Séance du 29 juin 1998
CONTRÔLE DE L'OBLIGATION SCOLAIRE
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 504,
1997-1998) de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la commission des affaires
culturelles sur la proposition de loi (n° 391, 1996-1997) de M. Serge Mathieu
relative à l'obligation de scolarité, et la proposition de loi (n° 260,
1997-1998) de M. Nicolas About tendant à renforcer le contrôle de l'obligation
scolaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, les deux propositions de
loi déposées par nos deux excellents collègues, M. Serge Mathieu et M. Nicolas
About, s'inspirent du même souci, celui de renforcer le contrôle de
l'obligation scolaire lorsque l'instruction est assurée au sein de la famille
ou dans un établissement d'enseignement privé hors contrat et, plus
particulièrement, de protéger les enfants mineurs des sectes en leur assurant
une véritable instruction.
Comme vous le savez, et des affaires récentes en portent dramatiquement
témoignage, ces enfants sont fréquemment menacés dans leur santé physique et
mentale. Ils sont aussi soumis à une propagande parfois intensive qui s'oppose
à leur intégration ultérieure dans la société.
Pour le moins, l'instruction qui leur est dispensée devrait répondre aux
normes minimales d'enseignement qui sont consacrées par la Convention nationale
des droits de l'enfant du 20 novembre 1989.
A titre liminaire, je préciserai qu'il ne s'agit pas pour nous de légiférer ce
soir pour interdire ou limiter l'activité des sectes. Celles-ci ne sont en
effet, et on peut le regretter, ni définies ni interdites par notre droit. Il
s'agit plus modestement, pour la commission des affaires culturelles, de tenter
de réduire les formes de marginalisation des familles, que celles-ci soient
sectaires ou non, qui privent leurs enfants de l'instruction obligatoire et qui
hypothèquent leur avenir.
Sur le plan de la méthode et s'agissant d'un sujet aussi délicat qui touche
aux grands principes fondant notre système éducatif, j'ai souhaité recueillir
l'avis de personnalités autorisées, qu'il s'agisse de représentants de
l'enseignement catholique, de parents d'élèves de l'enseignement privé, de
responsables de l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, de
membres des associations de défense contre les sectes et de responsables de la
cellule chargée de la lutte contre les sectes au ministère de l'éducation
nationale.
Que m'ont-elles appris ou confirmé ?
D'abord, le phénomène sectaire est encore peu répandu dans l'enseignement
public ou privé sous contrat, quoique les sectes tendent à se développer de
manière insidieuse et inquiétante dans tous les types d'enseignement.
Ensuite, ces représentants de l'enseignement privé ne sont pas hostiles à un
renforcement du contrôle de l'Etat sur les établissements hors contrat, qui
peuvent aussi, nous le savons bien, recouvrir des activités de nature
sectaire.
Enfin, tout aménagement du cadre législatif de l'instruction obligatoire doit
nécessairement respecter le principe de la liberté de l'enseignement et
l'équilibre des rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement
privé.
Quelle est la population d'âge scolaire concernée par cette proposition de loi
?
D'après la dernière enquête menée par l'éducation nationale, quelque 6000
enfants se trouvaient en dehors de ce que l'on peut appeler l'école
républicaine.
Sur 2 300 enfants instruits au sein de leur famille, plus de 1000 le seraient
dans une famille appartenant à une secte.
En outre, 3 600 enfants seraient scolarisés dans des écoles soupçonnées
d'entretenir des liens avec une secte. J'ajoute que plusieurs centaines
d'enfants bénéficiant de l'enseignement à distance sont inscrits au Centre
national d'enseignement à distance, le CNED, pour des raisons dites
religieuses, mais en fait dictées par un comportement sectaire.
Enfin, j'indiquerai que 30 000 à 40 000 enfants de familles membres des
Témoins de Jéhovah sont scolarisés dans des établissements relevant de
l'éducation nationale et reçoivent en fait une double « éducation ».
Cinq mille à six mille enfants concernés par le phénomène sectaire, c'est à la
fois beaucoup et peu. Peu si l'on se réfère à l'ensemble des enfants
scolarisés, en particulier dans le primaire. Beaucoup, car s'il n'y en avait
même qu'un seul, ce serait déjà trop dans la mesure où l'avenir de cet enfant,
son intégration sociale seraient sérieusement hypothéqués.
Cette situation nous invite donc à adopter une attitude réaliste écartant à la
fois la dramatisation, qui viserait à voir des phénomènes sectaires partout au
sein de notre système éducatif, mais aussi le laxisme.
C'est la raison pour laquelle le texte que j'ai l'honneur de rapporter est, de
toute évidence, modeste et limité, quoique, je le pense, réaliste et
applicable.
Comment l'éducation nationale a-t-elle réagi au développement du phénomène
sectaire ?
Elle a d'abord créé une cellule chargée des relations avec l'observatoire
interministériel sur les sectes et a engagé une politique de formation des
personnels concernés, qu'il s'agisse des corps d'inspection, des chefs
d'établissement, des conseillers d'éducation, des documentalistes et des
infirmières.
Elle a ensuite instauré une politique de prévention du phénomène sectaire dans
l'ensemble des établissements et mis en place un dispositif de surveillance
pour les établissements hors contrat et les associations de type périscolaire :
cette politique devra être développée et, à moyen terme, tous les personnels de
l'éducation devront être sensibilisés au problème des sectes.
Au-delà de ces efforts de sensibilisation, l'heure est venue de procéder à un
aménagement des textes régissant l'instruction obligatoire : ce besoin est
ressenti par les corps d'inspection et les magistrats confrontés au phénomène
sectaire.
Je crois que vous partagez notre souhait, madame la ministre.
Mais nous devons agir avec précaution, car il s'agit de textes vénérables ou à
forte dimension symbolique.
Comme vous le savez, en effet, notre système scolaire reste régi par les lois
Ferry, qu'il s'agisse de la gratuité et de la laïcité de l'enseignement, mais
aussi de l'instruction obligatoire, qui a pour corollaire la liberté de
l'enseignement.
Je me bornerai à rappeler que la loi Ferry du 28 mars 1882 a instauré
l'instruction obligatoire pour tous les enfants âgés de six à treize ans, son
terme ayant été porté à quatorze ans par la loi du 9 août 1936 et à seize ans
par l'ordonnance du 6 janvier 1959.
Cette instruction obligatoire peut être dispensée soit dans les écoles ou les
établissements publics ou privés, soit dans les familles. Son contrôle est
assuré, dans ce dernier cas, par une déclaration des enfants en mairie, par une
enquête sociale périodique diligentée par le maire et par une vérification
éventuelle de l'acquisition des notions élementaires de lecture, d'écriture et
de calcul décidée par l'inspecteur d'académie.
Il convient également de rappeler que l'obligation scolaire n'a pas été
aisément acceptée par certains tenants de la tradition qui voyaient là une
atteinte à la liberté de conscience et d'enseignement.
Lors de la séance publique du 3 juin 1881, notre ancien collègue, le sénateur
inamovible Hippolyte-Louis de Lorgeril, répondait à Jules Ferry : « Avec le
projet du gouvernement... vous enlevez l'enfant à ses gardiens les plus
affectueux et les plus dévoués, et vous le livrez aux mains souvent
indifférentes d'un maître d'école. »
Il ajoutait que ce projet « ne servira... qu'à donner le goût de la
fainéantise aux enfants éloignés pendant sept ans des travaux agricoles, tandis
que, sous les yeux de leurs parents, ils seraient devenus des hommes laborieux,
actifs et utiles à la société. »
Le sénateur de la Corrèze, Guy Lafond de Saint-Mür, se montrait, en revanche,
favorable à l'instruction obligatoire et déclarait : « Au droit de l'enfant, au
droit de la société, au droit du suffrage universel, on viendrait opposer un
prétendu droit du père de famille ; on violerait sa liberté ? Quelle liberté ?
Celle de laisser son enfant sans lumière et, par suite, frappé d'infériorité,
voué peut-être à la misère, à l'immoralité ? »
Ce court florilège, qui porte la marque d'une France encore très largement
rurale et agricole, témoigne de l'évolution et de la contingence des
opinions.
S'agissant de l'obligation scolaire, j'ajouterai que l'article 35 de la loi
Goblet de 1886 et l'article 2 de la loi Debré du 31 décembre 1959 font encore
obstacle à tout contrôle de l'instruction donnée dans les établissements hors
contrat.
Enfin, j'indiquerai que les sanctions prévues en cas de manquement à
l'obligation scolaire, quelle que soit leur gravité, sont peu dissuasives,
puisqu'il s'agit de contraventions de deuxième classe et qu'elles n'ont
quasiment jamais été appliquées.
Prenant acte d'une législation lacunaire, inadaptée et peu dissuasive, les
auteurs des deux propositions de loi suggèrent d'apporter des aménagements
substantiels aux modalités de l'obligation scolaire.
Afin de répondre au développement inquiétant du phénomène sectaire, notre
collègue M. Serge Mathieu propose de supprimer la possibilité d'instruire les
enfants au sein de la famille. Une telle proposition serait assurément la plus
efficace ; mais elle risque d'être jugée contraire au principe de la liberté de
l'enseignement et de poser le problème de l'instruction de certains enfants
malades, handicapés ou vivant dans des familles itinérantes ou expatriées.
La proposition de notre collègue M. Nicolas About tend, d'abord, à renforcer
le contrôle de l'obligation scolaire, que l'instruction soit dispensée dans la
famille ou dans un établissement hors contrat. Ce contrôle prendrait la forme
d'un examen annuel portant sur les programmes officiels et serait organisé dans
un établissement d'enseignement public pour éviter tout risque de pression.
Elle vise, ensuite, à renforcer les sanctions prévues en cas de manquements à
l'obligation scolaire, quelle que soit leur gravité, en portant celles-ci à
trois ans d'emprisonnement et à 300 000 francs d'amende.
Enfin, elle a pour objet, afin de contenir le prosélytisme sectaire, de
réprimer le démarchage à domicile des mineurs et d'instituer une réglementation
générale de la distribution de tracts sur la voie publique par ces derniers.
Si la commission a estimé que le principe d'une aggravation des sanctions
était fondé, elle exprime cependant la crainte que le dispositif répressif
proposé n'apparaisse quelque peu excessif et, par là même, difficile à
appliquer.
Avant d'exposer les conclusions de la commission, je souhaiterais préciser
qu'elle partage pleinement le souci des auteurs des deux propositions de
loi.
Mon rôle de rapporteur est cependant de rappeler que le renforcement du
contrôle des connaissances de l'enfant soumis à l'obligation scolaire doit
respecter le principe de la liberté de l'enseignement, donc le libre choix des
programmes et des méthodes pédagogiques par les familles et les établissements
hors contrat.
La commission vous proposera, en conséquence, d'instaurer un contrôle annuel
systématique sur tous les enfants instruits dans leur famille et de prévoir un
contrôle facultatif, dont l'opportunité serait appréciée par l'inspecteur
d'académie, sur l'enseignement dispensé dans les classes hors contrat des
établissements privés.
Ce contrôle porterait, d'une part, sur les connaissances de base requises des
élèves au titre de l'article 2 de l'ordonnance du 6 janvier 1959 et, d'autre
part, sur les conditions dans lesquelles les enfants peuvent accéder au droit à
l'éducation telles que celles-ci sont définies à l'article 1er de la loi
d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989.
Ce contrôle se déroulerait, selon les cas, au sein de la famille ou de
l'établissement concerné.
Il permettrait d'évaluer régulièrement les connaissances scolaires de l'enfant
et de s'assurer que celui-ci n'est pas soumis à des pressions de type sectaire
qui hypothéqueraient le développement de sa personnalité.
En fonction de ces orientations, la commission vous proposera d'adopter quatre
articles.
L'article 1er tendrait à modifier l'article 16 de la loi du 28 mars 1982 afin
de renforcer le contrôle de l'instruction assurée dans la famille.
Cet aménagement permettrait d'abord d'intensifier l'enquête sociale sommaire
effectuée par la mairie auprès des familles et d'instituer un contrôle annuel
systématique de tous les enfants instruits dans leur famille. Ce contrôle
porterait sur le niveau de leurs connaissances et sur les conditions de leur
épanouissement personnel et social.
L'article 2 tendrait à modifier l'article 2 de la loi du 31 décembre 1959 afin
d'autoriser une évaluation éventuelle de l'enseignement dispensé dans les
classes hors contrat des établissements privés.
Il aurait donc pour objet d'inclure l'instruction obligatoire dans le champ du
contrôle exercé par l'Etat sur les établissements privés hors contrat et
d'autoriser les autorités académiques à saisir le juge pénal de manquements
répétés à l'instruction obligatoire.
Les articles 9 et 35 de la loi Goblet du 30 octobre 1886 sur l'organisation de
l'enseignement primaire, qui définissent les limites de l'autonomie des écoles
privées, seraient modifiés en conséquence.
L'article 3, relatif aux manquements les plus graves à l'instruction
obligatoire, permettrait d'incriminer et de punir de six mois d'emprisonnement
et de 50 000 francs d'amende le refus délibéré et répété des parents d'inscrire
leur enfant dans un établissement scolaire, ainsi que le fait, pour le
directeur d'un établissement privé comportant des classes hors contrat, de
continuer à dispenser un enseignement non conforme à l'objet de l'instruction
obligatoire en dépit des mises en demeure de l'inspecteur d'académie.
Enfin, l'article 4, qui vise les autres manquements à l'obligation scolaire,
préciserait que la non-déclaration en mairie de l'enfant instruit dans sa
famille ou scolarisé dans un établissement hors contrat serait punie d'une
amende de 10 000 francs. Quant à l'absentéisme scolaire répété, il serait puni
d'une amende de 1 000 francs et de 10 000 francs en cas de récidive.
Sous réserve de ces observations, la commission vous demande d'adopter la
proposition de loi dans le texte résultant de ses conclusions.
Mes chers collègues, je voudrais maintenant remercier, en votre nom, les
services qui se sont beaucoup impliqués dans le temps très bref dont ils ont
disposé, ainsi que ceux de votre ministère, madame la ministre, qui m'ont
permis d'étayer mon jugement.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi adoptée par
la commission des affaires culturelles de votre assemblée tendant à renforcer
le contrôle de l'obligation scolaire est une bonne initiative, qui fait suite à
celles de MM. About et Mathieu, lesquels ont manifesté leur volonté de voir le
Parlement légiférer sur une matière fondamentale.
Je me félicite du travail d'approfondissement effectué par votre commission,
sous la conduite de son président, M. Gouteyron, et de son rapporteur, M.
Carle. Elle a pu bénéficier du concours actif des services du ministère de
l'éducation nationale, qui travaillaient, à ma demande, à un projet de loi
allant dans le même sens.
Je suis heureuse de pouvoir aujourd'hui soutenir une proposition de loi
sénatoriale.
Sur le fond, il est bien clair que l'obligation scolaire est une ardente
nécessité. A l'heure où, comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur,
plusieurs milliers d'enfants sont privés du droit élémentaire à l'instruction,
il est nécessaire que la loi en garantisse l'accès à tous les enfants en âge
scolaire.
L'école est le creuset de la citoyenneté : elle participe, par destination, à
la construction d'une société ouverte, où les enfants apprennent que les
citoyens reconnaissent l'autorité des lois de la République, et non plus le
pouvoir absolu d'un individu, d'un groupe ou d'une caste.
Dès lors, la scolarisation des enfants au sein d'institutions qui les
préparent à l'exercice actif de cette citoyenneté, qui leur apprennent en même
temps le respect des différences et le sens de l'égalité est un droit
fondamental de la personne humaine.
L'école est le lieu où l'enfant apprend, comprend, découvre.
C'est aussi l'endroit où il se confronte à l'autre et apprend à vivre avec
lui.
Tel est le sens profond de l'obligation scolaire : garantir à chaque enfant
les conditions d'un développement autonome de ses facultés, de son
intelligence, autrement dit le préparer à l'exercice actif d'une citoyenneté
responsable, par l'instruction, bien sûr, mais aussi en assurant véritablement
son insertion dans la vie civique.
C'est pourquoi il convient d'assurer à chaque enfant des conditions
d'éducation à la hauteur de ce que chaque être humain aspire à devenir.
L'éducation des enfants a toujours été une responsabilité partagée et la
liberté de conscience implique la liberté d'instruction. Toutefois, la liberté
n'est pas et n'a jamais été l'absence de loi. Le devoir de protéger l'enfant
est une obligation morale qui s'adresse à chacun de nous, et c'est un devoir
collectif.
Alors même que s'exprime le besoin d'un retour de l'éthique et d'un
resserrement du lien social autour de valeurs communes, il convient
aujourd'hui, à l'heure où le désarroi moral fait parfois le lit du fanatisme et
du sectarisme, de protéger l'enfant contre les conséquences de ces dérives.
Conformément à l'esprit de la convention internationale des droits de
l'enfant, l'Etat a le devoir de prendre les mesures qui s'imposent pour assurer
cette protection. Celle-ci est d'ailleurs inscrite dans le préambule de la
Constitution de 1946.
Nous devons donc non seulement encourager la fréquentation scolaire, mais
aussi veiller à ce que, au nom d'une liberté défigurée, les principes
fondamentaux de l'éducation due aux enfants ne se trouvent pas dévoyés par une
instruction sommaire, voire sectaire.
Dès lors, afin de donner à cette proposition de loi toute sa force, il
m'apparaît nécessaire de l'accompagner en affirmant, sous forme de préambule,
deux principes fondamentaux.
Le premier a trait au droit de chaque enfant à bénéficier d'une instruction,
conformément au préambule de la Constitution de 1946, qui garantit l'égal accès
de l'enfant et de l'adulte à l'instruction.
Le second consiste à proclamer la nécessité d'assurer prioritairement
l'instruction au sein des établissements d'enseignement.
S'agissant, tout d'abord, du droit de l'enfant à l'instruction, je veux
rappeler à mon tour, après M. le rapporteur, que plusieurs milliers d'enfants
échappent chaque année à l'école de la République.
Bien souvent, au nom de l'instruction dans la famille, ces enfants sont
maintenus dans un état d'inculture, d'ignorance, ou, pis encore, embrigadés,
aliénés, maltraités.
Des gourous affirment la nécessité de l'éveil de l'enfant aux plaisirs pour
mieux en abuser. D'autres les privent de leur autonomie pour mieux les asservir
ou les dominer. D'autres, enfin, n'hésitent pas à conduire des enfants jusqu'au
sacrifice de leur vie.
Dans les milieux intégristes ou obscurantistes, on s'oppose, par exemple, à la
scolarisation des filles.
Cette réalité n'est pas tolérable. Il nous appartient de rappeler, en nous
appuyant sur les fortes exigences de la convention internationale des droits de
l'enfant, ratifiée par la France en 1991 - et qui affirme en son article 28 que
tous les Etats signataires reconnaissent le droit de l'enfant à une éducation
de nature à favoriser l'épanouissement de sa personnalité - le droit de
l'enfant à l'instruction en reprenant la définition qui en est donnée à la fois
par l'ordonnance du 6 janvier 1959 et par la loi d'orientation du 10 juillet
1989.
C'est ainsi que je vous proposerai, dans un amendement, d'affirmer
solennellement ce droit simple, mais clair et précis, de l'enfant à
l'instruction.
En outre, cet amendement donne au contrôle prévu dans la proposition de loi
son véritable sens. En effet, il est toujours facile de démontrer qu'un enfant
sait lire, écrire et compter. En revanche, il sera beaucoup plus difficile de
déjouer un contrôle quand il s'agira d'évaluer non seulement les connaissances
de l'enfant, mais aussi, comme le prévoient l'ordonnance de 1959 et la loi de
1989, l'épanouissement de sa personnalité, les conditions d'acquisition de son
autonomie, son ouverture sur le monde qui l'entoure et dans lequel il doit
trouver sa place de citoyen libre.
Par ailleurs, il me semble nécessaire d'affirmer que cette instruction doit
être prioritairement assurée dans les établissements d'enseignement.
S'il est clair, comme le souligne avec justesse M. le rapporteur, que
l'instruction dans la famille recouvre, dans un certain nombre de cas, des
réalités dramatiques, s'agissant d'enfants malades ou lourdement handicapés, je
crois néanmoins qu'il nous appartient d'affirmer la priorité que nous entendons
donner à l'instruction dans les établissements d'enseignement.
Il serait en effet incompréhensible, en cette fin de xxe siècle où
l'obligation scolaire est une formidable conquête, enviée dans bien des pays du
monde, de ne pas affirmer le rôle de l'école.
La liberté des choix doit être préservée, bien sûr, mais elle ne signifie pas
pour autant que tous ces choix sont équivalents ou doivent se faire au
détriment de l'intérêt de l'enfant. Il nous appartient d'affirmer cette
évidence, qui ne peut échapper à aucun parent, dans la loi que nous élaborons
ensemble.
Si, au xixe siècle, était prévue la possibilité d'instruction dans les
familles, c'est parce que le réseau d'écoles que nous avons aujourd'hui
n'existait pas.
Il ne faut donc plus permettre que cette possibilité offerte par la loi soit
détournée de son objet ou utilisée pour mettre en péril le droit de l'enfant à
l'instruction.
Certes, j'ai vu que, lors des débats en commission, avait été avancée l'idée
selon laquelle le développement des nouvelles technologies et la montée de la
violence dans les établissements scolaires risquaient de conduire à un
développement de l'instruction dans la famille et qu'il ne fallait donc pas en
restreindre la possibilité.
Il s'agit ici non de restreindre cette possibilité mais de veiller à ce
qu'elle ne se retourne pas contre les enfants ou qu'elle ne soit pas finalement
dans les faits une violation de la loi.
Il ne faut pas que la présente loi ait un effet contraire à celui qui est
recherché et que, en réglementant la scolarisation dans la famille, celle-ci se
trouve banalisée, voire encouragée, ou même encore utilisée par les sectes, qui
trouveraient là un moyen de contourner la loi. Précisément, une telle évolution
ne doit à aucun prix être favorisée par la loi.
A cet égard, je ferai d'abord observer que la montée de la violence, notamment
à l'école, ne saurait être considérée comme une fatalité. Il nous faut lutter
contre elle et reconquérir la paix dans les établissements scolaires.
Je dirai également que les nouvelles technologies constituent un outil et non
une finalité en soi. Dès lors, la maîtrise de tous les professeurs chargés de
l'apprentissage de l'informatique, qui permet de stocker, de mettre en valeur
les différents aspects des civilisations et qui constitue un instrument
nécessaire pour l'école, ne peut en aucun cas être remplacée.
S'agissant maintenant de l'architecture globale de la proposition de loi, elle
me paraît pleinement satisfaisante, même s'il est possible ici et là de
renforcer la cohérence du dispositif.
Par exemple, si l'on veut donner à l'enquête du maire et à celle, subséquente,
de l'inspecteur d'académie une pleine efficacité par la détection rapide des
anomalies dans l'instruction de l'enfant, il convient d'imposer une déclaration
d'instruction dans la famille à chaque rentrée scolaire comme en cas de
changement d'instruction en cours d'année, et non une seule fois.
Cette déclaration annuelle dès l'âge de six ans, couplée avec le contrôle
opéré au moins une fois par an par l'inspecteur d'académie, assurerait au
dispositif une parfaite lisibilité : la famille déclare ; le maire enquête ;
l'inspecteur d'académie contrôle ; le procureur de la République poursuit en
justice en cas de manquement. Ainsi - et c'est l'objet du cinquième amendement
que je vous soumettrai tout à l'heure - ce contrôle doit avoir lieu rapidement
et fréquemment, c'est-à-dire « au moins une fois par an », et il doit porter
sur le respect du droit de l'enfant à l'instruction.
Je vous proposerai, dans le même esprit, de supprimer le quatrième alinéa de
l'article 1er, qui entend préciser que le contrôle opéré par l'inspecteur
d'académie a lieu au domicile des parents de l'enfant. En effet, l'instruction
peut parfaitement avoir pour cadre un autre bâtiment, une autre famille, un
autre lieu.
Par ailleurs, je souscris pleinement au contrôle sur les conditions dans
lesquelles l'enseignement est assuré dans les établissements hors contrat.
Surtout, j'adhère sans réserve au dispositif pénal proposé.
Il m'apparaît, en effet, particulièrement judicieux d'insérer ces infractions
à l'obligation scolaire dans la section du code pénal relative à la « mise en
péril des mineurs ».
Certains auraient pu penser qu'il existait un oubli dans la proposition de loi
puisque vous n'avez pas prévu de délit spécifique concernant la privation, par
les personnes responsables de l'enfant, de toute instruction. En réalité, cette
situation est parfaitement prévue par l'actuel article 227-17 du code pénal,
qui stipule que « le fait, par le père ou la mère légitime, naturel ou adoptif,
de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de
compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son
enfant mineur est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 francs
d'amende ».
La prise en compte de l'échelle des peines me paraît pleinement assurée et je
me réjouis que puissent être sanctionnés ceux qui, à dessein, violent les
dispositions relatives à l'obligation scolaire.
En conclusion, je voudrais souligner que la scolarisation des enfants doit
être la règle parce que la personne humaine exige, pour s'élever à sa dignité,
d'être éduquée à la citoyenneté, de connaître et de rencontrer l'autre dans sa
différence et dans son égalité dès le plus jeune âge, d'accéder au savoir et à
la connaissance pour résister à l'obscurantisme.
Interdire à l'enfant cette expérience fondamentale, c'est l'exclure de
l'humanité, c'est le soumettre aux hasards des influences, c'est le rendre plus
vulnérable en le faisant moins libre. C'est pourquoi nous devons légiférer en
la matière et, je l'espère, au-delà de tous les clivages politiques.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi
tout d'abord de remercier M. Jean-Claude Carle de son excellent rapport, qui
nous donne aujourd'hui l'occasion d'aborder le douloureux problème des enfants
hébergés au sein d'une secte.
Je me réjouis de voir le Sénat prendre à bras-le-corps une question aussi
cruciale. De nombreuses initiatives ont été prises dans ce domaine au cours des
derniers mois, mais bien peu ont abouti à ce jour.
Je citerai, pour mémoire, le rapport remis au Premier ministre par
l'Observatoire interministériel sur les sectes, resté lettre morte, ainsi que
le rapport de M. Picard, fait au nom de la commission des affaires culturelles,
sociales et familiales de l'Assemblée nationale, qui n'a malheureusement pas
donné suite au projet de création d'une commission d'enquête sur la situation
sanitaire et éducative de ces enfants.
Je me permettrai d'évoquer aussi la proposition de loi n° 414, que j'ai
déposée, tendant à renforcer le dispositif pénal à l'encontre des associations
et groupements à caractère sectaire.
Aujourd'hui, il est urgent d'agir. Trop d'enfants ont déjà fait les frais des
agissements criminels des sectes. Nous gardons tous en mémoire la mort
accidentelle, l'an dernier, dans la Drôme, d'un bébé de dix-neuf mois qui avait
été privé de soins. Et comment oublier la disparition tragique d'une dizaine
d'enfants, lors des suicides collectifs de l'Ordre du temple solaire, en
France, en Suisse et au Canada ?
Le propre des sectes est la recherche de l'argent et du pouvoir. Non contentes
de déposséder les adultes de leurs biens, elles cherchent à étendre leur
pouvoir sur les esprits les plus faibles. Bien entendu, les enfants constituent
pour elles une cible privilégiée.
Nous le savons, la violence des adultes peut s'exercer sur le corps de
l'enfant et mettre en danger son intégrité physique. Beaucoup d'enfants vivant
dans les sectes font l'objet de sévices corporels : malnutrition, privation de
sommeil et de soins, défaut de vaccinations, brimades, attouchements
sexuels.
Mais la violence la plus destructive n'est-elle pas celle qui s'exerce sur
l'esprit des enfants ? En coupant l'enfant du monde extérieur, les sectes le
privent d'une ouverture sur les autres indispensable à son épanouissement.
Privé d'école, l'enfant qui vit dans une secte est soumis à un enseignement
dogmatique. Bien souvent, il vit dans un monde irréel, aberrant, où seule la
pensée de la secte est de mise, distillée par de pseudo-éducateurs qui
entretiennent chez lui la peur du monde extérieur, dont ils lui offrent une
vision diabolisée et cataclysmique.
C'est pourquoi veiller à l'acquisition des normes minimales de connaissances
ne me paraît pas suffisant lorsqu'il s'agit de contrôler l'enseignement
dispensé au sein des sectes. Il faut aussi s'assurer qu'aucun de ces enfants
n'accuse le moindre retard de scolarité qui serait irréversible et qui
compromettrait ses chances de réintégrer avec succès le circuit scolaire
classique.
L'école est bien souvent, pour ces enfants, le seul espoir d'échapper à la
mainmise de la secte. Un simple décalage avec le niveau scolaire normal peut
devenir pour eux un facteur d'isolement supplémentaire, une entrave lors de
leurs choix professionnels futurs.
Dès lors, il est indispensable d'élargir le contenu éducatif que l'on exige
des parents qui ont fait le choix d'instruire leurs enfants. Au-delà des
notions élémentaires de lecture, d'écriture et de calcul, il faut garantir à
tous les enfants le droit à l'épanouissement, à la socialisation et à la
citoyenneté.
Je souhaite que ces grands principes d'éducation trouvent aujourd'hui force de
loi et fassent l'objet d'un contrôle aussi strict que celui qui porte sur les
savoirs fondamentaux.
N'oublions pas que l'école joue traditionnellement un rôle de dépistage en
matière de maltraitance. Dans la mesure où la loi française garantit aux
parents la liberté d'éduquer comme ils le souhaitent leur enfant, nous devons
faire preuve d'une vigilance accrue à l'égard des enfants qui échappent au
système scolaire.
Je trouve particulièrement choquantes les nombreuses lacunes qui caractérisent
notre système de contrôle de l'obligation scolaire, et au premier chef
l'absence de statistiques fiables qui prévaut depuis toujours au sein de
l'éducation nationale.
Il est stupéfiant, en effet, de constater que le nombre d'enfants non
scolarisés fait l'objet d'autant d'approximations : il serait de 20 000 selon
le département des études et de la prospective. Mais quelle est au juste la
proportion d'enfants qui ne sont pas scolarisés pour des raisons de santé ou de
handicap, pour des raisons d'éloignement, leurs parents étant expatriés ou
exerçant des professions itinérantes, ou encore pour des raisons pédagogiques,
et quelle est la proportion de ceux qui vivent au sein de sectes ?
Par recoupement de plusieurs sources, notre excellent rapporteur avance le
chiffre de 4 600 enfants instruits au sein de familles ou d'établissements
relevant de sectes. Mais combien d'enfants échappent à ces statistiques, faute
d'avoir été déclarés en mairie par leurs parents ? Je rappelle, pour mémoire,
que l'an dernier, dans la Drôme, seuls vingt-deux enfants en âge d'être
scolarisés avaient été déclarés en mairie sur les soixante-dix-neuf qui furent
en réalité découverts, et ce malgré les enquêtes successives de l'inspection
académique.
Le manque de fiabilité de ces statistiques est le signe patent des difficultés
que rencontrent les autorités administratives pour détecter ces enfants. La
difficulté du constat est aussi révélatrice de la carence de nos moyens.
Je commencerai, tout d'abord, par les maires. La loi Ferry de 1882 impose aux
maires de dresser chaque année la liste des enfants en âge d'être scolarisés
sur le territoire de leur commune. Combien de maires le font aujourd'hui ? Et
pourtant, les parents qui souhaiteraient instruire eux-mêmes leurs enfants sont
tenus d'en faire la déclaration en mairie, quinze jours avant la rentrée. Cette
déclaration les soumettra théoriquement au contrôle régulier de l'inspection
académique et surtout leur ouvre le droit aux allocations familiales.
Or, de nombreux parents vivant au sein des sectes préfèrent renoncer aux
allocations familiales plutôt que d'être soumis au contrôle de l'inspection
académique. Ils omettent délibérément de déclarer leur enfant en mairie. Les
maires n'ont alors plus aucun moyen de connaître l'existence de ces enfants et
de diligenter auprès d'eux des enquêteurs sociaux.
Notons enfin, comme un clin d'oeil, les difficultés des maires et des
inspecteurs d'académie pour obtenir les listes exactes des enfants présents
dans nos écoles, des enfants fictifs comptabilisés pour obtenir des créations
de postes, des enfants absents ou de ceux qui ont déménagé.
Après avoir parlé des maires, passons aux autorités académiques. Lorsque les
enfants ont été déclarés en mairie, le maire a la possibilité de mener une
enquête sommaire au sein de la famille et d'alerter l'inspecteur d'académie
s'il juge nécessaire une enquête plus approfondie. Ce dernier ne pourra prendre
des mesures à l'encontre des parents que s'il se trouve en présence
d'illettrés.
Outre ce critère d'appréciation, qui semble aujourd'hui bien faible au regard
des exigences de la vie moderne, l'inspecteur d'académie ne dispose d'aucun
moyen juridique pour sanctionner les parents qui, malgré ses avertissements,
refuseraient d'améliorer le niveau de leur enfant.
Par ailleurs, nombre d'inspecteurs se plaignent de ne pas être suffisamment
informés et de ne pas disposer des moyens nécessaires pour mener ces enquêtes
éducatives, y compris dans les établissements privés hors contrat gérés par des
sectes.
Le renforcement des sanctions pénales à l'encontre des parents et des chefs
d'établissement qui refuseraient d'améliorer leur enseignement est donc
indispensable, mais encore faut-il que ces sanctions pénales soient appliquées
et j'aimerais être certain que les autorités académiques iront jusqu'au bout de
ces contrôles.
La commission des affaires culturelles du Sénat a souhaité ménager un délai
aux parents pour améliorer le niveau de leur enfant avant qu'intervienne un
second contrôle de l'inspection académique.
Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous préciser au bout de combien de temps
aura lieu ce second contrôle ?
Pouvez-vous nous garantir que l'inspecteur d'académie n'attendra pas un an
avant d'exercer un nouveau contrôle, simplement parce qu'il y sera contraint
par la loi ? Un an d'attente, c'est beaucoup pour un jeune enfant. C'est encore
une année de perdue pour ces enfants déjà marginalisés.
Par ailleurs, je me prononce tout à fait en faveur de l'article 2, qui prévoit
une saisine possible du procureur de la République lorsqu'un chef
d'établissement privé hors contrat refuse de fermer son établissement, en dépit
des mises en demeure de l'inspection académique.
Une interdiction d'enseigner ou d'ouvrir tout autre établissement pourrait, en
outre, faire l'objet d'une peine complémentaire, en sus des sanctions déjà
prévues.
Je pense, néanmoins, que la responsabilité des dénonciations ne doit pas
uniquement reposer sur les épaules de l'inspecteur d'académie qui, bien
évidemment, ne peut se trouver derrière chaque élève, dans chaque classe et
dans chaque établissement de notre pays.
Il convient de rappeler le rôle irremplaçable que doivent jouer les
enseignants dans le contrôle de l'obligation scolaire. Une disposition du
rapport vise à renforcer les sanctions contre l'absentéisme scolaire. Je serais
curieux, madame la ministre, de connaître le nombre de sanctions pour
absentéisme qui ont été prononcées cette année à l'encontre des parents.
Permettez-moi également de vous rendre attentive à la nécessité d'inciter le
corps enseignant à dénoncer les parents auprès des autorités compétentes car
c'est d'abord sur les enseignants que repose la responsabilité de contrôler le
respect de l'obligation scolaire.
A l'heure où l'on parle de délinquance juvénile, il convient de rappeler que
l'assiduité scolaire contribue aussi à lutter contre ce fléau et à restaurer le
sens de l'autorité éducative.
Je tiens, enfin, à rappeler que l'obligation scolaire est inséparable, dans
notre pays, de l'interdiction du travail des enfants. Nous avons récemment
accueilli à Paris la marche mondiale contre le travail des enfants.
Il est bon de souligner, à cette occasion, qu'il existe des formes modernes
d'esclavage infantile, notamment au sein des mouvements sectaires. Les enfants
constituent, pour les sectes, une main-d'oeuvre gratuite et facilement
manipulable.
Bien entendu, elles utilisent des arguments pseudo-religieux pour les enrôler
: outre les travaux forcés, ils sont contraints de participer à des opérations
de recutement d'adeptes et à des actions de prosélytisme.
J'ai récemment rencontré une femme qui a passé toute sa jeunesse chez les
Témoins de Jéhovah et qui, comme de nombreux enfants de cette secte, était
tenue à des quotas d'heures par semaine de démarchage à domicile pour trouver
de nouveaux adeptes.
Ces obligations pseudo-religieuses sont inadmissibles lorsqu'elles s'imposent
à des enfants qui ne sont pas en mesure de les refuser. Elles s'apparentent, ni
plus ni moins, à un travail forcé qui détourne les enfants de leur vocation
première, qui est de jouer et de s'instruire.
Cet embrigadement orchestré par les adultes, qui, de plus, met gravement en
danger la santé et l'intégrité de ces enfants, doit être vigoureusement
dénoncé.
La commission des affaires culturelles n'a pas retenu la première mouture de
mon amendement visant à interdire aux mineurs de seize ans le démarchage à
domicile à des fins commerciales, idéologiques ou religieuses et la
distribution de tracts sur la voie publique, ce que je regrette.
Conscient qu'un dispositif d'autorisation préfectorale serait trop lourd à
mettre en oeuvre, je défendrai tout à l'heure un amendement pour que cette
tâche soit confiée au maire.
L'échelon municipal me semble en effet plus adapté à la délivrance
d'éventuelles dérogations, notamment pour prendre en compte l'organisation de
loteries ou de kermesses scolaires qui n'ont, la plupart du temps, c'est vrai,
aucun rapport avec des sectes.
Je souhaite, pour conclure, que ce débat sur l'obligation scolaire, qui n'est,
à mes yeux, qu'un élément du puzzle plus important que recouvre ma proposition
de loi sur la répression pénale des sectes, soit l'occasion, pour nous, de
réfléchir à la place que nous devons donner à l'enfant dans notre société.
Je disais à l'instant que la vocation première de l'enfant était de jouer et
de s'instruire. Il est de notre responsabilité d'adulte de le protéger contre
toutes les formes d'embrigadement qui risqueraient de compromettre à jamais ses
chances d'accéder à une vie sociale libre et épanouie.
Comme le rappelle expressément la convention internationale des droits de
l'enfant, dans son article 29 : « L'éducation de l'enfant doit préparer
l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre ».
Soyons à la hauteur de ce défi !
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat de ce
soir devrait nous permettre d'apporter une réponse à un réel problème qui ne
fait que s'accroître et dont les conséquences ne doivent pas être sous-estimées
: il s'agit de remédier au défaut d'instruction des enfants en âge d'être
scolarisés et d'en garantir le droit effectif. Se trouve sous-jacente la
question des sectes et des enfants qui, élevés au sein de celles-ci ou par un
parent sous leur emprise, ne sont pas bénéficiaires de ce droit.
Bien que les sectes constituent une menace constante, en particulier pour les
jeunes enfants, qui en sont les premières victimes, je ne souhaite pas que le
débat se focalise sur ce point. Il faut, au contraire, l'élargir.
Le Sénat dans son ensemble a, me semble-t-il, pris la mesure du problème et
tant les auteurs des propositions de loi initiales que le rapporteur de la
commission des affaires culturelles, dont je tiens à souligner la grande
justesse des conclusions, ont appréhendé la question de façon globale.
Vous l'aurez compris, le premier sujet demeure, pour moi, le droit à
l'instruction de tous les enfants.
Ce droit à l'instruction est une notion dont le contenu est appelé à évoluer
en permanence. Même si la loi Ferry de 1882 constitue toujours l'une des
références en matière d'enseignement primaire, force est de constater que la
société et les valeurs ont changé depuis cette époque.
Je souhaite donc faire le point sur ce que l'on nomme « l'instruction
obligatoire » et sur le contenu des enseignements que l'on se doit d'intégrer
dans cette instruction.
Il est, à mes yeux, fondamental que soient inculqués aux enfants les valeurs
républicaines et laïques, ces principes de citoyenneté ainsi qu'une culture
générale. Il est donc primordial que le contrôle prévu à l'article 1er de la
proposition de loi porte sur ces valeurs et ces principes, et ce d'autant plus
que les enfants visés par ces dispositions sont ceux qui évoluent en dehors du
système de l'éducation nationale, avec le risque, en filigrane, d'être
confrontés aux sectes. Or, celles-ci véhiculent souvent des règles et des
idéaux totalement opposés à ceux que je viens de citer.
A ce propos, j'ai bien noté que le troisième alinéa de l'article 1er renvoie à
l'ordonnance de 1959 quant aux connaissances minimales, relevant du droit à
l'éducation au sens de la loi d'orientation de 1989, qui seront soumises au
contrôle prescrit par l'inspecteur d'académie.
La référence à la loi d'orientation me donne satisfaction puisque, dans son
article 1er, ce texte dispose : « Le droit à l'éducation est garanti à chacun
afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de
formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et
professionnelle, d'exercer sa citoyenneté. » Je m'interroge néanmoins sur
l'affichage de ces principes. Je me demande s'il n'aurait pas été plus
pertinent de rappeler, de manière plus forte, en quoi consiste le droit à
l'éducation et, à mon sens, l'amendement n° 7 du Gouvernement, tendant à
insérer un article additionnel avant l'article 1er pour énoncer ce droit,
améliore le texte de notre rapporteur.
Ce droit à l'éducation, tel que je l'entends, ne saurait en aucun cas
s'opposer au principe à valeur constitutionnelle de liberté de l'enseignement.
Bien au contraire, en donnant aux enfants les clefs d'accès à la citoyenneté,
une telle instruction s'intègre parfaitement dans ce cadre constitutionnel et
ne laisse, par ailleurs, aucune place au prosélytisme. Voilà pour ce qui a
trait au contenu du contrôle. J'en viens maintenant au lieu du contrôle. Nous
avons déjà eu un long débat à ce sujet en commission : est-il souhaitable que
le contrôle ait lieu au domicile ou dans un lieu plus neutre, comme un
établissement d'enseignement public ? Le rapporteur a tranché en faveur du
domicile, estimant qu'un tel choix permettrait à l'autorité administrative
d'effectuer un contrôle non seulement sur les connaissances de l'élève, mais
aussi sur l'univers dans lequel l'enfant évolue.
Je ne suis pas, pour ma part, favorable à ce type de contrôle, d'autant plus
que l'instruction des enfants concernés n'est pas toujours dispensée à leur
domicile, mais l'est parfois chez un voisin, ailleurs, dans le village. A mes
yeux, la question reste posée.
Sous réserve de ces quelques observations, je considère que la proposition de
loi ne peut que recevoir l'aval de tous.
J'espère que les différentes dispositions prévues quant aux modalités de
contrôle et aux sanctions seront suffisamment dissuasives et qu'elles seront
appliquées, garantissant ainsi l'effectivité de l'obligation scolaire. Je
proposerai tout à l'heure quelques amendements permettant de mieux verrouiller
le dispositif de contrôle et de responsabilité pénale. Je reviendrai sur ces
propositions lors du débat sur les articles.
Je dirai, pour conclure, deux mots du sujet qui apparaît en filigrane derrière
les termes de la proposition de loi : je veux parler des sectes. Nous sommes
ici, je crois, tous persuadés qu'elles constituent un fléau redoutable, et plus
particulièrement pour des enfants encore peu au fait de beaucoup de choses et,
donc, extrêmement malléables.
Je ne reviendrai pas sur les exemples qui ont déjà été cités et qui sont
connus de tous. Je souhaite ardemment que la future loi dont nous discutons ce
soir permette effectivement de minimiser quelque peu l'influence néfaste des
sectes sur de jeunes esprits, en garantissant à ces derniers un enseignement
scolaire conforme aux valeurs républicaines et laïques. La proposition de loi
effectue un grand pas dans ce sens, et je m'en félicite.
Mais il faudra aller plus loin, notamment en prévoyant une sensibilisation,
dès l'école, au danger que représentent les sectes.
Ainsi, comme le préconisait l'an dernier le rapport de la commission d'enquête
de l'Assemblée nationale sur les sectes, déplorant qu'« aucun dispositif
général d'information des élèves n'ait été mis en place dans le cadre de
l'éducation nationale », on pourrait songer à introduire dans les cours
d'instruction civique un programme sur le phénomène sectaire. De façon
générale, je souhaite que l'éducation nationale bénéficie de vrais moyens pour
lutter réellement et de manière efficace contre les agissements des sectes sur
les enfants. Mais il s'agit là d'un autre débat, bien qu'il soit très lié à
celui que nous avons ce soir, relevant plutôt de mesures réglementaires. C'est
pourquoi je souhaiterais, madame la ministre, que vous m'indiquiez l'état de
vos réflexions sur ce sujet.
Telles sont les principales observations que m'inspire la proposition de loi
dont nous débattons ce soir. J'aurai l'occasion de m'exprimer de façon plus
pointue sur certains aspects de ce texte lors de l'examen des amendements, mais
je tiens d'ores et déjà à remercier les auteurs des propositions de loi et le
rapporteur de nous avoir permis d'avoir ce débat important et de faire avancer
la législation sur ce point, en espérant que le texte sera bientôt inscrit à
l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Les sénateurs socialistes se prononceront pour l'adoption de la proposition de
loi, en espérant que leurs amendements recevront un accueil favorable de la
part du Sénat.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, compte tenu de
l'heure avancée, notre groupe interviendra brièvement, malgré l'intérêt
indiscutable de ces textes.
Nous partageons les préoccupations de ceux de nos collègues qui ont pris
l'initiative des propositions de loi que nous examinons aujourd'hui et qui
concernent, notamment, le renforcement du contrôle de l'obligation scolaire.
Nous sommes, en effet, de ceux qui souhaitent voir réaffirmer, aussi souvent
que nécessaire, le principe fondamental de l'obligation scolaire.
Nous le faisons sans complaisance pour le phénomène sectaire et, de ce point
de vue, nous partageons l'indignation des orateurs qui m'ont précédée. Nous le
faisons aussi sans complaisance pour le non-respect de cette obligation
scolaire qui fonde, pour une très large part, nos valeurs républicaines, comme
vous l'avez rappelé, madame la ministre.
Son non-respect par les familles est trop souvent un signe évident d'une
désocialisation qui se révèle extrêmement préjudiciable aux intérêts des
enfants.
Heureusement, le principe de l'obligation scolaire est majoritairement
respecté dans notre pays. Selon le rapport de la commission des affaires
culturelles, la direction de l'évaluation et de la prospective de l'éducation
nationale évalue à moins de 0,3 % le nombre d'enfants qui ne sont pas inscrits
dans un établissement scolaire public ou privé. Mais ce faible pourcentage est
déjà trop élevé car il s'agit d'enfants et de leur avenir de citoyens.
Il en va autrement des modalités du respect de l'obligation scolaire qui,
elles, souffrent d'un grand nombre de manquements je pense notamment à
l'absentéismescolaire.
Les conditions de précarité d'existence d'un trop grand nombre de nos
concitoyens, l'absence de domicile fixe dans certains cas extrêmes et la
pauvreté sont des facteurs qui rendent difficile, voire impossible, la
réalisation d'une scolarité assidue et harmonieuse.
A ce titre, lors du débat du projet de loi relatif à la lutte contre les
exclusions, nous avons rappelé notre attachement au principe de l'obligation
scolaire et nous avons proposé un amendement visant à étendre ce principe
au-delà de seize ans.
Ces problèmes sont, selon nous, aussi préoccupants, d'un point de vue
quantitatif notamment, que ceux auxquels tend à s'attaquer la proposition de
loi qui nous est soumise aujourd'hui.
Comment, enfin, s'agissant d'obligation scolaire, ne pas voir ce qui s'oppose
à la réalisation de ce pacte républicain qui consiste à ériger comme un devoir
pour les familles l'obligation scolaire ?
C'est à l'ensemble de ces questions que nous devrions nous attaquer et sur un
mode concerté, avec les familles elles-mêmes, afin que soient respectées à la
fois l'obligation scolaire, mais aussi plus largement l'assiduité et la
fréquentation scolaires qui, elles, souffrent de nombreuses exceptions et
génèrent fatalement l'échec.
Le texte qui nous est proposé prévoit un contrôle des connaissances pour les
enfants en apprentissage dans leur famille ou au sein d'établissements
scolaires hors contrat.
Nous approuvons cette démarche, qui permettra d'éviter que bien des jeunes ne
soient plus en mesure d'intégrer le système scolaire institutionnel.
Toutefois, il convient d'être attentif au fait que ce type de mesure ne
justifie pas, sous couvert d'un contrôle et d'un encadrement institutionnel, le
recours à des pratiques jusqu'à présent relativement marginales et liées, pour
l'essentiel, aux conditions de vie des parents.
Compte tenu de ces éléments et tout en soulignant l'importance de s'attaquer
autant au renforcement du principe de l'obligation scolaire qu'à l'ensemble des
facteurs qui conduisent de très nombreux jeunes enfants à déserter l'école,
nous voterons le texte qui nous est proposé, d'autant que les amendements
présentés par le Gouvernement améliorent la rédaction et la complètent.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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