Séance du 25 juin 1998






COMMISSION CONSULTATIVE
DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE

Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 487, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, instituant une commission consultative du secret de la défense nationale. [Rapport n° 501 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que je vous présente au nom du Gouvernement, au terme de trois lectures devant l'Assemblée nationale, de deux lectures devant la Haute Assemblée et de l'échec de la commission mixte paritaire, vise à parfaire la création de la commission consultative du secret de la défense nationale.
Ce texte tend à renforcer et à mieux encadrer le régime juridique du secret en lui donnant un nouvel équilibre, davantage axé sur la protection des citoyens, même s'il y a consensus pour consolider l'existence du secret de la défense.
Le projet de loi vise à lever le doute sur des utilisations non conformes à l'intérêt général du secret de la défense. Le Sénat comme l'Assemblée nationale ont partagé avec beaucoup de clarté et de loyauté cet objectif du Gouvernement.
J'exprime à nouveau ma satisfaction devant l'accueil qu'a reçu ce texte de la part des deux chambres du Parlement qui, partageant l'orientation générale de ce projet de loi, ont oeuvré utilement pour son amélioration en garantissant l'efficacité de la commission.
Je me félicite notamment du consensus intervenu entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur la composition de la commission, puisqu'il a été précisé qu'un parlementaire de chaque assemblée serait membre de la commission du secret de la défense nationale.
Un accord s'est également établi sur la question de la présidence de la commission. Bien que le Gouvernement ait toujours estimé que cette présidence ne devait pas être distincte de celle de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, il a finalement été convaincu par les arguments du Sénat et de l'Assemblée nationale, et s'est rallié à l'idée d'une présidence séparée.
Toutefois, deux points de désaccord demeurent entre l'Assemblée nationale et le Sénat pour parvenir à une rédaction totalement consensuelle, points sur lesquels la commission mixte paritaire a achoppé. L'Assemblée nationale a rejoint le Gouvernement sur l'inutilité d'étendre la présente réforme aux commissions parlementaires lorsque le secret de la défense nationale leur est opposé. En effet, le présent projet de loi n'a pas à interférer dans les rapports entre les assemblées, dans le cadre de leur mission de contrôle, et le Gouvernement. Les commissions parlementaires exercent un contrôle politique, et il ne paraît pas de bonne administration que la commission consultative du secret de la défense nationale tendant à faciliter l'oeuvre de justice concoure à cette mission de contrôle politique.
Une seconde différence de position réside dans la saisine de la commission soit dans le cas où l'autorité administrative ne souhaite pas déclassifier l'information, soit, au contraire, de manière générale. Le Gouvernement ne souhaite pas que la commission apparaisse comme une instance de recours de ses décisions et désire donc, si le Sénat en est d'accord, que la commission soit saisie automatiquement de toutes les demandes de déclassification émanant des juridictions.
La discussion de ce matin permettra de débattre de ces deux points et de conclure sur l'ensemble du projet de loi. Puisque nous sommes de toute manière d'accord sur les orientations générales, je veux souligner que l'adoption de ce texte de manière convergente par les deux assemblées permettra un progrès réel dans l'ordonnancement juridique.
Bien entendu, cette réforme n'a rien de spectaculaire. Mais, à l'instar d'un certain nombre de réformes visant à une plus grande transparence ou à un partage plus équitable des responsabilités, entreprises dans les dernières années et paraissant modestes au départ, réformes dont on s'aperçoit, a posteriori lorsqu'on analyse l'évolution de notre système de droit et l'exercice de notre pouvoir public, qu'elles ont contribué à renforcer et à rendre plus équitable ce dernier, ce texte a une justification profonde.
En présentant cette réforme à votre approbation, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite restaurer un sentiment de confiance autour de l'utilisation du secret de la défense nationale, en créant un meilleur équilibre entre le maintien d'un secret efficace et la consolidation des droits des citoyens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire, qui s'est réunie au Sénat le mardi 2 juin 1998, n'est pas parvenue à un accord sur les dispositions restant en discussion du présent projet de loi.
En effet, si les lectures successives dans chacune des assemblées ont permis de rapprocher les points de vue sur certains points, sénateurs et députés n'ont pu trouver un terrain d'entente sur l'une des dispositions principales introduites par le Sénat, tendant à ne pas limiter aux seules juridictions le bénéfice de l'instrument de transparence mis en place par le projet de loi, mais à l'étendre également aux commissions parlementaires dans l'exercice de leur pouvoir de contrôle.
Nous sommes donc invités à nous prononcer sur le texte voté, le mercredi 10 juin 1998, par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Nos deux assemblées se sont en effet rapprochées sur des dispositions importantes, notamment à l'occasion de cette nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, à l'article 2, l'Assemblée nationale a finalement adopté la proposition du Sénat tendant à instaurer une présidence spécifique à la commission consultative, alors que le projet de loi initial prévoyait, pour cette nouvelle instance, une présidence commune, de droit, avec celle de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Toujours à l'article 2, l'Assemblée nationale a adopté la proposition du Sénat tendant à prévoir un vice-président, appelé à suppléer, le cas échéant, le président en cas d'indisponibilité.
Des divergences significatives subsistent cependant.
La première porte sur l'élargissement des compétences de la commission consultative aux demandes de déclassification formulées par une commission parlementaire.
Dès la première lecture, le Sénat avait inscrit dans le texte la possibilité, pour une commission parlementaire, de bénéficier, à l'instar d'une juridiction française, de la procédure de saisine de la commission consultative.
Nos collègues députés ont notamment objecté à cette proposition que les commissions parlementaires pouvaient déjà obtenir directement, à leur demande, la déclassification de certaines informations sensibles de la part de l'autorité administrative.
Toutefois, si cette objection sous-entend que le recours à la commission consultative au profit d'une commission parlementaire serait dès lors superflu, reconnaissons qu'il en est de même aujourd'hui à l'égard d'une juridiction, comme le démontre la récente décision du Premier ministre de lever directement le secret défense sur les informations demandées par le juge d'instruction dans l'affaire dite des « écoutes téléphoniques ». En réalité, la mise en place de la commission consultative permettra de conforter la transparence et de prévenir les abus au profit tant d'une juridiction que d'une commission parlementaire.
Un tel dispositif ne contribuerait pas, contrairement à une critique fréquemment avancée, à « politiser » la démarche de déclassification ou de maintien de la classification. C'est bien davantage la nature du dossier qui lui confère ou non son caractère politique que l'auteur de la demande de déclassification, juridiction ou commission parlementaire.
Enfin, il ne s'agit pas d'accroître formellement les pouvoirs de contrôle du Parlement tels qu'ils sont définis par l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; le dispositif permet simplement d'enrichir les modalités de ce contrôle et de reconnaître, tant au service public de la justice qu'à la représentation nationale, un égal accès à la transparence, qui traduirait un progrès équilibré de l'Etat de droit.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission propose au Sénat de réinscrire en nouvelle lecture cette disposition à l'article 1er du texte et, par coordination, aux articles 4, 7 et 8.
En second lieu, le Sénat a voulu permettre à l'autorité administrative de déclassifier directement une information.
L'Assemblée nationale n'a pas retenu la proposition du Sénat tendant à permettre à l'autorité administrative de procéder directement à une déclassification lorsque celle-ci serait demandée soit par une juridiction, soit par une commission parlementaire.
L'existence d'une telle faculté n'empêcherait pas tel ou tel ministre de se donner pour règle la saisine automatique de la commission consultative dès qu'une demande de déclassification lui serait adressée. Le dispositif proposé permettrait néanmoins, dans certains cas où la classification ne semblerait à l'évidence plus justifiée aux yeux de l'autorité administrative elle-même, de répondre favorablement et promptement à la demande qui lui est adressée.
Je vous proposerai donc, au nom de la commission des affaires étrangères, de rétablir le dernier alinéa de l'article 4 dans la rédaction adoptée par le Sénat en deuxième lecture.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi instituant une commission consultative du secret de la défense nationale a opportunément permis de rappeler que les deux assemblées pouvaient, dans l'intérêt d'un travail législatif de qualité, se rejoindre sur de nombreux points. Je n'en regrette pas moins que cette logique de convergence n'ait pu aller jusqu'à son terme.
Les deux dispositions que la commission des affaires étrangères soumettra à l'approbation du Sénat, dans la continuité de ses votes précédents, se résument finalement aujourd'hui à un double objectif : enrichir, grâce à la nouvelle instance qui nous est proposée, une des modalités du pouvoir de contrôle du Parlement, et préserver, pour le Gouvernement, une faculté de déclassification directe qui, loin de le contredire ou de le diminuer, renforce l'objectif de transparence qui est à l'origine même de ce texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons beaucoup travaillé les uns et les autres sur ce sujet et je me réjouis que le travail parlementaire ait été si utile. En effet, il a permis des évolutions positives sur un sujet très grave et essentiel pour la démocratie et le fonctionnement de l'Etat.
Je ne reprendrai pas en cet instant ce que nous avons tous déjà dit sur la philosophie qui sous-tend ce projet de loi et sur l'avancée que constituera son adoption.
Le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement sont donc parvenus à un relatif consensus, même s'il reste des points de désaccord. Ainsi, sur l'institution de la commission consultative du secret de la défense nationale, sur sa composition, sur son rôle, nous avons su nous écouter pour faire avancer les choses.
Le groupe socialiste du Sénat se réjouit de la convergence qui a ainsi été obtenue sur un tel projet de loi, même si, depuis le début, par conviction, en toute liberté mais aussi en grande solidarité avec le Gouvernement, il a défendu ses points de vue. Nous avons montré de la sorte que, lorsque le Gouvernement écoute le Parlement et que les parlementaires arrivent à trouver entre eux des solutions consensuelles, le résultat est positif pour la démocratie et pour le bon fonctionnement de l'Etat.
Par conséquent, quels que soient les amendements qui seront sans doute adoptés tout à l'heure par la majorité du Sénat, le travail effectué me paraît d'excellente qualité.
Sur ces amendements - qui, en fait, se résument à deux idées principales - le groupe socialiste du Sénat confirme en tout cas son désaccord avec la commission des affaires étrangères. En effet, adopter de telles mesures, ce serait brûler les étapes et, en tout cas, ne pas conférer à la commission consultative l'importance et l'indépendance qui lui sont nécessaires. Par ailleurs, afin que puissent être réglées des difficultés telles que celles que nous avons pu connaître au cours des années précédentes, la commission consultative du secret de la défense nationale doit pouvoir donner un avis dans toutes les circonstances.
Adopter aujourd'hui les dispositions qui vous sont proposées par la commission des affaires étrangères, ce serait déformer le sens de la loi et, à tout le moins, prendre une décision prématurée. Nous verrons bien, après dix ou quinze ans d'application de cette loi, s'il faut étendre la saisine de la commission du secret défense aux commissions parlementaires ! Pour l'heure, j'y suis défavorable.
Nous donnerons plus de force à ce projet de loi, me semble-t-il, si nous nous en tenons au point d'accord qui est intervenu entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Le groupe socialiste du Sénat souhaite donc que nous puissions adopter aujourd'hui ce projet de loi sans modification. En effet, j'aimerais vraiment convaincre M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères que les cinq amendements qu'il nous propose sont un peu contradictoires avec l'esprit de la loi. Je préférerais donc qu'il les retire.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er