Le Mans et Rennes.
Il m'a indiqué que ses décisions intégreront l'ensemble des avis exprimés lors de la consultation, notamment l'hypothèse d'une alternative de TGV pendulaire permettant des dessertes de qualité sur l'ensemble de la Bretagne, qui est demandée par les conseils régionaux.
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Tout d'abord, je suis très heureux, madame la secrétaire d'Etat, de vous retrouver au Sénat, où nous avons eu l'occasion de discuter ensemble de questions qui relevaient plus du tourisme que des transports. Sur la forme, je suis satisfait de la réponse que vous m'avez faite. Sur le fond, je constate que M. Gayssot a usé de la prudence du serpent, car il ne s'est guère engagé.
Aussi, je tiens à rappeler plusieurs points.
Premièrement, un engagement avait été pris de nous donner une réponse sur un tracé à la fin septembre. Or, à ce jour, nous n'avons rien vu venir, et nous sommes pourtant à la fin du mois d'octobre. On nous renvoie à des calendes qui, je l'espère, ne seront pas grecques...
Il s'agit d'un choix simple. Peut-être faut-il arbitrer entre les deux termes d'une alternative. Madame la secrétaire d'Etat, gouverner, c'est choisir !
Nous avons très clairement expliqué les raisons pour lesquelles nous avons opté pour une voie rapide, avec contournement du Mans, entre Le Mans et Rennes. Nous avons expliqué qu'il s'agissait d'un enjeu majeur pour le développement de la Bretagne, faute de quoi nous nous trouverions rejetés à l'extrémité de l'Europe sans pouvoir participer au grand réseau européen de liaisons à grande vitesse. Il s'agit d'un élément capital pour le développement de la Bretagne, qui a l'appui unanime des formations politiques bretonnes, et ce n'est pas si facile !
Pour conclure, je dirai très solonnellement à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement qu'il ne faudra pas atermoyer longtemps car, un jour, toutes les forces économiques, sociales et politiques de la région viendront demander la réponse qui ne nous est pas apportée aujourd'hui. C'est une question sur laquelle les Bretons ne pourront rester inertes. Je le dis en toute sérénité, mais aussi avec détermination, laquelle est, paraît-il, une vertu de notre race. (Sourires.)
M. le président. Grâce à vous, nous avons appris ce qu'est la « périphéricisation ». (Nouveaux sourires.)

AMÉNAGEMENT DE LA RN 89

M. le président. La parole est à M. Bony, auteur de la question n° 322, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Marcel Bony. Je vous remercie, madame la secrétaire d'Etat, d'être présente pour répondre à une question que j'avais déjà posée au mois de septembre à votre collègue M. Gayssot. Il s'agissait alors d'une question écrite. Celle-ci étant restée sans réponse, j'ai décidé de la transformer en question orale, car un certain nombre d'acteurs du Puy-de-Dôme attendent avec impatience des indications de la part de l'Etat.
Madame la secrétaire d'Etat, vous n'ignorez pas à quels problèmes nous sommes confrontés avec la route nationale 89. J'ai d'ailleurs eu l'occasion, à plusieurs reprises, de les exposer au Gouvernement, notamment avec M. Roger Quilliot et avec M. Serge Godard, actuel maire de Clermont-Ferrand.
Sans vouloir faire l'historique de la situation, je tiens à dire qu'elle est liée aux engagements pris par l'Etat le 20 janvier 1994 de mettre à deux fois deux voies la route nationale 89 et, parallèlement, de choisir le tracé Nord de l'A 89.
Depuis, le Conseil d'Etat a rendu un avis favorable à la réalisation du tronçon autoroutier Saint-Julien-Puy-Lavèze/Combronde, et M. le Premier ministre a signé le décret d'utilité publique le 9 janvier 1998.
En revanche, la route nationale n'a pas été prise en considération alors qu'elle est et demeurera l'itinéraire naturel pour rallier l'agglomération clermontoise ou le val d'Allier à partir de l'échangeur de Saint-Julien-Puy-Lavèze.
Cette route est inadaptée au trafic d'aujourd'hui et de demain, et ce ne sont pas les quelques rares travaux en cours qui en modifieront le caractère.
Selon le Centre d'études techniques de l'équipement de Bordeaux, à l'horizon 2015, le niveau de trafic supporté par la route nationale 89 devrait pourtant être sensiblement équivalent à celui de l'autoroute, dans l'hypothèse où aucun aménagement significatif de la nationale ne serait réalisé.
Dans ces conditions, je ne voudrais pas, madame la secrétaire d'Etat, que l'on en vînt à présent à rechercher la rentabilité de l'autoroute au détriment de la route nationale 89 en spéculant, d'une part, sur un allégement du péage autoroutier et, d'autre part, sur l'interdiction de la circulation des poids lourds sur la route nationale, ce qui me paraît aberrant.
En effet, la route nationale 89 est l'axe desservant au plus près les zones d'activité de l'agglomération clermontoise et créant une ouverture vers le sud du département. C'est aussi l'axe du désenclavement, de l'équilibre territorial du département et de sa cohésion. Sa modernisation est, à mon sens, d'utilité publique.
Aussi serais-je reconnaissant à M. Gayssot de bien vouloir envisager de procéder dans un premier temps à des aménagements substantiels et urgents entre La Chabanne, sur la commune de Laqueuille, et les Quatre Routes de Nébouzat, soit une quinzaine de kilomètres, tronçon qui supporte un trafic moyen de plus de 13 000 véhicules par jour, avec des pointes à près de 20 000 véhicules par jour, et sur lequel se sont malheureusement produits cent deux accidents en dix-huit mois.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme. Monsieur le sénateur, je vous répondrai au nom du ministre de l'équipement, des transports et du logement, qui est ce matin à l'Assemblée nationale.

L'autoroute A 89 est destinée à accueillir les trafics de grand transit entre Bordeaux et Lyon. La route nationale 89, qui lui est parallèle, doit donc retrouver, par souci de limiter strictement la concurrence entre ces deux itinéraires et de préserver le site inscrit du parc régional des volcans d'Auvergne, sa vocation initiale de desserte fine des territoires.
Ainsi, lors de l'examen du projet de décret déclarant d'utilité publique le tracé de l'A 89, le Gouvernement s'est engagé à limiter strictement les aménagements de la RN 89 et à prendre des mesures de limitation du trafic de poids lourds sur la route nationale.
Ces principes ne signifient pas pour autant qu'aucun aménagement ne puisse être réalisé sur la route nationale 89, en particulier en ce qui concerne la sécurité. D'ailleurs, certains aménagements ont été prévus au titre du XIe plan, et d'autres pourront être envisagés lors des négociations préparatoires au prochain contrat de plan Etat-région, dès lors qu'ils sont conformes aux principes rappelés précédemment.
Enfin, la demande, formulée par certains responsables locaux, de mise en place d'un fonds de concours alimenté par la Société des autoroutes du sud de la France en vue de l'élargissement complet de la RN 89 entre Laqueuille et Clermont-Ferrand ne peut juridiquement être reçue, car elle est contraire à l'esprit et à la lettre de la loi de 1955 sur les autoroutes à péage.
M. Marcel Bony. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bony.
M. Marcel Bony. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, qui - je dois l'avouer et vous le comprendrez certainement - ne peut me satisfaire, et dont je crains qu'elle ne fasse pas non plus le bonheur de la centaine d'élus locaux du Puy-de-Dôme constitués en association autour de la route nationale 89. Au passage, je précise que, contrairement à ce que je viens d'entendre, la RN 89 n'est pas parallèle à l'autoroute, puisque le tronçon d'autoroute Saint-Julien-Puy-Lavèze monte vers le Nord alors que la route nationale 89 descend vers le Sud.
J'ai omis de vous dire que les usagers de la route de Corrèze et du Cantal sont aussi logiquement concernés, dans la mesure où la mobilité des habitants s'est affirmée dans les relations régulières qu'ils entretiennent avec la capitale auvergnate.
En outre, le désenclavement du massif du Sancy, très gros point fort touristique de la région avec ses trois stations thermales, passe par une meilleure accessibilité routière. Je pense, madame, que la secrétaire d'Etat au tourisme que vous êtes doit être particulièrement sensible à cet aspect.
Le prochain contrat de plan Etat-région sera de toute façon insuffisant pour répondre à la situation que je viens de vous exposer.
Je prends acte de la position de M. le ministre en regrettant que la communauté de communes de l'agglomération clermontoise, qui représente plus de 300 000 habitants, soit ignorée, alors qu'elle constituera l'élément moteur de la nouvelle donne de l'aménagement du territoire dans notre région Auvergne.
Merci toutefois, madame la secrétaire d'Etat, de m'avoir apporté ces informations.

PUBLICATION DU DÉCRET
RELATIF À L'ANNUALISATION DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE

M. le président. La parole est à M. Delevoye, auteur de la question n° 310, transmise à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le ministre, de nombreux adhérents ont interpellé l'Association des maires de France sur le problème de la rémunération des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, plus communément appelés les ATSEM.
On rencontre d'ailleurs aujourd'hui de plus en plus fréquemment, au-delà même de ce type d'emploi, des cas de fonctionnaires employés à temps non complet et bénéficiant de vacances scolaires, cas qui montrent toute la difficulté de concilier la théorie et la pratique.
En effet, en théorie - plusieurs réponses ont d'ailleurs été données en ce sens - le traitement correspondant à la durée de travail effective durant l'année scolaire doit être intégralement versé à ces agents durant les douze mois de l'année, et ce sans aucune retenue tenant compte des congés scolaires, les maires ayant alors la faculté d'employer ces fonctionnaires à d'autres tâches.
Dans la pratique, et notamment dans les communes plus petites concernées en plus par les regroupements pédagogiques qui imposent le recrutement des ATSEM, l'occupation de ce type de personnel se révèle particulièrement difficile.
De ce fait, les élus ont tenté de procéder à une annualisation de la rémunération pour tenir compte des périodes non travaillées, mais la jurisprudence, constante sur ce point, réaffirme régulièrement la règle selon laquelle ce type de fonctionnaire doit être rémunéré toute l'année.
L'une des conséquences de cette situation - on commence à le percevoir - est qu'un texte très légitime en théorie se retourne finalement contre l'intérêt même des fonctionnaires concernés, certains maires préférant désormais recruter des agents contractuels pour une durée déterminée, ce qui va à l'encontre même du statut du personnel et de la protection qui y est liée.
Une première approche pourrait être la polyvalence des missions. Mais - et c'est le coeur de ma question, monsieur le ministre - une loi du 27 décembre 1994 avait apporté une solution à ces difficultés : dans sa nouvelle rédaction, l'article 105 de la loi du 26 janvier 1984 prévoit en effet qu'à titre expérimental, pour une durée de trois années, la durée hebdomadaire de service peut être organisée sur une période d'un an, et ce sur la demande de l'agent ou si les nécessités du service le justifient.
Un décret en Conseil d'Etat devait fixer les conditions d'application de cet article, mais, à ce jour, il n'est toujours pas paru. J'attire votre attention sur ce point, car le défaut de texte réglementaire d'application affecte aussi d'autres fonctionnaires. Le délai toujours assez long s'écoulant entre la promulgation de la loi et la publication des décrets - vous le savez bien, monsieur le ministre, puisque vous venez de signer un décret concernant les services des conseils généraux - oblige les exécutifs à faire face à la situation et à prendre des dispositions de bon sens qui, quelquefois, sont ensuite remises en cause par les chambres régionales des comptes.
Le fait de laisser les exécutifs des collectivités territoriales dans un vide juridique, alors même que la loi affiche clairement une position, me paraît tout à fait préjudiciable à l'efficacité.
Je vous serais donc très obligé, monsieur le ministre, de m'indiquer quand vous envisagez de donner aux maires les instruments réglementaires leur permettant de mettre en oeuvre cette annualisation de la durée hebdomadaire de service, et ce d'autant plus que l'approche des négociations éventuelles sur les 35 heures remettra, à l'évidence, ce sujet à l'ordre du jour.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, la loi du 27 décembre 1994 avait ouvert à titre expérimental, pour une durée de trois années, la possibilité d'organiser la durée hebdomadaire de service sur une période d'une durée maximale d'une année, sur demande de l'agent ou si les nécessités de service le justifiaient.
Si cette mesure n'a pas donné lieu à l'adoption des dispositions réglementaires correspondantes en ce qui concerne les emplois à temps non complet - et je veux bien regretter avec vous le délai parfois trop long qui s'écoule entre la promulgation de la loi et la publication des textes d'application - en revanche, les modalitésd'expérimentation de l'annualisation du service à temps partiel dans la fonction publique territoriale ont fait l'objet d'un décret publié le 24 avril 1995.
En tout état de cause, la question de l'annualisation du travail à temps non complet dans la fonction publique territoriale - c'est là, il est vrai, un sujet sensible - ne peut, en l'état actuel, être traitée indépendamment d'une réflexion plus générale sur la durée et l'organisation du travail dans l'ensemble des trois fonctions publiques.
C'est pour mieux appréhender les réalités du fonctionnement des services et pour déterminer l'organisation du temps de travail que le Gouvernement a confié à M. Jacques Roché le soin de dresser un état des lieux sur la réglementation existante et sur les pratiques relatives au temps de travail et aux heures supplémentaires dans les fonctions publiques, mission à l'issue de laquelle la concertation s'engagera sur les prolongements possibles de cette étude.
Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, les difficultés de gestion du personnel rencontrées par les collectivités, notamment en ce qui concerne les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles. Il convient ici de rappeler que la durée de travail des agents à temps non complet est déterminée par un décret du 20 mars 1991 prévoyant que la délibération créant un emploi à temps non complet fixe la durée hebdomadaire de service afférente à cet emploi en fractions de temps complet exprimées en heures.
La jurisprudence administrative récente - elle date de 1995 - confirme qu'un fonctionnaire à temps non complet doit accomplir un temps de travail identique à la durée hebdomadaire de travail fixée par la délibération ayant créé son emploi. Sa rémunération doit correspondre à cette durée hebdomadaire et ne peut être ni minorée ni majorée.
Par ailleurs, le décret du 25 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux fixe la durée des congés à cinq fois les obligations hebdomadaires des agents, cette durée étant appréciée en nombre de jours effectivement ouvrés. En conséquence, rien ne s'oppose à ce que les collectivités locales affectent, pendant les vacances scolaires, des agents spécialisés des écoles maternelles dans d'autres locaux que les écoles maternelles, à condition qu'ils accueillent des enfants. Certes, la mise en pratique n'est pas toujours simple, mais je tenais à rappeler ces données afin d'être complet.
Telle est la réponse que je peux apporter à votre question, monsieur le sénateur. En tout état de cause, l'essentiel du travail restera à faire lorsque nous serons saisis des conclusions du rapport de M. Jacques Roché.
M. le président. Les chambres régionales, elles,n'attendent pas pour saisir !
M. Jean-Paul Delevoye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le ministre, je suis obligé de reconnaître le bien-fondé de votre réponse, qui était conventionnelle ; toutefois, si elle respecte la lettre des textes, elle n'en respecte pas l'esprit.
Membres du Gouvernement ou parlementaires, nous devons réfléchir, lorsque nous élaborons un texte, à l'obligation de résultat : les décrets d'application doivent être publiés dans un délai donné. En effet, faute de ces décrets, la loi ne sert à rien et le pouvoir législatif est remis en cause.
Par ailleurs, à l'évidence, en l'absence de textes législatifs, c'est la jurisprudence, soit celle des chambres régionales des comptes soit celle des tribunaux administratifs, qui fait la loi.
Au moment où le Sénat va être saisi d'un texte relatif à la modernisation de la vie politique, nous devons nous poser la question de notre efficacité : si les parlementaires que nous sommes votent une loi et que les décrets d'application ne sortent pas, à quoi bon ?
Ne pourrait-on pas, dans ces conditions, envisager d'associer à la promulgation de la loi l'obligation de publier les décrets d'application ? Nous éviterions ainsi les débats médiatiques que nous connaissons sur la critique de la vie politique de notre pays, la sanction juridique l'emportant, actuellement, sur la force de la loi.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Je suis entièrement d'accord !
M. le président. Nous avons compris, monsieur le ministre, que vous approuviez le point de vue de M. Deneux, qui est largement partagé par la Haute Assemblée.

STOCKAGE ET DESTRUCTION
DES ENGINS RÉSIDUELS DE GUERRE

M. le président. La parole est à M. Deneux, auteur de la question n° 304, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Marcel Deneux. Ma question, adressée à M. le ministre de l'intérieur, porte sur le stockage et la destruction des engins résiduels de guerre.
De nombreuses régions continuent de subir le lourd préjudice de la Première et de la Seconde Guerre mondiale en découvrant quasi quotidiennement des obus dans leur sous-sol.
Les maires sont les premiers à être sollicités pour déplacer, stocker en lieu sûr ces obus, et contacter les services compétents pour en assurer la destruction.
Ainsi, nous observons de nombreux tas d'obus sur le bas-côté de la route dans les communes. Des maires s'engagent également à stocker - y compris, parfois, dans la cour de leur habitation - ces obus, afin d'assurer la sécurité sur la voie publique.
Cette situation, qui n'est pas satisfaisante, est la conséquence de l'absence de centres de stockage et de destruction, notamment dans le département de la Somme : les 11 et 12 juillet 1916, 1 500 000 obus y ont été tirés en trente-six heures, dont 10 %, estime-t-on, n'ont pas explosé. Ainsi, au cours de la dernière décennie, entre 45 et 65 tonnes d'obus ont été récupérées chaque année.
Aujourd'hui, la seule solution proposée aux maires est la destruction de ces obus sur le territoire de leur commune, cette dernière devant prendre en charge la dépense afférente.
Cette situation appelle des réponses sur les dispositifs de stockage et de destruction de ces obus, mais aussi sur la responsabilité des maires compte tenu de la mise en oeuvre possible des articles L. 2122-27 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, ainsi que sur la provenance des moyens financiers nécessaires.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu appeler mon attention sur les difficultés rencontrées par les maires à la suite de la décision, prise en mars 1997, de ne plus ramasser les munitions de guerre classiques, à l'exclusion des bombes d'avion, dans le nord de la France.
Cette décision a notamment concerné le département de la Somme, où les maires ont été fréquemment sollicités pour fournir les moyens nécessaires à la destruction sur place des munitions découvertes.
Cette situation résulte de l'accident survenu en décembre 1996 au Crotoy, dans la Somme. Après la fermeture de ce site de stockage et de destruction, les centres de déminage d'Arras et d'Amiens n'ont plus eu la possibilité de détruire les munitions.
Tout comme vous, j'ai considéré que cette situation ne pouvait se prolonger.
Le point de blocage majeur concernait la reprise des destructions de munitions sur un site approprié. Il s'avère qu'un nouveau mode de destruction, expérimenté sur le camp militaire de Sissonne, doit permettre d'absorber progressivement le stock de munitions de Laon-Couvron, considérablement augmenté ces derniers mois du fait des transferts des munitions classiques du dépôt de Vimy, dont la capacité d'entreposage était à saturation.
Ce désengorgement a permis, depuis le 1er septembre dernier, la reprise des tournées de collecte par le service du déminage. Ainsi, les 200 demandes qui sont actuellement en instance dans la Somme sont en voie de résorption et, dans le courant du mois de décembre prochain, les maires de votre département vont retrouver, en matière de déminage, la qualité de service dont ils bénéficiaient avant l'accident du Crotoy.
Monsieur le sénateur, je suis très sensible aux éléments que vous m'avez fait connaître concernant la sécurité publique et le pouvoir des maires, mais je pense que les informations que je vous ai communiquées sont de nature à vous rassurer.
M. le président. Il y a aussi Azincourt dans le département de la Somme...
M. Marcel Deneux. Et Crécy, monsieur le président !
M. le président. ... mais là, heureusement, il n'y a plus de flèches ! (Sourires.)
M. Marcel Deneux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le ministre, votre réponse ne me satisfait qu'à moitié en raison des délais que vous avez évoqués. Vous nous dites que tout sera réalisé en décembre. J'en accepte l'augure, mais les éléments recueillis sur place me laissent supposer que nous allons subir encore longtemps une situation qui est véritablement éprouvante : des centaines de kilos d'explosifs sont stockées dans des conditions qui ne sont pas raisonnables ; de surcroît, cela pose des problèmes financiers aux communes.
Permettez-moi d'espérer, monsieur le ministre, qu'une solution rapide sera trouvée !
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE
DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

5

SCRUTINS POUR L'ÉLECTION DE JUGES
À LA HAUTE COUR DE JUSTICE

M. le président. L'ordre du jour appelle les scrutins pour l'élection de douze juges titulaires et de six juges suppléants à la Haute Cour de justice.
Ces scrutins auront lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à la disposition de nos collègues.
Pour être valables, ces bulletins de vote ne doivent pas comporter plus de douze noms pour l'élection des juges titulaires et plus de six noms pour l'élection des juges suppléants.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour ces élections.
Les juges titulaires et les juges suppléants nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie M. Jacques Machet, secrétaire du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote.
Il va être procédé au tirage au sort de quatre scrutateurs titulaires et de deux scrutateurs suppléants qui opéreront le dépouillement du scrutin.

(Le tirage au sort a lieu.)
M. le président. Le sort a désigné :
Scrutateurs titulaires : MM. Xavier Darcos, Jean Huchon, Jean-François Picheral et Louis Boyer.
Scrutateurs suppléants : MM. Charles Ceccaldi-Raynaud et Michel Bécot.
Les scrutins pour l'élection de douze juges titulaires et de six juges suppléants à la Haute Cour de justice sont ouverts.
Ils seront clos dans une heure.

6

SCRUTIN POUR L'ÉLECTION DE JUGES
À LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE

M. le président. L'ordre du jour appelle le scrutin pour l'élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.
Le scrutin aura lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à la disposition de nos collègues.
Pour être valables, les bulletins ne peuvent comporter plus de six noms pour les juges titulaires et de six noms pour les suppléants, le nom de chaque titulaire devant être obligatoirement assorti du nom de son suppléant.
En conséquence, la radiation de l'un ou des deux noms, soit celui du titulaire, soit celui du suppléant, entraîne la nullité du vote pour l'autre.
Les juges titulaires et les juges suppléants nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie M. Jacques Machet, secrétaire du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote.
Il va être procédé au tirage au sort de deux scrutateurs titulaires et d'un scrutateur suppléant qui opéreront le dépouillement du scrutin.

(Le tirage au sort a lieu.)
M. le président. Le sort a désigné :
Scrutateurs titulaires : MM. Pierre-Yvon Trémel et Jean-Louis Lorrain.
Scrutateur suppléant : M. Daniel Eckenspieller.
Le scrutin pour l'élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants est ouvert.
Pour faciliter les opérations de vote, le Sénat va suspendre ses travaux quelques instants.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.

7

CUMUL DES MANDATS

Discussion d'un projet de loi organique
et d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi organique (n° 463, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice. (Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble.)
- du projet de loi (n° 464, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice. (Rapport n° 29 [1998-1999])
La conférence des présidents a décidé qu'il seraitprocédé à une discussion générale commune de ces deuxtextes.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je viens à l'instant d'aller rendre hommage aux fonctionnaires de la police judiciaire de Paris.
En effet, la brigade des stupéfiants vient de réaliser une prise très importante en matière de trafic de drogue puisque six trafiquants ont été arrêtés, 184 kilos de cocaïne et quantité d'armes saisis. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. Monsieur le ministre, comme il vient d'en témoigner par ces applaudissements, le Sénat s'associe aux félicitations que vous avez adressées aux forces de police françaises, qui, une fois de plus, ont accompli consciencieusement leur mission.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, le Premier ministre mentionnait la volonté du Gouvernement d'élaborer un nouveau dispositif limitant le cumul de mandats et fonctions. Le projet de loi dont vous êtes saisis aujourd'hui reprend cet objectif.
Nos concitoyens souhaitent en effet que leurs élus se consacrent pleinement à leurs mandats. Deux préoccupations se rejoignent ici : celle d'assurer un meilleur fonctionnement de notre vie publique et celle de favoriser l'émergence de nouvelles générations. L'arrivée aux responsabilités politiques de nouveaux élus - et je pense tout particulièrement aux femmes - doit être encouragée. La limitation du cumul des mandats est un des moyens de cette évolution.
En matière de cumul des mandats, la France, on le sait, fait exception parmi les grandes démocraties européennes. Faut-il y voir un appétit particulier de pouvoir parmi nos élites politiques ? Je ne crois pas que le tempérament français pousse plus qu'un autre à la concentration des pouvoirs. Je crois plutôt que le cumul s'est enraciné, au cours de notre histoire, comme une antidote à la centralisation. La source du pouvoir local est depuis longtemps, dans notre pays jacobin, la capacité d'intervenir auprès des administrations centrales pour décrocher financements et faveurs. C'est le principal argument des maires à la recherche d'un mandat parlementaire.
Il faut prendre acte des changements intervenus depuis la décentralisation. Les pouvoirs locaux y ont gagné une nouvelle légitimité et de plus grandes responsabilités. L'exercice simultané de plusieurs mandats est devenu souvent hors de portée depuis la décentralisation. Il risque, dans les faits, de transférer les pouvoirs effectifs des élus vers des fonctionnaires. Ce n'est pas ce que souhaitent les Français.
Bien entendu, la réforme du cumul doit s'inscrire dans cette réalité historique et administrative. Elle ne doit pas la nier. La manière dont s'est constituée la nation n'est pas sans lien avec le sentiment diffus d'une continuité des mandats, du local au régional et au national, du conseil municipal au conseil général puis au Parlement. Il ne s'agit pas de briser ce lien, mais d'en gommer les tendances les plus excessives à la concentration des pouvoirs.
Je vous rappelle que le Premier ministre a consulté les responsables des principales formations politiques, et a recueilli leur sentiment à propos des limitations de cumuls, et que M. Chevènement s'est également entretenu avec les responsables des associations d'élus, l'association des maires de France, l'association des présidents de conseils généraux, l'association des présidents de conseils régionaux.
Bien entendu, des divergences se sont exprimées, mais je crois que le souhait de rechercher une nouvelle règle est apparu légitime.
La limitation du cumul des mandats que propose le Gouvernement n'est nullement dogmatique. Il s'agit de définir des objectifs qui peuvent être atteints.
La loi de 1985 a déjà limité à deux mandats le cumul possible. C'était une avancée considérable. Mais d'importantes lacunes subsistent. Ainsi, les maires des villes de moins de 20 000 habitants ne sont pas concernés. Les parlementaires peuvent toujours diriger des exécutifs locaux importants. Les fonctions de représentants au Parlement européen ne peuvent se cumuler avec celles de parlementaire français. Il convient donc en premier lieu de traiter ces situations.
Je voudrais vous présenter succinctement les différentes dispositions envisagées.
Le projet de loi organique traite en premier lieu des limitations de cumul applicables aux députés et aux sénateurs.
L'article L.O. 297 du code électoral indique que les incompatibilités opposables aux sénateurs sont celles qui sont opposables aux députés. C'est donc le même régime qui prévaudra.
Une loi organique était doublement nécessaire : parce qu'il s'agit du statut des parlementaires et parce que ce régime vaudra pour les territoires d'outre-mer dont les dispositions institutionnelles revêtent un caractère organique, en vertu de l'article 74 de la Constitution.
Tout d'abord, le mandat de représentant au Parlement européen ne pourra plus être cumulé avec celui de député ou de sénateur. Le régime des sessions du Parlement européen, l'éloignement du siège du Parlement à Strasbourg ou des lieux de travail à Bruxelles rendent particulièrement difficile l'exercice simultané des mandats de parlementaire national et de représentant au Parlement européen. Ce point a fait l'unanimité des personnalités consultées. Je me réjouis de constater l'accord sur ce point de votre rapporteur et de votre commission des lois.
Certes, l'article 5 de l'Acte européen du 20 septembre 1976 organisant les élections au Parlement européen indique que le mandat de représentant au Parlement européen est compatible avec celui de parlementaire national. Toutefois, cette disposition - qui valide un point de vue de l'Union - ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres édictent pour leur compte des règles de non-cumul. Cinq pays l'ont fait, postérieurement à l'Acte de 1976, sans que jamais une procédure en manquement ait été introduite. C'est ce qui a conduit le Gouvernement a retenir cette première règle.
Ensuite, le mandat de député ou de sénateur deviendra incompatible avec les fonctions de président d'un conseil régional, de président d'un conseil général, de maire, de président du conseil exécutif de Corse, de président du gouvernement de Polynésie française ou de président d'une assemblée de province du territoire de Nouvelle-Calédonie.
Il s'agit par là d'éviter le cumul avec une fonction exécutive. Le critère retenu est celui de chef d'un exécutif local. Il ne serait pas souhaitable, à mes yeux, d'entrer dans une querelle de seuils autorisant le cumul avec un mandat de maire de petite commune et l'interdisant pour les grandes. A quel niveau fixer la barre ? Le Gouvernement a préféré s'en tenir au principe simple et aisément compréhensible de la responsabilité d'un exécutif local.
Votre commission des lois et votre rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ont émis un avis tout à fait différent, en souhaitant, toutefois, que les parlementaires ne puissent exercer simultanément qu'une seule fonction de responsable d'un exécutif local. Je ne nie pas que ce serait là un progrès, mais le Gouvernement souhaite aller plus loin.
Distinguer clairement entre le mandat de parlementaire, d'une part, celui de maire, de président de conseil général ou de conseil régional, d'autre part, constitue sans nul doute une novation, mais celle-ci correspond au saut qualitatif que nous devons faire.
Les fonctions parlementaires en seraient, à mes yeux, revivifiées et les fonctions de chef d'un exécutif local, cessant d'être tenues parfois, et à tort, pour un marchepied vers de plus hautes destinées, seraient revalorisées.
M. Charles Pasqua. Comment peut-on penser une chose pareille !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. A ces dispositions retenues par le projet de loi initial du Gouvernement, l'Assemblée nationale a ajouté d'autres dispositions tendant à rendre incompatibles avec le mandat de parlementaire la fonction de président d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et différents mandats tels ceux de membre du conseil de la politique monétaire à la Banque de France, de juge des tribunaux de commerce, de membre de la Commission européenne ou du directoire de la Banque centrale européenne, de membre du bureau d'une chambre consulaire ou d'une chambre d'agriculture, de membre du conseil d'administration d'une société faisant publiquement appel à l'épargne.
Beaucoup d'entre vous souhaitent par ailleurs qu'un statut de l'élu accompagne la limitation des cumuls de mandats et de fonctions.
Je n'ignore pas la situation de certains élus, en particulier des maires, qui souhaitent pouvoir exercer à temps plein leur mandat. Le cumul du mandat de maire avec celui de parlementaire n'est pas fondamentalement lié à la question du régime indemnitaire des maires. Il ne concerne d'ailleurs aujourd'hui que 500 cas sur 36 000.
Mais une évolution du régime indemnitaire des maires est souhaitable, car nous savons tous que ces fonctions requièrent plus de temps, de disponibilité et de formation.
Un effort indemnitaire, dans le cas où la réforme serait adoptée, serait de nature à encourager le mouvement que nous appelons de nos voeux afin d'amener aux responsabilités électives de nouvelles générations d'hommes et de femmes qui disposeraient ainsi des moyens de mieux assumer leur mandat.
C'est pourquoi le ministre de l'intérieur a accueilli favorablement un amendement parlementaire, lors de l'examen à l'Assemblée nationale, visant à réévaluer les indemnités des maires et à permettre à un plus grand nombre d'entre eux d'exercer leurs fonctions à temps plein.
D'une manière plus générale, on ne peut que souhaiter une évolution du statut de l'élu, quant aux indemnités, à la formation, à la réinsertion professionnelle à l'issue du mandat.
Mais la sagesse commande de distinguer clairement la limitation des cumuls de cette évolution nécessaire. Ce sont deux questions différentes. Il serait erroné de laisser croire à l'opinion qu'une limitation de l'exercice simultané des mandats serait compensée par un statut de l'élu.
Un statut de l'élu est souhaitable. Mais n'allons pas au-delà de ce qu'a proposé l'Assemblée nationale et ne mêlons pas cette réforme nécessaire à celle du cumul des mandats.
La réforme qui vous est proposée prévoit, par ailleurs, qu'un parlementaire ne pourra détenir plus de deux mandats. C'est dire qu'en plus de son mandat de député ou de sénateur il pourra détenir un mandat de conseiller régional, de conseiller général, de conseiller de Paris, de conseiller à l'Assemblée de Corse ou de conseiller municipal.
Ainsi, le projet de loi répond à l'observation de votre rapporteur, M. Jacques Larché, et de la commission des lois, qui craignent que le dispositif prévu par le Gouvernement ne prive le Parlement de l'expérience acquise dans les assemblées locales.
Il n'en sera rien dès lors que les députés et les sénateurs pourront être conseiller municipal, conseiller général ou régional, vice-président d'un département ou d'une région, adjoint au maire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Ils pourront continuer de participer activement aux assemblées locales, départementales ou régionales, y exercer des responsabilités et demeurer au contact des citoyens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Il n'y aura de ce point de vue ni rupture, ni césure. La continuité de l'espace politique français sera donc préservée, mais la direction de l'exécutif, qui requiert un engagement constant, ne pourra plus être cumulée avec l'exercice d'un mandat parlementaire, lui-même fort prenant.
La claire opposition de votre commission des lois à l'encontre de l'amendement voté par les députés ramenant à dix-huit ans l'âge d'éligibilité à tous les mandats, y compris à celui de sénateur, ne m'a pas échappé ! Mais, vous le savez, nous sommes dans le domaine d'une loi organique concernant le Sénat, et si l'Assemblée nationale peut légitimement exprimer son point de vue, rien ne peut être modifié sur ce point sans votre accord. Le Gouvernement, croyez-le bien, n'a pas perdu de vue cet aspect des choses.
En ce qui concerne le cumul, un régime transitoire souple est proposé. C'est lors du prochain renouvellement de l'un quelconque des mandats les plaçant en situation de cumul prohibé que les parlementaires concernés auront à se mettre en règle avec le nouveau régime des incompatibilités. Ils seront autorisés à poursuivre leur mandat jusqu'au prochain renouvellement. Et, progressivement, à l'image de ce qui fut la règle en 1985, le nouveau système relatif aux incompatibilités se mettra en place.
Lorsque nous serons en régime de croisière, les modalités selon lesquelles chaque élu devra tirer les conséquences d'une situation d'incompatibilité seront en partie modifiées par rapport à la loi de 1985.
Ainsi, à l'avenir, un parlementaire élu à une formation incompatible disposera de trente jours pour choisir le mandat auquel il renonce. Passé ce délai, c'est le mandat acquis le plus anciennement qui est réputé abandonné. Il s'agit de marquer la volonté de mieux respecter le choix des électeurs. Auparavant, on pouvait constater que souvent les nouveaux élus démissionnaient de leurs nouvelles fonctions aussitôt après le scrutin, ce qui ne nous paraît pas logique.
Mais, bien entendu, cette disposition ne s'applique que dans le seul cas où l'élu concerné n'aurait pas opté pour le mandat de son choix dans le délai imparti de trente jours.
Un projet de loi ordinaire concerne, en second lieu, les représentants au Parlement européen, dont le statut ne relève pas de la loi organique, et les élus non parlementaires.
S'agissant des représentants au Parlement européen, leur statut sera, du point de vue des cumuls de mandats, identique à celui des parlementaires nationaux. J'ai déjà exposé les raisons qui ont conduit le Gouvernement à interpréter en ce sens les dispositions de l'Acte du 20 septembre 1976.
Vous ne serez donc pas surpris de constater que, dans le projet du Gouvernement, les représentants au Parlement européen ne pourront plus exercer simultanément les fonctions de président de conseil régional ou de conseil général, de maire ou de président d'une instance exécutive outre-mer. Ils ne pourront exercer qu'un seul mandat supplémentaire, à choisir parmi ceux de conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller à l'assemblée de Corse ou conseiller municipal.
Le projet de loi ordinaire régit également les incompatibilités visant les élus non parlementaires. La règle retenue fixe à deux mandats le cumul autorisé.
Ainsi, un maire pourra être en même temps soit conseiller général, soit conseiller régional. Il ne pourra cependant pas cumuler sa fonction de maire avec la direction d'un autre exécutif élu au suffrage universel direct ; il ne pourra donc pas présider un conseil régional ou un conseil général.
Les dispositions actuelles, vous le savez, interdisent déjà à un président de conseil régional de présider un conseil général ; elles resteront évidemment en vigueur. De surcroît, un président de conseil régional ne pourra simultanément être maire d'une commune.
La même disposition s'appliquera à un président de conseil général.
Mais, bien entendu, dans l'esprit que j'ai rappelé au début de mon intervention, le chef d'un exécutif local pourra exercer simultanément un mandat de conseiller, d'adjoint ou de vice-président dans une autre assemblée locale.
Là encore, le projet de loi n'a pas voulu entrer dans le mécanisme des seuils. Rien n'est plus difficile à cerner qu'un seuil. C'est une boîte de Pandore. Pourquoi instaurer un régime différent selon que la commune a 3 400 habitants ou 3 600 habitants ? Nous croyons qu'il est plus sage de s'en tenir au principe, c'est-à-dire à la notion de chef d'exécutif local, qui comporte beaucoup moins d'inconvénients que l'instauration de seuils.
Le même système transitoire que celui qui est prévu par la loi organique est adopté pour la loi ordinaire : les élus concernés par une incompatibilité à la date de promulgation de la loi pourront continuer d'exercer leurs mandats jusqu'au prochain renouvellement.
Le régime de croisière sera cependant plus strict : le maire, le président de conseil général ou de conseil régional, ou le représentant au Parlement européen qui, à l'avenir, serait élu à une fonction nouvelle le plaçant en situation d'incompatibilité cesserait d'exercer son premier mandat. C'est la dernière élection, l'expression la plus récente du suffrage universel, qui l'emporterait.
Enfin, le dispositif sera applicable dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales d'outre-mer à statut particulier, en assimilant à des mandats et fonctions métropolitains certains des mandats et fonctions, de nature exécutive, propres à ces territoires et collectivités, selon une formule que vous connaissez, qui est celle de la loi organique du 30 décembre 1985.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est, rapidement présentée, l'économie des projets de loi portant limitation du cumul des mandats. Ils exposent, de la part du Gouvernement, un point de vue net. Le Premier ministre a lui-même souhaité un débat approfondi au Parlement.
Je suis sûr que le Sénat saura entendre les aspirations de nos concitoyens, qui souhaitent une clarification des règles afin que leurs élus se consacrent pleinement à leur mandat.
Le projet du Gouvernement n'est pas dogmatique. Il définit des règles équilibrées et réalistes. Elles ne sont pas hors d'atteinte, même si elles introduisent une novation dans notre vie politique. Il faut savoir bousculer des habitudes et revenir sur des situations acquises. Ne redoutons pas ce changement : il sera utile à la démocratie représentative.
En apportant ainsi la preuve de sa capacité à réformer la représentation politique, le Parlement, j'en suis sûr, contribuera à rétablir la confiance des citoyens dans leurs institutions. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous indique que le scrutin pour l'élection des juges titulaires et des juges suppléants à la Haute Cour de justice et à la Cour de justice de la République sera clos dans dix minutes. Que chacun prenne ses dispositions pour accomplir son devoir d'électeur !
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Larché, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée est saisie de deux textes qui traduisent, avec beaucoup d'exactitude, l'intention exprimée par M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale de procéder à ce qu'il appelle une limitation du cumul des mandats.
L'un d'entre eux est un projet de loi organique, puisqu'il concerne les membres du Parlement, députés et sénateurs ; l'autre est applicable aux élus locaux, et uniquement à eux, et relève de l'ordre législatif ordinaire.
J'ai conscience que le rapport que je dois vous présenter au nom de la commission des lois revêt une importance et peut-être une signification particulières, et ce à plus d'un titre.
Nos travaux, nous dit-on, intéressent l'opinion publique, une opinion publique qui, selon certains, attendrait de nous que nous nous rangions à ce que le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale - et pour celle-ci au moins en apparence - souhaiteraient nous voir adopter.
Ne peut-on d'ores et déjà s'interroger sur ce qu'en la matière souhaite réellement l'opinion ?
Ne peut-on penser que ce problème de l'exercice par le même élu de plusieurs mandats peut être réglementé sans pour autant que l'on en vienne à une véritable atomisation de la vie publique, et cela quoi qu'en pensent certains théoriciens de la chose constitutionnelle qui n'auront jamais, je crois, participé effectivement au fonctionnement d'un modeste conseil municipal ? Ne faut-il pas rappeler que l'exercice de plusieurs mandats s'accompagne très normalement d'une réglementation stricte des rémunérations correspondantes, réglementation que nous avons votée et décidée ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Grâce à la gauche !
M. Jacques Larché, rapporteur. Ces projets intéressent aussi, à la condition que l'on veuille bien le reconnaître, notre Haute Assemblée, qui, sur l'un des deux textes qui nous sont soumis, dispose d'un pouvoir de décision égal à celui de l'Assemblée nationale, pouvoir qui lui est reconnu par la Constitution.
J'insiste sur ce point : il s'agit d'un pouvoir de co-décision, et non pas, comme on voudrait le faire croire, d'une sorte de pouvoir de blocage. Car si l'on se sert de ce terme pour qualifier ce que nous décidons, pourquoi ne pas l'utiliser lorsque l'Assemblée nationale s'oppose à ce que nous proposons ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Charles Pasqua. Très bien ! Très logique !
M. Jacques Larché, rapporteur. Je note sur ce point qu'un premier secrétaire de parti qui s'est illustré - ainsi d'ailleurs que l'un de ses collègues président de commission -, et ce récemment, par un absentéisme remarqué a cru bon de faire planer une sorte de menace sur le Sénat.
M. Charles Pasqua. Des noms ! (Rires.)
M. Jacques Larché, rapporteur. Notre président l'a immédiatement relevé. Je n'insisterai pas.
Je poserai simplement cette question : le Sénat est-il encore en droit d'avoir une opinion différente de celle de l'Assemblée, ou bien suffit-il que le représentant d'un parti s'exprime au nom de quelques milliers d'adhérents pour imposer sa volonté à la représentation nationale ? (Très bien ! et vifs applaudissements sur les mêmes travées.)
Ce débat intéresse enfin tous ceux - et nous en sommes - auxquels, dans les divers mandats qu'ils exercent, nos concitoyens ont manifesté leur confiance.
Ces considérations préliminaires suffiront, je l'espère, à vous faire percevoir l'état d'esprit dans lequel votre commission a abordé ces deux textes. Nous en avons conduit l'étude sans aucun préjugé.
M. René-Pierre Signé. Ça !
M. Jacques Larché, rapporteur. Nous avons regretté toutefois que l'Assemblée nationale ait cru devoir surcharger le texte du Gouvernement en s'éloignant de l'objectif initial pour aboutir à un ensemble peu cohérent.
Pour ne pas déborder outre mesure le temps qui m'est imparti, je renverrai à l'examen des amendements l'analyse de bon nombre des dispositions qui nous sont soumises, dont la plupart vous paraîtront certainement d'une pertinence et d'une utilité sujettes à caution.
On y trouve, je le note, une tentative très limitée de création d'un statut de l'élu, pratiquement sous le seul aspect de la rémunération, qui serait bien évidemment laissée à la charge des collectivités intéressées.
On se garde de traiter ce qui est sans doute le problème essentiel : l'inégalité des citoyens. Or nous savons qu'il y a des catégories privilégiées dans l'accès aux mandats électifs.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien !
M. Jacques Larché, rapporteur. Ce problème devra être abordé dans son ensemble, à l'occasion non pas de ce texte, mais de l'étude d'un véritable statut de l'élu. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Nous aurions pu aussi légitimement espérer que la situation des ministres serait réglée par un projet de loi constitutionnelle, qui aurait pu mettre fin, au niveau du Gouvernement, à l'application contestable, mais empreinte d'un certain humour, des directives du Premier ministre. (Sourires.)
Certains de nos collègues, et je les en remercie, ont déposé une proposition de loi constitutionnelle. Nous l'étudierons très rapidement, en examinant la procédure applicable à une telle proposition, qui débouche obligatoirement, vous le savez - c'est la Constitution - sur un référendum.
M. Charles Pasqua. Enfin un référendum ! (Rires.)
M. Jean-Claude Gaudin. Mais pas celui que vous souhaitez !
M. Jacques Larché, rapporteur. J'en viens à l'essentiel : faut-il limiter le cumul des mandats ?
M. René-Pierre Signé. Oui !
M. Jacques Larché, rapporteur. Dans l'affirmative, dans quelle proportion ?
En 1985, un pas important avait été fait en ce sens. Tout le problème est de savoir si nous devons aller au-delà.
La commission a estimé que oui. Elle vous propose donc de limiter à deux le nombre de mandats susceptibles d'être exercés, et de rendre incompatibles, entre autres, un mandat national et un mandat européen.
Notons au passage - et cela, dans mon esprit, a une valeur symbolique - que je vous proposerai d'éliminer de notre vocabulaire le terme de « cumul », qui comporte une certaine charge péjorative, pour vous demander d'examiner le problème de la compatibilité ou de l'incompatibilité des mandats (Très bien ! sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Nous sommes d'accord pour établir un système qui repose sur un principe simple : aucun élu ne peut, en principe, détenir plus de deux mandats, et la détention d'un mandat implique la possibilité d'exercer une fonction exécutive. Tel n'est pas l'avis du Gouvernement et tel n'est pas le texte voté par l'Assemblée nationale.
M. le ministre nous a dit les motifs de son avis, que je reprendrai en substance. Ce faisant, je voudrais vous indiquer, mes chers collègues, pourquoi la commission n'a pas été convaincue et pourquoi elle a pensé que, en éliminant de notre paysage politique le député-maire et le sénateur-maire, on porterait atteinte à un équilibre qui nous paraît devoir être maintenu.
Quels sont, en substance, les motifs de la proposition du Gouvernement, acceptée par l'Assemblée nationale ?
Tout d'abord - et je reprends les termes qui ont été employés par M. le ministre - le système français constituerait une exception. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait exact, car les pays latins offrent des possibilités identiques. Cependant, dans une certaine mesure, c'est vrai, il y a exception. Mais c'est notre système tout entier qui est exceptionnel : des collectivités territoriales, peut-être trop nombreuses, mais enracinées dans notre culture et dans notre tradition, une décentralisation amorcée, mais sans cesse, nous le savons, battue en brèche par le jeu combiné de la représentation du pouvoir central et de l'accumulation de règlements nationaux, qui freine les initiatives locales.
Croit-on sincèrement que l'on ferait progresser l'équilibre nécessaire de notre territoire et le développement économique local si on laissait sans contrepoids le responsable de la collectivité territoriale aux prises avec cette tentation renouvelée du pouvoir central de récupérer en tout ou en partie ce dont la loi a entendu le déposséder ?
Par ailleurs, l'exercice de plusieurs mandats serait une des causes, et même la cause principale, de l'absentéisme parlementaire.
C'est là une idée fausse, complaisamment entretenue.
M. Alain Fournac. Oh oui !
M. Jacques Larché, rapporteur. L'absentéisme en séance publique tient, nous le savons, à l'exigence d'un débat parlementaire requérant, en principe, la présence en séance de tous les députés et de tous les sénateurs sur n'importe quel problème, à n'importe quel moment et dans le cadre d'une inflation législative que nul n'a jamais pu ou n'a jamais voulu maîtriser.
Paradoxalement, cet absentéisme que l'on prétend combattre, ne va-t-on pas l'accroître ? Ne va-t-on pas inciter le parlementaire qui, à tort ou à raison, se sentirait menacer par un maire ou pas un président de conseil général à une présence accrue sur le terrain ? (Marques d'approbation sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Le système proposé aboutirait enfin, nous dit-on, à une plus grande « circulation » des citoyens investis de fonctions électives.
Nous retrouvons là l'expression bien connue de ceux qui pensent que toute vie, qu'elle soit professionnelle, politique ou sociale, doit être soumise à une réglementation plus contraignante pour parvenir à un résultat souhaitable, au détriment des espaces de liberté auxquels aspirent nos concitoyens.
Il existe, dans le domaine qui nous préoccupe, un maître que nous respectons tous : le suffrage universel, un maître qui n'hésite pas, lorsqu'il l'estime souhaitable, à nous faire connaître sa volonté.
Sait-on qu'en 1995 il y a eu 38 % de maires nouveaux et, en 1997, 49,8 % de nouveaux députés - ce qui est peu d'ailleurs par rapport au séisme de 1993 !
Et dans ce Sénat qui, selon certains, ne change jamais, on a compté 50 % de sénateurs nouveaux lors du dernier renouvellement triennal !
M. Claude Estier. Peut-être, mais il ne change pas de majorité !
M. Jacques Larché, rapporteur. Mais, cher ami, cher président Estier, si la majorité ne vous convient pas, essayez de la changer !
M. Claude Estier. C'est ce qu'on va s'efforcer de faire !
M. Jacques Larché, rapporteur. Jusqu'à présent, vous n'y avez pas réussi !
Mme Hélène Luc. Il faut changer le mode de scrutin ! Cela aurait même dû être fait depuis longtemps !
M. René-Pierre Signé. Vous n'osez pas changer le mode d'élection !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Seul M. le rapporteur a la parole.
M. Jacques Larché, rapporteur. J'en arrive, enfin, à ce qui me paraît essentiel : les sénateurs ou les députés maires ou présidents d'une institution locale sont des éléments fondamentaux de notre vie politique.
Par leur existence même, ils servent, et ils servent tous utilement, aussi bien les régions, les communes, les départements que la nation, qui leur ont accordé leur confiance.
A qui fera-t-on croire que Lille et le Sénat, que Lyon et l'Assemblée nationale se porteraient mieux si Pierre Mauroy ou Raymond Barre n'étaient pas présents parmi nous ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. S'ils étaient présents !
M. Jacques Larché, rapporteur. En réalité, la proposition qui nous est faite aboutit à un bouleversement profond des assises de notre vie publique. Tout système politique doit connaître un certain mécanisme de recrutement de son personnel politique.
Nous en avons un, fondé sur l'expérience. Nos concitoyens ont une totale liberté de choix et fondent leur décision sur l'enracinement et la connaissance personnelle de ceux auxquels ils accordent leur confiance.
Si nous mettons fin à ce qui existe, nous verrons se profiler un autre système et peut-être, en réalité, une autre République, dominée par l'omniprésence des états-majors des partis, qui, dans notre pays, n'ont jamais bénéficié d'une représentativité réelle, et, dans le droit-fil de cette omniprésence, s'ensuivra l'adoption inéluctable d'une représentation proportionnelle généralisée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quelle erreur !
M. Jacques Larché, rapporteur. Mais nous devons, en cet instant, mener notre réflexion jusqu'à son terme.
Ceux que nous n'aurons pas convaincus ne manqueront pas de nous taxer de corporatisme, de conservatisme systématique,...
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... voire de « ringardise ».
M. René-Pierre Signé. C'est malheureux, mais c'est ainsi !
M. Jacques Larché, rapporteur. Et nous savons bien pourtant que si, en d'autres temps, nous n'avions pas su nous opposer à ce que l'on nous disait déjà être la volonté nationale, les nationalisations auraient tourné à la spoliation, la liberté de l'enseignement ne serait plus qu'un souvenir (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)...
M. René-Pierre Signé. Et la loi Falloux !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... la Nouvelle-Calédonie...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il ne faut pas exagérer !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... n'aurait pu se voir offrir la chance que nous venons de lui donner de demeurer dans l'ensemble français.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et Ouvéa ? C'est grâce à vous ?
M. Jacques Larché, rapporteur. La position que nous vous proposons de prendre est simple et claire. Nous avons examiné l'essentiel du texte du Gouvernement en éliminant des propositions intéressantes mais qui n'avaient pas de rapport direct avec lui.
C'est, en définitive, un équilibre français que votre commission vous propose de maintenir. Pour ce faire, je vous demanderai de bien vouloir accepter les amendements que je défendrai en son nom. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Mes chers collègues, dix-sept orateurs étant inscrits dans la discussion générale, je suis conduit à vous inviter à la concision, tout devant être dit, bien entendu.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le tome V de ses mémoires, Michel Debré a intitulé l'un de ses chapitres : « Un cumul d'un quart de siècle ». Il a donc été pendant vingt-cinq ans député de la Réunion, conseiller général et maire d'Amboise. Il parle longuement des avantages qu'il a tirés de ce cumul et des effets réciproques, dans l'exercice de sa fonction, du mandat de député et de ses deux mandats locaux dans la métropole.
La situation qu'il décrit était loin d'être exceptionnelle. Surtout depuis la IIIe République, la possession d'un mandat électif national se cumulait traditionnellement avec plusieurs mandats locaux, soit qu'il s'agisse de l'aboutissement d'un cursus , soit, au contraire, que la qualité de député ou de sénateur entraîne l'attribution d'autres mandats électifs.
L'Histoire nous apprend que, tant pour les mandats nationaux que pour les mandats locaux, le droit électoral français a longtemps témoigné d'une très nette indifférence à l'égard des questions d'incompatibilité.
Je rappellerai d'ailleurs que, déjà sous la Révolution, Mirabeau et Boissy d'Anglas souhaitaient, par exemple, que nul n'accédât à une place dans l'organisation politique sans avoir précédemment exercé une fonction d'un ordre inférieur.
Même à l'époque du suffrage censitaire, l'élection semblait avoir une portée telle que l'exercice par un élu d'autres fonctions, électives ou non, ne semblaient pas devoir être pris en considération. Cette attitude n'a pu qu'être amplifiée à partir de 1848, c'est-à-dire que l'institution du suffrage universel a renforcé la valeur quasi mythique de l'élection.
Pour les mandats nationaux et locaux, les cas d'inéligibilité et surtout d'incompatibilité étaient réduits au minimum. La pratique des candidatures multiples à la députation avait encore, dans les premières années de la IIIe République, une valeur de symbole même si, dans ce cas, le cumul de plusieurs mandats dans les assemblées législatives était impossible.
Le cumul du mandat de député ou de sénateur avec des fonctions publiques non électives a encore été possible, pour certaines d'entre elles, jusque vers les années vingt.
En revanche, en ce qui concerne les fonctions électives, si l'on excepte l'interdiction de cumul des mandats de députés et de sénateurs, aucune interdiction n'était formulée.
Le cumul fut donc licite, et à tous les degrés, jusque dans les années quatre-vingt.
Je mentionnerai toutefois que, le 28 novembre 1902, la Chambre des députés adopta une proposition de loi interdisant le cumul du mandat de député ou de sénateur avec celui de conseiller de Paris, proposition que le Sénat, dans sa sagesse, ne vota pas, ce dont je lui suis reconnaissant car il me permet aujourd'hui de m'exprimer.
Cela étant, la situation a profondément changé avec les deux lois du 30 décembre 1985, l'une organique et l'autre ordinaire, qui réglementent le cumul des mandats.
Et voilà que, fidèle à ses engagements électoraux du printemps de 1997, le Gouvernement ouvre de nouveau le débat sur la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions par les deux textes dont nous entamons la discussion.
Monsieur le ministre, la présentation de ces deux projets de loi a le mérite de poursuivre au Parlement un débat récurrent dans l'opinion. Ces textes comportent toutefois des solutions fort discutables et, plus encore, occultent l'essentiel.
Mais je voudrais faire observer que, dans ce débat récurrent, le Gouvernement cède aussi, pardonnez-moi, monsieur le ministre, à la démagogie.
Faut-il limiter les cumuls des mandats en allant plus loin que la loi actuelle ? Oui. La commission des lois nous propose de ramener la limite actuelle de trois mandats à deux seulement, mais deux mandats exercés dans leur plénitude, c'est-à-dire comportant éventuellement une fonction exécutive.
Faut-il aller dans le sens d'une certaine tendance antiparlementariste, hostile aux cumulards, au point de risquer d'altérer l'efficacité de la démocratie ?
Le vocabulaire n'est jamais innocent et l'utilisation du mot « cumulard », comme on dirait « chauffard », vise à discréditer par la consonnance désobligeante du mot. Il suggère le cumul de prébendes ou d'avantages divers. Je crois que le Gouvernement aurait été mieux inspiré en expliquant aux Français que le cumul, c'est avant tout l'addition de tâches souvent ingrates et souvent indispensables au bon service du citoyen.
Aura-t-on satisfait les Français, aura-t-on fait oeuvre utile lorsqu'on aura réservé la fonction parlementaire à des spécialistes, belles têtes bien pleines qui savent tout de la théorie, mais souvent rien de la pratique ?
Par ces deux textes, monsieur le ministre, vous ouvrez le débat, comme d'ailleurs l'avaient fait vos prédécesseurs, et nous nous en félicitons.
Mais il y a débat et débat.
Vous avez choisi la voie du débat parlementaire, et nous nous en félicitons également.
M. René-Pierre Signé. On ne peut pas faire autrement.
M. Bernard Plasait. Permettez-moi alors de m'étonner de découvrir, en lisant la presse du soir, que le Gouvernement brandit la menace du recours au référendum.
M. René-Pierre Signé. C'est le Président de la République qui décide.
M. Bernard Plasait. Le Gouvernement aurait-il peur de sa propre majorité ? Il est vrai, ce n'est un secret pour personne, que les députés socialistes n'ont approuvé le texte que du bout des lèvres - du bout des doigts - avec sans doute le secret espoir de voir le Sénat réintroduire plus de mesure et plus de sagesse.
M. Claude Estier. C'est vous qui le dites !
M. Alain Gournac. Et il le dit !
M. Bernard Plasait. A n'en pas douter, le plus grand nombre se serait bien volontiers contenté de quelques aménagements, dont nul d'ailleurs ne conteste la légitimité, à la législation actuelle.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait le faire !
M. Bernard Plasait. Il faut d'abord constater que le législateur est appelé à intervenir dans un domaine où une législation existe déjà, législation qui est issue de la même majorité gouvernementale, certes singulière à l'époque car les communistes avait déjà quitté l'exécutif.
Ces lois de 1985 ont fait l'objet d'un consensus assez général. Il est assez vraisemblable que l'adoption de la loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation augmentant les compétences des autorités locales et principalement des exécutifs locaux, le renforcement des structures des régions, notamment l'élection des conseillers régionaux au suffrage universel depuis la loi du 10 juillet 1985 auront été des facteurs déterminants d'une nouvelle conception de l'élu local par rapport à l'élu national.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas ce que vous disiez à l'époque !
M. Bernard Plasait. Il est tout aussi indéniable que la situation de certains élus - celle, par exemple, de tel sénateur-maire d'une grande ville qui était, avant la loi, président de conseil général, conseiller régional et, de surcroît, parlementaire européen - plaidait pour une limitation plus stricte du cumul des mandats et des fonctions.
La loi organique du 30 décembre 1985 a donc établi un article L.O. 141 du code électoral par lequel « le mandat de député est incompatible avec l'exercice de plus d'un des mandats électoraux ou fonctions électives énumérés ci-après : représentant à l'Assemblée des communautés européennes, conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, maire d'une commune de 20 000 habitants ou plus, autre que Paris, adjoint au maire d'une commune de 100 000 habitants ou plus, autre que Paris ». Conformément à l'article L.O. 297, la même règle concerne les sénateurs.
En conséquence, à partir de la fin de la période transitoire, un député ou un sénateur ne peut cumuler son mandat avec plus d'un des mandats ou d'une des fonctions énumérées dans l'article L.O. 141.
Cela veut dire aussi qu'il peut encore cumuler ces deux mandats ou fonctions avec celui ou celle de conseiller municipal quelle que soit l'importance de la commune, de maire d'une commune de moins de 20 000 habitants ou d'adjoint au maire d'une commune de moins de 100 000 habitants.
La loi ordinaire du 30 décembre 1985 est, quant à elle, venue compléter les dispositions de la loi organique dans un domaine où le cumul faisait l'objet de moins de critiques, celui des mandats locaux.
Bien entendu, le cumul avec une troisième fonction est possible dans les mêmes conditions que pour les parlementaires. Ainsi, un député au Parlement européen peut cumuler sa fonction avec celle de conseiller régional et celle de maire d'une commune de moins de 20 000 habitants.
Dans le même esprit, un parlementaire national peut être président d'un conseil régional ou général et maire d'une commune de moins de 20 000 habitants.
Etant donné certaines situations particulières et, plus encore, compte tenu de ce qui constitue l'exception française au regard des Etats de l'Union européenne et des Etats-Unis - où le cumul est soit interdit, soit très peu pratiqué - le président de l'Assemblée nationale avait constitué en 1994 un groupe de travail intitulé « Politique et argent ».
Ce groupe a abordé le problème du cumul des mandats et ses réflexions ont abouti à l'élaboration de deux avants-projets de propositions de loi. Ces textes correspondaient déjà à une aggravation du système, conduisant à une interdiction du cumul du mandat parlementaire avec la fonction d'exécutif local : président de conseil régional, président de conseil général, maire d'une ville de 100 000 habitants et plus.
Bien que refusant la solution extrême qui consisterait à interdire purement et simplement le cumul d'un mandat national avec un mandat local, le Gouvernement va encore au-delà des propositions de 1994.
Il envisage en effet - c'est l'objet de l'article 2 du projet de loi organique - de rendre incompatible l'exercice d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive dans une collectivité territoriale, quelle qu'en soit la taille, ou avec plus d'un mandat local. Suivant ce schéma, il serait, en particulier, mis fin à la figure classique du sénateur-maire ou du député-maire. Sans reprendre les arguments pertinents développés par notre éminent collègue le président Jacques Larché dans son excellent rapport, je ferai trois observations à l'encontre de cette disposition.
J'observerai, en premier lieu, que les Français, lorsqu'on les interroge, désapprouvent certes, dans leur très grande majorité, le principe du cumul des mandats ; en 1985, déjà, trois Français sur quatre s'y déclaraient hostiles. Cependant, les électeurs favorisent, par leur vote, la pratique du cumul. Comme l'écrivait, en 1991, le professeur Albert Mabileau : « c'est en fin de compte l'électeur qui, pour une grande part, est responsable du cumul, lui qui, par son comportement, affirme la légitimité démocratique d'un mécanisme de capitalisation des mandats qui participe effectivement très largement à la structuration du système politique ».
En deuxième lieu, on ne saurait passer sous silence les sérieux avantages fonctionnels que présente le cumul, celui-ci conférant à l'exercice des mandats un maximum d'efficacité. Il offre d'abord aux élus nationaux la possibilité de garder le contact avec les réalités quotidiennes auxquelles sont confrontés les citoyens, en même temps que ces élus traitent des grands problèmes du pays au nom de l'intérêt général.
L'intérêt porté à la gestion de proximité n'a sans doute jamais été aussi prononcé que dans la société actuelle. C'est exactement le sens des propos du président de la République, qui déclarait le 20 novembre 1997, devant l'association des maires de France, qu'« il est essentiel que celles et ceux qui ont la lourde responsabilité d'élaborer la loi ne soient pas coupés des réalités du terrain, et que nos députés et nos sénateurs restent à l'écoute de la France ».
M. Jean-Guy Branger. Très bien !
M. Bernard Plasait. Par ailleurs, leur position ambivalente permet aux élus en situation de cumul d'être à la fois les interlocuteurs privilégiés des administrations locales et nationales et d'assurer entre ces deux échelons une communication directe, sans devoir recourir à des relais politiques ou à des intermédiaires administratifs.
Enfin, en troisième lieu, à l'encontre de ces avantages, les opposants au cumul n'ont de cesse d'en souligner les inconvénients fonctionnels : manque de disponibilité de l'élu cumulant, incapable, malgré son professionnalisme, de faire face à la totalité de ses innombrables obligations, désertant, s'il est parlementaire, les bancs du Palais du Luxembourg ou du Palais-Bourbon pour jouer, selon l'expression désormais consacrée de Pierre Mazeaud, les « assistantes sociales » dans sa circonscription.
Il néglige ainsi sa fonction essentielle de représentant de la nation pour tenir son rôle local de médiateur entre ses électeurs et les institutions ou bien il compromet, au contraire, sa réélection, s'il se consacre à sa fonction parlementaire en délaissant le terrain local. Cruel dilemme que d'éminents sénateurs, certes bien organisés, législateurs à Paris, présidents dans leur département, ont depuis longtemps dépassé.
Concernant l'absentéisme des parlementaires, on a dit tout et son contraire, ou presque. Imaginons simplement ce que seraient les débats d'une assemblée législative dont tous les membres seraient en permanence présents ! La technicité de nos travaux et la complexité des textes rendent indispensable la spécialisation dans tel ou tel domaine. Je crois que, sur ce point, un effort de pédagogie envers nos concitoyens s'impose.
Cela étant, entre le statu quo qui consisterait à ne rien changer et les solutions extrêmes qui tendraient soit à consacrer le principe « un homme, un mandat », soit, comme le font les projets du Gouvernement, à établir des incompatibilités excessives, le groupe des Républicains et Indépendants soutiendra sans réserve les propositions équilibrées de la commission des lois.
Cependant, je regrette vivement que ces deux projets, qui vont trop loin dans les incompatibilités, occultent l'essentiel. En un mot, le Gouvernement « met la charrue avant les boeufs ».
Oui, monsieur le ministre, quid des membres du Gouvernement ? Et plus encore, qu'en est-il du statut de l'élu ?
En ce qui concerne les ministres, bien sûr, nous connaissons la réponse. Voici celle de M. Chevènement, rapportée le 23 avril dernier par Paris Match : « La jurisprudence instaurée par le gouvernement Jospin suffit. » Ah bon ? Nouvelle source du droit, sans doute...
La Constitution de la Ve République a introduit en France l'incompatibilité entre les fonctions ministérielles et le mandat parlementaire.
Le premier alinéa de l'article 23 de la Constitution dispose ainsi que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute autre activité professionnelle ». Selon le deuxième alinéa du même article, « une loi organique fixe les conditions dans lesquelles il est pourvu au remplacement des titulaires de tels mandats, fonctions ou emplois ».
Comme l'indique le doyen Georges Vedel dans le rapport du comité consultatif pour la révision de la Constitution du 15 février 1993, ce système a, de l'avis général, mal fonctionné : d'abord, parce qu'un ministre qui quitte le Gouvernement peut très légitimement vouloir retrouver un rôle politique ; ensuite, parce que le cumul avec les mandats locaux n'est en aucune façon réglementé.
En effet, comme l'a très justement souligné, lors des débats de la commission des lois, notre excellent collègue Daniel Hoeffel, se pose le problème des relations entre le ministre et son suppléant. La situation actuelle, marquée notamment par l'organisation d'élections partielles lorsque les ministres quittent le Gouvernement, n'est pas satisfaisante.
A cet égard, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir quelles solutions le Gouvernement envisage pour remédier à cette situation, source de confusion pour les électeurs, onéreuse pour les finances publiques.
Quant aux autres mandats électifs, ils sont, à l'exception de celui de député européen, compatibles en France avec l'exercice d'une fonction ministérielle, alors que, dans la plupart des autres pays européens - Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni - la situation inverse prévaut.
Avec la France, l'Irlande est le seul pays à ne pas restreindre l'exercice, par un ministre, d'un mandat électif local, ce qui a conduit le rapport Vedel à suggérer de modifier la Constitution pour y inscrire de nouvelles incompatibilités.
C'est la raison pour laquelle, dans le souci de respecter la hiérarchie des normes et de ne pas transformer la loi fondamentale en un inventaire à la Prévert, j'ai déposé, avec plusieurs de nos collègues, deux propositions de loi.
L'une, de nature constitutionnelle, tend à compléter le premier alinéa de l'article 23 de la Constitution en inscrivant que « les autres incompatibilités seront fixées par une loi organique ».
L'autre, de nature organique, vise à renforcer la limitation du cumul des fonctions exécutives locales et nationales, étant entendu qu'un ministre, comme du reste un parlementaire, doit pouvoir, me semble-t-il, conserver un lien avec les réalités quotidiennes à travers l'exercice d'un mandat local.
En outre, le fait de ne prévoir aucune disposition particulière concernant les ministres accrédite l'idée selon laquelle la pratique suffit à régler le problème. Dès lors, le même raisonnement peut s'appliquer à tous les élus visés par les deux présents projets de loi et rendre ainsi ces derniers sans objet.
Une conclusion s'impose : la meilleure garantie contre le cumul excessif des mandats reste encore le suffrage universel. A l'électeur de décider.
Dans le même esprit, le Gouvernement propose de renforcer la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives avant même d'avoir établi un véritable statut de l'élu. C'est aller, je crois, bien vite en besogne.
Nos collègues députés ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, qui ont profité de l'occasion de ces deux textes pour ouvrir cinq autres débats, certes très importants, mais périphériques par rapport aux projets initiaux : incompatibilités avec diverses activités, âge d'éligibilité, statut de l'élu local, fonctionnement des assemblées parlementaires et même participation des parlementaires à la vie administrative de leur département.
Il va sans dire que ces sujets de première importance, qui dépassent les simples considérations matérielles et financières, nécessitent une longue et profonde réflexion que, je n'en doute pas, le Sénat aura à coeur de conduire.
Enfin, je regrette que, en présentant ces textes, le Gouvernement n'ait pas évité deux écueils.
Le premier écueil consiste à estimer que le cumul des mandats est un problème que l'on peut traiter en soi, de manière isolée, sans considérer qu'il s'insère dans un ensemble comprenant tout à la fois le monde politique, l'appareil administratif et la société civile.
On ne peut, en cette matière, copier telle ou telle législation étrangère, car mentalités et comportements diffèrent d'un pays à l'autre.
Pour répondre à la question : « Quelle est la meilleure législation relative au cumul des mandats ? », on serait tenté de faire appel à l'autorité du sage Solon, qui aurait certainement répondu : « Dites-moi d'abord pour quel peuple, et à quelle époque. »
Le second écueil consiste à estimer qu'en France les moeurs politiques seraient fondamentalement modifiées par la législation et qu'une bonne loi, c'est-à-dire une loi sévère, suffirait à régler définitivement l'ensemble du problème.
L'exemple le plus frappant est celui de l'incompatibilité entre mandat parlementaire et fonction ministérielle, que j'ai déjà évoquée. Nous savons que, de jure, la loi est respectée. Mais nous savons aussi que, de facto, cette espèce de cumul existe toujours. Ce rappel incite donc à la prudence.
En conclusion, un cumul réglementé des mandats électifs, national et local, pragmatique et non dogmatique, comme nous le propose, dans sa sagesse, notre commission des lois, permet de suivre l'excellent conseil de Clausewitz selon lequel « l'investigation et l'observation, la philosophie et l'expérience ne doivent jamais se mépriser ni s'exclure mutuellement : elles sont garantes l'une de l'autre ». (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Un ancien président de conseil général !
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'un d'entre nous vient de me saluer du titre d'ancien président de conseil général. Eh bien, c'est un titre que je revendique !
Je le revendique parce qu'il me renvoie à une période de ma vie pendant laquelle j'ai été amené à me dévouer, autant que je l'ai pu, au service de mes concitoyens. Même si le corps électoral, à sept voix près, ne m'a pas reconduit lors du dernier renouvellement, j'ai la faiblesse de croire que mon action dans ces fonctions n'a pas été totalement inefficace.
Monsieur le ministre, les propos que je vais tenir ne vous plairont sans doute guère, mais je crois qu'il est de mon devoir de les énoncer à cette tribune.
Il y a, dans ce débat, une part de non-dit qui me gêne beaucoup, car elle consiste à opposer insidieusement l'élu au peuple. Or, à mes yeux, dans une démocratie, c'est quelque chose que l'on n'a absolument pas le droit de faire. D'ailleurs, la Constitution de 1958 indique expressément que « la souveraineté appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants. »
Dès lors, il ne me paraît pas de bonne manière pour un gouvernement, pour un parti ou pour quiconque d'essayer de détacher les seconds du premier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Dans cette affaire, j'ai un peu peur qu'on ne tombe, pour des raisons de facilité tactique ou de mode, dans ce piège.
M. René-Pierre Signé. Pas du tout !
M. Paul Girod. Il ne me semble pas qu'en la matière, on doive légiférer au niveau de ce que j'appellerai le résumé, pour ne pas dire le slogan. Si certains problèmes sont réels, je ne suis toutefois pas sûr qu'ils soient appréhendés au bon endroit.
Le vrai problème, je l'ai vécu à un échelon extrêmement modeste, lorsque j'étais vice-président d'une région, chargé des affaires économiques, tout en étant président du comité d'expansion de mon propre département, chargé des mêmes sujets, pour une fraction de cette région donc.
Lorsque je voyais arriver un dossier à l'origine parfois incertaine, je me trouvais au fond de moi-même déchiré, faute de savoir dans quelle direction il était de mon devoir d'orienter le dossier ; j'étais partagé entre une double tentation : celle de l'objectivité régionale et celle de la responsabilité départementale.
Ce n'est pas au niveau de la fonction exécutive de président de conseil général que j'ai occupée par la suite à l'exclusion de toute autre - que ce problème s'est trouvé posé, mais dans la confusion dans la même personne de deux devoirs contradictoires.
Je pense donc qu'il aurait été plus judicieux de soumettre à nos concitoyens le problème différemment. En effet, de deux choses l'une : ou bien l'élu qui vit ce genre de situation est une personne scrupuleuse et honnête - et c'est ce qui arrive dans 99,9 % des cas - et elle connaît alors un déchirement qui la gêne dans ses prises de décision ; ou bien - et c'est le cas du 0,1 % restant - elle l'est moins et elle est tentée de privilégier sa carrière.
A mon sens, il aurait été plus honnête de dire que c'est à ce niveau-là - celui des confusions ou des conflits de devoirs vécus par une même personne - que se situe le problème.
Etre législateur, cela signifie concourir, pour un huit-centième de l'expression législative - et seulement législative - à la vie nationale, à une oeuvre collective, par des avis et des votes.
Etre responsable d'un exécutif, c'est prendre des décisions, que ce soit au niveau ministériel, régional, départemental ou municipal.
Et je crois que nous aurions tout intérêt à nous efforcer de mettre un terme à cette confusion-là. Trop pratiquée dans le passé, sous tous les gouvernements, par trop de responsables, elle est encore aujourd'hui trop pratiquée dans nos régions par ceux qui sont à la fois président d'un exécutif régional ou départemental et maire d'une ville importante de leur aire d'action. Il y a là, me semble-t-il, un vrai problème.
Quant au mandat, c'est autre chose.
Le mandat, c'est l'apport à une réflexion collective. Or pourquoi priver cette réflexion collective de l'expérience de ceux qui, sur place, dans le détail et dans la totalité, savent ce qu'est la vie de nos collectivités territoriales ?
Je perçois là une erreur de méthode, et je déplore que l'ambiance médiatique qui entoure ce débat amène à déplacer le problème, sapant ainsi, sans même en avoir conscience, une partie de la solidarité élémentaire nécessaire entre les élus et notre peuple. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE
DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le ministre, poursuivant la logique du propos de mon ami Paul Girod, je tiens à attirer votre attention sur un point auquel je sais que le républicain que vous êtes est sensible, de même d'ailleurs que Jean-Pierre Chevènement, avec lequel nous nous en étions entretenus : les futures échéances municipales de 2001 n'échapperont pas aux risques de démagogie, de populisme et d'extrémisme. Aussi, je crois qu'il est aujourd'hui de notre intérêt, aux uns et aux autres, de réfléchir sur ce qui nous permettrait de répondre à une attente de nos concitoyens en restaurant la crédibilité du politique.
Or je ne crois pas que nous atteindrons cet objectif en méprisant nos institutions et en les divisant en deux catégories : les bonnes, celles qui votent dans le sens souhaité ; les mauvaises, celles qui s'opposent. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il convient au contraire de redonner tout son lustre au débat politique, qui fait défaut à notre pays au moment même où la population française s'interroge sur son devenir. Je ne crois pas qu'il faille accentuer cette dérive de notre démocratie en s'appuyant sur les médias plus que sur les convictions, sur les émotions plus que sur les idées.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye. Par ailleurs, comme vous l'avez souvent indiqué, et je suis tout à fait de cet avis, on ne peut pas à la fois afficher des principes et refuser de se les appliquer à soi-même, car le peuple a ce bon sens qui lui permet de détecter immédiatement les attitudes hypocrites.
Comment qualifier l'attitude qui consiste, après avoir affirmé qu'un ministre doit être ministre à plein temps et, donc, ne plus exercer de mandat local - et je soutenais cette position - à oser mettre en place un maire potiche, tandis que le ministre, dorénavant adjoint, conserve en réalité les pleins pouvoirs municipaux ?
MM. Alain Gournac et Paul Masson. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. L'association des maires de France, qui s'est interrogée sur ce sujet avec une liberté d'appréciation d'autant plus grande que les lectures des uns et des autres étaient très différentes, a dégagé quelques points de convergence forts.
C'est ainsi que la fonction ministérielle doit être strictement incompatible avec tout autre mandat. Je pense qu'il aurait d'ailleurs fallu aller plus loin, en indiquant que le ministre doit être seulement et entièrement ministre.
M. Jacques Peyrat. Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye. En revanche, il serait bon d'envisager une révision constitutionnelle pour permettre à l'ancien ministre de revenir enrichir le Parlement de son expérience ministérielle, ce qui n'est pas prévu aujourd'hui.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Paul Masson. Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye. En outre, l'examen d'une loi doit être effectué dans un esprit prospectif. A cet égard, nous sommes convaincus que ces textes sont sous-tendus par toute une série d'arguments destinés à promouvoir le slogan : « Un homme, un mandat ». Je partage totalement à l'analyse de M. le président Jacques Larché : « Un homme, un mandat », tel est bien l'objectif sous-jacent au débat : l'Assemblée nationale n'a-t-elle pas voté toute une série d'incompatibilités avec l'exercice d'activités privées ou consulaires ? Il est clair qu'il s'agissait de mettre en évidence le conflit d'intérêts personnels, pour éviter qu'un parlementaire ne soit porteur d'intérêts catégoriels.
« Un homme, un mandat », non seulement cela signifie un seul mandat, mais cela anticipe la modification du mode de scrutin. Avec l'application de ce slogan, c'est évidemment l'émergence de la logique des partis, au prix de la déstructuration de notre esprit national.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye. Cette évolution serait, à mon sens, préjudiciable à notre nation.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, trois arguments : une exception française, un risque de transfert de pouvoirs sur les fonctionnaires et la volonté d'éviter la concentration des pouvoirs. Si je partage votre analyse, j'arrive toutefois à des conclusions diamètralement opposées.
Il y a effectivement une exception française. Pourquoi ?
D'abord parce que je crois que, contrairement à ce qui se passe dans la majorité des pays européens, l'origine de la pratique du cumul est à rechercher en France plus dans le mode de fonctionnement des partis politiques que dans la loi.
Ensuite, parce que nous ne sommes pas dans un Etat fédéral. Si nous étions en Allemagne, par exemple, on pourrait parfaitement concevoir qu'une autonomie fiscale, une autonomie de pouvoirs et une autonomie de compétences entraînent de facto une césure entre un pouvoir local et un pouvoir national. Mais nous sommes dans un Etat contractuel, et la décentralisation, que voulait Gaston Defferre, consistait à promouvoir un partenariat effectif entre l'Etat et les collectivités locales. A l'évidence, ce partenariat renforce le fait que quelqu'un puisse à la fois siéger au Parlement et assumer des responsabilités locales. A moins - mais loin de moi l'idée de vous prêter une telle arrière-pensée ! - que vous ne cherchiez actuellement à revenir à la centralisation...
M. Paul Masson. Tiens, tiens !
M. Jean-Paul Delevoye. Un certain nombre de convergences autorisent cette interrogation.
Devant le congrès de l'APCG, vous vous êtes défendu d'avoir, en plaçant, dans la loi de finances, une grande partie de la taxe professionnelle sous dotation à échéance de cinq ans, procédé à une quelconque recentralisation des moyens. Je persiste pourtant à y voir le retour d'une tutelle financière de l'Etat sur les collectivités locales.
M. Alain Gournac. Nous aussi !
M. Paul Masson. C'est évident !
M. Jean-Paul Delevoye. Non content de nous faire subir actuellement une tutelle normative, veut-on inventer demain une tutelle politique et essayer de casser la représentation de tout ce qui comporte un caractère local ici, au sein des assemblées ?
En outre, je relève une contradiction entre les propos du rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Bernard Roman, et votre analyse.
A en croire M. Roman, le cumul serait à la fois la conséquence de la décentralisation et un obstacle à l'approfondissement de cette dernière, alors que vous voyez dans le cumul l'antidote à la centralisation.
Quel est notre objectif ? Je suis persuadé qu'aujourd'hui il eût fallu - et cette assemblée est tout à fait bien placée pour le faire - s'interroger sur le recul dorénavant pris par nos concitoyens par rapport à la chose politique.
Ils mesurent aujourd'hui l'impuissance de la classe politique à tenir ses promesses. Semblant pressée de démontrer son inutilité, elle est en train de se laisser aller soit à l'absentéisme, soit aux discours les plus populistes, les plus extrêmes, les plus démagogiques.
Notre démocratie ne souffre pas aujourd'hui d'un quelconque cumul de fonctions, mais d'une sorte de zapping émotionnel, qui perturbe profondément notre électorat, le rendant de plus en plus sceptique à l'égard de la chose publique, voire de l'Etat, tant il est convaincu que le vice est davantage récompensé que la vertu, tandis que la loi de la rue remplace la loi républicaine et que le débat sur les médias vaut débat dans l'hémicycle. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Le dérapage de nos sociétés avancées constitue un véritable problème, qui aurait mérité, me semble-t-il, de faire l'objet d'une réflexion entre les instances gouvernementales et les parlementaires que nous sommes. L'ensemble des pays sont confrontés à cette difficulté au moment où la montée de la précarisation, de la pauvreté et de la délinquance condamne la vie politique à se radicaliser.
Soulignés par M. le rapporteur, des problèmes de fond, qui me semblent mériter un autre débat, restent posés. Je pense à l'inégalité des citoyens devant l'exercice du mandat. Je pense - vous y faisiez vous-même allusion, monsieur le ministre - au décrochage du politique par rapport à l'extraordinaire avancée technologique et, donc, à sa dépendance intellectuelle par rapport à ceux que vous appelez les technocrates, ou les fonctionnaires.
Je pense également à l'extraordinaire dépendance du pouvoir des parlementaires ou des hommes politiques de terrain par rapport aux partis politiques, au sein desquels il arrive que l'on taise ses convictions par esprit de discipline. Est-ce cela le libre exercice de la démocratie ?
M. Emmanuel Hamel. Non !
M. Jean-Paul Delevoye. Je crois que, contrairement à ce que vous dites, c'est en renforçant l'assise locale d'un élu qu'on lui permet de conforter son indépendance et son objectivité. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Il peut alors les cultiver, comme cela a été fort justement dit lors d'un débat en 1968.
J'observais alors l'émergence des conseils régionaux. A l'époque, les parlementaires, toutes tendances confondues, soulignaient l'intérêt pour les députés de pouvoir siéger au sein des conseils régionaux. En effet, loin de se contenter d'y représenter les populations qui les auraient élus, ils y feraient aussi entrer la notion de grandeur nationale, propice à la conciliation des intérêts locaux.
Sur un problème qui n'est absolument pas du même niveau, celui de l'absentéisme, permettez-moi d'exprimer une crainte née d'un constat : l'homme qui s'engage en politique a envie d'être élu par affection, par ambition ou pour remplir une mission. A suivre votre proposition, le risque est grand de voir le parlementaire, dorénavant exclu de l'exercice d'un exécutif local dans une circonscription de 100 000 habitants, percevoir immédiatement le maire d'une commune de 60 000 habitants, par exemple, comme son futur concurrent. Le risque est grand de le voir s'empresser - pardonnez-moi l'expression - de le « marquer à la culotte », provoquant alors la réaction du maire, qui marginaliserait le parlementaire ! (Approbations sur les travées du RPR.)
Mme Hélène Luc. Que signifie ce calcul politique ?
M. Jean-Paul Delevoye. Le système produirait donc, non pas la formidable convergence de talents souhaitable, mais une neutralisation de compétences.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye. Et, sur le terrain, les ambitions contrariées feraient le lit de l'immobilisme. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ce qui me paraît important, c'est ce que démontre une étude américaine consacrée, depuis vingt-cinq ans, à l'évolution des territoires dans le monde : il apparaît que les facteurs dominants ont cessé d'être le travail et le capital pour devenir la capacité des hommes à se réunir sur un territoire, donc la puissance du politique.
Lorsque les électeurs portent aujourd'hui leur choix sur des « cumulards », pour reprendre un terme employé dans la presse, ce n'est pas pour le seul plaisir d'apporter une prime au cumul, c'est parce que celui-ci leur paraît garant d'un pouvoir assez fort pour être en mesure d'apaiser leurs inquiétudes locales. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Aussi, dans un Etat qui aujourd'hui fonctionne mal, au point de transférer ses faiblesses sur les épaules du pouvoir local, dans un Etat qui laisse se développer un sentiment antiparlementariste sur lequel il convient de porter attention et qui rappelle la situation de la noblesse de l'Ancien Régime, laquelle était trop privilégiée mais n'avait pas assez de résultats, nous devons veiller à restaurer le politique, à restaurer la démocratie locale et, pour ce faire, nous devons suivre les propositions de la commission des lois.
C'est la raison pour laquelle nous soutenons, monsieur le rapporteur, toutes vos propositions, au premier rang desquelles : un mandat national et un exécutif local.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Obligatoire ?
M. Jean-Paul Delevoye. Les choses sont ainsi claires, cohérentes et efficaces.
Je rends hommage au Sénat, qui a su faire preuve d'anticipation et d'esprit moderne. Je rend aussi hommage à la volonté que vous avez exprimée, monsieur le rapporteur, en accord avec le président du Sénat, M. Poncelet, de faire suivre cette loi d'une mission qui, au sein du Sénat, devra réfléchir au statut de l'élu, à la nature des indemnités, à différents problèmes qui se posent à la fonction publique territoriale, afin de combler le vide juridique actuel, car, aujourd'hui, la jurisprudence met quelquefois en porte-à-faux l'efficacité de nos collectivités territoriales.
Devant nous s'ouvre un grand chantier, qui sera véritablement centré sur ce qui nous préoccupe : l'efficacité de l'action publique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Un président de conseil général !
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dispositif qui nous est soumis aujourd'hui a une grande importance pour l'avenir de notre démocratie, car il conditionne la qualité de notre action de parlementaire ou d'élu local.
Sur le plan national, nous devons affirmer avec force notre volonté de maintenir une représentation riche de sa diversité de par les origines sociologiques et professionnelles de ses membres, mais également en raison du contenu de nos expériences respectives.
Soyons clairs : le fait d'exercer plusieurs mandats ne rend pas meilleur parlementaire - ce serait d'ailleurs une analyse désobligeante - mais il garantit une représentation plus équilibrée, car le mandat local est le seul passeport pour ceux qui n'ont pas suivi le parcours initiatique de l'ENA.
De la même façon, le fait d'exercer un mandat unique n'est pas le gage de davantage de présence ou d'activité. A ceux qui en douteraient, je recommande de consulter l'étude conduite sur ce sujet à l'Assemblée nationale.
L'aspect le plus négatif d'un texte par trop restrictif concerne, à l'évidence, la qualité potentielle de l'action de l'élu local.
En effet, cette dernière dépend non pas du temps qu'on lui consacre, mais de la capacité dont on dispose pour intégrer les réseaux qui, aujourd'hui, sont les relais essentiels d'une information de qualité nécessaire à une bonne prise de décision.
Que souhaitons-nous ?
Des élus locaux, le nez dans le guidon, loin des centres de décision et d'information, démunis face à leur propre technostructure ou face à celle de l'Etat ?
Ou bien des élus ouverts sur le monde et sur les autres, qui apportent le fruit de leur expérience mais qui sont aussi susceptibles de profiter, en retour, des bienfaits de l'échange ?
A cet égard, n'est-il pas curieux que ceux qui, dans d'autres domaines, comme l'économie, la culture ou l'éducation, prônent la rencontre et l'ouverture soient prêts à en fermer la porte aux seuls élus locaux ?
On voit bien quels seraient les véritables vainqueurs de cette opération : ceux qui sont géographiquement proches des lieux de décisions nationaux - l'Ile-de-France, par exemple - ou régionaux ; ceux qui, ayant « fait l'ENA », auraient toujours la possibilité d'en appeler à leur réseau personnel représenté par tel ministre, tel directeur de cabinet ou tel responsable de parti.
A ce stade, je souhaiterais évoquer mon expérience personnelle. J'ai été élu président du conseil général après avoir été élu sénateur. Je puis l'affirmer aujourd'hui : nous avons mené à terme, dans l'Aube, un certain nombre de dossiers déterminants qui n'auraient jamais vu le jour si je n'avais eu la chance de vous côtoyer, de bénéficier de vos expériences, de rencontrer, grâce au Sénat, des chefs d'entreprise, des intellectuels, des décideurs au sens large et noble du terme.
L'avenir de nos territoires dépend de la capacité de leurs élus à s'ouvrir sur le monde et sur les autres. Par une loi absurde, ne nous en privez pas ! Et si d'aventure l'un ou l'autre d'entre nous est véritablement persuadé que les élus seront meilleurs s'ils ont un seul mandat, eh bien, que diable ! pourquoi faudrait-il une loi ? Que ne mettent-ils en pratique, volontairement et immédiatement, leurs convictions ? Nous serons admiratifs devant leurs forces et leurs qualités décuplées. Mais peut-être ce résultat n'est-il pas certain... Mes chers collègues, on nous rebat les oreilles d'une « exigence de l'opinion », mais de quelle opinion ?
Je viens, dans le cadre d'une campagne sénatoriale particulièrement intéressante, au cours de 431 réunions, de rencontrer les maires et les conseillers municipaux de toutes opinions et de toutes origines de mon département. Aucun d'entre eux n'a mis ce sujet au centre de ses préoccupations.
M. Hilaire Flandre. C'est vrai !
M. Philippe Adnot. Certains se sont simplement inquiétés des conséquences négatives de cette réforme.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Adnot. Sur ce texte, les gens du peuple, les électeurs, sont avec nous. Parce que le texte proposé par la commission des lois du Sénat est bon, ouvert et modéré, je le soutiendrai en conscience. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen partage pleinement le sens de la démarche du projet gouvernemental.
Nous pensons, comme M. le Premier ministre, qu'il est souhaitable de s'attaquer au cumul des mandats.
Qui pourrait nier, dans cette assemblée, que nous assistons aujourd'hui à une crise de la représentation politique ?
Mais cela ne justifie pas pour autant une désaffection de nos concitoyens pour la chose publique, bien au contraire.
Les études d'opinions le démontrent clairement. Le développement, depuis quelques années déjà, de ce qu'il est convenu d'appeler le mouvement social souligne que nombre de ceux qui souhaitent faire de la politique se détachent des créneaux habituels pour tenter d'inventer de nouvelles formes d'intervention.
Il faudrait être aveugle pour ne pas percevoir dans la multiplication des mouvements de contestation des jeunes ou dans les luttes pour le logement, ou pour l'égalité des droits l'émergence d'un nouveau type d'intervention des citoyens.
Les partis politiques et leurs élus se trouvent donc confrontés à un défi : combler le fossé qui s'est creusé entre le représenté et le représentant au fil des désillusions et des promesses électorales non tenues.
C'est dans cet environnement que le concept de modernisation de la vie politique est apparu.
Je préfère d'ailleurs le terme de démocratisation à celui de modernisation.
C'est bien par la réappropriation du fait politique par le citoyen que nos institutions se renouvelleront.
Ces projets de loi, qui ont pour objet de restreindre le cumul des mandats, s'inscrivent dans cette stratégie.
Comme je l'ai indiqué d'emblée, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont favorables aux principes affichés et s'opposent en cela à l'attitude de la majorité du Sénat.
Nous sommes favorables au non-cumul des mandats pour trois raisons essentielles.
Premièrement, limiter le cumul des mandats aboutira à resserrer les liens entre l'élu et le citoyen, en permettant au premier de se consacrer pleinement à sa fonction élective.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Robert Bret. Certains affirment que c'est en conservant au parlementaire son mandat local de maire qu'on lui permet de garder un contact avec le terrain. Je ferai simplement remarquer qu'il n'est pas question, dans le projet de loi, d'instaurer un non-cumul absolu, loin s'en faut.
Le député ou le sénateur peut demeurer élu local et il peut même être membre d'un exécutif municipal, départemental ou régional. L'argument essentiel qui est souvent avancé, celui du danger d'une coupure entre l'échelon local et l'échelon national, tombe du même coup. Le non-cumul des mandats est une aspiration forte des Françaises et des Français.
M. Hilaire Flandre. C'est vous qui le dites !
M. Robert Bret. Ce sont les Français qui le disent ! Allez voir à l'extérieur, sortez de l'hémicycle et vous verrez ! (Exclamations sur les travées du RPR.) Il ne s'agit aucunement de tomber dans la démagogie, mais force est de constater que la concentration de nombreux pouvoirs entre les mains des mêmes représentants symbolise, aux yeux de l'opinion publique, la captation des leviers de commande par une caste, même si le terme est excessif. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Démagogie !
M. Robert Bret. Je reconnais d'ailleurs qu'il existe un risque, avec ces projets de loi, d'une dérive vers un débat « anti-élus ». C'est pourquoi j'insisterai dans un instant sur la nécessité d'une globalisation de la réflexion sur les institutions.
Deuxièmement, nous estimons que réduire le cumul permettra d'éviter les conflits d'intérêts entre le local et le national. Il nous semble important, dans le cadre du développement de la décentralisation, de bien associer la responsabilité politique nationale à celle qui est exercée à l'échelon local.
Le directeur de la revue Commentaire, Jean-Claude Casanova, appelait, dans un article du Figaro, à se placer dans la perspective de la décentralisation : « Le cumul pouvait se justifier dans une France centralisée, où tout s'obtenait à Paris, pas dans un pays qui aspire à une véritable décentralisation. Que les maires des petites communes restent députés peut se concevoir, c'est le problème des seuils, mais non les grands responsables locaux, maires des grandes villes et présidents des conseils généraux et régionaux. »
Troisièmement, et je m'arrêterai plus longuement sur ce point, restreindre le cumul peut donner un coup de fouet au rajeunissement et à la féminisation de la fonction élective.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Robert Bret. Il n'est pas suffisant de l'affirmer, il faut créer les conditions pour que de nouvelles générations, et plus particulièrement des femmes, puissent prendre des responsabilités de premier plan. La démocratie est gagnante si le cercle des décideurs se féminise, se diversifie et s'élargit.
Il est indéniable que le développement du cumul lié au maintien du scrutin majoritaire uninominal bloque l'évolution nécessaire.
Aussi, je souhaite insister sur la question de la place des femmes dans la vie politique. Il n'est plus possible de laisser perdurer une situation que, pour notre part, nous déplorons.
Nous savons que tous les groupes ne réagissent pas ainsi dans notre hémicycle.
Lors de la préparation du débat avorté sur la réforme régionale, certains collègues de droite se sont élevés en commission contre l'instauration de la parité dans la constitution des listes, car la mesure anticipait sur une éventuelle réforme constitutionnelle ! Nous pensons pourtant qu'il faut hâter le pas.
Lors du dernier renouvellement sénatorial, sur les 102 sièges à pourvoir, seule une femme a été élue.
M. Claude Estier. Une socialiste !
M. Robert Bret. En effet, monsieur Estier !
Les femmes ne représentent que 10,9 % des députés, 24 % des conseillers régionaux - grâce à la proportionnelle - et 7,4 % des conseillers généraux.
Quant au Sénat, il amplifie naturellement le phénomène, puisqu'il comprend à peine plus de 5 % de femmes - mais elles composent plus de 30 % de notre groupe, monsieur Estier.
Alors que la parité s'impose aujourd'hui, il est d'une logique implacable de créer les conditions de sa mise en oeuvre en libérant des places électives.
La réduction du cumul le permettra, car revivifier la démocratie nécessite des mesures porteuses de nouveauté radicale.
Dans Le Monde, M. Guy Carcassonne a écrit : « Le cumul a une perversité ultime : aussi longtemps qu'il n'est pas juridiquement interdit, il est politiquement obligatoire. L'élu est amené à se tailler son fief, par crainte des mauvais jours, par crainte de la concurrence au sein de son propre camp... »
J'ai bien parlé de mesures au pluriel car là est notre seule interrogation sur la démarche qui accompagne ces projets de loi. Leur portée sera limitée, voire nulle, si une réforme profonde de nos institutions n'est pas engagée simultanément.
Tout d'abord, la mise en cause du cumul va de pair, selon nous, avec l'instauration totale ou modulée, selon les scrutins, de la proportionnelle. (Ah ! sur le banc des commissions.)
C'est, selon nous, indispensable pour les élections législatives. Ce n'est pas une question technique. Les solutions ne manquent pas. Nos voisins d'Outre-Rhin ont un mode de scrutin qui présente de très grands avantages, ils ne sont pas atteints par l'instabilité ou l'inefficacité.
Mon propos réjouit peut-être les adversaires les plus acharnés de la proportionnelle, puisqu'ils trouvent là un élément dans leur détermination à ne rien changer.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois du Sénat, estimait en commission que « de tels projets, ceux relatifs au non-cumul, préludaient, comme celui sur la parité, à la généralisation du mode de scrutin à la proportionnelle ».
M. Christian Bonnet, quant à lui, indiquait que cela « induirait la mise en oeuvre généralisée du mode de scrutin proportionnel ».
J'en conclus que nous convergeons, monsieur le rapporteur, sur la logique que porte le projet. Mais votre approche est à l'opposé de la nôtre ! Ce que vous diabolisez nous semble, au contraire, une mesure de sagesse.
M. Alain Juppé a écrit sans sourciller, le 26 mars dernier : « La proportionnelle pourrit la démocratie ». Le député-maire de Bordeaux ne manque pas d'aplomb, alors que chacun sait à quel point le scrutin majoritaire déforme la réalité électorale ! La droite ne dirigeait-elle pas le pays, voilà deux ans, en détenant 84 % des sièges avec 44 % des voix ? Et n'oublions pas que, par exemple, la dixième circonscription des Bouches-du-Rhône réunit 102 000 électeurs inscrits, alors que la deuxième circonscription de Lozère en compte 26 000 ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Joyandet. Et les territoires ?
M. Guy Fischer. C'est la vérité !
M. Robert Bret. C'est une réalité ! Et elle mine la démocratie, avec l'absence de prise en compte de la diversité des opinions, la mise en cause du pluralisme, même.
Il est certain que, avec le scrutin majoritaire, le passage obligé, pour les organisations politiques, est de présenter une personne déjà implantée pour assurer l'élection.
Pourquoi rajeunir, féminiser - renouveler, en un mot - dans ces conditions ?
Il n'y aura de parité, de pluralisme, et donc de retour à la confiance entre élus et électeurs, sans proportionnelle.
M. Hubert Falco. Ce n'est pas vrai !
M. Robert Bret. C'est notre conviction !
Après ce rappel, vous ne serez pas étonné, monsieur le ministre, que je souhaite connaître l'état d'avancement de la réflexion gouvernementale sur ce point.
Ensuite, une seconde raison souvent avancée pour défendre le projet de loi est l'absentéisme parlementaire. Or, si je n'ai pas repris cet argument précédemment, c'est parce qu'il me semble illusoire. En effet, la cause profonde d'un certain absentéisme parlementaire est non pas une présence excessive dans une circonscription - car on peut espérer que, demain, les parlementaires seront toujours présents parmi la population et le seront même plus encore - mais bien l'affaiblissement du rôle même du Parlement. Ce dernier est, en effet, enserré dans une tenaille : d'une part, la Constitution de 1958, qui organise la relation entre l'exécutif et le législatif dans le cadre d'un système semi-présidentiel ;...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Robert Bret. ... d'autre part, le cadre de plus en plus contraignant des autorités européennes.
La Constitution de 1958, en restreignant le domaine de la loi face à celui du règlement, en instaurant des procédures telles que l'article 49-3 ou l'article 40, interdit, de fait, les initiatives budgétaires ou la maîtrise de l'ordre du jour, qui demeurent compétence exclusive du Gouvernement.
La Constitution a transformé progressivement les assemblées en chambres d'enregistrement. Et ce n'est pas la session unique, instaurée depuis 1995, qui aura arrangé les choses, comme le notent avec clairvoyance de nombreux parlementaires, même si leurs remèdes ne sont pas les nôtres.
La réduction des pouvoirs du Parlement, c'est aussi la mise en oeuvre concrète d'institutions européennes qui imposent à notre pays l'application de leurs directives.
L'Assemblée nationale et le Sénat doivent absolument revendiquer un pouvoir de contrôle réel, en amont, sur les propositions de directive. Il faut pour cela réformer rapidement l'article 88-4 de la Constitution.
Limiter le cumul des mandats ne sera efficace que si la citoyenneté est à l'ordre du jour là où l'individu est confronté aux rapports sociaux, à l'autorité.
C'est vrai pour les quartiers comme pour les entreprises, c'est vrai pour les établissements scolaires, le mouvement lycéen le démontre.
Ces projets de loi n'assureront donc pas à eux seuls une réelle démocratisation des institutions. Mais ils marquent un premier pas, que nous approuvons et que nous soutenons, monsieur le ministre.
Nous partageons aussi l'idée de l'extension des incompatibilités aux domaines professionnel et économique, même si, sur ce dernier point, le texte issu de l'Assemblée nationale nous paraît timide. Nous proposerons donc quelques amendements en ce sens.
Nous partageons également l'idée de l'élaboration d'un statut de l'élu. Cet aspect apparaît indissociable de l'idée même du non-cumul et du renouvellement des élus.
Nous avions, à l'Assemblée nationale, regretté que le seul aspect des indemnités complète le projet de loi dit ordinaire.
Il y avait, de toute évidence, un risque d'incompréhension dans l'opinion publique et, par ailleurs, une insuffisance, car, même si les crédits d'heures sont accrus, il faut aller plus loin sur le plan des autorisations d'absence et de la sécurité de l'emploi.
Ce dernier point est important, car il garantit également le renouvellement et la diversité des élus au sein même de notre assemblée.
Nous aurons, sur cette question du statut de l'élu, à vous proposer également des amendements.
Au moment où la question du statut de l'élu se pose avec force, je me félicite, monsieur le rapporteur, que la commission des lois ait rejeté, ce matin, l'amendement présenté par MM. de Rohan, Arthuis et de Raincourt, amendement qui n'avait pour objet que de désigner les fonctionnaires comme boucs émissaires, au nom d'un prétendu objectif d'équité devant contribuer à instaurer une égalité devant le risque électoral. Ainsi, l'exposé des motifs de cet amendement prévoyait notamment que, « tout fonctionnaire ayant déjà accompli un mandat parlementaire et qui se trouve réélu perd son droit à réintégration au sein de la fonction publique ».
M. Hilaire Flandre. Très bien !
M. Pierre Mauroy. C'est scandaleux ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Hélène Luc. C'est très bien d'avoir rejeté cet amendement !
M. Guy Fischer. Oui, il était scandaleux !
M. Robert Bret. Pour résumer mon propos, la majorité sénatoriale de droite s'oppose aux projets de loi restreignant le cumul des mandats. Par les amendements qu'elle propose, elle dénature les textes originels.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont en désaccord total avec cette attitude conservatrice.
Ils craignent même que l'image du Sénat - et nous en avons débattu en commission des lois - ne souffre gravement si la majorité persiste dans son refus. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, sous réserve des interrogations que j'ai rappelées, soutiennent les deux projets de loi et s'opposeront à tout texte dénaturé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)

M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, permettez-moi de m'adresser d'abord à vous pour vous dire à quel point je me réjouis d'intervenir en ce jour où vous présidez pour la première fois nos travaux.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans ce mille-feuille administratif et politique qu'est devenue la France, le système de pouvoir est désormais inextricable. Les élus de la nation, qui devraient être des exemples, sont jour après jour mis en cause par un discours antipolitique et antiparlementaire qu'alimente la déprime économique et sociale.
Les ministres et les parlementaires s'efforcent d'agir, c'est-à-dire de réformer, mais ils exigent des Français une somme d'efforts qu'ils ne s'imposent jamais à eux-mêmes. Leur crédibilité n'en est que plus ébranlée.
Il est devenu urgent d'envoyer un signe fort de notre volonté de clarifier nos structures politiques. La démocratisation et la modernisation de notre vie politique sont désormais des enjeux majeurs.
M. Hilaire Flandre. Jusqu'à présent, c'est bien !
M. Guy Allouche. L'interdiction de cette grande spécialité hexagonale qu'est le cumul des mandats et des fonctions exécutives fait partie des décisions susceptibles de désamorcer la crise du politique.
M. Hilaire Flandre. Et voilà !
M. Guy Allouche. Ce défi de démocratisation et de modernisation est multiforme, puisqu'il s'agit tout à la fois de rendre à la politique le lustre qui fait sa noblesse, la place qui doit être la sienne au coeur de la démocratie, de réhabiliter, de renouveler l'action politique afin de réinventer les pratiques quotidiennes des élus.
Le Parlement a besoin de retrouver son rang et son rôle. Il ne dépend que des parlementaires - et d'eux seuls - d'être à la pointe de cette reconquête. Le débat sur la limitation du cumul des mandats marquera notre fin de siècle, parce qu'il est, à sa manière, emblématique d'une nouvelle approche du politique et d'une volonté de transformer le paysage politique.
La conviction d'un éloignement des élus vis-à-vis des citoyens ne doit pas être prise à la légère. La critique dénonçant l'immobilisme et l'archaïsme du monde politique est-elle réellement sans fondement ?
La limitation du cumul est l'une des réformes majeures à entreprendre pour réconcilier les Français avec leurs élus. Elle est l'une des plus symboliques pour la simple raison qu'elle est directement compréhensible par l'opinion. C'est vers un changement de culture politique que nous devons nous acheminer, et il nous faut opérer un retournement de perspective, malgré de nombreuses résistances. Le temps est venu d'abandonner l'actuelle culture oligarchique pour nous ouvrir aux vertus de la démocratie pluraliste.
Cet appel à la modernisation et à la rénovation ne saurait nous conduire à instruire le procès des adeptes du cumul. C'est un phénomène ancien. Demeuré restreint sous la IIIe République et sous la IVe République, il s'est fortement aggravé sous la Ve République, au point qu'en changeant de dimensions les conséquences négatives sont apparues avec plus d'évidence.
Les causes de ce phénomène sont la résultante de notre système institutionnel découlant de la Constitution de 1958.
C'est la centralisation politique et administrative du pays. Déjà, en 1955, Michel Debré disait : « Le cumul des mandats est l'un des procédés de la centralisation politique et administrative du pays. » En fait, le cumul fait figure de rouage central.
C'est aussi la faiblesse des partis politiques. Celle-ci a plus facilité l'accès au pouvoir de quelques-uns que la participation des citoyens à la vie publique.
Enfin, c'est l'affaiblissement et la dévalorisation du Parlement. Conçue pour permettre à l'exécutif d'être tout puissant, la Ve République ne laisse aux assemblées qu'un statut mineur.
Face à cela, les parlementaires semblent se désintéresser du travail législatif. (Protestations sur les travées du RPR.)
N'ayant pas la possibilité d'agir sur les événements et parce que l'exercice de leurs mandats locaux leur procure davantage de satisfactions, leur présence au Parlement ne se révèle pas indispensable.
Le cursus de l'homme politique passe aujourd'hui par le cumul des mandats. Même les hauts fonctionnaires qui accèdent directement et rapidement au mandat parlementaire s'efforcent de vite se constituer une assise électorale en sollicitant le suffrage des électeurs aux élections locales.
M. Hilaire Flandre. A Cintegabelle ?
M. Guy Allouche. Il n'y a pas lieu de jeter l'opprobre sur les praticiens du cumul car, comme le dit le professeur Guy Carcassonne : « Aussi longtemps qu'il n'est pas juridiquement interdit, le cumul est politiquement obligatoire. » C'est donc bien au cumul qu'il faut s'attaquer sans faiblesse.
Il est temps de moderniser la vie politique. La fin du cumul des mandats répond à une attente de nos concitoyens. En 1995, Lionel Jospin en avait fait l'un des axes de sa campagne présidentielle, et il s'y est de nouveau engagé en 1997.
Le résultat des urnes laisse penser que les Français sont attachés à cet objectif. Ce mouvement d'opinion est porté par une puissante aspiration à la transparence de la vie politique, à l'égalité et à l'ouverture du monde politique à la société civile.
Nous disons moderniser et non moraliser, car le cumul des mandats est trop souvent diabolisé. Il serait la source de tous nos maux, notamment la corruption généralisée de la classe politique.
Ces critiques n'arrangent et ne servent que ceux qui les formulent à dessein. Et, si ce projet de loi prévoit l'interdiction du cumul du mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale, c'est aussi pour protéger la fonction parlementaire contre elle-même, tant il est incontestable que c'est toujours au titre de leur fonction exécutive locale que les parlementaires ont eu des comptes à rendre à la justice.
M. Jean-Jacques Hyest. Ceux qui ne sont pas parlementaires aussi !
M. Guy Allouche. La limitation du cumul des mandats relève du respect des électeurs et des fonctions exercées. Croit-on vraiment que les Français sont dupes d'une telle situation ? Peut-on dire que chaque mandat est essentiel et ne pas se consacrer pleinement à la tâche pour laquelle on a été élu ?
Cette limitation apportera par ailleurs l'oxygène nécessaire à une vie politique française bouffie de conflits d'intérêts et une meilleure identification des pouvoirs.
M. Hilaire Flandre. Tous élus !
M. Guy Allouche. La réalité du cumul, c'est l'entrave à la concurrence, c'est-à-dire à l'égalité d'accès aux mandats et à l'égalité de représentation des électeurs. Limiter le cumul provoquera une dynamique de renouvellement, un rajeunissement et une féminisation qui ont déjà trop tardé parce que les praticiens du cumul ont toujours cru que leurs pouvoirs seraient amoindris s'ils étaient partagés.
De fait, ces derniers ne se sont pas encore aperçu qu'ils en perdaient chaque jour davantage et ils continuent de se crisper sur l'accumulation de mandats et fonctions au lieu de se battre pour la redéfinition et le renforcement de chacun d'eux par un exercice plein et entier.
La limitation du cumul permettra un plus grand partage des responsabilités électives, concourant par là même à une plus grande efficacité, une plus grande disponibilité. De nouveaux élus apparaîtront, passionnés de démocratie ; ils s'affirmeront davantage comme des citoyens actifs et non plus comme des consommateurs civiques.
M. Jean-Pierre Fourcade. Oh !
M. Guy Allouche. La décentralisation impose de séparer plus nettement les responsabilités nationales et locales, devenues particulièrement importantes.
N'est-il pas anormal, au regard du principe d'égalité, qu'un président de conseil général ou régional s'accorde une subvention qu'il se réclame à lui-même comme maire d'une commune de son département ? C'est un exemple parmi bien d'autres !
Dès lors que l'on considère que les parlementaires doivent être plus disponibles pour exercer leur mandat, on ne peut manquer de s'interroger sur le véritable contenu de leur pouvoir, donc sur le rôle du Parlement. Il n'est pas de démocratie sans débat, et donc sans Parlement. Le Parlement ressemble parfois à un théâtre d'ombres, alors qu'il constitue la tribune de notre démocratie, le coeur de notre système représentatif et délibératif.
Le Parlement incarne les vertus du suffrage universel ; il est le lieu de l'élaboration collective de la loi et du contrôle de l'exercice du pouvoir.
Il faut sans cesse rappeler que ce qui manque au Parlement, mes chers collègues, ce ne sont pas tant des pouvoirs - et à quoi bon en demander davantage ? - que des parlementaires pour les exercer. Peu présents, les parlementaires sont faibles. Alors, faibles, ils sont de moins en moins présents et finissent par se laisser convaincre, voire impressionner, par les membres des cabinets ministériels et la haute administration.
M. Jean Chérioux. Voilà un bel exemple d'autoflagellation !
M. Guy Allouche. « L'absentéisme des parlementaires en séance publique est favorisé par l'archaïsme des techniques du débat parlementaire et n'est pas lié au nombre des mandats et fonctions exercés », écrivez-vous, monsieur le rapporteur. Ce n'est que très partiellement vrai.
Et, si le Parlement travaille mal, mes chers collègues, qui en porte la responsabilité ? N'est-ce-pas vous, monsieur le rapporteur, qui avez coutume de dire - je reprends votre formule parce que je la trouve belle - qu'avec « la session unique version Juppé-Séguin » on fait plus mal en 120 jours ce que l'on ne faisait déjà pas bien en 170 jours et deux sessions ?
M. Jacques Larché, rapporteur. Eh oui ! Cette formule n'est pas mauvaise !
M. Guy Allouche. Et qui a défendu la session unique en tant que rapporteur ?
M. Jacques Larché, rapporteur. C'est moi !
M. Guy Allouche. Oui, c'est vous ! Et, aujourd'hui, vous la critiquez, alors que déjà, à l'époque, nous faisions les reproches que vous faites aujourd'hui.
Et qui a limité à seulement trois jours par semaine le travail parlementaire afin d'en accorder tout autant à l'exercice d'une fonction exécutive local ?
M. Jacques Larché, rapporteur. C'est encore moi ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Oui, c'est encore vous, monsieur le rapporteur !
En cela, vous n'avez fait que justifier la remarque de ceux qui disent que la fonction parlementaire est simplement l'appoint de la fonction exécutive locale.
M. Jacques Larché, rapporteur. Cela, ce n'est pas de moi !
M. Guy Allouche. Non, cette formule, je l'emprunte à Philippe Séguin.
Quant à l'inflation législative et à la maîtrise de l'ordre du jour par le Gouvernement, tout comme vous je ne les apprécie pas ; mais ce qui nous différencie, monsieur le rapporteur, c'est que, moi, je n'ai pas fait campagne pour l'adoption de la Constitution de 1958.
M. Jacques Larché, rapporteur. Moi non plus !
M. André Diligent. Vous n'étiez pas né, monsieur Allouche ! (Rires.)
M. Guy Allouche. Oh si, cher ami, vous me rajeunisser un peu trop !
Vous affirmez, monsieur le rapporteur, que l'on n'a jamais démontré le lien entre l'absentéisme parlementaire et le nombre de mandats exercés. On ne démontre pas des évidences ; le mandat parlementaire n'offre pas le don d'ubiquité. Quant aux présidents d'assemblées locales, ils sont très présents parce qu'ils bénéficient de structures administratives et de facilités matérielles.
De deux choses l'une : soit l'on néglige une partie des devoirs que confère l'élection ; soit l'on délègue à des fonctionnaires des prérogatives que les citoyens croient avoir confiées à des élus qui leur rendront compte.
Quelle argumentation développent les opposants à cette réforme ? Le cumul conforte le nécessaire enracinement local et l'approche de la réalité, ainsi que la parfaite connaissance des problèmes des Français. Quelle outrecuidance de prétendre cela, mes chers collègues !
Les dernières élections législatives, en 1997, ont démontré avec éclat comment des notables bien établis peuvent être battus par de jeunes candidates et candidats sans autre mandat local, moins bien implantés que les députés sortants et souvent peu connus du grand public.
M. Jean Chérioux. Alors, il n'y a pas inégalité !
M. Guy Allouche. Pour ce qui est du Sénat, je ne m'étendrai pas non plus sur le cas de nouveaux collègues, élus le 27 septembre dernier au scrutin majoritaire et qui, sans être titulaires d'un mandat local, ont battu des présidents de conseils généraux en exercice.
M. Jacques Peyrat. Oh ! Les vilains !
M. Guy Allouche. A contrario, ceux qui ont été battus en 1997 et en 1998 ont-ils pour autant déclaré qu'ils allaient démissionner de leurs mandats locaux au motif qu'ils n'auraient plus les moyens de les remplir correctement faute de cumuler ? On ne les a pas entendus !
M. Jean Chérioux. C'est un pur sophisme !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, je vous invite à réfléchir !
Quand des électeurs ne réélisent plus leur maire à l'Assemblée nationale ou au Sénat, sont-ils à ce point masochistes pour se priver de la prétendue efficacité particulière de leur ex-parlementaire ? On prête souvent aux électeurs des intentions ou des désirs qui n'existent, en fait, que dans la tête de ceux qui veulent cumuler.
Le système français est sans équivalent. Dans le reste de l'Europe, le cumul est très peu pratiqué. Qui pourrait croire pour autant que les citoyens de ces pays sont moins bien représentés et moins bien défendus que les Français ?
Ces députés européens qui ne cumulent pas, qui ne seraient donc pas experts de la chose locale,...
M. Hilaire Flandre. Cela explique bien des choses !
M. Guy Allouche. ... comment se fait-il qu'ils aient été reconduits pendant plusieurs législatures, alors que, chez nous, cette fameuse connaissance du terrain, de la réalité locale et des attentes des Français n'a pas empêché les défaites cuisantes et alternées de toutes les majorités depuis près de vingt ans ? Comment expliquez-vous cela, mes chers collègues ?
M. Jean Chérioux. Par le scrutin proportionnel !
M. Jacques Peyrat. C'est Satanas !
M. Hilaire Flandre. Ce sont les partis qui désignent !
M. Guy Allouche. Dans le système qui nous est proposé par les deux projets de loi, un parlementaire pourra toujours rester conseiller municipal, conseiller général ou conseiller régional. Nous n'allons pas vers le mandat unique !
L'argument de la connaissance du terrain est d'autant moins recevable qu'en ce qui concerne le député le scrutin majoritaire uninominal suppose l'établissement de liens directs entre l'élu d'une circonscription et des électeurs, et exige donc la présence sur le terrain. Simplement, les élus le seront dans de meilleures conditions, des conditions leur permettant d'être réellement présents à l'Assemblée nationale trois ou quatre jours par semaine, et le reste du temps au contact permanent de leurs électeurs.
Un parlementaire qui reçoit dans ses permanences ou qui sillonne sa circonscription a toutes les occasions d'être confronté aux problèmes et aux attentes de son électorat, sans qu'il ait besoin pour autant de gérer une commune un département ou une région.
Quant au sénateur, que l'on ne me dise pas qu'il lui faut détenir une fonction exécutive locale pour bien faire son travail ! J'ai même la faiblesse de penser que cette fonction, dévoreuse de temps tant elle est prenante, nuit au contact que nous devons avoir aussi fréquemment que possible avec nos grands électeurs.
Au regard de l'article 24 de la Constitution, le cumul n'est pas obligatoire pour un sénateur. Nous représentons les collectivités territoriales par notre collège électoral. Un tiers de nos collègues n'ont aucun mandat local...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ils aimeraient bien en avoir !
M. Guy Allouche. ... et leur élection n'est entachée d'aucune irrégularité. Leur présence parmi nous n'appauvrit pas le Parlement, bien au contraire. Je serais même tenté de dire que cela leur permet peut-être d'appréhender les débats de société avec plus de facilité et surtout avec le recul nécessaire à l'intérêt général, à l'attente de la population.
Le parlementaire élu local aura toujours tendance à voter la loi en pensant d'abord aux intérêts de la collectivité qu'il représente. Nous appelons tous de nos voeux une réforme de la fiscalité locale tant les dispositions actuelles nous paraissent parfois absurdes et injustes. Certes, la présence de très nombreux élus locaux devrait donner à penser que cette réforme serait débattue par des praticiens et des experts. Qui ne voit cependant que la discussion d'une telle réforme sera toujours abordée sous l'angle restreint des intérêts de chacun ? L'addition des intérêts particuliers n'a jamais représenté l'intérêt général.
Le Parlement est l'incarnation d'un des plus puissants lobbies de France : le lobby des exécutifs locaux, qui empêche ou atténue toute réforme.
Il en est de même avec la réforme des structures locales, la réduction du nombre des communes, sans parler du devenir des départements. Tant que le cumul des mandats, et surtout celui des fonctions exécutives, persisteront, il sera difficile d'affirmer que les parlementaires ont réellement en charge les intérêts de la nation.
Il est de bon ton de tempêter contre l'emprise technocratique. Mais en cumulant, mes chers collègues, vous rendez-vous compte que nous favorisons en quelque sorte et que nous développons cette technostructure ? Nous savons tous que celui qui conçoit, applique et administre une décision est toujours plus puissant que celui qui la prend. La réalité du pouvoir passe par ceux qui sont présents et qui suivent les dossiers. Nous connaissons des exécutifs territoriaux qui préfèrent déléguer à une technocratie puissante plutôt qu'à des vice-présidents qui travaillent avec eux.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ils ne vont pas déléguer à leurs adversaires !
M. Guy Allouche. Aucun mandat politique ne peut s'exercer par délégation à des collaborateurs. Le pouvoir existe toujours ; la question est de savoir s'il est exercé par celui qui est élu à cette fin ou par ceux que l'élu a choisis.
M. Jean Chérioux. Dites cela aux ministres !
M. Guy Allouche. La responsabilité de l'élu devant les citoyens s'accommode mal de ces hommes de l'ombre qui font le travail à la place des « cumulants », souvent absents et dont l'agenda est surchargé.
Alors, mes chers collègues, pas de boucs émissaires ! Ayons l'honnêteté de reconnaître qu'à force de ne pas exercer pleinement fonctions et mandats nous avons laissé le champ libre à l'administration. Le cumul, c'est, en fait, l'impotence parlementaire face à l'administration, sauf dans les domaines où les élus nationaux défendent ce à quoi ils tiennent le plus.
La critique du technocrate est toujours un paravent. En effet, comment le praticien du cumul pourrait-il se passer de l'énarque ou du haut fonctionnaire qu'il est content de trouver près de lui - ou à sa place, lorsqu'il est absent - pour étudier et traiter les dossiers que lui-même n'a plus le temps de regarder ?
M. Jean Chérioux. Supprimez les administrateurs !
M. Guy Allouche. En commission des lois, la semaine dernière, l'un de nos collègues, maire d'une ville importante, nous disait : « Moi, je peux être au Sénat. Pourquoi ? Parce que j'ai deux secrétaires généraux, quatre directeurs, deux inspecteurs généraux d'administration et nombre d'autres directeurs qui font le travail quand je suis absent. »
M. Jacques Peyrat. « Et un premier adjoint », ai-je ajouté ! Vous ne citez que ce qui vous arrange, vous, les socialistes !
M. Guy Allouche. Voilà l'exemple même du renforcement de la technostructure !
Comme le soulignait le professeur Hubrecht : « Quand la technocratie se trouve au centre et à la périphérie de la politique, on peut se demander où est l'élu. »
Alors, oui, il faut renforcer la décentralisation. « Oui, mais... » dirai-je.
En 1976, dans un rapport, M. Olivier Guichard soulevait la question des inconvénients du cumul des mandats en cas de modification de l'équilibre des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités locales.
Le principe de l'interdiction entre un mandat national et une fonction exécutive locale s'inscrit bien dans la logique de la décentralisation mise en oeuvre depuis 1982, dans la mesure où toutes les justifications du cumul datent d'avant la réforme Mauroy - Defferre et où il apparaît que le maintien des choses en l'état constitue un obstacle dirimant à la poursuite de la décentralisation.
Le cumul des mandats visait à pallier la faiblesse des élus locaux et leur dépendance par rapport à l'Etat central. Or, la décentralisation a donné aux élus locaux une capacité d'intervention accrue qui fait qu'ils sont maintenant écoutés par les administrations de l'Etat. L'accès aux services de l'Etat est bien plus facile. Justement, les services de l'Etat sont demandeurs de contacts directs avec les élus locaux, et nous le constatons avec les signatures de nombreux contrats : contrat de plan Etat-régions, contrats locaux de sécurité, contrats de ville et de développement des quartiers, contrats d'agglomération, etc.
En matière de gestion du territoire, le contenu de ces actions est construit au plus près du terrain. Cette proximité du terrain est bien ce qui fonde aujourd'hui la légitimité des élus locaux.
Alors, oui ! il faut aller encore plus loin dans la décentralisation et la déconcentration. Mais nous pensons que le cumul des mandats constitue un obstacle essentiel à la poursuite de cette logique décentralisatrice mise en place en 1982.
Gaston Defferre...
M. Jean Chérioux. Maire de Marseille !
M. Guy Allouche. Absolument !
M. Michel Charasse. Un cumulard !
M. Guy Allouche. ... éminent homme politique et éminent homme d'Etat..
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Eminent cumulard, oui !
M. Dominique Braye. Faites ce que je dis, pas ce que je fais !
M. Guy Allouche. Gaston Defferre ne disait-il pas que la décentralisation mise en oeuvre conduirait vite à la limitation du cumul des mandats ?
Et que disait l'éminent professeur Georges Vedel, que vous citez souvent, monsieur le rapporteur ? Je note d'ailleurs que M. Vedel n'a jamais été conseiller régional... Tout à l'heure, vous vitupériez contre les professeurs de droit et les opportunistes qui n'ont jamais exercé ; or M. Vedel, que je respecte profondément, n'a jamais exercé de fonction locale.
M. Jean Chérioux. Est-ce pour cela que vous le respectez ?
M. Guy Allouche. Dans le rapport qu'il a remis au Président de la République le 15 février 1993, le doyen Vedel n'écrivait-il pas : « La décentralisation et les nouveaux équilibres qu'elles a créés ou renforcés ne justifient plus l'addition de pouvoirs de nature locale et nationale, dont les premiers sont souvent considérables » ? Nous y sommes ! Et il serait vain de vouloir aller encore plus loin, tant que la limitation du cumul ne sera pas effective.
La capacité régulatrice de l'Etat a du mal à se développer dans un pays où les électeurs ont l'impression que les parlementaires défendent plus leurs intérêts locaux que l'intérêt général. On ne peut être juge et partie !
Les exemples sont nombreux, mais je n'en prendrai que deux tant ils sont révélateurs.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Un à Lille, un à Marseille ! (Rires.)
M. Guy Allouche. Premier exemple : lors du débat sur la défense nationale et la suppression du service national, bien des parlementaires se sont peut-être davantage souciés du sort des casernes que de la défense du pays.
M. Jacques Peyrat. Les casernes, c'est le pays !
M. Guy Allouche. Les deux termes de ce débat sont importants et doivent être traités au regard l'un de l'autre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Nul besoin d'être maire pour cela !
M. Guy Allouche. Or, nombreux furent ceux qui mirent l'accent sur le devenir des casernes plutôt que sur la défense du pays !
Second exemple : à propos des emplois-jeunes, nombre de collègues de l'opposition nationale ont combattu avec force cette mesure nouvelle au Parlement ; mais, sitôt rentrés dans leurs collectivités locales,...
M. Jean-Jacques Hyest. Parce qu'ils sont légalistes !
M. Guy Allouche. ... c'est au nom du développement local et en réponse à une forte demande des jeunes et des parents qu'ils ont mis en place ces emplois.
M. Pierre Fauchon. Cela ne prouve rien !
Mme Nelly Rodi. Il y avait les emplois-ville !
M. Guy Allouche. Lorsque le Gouvernement propose des mesures, vous les combattez, mais, de retour sur vos terres, vous reprenez ses arguments !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je n'ai pas recruté un seul emploi-jeune, moi !
M. Guy Allouche. Ce n'est pas à votre honneur, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais si !
M. le président. Veuillez poursuivre, je vous prie, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Un tel comportement ne peut perdurer sans mettre en cause l'avenir de la décentralisation tant il est vrai que la décision nationale n'est pas la résultante ni l'addition des préférences de chacun. Il est temps de séparer l'élu qui dit la loi de celui qui l'applique en tant qu'exécutif local.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Jamais de la vie !
M. Guy Allouche. La réforme du cumul des mandats et des fonctions ne constitue pas une fin en elle-même. Elle doit s'inscrire dans la perspective plus large d'une modernisation de la vie politique.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. La proportionnelle !
M. Guy Allouche. La redéfinition du statut de l'élu s'impose et va de pair avec le non-cumul.
M. Dominique Braye. Il faut commencer par le commencement !
M. Guy Allouche. Je dirai même que, dans l'ordre des priorités, le statut de l'élu passe bien avant l'approfondissement de la décentralisation.
Ouvrir le chantier de l'exercice des mandats locaux impose, dans le même temps, de s'interroger sur les moyens de l'élu. S'il faut des élus plus disponibles au Parlement comme dans les collectivités locales, il faut aussi des élus mieux indemnisés et mieux formés. Si l'on veut que les citoyens postulent, il est vital que le retour à la vie civile des élus soit préparé.
Un sénateur du RPR. Et voilà !
M. Guy Allouche. Nous savons que si la démocratie n'a pas de prix, elle a un coût.
Dès 1982, voilà seize ans, parallèlement à la mise en place de la décentralisation - cela n'a rien de fortuit - Marcel Debarge, notre excellent collègue, avait rédigé, à la demande du gouvernement de Pierre Mauroy, un rapport sur ce thème, dont il n'y a rien à retrancher...
M. Dominique Braye. Il est absent !
M. Guy Allouche. ... et qu'il nous suffirait d'appliquer.
Marcel Debarge avait vu juste et loin. Je le cite : « Le problème de la limitation du cumul des fonctions et des mandats électifs doit être également appréhendé...
M. Dominique Braye. Il cumule : il n'est pas là !
M. Guy Allouche. ... « dans cette même perspective de la décentralisation et des changements de comportement qu'elle implique. La limitation du cumul constitue un des volets mêmes de la décentralisation, cette extension des compétences des collectivités territoriales ne sera effective et significative que s'il se trouve des élus disponibles capables d'assurer leurs responsabilités nouvelles et accrues ». Voilà ce qui a été écrit déjà en 1982 !
Ce statut de l'élu doit notamment permettre l'accès du plus grand nombre aux fonctions électives, permettre aux salariés du secteur privé de bénéficier d'un « congé de l'élu » qui leur offre la possibilité de retrouver leur activité à la fin de leur mandat.
Mes chers collègues, plus rapidement, je souhaite répondre à un certain nombre d'arguments.
Le cumul serait un choix de l'électeur et il faudrait le laisser décider... Mais, au-delà, les électeurs ont-ils vraiment le choix ? Demandera-t-on à un électeur socialiste - je prends cet exemple à dessein - de voter pour un candidat de droite au motif que le candidat de gauche cumule ? Va-t-il trahir ses convictions ?
M. Hilaire Flandre. Quelle bonne idée !
M. Guy Allouche. C'est valable pour vous également !
M. Jean Chérioux. Et les candidats dissidents ?
M. Guy Allouche. Le choix de l'électeur est donc contraint et forcé. Ne dites pas que c'est le choix de l'électeur !
« Le cumul des mandats permet de ne pas confier l'action politique à des professionnels », écrit, dans son rapport, M. Jacques Larché.
Si on ne confie pas cela à des professionnels, dois-je comprendre que le contraire de « professionnel » ce serait « amateur » ? Faire la loi serait donc un hobby, un passe-temps ? Le contrôle de l'action du Gouvernement se ferait-il en dilettante ?
Non, la confection de la loi demande du temps, et si les parlementaires veulent lutter à armes égales contre l'emprise des cabinets ministériels, il leur faut des moyens. Le temps est l'un de ceux-là.
L'activité législative serait, selon certains, très difficile si tous les parlementaires étaient en séance. Cette crainte, parfaitement injustifiée, ne sert qu'à conforter le cumul. Sans attendre la limitation du cumul, notre arsenal réglementaire - relisez le règlement du Sénat ! - a prévu ce cas de figure. Si, sur un sujet précis, il y avait de nombreuses interventions, ce serait une marque d'intérêt, cela dynamiserait le débat parlementaire, et la réflexion collective n'en serait que meilleure.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il faut siéger pendant douze mois !
M. Guy Allouche. Je conclurai...
M. Hilaire Flandre. C'est pas vrai !
M. Guy Allouche. ... en empruntant une partie de ma conclusion à une réflexion de notre excellent collègue Hubert Haenel,...
M. Dominique Braye. Il est là !
M. Serge Vinçon. Il est toujours là !
M. Guy Allouche. ... qui, dans un article publié le 25 octobre 1997 dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace, écrivait : « La pratique du cumul installée dans les moeurs politiques françaises ruine la vie politique, mine l'équilibre déjà fragile entre les rôles et missions respectifs du Parlement, du Gouvernement et de la justice...
M. Dominique Braye. Sauf si les mandats sont compatibles !
M. Guy Allouche. « Elle contribue à l'installation d'une technocratie, brouille la répartition des responsabilités...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'était écrit en alsacien !
M. Guy Allouche. ... « interdit les contrôles, favorise la corruption, nourrit l'antiparlementarisme...
M. Jacques Peyrat. On vous a mal traduit !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Cela devait être écrit en alsacien !
M. Guy Allouche. ... « et, en fin de compte, constitue le terreau favorable à l'éclosion et au développement des extrémistes de droite et de gauche. »
Voilà ce que disait M. Haenel.
M. Dominique Braye. Sauf si les mandats sont compatibles, a-t-il ajouté !
M. Guy Allouche. La démocratie a besoin d'un Parlement puissant, influant sur les grands choix collectifs, capable de contrôler l'action du Gouvernement. L'interdiction du cumul des mandats et des fonctions exécutives n'est pas qu'une simple affaire d'emploi du temps. Trop de parlementaires qui cumulent sont plus attachés à leur terre d'élection qu'à leur fonction première de législateur. On ne réveillera pas le civisme si cet esprit demeure, si les parlementaires ne prennent pas la mesure de leur fonction, qui est de faire d'abord la loi, de veiller essentiellement aux intérêts de la nation et de contrôler l'action du Gouvernement.
Ce projet du Gouvernement, que nous approuvons...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il ne manquait plus que cela !
M. Guy Allouche. ... est l'un des projets les plus attendus, quoi qu'en pense la majorité sénatoriale, qui n'est pas décidée à l'adopter.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Non !
M. Guy Allouche. L'image de la Haute Assemblée n'en sera que plus brouillée !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais non !
M. Guy Allouche. Il est des réformes qui sont inéluctables, parce qu'elles s'inscrivent dans l'évolution naturelle de toute société civilisée et démocratique. Il faut savoir changer les règles institutionnelles lorsque leur obsolescence fait courir le risque qu'elles ne signifient plus rien. Le cours de la modernisation des institutions de notre pays ne pourra pas être endigué, comme certains le croient ici. Je livre à leur méditation le propos tenu publiquement et récemment par le Premier ministre devant une chaîne de télévision : « Nous avancerons, et si l'on doit s'arrêter à un stade, on trouvera d'autres façons de dépasser ce stade ultérieurement. » (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nelly Olin. Est-ce une menace !

8

ÉLECTION DE JUGES
À LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE

M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l'élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants : :

Nombre de votants 277
Nombre de suffrages exprimés 268
Majorité absolue des suffrages 135

Ont obtenu :
M. François Autain et M. Claude Saunier : 259 voix ;
M. Michel Dreyfus-Schmidt et Mme Josette Durrieu : 252 voix ;
M. Jean-Jacques Hyest et M. Jean-Marie Poirier : 249 voix ;
M. Hubert Falco et M. José Balarello : 247 voix ;
M. Luc Dejoie et M. Patrice Gélard : 242 voix ;
M. Paul Masson et M. René-Georges Laurin : 237 voix ;
Ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, sont proclamés juges à la Cour de justice de la République :
M. François Autain, titulaire, et M. Claude Saunier, suppléant.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, titulaire, et Mme Josette Durrieu, suppléant.
M. Jean-Jacques Hyest, titulaire, et M. Jean-Marie Poirier, suppléant.
M. Hubert Falco, titulaire, et M. José Balarello, suppléant.
M. Luc Dejoie, titulaire, et M. Patrice Gélard, suppléant.
M. Paul Masson, titulaire, et M. René-Georges Laurin, suppléant.

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PRESTATION DE SERMENT DE JUGES
A` LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE

M. le président. MM. les juges titulaires et Mme et MM. les juges suppléants à la Cour de justice de la République qui viennent d'être élus vont être appelés à prêter devant le Sénat le serment prévu par l'article 2 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment. Il sera ensuite procédé à l'appel nominal de MM. les juges titulaires puis de Mme et MM. les juges suppléants. Je les prie de bien vouloir se lever à l'appel de leur nom et prononcer, en levant la main droite, les mots : « Je le jure ».
Voici la formule du serment :
« Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de me conduire en tout comme digne et loyal magistrat. »
(Successivement, MM. François Autain, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Jacques Hyest, Hubert Falco, Luc Dejoie et Paul Masson, juges titulaires, et MM. Jean-Marie Poirier, José Balarello et Patrice Gélard, juges suppléants, se lèvent à l'appel de leur nom et disent, en levant la main droite : « Je le jure ».)
M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d'être prêté devant lui.
M. Claude Saunier, Mme Josette Durrieu et M. René-Georges Laurin, qui n'ont pu assister à la séance d'aujourd'hui, seront appelés à prêter serment devant le Sénat ultérieurement.

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CUMUL DES MANDATS

Suite de la discussion d'un projet de loi organique
et d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice, et du projet de loi relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur les incompatibilités, ou sur le cumul des mandats électoraux, est difficile, puisqu'il s'agit de concilier notre volonté d'évolution avec l'expérience tirée de notre propre parcours d'élus, un parcours qui nous a souvent permis d'expérimenter les vertus et les contraintes du cumul des mandats. Nécessairement, notre opinion est subjective.
Je présenterai trois brèves observations techniques et deux observations plus générales.
Voici ma première observation d'ordre technique : il est incontestable que les transferts de compétences vers les exécutifs des assemblées départementales et régionales a entraîné un accroissement constant des responsabilités des élus. Et nous avons pu en faire l'expérience les uns et les autres : un exécutif d'aujourd'hui n'est pas comparable à un exécutif d'hier. Voilà le premier facteur qu'il convient de prendre en considération.
Deuxième observation : au stade actuel, la décentralisation implique le maintien d'un lien fort entre les élus nationaux et les collectivités locales. C'est indispensable si nous voulons imprégner notre travail législatif des réalités locales. A cet égard, le mandat unique est totalement irréaliste.
Mme Nelly Olin. Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel. Troisième observation : le dossier des incompatibilités est indissociable d'autres questions fondamentales qui concernent la vie des élus et des collectivités locales, à savoir l'avenir de la décentralisation, le statut des élus, l'évolution des structures territoriales - particulièrement de l'intercommunalité - ainsi que l'évolution et le renforcement du rôle du Parlement, auquel nous sommes attachés.
L'ensemble de ces thèmes de réflexion doivent imprégner le débat sur les incompatibilités.
A cela s'ajoutent deux facteurs plus généraux qui, je le sais, donnent matière à controverses.
Le premier, c'est l'originalité française en Europe.
A de rares exceptions près, en effet, nos partenaires ne connaissent pas ou peu le cumul des mandats. Et lorsque nous rencontrons nos collègues européens, nous constatons qu'ils sont à la fois dubitatifs et admiratifs devant « l'exception française ».
Nous savons tous que les structures étatiques ne sont pas comparables d'un pays à l'autre et que, en Europe occidentale, nous restons le pays le plus fortement centralisé, quels que soient nos regrets à cet égard. Nous ne pouvons en aucun cas nous comparer, du point de vue des structures, aux pays fédéraux.
Par ailleurs, la sélection des candidats aux élections chez nos voisins peut s'appuyer sur une représentativité des partis et sur des procédures qui n'ont rien de comparable avec les nôtres.
De plus, nous sommes en retard sur le plan de l'organisation de notre vie politique.
Néanmoins, sachons avoir présente à l'esprit la comparaison, justifiée ou non, qui est souvent faite entre la France et les pays voisins.
Ma seconde observation d'ordre général porte sur l'image du Sénat dans l'opinion.
Même si nous savons que l'opinion est éminemment versatile, elle a du cumul en général une vision différente de celle du cumul de son élu : très critique à l'égard du cumul dans l'abstraction, elle est plutôt approbative quand il s'agit de son élu, de son maire, de son président d'assemblée départementale ou régionale. N'accentuons pas les critiques qui s'expriment à ce propos.
Je regrette que, dans ce débat qui doit rester serein, on entende parler du « mur du Sénat », du conservatisme et de la rigidité archaïque de la Haute Assemblée. A cela s'ajoutent des critiques à l'égard des élus en général, allant jusqu'à dire que le cumul est source de privilèges, voire de corruption, alors que, nous le savons, l'immense majorité des élus ont, dans l'exercice de leur mandat, un sens de l'intérêt général qui mérite d'être salué.
De telles observations, qui tendent à jeter le discrédit sur les élus, ne sont pas de nature à permettre à un débat comme celui-ci de se dérouler dans la sérénité.
Le Sénat n'est pas hostile à une réforme. A cet égard, notre rapporteur emploie une formule tout à fait réaliste lorsqu'il dit qu'il lui apparaît que, davantage qu'une question de principe, le débat d'aujourd'hui est une question de mesure, qu'il s'agit de savoir où placer le curseur.
Le débat sur les incompatibilités est nécessaire. Je suis convaincu que nous ne pouvons pas rester figés, mais la discussion doit être sereine, elle doit se dérouler sans pression extérieure. C'est à cette condition qu'une réforme cohérente et globale, qui n'occulte pas le problème du cumul, démontrera que le Sénat veut et sait aller de l'avant, mais en privilégiant, dans cette marche en avant, raison, réalisme et bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Boyer.
M. André Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Premier ministre a eu raison de faire de la limitation du cumul des mandats un des axes prioritaires de la politique du Gouvernement, et, à titre personnel, je voterai les projets qui nous sont présentés parce qu'ils répondent à l'attente de nos concitoyens, qui les approuveraient, j'en suis sûr, à une très large majorité, et parce qu'ils tiennent compte des réalités.
Qui conteste d'ailleurs ouvertement le principe posé par ces deux projets de loi, car c'est bien d'un principe qu'il s'agit, même si certaines de leurs dispositions peuvent être discutées ?
Qui prétendra que peuvent désormais être assumés, réellement assumés, par un seul homme, une seule femme, des mandats et des fonctions multiples ?
Lequel d'entre nous est en mesure de nous convaincre qu'il peut être à la fois au four et au moulin alors que le temps se mesure toujours à la même aune, que l'inflation législative se poursuit, si bien que la session unique y suffit à peine, que les calendriers sont de plus en plus surchargés, les instances multipliées, les réunions plus nombreuses, les sollicitations de nos concitoyens plus pressantes, les problèmes à résoudre plus complexes et les niveaux de décision plus intriqués ?
Qui pourra le prétendre sans admettre que la technocratie, qui n'est pas seulement parisienne, que les délégations de pouvoir, qui diluent souvent ce pouvoir, que les apparitions fugaces de certains élus dans les réunions, que les excuses en raison d'engagements antérieurs, qui encombrent les parapheurs, ne sont pas autant de façons de biaiser devant cette évidence de bon sens : on ne peut pas être partout à la fois ?
Bien entendu, nous n'échappons pas à l'argument classique qui veut que les citoyens réclament des députés-maires ou des sénateurs-maires. Mais n'avez-vous jamais vous-même utilisé cet argument dans d'autres villes que la vôtre au cours de vos campagnes électorales ?
Enfin, mes chers collègues, si, face à cet hémicycle, il y avait un miroir, nous renverrait-il une image toujours flatteuse et conforme à cette tradition démocratique que nous revendiquons et que nous nous targuons souvent de donner en exemple au monde ?
Les Athéniens ont inventé la démocratie et Périclès, dans sa célèbre oraison funèbre, affirmait le modèle de la démocratie grecque.
Nous savons cependant que les citoyens qui siégeaient à l'ecclésia, l'assemblée du peuple, se précipitaient, le matin, pour toucher les trois oboles et bavardaient très longuement sur l'agora, fuyant devant la corde teinte en rouge qui rabattait les citoyens vers l'assemblée, remède utilisé, nous dit Aristophane, contre la désaffection croissante pour les réunions.
Ne parlons pas de corde...
C'est bien parce que tous ici, mes chers collègues, nous souhaitons que le Sénat conserve la place éminente qui est la sienne dans nos institutions que nous devons mettre en pratique, dans ce débat, la sagesse que l'on nous prête volontiers... jusqu'ici.
C'est bien parce que nous sommes convaincus, malgré quelques manifestations de scepticisme goguenard d'un autre siècle, qu'il faut tendre progressivement vers une parité entre hommes et femmes et vers une meilleure représentation des jeunes dans notre vie publique que nous devons admettre que la limitation du cumul est une des voies qui y conduit.
M. Dominique Braye. Les sénateurs à dix-huit ans !
M. André Boyer. Il faut faire la place en ne l'occupant pas toute.
Ne nous cachons pas derrière les faux prétextes. Que la loi préserve un nécessaire enracinement local des élus nationaux, tout le monde, je pense, y souscrit. Mais si elle devait, au travers d'exécutifs départementaux et régionaux ou de mandats municipaux trop lourds - c'est peut-être sur ce dernier point que devraient porter notre réflexion et notre discussion -, pérenniser le pouvoir de ceux d'entre nous qui l'accumulent de façon démesurée, alors nous rencontrerions les uns et les autres un autre miroir, celui que nous tendraient nos concitoyens. Et l'image renvoyée ne serait pas à notre avantage, bien des signes nous l'annoncent déjà.
Regardons-nous donc dans les yeux des autres, c'est là que l'on se voit le mieux.
Je vous invite, en conclusion, à capter ce regard sous la plume d'un éditorialiste de talent qui, dans une fresque historique plaisante, compare la fin du précédent millénaire et cette fin du XXe siècle.
Je cite :
« Le pays se fragmente en une infinité de nouveaux terroirs. Les puissants comtes règnent sur les régions ; les vicomtés départementales - issues de la Révolution - se voient découpées en châtellenies nouvelles : quantités de seigneurs ou de chevaliers, tous plus ou moins vassaux les uns des autres, se mettent à la tête d'un syndicat mixte, d'un haut lieu culturel, d'un site majeur, d'une unité de séjour touristique, d'un SIVOM, d'un SIVU, d'un terroir, (...).
« Quelques barons régentent des communautés de communes, des parcs naturels régionaux ou, mieux encore, des ententes interdépartementales. D'autres encore sont les légats de l'Europe, aux commandes de puissants leaders.
« Tous fourbissent leurs armes en vue des combats que vont générer les pays, sachant que de sanglantes sélections devront s'opérer...
« Nouveaux châteaux, nouveaux impôts, nouvelles micro-administrations : 1998 nous rappelle qu'un millénaire, dans l'histoire de l'homme, c'est finalement peu de choses.
« Nul doute que nous n'ayons, devant nous, de nouveaux féodalismes, de nouvelles renaissances, de nouvelles révolutions.
« Mais dans quel ordre ? »
Avec cette citation,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. De qui, s'il vous plaît ?
M. André Boyer. ... ma seule ambition était de vous transmettre ce regard particulier.
Au tableau, il manque les occupants des palais nationaux que nous sommes.
Dans le débat qui nous occupe aujourd'hui, comme dans tous les autres, c'est à nous que revient pourtant le devoir d'exprimer les aspirations de nos concitoyens.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Quel est l'auteur de la citation ?
M. André Boyer. Mais nous sommes aussi les garants de l'image d'une assemblée que nous prétendons défendre.
La sagesse voudrait que, dans nos décisions, nous donnions du Sénat un visage de progrès et non de conservatisme. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il ne veut pas donner le nom de l'auteur !
M. le président. La parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant eu le privilège de participer en tant que député à l'examen en première lecture des deux textes sur la limitation de l'exercice de plusieurs mandats, permettez-moi de vous faire part de ce que j'ai pu ressentir à l'époque, à savoir un profond embarras de tous les acteurs.
Embarras d'un ministre, tout d'abord - celui que vous remplacez, bien sûr, monsieur le ministre - ancien député-maire de Belfort, qui était obligé de défendre un texte auquel il m'a semblé ne pas trop croire du fait, justement, de son expérience.
Embarras d'une majorité ensuite, majorité on ne peut plus plurielle qui allait des radicaux et des communistes, très attachés à la fonction de député-maire, au jeune député apparatchik socialiste tout heureux d'avoir trouvé un coupable : le cumulard, qu'il devait ainsi présenter à l'Etre suprême : l'opinion.
Embarras d'une droite enfin, il faut bien le dire, hésitant à s'opposer à une réforme qu'elle jugeait mauvaise mais que les médias présentaient comme populaire.
Telle fut donc l'atmosphère dominante pendant ces trois jours de débat.
C'est cette atmosphère, cet embarras qui expliquent en partie la si grande différence entre le texte initial du Gouvernement et celui qui fut retenu par l'Assemblée nationale.
Voilà comment nous avons abouti à un texte bâclé, boîteux et sans cohésion, contenant des dispositions adoptées sans réflexion préalable et empilées les unes sur les autres. Il était donc indispensable, comme l'a fait la commission des lois du Sénat, de revenir à l'essentiel : le régime des incompatibilités entre mandats électoraux et fonctions électives.
Pour ma part, je me limiterai à l'examen d'une seule disposition du texte, celle qui est au coeur du conflit et qui vise à interdire l'exercice d'un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales, notamment celle de maire.
Je vous le dis d'emblée, monsieur le ministre, ce n'est pas ce qui ramènera les députés à l'Assemblée nationale. Pour le Sénat, je ne puis rien dire puisque je n'ai pas encore pratiqué cette assemblée. Mais, pour avoir fréquenté longtemps le Palais-Bourbon, je puis vous dire que j'ai vu, pendant près d'un an, voter des lois fondamentales de la République une cinquantaine de députés étant présents, députés, qui, d'ailleurs, venaient tous de province, car j'ai rarement vu en séance des députés de Paris, qu'ils aient appartenu à votre majorité ou à la nôtre.
Ce n'est pas ce que veulent les électeurs qui, d'ailleurs, confondent en général cumul des mandats avec cumul des indemnités, parce qu'il semblerait que personne ne leur ait parlé des lois récentes concernant notre écrêtement.
Ainsi, les dispositions que vous proposez visent à créer des élus de première classe : les parlementaires et des élus de deuxième classe : les détenteurs d'un petit mandat local.
Et pourtant ce que veulent aujourd'hui les Français, monsieur le ministre, ce sont des élus aussi proches que possible d'eux et de leurs préoccupations, afin qu'ils répercutent dans les hautes assemblées leurs attentes, leur volonté et leur espérance.
Or, ce n'est pas en enfermant les parlementaires dans nos palais nationaux, qui deviendront vite des maisons sans fenêtres, que vous pourrez revivifier le grand principe républicain qui doit faire d'eux l'expression de la volonté du peuple.
Cette volonté populaire, déjà si difficile à appréhender, et que l'on confond parfois un peu vite avec l'opinion publique créée artificiellement par les sondages et les médias, croyez-vous, monsieur le ministre, que les parlementaires puissent l'exprimer sans l'avoir préalablement identifiée, interprétée, validée en étant immergés au milieu de leurs concitoyens, à leur écoute et, pour ainsi dire, en osmose avec eux, non seulement par l'exercice de leur profession, ce qui est, soit dit entre nous, hautement souhaitable, mais aussi par l'exercice de leur mandat électoral.
Ce n'est pas en privant les parlementaires d'une expérience gestionnaire et décisionnaire que vous obtiendrez, monsieur le ministre, de meilleurs législateurs.
Les assemblées voulues par la gauche plurielle seraient constituées par des hommes et des femmes - je l'ai entendu à l'Assemblée nationale - jeunes - de dix-huit ans - sans expérience professionnelle, sans expérience familiale, sans expérience territoriale et qui ne verraient jamais le résultat des lois qu'ils voteraient tandis que ceux qui, territorialement, les appliqueraient ne seraient jamais à même d'être à leur origine ou même tout simplement de les modifier ou de les amender.
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Jacques Peyrat. Ne vaudrait-il pas mieux, dès lors, que ceux qui auront à appliquer la loi continuent à participer à son élaboration et que, parallèlement, ceux qui participent à son élaboration sachent de quoi ils parlent ?
Permettez-moi, monsieur le ministre, de citer les propos tenus par quelqu'un qui n'est pas de mon camp, le député-maire de La Rochelle, Michel Crépeau, qui a dit :
Premièrement : « Si les Français veulent envoyer des maires au Parlement et qu'ils votent pour des maires, laissons-leur la liberté de choisir. » C'est un principe républicain que cela.
Deuxièmement : « Je crois qu'on légifère mal, quand on le fait au gré des fluctuations de la presse, des sondages ou même de l'opinion. » En entendant cette phrase, maître Balarello, j'ai pensé à notre grand prédécesseur Moro-Giafferi, qui disait : « Ne laissez pas l'opinion publique, cette prostituée, rentrer dans le tribunal et tirer le juge par la robe. » Troisièmement, il déclarait aussi : « En cet instant, mon cas de conscience est cornélien, car je ne veux pas trahir mon camp qui est à gauche, mais je ne veux pas non plus trahir la vérité, qui, malheureusement, dans cette affaire, est sur les autres bancs. »
Monsieur le ministre, que peut-on ajouter après tant de sincérité ?
Oui, Michel Crépeau a raison : votre projet de loi n'est pas acceptable, parce qu'il enlève au peuple la liberté de choisir.
Oui, il a raison, votre projet de loi n'est qu'un texte de circonstance, destiné à s'attirer les bonnes grâces des électeurs et la sympathie des médias.
Oui, il a raison, enfin, car votre projet de loi fait l'erreur de vouloir mettre fin au député-maire ou sénateur-maire sans se rendre compte que l'un sert l'autre et vice versa.
En effet, quand un parlementaire exerce son mandat national et son mandat local, il est en vérité un homme complet.
M. Guy Allouche. Et les autres ?
M. Jacques Peyrat. Le maire est fait pour écouter, ce que vous devriez faire, et le parlementaire pour être entendu, ce que j'essaie de faire.
Le maire, par son pouvoir décisionnel, sert sa commune. Le parlementaire participe collectivement à la loi de la nation. C'est à ces deux défis que ses électeurs l'ont librement convié. Ils sentent avec clairvoyance que, par ses deux fonctions, ils l'appellent à servir la République, car c'est l'addition des pouvoirs locaux, communaux, départementaux et régionaux, mélangés et interdépendants, qui a fait la France depuis des siècles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en fait, l'Assemblée nationale s'est donné bonne conscience. Elle a voté des dispositions excessives, interdisant désormais aux parlementaires d'exercer la moindre fonctions exécutive locale sous prétexte que le cumul d'une telle fonction et d'un mandat parlementaire serait abominable.
Ensuite, bien entendu, dans nos départements, après avoir voté ces textes, les députés, quelle que soit leur orientation politique, sont venus nous dire leur espoir de voir le Sénat corriger cette folie.
Voilà pourquoi j'affirme que l'Assemblée nationale, dans sa majorité, s'est donné bonne conscience en votant ces textes et en souhaitant que la Haute Assemblée ne la suive pas. On dira alors que le Sénat est conservateur et le tour sera joué ! Et le mal sera fait !
M. Jacques Machet. Et voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas acceptable !
Cela ne signifie nullement que le débat ne mérite pas d'être ouvert. Mais il doit l'être en des termes mesurés.
Et puis, il ne faudrait pas que certains se déclarent contre le cumul à partir du moment où ils ont échoué à conquérir des mandats qu'ils briguaient...
M. Joseph Ostermann. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui, il existe de tels cas !
Quoi qu'il en soit, sur cette question, il faut savoir se montrer modéré et s'efforcer à l'objectivité.
J'ai relu avec beaucoup d'intérêt les débats qui ont précédé le vote de la loi de 1985. Certains orateurs soutenaient que, si on limitait le nombre des mandats, ce serait épouvantable. En fait, c'était raisonnable parce qu'il y avait manifestement des excès. Au demeurant, de tels excès peuvent éventuellement perdurer ; c'est notamment le cas lorsque des mandats exécutifs locaux sont exercés par délégation, la délégation en question n'étant d'ailleurs pas nécessairement donnée à des élus.
Cela pose le problème de la technocratie qui peut se développer dans les collectivités locales comme elle s'est développée au niveau de l'Etat. Edgar Faure disait que la technocratie, ce sont des techniciens avec lesquels on n'est pas d'accord. C'est surtout quand le politique a abandonné ses responsabilités que la technocratie - parce que les fonctionnaires sont des gens sérieux - prend le pouvoir et remplace le politique.
La question qui peut se poser aujourd'hui est celle de la compatibilité entre l'exercice d'un mandat parlementaire et celui d'une fonction exécutive importante. Mais on peut également se demander si, quand on exerce deux fonctions exécutives, elles ne risquent pas d'être en concurrence.
Je serais presque prêt à voter la loi mais je m'aperçois que, à l'occasion de la réorganisation de la police et de la gendarmerie, par exemple, tel ancien ministre de l'intérieur ou tel ancien ministre de la défense, qui savent donc très bien que l'on doit avoir une vision prospective de ce problème, hurlent à l'Assemblée nationale parce qu'on va supprimer le commissariat ou la gendarmerie de la commune dont ils sont maires. Bien entendu, vous ne voyez pas du tout à qui je fais allusion ! (Sourires.) Cela dit, s'ils étaient seulement députés, ils feraient la même chose : il y a quelques députés qui ne sont pas maires mais qui hurlent autant contre de telles mesures.
Mais enfin, on aura effectivement intérêt à se demander si de grands exécutifs et un mandat parlementaire sont compatibles.
M. Guy Allouche. Bonne question !
M. Jean-Jacques Hyest. Toutefois, il faut y mettre deux conditions, et M. Allouche, justement, m'a presque devancé sur ce point. La première condition, tout à fait indispensable, c'est la définition d'un statut de l'élu local. La seconde condition, c'est l'aboutissement de la décentralisation.
Je ne prétends pas, moi, qu'il faut être député et maire ou président de conseil général et maire ou président de conseil général, maire et parlementaire. Néanmoins, j'affirme que, si l'on veut aller vers une limitation du cumul, il faut que la décentralisation soit menée à son terme.
En effet, pourquoi un maire devient-il parlementaire ? Pourquoi un parlementaire devient-il maire ou président de conseil régional ou général ? C'est parce qu'il a le sentiment qu'il sera ainsi plus utile à sa région, à son département, à sa ville. Notre culture politique centralisatrice est telle qu'on n'a pas encore compris ce que pourrait être une décentralisation véritable, avec d'authentiques pouvoirs locaux. Il faut donc continuer à débattre de ce sujet.
Monsieur le ministre, s'il n'y a pas d'autre volet à votre réforme, je crois que le Sénat aura raison de dire, suivant la commission des lois, que l'exercice d'une fonction exécutive locale n'est pas incompatible avec celui d'un mandat parlementaire. Par la suite, s'il y a une vraie décentralisation, nous pourrons parvenir à un vrai partage des responsabilités dans ce pays, étant entendu aussi - le débat n'est pas nouveau ! - qu'il faudrait que le Parlement ait des pouvoirs tels que les parlementaires s'y sentent véritablement utiles. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français souhaitent des élus disponibles, proches d'eux, ayant l'expérience du terrain. La confiance qu'ils leurs manifestent en en faisant leurs représentants, via le suffrage universel, oblige à une exemplarité. Ces paramètres contraignent, au-delà des promesses électorales, à se poser, en conscience, et en corollaire à cette légitimité, la question de la qualité du devoir accompli.
Mon bref propos s'attachera, sur ces textes relatifs à la limitation du cumul des mandats électoraux, à plaider en faveur des deux représentations locales, dont une exécutive, compatible avec un mandat national.
La cellule première de toute vie publique est constituée par la commune. Dans ce groupe, au sens sociologique du terme, toutes les composantes sont présentes, offrant un large panorama de situations. Les relations individuelles y sont irremplaçables. A mon sens, il convient de privilégier la possibilité, pour un élu national, d'être également le maire d'une commune de moyenne importance, le seuil du nombre d'habitants restant à fixer.
Plus de la moitié des parlementaires sont également des premiers magistrats municipaux ; je fus moi-même l'un d'eux pendant deux décennies. Qui d'entre nous n'a entendu parler de Paris et de ses décisions comme s'il s'agissait de la planète Mars ? Il y a donc nécessité de placer dans la représentation nationale la continuité liée à un enracinement qui valide les conduites induites.
Cette entité se place tout naturellement dans le cadre spatial du canton. Celui-ci, bien que relevant d'un découpage administratif, recouvre souvent un terroir pourvu d'une identité. Il intègre ce terroir dans l'ensemble plus vaste du département. L'exercice de globalisation des politiques à partir de situations particulières, rompu à la pratique d'un mouvement pendulaire, ne doit connaître de cesse. Toute conceptualisation doit s'ancrer dans un pragmatisme entretenu tant pour alimenter la source que pour vérifier les applications.
Le mandat national finalise ce schéma. Pour les raisons que je viens d'exposer, il doit être fondé sur le montage décrit. Il n'est pas imaginable qu'un parlementaire puisse être en lévitation par rapport au terrain.
C'est, notamment, la raison pour laquelle je suis hostile au principe : « un homme, un mandat ». Ce maximalisme déguisé sous un vêtement de probité mène à une distanciation préjudiciable en amont comme en aval.
Par ailleurs, il serait vain d'y voir un gage de renouvellement des élus. Lors des dernières élections des maires, des conseillers généraux et régionaux, des députés et des sénateurs, un taux moyen de 50 % de nouveaux venus a été atteint, tous échelons confondus.
Enfin, il serait malhonnête de soutenir que cette règle serait un remède contre l'absentéisme des parlementaires en séance publique. Nous savons tous qu'il faut revoir l'organisation des débats et le rythme des travaux à l'intérieur des assemblées. Tant que les réunions internes se superposeront, il y aura des choix de présence à faire. Tous les textes étant examinés au moins par une commission, doivent-ils être tous, à nouveau, réétudiés en séance publique ? Là n'est pas le débat, mais cette critique de l'hémicycle déserté sous-tend néanmoins certains argumentaires favorables au non-cumul à l'extrême ; il faut donc y songer.
A l'opposé, je ne suis pas favorable à ce qu'un parlementaire soit également président d'un exécutif local. A mon sens, il n'est pas possible d'assumer les deux charges pleinement. Soit les deux sont mal remplies, soit l'une pâtit de l'attention portée à l'autre. C'est ainsi que le pouvoir politique passe aux mains de l'administration ou des cabinets.
La compétence des fonctionnaires territoriaux ou des collaborateurs n'est pas en cause, mais la frontière est mince entre délégation et substitution. Si la présence de l'élu n'est pas suffisante, une dérive s'installe. La tentation de cette substitution tient à la pérennité de la présence des administrations par rapport à la classe politique. On voit certains projets proposés inlassablement, même au niveau de l'exécutif national. On voit aussi - et nous allons bientôt être confrontés à cette situations - certains amendements rejetés sur l'avis des conseillers techniques, alors qu'une volonté politique permettrait de les accueillir.
La confusion des niveaux de responsabilité est dommageable. Finalement, qui le verdict des urnes sanctionne-t-il avec ce mode de fonctionnement ? Les engagements et les réalisations d'un homme qui a reçu un mandat représentatif ou les manifestations d'une administration à qui on laisse le champ libre ?
A contrario, pour celui qui dirige vraiment son département ou sa région, quel temps lui reste-t-il pour légiférer ? L'incroyable enchevêtrement de l'agenda parlementaire rend déjà difficile le parcours hebdomadaire pour qui n'a pas d'autre charge exécutive. Je ne vois pas comment tout concilier.
Une défiance savamment orchestrée vis-à-vis du politique a certainement creusé le fossé entre le pays et sa représentation. La société se reconnaît-elle dans ceux qu'elle élit ? Si, pour une meilleure qualité des tâches accomplies, j'estime qu'une limite de cumul est nécessaire, elle ne m'apparaît pas comme ayant une portée significative par rapport au dysfonctionnement incriminé : elle n'est qu'un des volets.
Un élu est avant tout un homme au service de ses concitoyens, qui veulent tout à la fois qu'il soit à leur inauguration et en séance, à leur côté et à Paris. La prise en compte de ces désirs ne peut se codifier ; ils sont pourtant essentiels. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

11

ÉLECTION DE JUGES
À LA HAUTE COUR DE JUSTICE

M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l'élection des douze juges titulaires à la Haute Cour de justice. :

Nombre de votants

282 Suffrages exprimés 270

Majorité absolue des suffrages 136

Ont obtenu :
M. Patrice Gélard : 243 voix ;
M. Pierre Jeambrun : 241 voix ;
M. Hubert Haenel : 239 voix ;
M. José Balarello : 236 voix ;
M. Charles de Cuttoli : 235 voix ;
M. André Diligent : 235 voix ;
M. Jean-Louis Carrère : 228 voix ;
M. Jean-Marie Poirier : 223 voix ;
M. Jacques Larché : 213 voix ;
M. Michel Duffour : 213 voix ;
M. Michel Dreyfus-Schmidt : 207 voix ;
M. Paul Masson : 204 voix ;
M. Guy Allouche : 172 voix.
MM. Patrice Gélard, Pierre Jeambrun, Hubert Haenel, José Balarello, Charles de Cuttoli, André Diligent, Jean-Louis Carrère, Jean-Marie Poirier, Jacques Larché, Michel Duffour, Michel Dreyfus-Schmidt et Paul Masson ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, je les proclame juges titulaires à la Haute Cour de justice.
Voici le résultat du scrutin pour l'élection des six juges suppléants à la Haute Cour de justice. :

Nombre de votants

281 Suffrages exprimés 268

Majorité absolue des suffrages 135

Ont obtenu :
M. Jean Faure : 254 voix ;
M. Roland Courteau : 251 voix ;
M. Jean-Marc Pastor : 251 voix ;
M. Lucien Lanier : 248 voix ;
M. Luc Dejoie : 242 voix ;
M. Hubert Falco : 241 voix.
MM. Jean Faure, Roland Courteau, Jean-Marc Pastor, Lucien Lanier, Luc Dejoie et Hubert Falco ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, je les proclame juges suppléants à la Haute Cour de justice.

12

PRESTATIONS DE SERMENT DE JUGES
À LA HAUTE COUR DE JUSTICE

M. le président. MM. les juges titulaires et MM. les juges suppléants à la Haute Cour de justice qui viennent d'être élus vont être appelés à prêter devant le Sénat le serment prévu par l'article 3 de l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice.
Je vais donner lecture de la formule du serment telle qu'elle figure dans la loi organique. Il sera procédé ensuite à l'appel nominal de MM. les juges titulaires puis de MM. les juges suppléants. Je les prie de bien vouloir se lever à l'appel de leur nom, et prononcer, en levant la main droite, les mots : « Je le jure ».
Voici la formule du serment :
« Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
(Successivement, MM. Patrice Gélard, Hubert Haenel, José Balarello, André Diligent, Jean-Marie Poirier, Jacques Larché, Michel Dreyfus-Schmidt et Paul Masson, juges titulaires, et MM. Lucien Lanier, Luc Dejoie et Hubert Falco, juges suppléants, se lèvent à l'appel de leur nom et disent, en levant la main droite : « Je le jure. »)
M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d'être prêté devant lui.
MM. Pierre Jeambrun, Charles de Cuttoli, Jean-Louis Carrère, Michel Duffour, Jean Faure, Roland Courteau et Jean-Marc Pastor, qui n'ont pu assister à la séance d'ajourd'hui, seront appelés à prêter serment devant le Sénat ultérieurement.

13

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI CONSTITUTIONNELLE

M. le président. J'ai reçu de MM. Josselin de Rohan, Jean Arthuis, Guy Cabanel et Henri de Raincourt une proposition de loi constitutionnelle relative à l'incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement avec l'exercice de toute fonction élective locale et l'exercice par délégation de ces fonctions.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le n° 35, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

14

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de Mmes Hélène Luc, Marie-Claude Beaudeau, Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, Odette Terrade, MM. Jean-Luc Bécart, Robert Bret, Michel Duffour, Guy Fischer, Thierry Foucaud, Gérard Le Cam, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Jack Ralite, Ivan Renar et Paul Vergès une proposition de loi portant création d'une délégation aux droits des femmes au Parlement.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 39, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

15

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant la décision n° 2085/97/CE établissant un programme de soutien, comprenant la traduction, dans le domaine du livre et de la lecture (programme Ariane).
- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant la décision n° 719/96/CE du 29 mars 1996 établissant un programme de soutien aux activités artistiques et culturelles de dimension européenne (programme Kaléidoscope).
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-1165 et distribuée.

16

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 1995 (n° 527, 1997-1998).
Le rapport sera imprimé sous le n° 36 et distribué.
J'ai reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 1996 (n° 528, 1997-1998).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 37 et distribué.

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DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Paul Hugot un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires culturelles sur la communication audiovisuelle.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 38 et distribué.

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ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 28 octobre 1998, à quinze heures :
1. Suite de la discussion du projet de loi organique (n° 463, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.
Rapport (n° 29, 1998-1999) de M. Jacques Larché, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble.
2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 464, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.
Rapport (n° 29, 1998-1999) de M. Jacques Larché, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale commune de ces deux projets de loi n'est plus recevable.
Aucun amendement à ces deux projets de loi n'est plus recevable.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 1995 (n° 527, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 28 octobre 1998, à dix-sept heures.
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 1996 (n° 528, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 28 octobre 1998, à dix-sept heures.
- Débat consécutif à une déclaration du Gouvernement sur la décentralisation :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 28 novembre 1998, à dix-sept heures.
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant extension de la qualification d'officier de police judiciaire au corps de maîtrise et d'application de la police nationale (n° 532, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 3 novembre 1998, à dix-sept heures.
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits (n° 530, 1997-1998) :
Délai limite pour les inscription de parole dans la discussion générale : mardi 3 novembre 1998, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 3 novembre 1998, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





LISTE DES MEMBRES
DE LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE
élus par le Sénat lors de sa séance du 27 octobre 1998

Membres titulaires. - MM. François Autain, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Jacques Hyest, Hubert Falco, Luc Dejoie, Paul Masson.
Membres suppléants. - M. Claude Saunier, Mme Josette Durrieu, MM. Jean-Marie Poirier, José Balarello, Patrice Gélard, René-Georges Laurin.

LISTE DES MEMBRES
DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE
élus par le Sénat lors de sa séance du 27 octobre 1998

Membres titulaires. - MM. Patrice Gélard, Pierre Jeambrun, Hubert Haenel, José Balarello, Charles de Cuttoli, André Diligent, Jean-Louis Carrère, Jean-Marie Poirier, Jacques Larché, Michel Duffour, Michel Dreyfus-Schmidt, Paul Masson.
Membres suppléants. - MM. Jean Faure, Roland Courteau, Jean-Marc Pastor, Lucien Lanier, Luc Dejoie, Hubert Falco.

NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES

M. Jean-Paul Hugot a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 515 (1997-1998) de M. José Balarello tendant à renforcer la protection des mineurs face aux nouvelles technologies de l'information.
M. Jean Bernadaux a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 539 (1997-1998) de MM. Yann Gaillard, Pierre Laffitte et Martial Taugourdeau, relative à la titularisation des personnels de la mission générale d'insertion de l'éducation nationale.
M. Jean-Paul Hugot a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 566 (1997-1998) de M. Charles de Cuttoli et plusieurs de ses collègues tendant à abroger le neuvième alinéa de l'article 47 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Mme Danièle Pourtaud a été nommée rapporteur de la proposition de résolution n° 541 (1997-1998) de Mme Danièle Pourtaud, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (n° E 1011).



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Participation des conseils généraux
à la préparation des contrats de plan

346. - 23 octobre 1998. - M. Alain Dufaut appelle l'attention de Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur les préoccupations exprimées par les membres de l'Union des conseillers généraux de France (UCGF) et par l'Association des présidents des conseils généraux de France (APCG) au regard de la circulaire du 31 juillet 1998 relative aux prochains contrats de plan Etat-région 2000-2006, publiée au Journal officiel du 13 septembre dernier. Il semble en effet que l'institution départementale soit largement oubliée dans le cadre de la préparation de ces contrats de plan déclinables en contrats de pays, d'agglomérations et de ville. De nombreuses initiatives sont d'ailleurs prises pour que les conseils généraux soient associés à la phase d'élaboration de ces futurs contrats de plan. D'ores et déjà, les six présidents de conseils généraux de Provence - Alpes - Côte d'Azur, toutes tendances politiques confondues, se sont récemment retrouvés à Marseille aux côtés du président de la région pour évoquer cette question et aborder de manière concertée les négociations. Compte tenu de la réussite des départements plus de quinze ans après la mise en oeuvre de la décentralisation, que ce soit notamment en terme d'action sociale ou d'aménagement du territoire, et alors même que les fréquentes études d'opinion démontrent la profonde adhésion au département des populations, en particulier dans les communes de moins de 20 000 habitants, il est permis de s'interroger sur cette absence de prise en compte des acteurs départementaux. Il semblerait préférable d'engager la décentralisation sur le chemin d'une meilleure définition des domaines de compétence respectifs des différentes collectivités locales plutôt que de prendre le risque de créer d'autres niveaux d'administration locale du territoire ou de remettre en cause le principe de libre initiative des collectivités en faveur d'un regroupement. Aussi, il souhaiterait connaître, de manière plus précise, les intentions réelles du Gouvernement en la matière et savoir si des mesures seront mises en oeuvre afin que les départements soient associés à la préparation de ces contrats de plan en tant que partenaires à part entière et pas seulement comme des commanditaires financiers.

Problèmes d'aménagement du pont de Rouen à Nanterre

347. - 22 octobre 1998. - M. Michel Duffour attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur les problèmes posés par le pont de Rouen à Nanterre. Cet axe est un goulet d'étranglement et un « point noir » de la circulation dans le nord des Hauts-de-Seine. Malgré les protestations de la municipalité de Nanterre et des différentes associations de défense des riverains et de l'environnement, les projets routiers qui se sont succédé depuis 1988 ont ignoré les problèmes du pont de Rouen. L'emprise de l'A 86 l'occupe quasi entièrement. Cette situation crée, outre les nuisances sonores et la pollution, l'impossibilité d'une desserte locale entre le quartier du « petit Nanterre » et le reste de la ville, et de grandes difficultés pour les circulations piétonne et cycliste. Par ailleurs, le tramway T 1 de Saint-Denis à Nanterre est annoncé comme étant inscrit dans les priorités des années 2000. C'est pourquoi il lui demande quels sont les types d'aménagements prévus afin d'organiser, de la façon la plus urbaine et la plus viable, le passage du T 1 et de l'A 86 au niveau du pont de Rouen.

Vacances de postes de greffiers en chef
dans le ressort du tribunal de grande instance de Périgueux

348. - 27 octobre 1998. - M. Xavier Darcos attire l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la vacance de trois des six postes de greffiers en chef sur l'ensemble du ressort du tribunal de grande instance de Périgueux. Ces vacances de postes pour une durée indéterminée affectent les tribunaux d'instance de Ribérac, Nontron et le tribunal de grande instance de Périgueux. Elles entraînent une désorganisation constante de travail au sein de cette juridiction et, par voie de conséquence, pénalisent le fonctionnement du service judiciaire. Il n'ignore pas que la question prévisionnelle des greffes des tribunaux fait partie des priorités de son action. Par ailleurs, les dispositions de la loi n° 95-125 du 6 janvier 1995, en opérant certains transferts de compétences des magistrats aux greffiers en chefs, ont soulevé la possibilité d'envisager de déléguer aux greffiers les missions dévolues aux greffiers en chef. Néanmoins, s'agissant des greffes du ressort du tribunal de grande instance de Périgueux, il convient de souligner que ces greffes sont déjà surchargés. Le greffier en chef du tribunal de grande instance de Périgueux, qui actuellement n'a pas d'ajoint, a en charge une cellule budgétaire importante, et le greffier en chef du tribunal d'instance de cette même ville doit assumer la lourde gestion des demandes de nationalité. En conséquence, il souhaite que la situation spécifique de la circonscription judiciaire du tribunal de grande instance de Périgueux soit examinée de toute urgence en liaison avec la sous-direction des greffes du ministère de la justice, afin qu'une solution aussi satisfaisante que possible soit apportée aux vacances qui lui sont signalées.

Fermetures de gendarmeries en zones rurales

349. - 27 octobre 1998. - M. Yves de Rispat attire l'attention de M. le ministre de la défense sur les fermetures de brigades de gendarmerie en zones rurales. Il lui rappelle que depuis plus de deux mois, de nombreux départements sont agités par les annonces, à répétition, de suppressions de brigades de gendarmerie. A titre d'exemple, pour le département du Gers, ce sont six brigades en juillet, puis quatre autres aujourd'hui, qui sont menacées. Alors que les départements ruraux font des efforts financiers énormes pour soutenir la présence des services publics, alors que nombreux sont ceux qui prônent une politique harmonieuse et solidaire d'aménagement du territoire, il est décidé unilatéralement, sous prétexte d'une évaluation de la déliquance apparemment plus faible en milieu rural, de retirer de territoires entiers l'une des institutions les plus populaires aux yeux des Français : leurs gendarmeries. Il souligne que garants intangibles de l'ordre républicain, assurant à tous, et en particulier aux plus faibles d'entre nous, le droit imprescriptible à la sécurité, les gendarmes ont un rôle prépondérant et rassurant dans la vie quotidienne de nos populations des zones rurales. En conséquence, sans nier l'effort nécessaire de sécurité à réaliser vers les grands centres urbains, il lui demande de bien vouloir reprendre ce projet et d'engager une plus large consultation avec l'ensemble des élus et socioprofessionnels concernés, en tenant compte non seulement de la gendarmerie mais aussi du maintien et de l'implantation des autres services publics en milieu rural.