Séance du 23 juin 1998
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Organismes extraparlementaires
(p.
1
).
3.
Démission de membres de commissions et candidatures
(p.
2
).
4.
Questions orales sans débat
(p.
3
).
AVENIR DU MÉCANISME D'INCITATION
À LA CESSATION D'ACTIVITÉ (p.
4
)
Question de M. Descours. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle ; M. Charles Descours.
DÉCRETS D'APPLICATION DE LA LOI
PORTANT DISPOSITIONS STATUTAIRES
RELATIVES À LA FONCTION PUBLIQUE HOSPITALIÈRE (p.
5
)
Question de Mme Beaudeau. - Mmes Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle ; Marie-Claude Beaudeau.
TRIBUNAUX DU CONTENTIEUX DE L'INCAPACITÉ (p. 6 )
Question de M. Pastor. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle ; M. Jean-Marc Pastor.
MESURES EN FAVEUR
DE L'AMÉLIORATION DE LA SITUATION MATÉRIELLE
DES CONJOINTS SURVIVANTS (p.
7
)
Question de M. Foy. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle ; M. Alfred Foy.
CALCUL DE LA TAXE LOCALE D'ÉQUIPEMENT (p. 8 )
Question de M. Dominique Leclerc. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle ; M. Dominique Leclerc.
SITUATION FINANCIÈRE DE LA SNCF (p. 9 )
Question de M. Bernard. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle ; M. Jean Bernard.
CONTRÔLE DES INSTALLATIONS
D'ASSAINISSEMENT NON COLLECTIF (p.
10
)
Question de M. Dussaut. - MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Bernard Dussaut.
ENTRETIEN DES RIVIÈRES (p. 11 )
Question de M. Hyest. - MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Jean-Jacques Hyest.
AUTORISATION D'EXPLOITATION
DU CENTRE D'ENFOUISSEMENT TECHNIQUE
DE BEAUCHÊNE À SAINT-FROMOND (MANCHE) (p.
12
)
Question de M. Legrand. - MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ;
Jean-François Le Grand.
5.
Souhaits de bienvenue à M. Tokaev, ministre des affaires étrangères du
Kazakhstan
(p.
13
).
6.
Question orales sans débat
(suite)
(p.
14
).
MISE EN OEUVRE D'UNE POLITIQUE
DE LA PSYCHOLOGIE SCOLAIRE (p.
15
)
Question de Mme Luc. - Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire ; Marie-Claude Beaudeau, en remplacement de Mme Hélène Luc.
PLAN D'ACTION GENDARMERIE 2002 (p. 16 )
Question de M. César. - Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire ; M. Gérard César.
STATUT DU MEILLEUR OUVRIER DE FRANCE (p. 17 )
Question de M. Fournier. - Mme Marylise Lebranchu, secrétraire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat ; M. Bernard Fournier.
AVENIR DES « POINTS PUBLICS » (p. 18 )
Question de M. Joly. - MM. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation ; Bernard Joly.
ACCOUCHEMENT SOUS X (p. 19 )
Question de Mme Dusseau. - Mmes Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; Joëlle Dusseau.
EFFECTIF DES PERSONNELS PÉNITENTIAIRES (p. 20 )
Question de M. Delevoye. - Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Bernard Fournier, en remplacement de M. Jean-Paul Delevoye.
POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT CULTUREL (p. 21 )
Question de M. Egu. - Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication ; M. André Egu.
LEVÉE DE L'EMBARGO À L'ÉGARD DE L'IRAK (p. 22 )
Question de M. Sérusclat. - Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication ; M. Franck Sérusclat.
CONCOURS D'ACCÈS AUX ÉCOLES VÉTÉRINAIRES (p. 23 )
Question de M. Madrelle. - Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et
de la communication ; M. Philippe Madrelle.
7.
Nomination de membres de commissions
(p.
24
).
Suspension et reprise de la séance (p. 25 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
8.
Conférence des présidents
(p.
26
).
9.
Conseil supérieur de la magistrature.
- Discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p.
27
).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice ; MM. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois ; Jacques
Larché, président de la commission des lois.
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
MM. Pierre Fauchon, Jean-Paul Bataille, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Robert Pagès, Hubert Haenel, Jean-Jacques Hyest, Michel Charasse.
Suspension et reprise de la séance (p. 28 )
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
Mme le garde des sceaux.
MM. Alain Peyrefitte, Michel Dreyfus-Schmidt.
Mme le garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.
M. le président de la commission.
Suspension et reprise de la séance
(p.
29
)
Articles additionnels avant l'article 1er (p.
30
)
Amendements n°s 2 de la commission et 5 de M. Charasse. - MM. le rapporteur,
Michel Charasse, Mme le garde des sceaux. - Retrait de l'amendement n° 5 ;
adoption de l'amendement n° 2 insérant un article additionnel.
Amendement n° 6 rectifié de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le garde des sceaux, MM. Robert Badinter, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre
Fauchon. - Rejet.
Amendement n° 7 de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux. - Retrait.
MM. le président de la commission ; le président, Michel Dreyfus-Schmidt.
Renvoi de la suite de la discussion.
10.
Communication de l'adoption de propositions d'acte communautaire
(p.
31
).
11.
Transmission d'un projet de loi
(p.
32
).
12.
Dépôt de propositions de loi
(p.
33
).
13.
Dépôt d'une proposition de résolution
(p.
34
).
14.
Dépôt de propositions d'acte communautaire
(p.
35
).
15.
Dépôt d'un rapport
(p.
36
).
16.
Dépôt d'un rapport d'information
(p.
37
).
17.
Ordre du jour
(p.
38
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
2
ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
M. le président.
J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à
la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de cinq organismes
extraparlementaires.
En conséquence, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter
:
- un candidat appelé à siéger en qualité de titulaire au sein du Conseil
national de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- quatre candidats, deux titulaires et deux suppléants, appelés à siéger au
sein de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées
à l'enfance et à l'adolescence ;
- un candidat appelé à siéger au sein du Conseil national des fondations.
J'invite également la commission des affaires sociales à présenter un candidat
appelé à siéger au sein de la commission permanente pour la protection sociale
des Français de l'étranger.
J'invite enfin la commission des finances à présenter un candidat appelé à
siéger au sein du Haut conseil du secteur public.
Les nominations des sénateurs appelés à siéger au sein de ces organismes
extraparlementaires auront lieu ultérieurement dans les conditions prévues par
l'article 9 du règlement.
3
DÉMISSION DE MEMBRES DE COMMISSIONS
ET CANDIDATURES
M. le président.
J'ai reçu avis de la démission de M. Jean-Patrick Courtois, comme membre de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale, et celle de M. Simon Loueckhote,
comme membre de la commission des affaires sociales.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats
proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et la nomination aura lieu conformément à
l'article 8 du règlement.
4
QUESTIONS ORALES SANS DÉBAT
M. le président.
L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales sans débat.
Dès maintenant, je tiens à saluer Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la
formation professionnelle, et lui dire le plaisir que j'éprouve à présider
cette séance en sa présence.
AVENIR DU MÉCANISME D'INCITATION
À LA CESSATION D'ACTIVITÉ
M. le président.
La parole est à M. Descours, auteur de la question n° 256, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Charles Descours.
Je vous remercie de votre présence, madame le secrétaire d'Etat, tout en
déplorant l'absence de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité, à qui
ma question était adressée, et de M. le secrétaire d'Etat à la santé. Les
médecins que j'ai rencontrés samedi dernier à l'occasion du congrès du
cinquantième anniversiare de la CARMF, la caisse autonome de retraite des
médecins français, apprécieront !
Ma question porte sur l'avenir du mécanisme d'incitation à la cessation
d'activité, le MICA.
Les ordonnances de réforme de la sécurité sociale ont mis en place ce système
de préretraite des médecins libéraux, afin de réguler la démographie médicale.
Or la facture globale des trois allocations de remplacement prévues en fonction
de l'âge du départ à la retraite devrait passer de 300 millions de francs en
1997 à 750 millions de francs en 1998. Ainsi, moins d'un an après la mise en
oeuvre du MICA, le niveau des cotisations ne permettra pas d'assurer le
financement du dispositif en 1998.
Quel est le montant de l'impasse ? La lettre de Mme Aubry, en date du 29 mai
1998, dont je ne disposais pas lorsque j'ai déposé le texte de ma question,
constitue, certes, une première réponse, mais Mme Aubry évoque une
concertation. Or les médecins que j'ai rencontrés samedi au Palais des congrès
contestent les décisions qui sont annoncées dans cette lettre. Ils disent
notamment que le passage de 0,22 % à 0,55 % du taux de la participation des
médecins, soit plus qu'un doublement, n'a pas été décidé en concertation avec
eux, et que l'augmentation considérable des cotisations, qui sont passées par
exemple de 704 francs à 1 760 francs, ne l'a pas été non plus.
Je voudrais savoir quel est ce processus de concertation dont parle Mme
Aubry.
Par ailleurs, selon le texte, les médecins devaient toucher initialement 240
000 francs. Combien vont-ils toucher désormais ? Tout le monde évoque une
baisse de cette indemnisation ; Mme Aubry n'en souffle mot dans sa lettre. Je
voudrais donc savoir ce qu'il en est de cette baisse de 20 %, et obtenir des
réponses chiffrées. Et que l'on ne me rétorque pas l'incapacité de chiffrage du
précédent gouvernement, sinon j'évoquerai les relations de ce gouvernement avec
la présidence de la Caisse nationale d'assurance maladie...
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur,
vous avez attiré l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité
sur l'élargissement, par le précédent gouvernement, du dispositif du MICA, à la
fois en réduisant l'âge des médecins éligibles et en augmentant le montant de
l'aide à la préretraite, ce qui a entraîné un flux important de départs. Mais
les cotisations, payées pour les deux tiers par la CNAM et pour un tiers par
les médecins, n'ont pas été fixées à un niveau suffisant pour couvrir les
charges. Monsieur le sénateur, si rien n'avait été fait, on aurait enregistré,
dès 1998, un déficit de 200 millions de francs.
C'est pourquoi, dès le 31 janvier, Martine Aubry a consulté les syndicats
médicaux et le FORMMEL, le fonds de réorientation et de modernisation de la
médecine libérale. Ce fonds plaide pour un arrêt brutal du dispositif, solution
qui ne me semble pas judicieuse.
En effet, comme l'indique le rapport Stasse transmis la semaine dernière à Mme
Aubry et à M. Kouchner, nous continuons à rencontrer des problèmes de
démographie médicale différents selon les spécialités et les régions.
Le Gouvernement a donc prévu de maintenir le mécanisme de préretraite en
vigueur tout en assurant sa viabilité en augmentant les cotisations à la charge
tant de l'assurance maladie que des médecins tout en unifiant les plafonds de
l'allocation.
Les dispositions d'abaissement des plafonds entreront en vigueur au 1er
janvier prochain, de manière à ne pas prendre de court les médecins qui
préparent leur départ. Un décret sera pris prochainement en ce sens.
M. Charles Descours.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
J'ai vu l'inquiétude des médecins au congrès du cinquantième anniversaire de
la CARMF à ce sujet samedi. Je doute, madame le secrétaire d'Etat, même si vous
n'y êtes pour rien, que votre intervention préparée par le cabinet de Mme Aubry
ne réponde à leur attente. Les médecins en tireront les conclusions qui
s'imposent !
DÉCRETS D'APPLICATION DE LA LOI
PORTANT DISPOSITIONS STATUTAIRES
RELATIVES À LA FONCTION PUBLIQUE HOSPITALIÈRE
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 286, adressée à Mme la
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la secrétaire d'Etat, je regrette également l'absence de Mme Aubry et
celle de M. Kouchner. J'estime, compte tenu de l'importance de la question, que
les personnels hospitaliers dont le dévouement est reconnu par tous méritaient
et méritent plus de preuve de sollicitude de la part de leurs ministres de
tutelle.
M. Charles Descours.
Tout à fait !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Jusqu'à ce jour, la réduction des moyens pour la santé et les hôpitaux s'est
exprimée sous des formes multiples, mais limitées à des restrictions
budgétaires touchant le nombre des services, le nombre d'agents par service,
les avantages acquis des personnels, la suppression de l'avancement
intermédiaire, les gardes, les remplacements.
Quelques hôpitaux ont été supprimés, voire regroupés, tels ceux de Montmorency
et d'Eaubonne. D'autres ont été amputés de certains services. En Ile-de-France,
les mesures réductrices ont été plus accentuées, entraînant des conflits
parfois graves comme celui de l'hôpital Avicenne à Bobigny. Il aura fallu 72
jours de grève pour que les personnels obtiennent la création de 60 emplois
tout de suite et 40 d'ici à janvier 1999. Les congés maladie, maternité, les
congés bonifiés seront désormais accordés, remplacés.
D'autres conflits sont à prévoir, car il est devenu impossible de réduire
encore plus les budgets hospitaliers, qui ne disposent plus d'aucune marge de
manoeuvre en raison des baisses des dotations budgétaires de ces années
passées.
Mais de nouvelles mesures encore bien plus graves ne sont-elles pas en
préparation ? C'est l'objet, madame la secrétaire d'Etat, de ma question.
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité a déclaré, le 30 mars dernier,
devant les assises de l'hospitalisation, vouloir « dissiper toutes les craintes
concernant l'emploi. Il n'y a pas de menaces pesant globalement sur l'emploi
hospitalier ». Confirmez-vous cette affirmation ? Ce sera ma deuxième
question.
J'en viens à la troisième. Vous vous préparez à faire publier les décrets
précisant les conditions d'application des articles 92 et 94 de la loi du 9
janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique,
adoptée sous le gouvernement de M. Bérégovoy.
L'article 136 de cette loi est clair ; il précise : « Des décrets en Conseil
d'Etat déterminent, en tant que de besoin, les conditions d'application de la
présente loi. » Depuis douze ans, la volonté de licenciement ne s'exprimant
pas, les décrets étaient inutiles. Aujourd'hui, le Gouvernement aurait-il
l'intention de licencier par plans sociaux dans les hôpitaux ?
Voilà qui justifie nos craintes tout comme celles de tous les personnels
hospitaliers, ainsi que ma question. Vous comprendrez, madame la secrétaire
d'Etat, que les agents hospitaliers attendent avec angoisse votre réponse.
Le chapitre VIII de la loi est intitulé : « Cessation de fonctions et perte
d'emploi ». La section I du chapitre VIII concerne la cessation de fonctions et
porte mise en disponibilité pour retraite, décès, démissions. Par ailleurs, il
est bien rappelé à l'article 88 que les fonctionnaires ne peuvent être
licenciés que pour insuffisance professionnelle.
La section II est beaucoup plus préoccupante et lourde de dangers. Son titre
est clair : « Perte d'emploi ».
L'article 93 précise bien la réalité de la suppression d'emploi puisqu'il
envisage la proposition de trois nouveaux postes dans la région, le département
ou le pays. Il est même précisé à la fin de l'article que le fonctionnaire
licencié peut prétendre à une indemnité.
Comme tous les hôpitaux de France sont concernés, les décrets vont donc fixer
les conditions de licenciement. L'article 136 est appliqué. La notion de besoin
de licenciement est reconnue.
Est-ce votre analyse ? M. Kouchner a déclaré le 30 mars 1998 : « L'activité
sanitaire et médico-sociale est une activité d'avenir. L'emploi ne peut qu'y
croître ou, en tout cas, ne pas diminuer. »
Il aurait pu ajouter : « L'emploi ne peut qu'augmenter tant est grand le
besoin de modernisation de nos hôpitaux. »
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat à la formation professionnelle.
Madame le sénateur,
vous avez attiré l'attention de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de
la solidarité, sur certains articles de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986
portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique
hospitalière.
Les articles 92, 93 et 94 de cette loi traitent effectivement de la perte
d'emploi d'un fonctionnaire dans un établissement hospitalier, uniquement dans
le cadre d'une opération de recomposition de la structure ou de l'activité d'un
ou de plusieurs établissements.
Les textes prévoient une procédure de reclassement des agents concernés
permettant aux intéressés de conserver leur rémunération dans l'attente d'une
proposition de poste équivalent qui doit leur être faite par l'autorité
administrative compétente de l'Etat.
Une fois ce principe de base énoncé, la loi renvoie à un décret en Conseil
d'Etat le soin d'organiser le délai et l'ordre de priorité géographique dans
lesquels trois emplois vacants correspondant au grade de l'agent lui sont
proposés. Ce décret, madame le sénateur, vous l'avez souligné, n'a jamais été
pris, ce qui prive les agents dont l'emploi serait supprimé de véritables
garanties lorsqu'une procédure de reclassement est utilisée.
En effet, si, au niveau de chaque établissement, on peut répondre actuellement
au souhait d'un agent en situation de reclassement, il faut néanmoins que les
critères de reclassement soient uniformes sur tout le territoire, ce qui n'est
pas le cas aujourd'hui. De ce point de vue, seul un décret peut offrir des
garanties d'égalité de traitement. C'est donc dans ce cadre, et dans ce cadre
seulement, que les services de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité
examinent actuellement l'éventualité de mettre en oeuvre des dispositions
réglementaires qui doivent respecter le principe d'égalité de traitement au
sein du personnel hospitalier.
J'ajoute, madame le sénateur, qu'en tout état de cause ces dispositions - si
elles devaient être mises en oeuvre - seraient au préalable présentées au
Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière. Cette instance
permettra aux organisations syndicales d'exprimer leur avis sur les textes.
Au moment où je vous parle, le Conseil supérieur n'a pas été saisi puisque des
discussions se poursuivent entre les organisations syndicales et le ministère
sur différentes propositions de textes réglementaires, la question des
conditions d'application des articles 92, 93 et 94 de la loi du 9 janvier 1986
a été, elle aussi, abordée.
Pour terminer, Mme Martine Aubry tient à vous remercier d'avoir posé cette
question qui clarifie la situation quant à la poursuite des discussions entre
ses services et les organisations syndicales, discussions qui, pour réussir,
doivent se dérouler sans qu'il y ait d'ambiguités entre les parties
concernées.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la secrétaire d'Etat, votre réponse confirme mon inquiétude et elle
confirmera certainement celle des agents hospitaliers quand ils en prendront
connaissance.
Nous avons la crainte, sous prétexte de réduire les déficits publics et les
dépenses de santé, de voir surgir des plans sociaux, c'est-à-dire des
dispositions de la loi Balladur concernant le domaine privé applicables au
domaine public.
N'allons-nous pas assister à l'application de la loi quinquennale sur
l'emploi, prévoyant que, si le salarié - vous venez de le confirmer - n'a pas
répondu à la proposition de l'employeur, il est réputé l'avoir acceptée.
J'attire par ailleurs votre attention sur le fait que le motif économique ne
peut pas être appliqué au domaine public, ou alors c'est méconnaître la
nécessité de réduire massivement les crédits publics en faveur de l'hôpital.
Madame la secrétaire d'Etat, j'attire également votre attention sur le fait
que 90 % des agents hospitaliers sont des femmes et que la mobilité, quand elle
leur sera proposée, risque de les priver d'emploi, puisque je ne vois pas
comment on arrivera à trouver, dans une même région, un travail pour
elles-mêmes et pour leur conjoint.
Tout cela, vous le comprenez, est très grave car ce qui est exprimé pour la
première fois par un gouvernement est en contradiction totale avec les
déclarations de Mme Martine Aubry, en mars dernier, lors des assises de
l'hospitalisation. Cela ne revient-il pas à s'engager encore plus dans la
réduction des déficits et des dépenses publiques qu'exige le respect des
critères de Maastricht ?
Je vous rappelle que la Commission de Bruxelles, pour retenir, le 2 mai
dernier, la France éligible à l'euro a félicité notre pays d'avoir réduit ses
dépenses dans deux domaines, la santé et France Télécom avec le ponctionnement
de 37 milliards de francs réalisé en 1996, c'est-à-dire deux domaines touchant
le secteur public.
Cette fois, madame la secrétaire d'Etat, il s'agit du secteur public de la
santé. Or ce secteur doit être développé et non réduit. Il doit être modernisé
et non amputé. Il doit faire l'objet de créations d'emplois et non de
licenciements.
En ce qui concerne la convocation du Conseil supérieur de la fonction publique
hospitalière, deux réunions avaient été prévues. Si l'examen de ces
avant-projets de décrets a été retiré de l'ordre du jour de la première
révision, nous savons aujourd'hui que cette question sera examinée le 27
juillet. Madame la secrétaire d'Etat, c'est une mauvaise date, c'est un mauvais
coup pour les agents hospitaliers à la veille de leur départ en vacances.
TRIBUNAUX DU CONTENTIEUX DE L'INCAPACITÉ
M. le président.
La parole est à M. Pastor, auteur de la question n° 293, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Jean-Marc Pastor.
Madame la secrétaire d'Etat, ma question s'adresssait effectivement à Mme
Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, mais je suppose que vous la
suppléerez largement.
Ma question porte sur les problèmes posés par les handicapés et, plus
particulièrement, sur les tribunaux du contentieux de l'incapacité.
En effet, depuis la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé
publique et à la protection sociale, les anciennes commissions régionales de
l'incapacité ont effectivement pris le nom de tribunaux du contentieux de
l'incapacité. Toutefois, en l'absence de décret d'application, ces tribunaux
continuent à fonctionner conformément à l'ancienne législation qui régissait
les commissions dont je viens de parler et qui avaient été créées en 1975.
Or, la loi de 1994 en modifiait la composition et prévoyait notamment que des
magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire y siègent.
J'ai été interpellé à plusieurs reprises par des associations locales assurant
la défense des handicapés ou des invalides sur le fonctionnement de ces
commissions.
L'une des conséquences de l'application de la loi de 1994 serait que les
particuliers concernés interjettent appel de plus en plus fréquemment auprès de
la Cour nationale de l'incapacité, ce qui retarde la gestion des dossiers et la
prise de décision.
C'est pourquoi, madame la secrétaire d'Etat, je vous demande de bien vouloir
me faire connaître votre position sur ces tribunaux, sur la loi de 1994 et sur
de tels fonctionnements, ainsi que l'état d'avancement des textes
réglementaires d'application de la loi précitée.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur,
vous avez attiré l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité
sur la réforme du contentieux technique de la sécurité sociale initiée par la
loi du 18 janvier 1994 et qui, comme vous le signalez, reste à ce jour
inachevée.
Il semble en particulier que le maintien de la présence de fonctionnaires au
sein des tribunaux du contentieux de l'incapacité, prévu par la loi du 18
janvier 1994, pose une difficulté au regard des principes gouvernant
l'organisation des juridictions judiciaires.
Une alternative est concevable pour remédier à cette difficulté : soit
modifier la composition de ces instances, soit maintenir leurs modalités
actuelles d'organisation tout en supprimant la nature juridictionnelle des
tribunaux du contentieux de l'incapacité, l'ensemble du contentieux se trouvant
dès lors soumis, après examen préalable par une instance administrative ou
paritaire, à la Cour nationale du contentieux technique.
Les services de Mme Aubry ont été chargés d'élaborer, en concertation avec
ceux de la Chancellerie, des propositions permettant de lever rapidement cette
difficulté.
M. Jean-Marc Pastor.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Madame la secrétaire d'Etat, j'ai bien entendu votre réponse. Je serai
attentif aux futurs textes qui nous permettront de mieux comprendre le
mécanisme général.
Je continuerai toutefois à vous interroger car, à l'époque de la
décentralisation, il est aberrant que, pour régler certains cas, il faille
attendre la décision d'une structure nationale.
Les tribunaux instaurés par la loi de 1994 permettaient de régler localement
nombre de questions.
J'espère que le nouveau dispositif permettra de répondre à ces interrogations
et à ces fortes demandes de structures locales.
MESURES EN FAVEUR DE L'AMÉLIORATION
DE LA SITUATION MATÉRIELLE
DES CONJOINTS SURVIVANTS
M. le président.
La parole est à M. Foy, auteur de la question n° 294, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Alfred Foy.
Ma question s'adressait à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité,
mais j'ose espérer que Mme la secrétaire d'Etat à la formation professionnelle
pourra y apporter une réponse positive.
Cette question est relative à la nécessité d'améliorer les conditions
matérielles d'existence des conjoints survivants. A cet effet, il serait
souhaitable d'adopter rapidement un certain nombre de mesures destinées à faire
évoluer leurs droits, et tout d'abord dans le domaine de l'assurance veuvage,
dont le fonctionnement actuel n'apparaît plus adapté aux besoins urgents d'une
population en proie à l'aggravation de ses difficultés.
Versée aux conjoints survivants âgés de moins de cinquante-cinq ans à
condition qu'ils ne dépassent pas un plafond de ressources, l'assurance veuvage
doit permettre, selon l'esprit de la loi du 17 juillet 1980 qui l'a instituée,
de leur assurer une aide financière temporaire, dans l'attente d'une
amélioration de leur situation, c'est-à-dire avant qu'ils ne perçoivent soit
une retraite personnelle soit une pension de réversion.
Cette allocation, d'un montant de 3 073 francs par mois la première année,
passe à 2 019 francs la deuxième année et à 1 537 francs la troisième. Elle est
donc tout à fait insuffisante dès la deuxième année, puisqu'elle est inférieure
au montant du revenu minimum d'insertion. Par conséquent, il est primordial de
la revaloriser et d'attribuer, ce qui n'est pas le cas actuellement, une
majoration pour tout enfant à charge. Une telle majoration paraît d'autant plus
justifiée que l'allocation veuvage est dévolue à des personnes relativement
jeunes, et donc susceptibles d'élever des enfants.
En ce qui concerne les pensions de réversion, il paraît indispensable d'en
augmenter le taux compte tenu du nouveau régime d'assurance vieillesse. En
effet, le calcul de la retraite, qui s'établira désormais sur la base des
salaires moyens des vingt-cinq meilleures années, et le relèvement du nombre de
trimestres requis auront pour effet une diminution du montant de la réversion.
Parallèlement à la majoration du taux actuel de 54 %, il convient, dans un
souci d'équité, d'aligner le taux des régimes spéciaux sur celui du régime
général. Le Gouvernement l'a fait, à juste titre, pour les marins et les
mineurs ; il faudrait à présent généraliser cette mesure.
Je vous remercie, madame la secrétaire d'Etat, de bien vouloir m'indiquer les
dispositions que le Gouvernement compte prendre dans les différents domaines
que je viens d'évoquer.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur,
vous avez attiré l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité
sur deux dispositifs actuellement en vigueur en matière de protection sociale
du conjoint survivant : l'allocation veuvage, d'une part, qui bénéficie aux
seuls ressortissants du régime général ; la pension de réversion, d'autre part,
qui est attribuée par tous les régimes de retraite selon des modalités
variables.
Pour ce qui concerne la pension de réversion, vous souhaitez à la fois que
soit relevé le taux de réversion de 54 % aujourd'hui en vigueur dans le régime
général et les régimes alignés sur lui - artisans, industriels et commerçants,
salariés agricoles - et que soient augmentés les taux de réversion,
généralement inférieurs, pratiqués par les régimes spéciaux.
Le Gouvernement ne méconnaît pas les difficultés que peuvent rencontrer les
veufs et veuves, notamment les plus démunis d'entre eux.
Cependant, comme vous le savez, une revalorisation significative du taux de la
pension de réversion représenterait une charge financière importante pour
l'assurance vieillesse du régime général - de l'ordre 2 milliards à 3 milliards
de francs pour un taux passant à 60 % - alors qu'elle ne toucherait pas
nécessairement les titulaires de faibles droits de réversion. En effet, lorsque
ceux-ci sont inférieurs au montant de l'allocation aux vieux travailleurs
salariés, d'un montant de 1 444 francs au 1er janvier 1998, ils sont portés au
niveau de cette allocation, qui constitue donc la référence pour le minimum de
pension de réversion.
En outre, c'est dans le cadre global de l'équilibre financier de la branche
vieillesse et veuvage qu'il faut envisager un éventuel relèvement du nivau de
la pension de réversion puisque celle-ci est financée par la cotisation de
droit commun à l'assurance vieillesse, acquittée par l'ensemble des cotisants
du régime pour se constituer un droit propre à retraite.
S'agissant d'une revalorisation des pensions de réversion dans les régimes
spéciaux, il importe de rappeler que les différences dans les modalités
d'attribution de la pension de réversion s'expliquent par l'histoire propre de
ces régimes. Si leur taux de réversion est inférieur à celui du régime général,
la pension de réversion est, en revanche, attribuée sans condition d'âge ni de
ressources. Une comparaison entre le régime général et les régimes spéciaux
doit se faire non pas isolément, sur un type de prestation, mais à partir d'une
connaissance d'ensemble des droits et obligations qui les caractérisent, ainsi
qu'en fonction des perspectives démographiques qui leur sont propres.
A cet égard, il sera utile de disposer des réflexions et conclusions de la
mission confiée au Commissariat général du plan sur les différents régimes de
retraite.
Je tiens cependant à rappeler que le Gouvernement a décidé de porter de 52 % à
54 % le taux de réversion dans le régime des mines, compte tenu de la situation
spécifique des veuves de mineurs : la quasi-totalité de celles-ci n'ont pas de
pension personnelle, et leur pension de réversion est faible ; d'ailleurs 72 %
d'entre elles sont non imposables.
S'agissant maintenant de l'allocation veuvage, cette prestation, ouverte aux
veufs et veuves âgés de moins de cinquante-cinq ans et ayant eu au moins un
enfant, a vocation à assurer une aide temporaire permettant au conjoint
survivant de faire face aux conséquences du veuvage et, par suite, d'envisager
la nécessaire adaptation de son mode de vie dans une situation de moindre
urgence.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement est favorable à une réforme de
l'allocation veuvage. Mme Aubry l'a d'ailleurs rappelé tout récemment, en
réponse à une question d'actualité posée par M. Jacquat, à l'Assemblée
nationale.
En effet, les services du ministère de l'emploi et de la solidarité examinent
actuellement les propositions de réforme suggérées par Mme Join-Lambert dans
son rapport remis au Premier ministre. Il s'agit de supprimer la dégressivité
de l'allocation : la durée de service serait ramenée à deux ans et le montant
de l'allocation serait fortement revalorisé en deuxième année.
Je vous informe, monsieur le sénateur, que la réforme sera soumise au
Parlement, dans le cadre du projet de loi sur le financement de la sécurité
sociale, à l'automne prochain.
M. Alfred Foy.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Foy.
M. Alfred Foy.
Madame la secrétaire d'Etat, je prends acte de la bonne volonté du
Gouvernement sur ces questions.
Bien entendu, je n'ignore pas qu'une évolution dans ce domaine représente une
lourde charge financière mais je reste, je l'avoue, un peu sur ma faim :
j'attendais un peu plus. Toutes les personnes en difficulté dont j'ai évoqué la
situation jugeront.
CALCUL DE LA TAXE LOCALE D'ÉQUIPEMENT
M. le président.
La parole est à M. Leclerc, auteur de la question n° 277, adressée à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, par cette question qui
concerne également le ministre de l'agriculture, je souhaitais attirer
l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement
sur les conséquences pour les propriétaires de serres de production d'une
circulaire du 19 juin 1996.
Cette circulaire, qui réinterprète certains articles du code de l'urbanisme,
prévoit que seules les surfaces annexes aux bâtiments de l'exploitation
agricole peuvent être exonérées des taxes d'urbanisme, et notamment de la taxe
locale d'équipement. Elle en déduit que les surfaces de serres, dès lors
qu'elles constituent la surface principale de l'exploitation, ne peuvent être
qualifiées de surfaces annexes au sens du code de l'urbanisme et sont donc
soumises au champ d'application de la taxe locale d'équipement.
Cette nouvelle interprétation n'a pas échappé aux communes de moins de 10 000
habitants, qui n'ont pas manqué, depuis 1996, de soumettre les nouvelles
constructions de serres à cette taxe sans tenir compte de la faculté qui leur
est offerte par le paragraphe IV de l'article 1585 du code général des impôts
d'en exempter les constructions à caractère agricole et constitutives de
surface hors oeuvre nette.
Ainsi, un hectare de serres peut être taxé jusqu'à 395 000 francs au titre de
la taxe locale d'équipement, ce qui est tout de même assez exorbitant, surtout
si l'on compare ce montant au prix du mètre carré de serre, qui est de 160 à
230 francs.
Une telle situation devient totalement incompréhensible lorsqu'on sait que
l'ONIFLHOR se fonde sur un forfait de 230 francs par mètre carré pour calculer
le montant de la subvention octroyée pour la construction de serres.
Pourquoi donner d'un côté si c'est pour reprendre plus de l'autre ?
Enfin, je pense que, avec cette nouvelle interprétation, nous sommes très loin
de la volonté initiale du législateur. En effet, plusieurs éléments laissent
penser qu'il voulait exonérer toutes les surfaces de serres de cette taxe.
De nombreuses constructions de serres étant suspendues au règlement de ce
dossier, j'aimerais savoir si, afin de mettre un terme à cette situation, M.
Gayssot envisage de rappeler aux maires la faculté dont dispose le conseil
municipal d'exempter de la taxe locale d'équipement les constructions
agricoles, comme le souligne la circulaire en cause, ou tout simplement de
faire modifier légèrement le texte de loi en supprimant, à l'article L. 112-7
du code de l'urbanisme, le mot « annexes ».
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur,
M. Jean-Claude Gayssot, actuellement en déplacement à l'étranger, m'a demandé
de répondre à sa place à votre question à partir des éléments qu'il a préparés
à votre intention.
La jurisprudence administrative, notamment dans un arrêt du 22 décembre 1994
de la cour administrative d'appel de Nantes, a précisé que des locaux à usage
de production agricole ne peuvent être réputés constituer des locaux annexes
des bâtiments des exploitations.
La circulaire n° 96-39 du 19 juin 1996 s'est limitée à rappeler aux services
chargés de l'instruction des permis de construire et de la liquidation des
taxes d'urbanisme qu'en application des dispositions combinées des articles L.
112-7 et R. 112-2 du code de l'urbanisme seules les serres de production et les
surfaces de planchers affectées à l'hébergement des animaux, des récoltes ou du
matériel constituant des « annexes » sont exclues du calcul de la surface hors
oeuvre nette, la SHON.
La notion de surfaces annexes des exploitations agricoles telle qu'elle est
définie par le législateur s'est révélée trop floue et laisse place à une
grande marge d'appréciation.
La suppression du mot « annexes » dans l'article L. 112-7 du code de
l'urbanisme pourrait constituer la première étape d'une clarification en
autorisant un élargissement des dispositions réglementaires de l'article R.
112-2 dudit code.
Par décret en Conseil d'Etat, le Gouvernement serait alors en mesure d'adapter
le dispositif de définition et de calcul de la SHON aux évolutions des usages
et de l'affectation des bâtiments des exploitations agricoles.
Je vous précise que l'ensemble des difficultés soulevées a fait l'objet
d'examens techniques approfondis avec les représentants des professions
agricoles.
Compte tenu de l'importance des différentes législations concernées par le
mode de calcul de la SHON, il va de soi que les nouvelles mesures devront
concilier tout à la fois les intérêts des agriculteurs pour ce qui est de
l'implantation de leurs locaux professionnels, les souhaits des collectivités
locales en matière d'aménagement et de protection de l'environnement ainsi que
le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, en l'espèce
les taxes liées à la délivrance des autorisations de construire.
Cependant, en l'état actuel du droit, les conseils municipaux peuvent, en
matière de taxe locale d'équipement, soit en limiter le taux à 1 %, soit en
exempter les constructions annexes des bâtiments des exploitations agricoles,
aux termes de l'article 1585 C, paragraphe IV, du code général des impôts.
M. Dominique Leclerc.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
J'ai bien écouté votre réponse, madame le secrétaire d'Etat, mais je tiens à
inciter le Gouvernement à aller bien au-delà. Aujourd'hui, nous le savons tous,
les productions nationales, qu'elles soient légumières ou floristiques,
souffrent d'une très vive concurrence internationale, souvent de l'Europe du
Sud. En outre, ces productions demandent une grande main-d'oeuvre qui ne trouve
souvent de débouché que dans ces professions exigeant peu de qualification.
J'aurais donc aimé qu'un effort soit réalisé pour alléger les charges de tous
ces producteurs.
SITUATION FINANCIÈRE DE LA SNCF
M. le président.
La parole est à M. Bernard, auteur de la question n° 280, adressée à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Jean Bernard.
Alors que l'on attend la publication du rapport annuel des comptes de la SNCF,
j'ai tenu à interroger M. le ministre de l'équipement, des transports et du
logement sur la situation financière de l'entreprise, un peu plus d'un an après
la réforme du 13 février 1997, réalisée par son prédécesseur, M. Bernard Pons,
et approuvée par le Parlement.
Comme chacun le sait, la réforme de 1997 a permis à la SNCF de se redresser
financièrement, tout au moins partiellement, grâce à la reprise par Réseau
ferré de France, RFF, de son endettement, particulièrement important et
préoccupant pour l'avenir de l'entreprise.
Cependant, le redressement financier et le retour à l'équilibre, que chacun
souhaite, nécessitent, selon la loi de 1997, un recentrage de la SNCF sur sa
mission première, l'exploitation ferroviaire.
Or cette nécessaire clarification des missions de la SNCF passe par une
diminution sensible du nombre de ses filiales, qui n'ont parfois qu'un lointain
rapport avec la mission de l'entreprise. Où en sommes-nous sur les évolutions
préconisées par la loi de 1997 ?
Cette réforme donne à la SNCF tous les moyens pour entreprendre un
redressement durable ; encore faut-il qu'aux efforts financiers de la
collectivité corresponde une adaptation de l'entreprise, notamment en ce qui
concerne sa productivité.
C'est pourquoi je demande à M. le ministre de l'équipement, des transports et
du logement de bien vouloir dresser un rapport d'étape sur la situation
financière de la SNCF depuis la mise en oeuvre de cette réforme.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur,
M. Jean-Claude Gayssot étant en déplacement à l'étranger, je me ferai un
plaisir de vous apporter la réponse qu'il a préparée à votre intention.
L'endettement de près de 200 milliards de francs que supportait la SNCF était
largement lié au financement des infrastructures décidées par l'Etat. Il
privait l'entreprise de véritables perspectives d'avenir et risquait, en fait,
de remettre en cause la pérennité du transport ferroviaire dans son
ensemble.
Pour avoir suivi attentivement les travaux préalables et la discussion de la
loi portant création de Réseau ferré de France, RFF, vous savez que le seul
transfert, en 1997, de 134,2 milliards de francs de la dette de la SNCF à RFF,
sans financements nouveaux de l'Etat, n'avait pas réglé le problème global de
l'endettement ferroviaire.
Il n'a fait, en réalité, que le déplacer de la SNCF vers RFF. Comme M.
Jean-Claude Gayssot l'a indiqué à plusieurs reprises, il fallait aller plus
loin. L'une des premières décisions que le gouvernement actuel a été amené à
prendre a donc consisté à réduire l'endettement résiduel de la SNCF de 28,3
milliards de francs.
Cela a d'ores et déjà permis à l'entreprise de faire une économie de frais
financiers de près de 1,8 milliard de francs par an, d'embaucher un millier
d'agents de plus que ce qui était initialement prévu en 1997 et d'améliorer
très sensiblement son compte de résultat.
L'entreprise publique se rapproche donc de l'équilibre et peut ainsi se
mobiliser sur la reconquête des trafics, qui est l'un de ses principaux
objectifs. Les chiffres pour 1997 et 1998 sont, à cet égard, très prometteurs,
puisque tous les trafics, notamment le fret, sont en forte augmentation.
A moyen terme, l'entreprise devrait donc être capable de relever le défi du
développement et être à même de conquérir de nouvelles parts de marchés, afin
que le ferroviaire retrouve sa place dans le cadre d'un meilleur équilibre
entre les différents modes de transport.
A cette fin, les dotations en capital, qui s'élevaient à 8 milliards de francs
en 1997, ont été portées à 10 milliards de francs en 1998.
Pour les trois années qui viennent, M. le ministre des transports vient
d'annoncer, parmi d'autres mesures qui toutes visent à assurer le développement
du transport ferroviaire, que l'Etat accroîtra encore ses efforts financiers
afin que la dette de RFF soit stabilisée et qu'elle commence à décroître.
De plus, je vous rappelle que le Gouvernement a décidé de se donner les moyens
nécessaires au financement du TGV Est européen et au lancement des études pour
la réalisation du TGV Rhin-Rhône.
Vous le voyez, monsier le sénateur, la volonté du Gouvernement est forte et
son effort bien réel, car il croit au développement du transport
ferroviaire.
M. Jean Bernard.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Bernard.
M. Jean Bernard.
Je souhaiterais pouvoir partager votre optimisme, madame le secrétaire d'Etat
! L'effort demandé à la collectivité est tout de même très important et je
voudrais qu'à cet effort corresponde un effort plus soutenu de l'entreprise.
Vous avez parlé du TGV Est. Je connais bien le dossier, puisque le département
de la Marne est intéressé. Le financement est assuré, dites-vous ? Certes, tout
au moins partiellement, car nous ne connaissons pas encore les décisions des
collectivités locales, qui sont de nouveau sollicitées.
Donc, oui à l'optimisme, mais à un optimisme raisonné !
CONTRÔLE DES INSTALLATIONS D'ASSAINISSEMENT
NON COLLECTIF
M. le président.
La parole est à M. Dussaut, auteur de la question n° 263, adressée à Mme le
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
M. Bernard Dussaut.
Monsieur le secrétaire d'Etat, depuis le 1er janvier dernier, en application
de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992 et de l'arrêté du 6 mai 1996 fixant les
modalités du contrôle technique exercé par les communes sur les systèmes
d'assainissement non collectifs, les services des directions départementales
des affaires sanitaires et sociales, les DDASS, ne délivrent plus de certificat
de conformité sur l'installation d'un dispositif d'assainissement autonome. Ce
sont les maires qui doivent s'en charger.
Les problèmes consécutifs à ce transfert de compétences, qui a été précisé par
la circulaire du 22 mai 1997, vont se poser réellement à compter du 1er juillet
prochain. En effet, les services des DDASS avaient accepté une période de
transition, en instruisant pendant ces six derniers mois les dossiers nouveaux
pour le compte des communes.
Les inquiétudes sont fortes, car ces nouvelles attributions sont lourdes,
d'autant plus lourdes que les communes sont petites. Nous nous trouvons face à
quatre grands types d'interrogation.
Le premier est d'ordre technique : les maires s'inquiètent de la capacité
d'appréciation technique de leurs services. En effet, les communes non
rattachées à une communauté urbaine ne disposent généralement pas de
techniciens qualifiés, voire de services capables d'assumer cette nouvelle
responsabilité.
Les maires s'interrogent donc sur les aides techniques que les services
concernés de l'Etat seront en mesure d'offrir, notamment lorsqu'ils sont élus
de petites communes rurales qui ne disposent, elles, d'aucun service technique.
Certes, pour ces communes, l'intercommunalité semble être un atout : elles
peuvent confier au syndicat des eaux la gestion du contrôle, puis du suivi des
installations. Cependant, cette « solution » n'en est pas vraiment une puisque,
comme nous allons le voir, un certain nombre d'autres interrogations restent en
suspens.
En effet, le deuxième type d'interrogation est d'ordre financier, avec la
grande inconnue du coût que ce transfert va engendrer.
Cette question du coût reste entière, que la commune soit intégrée ou non à
une structure intercommunale.
Le troisième type d'interrogation est d'ordre juridique. Nous assistons, en
effet, à un transfert de responsabilités des services de l'Etat vers les
maires. Une aide spécifique sera-t-elle prévue pour une appréciation technique
de la validité ou de la non-validité de ce type d'installation ? Que se
passera-t-il en cas de problèmes ? Quelles seront les responsabilités civiles
ou pénales qui seront désormais celles des élus locaux ?
Et quand bien même vous pourriez, monsieur le secrétaire d'Etat, répondre à
ces interrogations, il reste la difficulté pratique de la mise en place d'un
contrôle de l'assainissement autonome par les élus. L'accès aux propriétés est
indispensable pour effectuer le contrôle et, même si le maire dispose, de par
sa fonction, des pouvoirs de police en matière de salubrité, on peut craindre
l'incompréhension de certains propriétaires.
Qui plus est, le flou juridique qui entoure encore les collectivités assurant
la maîtrise d'ouvrage de travaux de réhabilitation dans l'enceinte d'une
propriété privée n'aura-t-il pas également des incidences dans ce cadre précis
? Je vous rappelle que le propriétaire conserve le droit de faire appel au
prestataire de son choix à partir du moment où l'on intervient dans sa
propriété.
Nous allons donc devoir faire preuve de grandes qualités en matière de
pédagogie et de persuasion !
Ainsi, les problèmes résultant de ce transfert de compétences sont très
nombreux et les élus qui se voient attribuer ces nouvelles responsabilités ont
le sentiment de n'avoir aucunement les moyens de les assumer correctement :
techniquement, pratiquement, juridiquement et financièrement, cela apparaît à
la majorité d'entre eux comme une charge supplémentaire et un désengagement
total de l'Etat.
Au regard de toutes les questions soulevées, ne serait-il pas opportun,
monsieur le secrétaire d'Etat, d'envisager que les directions départementales
de l'équipement soient autorisées, par délégation, à effectuer les contrôles
techniques, d'une part avant la délivrance du certificat de conformité dans le
cadre de l'instruction du permis de construire, d'autre part, lors des
contrôles et de l'entretien de ces installations au cours des années qui
suivront ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, vous avez attiré
l'attention de Mme Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de
l'environnement, sur l'assainissement non collectif. Ma collègue est au
Danemark, où elle participe à une conférence des ministres chargés de
l'environnement en vue de la signature de la convention paneuropéenne sur
l'information et la participation du public en matière de décisions
environnementales. Elle m'a donc demandé de vous prier de l'excuser et de vous
faire part des éléments de réponse suivants.
La loi sur l'eau a modifié le code de la santé publique et le code général des
collectivités territoriales pour faire de l'assainissement non collectif un
mode de traitement des eaux usées à part entière. En effet, lorsque les
conditions techniques requises sont mises en oeuvre, l'assainissement non
collectif garantit des performances comparables à celles de l'assainissement
collectif et permet de disposer de solutions plus économiques pour l'habitat
dispersé. Il constitue alors la solution de référence en milieu rural.
Contrairement à l'assainissement collectif, la prise en charge de la
réalisation et du fonctionnement des ouvrages appartient aux personnes privées,
qui sont par conséquent responsables en cas de pollution.
Cependant, afin d'assurer le bon fonctionnement de ces installations, la loi
sur l'eau fait obligation aux communes de mettre en place des services publics
d'assainissement non collectif.
La mission de ces nouveaux services publics est d'assurer à la fois le
contrôle des installations d'assainissement non collectif lors de leur
réalisation et un contrôle régulier de leur bon fonctionnement et de leur
entretien. Ces services pourront également proposer d'assurer eux-mêmes
l'entretien des installations, mais cette mission est facultative.
Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement a
conscience de la lourdeur de cette nouvelle mission pour les communes, en
particulier les communes rurales.
Cette mission est toutefois nécessaire au bon fonctionnement de
l'assainissement non collectif en milieu rural, c'est-à-dire, en dernier
ressort, à l'amélioration effective de la qualité de l'eau. En effet, il est à
déplorer que les programmes antérieurs, trop tournés vers l'assainissement
collectif, aient été incapables d'améliorer réellement la situation en milieu
rural.
Pour faciliter la tâche des communes - c'est bien là votre préoccupation,
monsieur le sénateur - Mme Dominique Voynet tient à souligner différents
points.
Tout d'abord, un délai important a été donné aux communes pour mettre en place
le service de contrôle de l'assainissement non collectif, puisqu'elles ont
jusqu'au 31 décembre 2005 pour organiser ce service.
Par ailleurs, les communes, en particulier les communes rurales, ont tout
intérêt à se regrouper en syndicat intercommunal pour exercer cette nouvelle
compétence afin de s'assurer d'un périmètre d'intervention suffisant. Ce
regroupement facilitera également l'emploi à temps plein de personnes
qualifiées. Les agences de l'eau étudient actuellement les modalités
d'utilisation des emplois jeunes dans ce cadre, ce qui devrait permettre de
réduire les coûts de mise en place des services tout en créant des emplois
durables.
Enfin, ce service industriel et commercial est financé, comme le service
d'assainissement collectif, par une redevance qui sera mise à la charge des
usagers.
Le contrôle technique de l'assainissement non collectif ne doit pas être
confondu avec l'instruction du permis de construire. Il ne peut être délégué,
j'y insiste, aux directions départementales de l'équipement, ni être réalisé
dans le cadre de la prestation d'aide technique à la gestion communale confiée
par les collectivités locales aux directions départementales de
l'équipement.
Toutefois, le service d'assainissement non collectif chargé du contrôle peut
faire appel à des prestataires privés pour assurer certaines de ses missions
et, éventuellement, aux services déconcentrés de l'Etat, notamment ceux de la
direction départementale de l'équipement, non pas dans le cadre d'une
délégation de services, mais des prestations rémunérées d'assistance aux
collectivités, la charge revenant aux particuliers desservis.
Telles sont les précisions que je pouvais vous apporter. J'espère qu'elles
vous éclaireront sur cette question qui préoccupe sûrement les collectivités
locales en milieu rural, puisque vous vous en êtes fait l'écho.
M. Bernard Dussaut.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Dussaut.
M. Bernard Dussaut.
Je vous remercie de cette réponse, monsieur le secrétaire d'Etat. Toutefois,
elle n'est pas de nature à me rassurer. En effet, vous n'avez pas apporté de
précisions sur le plan juridique, notamment.
S'agissant de l'intervention du maire sur des propriétés privées, le problème
reste entier. Vous confirmez que cette mission est confiée au maire. Certes, un
délai est prévu, à savoir 2005. Cependant, d'ici là, la DDASS ne va plus
assurer ces attributions. En effet, les réunions qui se sont tenues dans les
départements et les cantons ont mis en évidence qu'elle n'assurerait plus ce
service à partir du 1er juillet. Nous ne savons pas si tel sera le cas jusqu'en
2005.
En outre, nous n'avons pas de réponse sur le coût d'un tel dispositif pour les
communes. Certes, les maires pourront demander l'intervention des services de
l'Etat, à savoir la DDE, mais, là encore, il y aura un coût.
Chaque maire devra-t-il acheter un niveau à bulle afin de déterminer si la
pente est respectée ?
Il s'agit d'une mission très difficile à assumer et votre réponse ne me
satisfait pas vraiment.
ENTRETIEN DES RIVIÈRES
M. le président.
La parole est à M. Hyest, auteur de la question n° 279, adressée à Mme le
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je souhaitais interroger Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de
l'environnement sur les difficultés que rencontrent les syndicats
intercommunaux d'aménagement et d'entretien de rivière pour appliquer la loi
sur l'eau du 3 janvier 1992.
Je rappelle que l'article 31 de cette loi associe les termes « entretien » et
« aménagement » des cours d'eau non domaniaux. De ce fait, par une
interprétation rigide, certains services chargés de la police des eaux
demandent que les travaux d'entretien soient soumis à enquête publique. Cette
situation a de graves inconvénients. En dehors des dépenses supplémentaires
nécessaires - de 30 000 à 50 000 francs en moyenne tous les cinq ans - cela
risque en effet d'entraîner une remise en cause des travaux d'entretien, alors
même que c'est en raison de la carence des riverains, légalement soumis à une
obligation d'entretien des cours d'eaux non domaniaux, que les syndicats de
rivière se sont constitués.
L'application de la réglementation en ces termes aboutit, selon moi, à un
non-sens puisqu'il faut préciser dans le dossier soumis à enquête publique les
modalités d'entretien des travaux... d'entretien. On a bouclé la boucle, la
technocratie est superbe dans ce domaine !
S'il s'agit de justifier l'emploi de fonds publics sur des terrains privés,
cette position des services de l'Etat apparaît d'autant plus excessive que,
aussi bien lors de la constitution de ces syndicats que lors de l'engagement
des travaux d'aménagement initiaux, les collectivités se sont engagées à
pérenniser ces premiers investissements par une garantie d'entretien ultérieur
et que, par ailleurs, les dépenses d'entretien présentent un caractère
obligatoire, aux termes du code rural.
C'est pourquoi il me paraîtrait urgent de donner les instructions nécessaires
pour la suppression de mesures administratives actuellement préconisées dans
certains départements, dont la Seine-et-Marne, qui est bien connu pour le rôle
tout à fait actif joué par sa direction départementale de l'agriculture dans ce
domaine.
Bien entendu, je souhaiterais connaître les mesures que le Gouvernement compte
prendre pour mettre fin à cette anomalie juridique, qui ne peut que
compromettre les efforts très importants réalisés par les collectivités locales
pour l'entretien des rivières. Les collectivités locales ne peuvent plus
accepter que des procédures excessives et des coûts d'études très importants
entravent, en définitive, la réalisation de travaux, laquelle constitue tout de
même la finalité des syndicats concernés.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, vous faites part à
Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement des
difficultés que rencontrent les syndicats intercommunaux des rivières
s'agissant de l'application, aux travaux d'entretien des cours d'eau non
domaniaux, des dispositions de l'article 31 de la loi sur l'eau du 3 janvier
1992, qui imposent en effet une procédure assortie d'une enquête publique. Ma
collègue, qui est au Danemark et vous prie de bien vouloir l'excuser de ne
pouvoir être présente ce matin, m'a demandé de vous transmettre les éléments de
réponse suivants.
Les travaux d'entretien des cours d'eau non domaniaux incombent, en principe,
aux riverains.
Les collectivités territoriales, au nombre desquelles leurs groupements que
constituent les syndicats intercommunaux de rivières, ont été habilitées, par
le législateur, à se substituer aux riverains - article 31 de la loi sur l'eau
du 3 janvier 1992 - pour entreprendre, en particulier, l'exécution d'opérations
d'intérêt général ou urgentes.
Les travaux d'entretien et d'aménagement d'un cours d'eau non domanial font
partie des actions qui ne ressortent pas normalement de leurs compétences.
Encore faut-il s'assurer que ces opérations entreprises par des collectivités
publiques sur des terrains privés en lieu et place de leurs propriétaires
présentent bien un caractère d'intérêt général. C'est pourquoi elles ne sont
autorisées à les entreprendre qu'à l'issue de la mise en oeuvre de la procédure
prévue aux articles L. 151-36 à L. 151-40 du code rural, c'est-à-dire une
déclaration d'intérêt général ou d'urgence précédée d'une enquête publique.
Cette procédure vise à permettre aux collectivités d'intervenir sur des
propriétés qui ne sont pas les leurs - ce qui, sans enquête publique, pourrait
être perçu comme une violation du droit de propriété - et de garantir une bonne
utilisation des deniers publics en vérifiant notamment la pérennité des actions
d'aménagement ou d'entretien qui sont entreprises.
La participation financière des personnes qui ont rendu nécessaire, notamment
les propriétaires défaillants, ou utile l'intervention ou qui y trouvent un
intérêt peut d'ailleurs être prévue dans ce cadre.
Garantir ainsi la sécurité juridique de l'intervention des collectivités
s'impose quelle que soit la nature de l'opération, qu'il s'agisse
d'aménagements ou d'entretien. C'est la raison pour laquelle il ne paraît pas
possible d'accéder à votre demande, et j'en suis désolé.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je conçois que, pour les travaux d'aménagement, il y ait une enquête publique.
Mais il y a une contradiction en ce qui concerne les travaux d'entretien, qui
doivent avoir lieu régulièrement. Désormais les services demandent une nouvelle
enquête publique pour les travaux d'entretien. C'est absurde !
Je vais être contraint de déposer une proposition de loi visant à supprimer le
mot « entretien » dans l'article 31. Ainsi, la situation sera claire pour tout
le monde.
Il me paraît tout de même dommage que l'on arrive à ces absurdités, alors que,
avant, le système fonctionnait très bien.
Les travaux d'entretien sont nécessaires. Vous le savez bien, monsieur le
secrétaire d'Etat, s'ils ne sont pas effectués, les travaux d'aménagement
doivent être recommencés au bout de dix ans.
Grâce aux travaux d'entretien, de nombreux emplois-jeunes pourraient être
créés. Mais peut-être s'agit-il de faire travailler des bureaux d'études ou
certaines sociétés ? Cela va à contre-courant de la politique qui doit être
suivie dans ce domaine !
M. Jean-François Le Grand.
Intervention pertinente et intelligente !
M. Gérard César.
Très bien !
AUTORISATION D'EXPLOITATION DU CENTRE
D'ENFOUISSEMENT TECHNIQUE DE BEAUCHÊNE
À SAINT-FROMOND (MANCHE)
M. le président.
La parole est à M. Le Grand, auteur de la question n° 292, adressée à Mme le
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
M. Jean-François Le Grand.
En application de l'article 23-3 du décret du 20 septembre 1997 et de la
circulaire n° 97-103 du 18 juillet 1997, l'ouverture d'un centre
d'enfouissement technique de classe II oblige l'exploitant du site à fournir,
lors de la publication de l'arrêté du préfet donnant autorisation d'exploiter,
une garantie financière concernant le montant des travaux à exécuter en cas de
défaillance de l'exploitant pour la remise en état partielle ou définitive du
site lorsque survient un sinistre. L'intention est bonne.
Aucune banque, aucune société d'assurance consultées, ni même l'ADEME,
l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, n'ont accepté de
donner une garantie financière ou une caution bancaire, estimant qu'elles
pouvaient être entraînées en cas de pollution à supporter des frais dépassant
le montant de la caution donnée et dont la durée pourrait être allongée par
jurisprudence des tribunaux. J'ai consulté toutes les grandes compagnies ainsi
que la fédération française des sociétés d'assurances. Elles ont toutes exprimé
une réponse négative.
Les services du ministère de l'aménagement du territoire ainsi que la
direction du Trésor ont été informés de ce refus des compagnies d'assurances de
participer à ce dispositif de garanties financières sans qu'aucune solution ait
été apportée à ce problème.
S'agissant du centre d'enfouissement technique de Beauchêne à Saint-Fromond
qui est exploité par un syndicat intercommunal à vocation multiple, un SIVOM,
un arrêté préfectoral est en cours de préparation. Mais cet arrêté ne peut pas
être publié dans la mesure où il n'applique pas le décret puisque aucune
garantie financière n'est obtenue. Il s'agit, je le rappelle, d'un syndicat
intercommunal, donc d'une garantie des collectivités.
Je souhaite que vous puissiez apporter une réponse à ce sujet, faute de quoi
aucun centre d'enfouissement technique de classe II ne pourra être exploité.
J'eusse préféré que Mme le ministre de l'environnement me réponde elle-même à
ce sujet mais vous avez indiqué qu'elle se trouve au Danemark. Toutefois, il
est assez logique que le ministre du logement me réponde puisque, s'il n'y
avait pas d'habitat, il n'y aurait pas d'habitants et donc pas de déchets.
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Vous avez effectivement fait observer avec
humour, monsieur le sénateur, qu'à partir de l'habitat il est possible de
toucher à bien des domaines et à nombre de préoccupations. Je vous remercie en
tout cas de la compréhension que vous avez exprimée dans votre propos.
Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement qui est
empêchée de vous répondre personnellement - elle vous prie de bien vouloir l'en
excuser - a pris connaissance, avec un grand intérêt, de la question concernant
les garanties financières des installations de stockage de déchets.
La mise en exploitation de la décharge de Beauchêne à Saint-Fromond, prévue en
septembre 1998, est en effet conditionnée à un acte de cautionnement délivré
par un organisme financier au futur exploitant de la décharge et attestant de
la constitution de ses garanties financières.
Comme vous l'avez souligné, l'exploitant n'a pas trouvé, à ce jour,
d'organisme financier acceptant de le cautionner.
Les services du ministère de l'environnement sont à la disposition de
l'exploitant pour lui communiquer les noms d'assurances et de courtiers qui ont
mis au point un système de mutualisation des garanties financières qu'ils sont
venus présenter aux services du ministère de l'aménagement du territoire et de
l'environnement voilà quelques jours. Il semble qu'aujourd'hui il soit possible
d'apporter une réponse au problème.
Ce système a déjà été adopté par une dizaine d'exploitants de décharges de
déchets ménagers et assimilés, dont certains, à l'instar du cas que vous avez
évoqué, s'étaient vu refuser tout autre système financier.
Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement espère
que l'exploitant concerné trouvera ainsi les garanties financières
indispensables à la bonne gestion de ce type d'installations qui peut
présenter, sur le long terme, des risques pour l'environnement, ce qui
explique, bien sûr, les précautions qui ont été prises.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments qui ont pu être réunis pour
répondre au problème que vous avez soulevé. Celui-ci peut, semble-t-il, être
résolu grâce à la mise en point, toute récente, avec des assurances et des
courtiers, d'un dispositif mutualisé, dont les coordonnées pourront être
communiquées à l'exploitant dont vous exprimez les préoccupations.
M. Jean-François Le Grand.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Le Grand.
M. Jean-François Le Grand.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je me demande si le mieux n'est pas l'ennemi du
bien. Vous m'indiquez que les noms de compagnies, de courtiers d'assurance vont
m'être communiqués. J'en prends acte et vous remercie. Mais je regrette d'avoir
dû poser une question orale pour obtenir une réponse de ce type.
Permettez-moi d'attirer votre attention sur le fait que c'est à un SIVOM, et
donc à une collectivité, que l'on demande une garantie bancaire. Si j'approuve
une telle démarche lorsqu'il s'agit d'un gestionnaire privé - ce dernier peut
être défaillant, disparaître et, comme cela s'est vu pour d'autres cas de
pollution, notamment sur des sites industriels, le problème n'est alors plus
traité - je ne la comprends pas s'agissant d'un SIVOM. En effet, il résulte des
textes régissant les syndicats intercommunaux une obligation de suivi, même
après la disparition du syndicat : les collectivités membres du syndicat sont
tenues d'honorer les engagements pris. Par conséquent, à partir du moment ou le
SIVOM s'engage à exploiter un centre d'enfouissement technique de classe II, il
prend bien évidemment tous les risques inhérents à ce centre d'enfouissement
technique, risques parmi lesquels figurent les risques de pollution d'origine
accidentelle ou autre.
Par conséquent, pourquoi exiger, en plus, une garantie financière auprès
d'une compagnie ou d'un courtier d'assurance ? Des frais supplémentaires
seraient alors imposés aux contribuables. Or les centres d'enfouissement
techniques coûtent déja fort cher, et le traitement de la tonne de déchets
atteint des sommes faramineuses. Ajouter un coût à ce coût dépasserait donc
l'entendement.
Si je comprends que ces textes soient maintenus pour les gestionnaires privés,
je trouve néanmoins illogique qu'il en aille de même pour des collectivités.
J'aimerais donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous transmettiez à Mme
Voynet, quand elle rentrera du Danemark, mes observations, si tant est que vous
les ayez trouvées pertinentes.
(M. le secrétaire d'Etat fait un signe
d'assentissement.)
5
SOUHAITS DE BIENVENUE À M. TOKAEV,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
DU KAZAKHSTAN
M. le président.
J'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune officielle de M.
Kassymjomart Tokaev, ministre des affaires étrangères de la République de
Kazakhstan, qui vient d'être reçu par M. le président du Sénat.
Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la bienvenue et je forme des
voeux pour la parfaite réussite de son séjour en France.
6
QUESTIONS ORALES SANS DEBAT (Suite)
M. le président. Nous en revenons aux réponses à des questions orales sans débat.
MISE EN OEUVRE D'UNE POLITIQUE
DE LA PSYCHOLOGIE SCOLAIRE
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau, en remplacement de Mme Luc, auteur de la
question n° 283, adressée à Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement
scolaire.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la ministre, retenue par des engagements impératifs pris antérieurement
à la décision de report à ce jour de la séance des questions orales, Mme Hélène
Luc m'a demandé de bien vouloir la remplacer. Je le fais d'autant plus
volontiers que la question concernant la fonction de la psychologie scolaire au
sein du système éducatif pour favoriser la réussite de chaque enfant est une
question d'importance.
Il est établi depuis longtemps que l'école ne saurait se réduire à une
relation exclusive maître-élève et que la construction du parcours scolaire, du
développement et de la valorisation du potentiel de chaque enfant passe par la
mobilisation de toutes les compétences de l'éducation nationale, qui doivent se
compléter au sein d'un travail d'équipe.
Enseignants et non enseignants sont tous appelés à remplir pleinement leur
mission par une approche de l'enfant qui doit être à la fois globale et la plus
individualisée possible, dans une société où les difficultés économiques et
sociales pèsent fortement sur les comportements, sur la disponibilité et même
sur des conditions de base agissant sur les capacités physiologiques et
psychiques. Et tous ont à faire face à des situations aujourd'hui de plus en
plus lourdes et complexes.
Or, et sans qu'il soit question d'opposer les uns aux autres, les psychologues
exerçant dans l'éducation nationale, les psychologues scolaires et les
conseillers d'orientation psychologues observent une constante minoration de
leur rôle, de la reconnaissance de leur mission, de leur qualification, des
besoins en postes et en moyens. Cette appréciation unanime ressort de
l'audience que le groupe communiste républicain et citoyen a accordée, à leur
demande, à l'ensemble des syndicats, rassemblés en intersyndicale, sur cette
question de la psychologie scolaire.
Madame la ministre, vous le savez, les difficultés sociales, relationnelles et
de repères, les phénomènes de violence, de maltraitance, une prévention de
l'échec scolaire qui soit la plus précoce possible, l'écoute, le soutien,
l'orientation vers des rééducations diverses sont autant d'exigences qui
appellent des besoins importants, insuffisamment satisfaits actuellement. Il
faut donc engager une nouvelle logique pour ce secteur.
Les zones d'éducation prioritaires, à la relance desquelles le Gouvernement a
déclaré vouloir procéder, sont d'évidence très concernées par les interventions
de la psychologie scolaire.
Ce n'est bien sûr pas exclusif d'autres moyens pour les zones d'éducation
prioritaires et, à cet égard, il faut déplorer que le recours à la calculette
reste encore en vigueur pour la carte scolaire.
Mon amie Hélène Luc, à titre d'illustration, tenait à évoquer devant vous le
cas du collège Henri-Matisse, situé dans une zone d'éducation prioritaire à
Choisy-le-Roi, sa commune, collège qui, grâce à l'extraordinaire mobilisation
de son équipe et de ses élèves, a réalisé un projet très réussi contre la
violence. Celui-ci s'est conclu par une charte du
fair-play
que Michel
Platini et Joseph Blatter ont retenue pour la Coupe du monde et que la jeune
Sarah, élève de 4e, a pu lire au Stade de France devant les téléspectateurs du
monde entier. Mais dans le même temps, madame la ministre, ce collège se voit
ponctionner deux postes et demi pour la rentrée. Imaginez le découragement et
la colère qui peuvent en résulter ! Dans mon département du Val-d'Oise, je
pourrais citer de nombreux exemples semblables. Les actes doivent être en
conformité avec les décisions et les orientations annoncées.
Concernant la psychologie scolaire, des créations de postes nouveaux et à
hauteur des besoins que je viens de rappeler, auxquels s'ajoute le nécessaire
renouvellement consécutif aux départs en retraite qui vont être nombreux,
appellent des recrutements externes, car le vivier des instituteurs se révèle
insuffisant. De plus, de nombreux étudiants en psychologie y trouveraient le
débouché qui leur fait souvent défaut aujourd'hui.
Cela induit également une reconnaissance statutaire précise. Des discussions
avec les personnels ont commencé, et elles doivent donc se poursuivre. Les
réponses à ces questions sont constitutives d'une véritable politique de la
psychologie scolaire pour laquelle je vous demande, madame la ministre, de
m'indiquer vos intentions et vos orientations.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.
Madame la sénatrice,
la nécessité de la psychologie à l'école et de l'intervention de psychologues,
qui est une tradition ancienne au sein de l'institution scolaire, a été conçue
au lendemain de la guerre par le professeur Wallon dans le cadre des réflexions
qui ont conduit au « plan Langevin - Wallon ».
Dès la mise en place de la psychologie scolaire en 1960, un principe a été
affirmé : le psychologue scolaire n'est pas un spécialiste venu de l'extérieur
de l'institution, mais il fait partie de l'institution scolaire.
Lors de la création en 1970 des groupes d'aide psychopédagogiques, leur place
a été reconnue dans le dispositif de prévention des inadaptations scolaires. La
circulaire de 1990 redéfinit leurs missions et fonde la spécificité de
l'exercice de la psychologie en milieu scolaire et l'identité professionnelle
des psychologues scolaires.
Les psychologues scolaires, dans le cadre des réseaux d'aides spécialisées aux
élèves en difficulté, apportent l'appui de leurs compétences pour la prévention
des difficultés scolaires, pour l'élaboration du projet pédagogique de l'école,
pour la conception, la mise en oeuvre et l'évaluation des aides aux élèves en
difficulté. C'est pourquoi une expérience pédagogique préalable a toujours
semblé nécessaire pour exercer ces fonctions.
Aujourd'hui, les psychologues scolaires sont donc des enseignants choisis pour
recevoir une formation spécifique, dispensée dans un institut universitaire de
psychologie, leur permettant de répondre aux exigences de la loi du 25 juillet
1985 relative à l'usage professionnel du titre de psychologue. L'autorisation
de faire usage du titre de psychologue scolaire leur a été accordée par le
décret du 22 mars 1990.
C'est la raison pour laquelle il n'est pas souhaitable d'avoir recours à des
psychologues complètement extérieurs à l'école. Je tiens d'ailleurs à maintenir
tout particulièrement ce lien entre le métier d'enseignant et celui de
psychologue scolaire, et je ne dérogerai pas à ce principe. Nous avons besoin,
en effet, que les adultes éducateurs au service de l'enfant aient la même
vision de l'intérêt de l'enfant et soient associés à la même démarche
pédagogique.
Les instructions adressées aux inspecteurs d'académie relativement aux
conditions d'exercice de la profession de psychologue scolaire et, notamment, à
la spécificité des horaires consacrés aux diverses activités que les
psychologues scolaires exercent au cours de la semaine scolaire constituent la
reconnaissance de fait de l'importance de leur rôle, que je tiens à souligner
ici sans aucune ambiguïté.
Compte tenu du profil démographique de la profession, un nombre important de
psychologues scolaires fera valoir ses droits à la retraite dans les années à
venir. Une réflexion est d'ores et déjà engagée au ministère pour que leur
remplacement soit assuré de la meilleure façon.
Par ailleurs, le Gouvernement a réaffirmé dans le projet de loi d'orientation
relatif à la lutte contre les exclusions le rôle des psychologues scolaires :
en tant que tels, ils font partie des comités d'éducation à la santé et à la
citoyenneté que j'ai créés dans l'ensemble des établissements scolaires et qui
vont commencer à se mettre en place dès la rentrée prochaine.
J'ajoute que les organisations représentatives des psychologues scolaires sont
reçues régulièrement au ministère de l'éducation nationale, de la recherche et
de la technologie. Les psychologues scolaires savent donc que leurs
préoccupations sont prises en compte dans le cadre de la réflexion qui se
déroule actuellement avec beaucoup de sérieux et de détermination.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la ministre, vous avez rappelé la tradition ancienne de la psychologie
scolaire dans notre pays, et vous avez cité le plan Langevin-Vallon. Si ce plan
est un grand principe, ce qui manque, aujourd'hui, ce sont les moyens. C'est
pourquoi, madame la ministre, votre réponse ne me satisfait pas totalement dans
la mesure où elle ne va pas plus loin et n'est pas plus précise que la réponse
écrite publiée au
Journal officiel
du 11 juin.
Vous indiquiez déjà, dans cette réponse écrite, que nombre de psychologues
scolaires allaient faire valoir leurs droits à pension de retraite et qu'une
réflexion était d'ores et déjà engagée au ministère pour que leur remplacement
soit assuré de la meilleure façon. C'est de cela que j'aurais souhaité que nous
parlions plus longuement ce matin.
Mais surtout, je voudrais qu'une telle situation soit prise en compte dans le
projet de loi de finances pour 1999. Nous en sommes actuellement au stade des
orientations budgétaires. Il est encore temps, madame la ministre, de clarifier
et de chiffrer. Si le rôle des psychologues scolaires est déjà reconnu, ce dont
je me félicite, il est nécessaire, aujourd'hui, de préciser le développement de
leurs activités comme support et moteur pédagogique, humain et social.
PLAN D'ACTION GENDARMERIE 2002
M. le président.
La parole est à M. César, auteur de la question n° 282, adressée à M. le
ministre de la défense.
M. Gérard César.
Madame le ministre, assurant la sécurité sur 95 % du territoire national, la
gendarmerie joue un rôle privilégié en milieu rural par sa proximité avec la
population et par son action de prévention, d'information et de
sensibilisation.
Si le principe du maillage sur l'ensemble du territoire n'est pas remis en
cause, le plan d'action gendarmerie 2002 procède à un redéploiement des
effectifs des zones rurales vers les zones péri-urbaines.
De même, dans le rapport remis au Premier ministre sur « une meilleure
répartition des effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure
sécurité publique », MM. Hyest et Carraz proposent de supprimer les deuxième et
troisième brigades situées dans des cantons ruraux, sous réserve de garantir un
délai d'intervention de trente minutes. Une seule brigade par canton rural et
semi-rural serait donc maintenue.
Par ailleurs, les auteurs de ce rapport estiment que la gendarmerie doit
prendre en charge les petites agglomérations desquelles la police se sera
retirée au profit des grandes zones urbaines, mais aussi intensifier son action
dans les zones péri-urbaines.
Sur cette base, le conseil de sécurité intérieure a décidé, le 27 avril
dernier, de procéder à un redéploiement des effectifs au profit des zones
urbaines particulièrement marquées par la délinquance de voie publique, et ce
dans un délai de trois ans à partir du 1er janvier 1999.
La Gironde, avec un taux de délinquance de 40 pour mille habitants, se trouve
au treizième rang national. Toutefois, avec 2 646 gendarmes et policiers, soit
1,9 , le département se retrouve, pour les effectifs, au cinquante-neuvième
rang, manifestement sous-doté en personnels.
La création de 4 000 postes supplémentaires et le recrutement de jeunes
volontaires au titre de la loi de programmation militaire seront-ils suffisants
pour pallier les carences constatées dans ce département comme dans d'autres
?
On sait, par ailleurs, que la gendarmerie doit faire face à un alourdissement
de charges dans les circonscriptions relevant de sa compétence, mais aussi à
des tâches de surveillance liées à l'extension du réseau routier et
autoroutier.
Si un effort en matière de sécurité doit être consenti en faveur du milieu
urbain, il ne doit en aucun cas se faire au détriment du monde rural, qui
s'ouvre lui aussi, malheureusement, à la délinquance.
La présence de la gendarmerie contribue à maintenir un équilibre entre zones
urbaines et zones rurales, dans le cadre de la politique d'aménagement du
territoire à laquelle le Sénat est attaché.
Les fermetures de brigades ne seront pas sans conséquences économiques,
sociales et humaines pour les gendarmes et leurs familles, mais aussi pour les
communes et les cantons qui les subiront.
Madame le ministre, pouvez-vous me donner des précisions sur les
redéploiements envisagés par le Gouvernement, sur leur rythme et sur la méthode
qui sera suivie ?
Pouvez-vous me rassurer, soucieux que je suis de l'intérêt général et de
l'aménagement du territoire, sur la volonté du Gouvernement de résoudre au
mieux ces questions en concertation totale avec les élus et les responsables
locaux et de ne rien faire qui puisse affaiblir la sécurité en milieu rural ?
Je vous en remercie.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.
Monsieur le sénateur,
le plan d'action « Gendarmerie 2002 » s'inscrit dans une double dynamique :
d'une part, la recherche d'une meilleure complémentarité de l'action des forces
de police qui résulte des dispositions de la loi du 21 janvier 1995
d'orientation et de programmation relative à la sécurité ; d'autre part, une
évolution du format des forces armées prévue par la loi du 2 juillet 1996
relative à la programmation militaire 1997-2002.
Dans ce cadre, il convient de noter que, si aucune augmentation des effectifs
professionnels n'est prévue pour la gendarmerie, cette arme disposera toutefois
en 2002 de 16 232 « gendarmes adjoints » en remplacement des 12 000 gendarmes
auxiliaires actuels, soit une ressource supplémentaire de 4 232 personnels lui
permettant de faire face à une partie de l'augmentation de ses charges. Ces «
gendarmes adjoints » se verront conférer la qualité d'agent de police
judiciaire adjoint et leur arrivée va ainsi permettre de renforcer les unités
opérationnelles les plus chargées.
Au-delà de cet accroissement d'effectifs, la gendarmerie nationale mène des
réflexions sur son organisation, en cherchant notamment à renforcer son
dispositif dans les zones où elle accomplit seule les missions de sécurité
publique. Conformément aux orientations gouvernementales, les secteurs
prioritaires sont principalement situés dans les zones urbaines et
péri-urbaines.
La réussite de l'action de la gendarmerie dans ces secteurs urbains sensibles
est la condition essentielle de son adaptation aux évolutions du tissu social.
Pour parvenir à cet objectif, elle est conduite à opérer des adaptations de son
dispositif qui touchent majoritairement les personnels affectés dans les
brigades implantées dans des zones de police nationale.
Au-delà de cet aménagement du dispositif en zone de police nationale, et dans
la perspective d'assurer l'égalité des citoyens devant le droit à la sécurité,
une réflexion d'ensemble sur la répartition des effectifs des forces de police
sur le territoire national a été confiée à deux parlementaires, MM. Hyest et
Carraz.
Faisant suite aux conclusions de cette mission, le conseil de sécurité
intérieure du 27 avril dernier a posé les principes d'une répartition
géographique des effectifs de police et de gendarmerie et d'une réorganisation
des zones urbaines les plus marquées par la délinquance.
Un certain nombre d'adaptations au niveau des zones rurales et des petites
villes sont naturellement la conséquence de cette volonté, et des aménagements
seront apportés au dispositif actuellement en place.
Ces modifications ne sauraient toutefois se traduire par un affaiblissement de
la sécurité dans les zones rurales, où la gendarmerie maintiendra un maillage
territorial avec au minimum une brigade par canton, de façon à poursuivre
auprès des populations son action de proximité, que l'on sait si importante et
à laquelle je suis particulièrement sensible.
Il convient de préciser que ce principe éminent d'une brigade par canton
s'applique, d'ores et déjà, sur la grande majorité du territoire. En outre, le
ministère de la défense prévoit de maintenir plusieurs brigades dans les
cantons où les difficultés de déplacement sont plus lourdes qu'en moyenne : des
études sont en cours de manière à parvenir, dans ces zones, à la meilleure
adéquation du besoin de sécurité des populations et des moyens mis en oeuvre,
en particulier des effectifs.
La gendarmerie veille très attentivement à ce que les moyens en personnel
soient répartis de façon équitable en fonction de la population, de l'espace à
maintenir en sécurité et du niveau de délinquance observé sur la zone. Elle
tient également scrupuleusement compte des temps d'intervention prévisibles
pour déterminer la répartition de ses effectifs sur le territoire.
Loin de se traduire par un affaiblissement de la sécurité dans les zones
rurales, les aménagements apportés au dispositif de la gendarmerie nationale
s'inscrivent donc dans la perspective d'une sécurité plus équitable, s'appuyant
sur une implantation des forces de police plus rationnelle.
M. Gérard César.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Au préalable, je voudrais souligner que, si la Gironde compte cinq sénateurs,
aujourd'hui, quatre d'entre eux ont posé une question orale ; quant au
cinquième, il préside notre séance. Je tenais à le souligner, pour que cela
figure au procès-verbal.
Cela étant, madame le ministre, j'ai pris bonne note de votre réponse.
Il y aura donc concertation entre les élus et les forces de gendarmerie pour
étudier les modalités du redéploiement envisagé. Mais il ne faut pas oublier
que les frais d'implantation et de logement des gendarmes adjoints seront à la
charge des communes ! Nous craignons donc, à cette occasion, un transfert de
l'Etat sur les collectivités locales.
STATUT DU MEILLEUR OUVRIER DE FRANCE
M. le président.
La parole est à M. Fournier, auteur de la question n° 287, adressée à Mme le
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à
l'artisanat.
M. Bernard Fournier.
Madame la secrétaire d'Etat, je souhaite appeler votre attention sur la
reconnaissance du statut des artisans diplômés « meilleurs ouvriers de France
».
Il apparaît que cette distinction ne semble recouvrir qu'un caractère
honorifique et ne bénéficier d'aucune protection juridique spécifique. J'ai
ainsi été étonné de constater que certains tribunaux de grande instance, sous
la pression d'industriels conseillés par des avocats de renom, pouvaient
prononcer à l'encontre d'un « meilleur ouvrier de France » un jugement lui
interdisant de faire usage de son nom au motif de son homonymie avec une
entreprise de plus grande taille.
Sans porter préjudice à l'indépendance de la justice, on s'accordera à
reconnaître que de tels jugements mettent en péril des entreprises artisanales,
le plus souvent familiales, où l'amour du travail bien fait prime sur les
objectifs économiques.
Il me semble absolument nécessaire de prendre rapidement toutes les mesures
utiles afin que le statut de « meilleur ouvrier de France » soit assimilé à
celui des artistes et que, en conséquence, on ne puisse plus interdire à un
artisan reconnu comme l'un des maîtres de la profession de signer et donc,
subséquemment, de vendre ses oeuvres.
Aussi, madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de m'apporter quelques
précisions sur la nature de la reconnaissance du titre de « meilleur ouvrier de
France », et je vous demande si vous entendez prendre des mesures
réglementaires afin de doter d'une véritable protection juridique ces «
meilleurs ouvriers de France », dans l'intérêt des entreprises artisanales qui
sont des éléments essentiels du renom international de notre savoir-faire.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à
l'artisanat.
Monsieur le sénateur, le titre « Un des meilleurs ouvriers de
France » est délivré par le ministre chargé de l'éducation nationale et
homologué au niveau IV. II sanctionne un savoir-faire par la présentation d'un
chef-d'oeuvre dans le cadre d'un concours organisé tous les trois ans. Ce
concours regroupe 220 spécialités, tant artisanales qu'industrielles.
L'utilisation du titre « Un des meilleurs ouvriers de France » est donc
subordonnée à l'obtention de ce diplôme, qui est par ailleurs reconnu comme
équivalent au baccalauréat dans les conventions collectives.
Dans le domaine spécifique de l'artisanat, le titre « Un des meilleurs
ouvriers de France » est pris en compte pour justifier de la qualification
professionnelle exigée par la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, ainsi que pour
l'attribution de la qualité d'artisan et du titre de maître artisan.
Le titre « Un des meilleurs ouvriers de France », comme tout diplôme national,
ne peut être utilisé comme marque distinctive et ne relève pas de la propriété
industrielle. En effet, l'Institut national de la propriété industrielle
accepte les reconnaissances industrielles honorifiques, mais pas les
diplômes.
Les difficultés rencontrées par certains artisans relèvent de l'utilisation
non pas de l'appellation « Un des meilleurs ouvriers de France », mais du nom
patronymique d'un chef d'entreprise dans sa raison sociale. Elles ne sont pas
liées au fait de détenir ou non le diplôme.
Le fait de détenir le titre « Un des meilleurs ouvriers de France » n'ouvre
pas, par ailleurs, droit à l'utilisation d'une autre marque distinctive si
celle-ci est déjà utilisée par une entreprise existante. Cette question n'est
pas liée à l'utilisation frauduleuse ou à l'absence de reconnaissance de ce
titre, mais au problème de l'utilisation du nom patronymique.
Nous n'avons donc pas à prendre de mesures réglementaires, parce que nous ne
répondrions pas ainsi au problème que vous avez posé, monsieur le sénateur.
Nous pourrons néanmoins l'examiner par ailleurs de manière plus détaillée, si
vous le souhaitez.
Sanctionné par un diplôme, ce titre a cependant une renommée européenne et
internationale. Nous sommes, ainsi, le seul pays à avoir mis en place ce
concours et à avoir homologué son résultat. Il est assez aisé d'obtenir de
nombreux prix, mais voir le résultat d'un concours homologué par l'éducation
nationale est rare.
Nous essaierons donc, avec l'ensemble des professions artisanales, de
valoriser encore ce diplôme en introduisant dans les épreuves des notions liées
aux nouvelles technologies, par exemple, pour qu'il suive l'évolution de
l'artisanat français.
Le titre « Un des meilleurs ouvriers de France » demeure une grande
reconnaissance française et européenne, mais je vous confirme, monsieur le
sénateur, que l'on ne peut pas répondre, avec ce diplôme, à la question de la
concurrence en matière d'utilisation patronymique. J'en suis désolée !
M. Bernard Fournier.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Je vous remercie, madame la secrétaire d'Etat, de ces éclaircissements. J'en
prends bonne note, mais je tiens à affirmer à nouveau qu'il est important
d'accorder une protection juridique à ces artisans d'élite.
AVENIR DES « POINTS PUBLICS »
M. le président.
La parole est à M. Joly, auteur de la question n° 285, adressée à M. le
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
M. Bernard Joly.
Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord vous remercier de votre
présence.
La réforme de l'Etat, tout comme l'aménagement du territoire et la
décentralisation, reste d'actualité de gouvernement en gouvernement. Notre vécu
quotidien sur le terrain confirme que la tâche n'est pas achevée.
Parmi les initiatives heureuses en la matière, il convient de saluer la «
maison des services publics » et les « points publics », dont ceux de
Haute-Saône, qui sont des sites pilotes.
Leur mission est d'assurer un service quotidien d'information à la population
des communes rurales. Les administrés s'adressent à un interlocuteur unique,
dont la compétence est pluridisciplinaire. Cette vocation se double d'un
objectif d'animation, en favorisant notamment la mise en place de permanences
pour les organismes prestataires extérieurs.
Leur structure regroupe les services de l'Etat, les collectivités
territoriales, les services, les associations et les chambres consulaires.
En quatre ans, 2 200 demandes ont été satisfaites et quinze actions
d'animation spécifique ainsi que deux actions partenariales d'envergure ont été
réalisées dans ce département.
Ce succès tient à l'extrême souplesse de fonctionnement de la structure,
souplesse qui, souvent, est ce qui manque le plus aux projets.
L'usager trouve sur place, en un seul lieu, la représentation des différents
services départementaux et des organismes prestataires. Un seul interlocuteur
assure un rôle de médiation de l'information.
Reconnu, apprécié, cet espace de médiation semble aujourd'hui menacé. Les
animateurs comme les usagers attendent de connaître les moyens dégagés en
crédits et en personnels. La commission de la modernisation des services
publics du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat en a traité au
printemps.
Je souhaite donc savoir comment vont fonctionner ces points publics, avec
quels crédits et quel sera le statut des personnels.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le sénateur, depuis plusieurs années, l'Etat et
les collectivités locales ont mis en place, à titre expérimental, de nouvelles
formules pour assurer des services publics de proximité et offrir aux usagers
un service polyvalent et proche. Vous avez bien voulu reconnaître à ce type de
structure une efficacité que vous avez pu constater dans votre propre
département.
Ces structures réunissent, selon une démarche souple et pragmatique, des
services de l'Etat et des collectivités locales ainsi que d'autres services
publics - ANPE, caisse d'allocations familiales, ASSEDIC, etc. - mais rien
n'interdit qu'y figurent également des services publics rendus par des
entreprises publiques ou privées.
Ces structures ont connu diverses appellations : points publics en milieu
rural, points multiservices, plates-formes de services publics, maisons des
services publics.
S'agissant du financement, le fonds pour la réforme de l'Etat, qui a un rôle
incitatif, a fortement contribué au développement des maisons des services
publics par le financement d'études préalables ainsi que par l'aide à la
création ou à l'équipement.
Les crédits attribués par les préfets sur la part déconcentrée du fonds ont, à
ce jour, permis d'aider 150 structures à travers le pays.
Indépendamment du soutien financier, j'ai préparé un guide méthodologique
destiné à favoriser la création de telles structures.
Il est également apparu nécessaire, sans nuire à la souplesse que vous avez
soulignée, de créer un cadre juridique, jusqu'alors inexistant, permettant de
consolider les expérimentations de terrain.
Par ailleurs, le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs
relations avec l'administration, dit « projet DCRA », qui a été adopté par le
conseil des ministres le 13 mai dernier et qui a été déposé sur le bureau des
assemblées, prévoit d'unifier l'appellation des services publics sous le
vocable générique de « maisons des services publics ».
Ces maisons des services publics seront créées de manière souple soit par
simple convention, soit par mise en place de groupements d'intérêt public, des
GIP.
Les modalités particulières de fonctionnement de chacune de ces maisons,
notamment la contribution financière de chacun des participants, seront
définies dans la convention constitutive.
En ce qui concerne le personnel, le projet de loi prévoit que les maisons des
services publics pourront fonctionner avec le concours d'agents mis à leur
disposition par les personnes morales qui y participent, ou d'agents détachés
lorsqu'il s'agit d'un GIP ; il est également prévu que leur responsable sera
désigné parmi les agents soumis au statut général des fonctionnaires.
Au total, grâce à l'impulsion donnée par le fonds pour la réforme de l'Etat et
aux dispositions prévues par le projet de loi que je viens d'évoquer les
conditions d'un fonctionnement pérenne devraient être assurées aux maisons des
services publics. Cela devrait être de nature à conforter votre optimisme pour
l'avenir, monsieur le sénateur.
M. Bernard Joly.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le ministre, j'ai pu constater que le personnel des maisons des
services publics était, certes, très motivé, qu'il prenait sa tâche très à
coeur, mais aussi qu'il était inquiet en ce qui concerne le budget de ces
structures. En effet, jusqu'en avril, voire en mai, il avait pour toute
information un appel téléphonique de la préfecture, sans aucun justificatif
écrit. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je vous ai interrogé
ce matin.
Dans la Haute-Saône, il y a trois points publics, témoins de la volonté du
département et de l'Etat, bien sûr, de favoriser les rencontres avec le public.
En tant qu'élu du milieu rural, je suis sensible à cette forme d'aménagement du
territoire, qui rend de grands services.
Vous m'avez dit que l'Etat avait un rôle incitatif, mais que rien ne
s'opposait à ce que l'aide soit pérenne. La crainte que j'avais d'un transfert
de charges s'estompe donc quelque peu. C'est pourquoi je vous remercie de votre
réponse.
ACCOUCHEMENT SOUS X
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau, auteur de la question n° 288, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mme Joëlle Dusseau.
Madame la ministre, le rapport Théry a récemment mis en cause l'accouchement
anonyme, dit accouchement sous X. Moi-même, lors des deux lectures de la loi
Mattei sur l'adoption, j'avais déposé un amendement tendant à la suppression de
l'accouchement anonyme.
Cette procédure remonte à la Révolution française. Elle se présentait et elle
se présente encore comme une protection de la femme. Elle a l'inconvénient
majeur d'interdire à tout jamais à l'enfant l'accès à ses origines. C'est
souvent, pour ces enfants, devenus adultes, une douleur insupportable et la
quête de toute une vie.
Il me semble, madame la ministre, que la réflexion, à cet égard, pourrait
s'engager dans deux directions.
La première est celle de la suppression pure et simple de l'accouchement sous
X. Elle a des avantages - elle est employée par de nombreux pays qui ne
reconnaissent pas l'accouchement sous X - mais elle peut aussi avoir des
inconvénients. La seconde - c'était l'objet de l'amendement de repli que
j'avais déposé à l'occasion de la discussion de la loi Mattei, amendement qui
n'avait pas non plus été adopté - consisterait à passer de l'accouchement sous
X à l'accouchement dit « secret », qui respecte la volonté de la femme de ne
pas indiquer son identité, mais ouvre la possibilité à l'autorité
administrative de laisser des éléments identifiants permettant à l'enfant,
devenu adulte, de connaître sa filiation naturelle, s'il le souhaite et si la
mère naturelle l'accepte expressément.
Cela permettrait - nombre d'anciens pupilles adultes, et même âgés, me l'ont
dit - soit de renouer des liens, soit de faire, enfin, un travail de deuil.
Pouvez-vous me dire, madame la ministre, quel est le point de la réflexion du
Gouvernement, et en particulier de votre ministère, sur cette question ?
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame la sénatrice, la
question de l'accouchement anonyme est actuellement l'une des plus
controversées en matière de droit de la famille en raison de la nature des
intérêts et des droits en présence : en effet, d'un côté, l'enfant, au nom de
la vérité biologique et de son propre équilibre, revendique le droit à la
connaissance de ses origines et, de l'autre, certaines femmes, au nom du
respect de la liberté individuelle et de la vie privée, affirment le droit de
taire leur maternité.
Il est évidemment difficile - c'est sans doute la raison pour laquelle cette
question est débattue maintenant depuis de longues années - de trouver une
solution pleinement satisfaisante à ce douloureux problème, d'autant que, comme
vous le soulignez, un raccourcissement du délai de rétractation de la mère au
consentement à l'abandon de l'enfant peut s'avérer problématique dans certaines
situation d'isolement.
C'est déjà à cette conclusion qu'était parvenu le Conseil d'Etat dans son
rapport, adopté en mai 1990, sur le statut et la protection de l'enfant. Ce
rapport proposait la création d'une structure indépendante chargée de procéder
au rapprochement des personnes à la recherche de leurs origines et de leurs
parents, et de trouver un consensus entre les intéressés pour la levée du
secret des origines.
Cette proposition - par amendement, vous avez formulé une proposition analogue
- a été en partie reprise par le rapport de la commission d'enquête de
l'Assemblée nationale sur les droits de l'enfant en France, déposé le 5 mai
1998. Les auteurs de ce rapport estiment souhaitable d'aménager la législation
relative à l'accouchement anonyme en imposant la conservation par une
institution publique - c'est ce que vous proposez - des informations relatives
à la filiation maternelle biologique de l'enfant, en autorisant la levée du
secret sur ces informations sur la base d'une demande commune de la mère et de
l'enfant mineur et en prévoyant la levée de plein droit du secret sur demande
de l'enfant majeur, sous réserve de l'information préalable de la mère.
Cette proposition va même plus loin que la vôtre puisque, dans certains cas, à
partir du moment où l'enfant est majeur, le consentement de la mère ne serait
plus indispensable.
Vous avez souligné également que Mme Irène Théry, dans le rapport que je lui
ai demandé, suggère la suppression de la possibilité d'accouchement anonyme.
C'est là une solution encore plus radicale.
Toutes ces propositions sont sur la table. Je souhaite qu'elles donnent lieu à
un examen approfondi, qui prenne en compte, bien sûr, l'ensemble des
sensibilités, c'est-à-dire le point de vue des parents qui adoptent un enfant,
le point de vue des mères qui souhaitent accoucher sous X - il s'agit, en
général, de femmes qui ont vécu des situations dramatiques, qui ont été
violées, souvent dans leur propre famille - et, naturellement, le point de vue
des enfants qui souhaitent connaître la vérité sur leur passé.
Je vais installer prochainement, à la Chancellerie, un groupe de travail
chargé de préparer des dispositions sur le droit de la famille et sur les
adaptations que nous devons y apporter. Je puis vous assurer que cette question
sera inscrite à l'ordre du jour de ce groupe de travail.
Mme Joëlle Dusseau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Madame la ministre, vous avez dit fort justement qu'un certain nombre de
femmes avaient des raisons de garder l'anonymat ; vous avez notamment évoqué
les viols familiaux.
Je relève toutefois que le nombre d'accouchements sous X est très faible et,
de surcroît, en constante diminution, il est actuellement d'environ 700 par an,
ce qui relativise le débat. Heureusement, les temps ont changé et le regard de
la société aussi !
Vous avez souligné - je l'ai évoqué à plusieurs reprises - le
raccourcissement, à la suite de l'adoption de la loi Mattei, du délai de
rétractation de la mère. Je me suis beaucoup battue pour lutter contre ce
raccourcissement imposé par l'Assemblée nationale et, heureusement, quelque peu
tempéré par le Sénat. Cela me paraît, en tout état de cause, extrêmement grave.
D'une certaine manière on profite des difficultés temporaires de la mère pour
lui retirer définitivement l'enfant ; il faut le dire clairement, même si cela
ne fait pas plaisir à tout le monde.
Personnellement, je serais plutôt favorable au maintien, pour les cas très peu
nombreux mais réels que vous avez évoqués, de la possibilité de l'accouchement
anonyme, tout en permettant à l'enfant, devenu adulte, d'accéder, grâce à des
éléments identifiants, au secret de ses origines.
Je suis donc extrêmement satisfaite de voir que mes préoccupations rejoignent
les vôtres et qu'elles seront aussi celles du groupe de travail que vous
souhaitez mettre en place.
EFFECTIF DES PERSONNELS PÉNITENTIAIRES
M. le président.
La parole est à M. Fournier, en remplacement de M. Delevoye, auteur de la
question n° 290, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Bernard Fournier.
En 1995, les personnels pénitentiaires ont obtenu du Gouvernement, sur
l'initiative de l'une de leurs organisations syndicales, la bonification dite
du « 1/5e ». Cette ancienne revendication entraîne depuis, et pour quelques
années encore, des départs en retraite plus nombreux que prévus initialement.
La pleine applicabilité de la mesure sera atteinte en l'an 2000. Au total, le
déficit prévisionnel par rapport à l'effectif théorique, d'ici à cette date,
atteindra deux mille personnes. Or il faut au total seize mois pour former un
agent. Pour compenser ce déficit, c'est donc dès maintenant qu'il faut
augmenter le nombre de postes offerts aux différents concours.
En conséquence, M. Jean-Paul Delevoye demande à Mme le garde des sceaux de
bien vouloir lui indiquer, précisément et de façon chiffrée, les mesures
qu'elle compte prendre, ou qu'elle a déjà prises, pour que les effectifs réels
et les effectifs théoriques ne connaissent pas un écart important en l'an 2000,
en raison notamment de la bonification du 1/5e.
Il lui demande également si elle a effectivement signé une note permettant aux
directeurs d'établissements d'utiliser, pour des missions de surveillance, des
élèves-surveillants seuls, non encore formés et n'ayant pas encore suivi les
cours, à l'issue de seulement une ou deux journées de doublure.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le sénateur, vous avez
bien voulu appeler mon attention sur les conséquences pour les effectifs de
l'administration pénitentiaire de l'application de la loi n° 96-452 du 28 mai
1996 instituant un nouveau régime de retraite pour les personnels de
surveillance de l'administration pénitentiaire.
Il est vrai que les services de l'administration pénitentiaire ont constaté
une distorsion entre le volume constitué par les promotions sortant de l'Ecole
nationale d'administration pénitentiaire et celui des vacances d'emplois
consécutives, pendant la même période, aux sorties des effectifs du corps.
Pour pallier cette distorsion, la Chancellerie a demandé et obtenu du
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie l'autorisation de
recruter, à titre exceptionnel, 400 emplois de surveillants en surnombre.
Deux promotions seront constituées. La formation des personnes ainsi recrutées
débutera à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire respectivement
en juillet et novembre 1998. Les affectations des personnels dans les
établissements s'effectueront en 1999.
L'obtention exceptionnelle de ces 400 emplois en surnombre va permettre, par
anticipation, de remplacer dans un délai plus rapide les agents partant à la
retraite.
Par ailleurs, pour pallier ces difficultés réelles, une modification de la
scolarité des élèves surveillants a été prévue pour renforcer les
établissements en personnel tout en assurant une formation qualitative
satisfaisante à ces agents.
C'est ainsi que la durée totale des stages a été portée à vingt semaines au
lieu de treize tandis que la durée des enseignements passait de vingt à neuf
semaines, et ce depuis la mise en place de la 141e promotion
d'élèves-surveillants le 12 janvier 1998.
Cette modification n'a pas vocation à se pérenniser, elle pourrait toutefois
être reconduite pour la promotion suivante. Je puis également vous indiquer que
les stages des élèves-surveillants prendront place dans les seuls
établissements pourvus d'un formateur.
En aucune manière il n'a été question pour la Chancellerie d'autoriser la mise
en oeuvre de missions de surveillance pour les élèves-surveillants.
M. Bernard Fournier.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Madame la ministre, je vous remercie. Je prends acte des éléments de réponse
que vous venez de me communiquer et je me félicite des orientations que vous
venez de m'indiquer.
POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT CULTUREL
M. le président.
La parole est à M. Egu, auteur de la question n° 278, adressée à Mme le
ministre de la culture et de la communication.
M. André Egu.
Madame le ministre, je vous rappelle qu'en arrivant rue de Valois vous avez
défini trois priorités : protéger, créer et diffuser. Vous avez également fixé
comme objectif principal l'affectation des deux tiers des crédits du ministère
à la province.
Or, nous constatons que de nombreux projets semblent oubliés malgré des
promesses antérieures.
Le « Cathédraloscope » de Dol-de-Bretagne dans le département
d'Ille-et-Vilaine en est malheureusement un exemple flagrant. Ce projet d'une
envergure exceptionnelle participant au rééquilibrage culturel de la région
Bretagne risque de ne pas voir le jour faute de crédits suffisants.
Pourtant, il a reçu, par les chambres de commerce de la région, un premier
prix pour son caractère exceptionnel et innovant. Celles-ci ont également
indiqué que le « Cathédraloscope » était source de développement pour
l'ensemble de la région.
Je vous rappelle que le montant des travaux dépassera 23 millions de francs.
Votre prédécesseur s'était engagé à apporter une aide de 10 % du coût total du
projet en 1998, alors que les élus espéraient 20 %. En effet, certains projets
de même importance et d'attraits semblables ont obtenu une telle participation
du ministère. Des collègues, au Sénat, ont d'ailleurs reçu ces 20 % pour le
milieu rural.
Certaines rumeurs font état d'une aide ramenée à 2 %, mais il manque peut-être
là un zéro. Les acteurs du monde rural sont surpris par cette situation. Ils ne
croient plus à un aménagement culturel du territoire qui, s'il existe encore,
ne profite malheureusement qu'aux grandes métropoles régionales.
En conséquence, je vous demande de tenir ces engagements en faveur d'une
politique équilibrée d'aménagement culturel du territoire et de soutenir les
projets culturels vecteurs de développement économique et touristique. C'est
avec beaucoup d'espoir que j'attends votre réponse.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur, vous
avez attiré mon attention sur la politique d'aménagement culturel du territoire
mise en oeuvre par mon ministère et sur son financement.
L'atlas culturel et l'étude sur les pratiques culturelles des Français qui
vont être rendus publics aujourd'hui, mais dont j'ai déjà eu connaissance,
seront deux outils utiles lors de la préparation des prochains contrats de plan
Etat-région et donneront des éléments d'analyse aux professionnels, aux
services de l'Etat mais aussi aux élus.
Dans ce cadre, vous m'interrogez sur les suites que le ministère de la culture
réservera au projet de « cathédraloscope de Dol-de-Bretagne ».
Dès mon arrivée rue de Valois, j'ai affirmé les objectifs de ma politique au
regard de l'aménagement culturel du territoire, à savoir le rééquilibrage de
l'offre culturelle sur l'ensemble du territoire, la confortation de pôles
artistiques et culturels en région, une meilleure prise en compte du patrimoine
dans les projets de développement du territoire et une réelle intégration dans
les politiques territoriales de la dimension culturelle, en établissant les
liaisons indispensables avec les autres politiques, qu'elles soient sociales,
éducatives ou économiques, ou qu'il s'agisse de la politique de la ville ou en
matière de soutien au développement rural.
Dans le même temps, j'ai pris la décision de déconcentrer une part importante
de mon budget au profit des directions régionales des affaires culturelles afin
de rapprocher l'instance de décision d'attribution des crédits de ses
bénéficiaires.
Par ailleurs, le ministère de la culture et de la communication participe
actuellement au travail gouvernemental de révision de la loi d'orientation du 4
février 1995 pour l'aménagement et le développement du territoire. Un schéma de
services collectifs culturels sera établi. Il associera étroitement les
collectivités territoriales.
S'agissant du second volet de votre question, le centre d'interprétation des
cathédrales porté par l'association « Chemins verts » est un projet sur lequel
les services du ministère de la culture travaillent de longue date,
particulièrement la direction régionale des affaires culturelles. Ils y
apportent compétences et conseils ; le directeur des Archives de France en
préside le comité scientifique. C'est un projet qui présente un intérêt certain
au regard de l'aménagement et du développement du territoire.
Au plan du développement local, il semble que ce projet puisse favoriser le
tourisme culturel et constituer une introduction au patrimoine monumental
breton dans un site placé sur la route entre le Mont-Saint-Michel et
Saint-Malo.
C'est la raison pour laquelle mes services, au-delà d'un travail important
d'expertise sur lequel ils se sont mobilisés, ont pu obtenir en 1997 le
versement d'une subvention de 1,450 million de francs en provenance du Fonds
national d'aménagement et de développement du territoire.
Vous souhaitez que l'effort du ministère de la culture soit accru. Compte tenu
de son caractère à la fois innovant et structurant, j'ai le plaisir de vous
annoncer que je suis disposée à accorder à ce projet une subvention
exceptionnelle de mon ministère de 500 000 francs en 1999. Avec l'accord de
l'ensemble de nos interlocuteurs, nous inscrirons bien évidemment ce projet
dans le contrat de plan entre l'Etat et la région Bretagne.
M. André Egu.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Egu.
M. André Egu.
Madame le ministre, je vous remercie de cette bonne nouvelle. C'est une
confirmation, même si nous avions espéré davantage compte tenu du caractère
exceptionnel de ce projet.
Cela fait quatre ans que je suis avec passion le long chemin qui a été
accompli par tous les promoteurs, par la communauté de communes et par la
commune. Cette aide était attendue avec l'impatience que vous devinez. Nous
vous remercions de cette promesse et nous espérons que, dans le contrat de
plan, nous pourrons obtenir un peu plus.
LEVÉE DE L'EMBARGO À L'ÉGARD DE L'IRAK
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat, auteur de la question n° 262, adressée à M. le
ministre des affaires étrangères.
M. Franck Sérusclat.
Je vous remercie, madame la ministre, d'être présente ; peut-être est-ce une
chance que ce soit vous qui entendiez ma question et y répondiez partiellement,
en accord avec M. Moscovici ou avec M. Védrine, car vous serez peut-être plus
sensible que ne le sont les hommes à cette situation parfaitement intolérable
qui affecte profondément tous ceux qui s'inquiètent du devenir, notamment, des
enfants d'Irak.
En effet, depuis 1990, la liste des carences et de manque de soins qui
frappent 1,5 million d'enfants irakiens est impressionnante. Les enfants n'ont
pas pu connaître un développement physique, physiologique et intellectuel
normal.
Cette situation est rappelée par l'UNICEF et par Equilibre, organisations qui
se sont souvent rendues dans ces pays. L'embargo instauré en 1990 n'a en
définitive pratiquement rien changé au comportement de Saddam Hussein ; il n'a
eu d'incidence directe ni sur lui ni sur ses proches.
Pourtant, l'espérance de vie en Irak a baissé de dix ans ; la génération
d'Irakiens nés depuis l'embargo est plus chétive, survivra moins longtemps et
plus mal.
L'absence de médicaments, la pénurie d'électricité et d'eau potable ont pour
conséquence que 30 % des membres de la société irakienne vivent en dessous du
seuil de survie ; 33 % des enfants et 25% des adultes sont victimes de
malnutrition. A cause du rationnement alimentaire, 43 % à peine des besoins
vitaux en calories sont couverts. Les maladies dominantes sont les diarrhées
infectieuses, le choléra, le tétanos, le paludisme. La scolarisation des
enfants est tombée à 70 % et les écoles sont mal équipées. On est donc dans une
situation qui ne peut pas perdurer.
Je sais que l'UNSCOM envisage de faire lever l'embargo. Mais je reste inquiet
: pourquoi ne l'a t-elle pas fait plus tôt ?
Le Premier ministre a reconnu que la coopération entre l'Irak et la commission
spéciale des Nations unies devait permettre de déboucher sur la levée des
sanctions et de l'embargo. Madame la ministre, je souhaiterais cependant, d'une
part, que vous confirmiez ces propos et, d'autre part, que vous informiez le
Gouvernement que nous ne supportons plus de voir des images comme celles que
l'on nous transmet de ce pays, que nous n'acceptons plus que ces enfants, ces
femmes, ces hommes souffrent. Nous ne pouvons plus le tolérer non seulement par
respect des droits de l'homme et du citoyen, mais aussi par pure humanité.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication.
Le Conseil de sécurité des
Nations unies a adopté, au lendemain de la guerre du Golfe, la résolution 687
qui fixe les termes du cessez-le-feu ainsi que les conditions de la levée des
sanctions qui pèsent sur l'Irak. Ce texte prévoit, à son paragraphe 22, que
l'embargo pétrolier sera levé une fois que la commission spéciale des Nations
unies et l'Agence internationale de l'énergie atomique auront constaté qu'il
n'y a plus d'armes de destruction massive dans ce pays.
Sept années après l'entrée en vigueur de cette résolution, des progrès
considérables ont été accomplis, en particulier sur les volets nucléaire et
balistique du désarmement.
En revanche, les déclarations irakiennes relatives aux programmes d'armements
chimiques et biologiques présentent encore des insuffisances et, à ce stade, le
constat de l'élimination complète des armements prohibés n'a pu être fait.
Cela étant, la France souhaite que le Conseil de sécurité reconnaisse les
progrès réalisés, en matière d'élimination des armes de destruction massive,
afin d'encourager l'Irak à accélérer sa coopération avec la commission spéciale
et à éclaircir les dernières zones d'ombre.
La communauté internationale doit s'efforcer de montrer à la population
irakienne la lumière au bout du tunnel, sauf à risquer de désespérer ce pays et
à le pousser vers une fuite en avant, dont les conséquences pourraient être
désastreuses pour la stabilité et la sécurité de la région et pour la
population.
Ainsi la prise en charge par le seul contrôle à long terme de l'ensemble des
activités de l'Irak dans le secteur nucléaire, qui devrait être décidée
prochainement par le Conseil de sécurité, nous semble de nature à inciter
Bagdad à faire la lumière sur ses programmes chimiques et biologiques
passés.
A cet égard, « le plan de travail sur les problèmes de désarmement » agréé, le
14 juin à Bagdad, par le président de la commission spéciale et le vice-premier
ministre irakien, est encourageant. Nous souhaitons que la mise en oeuvre de ce
programme de deux mois sur les questions encore non résolues puisse permettre,
le plus rapidement possible, la fin de la phase du désarmement.
Ce processus, prévu par les résolutions, est la seule voie menant à la levée
de l'embargo pétrolier qui pèse sur ce pays. Il n'y a pas d'autre condition,
cachée ni implicite, à la mise en oeuvre du paragraphe 22 de la résolution 687.
La France, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, continuera
d'y faire valoir ses vues et d'appeler les autorités irakiennes à collaborer
davantage avec les inspecteurs de la commission spéciale.
Le chemin emprunté par l'Irakq le 23 février 1998, en signant l'accord avec le
secrétaire général des Nations unies sur l'accès de la commission spéciale aux
sites présidentiels, est le bon. Il s'agit désormais de ne pas en dévier, pour
permettre le plus rapidement possible la réinsertion de ce pays de 22 millions
d'habitants au sein de la communauté des Etats.
La France reste néanmoins vivement préoccupée et partage, monsieur le
sénateur, votre souci à propos de la situation humanitaire dramatique que
connaît la population irakienne. A cet égard, nous n'avons pas ménagé nos
efforts pour améliorer le dispositif « pétrole contre nourriture » et
permettre, par l'adoption de la résolution 1153, en février 1998, d'augmenter
le plafond des ventes de pétroles autorisées de 2 milliards à 5,2 milliards de
dollars par semestre. Cette réforme du dispositif, entrée en vigueur au début
du mois de juin, devrait permettre de prévenir une aggravation de la situation
dans laquelle se trouve la population irakienne.
La France a aussi particulièrement insisté sur la nécessité pour l'Irak d'être
autorisé à réhabiliter les écoles et les hôpitaux, à importer des pièces de
rechange pour les équipements pétroliers et électriques ainsi que pour les
réseaux d'adduction d'eau, afin de stopper la dégradation d'infrastructures
vitales pour l'économie et la société irakiennes.
Pour autant, la France considère que le mécanisme provisoire institué par la
résolution 986 ne saurait se substituer à la levée de l'embargo pétrolier, qui
interviendra lorsque les conditions précisées précédemment seront pleinement
remplies par le Gouvernement irakien.
M. Franck Sérusclat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, mais permettez-moi de
présenter deux considérations.
Tout d'abord, si l'embargo à l'encontre de l'Irak résulte du comportement
militaire de Saddam Hussein, beaucoup d'autres pays sont actuellement en
situation de guerre larvée, avec la menace du nucléaire, et on ne les met pas
pour autant sous embargo ! Nous ne pouvons plus nous fonder sur le fait qu'un
chef d'Etat est un danger public pour prendre une décision dont la population
supporte toutes les conséquences.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas, d'une part, nous réjouir que la France
vende pour 43 milliards de francs d'armes et, d'autre part, accepter qu'elle
prône un embargo, une fois ces pays armés. Ces deux attitudes sont
contradictoires.
J'ai cependant noté que notre pays soutient des initiatives pour le
développement dans ce pays, notamment en matière d'adduction d'eau. Il nous
faut choisir de jouer la carte très claire de la paix dans le monde plutôt que
cette carte quelque peu ambiguë. Vous n'y êtes pour rien, madame la ministre,
et moi non plus. C'est le fait des conceptions actuelles selon lesquelles les
conflits mondiaux ne peuvent être réglés que par la guerre et non par des voies
pacifiques.
Quoi qu'il en soit, madame la ministre, je vous remercie de votre appui pour
que le programme d'aides que vous avez décrit soit très fortement amplifié et
pour que l'on donne aux Irakiens les moyens de vivre dignement dans leur pays.
CONCOURS D'ACCÈS AUX ÉCOLES VÉTÉRINAIRES
M. le président.
La parole est à M. Madrelle, auteur de la question n° 276, adressée à M. le
ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Philippe Madrelle.
Après avoir été sollicité par de nombreux parents d'élèves qui sont
légitimement inquiets pour l'avenir professionnel de leurs enfants désireux de
devenir vétérinaires, je me devais de demander des précisions en ce qui
concerne l'organisation des concours permettant d'accéder à cette profession
même après l'annulation du titre VI de l'arrêté du 6 février 1998.
Le maintien des quotas entérine l'illégalité. Par conséquent, vous me
permettrez de vous rappeler que la multiplicité des arrêtés fixant les
modalités des concours a créé une inégalité d'accès aux concours entre les
élèves qui se présentent pour la première fois après un an de préparation et
ceux qui se présentent après deux années de préparation. Ces derniers, que l'on
appelle les « faux bizuts », réduisent à zéro les chances accordées aux
étudiants de première année.
On peut se demander dans quelle mesure ces quotas réservés aux « faux bizuts »
ne profitent pas, en fait, à certains établissements assurant cette préparation
vétérinaire et qui sont ainsi en droit d'augmenter leur notoriété en figurant à
la meilleure place dans le désormais incontournable classement du quotidien
Le Monde
.
En outre, l'existence de quotas dans un concours est naturellement contraire
au principe d'équité.
Une simplification ainsi qu'une clarification des règles relatives à
l'organisation des concours aux écoles nationales vétérinaires s'imposent.
Je vous serais reconnaissant, madame la ministre, au nom de M. le ministre de
l'agriculture, de faire le point sur ce grave problème et de rassurer ainsi les
étudiants et leurs parents.
Pourriez-vous également nous apporter des précisions quant à l'évolution du
recrutement des vétérinaires dans la perspective européenne ?
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur,
l'organisation des concours d'admission aux écoles vétérinaires pour la session
1998 est l'aboutissement d'une évolution engagée depuis plusieurs années.
En 1994, la rénovation de l'architecture générale des études vétérinaires a
été achevée pour mieux répondre aux besoins de formation en matière d'hygiène
et de sécurité alimentaire, ainsi que de recherche biologique.
Parallèlement à cette réforme de fond, et en plein accord avec les
professionnels et les enseignants, une révision des conditions d'admission dans
les écoles nationales vétérinaires était engagée.
Cette révision des conditions d'admission comportait trois dispositions.
La première traite de la diversification des voies d'accès afin d'assurer une
plus grande richesse de recrutement.
La deuxième est la limitation à deux fois du nombre de présentations aux
concours, quelle que soit la voie d'accès.
La troisième est l'instauration d'une limite d'âge fixée à vingt-deux ans,
partant du constat que les candidats qui persévéraient jusqu'à l'âge limite
sans succès étaient dans une situation critique pour se réorienter.
L'arrêté du 31 juillet 1997 a donc annulé la disposition relative à la limite
d'âge et impose aux candidats issus des classes préparatoires de ne présenter
le concours que dans les deux années suivant l'obtention de leur baccalauréat.
Ce même arrêté précise, à titre transitoire, que les candidats inscrits dans
les classes préparatoires scientifiques pour l'année scolaire 1996-1997
bénéficient de droit des anciennes dispositions en vigueur entre février 1994
et juillet 1997.
Ces principes sont connus de tous les candidats qui sont, pour 1998, répartis
en trois catégories distinctes : les bacheliers de 1997 qui n'ont bénéficié que
d'une seule année de préparation, les bacheliers qui ont suivi plus d'une année
de préparation mais ne se sont jamais présentés au concours et, enfin, les
autres bacheliers qui se sont déjà présentés une fois.
Cette distinction permet de maintenir le régime en vigueur au moment où chaque
catégorie de candidats a commencé sa préparation.
Cependant, il est apparu nécessaire de tenir compte de la situation
particulière des nombreux candidats qui se sont déjà présentés une fois au
concours et qui se présentent donc pour la dernière fois. C'est pourquoi,
sensible aux arguments qui lui ont été présentés et suivant en cela la
proposition du médiateur de la République, le ministre de l'agriculture et de
la pêche a décidé de porter le nombre de places offertes à cette catégorie de
115 à 153.
Bien évidemment, cette décision n'a pas d'effet négatif sur les autres
catégories, dont le nombre de places reste inchangé.
Au respect de la continuité du régime juridique en vigueur au moment de
l'inscription en classe préparatoire du candidat, s'ajoute le principe
intangible de la souveraineté du jury.
La liste des candidats déclarés admissibles a été publiée vendredi dernier et
nous pouvons constater que le jury a retenu la même barre d'admissibilité dans
chaque catégorie. Vous pouvez donc constater que l'égalité stricte devant le
concours est respectée.
M. Philippe Madrelle.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Madrelle.
M. Philippe Madrelle.
Je vous remercie, madame la ministre, de ces précisions, qui me donnent
satisfaction et qui rassureront, je l'espère, les étudiants et les parents.
7
NOMINATION
DE MEMBRES DE COMMISSIONS
M. le président.
Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement pour la République a
présenté une candidature pour la commission des affaires sociales et une
candidature pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame:
- M. Jean-Patrick Courtois, membre de la commission des affaires sociales, en
remplacement de M. Simon Loueckhote, démissionnaire ;
- M. Simon Loueckhote, membre de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
en remplacement de M. Jean-Patrick Courtois, démissionnaire.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures
cinq, sous la présidence de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président. La séance est reprise.
8
CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS
M. le président.
La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre des prochaines
séances du Sénat.
A. -
Mercredi 24 juin 1998 :
Ordre du jour prioritaire
A quinze heures :
Suite du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale,
relatif au Conseil supérieur de la magistrature (n° 476, 1997-1998).
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à un scrutin public
à la tribune lors du vote sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle.
B. -
Jeudi 25 juin 1998 :
A neuf heures trente :
Ordre du jour prioritaire
1° Nouvelle lecture du projet de loi, adopté avec modifications par
l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, instituant une commission
consultative du secret de la défense nationale (n° 487, 1997-1998).
La conférence des présidents a fixé au mercredi 24 juin 1998, à dix-sept
heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.
2° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, d'orientation
budgétaire.
La conférence des présidents a fixé :
_ à soixante minutes le temps réservé au président et au rapporteur général de
la commission des finances ;
_ à dix minutes le temps réservé à chacun des présidents des autres
commissions permanentes intéressées ;
_ à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat,
les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront
être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mercredi 24 juin
1998.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
3° Allocution du président du Sénat.
Ordre du jour prioritaire
4° Suite de l'ordre du jour du matin.
5° Troisième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relatif à la partie législative du livre VI (nouveau) du code
rural (n° 498, 1997-1998).
C. -
Lundi 29 juin 1998 :
Ordre du jour établi en application de l'article 48, alinéa 3, de la
Constitution ;
A quinze heures et le soir :
1° Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 500, 1997-1998) sur
la proposition de loi de MM. Christian Poncelet, Jean-Pierre Fourcade, Josselin
de Rohan, Maurice Blin et Henri de Raincourt tendant à alléger les charges sur
les bas salaires (n° 372 rectifié, 1997-1998).
La conférence des présidents a fixé au lundi 29 juin 1998, à onze heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements.
2° Eventuellement, conclusions de la commission des affaires sociales sur la
proposition de loi de MM. Robert Pagès, Guy Fischer, Mme Marie-Claude Beaudeau,
M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Jean Derian,
Michel Duffour, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis
Minetti, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade tendant à accorder la
retraite anticipée pour les anciens combattants chômeurs en fin de droit,
justifiant de quarante années de cotisations diminuées du temps passé en
Afrique du Nord (n° 390, 1997-1998).
La conférence des présidents a fixé au lundi 29 juin 1998, à onze heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements.
3° Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 503, 1997-1998)
sur la proposition de loi de M. Jean-François Le Grand, Mme Janine Bardou, MM.
Michel Doublet, Michel Souplet et Louis Minetti relative à la mise en oeuvre du
réseau écologique européen, dénommé Natura 2000 (n° 194, 1997-1998).
La conférence des présidents a fixé au lundi 29 juin 1998, à onze heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements.
4° Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 504, 1997-1998)
sur :
_ la proposition de loi de M. Serge Mathieu relative à l'obligation de
scolarité (n° 391, 1996-1997) ;
_ la proposition de loi de M. Nicolas About tendant à renforcer le contrôle de
l'obligation scolaire (n° 260, 1997-1998).
La conférence des présidents a fixé au lundi 29 juin 1998, à onze heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements.
D. -
Mardi 30 juin 1998 :
Ordre du jour prioritaire
A dix heures, à seize heures et, éventuellement, le soir :
Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à
la Nouvelle-Calédonie (n° 497, 1997-1998).
La conférence des présidents a fixé :
_ au lundi 29 juin 1998, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des
amendements à ce projet de loi constitutionnelle ;
_ à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la
discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la
liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront
être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 29 juin
1998.
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à un scrutin public
à la tribune lors du vote sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle.
Y a-t-il des observations ?...
Ces propositions sont adoptées.
Selon les prévisions actuelles, le Sénat devrait siéger en session
extraordinaire jusqu'au 8 juillet, le Congrès de Versailles devant se tenir le
6 juillet après-midi.
9
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n°
476, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif au Conseil supérieur
de la magistrature. [Rapport n° 511 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi constitutionnelle qui vient
aujourd'hui en discussion devant la Haute Assemblée est l'un des éléments de la
réforme de la justice que j'ai engagée.
Vous le savez depuis le débat d'orientation que nous avons eu le 22 janvier
dernier, cette réforme comporte un premier volet qui concerne l'amélioration du
fonctionnement de la justice au quotidien.
Pour moi, il s'agit là d'un élément capital, et votre rapporteur a raison de
souligner que c'est sans doute la plus urgente et la plus attendue des
réformes, comme la mission d'information chargée de développer les moyens de la
justice constituée en 1996 par votre commission des lois l'avait également
relevé.
A cet égard, je me bornerai à préciser que trois textes ont pour objet
d'améliorer le fonctionnement de la justice quotidienne.
Dabord, un projet de loi sur l'accès au droit comprend des dispositions sur la
connaissance, par les citoyens, de leurs droits et sur la possibilité de les
défendre grâce à la généralisation des centres départementaux d'aide juridique
et à l'augmentation des maisons de la justice et du droit. Il comporte aussi
des dispositions sur les modes de règlement amiable des conflits qu'il convient
de développer.
Ensuite, un deuxième texte sur l'amélioration de l'efficacité de la procédure
pénale tend à instaurer notamment une nouvelle procédure de compensation
judiciaire, afin que des réponses plus rapides et mieux adaptées à la petite et
moyenne délinquance puissent être apportées.
Enfin, un troisième texte réglementaire, actuellement en concertation,
réformera la procédure civile.
Bien entendu, l'amélioration du fonctionnement de la justice au quotidien ne
pourra être effective que si les moyens alloués à la justice sont dignes de
notre pays. Le budget de la justice en 1998 a connu une forte progression et je
suis bien déterminée à ce qu'en 1999 il en aille de même.
M. Robert Badinter.
Bravo !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le deuxième volet de la réforme de la justice est
destiné à garantir les libertés de nos concitoyens.
Il comprendra des dispositions relatives à la sauvegarde de la présomption
d'innocence et à la protection des droits de la défense par l'instauration
notamment d'un juge de la détention provisoire et d'une limitation des cas où
celle-ci pourrait être ordonnée. Il comprendra aussi, suivant en cela les
propositions du rapport de M. le Premier président de la Cour de cassation, des
dispositions permettant d'ouvrir des fenêtres de publicité au cours de la
procédure d'instruction de façon à ce que les intéressées puissent se défendre
contre les charges qui pèsent sur eux.
Le troisième volet de cette réforme, qui justifie ma présence aujourd'hui
devant votre assemblée, a pour objectif d'assurer une justice indépendante et
impartiale.
Il vise à assainir les relations entre le pouvoir politique et la justice. Je
l'ai dit devant l'Assemblée nationale et je le redis ici solennellement : le
soupçon d'intervention des politiques compromet gravement la confiance que tout
citoyen doit avoir dans la justice. Pour restaurer cette confiance, il est donc
indispensable de clarifier les rapports entre justice et pouvoir politique,
notamment exécutif. Cette exigence constitue l'une des priorités fixées par le
Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997.
Un projet de loi relatif à l'action publique et aux rapports entre la
Chancellerie et les parquets a déjà été déposé sur le bureau de l'Assemblée
nationale. Vous serez amenés à débattre longuement, tant les enjeux y sont
fondamentaux.
Avant même la discussion de ce projet, j'ai décidé, depuis le premier jour où
j'ai occupé les fonctions de garde des sceaux, de laisser les procureurs libres
de conduire les affaires individuelles en pleine responsabilité. Je ne donne
plus d'instructions dans les dossiers particuliers. En revanche, je fixe les
orientations générales de politiques pénale, tant par écrit que lors des
réunions de procureurs généraux, de façon à assurer la cohérence de la
politique pénale sur l'ensemble du territoire et l'égalité de tous devant la
loi.
Ces directives de politique pénale, qui ont pour objet de traduire les
priorités du Gouvernement et de donner aux parquets des orientations sur leur
mise en oeuvre, sont indispensables, mais il fallait commencer, bien entendu,
par la réforme de la Constitution. Comme je l'ai dit devant votre commission
des lois, en réponse à M. le rapporteur, la prééminence de notre loi
fondamentale, située au sommet de notre hiérarchie de normes, donne sa
signification à l'ensemble des textes dont je vous ai parlé. C'est cela qui
justifie que nous commencions la discussion des différents textes par ce projet
de loi constitutionnelle.
Je crois profondément que, malgré les changements institutionnels survenus
depuis plus d'un siècle, nous sommes en réalité, à travers ces changements, à
la recherche, pour la justice, d'un système qui assure l'indépendance de la
magistrature à l'égard du pouvoir politique. J'ajouterai même que cette
indépendance se cherche autour de trois idées : l'unité de la magistrature, les
garanties de nomination accordées aux magistrats et le pouvoir disciplinaire
octroyé à un organe indépendant dont la composition évite tant la politisation
que le corporatisme.
La réforme que je vous propose aujourd'hui s'inscrit profondément dans cette
tradition tout en ayant l'ambition de parachever les avancées antérieures.
Elle concerne d'abord l'indépendance de la magistrature. Il y a un large
consensus depuis 1946 pour voir dans le Conseil supérieur de la magistrature,
organe constitutionnel, la figure emblématique de l'indépendance de la justice,
en tout cas de son indépendance à l'égard du pouvoir politique et plus
précisément de l'exécutif. Nos voisins européens, qui partagent notre
sensibilité et notre tradition, comme l'Italie, l'Espagne et le Portugal,
pensent la même chose.
Le Conseil supérieur de la magistrature, mis en place en 1946 pour éclairer le
pouvoir de nomination présidentiel, donna lieu à de vives critiques notamment
de la part de M. Coste-Floret, dont tous les constituants en 1958 reprennent
les arguments : en effet, les carrières des magistrats, sous la IVe République,
n'échappaient ni aux influences politiques ni aux considérations
corporatistes.
Mais, même lors des débats du comité consultatif constitutionnel en 1958,
lorsqu'il s'est agi d'établir un gouvernement fort, notamment face au
Parlement, le garde des sceaux, Michel Debré, affirmait que c'était là une
raison supplémentaire de garantir une magistrature indépendante. Tout le monde
reconnaissait évidemment que cette indépendance ne pouvait être assurée que par
le Président de la République avec l'assistance du Conseil supérieur de la
magistrature. M. Fourcade disait explicitement le 5 août 1958, au cours de la
septième séance du comité : « Ce qui garantit l'indépendance des magistrats,
c'est qu'un écran sépare du pouvoir politique les magistrats du siège : là est
le rôle du Conseil supérieur de la magistrature. »
La réforme que nous vous proposons concerne aussi l'unité de la
magistrature.
Bien entendu, en 1958, on ne songeait qu'à assurer l'indépendance des
magistrats du siège de l'ordre judiciaire. On avait même été jusqu'à modifier
plusieurs fois l'intitulé du titre VIII de la Constitution, qui s'est appelé «
De la Justice », puis « De l'indépendance de la magistrature », et enfin « De
l'autorité judiciaire », pour la seule raison qu'on souhaitait exclure la
magistrature administrative des garanties qu'on donnait aux magistrats du siège
de l'ordre judiciaire. Il aura fallu la décision du Conseil constitutionnel du
22 juillet 1980 pour qu'on reconnnaisse que la magistrature administrative
était indépendante.
De la même façon, il a fallu attendre 1993, pour que l'on considère que les
magistrats du parquet étaient réellement des magistrats qui faisaient partie,
comme leurs collègues du siège, de l'autorité judiciaire.
Je dois dire qu'il revient à votre Haute Assemblée d'avoir étendu en 1993 le
champ de compétences du Conseil supérieur de la magistrature aux magistrats du
parquet en confiant à celui-ci les missions dévolues à la commission
consultative du parquet. Par là, vous souhaitiez affirmez fortement l'unité de
la magistrature.
Cette unité de la magistrature est contestée par certains en raison de la
spécificité des fonctions des magistrats du parquet. Cette spécificité est
réelle, je ne la nie pas. Mais est-ce une raison qui devrait conduire à la
séparation des magistrats du parquet et des magistrats du siège ? Je ne le
pense pas.
En effet, l'unité de la magistrature découle clairement de l'article 66 de la
Constitution.
Le Conseil constitutionnel a jugé sans ambiguïté, dans sa décision du 11 août
1994, dite « garde à vue », que l'autorité judiciaire comprend à la fois les
magistrats du siège et ceux du parquet. Les magistrats du parquet comme ceux du
siège sont les gardiens des libertés individuelles. Ils sont informés dans les
meilleurs délais des gardes à vue décidées par les officiers de police
judiciaire ; ce sont eux qui autorisent ou refusent les prolongations de la
garde à vue. Ils peuvent subordonner cette prolongation à la présentation de la
personne. Plus généralement, ils exercent, du point de vue des libertés
individuelles, le contrôle des enquêtes préliminaires.
Je vous le demande : qu'est-ce qui fonde ce pouvoir de gardiens des libertés,
si ce n'est leur statut de magistrat ? Qu'est-ce qui fonde l'unité de la
magistrature, si ce n'est que l'ensemble des magistrats indépendants exercent
le contrôle sur la police ?
Compte tenu de la tradition française, il m'apparaît impensable de confier à
la police le rôle détenu actuellement par le procureur. D'autres pays proches
de nous connaissent ce système. Ils n'en sont pas satisfaits.
Bien entendu, je n'ignore pas que la fonction de requérir et de poursuivre
n'est pas la même que la fonction de juger. En cela il existe bien une
spécificité.
La troisième grande orientation concerne les garanties de nomination et les
garanties disciplinaires.
Cela me conduit à la troisième idée que je considère comme fondamentale et qui
s'enracine dans notre histoire : les magistrats du parquet, sur lesquels a
porté le plus le soupçon d'intervenir pour influencer le cours de certaines
procédures intéressant certaines personnalités politiques, doivent pouvoir
jouir des mêmes garanties de nomination que les magistrats du siège et des
mêmes garanties disciplinaires.
Là encore, dès 1958, Michel Debré considérait que les garanties de nomination
étaient une attribution fondamentale du Conseil supérieur de la magistrature.
Mais il précisait aussi que, s'il devait s'occuper des nominations, il n'était
pas souhaitable qu'il s'occupe de toutes les nominations, ce qui serait le
charger de tâches purement administratives peu compatibles avec la haute
mission qui lui est confiée.
De même, il revient une fois de plus au Sénat d'avoir été, dans sa sagesse, en
1993, plus loin que le projet de loi constitutionnelle, qui ne prévoyait aucune
disposition concernant les magistrats du parquet. Ce sont les sénateurs qui ont
introduit dans la loi du 27 juillet 1993 la formation compétente chargée de
donner son avis sur la nomination des magistrats du parquet, en prévoyant
néanmoins que ces avis seraient simples.
C'est encore sur l'initiative du Sénat que le champ de compétences du Conseil
supérieur de la magistrature en matière disciplinaire a été étendu aux
magistrats du parquet, mais seulement à titre consultatif, comme pour les
nominations.
De cette histoire qui est la nôtre, je retiens que nos institutions, de
manière parfois un peu chaotique, ont essayé d'assurer l'indépendance de la
magistrature, que cette indépendance s'est cherchée, à travers l'unité d'un
corps sans cesse renforcée, à travers des garanties de nomination sans cesse
plus poussées et des garanties disciplinaires permettant de soustraire les
intéressés aux décisions du pouvoir exécutif.
Par la réforme que je vous présente aujourd'hui, je ne prétends pas à autre
chose, par-delà des clivages politiques, qu'à conforter l'autorité judiciaire
au bénéfice de tous.
J'en viens maintenant à la présentation du projet de loi.
Le sentiment que l'institution judiciaire n'avait pas encore trouvé son
assiette s'est exprimé par la mise en place, le 21 janvier 1997, par le
Président de la République, d'une commission de réflexion sur la justice,
présidée par le Premier président, Pierre Truche, et chargée de réfléchir aux
moyens d'assurer l'indépendance du parquet et la présomption d'innocence.
Ce projet de loi vise quatre objectifs conformes à ce que prévoyait le rapport
du Premier président Pierre Truche.
Le premier objectif concerne les garanties accordées aux magistrats du
Parquet.
Pour l'atteindre, les nominations sont essentielles.
Le sentiment d'inachevé qu'a pu donner la réforme du 27 juillet 1993 tenait, à
mon sens, essentiellement à la limitation des compétences du Conseil supérieur
de la magistrature dans le domaine de la nomination des magistrats du
parquet.
En effet, si cette limitation de compétences n'a pas posé de problèmes de mise
en place du nouveau CSM jusqu'en 1995, en revanche, entre le 1er juillet 1995
et le 31 décembre 1996, le Conseil supérieur de la magistrature a rendu quinze
avis négatifs, dont sept n'ont pas été suivis par le gouvernement de l'époque.
Cet infléchissement a été critiqué par le CSM dans le rapport annuel qu'il a
remis au Président de la République en 1997 en des termes très clairs : « Le
Conseil s'interroge actuellement sur les raisons possibles d'une telle
évolution et sur les conséquences qu'il lui appartient d'en tirer. Il lui
apparaît toutefois d'ores et déjà que l'indépendance des magistrats du parquet,
s'agissant de leur nomination, est encore imparfaitement assurée. »
Pour ma part, depuis un an, je n'ai jamais passé outre aux avis négatifs émis
par le Conseil supérieur de la magistrature relativement à la nomination des
magistrats du parquet. Les divergences, lorsqu'elles ont existé, ont pu être
traitées dans le dialogue, comme le note avec satisfaction le CSM dans son
rapport annuel 1997-1998.
Cependant, je ne crois pas qu'il soit bon que les pratiques dépendent du
comportement de tel ou tel garde des sceaux. C'est pourquoi il me paraît
nécessaire que notre loi fondamentale prescrive cette pratique.
Je note avec satisfaction que la commission des lois du Sénat a approuvé
l'exigence d'un avis conforme du CSM pour la nomination de tous les magistrats
du parquet. Je dis bien tous les magistrats du parquet car, si les procureurs
étaient nommés, depuis la réforme de 1993, sur avis simple, les procureurs
généraux, eux, étaient nommés discrétionnairement par le pouvoir exécutif en
conseil des ministres.
La commission a eu raison de dire que la réforme proposée revêt une grande
importance symbolique, puisque, si elle est adoptée, le pouvoir exécutif ne
pourra plus nommer un seul magistrat du parquet sans l'accord du Conseil
supérieur de la magistrature.
Cet avis conforme est prononcé sur la proposition du garde des sceaux, ce qui
est logique s'agissant de magistrats qui doivent veiller à l'application de la
loi pénale.
Certains se sont inquiétés de ce pouvoir de proposition. Mais peut-on
sérieusement penser qu'un magistrat ne serait jamais proposé pour des raisons
politiques, dès lors que le garde des sceaux doit absolument obtenir l'avis
conforme du Conseil supérieur de la magistrature ? Au contraire, je crois que
ce système de double clé, le ministre qui propose et le Conseil qui donne son
avis, est un système qui favorise le dialogue entre le pouvoir et l'organe
indépendant constitutionnellement.
J'en viens maintenant, après les nominations, aux sanctions disciplinaires,
qui sont également une garantie fondamentale accordée aux magistrats du
parquet.
Le projet de loi que je vous présente prévoit un alignement complet de la
situation des magistrats du parquet sur celle des magistrats du siège en
matière disciplinaire. Un tel alignement était souhaité explicitement par la
commission présidée par le Premier président Truche. Au lieu de donner un avis
simple sur les sanctions, comme actuellement, le Conseil supérieur de la
magistrature aurait compétence pour les prononcer.
Cet alignement en matière disciplinaire n'est que la conséquence logique du
rapprochement du statut des magistrats du parquet sur celui du siège. Là
encore, je remercie la commission des lois d'avoir approuvé ces
dispositions.
J'en viens à la deuxième disposition, qui est l'unification du Conseil
supérieur de la magistrature.
Je crois que des garanties identiques accordées aux magistrats du siège et aux
magistrats du parquet en matière de nomination et en matière disciplinaire ne
justifient pas l'organisation actuelle du Conseil supérieur de la magistrature.
Elle ne se justifie plus sur le plan des principes, comme le soulignait le
Conseil dans son rapport pour l'année 1997-1998 : « La dualité qui existe
actuellement au sein du Conseil n'aurait plus de raison d'être et les deux
formations du siège et du parquet devraient disparaître au profit d'un Conseil
unique et statuant dans les mêmes conditions pour l'ensemble des magistrats
».
La réunification du CSM marquera bien l'unité du corps judiciaire. Le Conseil
supérieur de la magistrature a d'ailleurs pris l'habitude de se réunir
fréquemment en commission plénière. Le texte que je vous propose est fondé sur
cette expérience.
Enfin, le dernier élément de cette réponse concerne la composition du CSM.
Au cours de notre histoire, la composition du Conseil supérieur de la
magistrature a toujours donné lieu à des débats passionnés. Je l'ai dit, l'idée
d'un organisme constitutionnellement indépendant, dont les pouvoirs sont
renforcés, peut inspirer des craintes tantôt de politisation tantôt de
corporatisme.
Je crois que, si nous renforçons les pouvoirs du CSM, et c'est éminemment le
cas dans la réforme qui vous est soumise, nous devons prévoir un mécanisme de
contre-pouvoir.
En 1958, le contre-pouvoir résidait exclusivement dans la nomination des
magistrats par le seul Président de la République. Aujourd'hui, il n'est pas
question de renoncer au système de l'élection des magistrats, qui me paraît le
seul démocratique. Par conséquent, la seule façon d'instituer un contre-pouvoir
serait de faire en sorte que les magistrats ne soient pas majoritaires au sein
du CSM. Lorsque la commission des lois du Sénat, en 1993, proposait que les
magistrats soient majoritaires, M. le sénateur Dreyfus-Schmidt disait déjà,
avec clairvoyance, que cela ne lui paraissait pas bon « surtout au moment où le
CSM va nommer directement les magistrats ou tout au moins donner un avis
conforme à leur nomination ».
De même, M. Pierre Mauroy disait ici même, le 25 mai 1993 - je partage son
avis - « que la justice n'appartient pas plus aux seuls magistrats que la santé
aux seuls médecins ou l'enseignement aux seuls enseignants. Elle appartient à
la nation tout entière, et la composition du CSM doit symboliquement le montrer
».
Les magistrats ne tiennent leur autorité que du fait qu'ils rendent la justice
au nom du peuple français. La logique veut donc qu'ils ne soient pas protégés
contre le peuple, mais éventuellement et seulement contre l'intrusion des
pouvoirs législatif et exécutif.
Il est également important que le CSM puisse refléter toutes les sensibilités
des magistrats. Pour parvenir à cet objectif, dix magistrats pourraient être
élus par leurs pairs. Parmi ceux-ci, quatre devraient représenter, comme dans
la composition actuelle, la Cour de cassation et les chefs de cours d'appel,
premiers présidents et procureurs généraux.
Onze personnalités extérieures au corps judiciaire, désignées par les plus
hautes autorités de l'Etat, viendraient compléter le Conseil supérieur de la
magistrature, de manière à garantir une majorité de non-magistrats. Ainsi, une
large participation de non-magistrats au processus de nomination contribuera,
par un dialogue avec les magistrats, à retenir les nominations les plus
incontestables et les mieux adptées.
Là encore, je note avec satisfaction que votre commission des lois a approuvé
l'ouverture de la composition du Conseil supérieur de la magistrature à une
majorité de non-magistrats, qui lui apparaît comme une nécessaire contrepartie
de l'accroissement des pouvoirs dont il est investi.
Aux termes du projet que je vous soumets, parmi les onze personnalités
extérieures au corps judiciaire, deux seraient nommées par la Président de la
République, deux par le président de l'Assemblée nationale, deux par le
président du Sénat, deux par le président du Conseil économique et social,
choisies en dehors de cette assemblée, et deux conjointement par le premier
président de la Cour de cassation, le vice-président du Conseil d'Etat et le
premier président de la Cour des comptes. La onzième serait un conseiller
d'Etat désigné par l'assemblée générale.
Il n'a pas paru anormal au Gouvernement de confier la nomination de deux
membres du Conseil supérieur de la magistrature au président du Conseil
économique et social. Cet organe consultatif a une existence constitutionnelle
reconnue et représente les grandes activités sociales et professionnelles du
pays. Cette nomination devrait permettre d'introduire dans la magistrature un
regard qui ne soit ni celui des magistrats ni celui de la haute fonction
publique.
Un même souci d'ouverture a animé votre commission des lois, mais celle-ci ne
préconise pas exactement les mêmes procédures de nomination. Elle a simplement
précisé que les quatre personnalités nommées ensemble par les trois présidents
des hautes juridictions devraient être choisies hors de ces juridictions.
En tout cas, le Sénat et le Gouvernement partagent ce souci d'ouverture.
A ces remarques, j'ajouterai que ce projet de loi constitutionnelle sera
complété par deux projets de loi organique.
Le premier modifiera les dispositions de la loi organique du 5 février 1994 et
aura pour objet de préciser les attributions et les règles de fonctionnement du
CSM issues de la révision constitutionnelle. Afin de garantir une meilleure
représentation des sensibilités du corps judiciaire, le mode d'élection des
magistrats des cours et tribunaux sera modifié : à l'actuel scrutin à deux
degrés sera substitué un scrutin de liste, à la représentation proportionnelle
au plus fort reste, avec suffrage direct.
Le second projet tendra à modifier l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant
loi organique relative au statut des magistrats et réaffirmera la subordination
hiérarchique des magistrats du parquet prévue par l'article 5 de la loi.
Ceux-ci auront désormais l'obligation statutaire de mettre en oeuvre les
orientations générales du garde des sceaux. De plus, en matière disciplinaire,
le pouvoir de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature sera
accordé non plus seulement au garde des sceaux mais également aux chefs de cour
d'appel.
Vous aurez évidemment à examiner ces deux projets de loi organique lorsque le
texte constitutionnel qui vous est soumis aujourd'hui aura été adopté.
La présente réforme constitutionnelle traduit les trois grands choix arrêtés
par le Gouvernement : des garanties accrues en matière de nomination et de
discipline pour les magistrats du parquet, une composition élargie du Conseil
supérieur de la magistrature, celui-ci comportant majoritairement des
non-magistrats, et l'unité du corps judiciaire.
Cette réforme s'inscrit dans une évolution continue, amorcée voilà quelques
années. Elle a l'ambition de faire entrer dans les faits les orientations qui
étaient déjà celles de la réforme de 1993 mais qui étaient demeurées
inabouties.
Si les modalités retenues par le projet de loi constitutionnelle peuvent être
discutées, je relève avec beaucoup de satisfaction que votre assemblée est
favorable au principe même de la réforme. Je sais, pour avoir pris connaissance
attentivement du rapport de votre commission, que celle-ci est d'accord avec
les principales propositions de la réforme, à savoir le renforcement des
garanties pour la nomination des membres du parquet, l'alignement de la
procédure disciplinaire du parquet sur celle du siège, la présence au sein du
Conseil supérieur de la magistrature d'une majorité de non-magistrats, le
nombre des membres du Conseil supérieur de la magistrature - vingt-trois en
comptant le Président de la République et le garde des sceaux - et les
modalités de leur désignation, hormis la question du Conseil économique et
social.
Je me réjouis que ces orientations nous soient communes. Les divergences qui
subsistent, et qui sont réelles, intéressent l'organisation interne et le
fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Elles ne reflètent pas
une conception fondamentalement différente de ce que doit être l'indépendance
de la justice dans notre pays.
Car cette réforme traduit la volonté du Gouvernement d'établir des rapports
nouveaux entre l'exécutif, les politiques et la justice. Elle traduit aussi sa
détermination à donner à notre pays une justice indépendante, impartiale,
susceptible de recueillir la confiance de l'ensemble des citoyens.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen. - M. Fauchon applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme du
Conseil supérieur de la magistrature qui nous est soumise intervient moins de
cinq ans après la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993.
Cette dernière a substantiellement renforcé les pouvoirs du Conseil supérieur
de la magistrature en accroissant ses prérogatives à l'égard des magistrats du
siège : le pouvoir de proposition dont il disposait à l'égard des magistrats du
siège de la Cour de cassation et des premiers présidents des cours d'appel
s'est ainsi trouvé étendu aux présidents des tribunaux de grande instance ;
pour les autres magistrats du siège, la réforme a institué l'exigence d'un avis
conforme.
En outre, sur l'initiative du Sénat, le champ des compétences du Conseil
supérieur de la magistrature a été étendu aux magistrats du parquet, mais à
titre purement consultatif, sauf pour ce qui concerne le procureur général près
la Cour de cassation et les procureurs généraux près les cours d'appel, dont
les emplois - trente-six au total - sont pourvus en conseil des ministres.
La réforme de 1993, que vous aviez votée, mes chers collègues, avait pris soin
de créer deux formations distinctes, l'une pour les magistrats du siège et
l'autre pour ceux du parquet, afin de marquer la différence de nature entre les
fonctions des uns et celles des autres, même si tous appartiennent au même
corps. Au demeurant, l'unité du corps judiciaire était déjà soulignée par
l'existence d'un organisme unique : le Conseil supérieur de la magistrature.
Enfin, la réforme de 1993 a diversifié le mode de désignation des membres du
Conseil supérieur de la magistrature. Avant 1993, le Président de la République
nommait tous les membres du Conseil supérieur. Depuis 1993, outre le Président
de la République, président, et le garde des sceaux, vice-président, le Conseil
supérieur de la magistrature compte, pour chacune des deux formations, dix
membres : un désigné par le Président de la République, un désigné par le
président du Sénat, un désigné par le président de l'Assemblée nationale, un
conseiller d'Etat désigné par l'assemblée générale du Conseil d'Etat, auxquels
s'ajoutent six magistrats, c'est-à-dire, d'une part, cinq magistrats du siège
et un du parquet pour la formation intéressant les magistrats du siège, d'autre
part, cinq magistrats du parquet et un du siège pour la formation intéressant
les magistrats du parquet.
Autrement dit, dans la composition actuelle, au sein de chaque formation, il y
a une majorité de magistrats.
Avant de vous présenter les propositions de la commission des lois,
j'analyserai le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis.
Celui-ci vise à renforcer les garanties d'indépendance assurées par le Conseil
supérieur de la magistrature.
Il s'agit donc d'aller plus avant sur le chemin ouvert par la réforme de
1993.
Le projet s'est inspiré, sans toutefois en retenir toutes les conclusions, des
travaux de la commission présidée par M. Truche, premier président de la Cour
de cassation.
Il laisse inchangées les compétences reconnues au Conseil supérieur de la
magistrature à l'égard des magistrats du siège.
En revanche, il introduit une modification de son rôle à l'égard des
magistrats du parquet. Pour ce qui concerne ceux-ci, le Conseil n'est plus un
simple donneur d'avis : il devient une instance de décision. Ainsi, il faudra
un avis conforme du Conseil pour la nomination de tous les magistrats du
parquet, y compris pour les procureurs généraux. Toutefois, le pouvoir de
proposition reste au garde des sceaux.
Il n'y a donc pas alignement complet sur le système existant pour les
magistrats du siège puisque, pour les hauts magistrats du siège, c'est le
Conseil supérieur de la magistrature qui a le pouvoir de proposition.
Il n'en demeure pas moins que la modification proposée est d'une très grande
portée. En effet, dorénavant, aux termes du projet de loi, aucun magistrat du
parquet ne pourra être nommé sans l'accord du Conseil supérieur de la
magistrature.
Par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature aura les mêmes pouvoirs
disciplinaires pour les magistrats du parquet et pour les magistrats du siège.
Autrement dit, il disposera, en matière disciplinaire, de pouvoirs de décision
complets, et non plus d'un pouvoir consultatif.
Il s'agit donc d'une importante réforme sur le plan des principes. Elle doit
toutefois être relativisée au regard des pratiques antérieures des gardes des
sceaux : dans la plupart des cas, ceux-ci suivaient les avis du Conseil
supérieur de la magistrature, et les statistiques montrent que c'est fort
rarement qu'il n'en a pas été ainsi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela dépend de la période !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Afin de marquer l'unité du corps judiciaire, le projet de loi
tend à supprimer la division actuelle du Conseil supérieur de la magistrature
en deux formations respectivement compétentes à l'égard du parquet et à l'égard
du siège.
Je vous rappelle que, en 1993, le Sénat avait reconnu comme d'ailleurs la
commission Truche, la nécesssité de maintenir deux formations adaptées à la
spécificité de chaque fonction.
Enfin, il est proposé d'élargir la composition du Conseil supérieur de la
magistrature, celui-ci devant désormais compter une majorité de membres
n'appartenant pas à la magistrature.
Afin de permettre une approche plus ouverte de la gestion du corps judiciaire,
le nombre total des membres du Conseil supérieur de la magistrature serait
porté à vingt-trois.
Cette « ouverture », nécessaire pour qu'une justice indépendante ne soit plus
gérée seulement par des magistrats, se traduirait, selon le projet, par la
présence de dix personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au
Parlement : deux personnalités désignées par le Président de la République,
deux par le président de l'Assemblée nationale, deux par le président du Sénat,
deux par le président du Conseil économique et social, ainsi que deux désignées
conjointement par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de
la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes.
Quant aux dix magistrats du siège et du parquet, l'avant-projet de loi
organique les répartit en six du siège et quatre du parquet.
Aux dix personnalités extérieures et aux dix magistrats viennent s'ajouter,
dans le projet de loi, un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat, ce
qui, avec le Président de la République et le garde des sceaux, donnerait
vingt-trois membres.
Après examen, la commission des lois approuve la nouvelle réforme du Conseil
supérieur de la magistrature, mais elle a proposé d'y apporter plusieurs
aménagements.
La commission des lois a rappelé que la réforme du Conseil supérieur de la
magistrature n'était pas la plus urgente. Ce que les Français attendent, avant
tout et tout de suite, est un remède à la lenteur et à l'engorgement croissant
de la justice quotidienne, confrontée à un manque chronique de moyens. Voilà ce
que les Français demandent !
La commission des lois est favorable à l'accroissement des prérogatives du
Conseil supérieur de la magistrature à l'égard du parquet, mais elle reste
attachée au maintien des deux formations spécifiques, l'une pour les magistrats
du siège, l'autre pour les magistrats du parquet.
Enfin, la commission des lois vous propose une modification des modalités de
désignation des membres du Conseil n'appartenant pas à la magistrature.
Elle est favorable à ce que, dorénavant, un avis conforme soit exigé pour la
nomination des magistrats du parquet soumise aujourd'hui à un simple avis.
Elle approuve également le transfert au Conseil supérieur de la magistrature
du pouvoir disciplinaire sur les magistrats du parquet actuellement détenu par
le garde des sceaux, après un avis simple du Conseil.
Vous le voyez, la commission des lois accompagne la réforme dans ses
dispositions majeures.
En revanche, elle souhaite reconnaître, ce qui n'était pas fait jusqu'à
présent, l'existence de la réunion plénière du Conseil supérieur de la
magistrature. Elle pense nécessaire que la nouvelle compétence d'avis reconnue
à cette formation plénière, afin de renforcer le principe même de l'unité du
corps des magistrats, qu'ils soient du siège ou du parquet, soit encadrée et
précisée.
La possibilité que le Conseil émette des avis doit être subordonnée à la seule
demande du Président de la République, agissant tant dans le rôle de garant de
l'indépendance de l'autorité judiciaire que lui confère l'article 64 de la
Constitution qu'en vertu des nouveaux pouvoirs qui lui seront dévolus si vous
adoptez la rédaction de l'article 65 que nous vous proposons.
Ces avis ne devraient porter que sur des questions d'ordre général intéressant
le statut des magistrats et non sur des affaires particulières, de manière à
éviter toute interférence avec les compétences disciplinaires du Conseil
supérieur de la magistrature.
Dans un souci de parallélisme, la commission des lois a pris en compte une
proposition de loi constitutionnelle déposée par notre excellent collègue M.
Millaud, concernant les modalités de nomination des présidents de certaines
juridictions d'outre-mer, réparant ainsi une omission dans la rédaction
actuelle de l'article 65 de la Constitution.
La commission est d'accord pour réaffirmer haut et fort l'unité de la
magistrature à travers l'institution d'une formation plénière, mais elle estime
absolument nécessaire de maintenir deux formations spécialisées compétentes à
l'égard respectivement des magistrats du siège et du parquet.
Elle souhaite que soient reconnues l'égale dignité des fonctions, des
responsabilités du magistrat chargé d'une mission de justice, ainsi que
l'identité d'éthique, tout en soulignant qu'il s'agit de métiers profondément
différents : les uns jugent, alors que les autres poursuivent et requièrent au
nom de la société.
Le ministère public continuera inévitablement à se distinguer par sa
différence de nature. Ce n'est pas la loi qui crée cette disparité, mais c'est
la nécessité, pour le fonctionnement même de la justice, d'assigner un rôle
différent au parquet et au siège dans la tradition de notre organisation
judiciaire.
M. Alain Peyrefitte.
Très bien !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Certes, il faut assurer l'indépendance des magistrats
vis-à-vis du pouvoir politique. Toute mesure propre à écarter d'éventuels
soupçons devrait être accueillie, comme nous le faisons aujourd'hui, et cela
vaincra, je l'espère, les résistances encore assez nombreuses de ceux qui
regrettent le système ancien.
N'oublions pas cependant qu'il est une autre indépendance, aussi nécessaire à
notre organisation, aussi fondamentale pour le respect des droits de l'homme,
je veux parler de l'indépendance du siège vis-à-vis du parquet.
La commission des lois, afin de respecter le même équilibre que dans la
formation plénière, propose que chaque formation spécialisée soit composée,
outre le Président de la République et le garde des sceaux, respectivement
président et vice-président du Conseil, de cinq magistrats du siège ou du
parquet, suivant la fonction concernée, plus un magistrat de l'autre fonction,
ainsi que de six des dix personnalités extérieures et du conseiller d'Etat.
Ainsi, chacune des deux formations comprendrait quinze membres.
La formation plénière, elle, compterait vingt-trois membres : dix magistrats
élus - cinq du siège, cinq du parquet - un conseiller d'Etat, les dix
personnalités extérieures, le Président de la République et le garde des
sceaux. Nous retrouvons ici le chiffre qui figure dans le projet de loi
constitutionnelle.
Cette composition permettra de conserver, au sein de chaque formation, une
majorité de non-magistrats sans que les structures de travail deviennent
pléthoriques. Elles resteront donc, je l'espère, opérationnelles.
La commission approuve l'ouverture du Conseil supérieur de la magistrature à
cette majorité de personnalités extérieures à la magistrature, mais sous
réserve d'une modification de certaines modalités de leur désignation.
Le système que nous vous proposons prévoit que deux personnalités sont
désignées par le Président de la République, deux par le président du Sénat et
deux par le président de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, le vice-président
du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier
président de la Cour des comptes se réunissent pour désigner conjointement
quatre membres qui compléteront ainsi les dix personnalités extérieures, les
non togati,
comme disent les Italiens.
L'équilibre résulte de ce que six personnalités sont ainsi désignées par les
autorités issues du suffrage universel, et quatre par les présidents des plus
hautes juridictions de notre pays.
Les personnalités désignées ne peuvent appartenir, selon notre proposition, ni
au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif, c'est-à-dire
aux juridictions administratives.
Pour être complet, je dois vous signaler que la commission proposera un
article additionnel pour réparer une omission dans la rédaction actuelle de
l'article 19 de la Constitution, relatif au contreseing des actes du Président
de la République. Ce contreseing n'est pas nécessaire pour l'exercice de son
pouvoir propre de désignation de membres du Conseil supérieur de la
magistrature.
Enfin, la commission a prévu d'introduire dans le corps même de la
Constitution une disposition transitoire relative aux pouvoirs de l'actuel
Conseil supérieur de la magistrature, qui sera valable jusqu'à la mise en place
du nouveau Conseil, avec une précision heureuse qui nous a été suggérée par M.
Gélard tendant à « l'autodisparition » de la disposition transitoire dès cette
mise en place.
Ainsi, la Constitution ne sera pas alourdie trop longtemps par une disposition
nécessaire, mais forcément disgracieuse...
En conclusion, le texte que la commission des lois vous propose reprend les
dispositions essentielles, je dirai même le coeur législatif du projet de loi.
Il est vrai, cependant, qu'il se rapproche plus encore des dispositions
préconisées par la commission Truche, dont les conclusions avaient explicité
l'immense attente de réforme de nos concitoyens.
C'est un texte d'équilibre. Nous espérons que vous l'accepterez. Il tient
compte des nombreuses remarques qui nous ont été présentées au cours des
auditions auxquelles la commission et le rapporteur ont procédé, selon leur
habitude.
Certes, le Conseil supérieur de la magistrature ne pourra plus, du moins, je
l'espère, être soupçonné de corporatisme en raison de l'ouverture, mais il
fallait éviter aussi que ce souci d'ouverture ne donne aux magistrats le
sentiment d'être écartés de décisions qui les concernent au plus haut point,
celles qui ont trait à leur carrière et à la discipline de leur corps. Ils
doivent être reconnus dans leur unité et leur égale dignité de magistrats,
qu'ils appartiennent au siège ou au parquet. Dès lors, comme vous l'aviez
souhaité en 1993, chaque formation décidera pour ce qui la concerne, siège ou
parquet.
Le Président de la République voit le rôle prééminent qui lui est reconnu par
l'article 64 de la Constitution réaffirmé, avec la possibilité qu'il sollicite
les éclaircissements qu'il souhaite d'un organisme indépendant, dont la
majorité, en sa formation plénière, est nommée par de très hautes personnalités
issues, pour six d'entre elles, du suffrage universel.
Le suffrage universel est le fondement du pouvoir redoutable qui est donné à
des citoyens de juger d'autres citoyens.
Espérons que ce texte permettra d'écarter les soupçons qui pouvaient exister,
parce que tout soupçon est intolérable, l'autorité judiciaire demeurant, par
son indépendance, la clé de voûte des démocraties. Dès qu'elle est mise en
cause, soupçonnée, ou qu'on ne lui donne pas les moyens de fonctionner, c'est
la démocratie qui est atteinte dans ses bases mêmes.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, réformer la justice
et répondre ainsi à l'attente de nos concitoyens, telle est l'impérieuse
nécessité à laquelle nous sommes confrontés.
Comment, néanmoins, ne pas dire en cet instant la difficulté à laquelle nous
nous devons de faire face ?
Est-ce parce que, désormais, l'Etat ne nommera plus les membres du parquet
que, au quotidien, le fonctionnement de l'appareil judiciaire s'en trouvera
pour autant amélioré ? On peut même se demander - la question a été posée avec
beaucoup de force et de conviction au sein de la commission - si un certain
affaiblissement d'un pouvoir d'Etat ne risque pas de conduire, corrélativement,
à un affaiblissement d'un devoir d'Etat, qui est celui d'assurer, avec la
fermeté qu'exige la situation actuelle de notre société, la poursuite
publique.
Vos projets, je le crois, rejoignent parfois nos suggestions, madame le garde
des sceaux, mais, en ces matières, il peut être difficile d'extraire certaines
mesures de l'ensemble sans rompre l'équilibre général et troubler la vision
globale, pourtant nécessaire. Nous aurons à en débattre.
Sur un grand nombre de sujets, chacun le sait, la commission des lois a déjà
fait des propositions à l'occasion de ses missions d'information. Ces
propositions traduisent la recherche d'un nouvel équilibre entre des principes
constitutionnels qui doivent être l'un et l'autre respectés, la liberté de
l'information, d'un côté, la présomption d'innocence, de l'autre.
Elles traduisent aussi le pragmatisme avec lequel nous avons entendu aborder
la situation qui conduit, il faut bien le dire, à l'asphyxie de certaines
juridictions. Aussi attendons-nous avec un très grand intérêt les textes dont
vous nous annoncez l'examen au cours des prochains mois. Ils sont nombreux et
ont une importance considérable.
Par ailleurs - et ce n'est peut-être pas en relation directe - nous avons eu
l'occasion, dès avril, d'ouvrir ensemble quelques perspectives en matière de
droit de la famille. Plusieurs d'entre nous ont déjà indiqué que certaines
évolutions seraient tenues pour inacceptables.
Pour ma part, je ne serai pas favorable à l'achèvement de la discussion
actuelle tant que nous n'aurons pas, sous une forme à déterminer, une vue
claire de l'ensemble de vos projets, et vous savez que nous en avons les
moyens.
MM. Paul Masson et Charles de Cuttoli.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Et le droit !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Je voudrais saluer la qualité du travail de
notre rapporteur, mon excellent ami Charles Jolibois. Il a longuement entendu
toutes les parties concernées et, avec la compétence qui est la sienne, il a pu
ainsi pleinement éclairer nos travaux sur les enjeux qui découlent du présent
projet de loi constitutionnelle.
Nous en avons accepté les principes, avec des modifications qui ne sont pas
mineures. La navette nous permettra de confronter notre point de vue avec celui
de l'Assemblée nationale. Cela sera peut-être difficile, car l'apport de
l'Assemblée nationale lors de la première lecture a été pratiquement inexistant
: ni en commission ni en séance publique elle n'aura véritablement procédé - ce
qui était tout de même son devoir - à l'examen des dispositions du projet de
loi, qu'elle a d'ailleurs adopté rapidement et sans modification.
Tel n'a pas été notre cas, car il n'est pas dans les habitudes du Sénat de se
prononcer sans peser les conséquences de ses votes. Le Sénat se doit de
maintenir l'intégralité de son pouvoir constituant, que certains professeurs
éminents auraient souhaité diminuer.
M. Paul Masson.
« L'anomalie » !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Toutefois, contrairement à ce qui est parfois
affirmé, il s'agit non pas d'un pouvoir de blocage, mais d'un pouvoir
délibérant, que nous entendons exercer pleinement.
Au moment où nous abordons pour la deuxième fois en cinq ans ce débat
essentiel, j'aimerais, à titre personnel, m'interroger avec vous sur les effets
de la présente réforme.
Qu'allons-nous faire ? N'allons-nous pas, peut-être au delà de notre volonté,
instaurer un véritable pouvoir judiciaire alors que la Constitution de la Ve
République ne parle et ne parlera encore après cette réforme que d'« autorité
judiciaire » ? N'aurions-nous pas dû saisir l'occasion pour résoudre un certain
nombre de problèmes de principe qui se posent à tout gouvernement responsable ?
J'en vois trois : l'inamovibilité, le devoir de réserve et l'acceptation d'une
certaine responsabilité.
Nous pensons répondre à une certaine attente en accroissant les garanties
d'indépendance de la magistrature, mais c'est peut-être cela qui devrait, dans
le même temps, nous conduire à repenser certains principes.
L'inamovibilité est un principe qui est consacré constitutionnellement à
l'égard des magistrats du siège. Mais ses justifications, résultant
essentiellement du contexte du xixe siècle, pourraient être réexaminées compte
tenu précisément de l'accroissement même des garanties auquel nous
procédons.
M. Pierre Fauchon.
Très juste !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
L'inamovibilité protège le juge contre
l'arbitraire. Elle ne doit pas être utilisée à plus ou moins bon escient par
certaines magistrats - heureusement très peu nombreux - pour bloquer le
fonctionnement de certains juridictions, l'aménagement de la carte judiciaire,
ou encore moins - et c'est encore plus rare - pour des raisons de convenance
personnelle.
S'agissant de l'obligation de réserve, les magistrats devraient, je n'hésite
pas à le dire, la respecter de façon plus absolue que certains d'entre eux ne
le font.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Très juste !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Si, dans leur ensemble, ils veulent,
souhaitent et doivent être tenus pour un grand corps de l'Etat, peut-être
certains d'entre eux devraient-ils s'abstenir de faire connaître, par le biais
de certaines organisations, une opinion que personne ne leur demande sur tel ou
tel problème de société ?
(M. Bataille applaudit.)
Il est permis de
s'interroger sur la timidité, le mot est pudique, de la conception récemment
développée par le Conseil supérieur de la magistrature dans un récent avis à ce
propos. Le devoir de réserve m'apparaît en effet comme une condition
essentielle de l'impartialité des décisions judiciaires. Il est tout aussi
essentiel que les garanties de nomination dont nous discutons aujourd'hui.
A ce Conseil, par ailleurs renforcé et mieux composé, nous n'entendons, en
aucune manière, reconnaître une sorte de pouvoir de remontrance, par lequel on
ne manquerait pas très vite de l'assimiler aux parlements d'autrefois.
Qu'en est-il, enfin, de la légitimité du juge et de la mise en cause de sa
responsabilité personnelle ?
Une justice modernisée, oui, le Sénat en est d'accord. Une justice qui, par le
comportement d'un très petit nombre de ses membres, dont nous savons qu'ils
violent délibérément le secret de l'instruction, ou qui, par un comportement
collectif, se comporterait en pouvoir d'Etat, il appartiendra au Sénat de dire
qu'il ne l'acceptera jamais.
MM. Paul Masson et Alain Peyrefitte.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Nous savons que ce que nous faisons
aujourd'hui est une première étape. Nous examinerons plus tard, avec une
attention particulière, des textes, mes chers collègues, pour lesquels,
contrairement à celui-ci à propos duquel la navette peut se poursuivre, nous
n'aurons pas le dernier mot,...
M. Paul Masson.
Là est bien le problème !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
... et c'est pour cela que je vous invite à
une réflexion approfondie sur la proposition que nous vous faisons, en cet
instant, de maintenir, si j'ose dire, cet état de navette pour autant que nous
n'aurons pas satisfaction sur le reste.
M. Alain Peyrefitte.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est clair !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
J'ai toujours été clair !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cynique mais clair !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Nous avions le devoir de répondre à
l'initiative du Président de la République, et nous l'avons fait, mais j'ai
également cru de mon devoir de poser certaines questions à cette tribune.
En renforçant, peut-être au-delà des limites nécessaires, la situation et
l'autonomie des magistrats, ne mettons-nous pas en cause l'autorité même de
l'Etat ? C'est un pari que nous prenons, et je souhaite de tout coeur qu'il
soit gagné.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste, du RPR et sur certaines travées du RDSE.)
(M. Paul Girod remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la
démarche à laquelle le Gouvernement nous invite aujourd'hui contraste quelque
peu avec celle de la semaine dernière. Différence de forme et plus encore
différence de portée et d'utilité, mais peut-être pas dans le sens que l'on
croit. En effet, il s'agit aujourd'hui d'un texte constitutionnel, certes «
important », mais dont la portée est avant tout d'ordre symbolique, tandis que
les diverses dispositions de procédure pénale votées la semaine dernière, sous
une apparence modeste et disparate, recélaient, avec la composition pénale, une
mesure profondément novatrice et, peut-être, appelée à un grand avenir.
Disons, pour être tout à fait clairs, que notre justice connaît des
difficultés autrement plus graves et plus angoissantes que le supposé manque
d'indépendance des magistrats du parquet. Disons aussi que, dans la mesure où
un tel manque existe, le remède doit être attendu tout autant d'un changement
d'état d'esprit et des moeurs que de modifications statutaires qui, chacun le
sait, n'affecteront que ponctuellement la réalité des pratiques actuelles.
On ne doit pas pour autant méconnaître la réalité du soupçon de partialité qui
pèse sur la justice en général, à l'occasion sur le ministère public, et qui
est à coup sûr l'une des formes de la fâcheuse « démoralisation » politique que
connaît le pays. L'impunité de certains crimes ou délits dont les auteurs ne
sont que trop connus et le favoritisme, parfois affiché, de certaines
nominations ne sont pas des faits nouveaux. Peut-être même sont-ils plus rares
que naguère. Mais la conscience publique à leur égard est passée de la
résignation à la sévérité, et il est sans doute utile d'ajouter au grand
progrès initié par M. Balladur en 1993 - après des lustres de carence ! - un
nouveau pas en avant dans la voie de la dépolitisation du pouvoir judiciaire,
conformément d'ailleurs à l'impulsion donnée par M. le Président de la
République.
Toutefois, avant d'aller plus avant, il faut tenter de mettre fin à la
confusion qui assimile, dans l'esprit public, la notion de juge et celle de
magistrat. Nous savons tous qu'entre le juge
stricto sensu
et les agents
du ministère public - tous dénommés magistrats - il y a, dans un Etat de droit,
une différence de nature dans la mission, comme il devrait y en avoir une de
degré dans l'ordre des dignités.
La mission du juge est un véritable ministère qui suppose - cela n'est pas
douteux - l'entière indépendance de la conscience. Ce point est essentiel, et
c'est le grand apport de la réforme de 1993 qui a mis fin à une gestion dirigée
sinon dirigiste du corps de la « magistrature assise ».
La mission du ministère public, quant à elle, est un « office » rempli pour le
compte de la société, c'est-à-dire de l'Etat. Sans doute comporte-t-elle nombre
d'attributions qui relèvent de la fonction de jugement - vous l'avez d'ailleurs
rappelé tout à l'heure à juste titre, madame le garde des sceaux - attributions
au premier rang desquelles figurent l'appréciation de l'opportunité des
poursuites, le choix des modalités de ces poursuites et leur accompagnement, et
vous avez évoqué plus spécialement le contrôle de la garde à vue.
Il importe cependant que de tels choix soient cohérents avec la loi, et c'est
pourquoi il appartient au Gouvernement, chargé, selon l'article 20 de la
Constitution, de la « conduite de la politique de la nation » et qui « dispose
» à cette fin de l'administration, dont fait partie le parquet, de les orienter
et, s'il y a lieu, de les corriger.
Nous sommes donc en droit d'attendre du parquet ce mélange de discipline et de
conscience personnelle qui fait le particularisme et l'éminente dignité du
ministère public et qui justifie que ses agents soient des magistrats, mais des
magistrats particuliers, en quelque sorte
« in partibus ».
Que serait un Etat de droit dans lequel l'exercice de l'action publique se
diversifierait au gré de la conscience individuelle de chaque procureur ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Exactement !
M. Pierre Fauchon.
Et qui sait, mes chers collègues, si, à certains égards, nous n'en sommes pas
déjà rendus là sans le savoir, du fait d'un encombrement judiciaire qui excuse
et qui masque toutes les carences ?
N'oublions pas qu'il ne saurait y avoir, ici, de « voies de recours » pour
unifier la « jurisprudence », comme c'est le cas des magistrats du siège. Il
faut donc que cette unité, ou du moins cette harmonisation, vienne du pouvoir
exécutif parce qu'elle est de sa responsabilité.
Il n'est pas dans ma pensée de déduire de cette exigence de clarification la
conclusion selon laquelle il faudrait dissocier radicalement le siège et le
parquet. Compte tenu de nos traditions et d'un équilibre qui me paraît en fait
acceptable, il est en tout cas souhaitable de dissocier plus clairement les
deux types de magistrats, et donc les deux carrières, ce qui ne me semble pas
incompatible avec le maintien d'une formation et, peut-être, d'un apprentissage
communs qu'il conviendrait de définir. Nous devons, sur ce point, être
attentifs à la récente prise de position des chefs de cour, qui sont tout de
même ceux qui connaissent le mieux les réalités de la vie judiciaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Pierre Fauchon.
Pour en venir au présent texte, je conclus tout d'abord que la formule qui
combine le pouvoir de proposition du ministre et le nécessaire acquiescement
d'un collège de sages est sans doute bonne parce qu'elle devrait normalement -
il est du moins permis de l'espérer - dépolitiser les choix sans les livrer à
des mécanismes autogestionnaires inévitablement corporatistes. Cette dualité
nécessite une approche consensuelle dont il est permis d'attendre qu'elle
privilégie les considérations fondées sur les qualités objectives des personnes
et non sur leur appartenance catégorielle, ce qui constituerait le principal
danger.
En ce qui concerne la composition du Conseil supérieur de la magistrature, il
importe évidemment qu'elle soit diversifiée afin de donner moins de prise à ce
que j'appellerai des « manoeuvres ». Cela suppose qu'aucune catégorie de
membres ne soit majoritaire, même s'il est dans la nature des choses que les
magistrats soient les plus nombreux. Il n'est pas sûr, à cet égard, que le
rapport de dix sur onze constitue le meilleur équilibre. Je suis assez réservé,
car j'ai peur qu'il n'établisse, en fait, une certaine parité entre un élément
très homogène, très compact, et un autre élément qui, lui, sera disparate par
construction. Mais nous verrons.
Il importe en tout cas que le collège des « sages » soit réellement
opérationnel, c'est-à-dire capable de dégager une véritable volonté commune et
non des échanges plus ou moins subtils ou des effets de domination par les
groupes les plus cohérents. Cela suppose un petit nombre qui ne devrait guère
dépasser de beaucoup la dizaine. En effet, il s'agit de prendre des décisions
ponctuelles, ce qui implique la cohésion de la volonté si l'on veut des
décisions opérationnelles, et non de délibérer sur des questions générales à
l'égard desquelles le nombre n'a pas d'inconvénient.
C'est, dans mon esprit, la principale raison pour laquelle la formule de deux
sections spécialisées, adoptée par la commission, me paraît heureuse. Elle a,
en outre, l'avantage de ne pas entretenir et de ne pas renforcer la confusion
déjà dénoncée entre les juges et les procureurs, tous étant bien sûr des
magistrats, ce que je ne conteste pas.
Le présent texte offre par ailleurs l'occasion de remédier à la tentation pour
le Conseil de s'ériger, à la faveur de son titre et peut-être par un certain
abus de celui-ci, en une instance supérieure de réflexion et de proposition sur
tout problème concernant la justice et - pourquoi pas d'ailleurs ? - sur
quelques autres.
Vous avez vous-même rappelé, madame le garde des sceaux, la façon dont le
Conseil a cru pouvoir critiquer une décision gouvernementale, violant ainsi à
la fois le texte, la lettre de la loi et son esprit.
M. Alain Peyrefitte.
Absolument !
M. Pierre Fauchon.
J'espère, madame le garde des sceaux, que votre citation n'était pas une
approbation. En tout cas, j'estime pour ma part que nous sommes en présence
d'une dérive passablement abusive, et ce pour plusieurs raisons.
Elle est abusive parce que le mode de constitution du Conseil, qui procède du
caractère très particulier de sa mission, ne lui confère aucune qualification
technique et moins encore politique pour délibérer sur l'ensemble des affaires
de la justice. Il n'est pas constitué pour cela. Le mode de désignation de ses
membres et la répartition catégorielle de ces derniers les qualifient pour
choisir des hommes mais beaucoup moins pour délibérer de questions générales et
moins encore pour commenter les décisions du Gouvernement.
Cette dérive est également abusive parce que, étant une institution légale et
non un groupement libre, le Conseil doit se borner à exercer les compétences
que la loi lui assigne et qu'il ne lui appartient pas d'étendre. Ainsi, le
Parlement n'a pas le droit de voter des résolutions, et il n'en vote pas, alors
que le Conseil supérieur de la magistrature prend, en quelque sorte, le droit
de le faire.
Il n'est pas excessif d'évoquer à cette occasion, comme l'a très justement
fait tout à l'heure M. le président de la commission, le droit de remontrance
des anciens parlements, droit qui était la caractéristique d'une « monarchie
tempérée » mais qui apparaît rigoureusement contradictoire dans toute
constitution fondée sur la séparation des pouvoirs.
L'amendement de la commission des lois, qui tend à ce que le Conseil ne
puisse, en tant que tel, délibérer que sur les questions qui lui seraient
soumises par le Président de la République, paraît donc le bienvenu. Il est
d'ailleurs conforme à la Constitution, qui définit le Conseil supérieur de la
magistrature en précisant qu'il « assiste » le Président dans sa mission
générale de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. C'est cela, et
rien d'autre !
L'examen de ce texte nous invite enfin, nous semble-t-il, à étendre notre
réflexion, à la suite des propos tenus par M. Jacques Larché tout à l'heure, à
d'autres aspects du statut de la magistrature. Je pense en particulier au
recrutement et à la formation des magistrats qu'il conviendrait, me
semble-t-il, de diversifier afin de moderniser un corps quelque peu figé dans
ses particularismes et dans la conception de son recrutement et de sa formation
que l'on pouvait avoir voilà plusieurs dizaines d'années.
Je pense aussi à une plus grande mobilité des postes de responsabilité
générale afin de faciliter l'adaptation de la carte judiciaire et d'alléger le
poids des habitudes et des routines. Ce problème avait déjà été abordé - M.
Jolibois, qui présidait le groupe de travail sur ce sujet, doit s'en souvenir -
dans le rapport sur les moyens de la justice. Le moment n'est-il pas venu,
comme M. Jacques Larché nous y a invités voilà un instant, de repenser la
notion d'inamovibilité, qui ne saurait être entendue, après les réformes du
CSM, surtout après celle que nous sommes en train de voter, comme elle l'était
au XIXe siècle ? Certains d'entre nous ont envisagé de limiter dans le présent
texte la durée d'exercice des fonctions de chef de juridiction afin de rétablir
la mobilité nécessaire dans toute organisation, y compris dans les services
publics qui en ont d'ailleurs le plus grand besoin. Mais, à la réflexion, une
telle mesure ne me paraît pas heurter le principe de l'inamovibilité, celui-ci
prescrivant les mutations individuelles imposées, suspectes d'arbitraire, mais
non les règles générales de fonctionnement des juridictions. C'est la raison
pour laquelle j'ai renoncé, pour ma part, à ouvrir ce débat en la présente
occasion.
Nous souhaitons que de telles questions, ainsi que d'autres qui seront
évoquées, puissent être traitées à l'occasion des textes à venir, spécialement
du projet de loi organique. Nous constatons que vos réflexions et vos projets,
madame la ministre, loin d'être minimalistes, englobent l'ensemble de
l'organisation judiciaire, ce dont nous nous réjouissons.
C'est dans cette perspective élargie et sous ces réserves que, pour ma part,
j'adhère à la réforme que vous proposez, en souhaitant qu'elle aille dans le
sens d'un meilleur équilibre entre ce qu'il faut d'autorité de l'Etat et ce
qu'il faut d'indépendance de la justice.
(Applaudissements sur les travées
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bataille.
M. Jean-Paul Bataille.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature, soumis
aujourd'hui à la réflexion de la Haute Assemblée, a le louable mérite de tendre
à doter notre pays d'une justice indépendante des influences extérieures.
Après avoir examiné ce texte avec attention, les éminents juristes de la
commission des lois, présidée par Jacques Larché dont la compétence et la
sagesse ne sont plus à démontrer, proposent par la voix de leur rapporteur,
Charles Jolibois, un certain nombre d'amendements propres à le perfectionner.
Il n'est en effet pas simple de trouver un juste équilibre entre une nécessaire
indépendance des magistrats et le risque de voir s'instaurer un gouvernement
des juges dont les inconvénients seraient loin d'être négligeables. J'ose
espérer, madame le ministre, que vous serez sensible aux améliorations
proposées par la commission des lois.
Toutefois, madame le ministre, nos concitoyens souhaitent ardemment que ce
projet de loi constitutionnelle soit la première pierre d'une véritable
modernisation de notre système judiciaire. Je me permettrai donc de soumettre à
votre réflexion quatre orientations qui semblent primordiales si nous voulons
que les droits de l'homme, inscrits dans le préambule de la Constitution,
soient mieux respectés.
Il nous faut tendre à une justice plus discrète, à une justice moins
coercitive, à une justice plus rapide et à une justice mieux dotée.
La nécessité d'une justice plus discrète est une évidence. Le secret de
l'instruction est trop souvent devenu « un secret de polichinelle » et son
non-respect viole incontestablement le principe républicain selon lequel « tout
accusé est présumé innocent ». Si les médias interviennent avec autant de
célérité dès le début de certaines instructions, ce n'est tout de même pas le
fait du hasard !
Ce serait un déni de justice que de continuer à accepter que la simple
ouverture d'une enquête préliminaire soit pour certains l'équivalent d'une
condamnation, comme c'est trop souvent le cas. Nous avons tous à l'esprit des
exemples récents de ce dérapage. Il est temps que des règles strictes soient
imposées à tous les services de votre ministère, madame le ministre, et que
soient sévèrement sanctionnés ceux qui les violeraient.
Je constate d'ailleurs avec plaisir que mon souci d'une justice plus réservée
rejoint l'une des préoccupations exposées voilà quelques instants par M. le
président de la commission des lois.
Si la nécessité d'une justice plus discrète est primordiale, il semble tout
aussi indispensable, madame le ministre, de réfléchir à l'atténuation de son
côté coercitif, tout au moins au cours de l'instruction. La détention
préventive, cette forme moderne de la torture, devrait être réservée aux
individus manifestement dangereux et ne devrait plus être utilisée pour obtenir
des aveux de présumés coupables.
Plus discrète, moins coercitive, la justice se doit, à l'évidence, d'être plus
rapide. Sa lenteur actuelle la déconsidère injustement aux yeux de nos
concitoyens et finit par leur faire prendre en pitié les plus coupables,
lorsque la ou les sanctions tombent avec plusieurs années de retard.
Enfin, madame le ministre, une justice plus discrète, moins coercitive, plus
rapide ne peut s'espérer que si nous faisons l'effort de mieux la doter. Mieux
la doter, c'est, de toute évidence, augmenter le nombre de nos magistrats, le
nombre de leurs collaborateurs. Mieux la doter, c'est aussi donner à nos
tribunaux des moyens modernes de travail. Mieux la doter, c'est encore et
surtout perfectionner la formation de nos magistrats, revaloriser
financièrement leurs traitements pour qu'ils cessent d'être les parents pauvres
de notre société qui, ingrate, leur confie au moindre coût la noble tâche
d'être son gardien vigilant.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, au
coeur de ce débat se trouve posée la question de l'indépendance de la
magistrature, notamment des magistrats du parquet.
Avant d'examiner plus précisément les dispositions du projet de révision
constitutionnelle tel qu'il nous a été présenté par Mme le garde des sceaux
après son vote par l'Assemblée nationale, et après les intéressantes
observations et suggestions de la commission des lois, représentée par son
excellent rapporteur M. Jolibois, je voudrais, pour ma part, revenir à une
question qui est trop souvent négligée : au cours des débats à l'Assemblée
nationale, on a beaucoup parlé de l'histoire des rapports de l'institution
judiciaire et du pouvoir politique, question qui est, je le reconnais,
fascinante.
Mais nous sommes en matière de révision constitutionnelle et, puisqu'il est
question d'indépendance de la justice, je souhaiterais rappeler très rapidement
les principes constitutionnels et les interrogations que soulève le concept
d'indépendance de la justice dans un Etat de droit.
Un élément est certain : l'indépendance de la magistrature a valeur
constitutionnelle. L'article 64 de la Constitution en fait mention explicite,
et le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans un nombre important de décisions
significatives, dont la dernière, toute récente, date du mois de février. Mais,
si l'indépendance est reconnue comme principe constitutionnel, la question de
son fondement n'en demeure pas moins posée.
Sur ce point, je voudrais d'abord - je dirai presque « enfin », en pensant à
notre vieux maître M. Eisenmann - que l'on écarte du débat la théorie de la
séparation des pouvoirs.
Je sais bien que, lorsqu'il s'agit de justice, on cite à tout propos et hors
de propos Montesquieu, dont la théorie sur ce point a été, je dois le dire,
complètement dévoyée par deux siècles de rhétorique politique. Toutefois,
l'indépendance de la magistrature, revendiquée au nom de la séparation des
pouvoirs, n'aurait de sens que si la justice en France était
constitutionnellement un pouvoir, ce qu'elle n'est pas.
M. Jean Chérioux.
Heureusement !
M. Robert Badinter.
Nous savons tous qu'il n'y a jamais eu de pouvoir judiciaire en France depuis
la Révolution, pour la simple raison que tout pouvoir - au sens constitutionnel
du terme - procède nécessairement, dans la République, du peuple souverain, par
la voie de l'élection. Or nos magistrats ne sont pas élus ! Ils le sont dans
d'autres Etats, mais pas chez nous.
M. Jean Chérioux.
Heureusement !
M. Robert Badinter.
Max Weber disait : « La justice anglaise est une justice d'avocats, la justice
allemande une justice de professeurs, la justice française une justice de
fonctionnaires. »
Il est vrai que nos magistrats sont des fonctionnaires qui sont recrutés par
concours ou par le biais d'une sélection opérée par une commission. Il est vrai
aussi qu'en France, comme il est écrit dans le titre même de l'article 8 de la
Constitution, la justice est une autorité, l'« autorité judiciaire ».
Ce n'est donc pas dans cette source, dans le concept de pouvoir et de
séparation des pouvoirs, que l'indépendance judiciaire, principe
constitutionnel, trouve son fondement.
Dans une conférence de presse très célèbre du 31 janvier 1964, le fondateur de
la Ve République, le général de Gaulle, déclarait : « L'autorité indivisible »
- j'y insiste - « de l'Etat est confiée tout entière au président par le peuple
qui l'a élu. Il n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni
militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui. »
Ce n'est pas faire offense au génie du général de Gaulle, me semble-t-il, que
d'analyser avec quelque interrogation cette affirmation. Que l'autorité de
nomination - ici le Président de la République - soit indiscutablement investie
de la première légitimité et corresponde à la définition constitutionnelle du
pouvoir, cela ne se discute pas, mais cela n'implique pas non plus que les
agents publics nommés pour exercer une fonction publique relèvent, comme le
pouvoir exécutif ou législatif, de la souveraineté, simplement par le fait de
cette nomination.
C'est donc ailleurs qu'il faut chercher.
Le fondement véritable de l'indépendance de l'autorité judiciaire, vous le
trouverez, uniquement, à mon sens, dans la nature singulière de sa mission. Je
laisserai de côté cette considération que chacun des magistrats conserve
cependant toujours présente dans son esprit - je l'espère et je le crois - à
l'heure de la délibération : les jugements sont rendus non pas au nom du
Président de la République ou du Gouvernement, mais au nom du peuple français,
seul souverain. Cela implique, évidemment, des devoirs particuliers.
Louis XV n'évoquait-il pas un jour - en réalité, c'est le chancelier qui
s'exprimait par la bouche du roi - le « pouvoir royal » de juger ? Cela
signifiait en tout cas combien ce pouvoir était souverain.
Quant à l'indépendance judiciaire, elle est, dans notre Constitution moderne,
fondée sur l'exigence qu'imposent deux principes fondateurs de la République,
inscrits d'ailleurs tous deux dans la Déclaration des droits de l'homme :
l'égalité des citoyens devant la loi, et la protection de la liberté
individuelle.
Que resterait-il, au demeurant, du droit à la sûreté des citoyens proclamé par
les auteurs de la grande Déclaration - sûreté qui ne se confond d'ailleurs pas
avec la sécurité au sens contemporain du terme - si le pouvoir exécutif pouvait
faire incarcérer quiconque à son gré ? Ce n'est pas sans raison que l'on
caractérise les pays de l'
habeas corpus
, les Etats de droit, par le fait
qu'on ne peut y placer en détention que sur ordre d'un magistrat !
Et que subsisterait-il d'une telle protection si la carrière du magistrat qui
décide du placement en détention était entièrement entre les mains du
Gouvernement ? Que resterait-il de l'égalité des citoyens devant la loi si,
dans la réalité judiciaire, dans la pratique, l'impunité était assurée à
certains justiciables parce qu'ils bénéficeraient de la protection du
Gouvernement ?
L'égalité devant la loi, principe fondateur de la République, ne se conçoit
pas sans l'égalité devant la justice, et celle-ci n'est possible qu'à la
condition que l'indépendance de la magistrature soit assurée.
Ainsi, l'indépendance dont nous parlons trouve sa légitimité non pas dans son
origine - la magistrature n'est pas issue du suffrage universel - mais dans sa
fonction. Et, si je marque cette distinction, c'est non pour céder aux délices
de la théorie fondamentale, mais parce que nous devons toujours - et pas
seulement nous, d'ailleurs - en tirer les conséquences.
Cette indépendance doit être pensée et ses garanties définies non pas en
fonction de l'intérêt du corps lui-même, mais bien dans celui du peuple
français, au nom duquel les magistrats rendent la justice. En d'autres termes,
l'indépendance de l'autorité judiciaire n'est pas un privilège d'Etat que l'on
reconnaît aux magistrats pour leur commodité ou leur satisfaction ; elle
constitue, pour les justiciables, une garantie d'égalité devant la justice et
l'assurance de la protection de leurs libertés individuelles : l'indépendance
de la magistrature doit être pensée et définie non comme un avantage
corporatiste, mais, au contraire, comme un droit du justiciable.
Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne me fais pour autant pas
d'illusions excessives sur la portée de l'indépendance des magistrats ! Si elle
est une condition nécessaire et impérative pour garantir le justiciable contre
l'inégalité que j'évoquais, elle ne peut jamais le prévenir contre le risque de
partialité du juge, si d'aventure il arrivait à ce dernier de se laisser
emporter. En effet, si l'indépendance relève du statut de la magistrature,
l'impartialité relève de la vertu du magistrat...
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Robert Badinter.
... et garantir celle-ci n'assure pas nécessairement celle-là : la vertu
participe de l'éthique judiciaire, discipline qui, je dois le reconnaître, me
paraît quelque peu délaissée par certains au profit de l'éclat médiatique. Mais
il nous faudra bien revenir un jour sur ce sujet !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du groupe du RPR et de l'Union centriste,
ainsi que sur les travées socialistes.)
Quant à croire, madame le garde des sceaux - mais je sais que vous êtes
réaliste - que le renforcement des garanties d'indépendance des magistrats,
notamment de ceux du parquet, suffirait à restaurer la confiance de nos
concitoyens dans la justice, ce serait faire preuve d'un rare optimisme. Ainsi,
il n'est pas de pays de l'Union européenne où la magistrature, y compris le
parquet, jouisse aujourd'hui de garanties d'indépendance comparables à celles
qui prévalent en Italie. Or c'est aussi le lieu - et vous le savez bien, vous
vous êtes récemment rendue chez nos amis transalpins - où, indépendamment de la
politique menée par votre collègue, le taux de satisfaction des citoyens à
l'égard de leur justice est le plus faible.
Permettez-moi, à cet égard, de citer un ouvrage récemment publié par le Club
du mardi. « Selon un sondage effectué dans les quinze pays de l'Union
européenne que mentionnait le politologue Olivier Duhamel, la défiance
l'emporte largement : 25 % seulement des Européens interrogés se déclarent
"satisfaits". Cette proportion est plus forte au nord de l'Europe : 43 % en
Allemagne, 53 % au Danemark, 58 % en Finlande, tandis que le pourcentage des
"satisfaits" tombe à 15 % en Espagne, 14 % en France et 8 % en Italie. »
Je ne crois pas que le caractère méditerranéen si cher à Braudel suffirait à
expliquer ce constat, mais nous y reviendrons lorsque nous parlerons de
l'exercice de l'action publique.
Mais revenons précisément au présent projet de loi constitutionnelle, dont
nous ne sommes pas saisis par hasard ! Il répond, en effet, à la volonté du
Président de la République qui, dans le climat que suscitaient les affaires -
autour de la mairie de Paris, notamment - en décembre 1996, a été conduit à
proposer la création d'une commission, sous la présidence du Premier président
Truche.
Dans sa lettre de mission, le Président de la République soulignait : « Nos
concitoyens soupçonnent la justice d'être parfois soumise à l'influence du
Gouvernement et de ne pas garantir suffisamment le respect des libertés
individuelles, en particulier la présomption d'innocence. »
Le chantier ainsi ouvert était très vaste. Vous aurez à coeur, madame le garde
des sceaux, de nous en présenter tous les aspects les uns après les autres.
Le rapport a été déposé en juillet 1997. Mais, entre-temps, étaient intervenus
la dissolution de l'Assemblée nationale et le changement de majorité.
Toutefois, le nouveau Premier ministre, M. Jospin, avait, dès 1995, au moment
même de la campagne présidentielle, proclamé sa volonté d'assurer une plus
grande indépendance du parquet, notamment en renforçant les garanties
statutaires de ses membres.
La voie était donc ouverte, dans le cadre de la cohabitation, pour
qu'intervienne une réforme qui, dans son principe, réunit à la fois la volonté
du Président de la République et celle du Gouvernement.
Le texte que vous nous avez soumis et qui a été voté par l'Assemblée
nationale, madame le garde des sceaux, concerne quatre sujets que j'évoquerai
brièvement.
Le premier, c'est l'unité ou la dualité de la magistrature. Sur ce point,
notre ami M. Fauchon a été, comme à son habitude, très éloquent.
La dissociation entre le parquet et le siège est parfaitement concevable. Deux
corps séparés pourraient assumer des fonctions distinctes : la poursuite et le
jugement.
Cette dualité est, d'ailleurs, la situation la plus commune. Parmi les Etats
dont l'organisation du parquet a été étudiée par la commission Truche, une très
forte majorité connaît une telle séparation. Dans deux pays proches, la
Belgique et les Pays-Bas, existe un statut mixte, à mi-chemin entre celui du
fonctionnaire et celui du magistrat. En fait, un seul Etat connaît, avec nous,
une unité complète, l'Italie.
Bien entendu, il est partout possible, dès l'instant où il y a une unité de
corps, de demander le passage du siège au parquet, à certaines conditions. Mais
le choix fait est souvent irréversible. Il y a une passerelle, mais seulement
dans un sens.
Je le dis très franchement, cette dissociation a pour elle le mérite de la
simplicité et de la clarté : d'un côté, on a un corps de poursuites, souvent
composé de hauts fonctionnaires très fortement hiérarchisés sous l'autorité
d'un responsable unique, très communément le ministre de la justice, qui donne
toutes instructions et qui porte la responsabilité de l'action publique ; de
l'autre, on a des magistrats juges du siège qui n'ont aucun rapport avec
l'exécutif et dont ni la nomination, ni la carrière, ni l'avancement ne
dépendent de ce dernier.
En clair, si l'on devait, en France, instaurer une telle division, les
magistrats du siège seraient recrutés par concours ou par une commission ne
comprenant pas de représentant du Gouvernement, leur avancement et la
discipline relèveraient d'un CSM où ne figureraient plus ni le Président de la
République ni le garde des sceaux et le président du CSM serait élu par ses
membres.
L'avantage d'une telle réforme serait de prévenir toute confusion dans
l'esprit du public entre parquet et siège, ce qui n'est pas mince. Cela
dissiperait toute suspicion de connivence, voire d'esprit de corps, entre le
ministère public et les magistrats du siège.
Cette solution, je le rappelle, est prônée depuis très longtemps par
d'excellents esprits, au premier rang desquels notre ami Michel
Dreyfus-Schmidt. Elle a été soutenue par les barreaux et elle vient de
recueillir l'approbation unanime des premiers présidents. On ne saurait donc
l'ignorer, et, en ce qui me concerne, je suis convaincu que c'est la voie de
l'avenir.
Ce n'est pas la solution qu'a prônée le rapport Truche, ce n'est pas la
solution qu'a choisie le Gouvernement et ce n'est pas la solution qu'a adoptée
l'Assemblée nationale.
Le corps unique - cela a été fort bien rappelé tant par Mme le garde des
sceaux que par M. le rapporteur - a pour lui la tradition, l'histoire, qui ne
sont pas de minces éléments : la culture judiciaire imprègne profondément les
mentalités collectives et l'on peut difficilement la négliger.
J'ajoute que la seule considération qui explique cette situation, qui, encore
une fois, ne me paraît pas pour l'avenir la meilleure, c'est que le principe de
l'opportunité des poursuites donne aux magistrats du parquet une mission quasi
juridictionnelle et que, par ailleurs, les pouvoirs que le parquet détient en
matière de garde à vue, d'enquête préliminaire ou de flagrance concernent les
libertés individuelles. L'on comprend, dès lors, que ce soit la magistrature
qui les exerce. D'où le corps unique qui est le nôtre ; d'où, à cet instant,
une projection sur la discussion que suscitera le projet de loi organique.
Je crois que l'on peut préparer l'avenir en améliorant et en clarifiant la
situation actuelle. Je suis convaincu - je ne suis pas le seul - qu'après une
période de formation professionnelle commune - un tronc commun, si l'on veut -
de cinq, sept ou dix ans, peu importe, où, pour mieux se former, le jeune
magistrat exercerait successivement les deux fonctions, il pourrait choisir
d'effectuer sa carrière soit au parquet soit au siège. Il aurait ainsi eu à
connaître des deux activités - mais, cette fois, sans aller et retour du siège
au parquet et réciproquement. Tout au plus, très exceptionnellement, avec
l'accord express du Conseil supérieur de la magistrature, permettrait-on un
passage, un « repentir », quand les conditions objectives le commanderaient.
Bien entendu, cela ne vaudrait pas pour la Cour de cassation compte tenu de la
nature des fonctions des membres du parquet.
Voilà qui, me semble-t-il, repris dans le cadre de la loi organique,
préparerait cet avenir que j'espère radieux pour vos successeurs !
Le CSM comprend aujourd'hui deux formations. Cela est dû à la position du
Sénat sur le projet de 1993, projet dont je tiens tout de même à rappeler qu'il
trouvait sa première origine dans les travaux de la commission Vedel et dans le
dépôt d'un projet constitutionnel par le gouvernement précédent et, en tout
cas, avec l'accord du président Mitterrand. Mais je laisse cette histoire de
côté.
La commission Truche avait opté en faveur d'une formation plénière pour
discuter les questions d'intérêt général : deux formations plus une.
L'Assemblée nationale a voté en faveur d'une formation unique. C'est
l'expression logique du système : à corps unique, formation unique.
Pour avoir, comme vous, madame le garde des sceaux, eu le privilège de
participer aux travaux du CSM, je puis attester que cela ne relève pas tous les
jours d'une intensité aussi brûlante que la presse, parfois, pourrait le faire
croire.
En vérité, décider de mouvements de centaines de magistrats dont le projet de
nomination a, fort heureusement, été soumis à la transparence depuis 1981,
savoir si tel juge mérite, comme il le désire, de gagner Avesnes-sur-Helpe ou
Boulogne-sur-Mer, pour prendre l'exemple de juridictions proches, cela
mérite-t-il la présence de vingt et une personnes ? Je suis convaincu, pour ma
part, que, dans la pratique, il y aura formation de sections de travail.
Quelle est la meilleure solution ? Il y a un problème, un seul : celui de la
formation disciplinaire. En effet, le système adopté à l'Assemblée nationale
favorise la représentation du parquet par rapport à celle du siège. Et comme il
s'agit d'une formation unique, je suis gêné à la pensée que ce seront les
parquetiers, plus nombreux que les représentants du siège, qui auront à
connaître de problèmes qui peuvent être des problèmes disciplinaires du siège.
C'est un problème qui mérite réflexion. Je suis convaincu qu'au cours de la
navette la sagesse prévaudra.
J'en viens à la composition du Conseil supérieur de la magistrature.
Il est prévu un nombre accru de membres, vingt et un, pour permettre - je le
comprends très bien - une représentation de toutes les sensibilités collectives
du corps. C'est une donnée : le syndicalisme juridique existe. Ce n'est pas la
peine de le nier. Par conséquent, la représentation des différentes
sensibilités est acquise.
Je suis très heureux, madame le garde des sceaux, que le Gouvernement, suivi
par l'Assemblée nationale, ait choisi - cela rejoint d'ailleurs notre avis - de
présenter un projet dans lequel le nombre des personnalités non magistrats, les
non togati
évoqués par M. Jolibois, est supérieur à celui des élus du
corps.
Il est important de noter que, grâce à cette composition, le soupçon de
corporatisme se trouve écarté. Cette solution, qui est plus satisfaisante que
toute autre, il faut prendre soin de la maintenir.
Reste une question, qui vous concerne directement, Mme Guigou, et sur laquelle
je m'aventure à titre personnel, celle de la présence du Président de la
République, comme président du Conseil supérieur de la magistrature, et du
garde des sceaux, comme vice-président.
La Constitution donne au Président de la République le soin de veiller à
l'indépendance de l'autorité judiciaire. A ce titre, sauf à bouleverser l'ordre
constitutionnel français, on conçoit qu'il préside, mais qu'il ne vote pas -
cela va de soi. D'ailleurs, il a rarement présidé le Conseil par le passé, et
je ne pense pas que la pratique ait beaucoup changé sur ce point.
Le problème du garde des sceaux est tout différent. En effet, dès l'instant où
l'objectif proclamé de la réforme est de dissiper tout soupçon d'emprise du
pouvoir politique sur la magistrature, comment ne pas penser que la présence du
garde des sceaux, président de fait de nombreuses réunions du Conseil supérieur
de la magistrature, jettera toujours des doutes sur l'indépendance des
magistrats promus ?
Je sais que ce n'est pas exact : je connais la liberté de choix des membres du
Conseil ; je sais comment ils se comportent et comment ils continueront à le
faire.
Mais nous sommes là, je dirai presque « à regret », dans le domaine de
l'apparence. Les Britanniques disent volontiers qu'il ne suffit pas que la
justice soit rendue ; il faut encore qu'on croie qu'elle est rendue.
Or, il est bien évident que la présence du garde des sceaux à des réunions où
le Conseil délibère et vote sur ses propres propositions - le garde des sceaux
votera-t-il ou non, je l'ignore - n'est pas de nature à contribuer à dissiper
une fois pour toutes le soupçon qui pèse et que vous avez, fort justement, à
coeur d'écarter.
Enfin, les garanties d'indépendance constituent un progrès indiscutable,
considérable, que nous saluons.
Aujourd'hui, ces garanties sont minces. Les magistrats du parquet sont nommés
par le garde des sceaux après un simple avis consultatif du CSM. On nous a dit
qu'il était fort rare que l'avis négatif ne soit pas suivi. Dans votre rapport,
monsieur Jolibois, j'ai pu lire à la page 19 que, huit fois sur vingt et un
avis facultatifs négatifs, le garde des sceaux n'a pas suivi l'avis du Conseil
supérieur de la magistrature. Ce n'est pas une mince proportion, chacun le
concevra. ! Ce n'est pas votre pratique, je le souligne, et nous vous en
félicitons. Ce n'était d'ailleurs pas non plus, témoignage soit rendu, la
pratique de M. Méhaignerie. Mais cela peut arriver puisque cela est arrivé.
Dans ces conditions, il est bien évident qu'il faut se prémunir, et la seule
façon de le faire, c'est de prévoir l'avis conforme.
Demain, au regard de ce que sera la gestion des parquets, de ce que sera
l'exercice de l'action publique, ce sont les procureurs généraux qui
détiendront les pouvoirs les plus importants.
Ils sont nommés aujourd'hui en conseil des ministres. J'ai beaucoup de
considération pour les préfets et les grands services qu'ils rendent à la
République, mais préfets et magistrats n'ont pas la même condition aux yeux de
l'opinion publique et au regard de la réalité de leur fonction. Agent de
l'exécutif, le procureur général ne peut pas être nommé en conseil des
ministres, sauf, je le dis très clairement, pour le public à penser que, de ce
fait, la justice - je devrais dire « l'exercice de l'action publique » continue
à se trouver dans la main du Gouvernement.
La réponse est pourtant évidente : c'est l'alignement pur et simple de la
condition des magistrats du parquet sur les magistrats du siège jusqu'au niveau
le plus élevé, là où se situe le véritable pouvoir, en l'occurrence le niveau
tant des chefs de parquets que des chefs de juridiction. Là, il conviendrait,
notamment pour les procureurs généraux, qu'une proposition soit faite par le
Conseil supérieur de la magistrature,...
M. Robert Pagès.
Très bien !
M. Robert Badinter.
... bien entendu, non sans consulter ni recueillir l'avis éclairé du garde des
sceaux qui aurait à faire valoir ses choix, ses suggestions, ses propositions,
cela va de soi. C'est à cette seule condition que l'on pourrait se dire que,
désormais, l'indépendance du parquet est garantie.
Nous voulons, en effet, dissiper les soupçons et, en même temps, assurer
l'indépendance du parquet dans ce qu'il a de plus important, c'est-à-dire la
garantie des carrières.
Bien des questions restent en suspens, que nous examinerons dans le cours de
la discussion.
Monsieur le président de la commission des lois, vous avez évoqué, notamment,
la convocation de l'assemblée générale, la formation plénière. Cette question
est très importante. Que le Président de la République ait le droit de
convoquer le Conseil supérieur de la magistrature en assemblée plénière, cela
va de soi. Le droit implique-t-il le monopole de la convocation, s'agissant
d'une instance dont la vocation est l'indépendance et la garantie de
l'indépendance ?
Je suis convaincu, pour ma part, que si cela consiste à dire que seul le
Président de la République, à son gré, sur les questions qu'il aura lui-même
choisies, décidera seul de la convocation du CSM, alors l'esprit de la réforme
est perdu, et le gain qu'on en attend, qui est très important dans l'opinion
publique ainsi que dans le corps de la magistrature, sera également compromis.
Là encore, l'imagination permet de trouver des solutions d'harmonie
heureuse.
Monsieur le président de la commission des lois, vous avez également évoqué
d'autres questions, qu'il s'agisse du devoir de réserve ou de la
responsabilité. Nous aurons l'occasion d'en débattre au cours de la discussion
des articles et ultérieurement, lorsque Mme le garde des sceaux nous soumettra
les autres volets de la réforme.
Ma conclusion est simple, madame le garde des sceaux : je salue, au nom du
groupe socialiste et personnellement, votre volonté, votre ténacité et
l'excellence de vos démonstrations.
Je pense que le projet de loi que vous nous présentez va dans la bonne
direction. Je suis convaincu que, tel qu'il est et tel qu'il a été voté par
l'Assemblée nationale, il marque un progrès notable par rapport à la situation
actuelle. Cela étant, et je parle en mon nom personnel, et pour un certain
nombre d'entre nous, et non pas pour le groupe socialiste dans son entier, je
dirai qu'au regard de la situation actuelle il ne me paraît pas aller aussi
loin qu'il conviendrait. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler. Quoi qu'il
en soit, tel qu'il est, nous le voterons et nous le voterons, dirai-je, avec
plaisir.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rude tâche que
de s'exprimer après le talentueux et, ô combien, compétent Robert Badinter,
quant à des textes touchant à la justice !
Il n'empêche, madame la ministre, que je vais tout de même tenter en quelques
instants de faire connaître mon sentiment personnel et celui des radicaux de
gauche, comme ils l'ont d'ailleurs déjà fait à l'Assemblée nationale, quant au
texte que nous examinons aujourd'hui et qui s'inscrit dans une réforme globale
de la justice, réforme que nous souhaitons finalement tous très fortement,
notamment à la lumière des difficultés que connaît actuellement cette
institution.
Oui, mes chers collègues, il est vrai que la justice traverse une crise dont
les aspects sont régulièrement évoqués aussi bien par les magistrats que par
les justiciables et même le législateur. Beaucoup d'entre vous l'ont d'ailleurs
rappelé ici même lors du débat d'orientation du mois de janvier dernier : la
justice est lente, trop lente, paraît-il, les tribunaux sont encombrés, la
carte judiciaire serait inadaptée, les moyens budgétaires font cruellement
défaut, et, enfin, et surtout, dirai-je, pèse sur elle de manière permanente un
soupçon d'intervention politique.
En réponse à cette situation très critique mais hélas ! finalement assez
réelle, le Gouvernement, encouragé par les propres souhaits du Président de la
République en ce domaine, a décidé de réagir et, madame la ministre, nous ne
pouvons que nous en féliciter. En effet, les citoyens ont besoin d'une justice
plus efficace qui s'exerce dans la clarté et la transparence la plus totale.
C'est à ce prix qu'ils lui accorderont, j'oserai dire de nouveau leur
confiance.
Dans cette perspective, vous avez préparé, madame la ministre, différents
textes parmi lesquels celui qui nous est soumis aujourd'hui. Cet projet de loi
constitutionnelle vise à réparer un des maux qui touchent la justice et que je
viens d'évoquer à l'instant. Tout le monde en est bien conscient, il s'agit de
mettre un terme à ce fameux soupçon d'intervention dans les affaires de
justice.
Plus concrètement, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature est une
contribution au projet de clarification des rapports entre l'exécutif et la
Chancellerie. Comme vous l'avez signalé, le projet de loi organique relatif aux
attributions et aux règles de fonctionnement du Conseil supérieur de la
magistrature et le projet de loi organique sur le statut de la magistrature et
la responsabilité des magistrats viendront compléter cet édifice.
Compte tenu de l'envergure de la réforme, le morcellement, dirai-je, du
travail parlementaire est logique. Toutefois, je serai amené - et je parlerai,
je le répète, non seulement en mon nom personnel, mais aussi au nom des
radicaux de gauche - à prendre des positions différentes selon les textes, qui,
nous dites-vous - et je le comprends - forment un ensemble. En effet, si la
réforme du Conseil supérieur de la magistrature recueille mon approbation,
sachez - mais vous le savez, nous en avons parfois parlé - que je suis opposé à
toute indépendance du parquet qui placerait la justice en dehors du suivi de
l'exécutif.
Plusieurs raisons et convictions militent en faveur de cette position. Tout
d'abord, le problème de l'indépendance du parquet alimente, reconnaissons-le,
bien des gesticulations, tant du côté des politiques que du côté des syndicats
de la magistrature, gesticulations qui ont surtout pour effet de conforter
l'opinion publique dans son sentiment d'une justice soumise, alors que la
réalité - vous le savez mieux que quiconque, madame la ministre - est bien
différente.
On ne peut pas laisser croire - car cela reviendrait à nier l'autorité et
l'intégrité des juges - que les interventions dites politiques sur certains
dossiers sont le lot quotidien.
En effet, les parquets sont, disons dans 99 % des cas, totalement autonomes ne
serait-ce qu'en raison de la rapidité que nécessite le traitement des dossiers
et qui ne permet pas de prendre à temps l'avis de la Chancellerie. Les dossiers
signalés ne représenteraient, d'après les rapports que j'ai lus, que 0,5 % des
affaires. Parmi ces derniers, seulement un tiers recevront une instruction de
la Chancellerie. Sur les milliers d'affaires pénales qui passent entre les
mains de la justice, ce sont finalement très peu de dossiers qui subissent un
sort singulier.
Ces 0,5 % qui représentent généralement des affaires sensibles et d'intérêt
général ou de sécurité des citoyens - nous en avons la démonstration ces
jours-ci puisque vous avez souhaité installer les procureurs dans les stades
pour intervenir en flagrant délit, et vous avez bien fait - justifient-ils pour
autant une remise en cause du système actuel dans ses principes fondamentaux ?
Non, car la justice souffre moins de la dépendance à l'égard des représentants
du peuple que de l'incapacité dans laquelle elle se trouve souvent de remplir
correctement sa mission. Les citoyens, tous suceptibles d'engager ou de subir
un jour une procédure, sont davantage sensibles au problème de l'engorgement
des tribunaux et de l'équité des décisions.
Par ailleurs, si l'on examine la question de la nomination des magistrats, là
encore la réalité décrite passe souvent par une loupe grossissante. De juin
1994 à décembre 1996, sur les 500 propositions faites par le ministère de la
justice, le Conseil supérieur de la magistrature avait rendu quinze avis
défavorables dont sept n'avaient pas été suivis par le ministre. J'ai bien noté
que Robert Badinter a cité, lui, le chiffre huit. La soumission de la justice,
si soumission il y a, est bien douce...
Enfin, au-delà des statistiques, une raison de fond me pousse à conserver une
attitude vigilante à l'égard de la réforme du parquet. Si l'indépendance du
parquet signifie en fait, à terme, l'indépendance totale de la justice, je
crois que nous devrons engager un débat conséquent, puisque seraient concernés
les fondements mêmes de notre équilibre institutionnel.
Il s'agirait, en effet, de savoir si l'on souhaite conserver une autorité
judiciaire comme membre détaché du pouvoir exécutif ou si l'on souhaite plutôt
créer un véritable pouvoir judiciaire. Si les prochains textes nous engagent
sur ce terrain, il faudra alors accepter d'ouvrir le chantier d'une réforme
fondamentale qui devra obligatoirement poser le problème de la responsabilité
des juges et de leur légitimité.
En matière disciplinaire, c'est vrai - Robert Badinter le rappelait - cette
responsabilité existe déjà. Mais si l'on s'acheminait vers un tel
bouleversement, les dispositifs actuels de contrôle seraient insuffisants
puisque des juges indépendants seraient contrôlés par des juges
indépendants.
L'attribution du pouvoir, lorsqu'elle se fait démocratiquement, c'est-à-dire
par le suffrage universel, est par nature précaire et induit donc une
limitation du pouvoir.
Montesquieu écrivait : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que,
par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir. » Si l'on souhaite
aller jusqu'au bout et instituer une indépendance totale, il est clair que la
contrepartie doit s'exercer en termes de responsabilité et aussi de
légitimité.
En tout cas, entre les juges puissants et inamovibles du XVIIe siècle -
souvenez-vous de leur comportement ; un des précédents orateurs rappelait les
remontrances des parlements - et la mise sous tutelle, il est vrai excessive,
des juges par Napoléon, je m'en remets pour ma part volontiers - et je présume
que c'est l'opinion de l'ensemble de mes collègues - à une conception
républicaine de la justice où celle-ci est savamment équilibrée dans l'intérêt
à la fois de l'action publique et des justiciables.
J'attends bien évidemment, madame la ministre, avec impatience les prochains
textes sur ce sujet : leur contenu nous permettra de mieux juger les intentions
du Gouvernement sur ce point précis.
En attendant et avant de conclure, je voudrais vous livrer le sentiment des
radicaux de gauche sur la première pierre de cet édifice. En dépit de ce que je
viens de dire, la modification de l'article 65 de la Constitution ne nous
semble pas une mauvaise chose dans la mesure où il démocratisera le système de
nomination du parquet.
La nomination des magistrats du parquet, y compris des procureurs généraux sur
avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, va dans ce sens. Cela
permettra sans doute de mieux assurer le cours normal des carrières. Toutefois,
en maintenant le pouvoir de proposition des magistrats du parquet, la
Chancellerie conserve une prérogative qui revient à lui conserver
in fine
un pouvoir décisionnaire que vous souhaitez partager - j'espère que les
événements vous donneront raison, madame le ministre. Certes, on peut
considérer que le Conseil supérieur de la magistrature ne s'opposera pas
massivement et systématiquement aux propositions que pourrait faire le garde
des sceaux. Les syndicats de la magistrature en sont d'ailleurs tout à fait
conscients, puisqu'ils réclament ce pouvoir de proposition qu'ils détiennent
déjà pour la majeure partie des magistrats du siège.
S'agissant enfin de la nouvelle composition du Conseil supérieur de la
magistrature, l'accroissement du nombre de personnalités extérieures a le grand
mérite d'enlever tout soupçon de corporatisme. Dans le cadre de la compétence
disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature, la présence de dix
personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au Parlement garantit la
meilleure objectivité.
Sur ce texte modifiant l'article 65 de la Constitution, j'apporterai donc mon
soutien, mesuré certes, mais soutien malgré tout, parce qu'il complète la
réforme de 1993 sans pour autant entamer de façon trop irréversible les liens
entre le parquet et le pouvoir exécutif, et aussi, madame la ministre, pour
soutenir vos efforts tendant à créer les conditions pour une justice plus
sereine et donc mieux rendue.
(Applaudissements sur les travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est
saisi à son tour du projet de loi de réforme constitutionnelle relatif au
Conseil supérieur de la magistrature.
Partant du constat que la crise de confiance de nos concitoyens à l'égard de
l'institution judiciaire constitue un danger pour la démocratie, madame la
ministre, vous vous êtes donné pour objectif de restaurer cette confiance
perdue, en proposant une réforme globale de la justice.
Cette réforme est axée sur la justice au quotidien, sur la garantie des
libertés et, enfin, sur une meilleure définition des rôles du garde des sceaux
et du parquet.
Au total, ce ne sont pas moins de sept textes qui seront débattus au Parlement
dans les prochains mois, dont celui qui nous occupe aujourd'hui et qui est
présenté comme la « clé de voûte » de ce grand chantier.
L'objectif affiché du Gouvernement, auquel nous ne pouvons que souscrire, est
de mettre fin à la suspicion née de la multiplication des « affaires » et des
tentatives des politiques d'enrayer celle-ci par l'intermédiaire du parquet.
Le doute des Français à l'égard de l'indépendance de la justice ne date certes
pas d'hier, mais ils n'acceptent plus que des hommes politiques échappent à la
sanction de l'autorité judiciaire, alors qu'eux-mêmes sont confrontés à des
difficultés grandissantes et n'échappent ni à la saisie de leurs meubles ni à
l'expulsion de leur logement.
Ils considèrent, en l'occurrence, et personne ne leur a encore prouvé le
contraire, que plus on est proche du pouvoir économique et politique, plus la
justice serait clémente.
C'est cette image de la justice, même si elle n'est pas exacte, qu'ensemble
nous devons changer de manière radicale.
La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui est au coeur de ce
débat, est censée répondre à cet objectif hautement politique : agir pour
l'indépendance de la justice à l'égard du pouvoir exécutif.
Si la Constitution de 1958 a posé le principe de l'indépendance de la
magistrature, dans son article 64 : « Le Président de la République est garant
de l'indépendance de l'autorité judiciaire », la Ve République a toutefois été
marquée par une reprise en main de l'autorité judiciaire par le pouvoir
exécutif.
La loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, qui aurait dû réformer en
profondeur les dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature
pour mieux garantir l'indépendance de l'institution judiciaire, en renforçant
notamment les garanties de nomination des magistrats du parquet, n'a pas
atteint son objectif, loin s'en faut !
Pour ces raisons, les sénateurs communistes s'étaient alors vivement prononcés
contre ce texte.
La période qui suivit, de juillet 1995 à décembre 1996, les a d'ailleurs
confirmés dans leur opinion. En effet, près de la moitié des avis négatifs du
Conseil supérieur de la magistrature sur les nominations des magistrats du
parquet proposées par le garde des sceaux de l'époque, M. Jacques Toubon, n'ont
pas été suivis par ce dernier.
De surcroît, il avait pris sur lui de passer outre l'avis pourtant conforme du
Conseil supérieur de la magistrature pour sept des vingt et une nominations de
procureurs. Notre excellent collègue M. Badinter a fait état de huit
nominations, et je ne « chinoiserai » pas pour une unité.
Il est même allé jusqu'à nommer au poste sensible de procureur général de
Paris, son directeur de cabinet, et ce malgré les réserves du Conseil supérieur
de la magistrature.
C'est dire si les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature sont
relativement étendus en ce qui concerne les magistrats du siège - ils sont
inamovibles et nommés, soit sur proposition, soit sur avis conforme du Conseil
- mais sont restés particulièrement modestes quant aux magistrats du
parquet.
C'est en cette matière que la controverse ne cesse de se développer.
En effet, les procureurs sont actuellement nommés après un simple avis du
Conseil supérieur de la magistrature, ce qui laisse au garde des sceaux toute
latitude dans le choix de la hiérarchie du parquet avec laquelle il souhaite
travailler.
En outre, les procureurs généraux sont nommés directement en conseil des
ministres, comme les préfets, sans que le Conseil supérieur de la magistrature
puisse donner son avis, serait-il « simple ».
Aussi, pour éviter les nominations « politiquement colorées », le projet de
loi constitutionnelle prévoit-il que, dorénavant, toutes les nominations soient
soumises à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Si cette mesure constitue un progrès par rapport à l'existant, on ne peut
cependant pas affirmer qu'il y a coupure effective entre le judiciaire et
l'exécutif ; puisque le Conseil supérieur de la magistrature n'a toujours pas
le pouvoir de proposition pour les parquetiers.
Il aurait fallu aller au bout de cette logique d'indépendance et, en
conséquence, aligner les procédures de nomination des magistrats du parquet sur
celles qui sont en vigueur pour les magistrats du siège.
Force est de constater que le pouvoir de proposition restera entre les mains
du garde des sceaux, ce qui signifierait qu'en pratique, si une personne
n'était jamais proposée, elle pourrait n'être jamais nommée.
Je sais, madame la ministre, que vous nous avez expliqué que grâce à la
transparence des nominations ferait que le cas que j'ai évoqué deviendrait
pratiquement impossible. Vous me permettrez de ne pas être tout à fait
convaincu par votre argumentation.
Il n'y aura donc pas d'innovation notable ni de changements radicaux dans ces
procédures de nomination.
L'indépendance trouve ici ses limites et la mise en place restera donc
inachevée.
En effet, si l'on rapproche le présent texte des autres volets de la réforme
concernant le parquet, l'instruction notamment, on s'aperçoit rapidement
combien le parquet continuera d'être sous la coupe du ministre de la
justice.
En effet, si les instructions adressées aux procureurs dans les affaires
particulières seront supprimées - ce que nous approuvons tout à fait - le garde
des sceaux qui, jusqu'alors, apparaissait à peine dans le code de procédure
pénale, verra son rôle réaffirmé, notamment avec le droit d'engager lui-même
les poursuites.
Concernant la composition même du Conseil supérieur de la magistrature, je
ferai plusieurs observations.
Cette composition devrait, d'abord, être élargie et rééquilibrée.
Ce projet de loi porte ainsi de dix à vingt et un le nombre des membres du
Conseil supérieur de la magistrature, outre le Président de la République et le
ministre de la justice.
Les magistrats, qui sont actuellement majoritaires en son sein, seront
désormais minoritaires, afin d'éviter tout corporatisme à l'intérieur du
Conseil supérieur de la magistrature et de promouvoir ainsi un nécessaire
pluralisme.
Ainsi, sur les vingt et un membres du Conseil supérieur de la magistrature,
ils seront dix magistrats contre six sur les dix membres actuellement.
Nous avons toujours été favorables à une forme de gestion plus ouverte du
corps judiciaire.
Une loi organique devrait préciser ultérieurement le mode d'élection des
magistrats siégeant au Conseil supérieur de la magistrature, qui se fera au
suffrage direct et à la représentation proportionnelle, ce qui nous agrée.
Toutefois, sur les dix magistrats, trois seulement représenteraient la base,
contre sept émanant de la hiérarchie, ce qui ne reflète pas la réalité
sociologique du corps judiciaire.
La place réservée à la hiérarchie serait donc, selon nous, excessive, comme
c'est d'ailleurs le cas dans la composition actuelle du Conseil supérieur de la
magistrature.
Pour notre part, nous sommes pour une plus large représentation des cours et
des tribunaux hors chefs de juridiction, afin d'éviter une certaine forme
d'autoreproduction du corps au sein du Conseil supérieur de la magistrature.
Ce projet de loi, qui devait renforcer l'autonomie des parquets, risque
d'accroître en fait la hiérarchie et d'accentuer ainsi la confusion entre le
pouvoir politique et l'institution judiciaire.
Nous estimons, par ailleurs, que la désignation des personnalités extérieures
par le Président de la République, par le président de l'Assemblée nationale et
par le président du Sénat n'est pas très démocratique et risque de conserver
leur coloration politique aux choix effectués.
Quant aux propositions faites par la commission des lois, elles n'emportent
pas, non plus, notre adhésion. Je fais allusion aux trois personnes qui
désignent deux personnalités et aux trois personnes qui en désignent quatre.
A cela, nous aurions préféré que ces personnalités extérieures soient
désignées par l'Assemblée nationale et le Sénat, en dehors de leurs membres et
dans le respect du pluralisme.
Nous regrettons également que le Conseil supérieur de la magistrature demeure
présidé par le chef de l'Etat et « vice présidé » par le garde des sceaux.
Cette situation soulève pourtant de nombreuses réserves de la part des
magistrats et de la doctrine compte tenu des atteintes à la séparation des
pouvoirs qui risquent d'en résulter.
Pour couper effectivement des liens trop étroits entre la justice et le
pouvoir exécutif, il aurait fallu préciser que le président du Conseil
supérieur de la magistrature serait élu en son sein par ses membres et écarter
de sa direction le garde des sceaux. N'y voyez bien sûr, madame la ministre,
aucune attaque personnelle !
En faisant le choix de ne pas le faire, vous effacez ce qui aurait pu
apparaître comme une avancée quant à la composition et aux attributions du
Conseil supérieur de la magistrature, une avancée aboutissant à une meilleure
indépendance de la justice.
Nous approuvons néanmoins que le Conseil supérieur de la magistrature soit
réunifié, c'est-à-dire qu'à la place de deux formations, l'une compétente à
l'égard des magistrats du siège et l'autre compétente à l'égard de ceux du
parquet, il n'y ait plus qu'une seule formation compétente, ce qui renforcera
l'unité du corps judiciaire.
Nous nous opposerons donc aux amendements de la commission des lois qui, sous
couvert d'une réaffirmation de l'unicité de la magistrature, maintiennent les
deux formations distinctes du Conseil supérieur de la magistrature, tout comme
lors de la dernière réforme de 1993.
Pour notre part, notre groupe défend une attitude constante depuis 1958, à
savoir qu'il est nécessaire de réviser la Constitution afin d'assurer
l'indépendance des magistrats, en supprimant la tutelle du pouvoir exécutif sur
le Conseil supérieur de la magistrature.
Les parlementaires communistes ont d'ailleurs concrétisé cette démarche en
déposant, en 1990, une proposition de loi constitutionnelle, dont nous avons
d'ailleurs repris, par voie d'amendement, l'essentiel lors du débat
constitutionnel de 1993. Nous n'y reviendrons pas.
Par ailleurs, en matière disciplinaire, les garanties des parquetiers seront
alignées sur celles qui sont offertes aux magistrats du siège.
En effet, le Conseil supérieur de la magistrature, qui se borne actuellement à
donner son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les parquetiers,
dont la décision revient au garde des sceaux, statuera désormais comme conseil
de discipline des magistrats du parquet comme de ceux du siège.
Nous approuvons ce transfert au Conseil supérieur de la magistrature du
pouvoir de prononcer des sanctions disciplinaires à l'égard des parquetiers.
Plus généralement, nous estimons - je l'ai dit à plusieurs reprises, mais je
tiens à le réitérer - que tout effort en direction de l'indépendance de la
magistrature sera vain si les moyens nécessaires à la justice pour relever les
défis qui lui sont lancés ne sont pas mis en oeuvre très rapidement, et ce même
si le dernier budget a marqué une évolution intéressante et une volonté non
négligeables.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souscrivent
entièrement au double objectif fixé par ce texte, qui est à la fois d'étendre
les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats
du parquet, en renforçant les garanties constitutionnelles en matière de
nomination et de discipline, et d'ouvrir la composition de ce Conseil à une
majorité de personnalités extérieures à la magistrature.
Ils estiment cependant que les dispositions figurant dans le projet de loi
constitutionnelle ne permettront pas d'atteindre réellement de tels objectifs,
qui sont pourtant indispensables pour assurer une réelle indépendance de la
justice à l'égard du politique.
De surcroît, les amendements proposés par la commission des lois qui
reviennent sur l'unicité du corps judiciaire et sur le mode de désignation des
personnalités extérieures du Conseil supérieur de la magistrature ne nous
conviennent pas. Je m'en suis déjà expliqué.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen réservent donc leur
vote final sur ce texte jusqu'à la fin de notre débat.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les
travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cinq ans après
la première réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature
depuis l'adoption de la Constitution de 1958, quatre ans après la mise en place
du premier Conseil supérieur de la magistrature issu de cette réforme, il vous
est proposé de modifier à nouveau cette institution.
La réforme de 1993, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur devant le
Sénat, au nom de la commission des lois, était d'ampleur.
En effet, pour la première fois dans la Constitution était reconnue la notion
de parquet, lequel, jusque-là, était tout simplement ignoré. Cette réforme a
ainsi haussé, constitutionnellement parlant, les magistrats du parquet à la
hauteur des magistrats du siège.
La nouvelle compétence du Conseil supérieur de la magistrature, limitée
jusque-là aux seuls magistrats du siège, s'est étendue à ceux du parquet sous
forme de simple avis à la fois pour leur nomination, mais aussi pour les
décisions du garde des sceaux les concernant sur le plan disciplinaire.
Pour autant, l'unicité du corps judiciaire, reconnue implicitement dans cette
réforme, n'allait pas jusqu'au bout de la logique puisque le Conseil supérieur
de la magistrature était divisé en deux formations distinctes, l'une compétente
pour les magistrats du siège, l'autre pour ceux du parquet. Les pouvoirs de
proposition du Conseil supérieur de la magistrature pour les magistrats du
siège de la Cour de cassation et pour les premiers présidents de cour d'appel
ont été étendus aux nominations des présidents de tribunaux de grande
instance.
Après bien des tergiversations, la nomination du secrétaire administratif
restait de la seule compétence du Président de la République. Telle était la
volonté de François Mitterrand.
Le contexte dans lequel a été lancé cette réforme n'a pas beaucoup changé. Les
« affaires » continuent de défrayer la chronique politico-judiciaire et
médiatico-judiciaire. Nous sommes toujours en période de cohabitation, mais,
cette fois, dans l'autre sens.
Une première différence, cependant, tient au fait qu'il existe un consensus,
tout au moins apparent, entre le Président de la République, le Premier
ministre et vous-même, madame la ministre.
Constatant l'état de la justice française, ses moyens, son organisation, ses
méthodes, ses procédures, mais aussi le soupçon qui pèse et qui pèsera
longtemps sur certaines décisions judiciaires, le Président de la République a
souhaité une réforme en profondeur. Il l'a annoncé au cours de deux
déclarations solennelles en décembre 1996 et en janvier 1997.
Pour le Président de la République comme pour nous-mêmes, la réforme de la
justice doit nécessairement concerner le statut et les pouvoirs du parquet, la
présomption d'innocence, la justice de proximité et les moyens de la
justice.
Pour l'éclairer dans cette réflexion, une commission présidée par M. Pierre
Truche, premier président de la Cour de cassation, a été mise en place. La
réforme qui vous est proposée s'inspire pour partie, mais pour partie
seulement, des conclusions de cette commission.
Pendant la campagne législative et lors du premier débat de politique générale
de juin 1997 - il faut le rappeler pour être objectif - le Premier ministre
s'est engagé dans cette voie. Aujourd'hui, nous examinons ce projet de loi
constitutionnelle au Sénat et, dans quelques mois sans doute, le Président de
la République saisira le Congrès pour adopter la première des grandes réformes
annoncées, celle qui nécessite une réforme constitutionnelle.
Disons tout de suite que cette réforme perdrait tout son sens si elle devait à
jamais rester isolée, c'est-à-dire si trois autres réformes, sans aucun doute
encore plus fondamentales que celle-ci, étaient oubliées.
La première est relative aux pouvoirs et à l'organisation du ministère public
chargé de conduire, sous directive gouvernementale et en collaboration avec le
Parlement, la politique d'action publique définie qui en découlera tout
naturellement.
La deuxième concerne l'application d'un principe fondamental trop souvent
méconnu et depuis trop longtemps : celui de la présomption d'innocence.
Enfin, la troisième consiste à améliorer d'urgence la justice de tous les
jours - tant pénale que civile, commerciale que prud'homale - à condition
toutefois d'octroyer à celle-ci les moyens nécessaires et d'en revoir
l'organisation, les méthodes et les procédures.
Une seconde différence avec la réforme du CSM de 1993 me paraît également
devoir être rappelée, mes chers collègues, ne serait-ce que pour relativiser ce
qui pourrait être dit sur l'attitude de la majorité sénatoriale.
La précédente réforme - dont celle d'aujourd'hui n'est au fond que le simple
prolongement - n'avait pas, dans mon souvenir, recueilli à l'époque, à
l'Assemblée nationale comme au Sénat, l'aval des groupes situés à gauche de
l'hémicycle. Ce rappel devrait normalement nous conduire, cette fois-ci, au
Palais du Luxembourg comme au Palais-Bourbon, à relativiser les positions des
uns et des autres.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous voulez faire tout de suite ce que vous n'avez pas voulu faire à l'époque
!
M. Hubert Haenel.
Non, monsieur Dreyfus-Schmidt !
La grande majorité du groupe du Rassemblement pour la République votera ce
texte que nous aurons amendé comme le propose la commission des lois, en
réservant son vote au Congrès sur l'adoption préalable des autres réformes que
je viens d'évoquer.
Pour être tout à fait complet, j'ajoute qu'entre le projet de loi
constitutionnelle présenté à l'époque par le garde des sceaux Pierre
Méhaignerie et le texte adopté par le Congrès en grande partie dû à
l'initiative du Sénat, il n'y avait pas seulement une différence de degré. Il y
avait aussi une différence de nature, des amendements significatifs émanant du
Sénat ayant été acceptés par le garde des sceaux, d'autres ayant même été
adoptés contre son gré. Et pourtant, Sénat Assemblée nationale et Gouvernement
étaient censés être sur la même longueur d'onde. Cela signifie, madame la
ministre, qu'il ne serait offensant pour personne que certains des amendements
du Sénat soient pris en considération à l'issue de la navette, s'il y en avait
une.
Mais la réforme de 1993, pourtant substantielle et rompant totalement avec la
conception même du Conseil supérieur de la magistrature issue de 1958, n'a pas
suffi à apaiser le débat.
Il y a la polémique menée au sujet de la nature du lien, celui-ci n'étant
d'ailleurs que le reflet de l'organisation des relations constitutionnelles et
législatives entre le Président de la République, le Parlement, le
Gouvernement, le garde des sceaux et la magistrature. S'ajoutent quelques
ambiguïtés d'interprétation, quelques maladresses sur lesquelles je ne
reviendrai pas, parfois aussi des procès d'intention qui ont mis en partie à
mal cette réforme.
Le texte qui vous est soumis doit donc être ramené à ces justes proportions ;
il doit, en quelque sorte, être relativisé. Au-delà des interrogations tout à
fait légitimes et fondées, s'il a déjà donné lieu à des débats de fond comme
celui que nous avons aujourd'hui, il a malheureusement aussi parfois suscité
des polémiques politiciennes et partisanes.
Il n'est pourtant qu'un pas, et seulement un pas de plus, dans la recherche du
bon équilibre si nécessaire entre les juges et le politique. La réforme qui
vous est proposée se situe, à quelques nuances près, dans le prolongement de
celle de 1993.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
C'est exact !
M. Hubert Haenel.
Mais je crois que la réforme d'aujourd'hui, compte tenu de la tournure qu'elle
prend, et du fait qu'elle suscite plus d'interrogations et d'appréhensions que
de réponses et d'apaisements, ne suffira pas, elle non plus, à recadrer, au
sens le plus noble et le plus fort du terme, la légitimité des uns et des
autres, la non-ingérence du politique dans le domaine du juge et les
nécessaires impartialité et responsabilité des magistrats.
Avec cette réforme, si le soupçon, certes, s'atténue, il ne sera pas pour
autant totalement dissipé. Un jour, il faudra bien aller jusqu'au bout de l'une
ou l'autre des logiques et sortir de cette « ambiguïté à la française ».
Les parquetiers doivent-ils être nécessairement des magistrats, de plus en
plus assimilés à des juges d'ailleurs, au travers des réformes successives de
leur statut - et la réforme d'aujourd'hui va dans ce sens - ou doivent-ils
devenir des fonctionnaires à statut spécifique ou des magistrats à statut
spécifique, comme l'a fort justement dit tout à l'heure M. Badinter ?
Le pouvoir d'opportunité des poursuites reconnu aux magistrats des parquets,
qui en fait en quelque sorte, je crois vous l'avoir dit tout à l'heure, madame
la ministre, des juges dans l'aptitude majeure qui leur est reconnue
d'apprécier l'opportunité des poursuites, milite pour que les parquetiers
restent des magistrats, sans pour autant être complètement assimilés à des
juges. Et là réside toute la différence !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est votre position !
M. Hubert Haenel.
S'ils sont magistrats, ils doivent cependant appliquer la politique pénale
définie par le Gouvernement et par le Parlement. Ce sont en effet les
procureurs généraux et les procureurs de la République, dans la conduite de
l'action publique - restant d'ailleurs toujours à définir - qui mettent en
oeuvre, pour ce qui les concerne, cette politique pénale au quotidien.
Pourquoi et selon quelles règles les parquetiers doivent-ils se soumettre à
l'Etat de droit ? Le magistrat tire sa légitimité et sa seule légitimité de
l'Etat de droit. Lorsqu'il tente de la déplacer sur le terrain politique, il
sort de ce cadre pour opposer la sienne à celle qui résulte de l'élection et
qui est d'une tout autre nature. Loin de s'opposer, ces deux légitimités sont
tout à fait complémentaires.
Dans cette optique, le principe de hiérarchisation du parquet doit donc être
non seulement maintenu, mais clarifié et réaffirmé, les procureurs étant les
chefs du parquet près les tribunaux de grande instance et les procureurs
généraux les responsables hiérarchiques de l'ensemble des procureurs de la
République du ressort de la cour d'appel.
Deux questions quelque peu taboues doivent, elles aussi, être abordées.
Quel doit être, au sein du Gouvernement, le statut du garde des sceaux,
ministre de la justice, qui doit nécessairement rester, ou redevenir, la clé de
voûte du volet judiciaire, de la mise en oeuvre de la politique pénale ? Le
garde des sceaux peut-il rester un personnage politique ordinaire, étroitement
mêlé aux joutes politiciennes, et parfois même chef d'un parti ?
C'est le soupçon qui continuera de peser sur l'interventionnisme ou non du
titulaire de la place Vendôme et qui, en quelque sorte, continuera à miner tout
l'édifice.
C'est pourquoi, tant que nous n'oserons pas aborder cette question, nous
n'arriverons pas à trouver une solution satisfaisante concernant la nature et
les pouvoirs du garde des sceaux sur les parquets, et nous n'en finirons pas de
réformer !
Qui deviendra par ailleurs, c'est important, la seule autorité d'enquête ? Si
la tendance actuelle se confirme et s'affine : magistrats du parquet de plus en
plus assimilés par le statut à des juges, juges d'instruction de plus en plus
dépouillés de leur pouvoir de juge - mandat de dépôt, restriction dans la
liberté individuelle et les libertés publiques du prévenu - mais aussi
généralisation des bureaux d'enquête - qui sont devenus de véritables cabinets
d'instruction - dans les parquets et contrôle accru de la police judiciaire par
les procureurs... si cette tendance s'accentue, il n'y aura plus qu'une
autorité d'enquête, le procureur ! Est-ce cela que nous voulons ?
Les juges d'instruction, notamment, feront double emploi avec leurs collègues
du siège, qui auront récupéré tout ce qui concerne la liberté individuelle, le
juge de la liberté les ayant privés de l'essentiel de leur pouvoir de juge.
Alors, tout naturellement, les juges d'instruction disparaîtront.
Il faut savoir où nous allons, afin de ne pas nous retrouver un jour placés
devant cette situation sans l'avoir voulue.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On y va petit à petit !
M. Hubert Haenel.
Tout cela ne préfigure-t-il pas, à échéance de quelques années, la fusion juge
d'instruction-parquet et peut-être aussi juge d'instruction-parquet-police
judiciaire ? Nous ne serons peut-être plus là, mais c'est dans ce sens que,
tout naturellement et peut-être inconsciemment, nous nous dirigeons. Mais là,
vous imaginez bien que la résistance sera très grande.
N'éludons pas ces questions car, faute de les avoir discernées et analysées au
moment voulu, nous risquons encore bien des déconvenues, des procès
d'intention, qui aggraveront encore les troubles actuels toujours ressentis par
l'opinion publique.
Venons-en maintenant au texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale.
Celui-ci ne s'écarte pas fondamentalement du projet de loi constitutionnelle
qui a recueilli, je l'ai dit, l'aval des plus hautes autorités de l'Etat.
L'économie du présent projet de loi résulte d'un consensus sur le plus petit
dénominateur commun entre ces différentes autorités, ce qui ne signifie pas que
ce texte soit neutre. Mon excellent collègue, Charles Jolibois rapporteur de la
commission des lois, comme Jacques Larché, son président, et quelques-uns des
collègues qui m'ont précédé, l'ont bien démontré.
D'abord ce texte unifie un peu plus le dispositif. Désormais, si l'on adoptait
la rédaction issue de l'Assemblée nationale, le Conseil supérieur de la
magistrature ne comprendrait plus qu'une seule formation. Ainsi, l'assimilation
siège-parquet ferait un pas décisif de plus.
Ce texte laïcise : les magistrats ne sont plus majoritaires au Conseil
supérieur de la magistrature. En effet, le texte rompt avec la parité. Pour ma
part, dès 1993, j'ai rejeté - et je continue de le faire, d'ailleurs, dans le
prolongement de ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur - l'idée que le
Conseil supérieur de la magistrature devienne en quelque sorte la commission
administrative paritaire de la justice. Les magistrats ne voient-ils pas rouge
quand ils s'estiment comparés à des fonctionnaires ? Gardons-nous donc de
calquer la composition et les pouvoirs du conseil sur une commission
administrative paritaire des magistrats.
Les dix magistrats siégeant au Conseil supérieur de la magistrature seront
élus par leurs pairs, mais c'est une loi organique qui dévoilera la réelle
représentativité du corps.
Il me semble nécessaire, madame la ministre, que, parmi les magistrats,
figurent un conseiller, un avocat général à la Cour de cassation, un premier
président et un procureur général. Je vous ai déjà dit pourquoi : la cour
suprême judiciaire doit être représentée puisqu'il s'agira de formuler
propositions et avis sur les nominations de ses membres ?
Il me paraît en outre indispensable que deux chefs de cour figurent dans cette
nouvelle composition. C'est ainsi aujourd'hui. Nous avions retenu cette formule
en 1993, parce que nous estimions que ceux qui ont en charge l'administration
de la justice au quotidien dans les cours d'appel et la gestion des ressources
humaines de celles-ci étaient les mieux placés pour apprécier le profil des
candidats et leur adéquation aux différents postes de responsabilités à
pourvoir.
Par ailleurs - aujourd'hui plus particulièrement - l'autorité des chefs de
cour et de juridiction a besoin d'être confortée, voire renforcée.
S'agissant des dix personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au
Parlement, il serait sans doute souhaitable de convenir qu'elles ne devraient
pas non plus appartenir à l'ordre administratif.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
C'est ce que nous proposons !
M. Hubert Haenel.
En effet, l'exclusion de personnalités appartenant à l'ordre judiciaire ou à
l'ordre administratif n'avait pas été retenue en 1993.
Indiquer que la désignation des membres du Conseil supérieur de la
magistrature par le Président de la République s'effectue sans contreseing
permet de lever un doute et de constitutionnaliser - je le crois, monsieur
Charasse - la pratique du Président Mitterrand, qui, en mai 1994, avait écarté
la procédure du contreseing ; bien entendu, nous y souscrivons.
S'agissant des membres du Conseil supérieur de la magistrature nommés
respectivement par le président du Sénat et par le président de l'Assemblée
nationale, on aurait pu - mais peut-être n'est-ce pas le moment - pour
dépolitiser ce type de nomination - et peut-être y reviendrons-nous un jour -
envisager une sorte de ratification des nominations par chacune des deux
assemblées à la majorité qualifiée des deux tiers. Vous n'avez pas retenu cette
option, monsieur le rapporteur, mais je sais que vous ne pouvez pas vraiment
remanier le texte.
Le Conseil supérieur de la magistrature, composé différemment, sera toujours
présidé par le Président de la République, le garde des sceaux en étant de
droit le vice-président. La formulation du principe reprend celle de 1993, même
si elle ne figure plus au même endroit.
Quelle est sa portée exacte ?
Le Conseil supérieur de la magistrature comprend-il vingt et un ou vingt-trois
membres ?
Le Président de la République et le ministre de la justice ont-ils un droit de
vote ?
La question a été abordée à une époque. Elle a été à juste titre écartée, le
Président de la République et le garde des sceaux ne pouvant pas se donner des
avis - je pense que M. le rapporteur sera d'accord avec moi - ni se formuler
des propositions.
La même question se posera si l'amendement de la commission des lois prévoyant
que le Conseil supérieur de la magistrature pourrait, en formation plénière,
émettre des avis à la demande du Président de la République sur des questions
afférentes à l'indépendance de l'autorité judiciaire était adopté.
Observons que le président François Mitterrand avait utilisé cette faculté de
demander l'avis du conseil dans l'affaire « Halphen », alors qu'elle n'était
pas expressément prévue par les textes. Je crois même qu'elle en avait été
exclue ici même, au Sénat.
La possibilité de demander son avis au conseil réuni en séance plénière peut
être, en période de crise, d'une grande utilité pour l'Etat.
Je poursuis mes interrogations : le rapport annuel doit-il être adopté après
un vote auquel participent le Président de la République et le garde des sceaux
? Peut-on imaginer, dans l'optique des institutions prévues par la Constitution
de 1958, comme d'ailleurs, me semble-t-il, par celle de 1946, le Président de
la République voter au sein d'un organisme qu'il préside et risquer de se
trouver mis en minorité ?
Madame la ministre, à l'issue de nos débats, ou en tout cas à l'occasion de
l'examen des projets de loi organique, nous devrions avoir une réponse claire
sur ce sujet.
Dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, deux des dix personnalités
sont nommées par le président du Conseil économique et social. L'idée d'inclure
dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature des représentants
de la sphère socio-économique est certes séduisante, mais pourquoi et sur quel
fondement aligner purement et simplement le Conseil économique et social sur
l'Assemblée nationale et le Sénat ?
Quant aux nominations conjointes, par le vice-président du Conseil d'Etat, le
premier président de la Cour des comptes et celui de la Cour de cassation, de
deux personnalités - la commission des lois du Sénat porte, je crois, ce nombre
à quatre -, elles me semblent curieuses. Elles seraient logiques si les deux
organes qui régissent, d'une part, la carrière des magistrats des juridictions
administratives et, d'autre part, celle des magistrats de la Cour des comptes
et des chambres régionales des comptes comprenaient des personnalités
extérieures désignées par le premier président de la Cour de cassation et le
procureur général près celle-ci. Or ce n'est pas le cas.
Par ailleurs, pourquoi vouloir écarter de ces nominations conjointes deux
autres magistrats, à savoir, le procureur général près la Cour de cassation et
le procureur général près la Cour des comptes ?
Avant d'aborder les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature, il me
reste encore à évoquer quelques questions qui peuvent, madame la ministre,
monsieur le rapporteur, vous paraître mineures, mais qui ont parfois, au cours
des quatre années passées, éveillé des susceptibilités et même suscité des
controverses.
Le statut actuel du secrétaire administratif ne facilite pas toujours les
relations entre les membres du Conseil supérieur de la magistrature et le
Président de la République ou entre ces derniers et la direction des services
judidiaires s'agissant, notamment, des moyens octroyés au Conseil supérieur de
la magistrature et notamment de son budget.
Le budget du Conseil est inscrit au chapitre 34-98, article 90, du budget de
la justice. Il avoisine les 2 millions de francs par an. Chaque année, le
Conseil supérieur de la magistrature émet le souhait de voir son budget
individualisé dans la nomenclature budgétaire. Envisagez-vous de répondre
favorablement à cette demande, madame la ministre ?
Actuellement, c'est le secrétaire du Conseil supérieur de la magistrature qui
est seul maître de la préparation et de l'exécution de ce budget. J'ai pu
constater, dans le cadre d'un contrôle sur place et sur pièces, que, sur ce
point, les relations entre les membres du Conseil supérieur de la magistrature
et son secrétaire administratif étaient parfois tendues.
Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, si vous envisagez une autre
procédure de nomination du secrétaire du Conseil supérieur de la magistrature
dans vos projets de loi organique ? On pourrait en effet envisager, pour
faciliter son rôle d'interface, qu'il soit nommé d'un commun accord.
Autre question subsidiaire : qui arrête l'ordre du jour du Conseil supérieur
de la magistrature ? Le Président de la République pour le Conseil supérieur de
la magistrature Elysée, le garde des sceaux pour le CSM Quai Branly ?
Mais qu'en est-il s'il y a divergence de vues dans le cadre d'une cohabitation
?
Prenons un exemple : les procureurs de la République seront dorénavant nommés
en petit conseil - on appelle cela ainsi, malheureusement - c'est-à-dire sous
la seule présidence du garde des sceaux, donc normalement sur un ordre du jour
arrêté par ce dernier. Dès lors,
quid
si l'Elysée n'est pas d'accord sur
cet ordre du jour ?
Pour l'instant, le Conseil supérieur de la magistrature est abrité dans une
annexe de l'Elysée, bien connue, quai Branly. Est-il envisagé, par exemple, de
le loger dans l'enceinte du palais de justice ou dans tout autre lieu
prestigieux ?
Je vais aborder maintenant les attributions du Conseil supérieur de la
magistrature.
Chaque année, le conseil publie un rapport d'activités qui comprend souvent
des propositions, mais aussi qui donne son point de vue sur les réformes
touchant la justice.
Ces rapports ont été parfois l'objet de polémiques et sujets à controverse, le
Conseil supérieur de la magistrature apparaissant aux yeux de certains comme le
Conseil supérieur de la justice judiciaire, alors qu'il n'est que celui de la
magistrature.
La question est d'importance, car il y a dans cette ambiguïté - MM. Larché et
Fauchon l'ont rappelé tout à l'heure - les germes d'autres évolutions, que la
nouvelle composition ne manquera pas d'initier.
Désormais, si le texte est adopté par le Congrès, tous les magistrats du
parquet seront nommés sur avis conforme. Il s'agit là d'une réforme
d'importance qui vient, je l'ai dit, justement compléter celle de 1993. Ils
relèveront, sur le plan disciplinaire, du seul Conseil.
Mais qu'en sera-t-il de la nomination des procureurs généraux ? Pour l'instant
- une simple modification de la loi organique a suffi - ils sont nommés en
conseil des ministres.
La réforme qui vous est proposée supprime implicitement cette possibilité.
Peut-on, en effet, envisager de faire dépendre une nomination en conseil des
ministres d'un avis du Conseil supérieur de la magistrature ? Sans doute pas
!
MM. Jean-Jacques Hyest et Jean Chérioux.
C'est impensable !
M. Hubert Haenel.
Revenons un instant sur cette nomination des procureurs généraux en conseil
des ministres. Souvenons-nous, cette disposition a été introduite en 1992 sur
l'initiative conjointe du garde des sceaux de l'époque, Henri Nallet, et de la
commission des lois du Sénat, dont j'étais le rapporteur.
Pourquoi ? Pour que les procureurs généraux soient nommés au même niveau et
avec la même solennité que les préfets et les recteurs. Déjà, les premiers
présidents étaient nommés dans le cadre d'un Conseil supérieur de la
magistrature-Elysée présidé par le Président de la République. Loin de vouloir
amoindrir leur statut, cette réforme avait pour objet de le rehausser.
Demain, madame la ministre, si la réforme est adoptée, nous aurons introduit
un déséquilibre entre les procédures de nomination des chefs de cour et celles
de chefs de juridiction : les premiers présidents et présidents de tribunaux de
grande instance seront nommés en grand conseil présidé par le Président de la
République ; leurs homologues du parquet, procureurs généraux et procureurs de
la République, seront nommés selon une procédure de rang inférieur, sur simple
avis rendu à l'occasion d'un petit conseil - quai Branly - présidé par le garde
des sceaux.
Est-ce souhaitable ?
La solution est simple : elle consisterait à prévoir, dans la loi organique,
que les procureurs généraux et les procureurs de la République soient nommés en
grand conseil, c'est-à-dire en conseil présidé par le Président de la
République.
Par ailleurs, madame la ministre, afin d'éviter toute possibilité de censure
par le Conseil constitutionnel, pourquoi n'avoir pas profité de cette réforme -
je rejoins un peu ce qu'a dit tout à l'heure le président Larché - pour
inscrire dans la Constitution que, désormais, les chefs de cour et de
juridiction seraient nommés par détachement, par exemple pour une durée de cinq
à sept ans ?
En effet, il n'est pas souhaitable que la haute magistrature se sédentarise à
l'excès. Le fonctionnement de la justice serait amélioré par une plus grande
mobilité des magistrats et notamment des chefs de cour et de juridiction. Mais,
me direz-vous, la mobilité des magistrats est, bien sûr, liée à la disposition
de logements.
J'en viens à l'école nationale de la magistrature.
Cette école est souvent considérée, à tort d'ailleurs, comme la source de la
politisation de nombreux magistrats qui en sont issus. Les critiques de ce
genre sont confortées par le statut de droit de son directeur et la situation
de fait qui lui est réservée à l'occasion des changements de majorité : les
directeurs sont remerciés à chaque alternance.
Pourquoi n'envisagez-vous pas, madame la ministre, de prévoir que le directeur
de cet établissement public, aujourd'hui nommé comme les directeurs
d'administration centrale en conseil des ministres, c'est-à-dire révocables
ad nutum,
soit nommé, à l'instar de ce qui se fera demain pour les
procureurs généraux et procureurs de la République, après avis du Conseil
supérieur de la magistrature présidé par le Président de la République ? Dès
lors les soupçons qui pèsent sur les critères de désignation de ce directeur
seraient écartés.
Les autres membres de la direction de l'école ainsi que les maîtres de
conférence sont détachés. Ils doivent nécessairement demander l'avis du Conseil
supérieur de la magistrature pour leur détachement. Et cet avis vous liera.
Qu'en est-il de la nomination des magistrats à l'administration centrale du
ministère de la justice, les MACJ ? Je sais que ce sont des magistrats du
parquet ; normalement, le Conseil doit donner un avis. Mais qu'adviendra-t-il
si le détachement d'un magistrat dans une fonction de directeur de
l'administration centrale ou de sous-directeur recueille un avis négatif du
Conseil supérieur de la magistrature ?
M. Michel Charasse.
Emplois fictifs !
M. Hubert Haenel.
Vous auriez pu aussi envisager, madame la ministre, que les avis d'intégration
dans la magistrature de personnalités extérieures à celle-ci relèvent
dorénavant du Conseil supérieur de la magistrature autrement composé afin
d'éviter un certain réflexe malthusien que l'on peut constater parfois dans le
fonctionnement de la commission d'intégration. Au lieu d'organiser
périodiquement et à la hâte, comme le font tous les gouvernements, des concours
exceptionnels, un véritable tour extérieur aurait pu être institué, sous la
surveillance du conseil.
Depuis plusieurs années, les membres du Conseil supérieur de la magistrature
organisent des visites de cours et de juridictions afin de rencontrer sur place
les magistrats. Cette initiative, tout à fait positive de l'avis même des
magistrats, doit être reconduite, officialisée et même encouragée. Est-ce bien
votre sentiment, madame la ministre ?
Les membres du Conseil supérieur de la magistrature ont aussi souvent regretté
que les rapports dits « sectoriels » de l'inspection générale des services
judiciaires ne leur soient pas communiqués. Envisagez-vous de modifier la
position de vos prédécesseurs sur ce point ?
Dans tous les textes, que ce soient des traités, des conventions, des lois,
des règlements, des délibérations, des contrats, il y a la lettre et
l'esprit.
A l'occasion des débats sur la réforme du Conseil supérieur de la
magistrature, nous nous efforçons de mettre au point la lettre selon nos
conceptions sur la place de la justice au sein de nos institutions, sur le rôle
de celle-ci dans la société, sur la nature de la légitimité du pouvoir des
juges, sur celle des procureurs en fonction de l'idée que nous nous faisons de
la politique pénale et de sa déclinaison dans l'action publique exercée dans
chaque ressort de cour d'appel par les procureurs généraux et dans celui des
tribunaux de grande instance par les procureurs de la République.
De nos délibérations conjointes avec l'Assemblée nationale, à Versailles,
sortira un texte.
Voilà pour la lettre.
Ensuite, nous débattrons des projets de loi organique, dont certaines
dispositions renverront à des décrets en Conseil d'Etat, se traduiront par des
circulaires et des arrêtés. Et puis il y aura la pratique des relations,
toujours complexes, entre l'Elysée, Matignon et la Chancellerie, celles des
titulaires des fonctions en question, mais surtout celles des entourages et des
services...
Le pouvoir de nomination des magistrats du parquet reconnu au ministre de la
justice échappera tout naturellement et de plus en plus à celui-ci, notamment à
travers les réclamations liées à la procédure dite de « transparence des
nominations ». L'avancement se fera de plus en plus à l'ancienneté. Le CSM
autrement composé, renforcé de personnalités, sera encore, n'en doutons pas,
plus hardi que le précédent. La personnalité et la notoriété de ses membres
extérieurs à la magistrature, plus nombreux, l'y inciteront.
En 1993, nous avions campé un décor, fixé la règle, éclairé, pensions-nous,
par les débats parlementaires et l'esprit qui avait présidé à cette réforme.
Très vite, ces textes ont été interprétés, parfois même « triturés », les
services de la place Vendôme tentant de retenir le pouvoir qui leur échappait,
le CSM s'efforçant de tirer le maximum de cette réforme pour asseoir sa
nouvelle autorité.
Dans quel esprit la réforme que nous allons adopter sera-t-elle appliquée ?
Que deviendra-t-elle ? Personne ne le sait au juste, mais ce qui est sûr, c'est
que, très vite, il faudra à nouveau la modifier. Pourquoi ? Tout simplement
parce que nous n'avons toujours pas tranché sur la place que nous reconnaissons
à la justice au sein de nos institutions et sur son rôle au sein de la société.
Nous nous en méfions, nous la craignons, elle nous paraît étrange. Nous
refusons inconsciemment, le plus souvent, de lui donner tous les moyens
d'accomplir ses missions.
Le temps viendra aussi, tout au moins je l'espère, où certains juges et
procureurs cesseront de diaboliser la fonction politique et administrative. Il
n'y a pas de cavalier blanc et de cavalier noir. Il y a la République, la
démocratie et l'état de droit, valeurs suprêmes communes aux uns et aux autres
!
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues,
doit-on légiférer pour dissiper les soupçons ? Ou doit-on, comme l'ont fait
certains gardes des sceaux - l'un d'eux siège ici - faire en sorte que les
règles que l'on s'est fixées, qui appartiennent à la morale politique,
permettent aux réformes de se poursuivre sans être mises en cause tous les cinq
ans ? C'est là une vraie question.
Il faut en effet rappeler que, après trente-cinq années de bons et loyaux
services, le titre VIII de la Constitution va être modifié pour la deuxième
fois en cinq ans, ce qui est tout de même extraordinaire. De grands juristes
ont pourtant dit qu'il ne fallait toucher à la Constitution qu'avec beaucoup de
révérence et de circonspection. Il semble bien que, à cet égard, les
conceptions aient quelque peu évolué puisque le Congrès se réunit désormais
régulièrement pour traiter des sujets les plus divers, et c'est une autre vraie
question.
En 1993 est intervenue une réforme qui a intégré les magistrats du parquet
dans le champ de compétences du Conseil supérieur de la magistrature. On peut
donc considérer que le présent texte s'inscrit dans une continuité. Mais on
peut tout autant estimer que nous assistons aujourd'hui à une rupture. Voilà
encore une vraie question, car cette réforme est porteuse de beaucoup
d'autres.
Madame le garde des sceaux, je vous ai dit la semaine dernière qu'il était
parfois difficile d'apprécier une construction quand seul le toit était
présenté et que ses autres éléments n'étaient pas connus.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je vous ai répondu !
M. Jean-Jacques Hyest.
Certes, mais vous ne m'avez répondu que sur un certain nombre de points et
quelques-uns des principes que vous avez évoqués me laissent un peu inquiet, je
vous l'avoue.
En effet, derrière la nouvelle composition du Conseil supérieur de la
magistrature se cache le véritable problème : celui de l'indépendance du
parquet.
Dans l'histoire récente, les parlementaires étaient davantage intéressés par
les juges d'instruction, dans la mesure où ceux-ci se trouvaient amenés à «
mettre à l'ombre » - bien entendu, dans le respect du code de procédure pénale
- des personnalités.
Dès lors, on a eu tendance à juger ce pouvoir quelque peut abusif, d'autant
que tout le monde est évidemment pour le respect de la présomption d'innocence
et du secret de l'instruction.
Cela dit, ayant un peu regardé la télévision au cours du week-end dernier,
j'ai pu entendre un certain nombre de déclarations qui ne respectaient guère la
présomption d'innocence !
Depuis quelque temps, c'est surtout de l'indépendance du parquet qu'il est
question, et elle est revendiquée hautement.
Cela tient largement à une certaine affaire d'hélicoptère qui a suscité un
grand émoi.
M. Pierre Fauchon.
Pas seulement !
M. Jean-Jacques Hyest.
Principalement !
Pendant trente-cinq ans, personne ne s'était posé la question des instructions
au Parquet ! Un ancien garde des sceaux ici présent, dont tout le monde
reconnaît la vertu politique, a donné des instructions, mais la question ne
s'est pas posée. Madame le garde des sceaux, vous avez adopté le comportement
inverse : vous ne donnez pas d'instruction. C'est votre choix personnel, et je
le respecte. Mais il serait extrêmement risqué de vouloir traiter les
magistrats du parquet comme le sont les juges.
Il est vrai que notre système est un peu hybride. Parce que la formation est
commune, parce que les carrières font que l'on passe souvent d'une fonction à
l'autre, on a voulu établir une égalité entre les deux catégories.
Bien sûr, les magistrats du parquet jouent un rôle important dans le domaine
des libertés individuelles. Mais de là à leur reconnaître des fonctions
identiques à celles d'un juge, il y a un pas ! Je crois qu'il faut absolument
maintenir la distinction entre magistrats du siège et magistrats du parquet,
faute de quoi ceux-ci ne seront plus soumis à aucune autorité.
Madame le garde des sceaux, vous nous avez dit que vous mainteniez la
subordination hiérarchique du parquet. Mais jusqu'où ira cette subordination ?
Celle des procureurs vis-à-vis des procureurs généraux n'est pas remise en
cause. Mais encore faudrait-il que les procureurs l'acceptent. S'ils
n'acceptent pas les instructions de leurs procureurs généraux, que se
passera-t-il ? Et ces derniers pourront-ils ou non leur donner des instructions
individuelles ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il y a le conseil de discipline !
M. Jean-Jacques Hyest.
Bien sûr, mais j'y viendrai tout à l'heure.
A mon avis, la subordination doit aller jusqu'au garde des sceaux.
Comme l'a dit M. Haenel, un organisme auquel on donne des pouvoirs ne peut que
chercher à les accroître en permanence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est comme le Sénat !
(Sourires.)
M. Michel Caldaguès.
Nous ne risquons rien !
(Nouveaux sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
L'avenir nous dira si vous avez eu raison d'opérer cette transformation,
madame le garde des sceaux.
Le noeud du problème se situe, non pas du tout dans la réforme qui nous est
proposée, mais dans le projet de loi organique qui concernera le statut du
parquet.
On nous explique que les nominations ne doivent pas être décidées en conseil
des ministres. Mais a-t-on jamais vu, dans notre République, contester
l'indépendance de la section du contentieux du Conseil d'Etat ?
M. Alain Peyrefitte.
Jamais !
M. Jean-Jacques Hyest.
Or les conseillers d'Etat n'ont pas de conseil supérieur ! Ce sont des
fonctionnaires qui sont nommés en conseil des ministres et personne ne remet en
cause leur indépendance.
Ils l'ont manifestée particulièrement à certaines époques, et je ne voudrais
pas citer un arrêt bien précis.
M. Michel Charasse.
Ils ont manifesté leur sens de l'Etat !
M. Jean-Jacques Hyest.
Voilà !
Avant tout, c'est aux politiques qu'il appartient de ne pas tenter
d'influencer les magistrats.
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, le Conseil constitutionnel a
clairement indiqué qu'il fallait distinguer les fonctions du parquet et celles
du siège.
La semaine dernière, lorsque vous nous avez proposé d'instituer la
compensation judiciaire, vous avez prévu l'homologation par un juge, et cela
précisément parce que, voilà quelques années, le Conseil constitutionnel avait
censuré la médiation pénale au motif qu'un juge du siège devait intervenir dans
la décision. Cela montre à l'évidence que, pour le Conseil constitutionnel, les
fonctions du siège et celles du parquet ne sont pas identiques.
Je relève néanmoins que, en l'état, le projet de loi constitutionnelle apporte
un certain nombre de garanties.
Vous avez raison de prévoir un nombre de membres non-magistrats plus important
; Hubert Haenel et d'autres orateurs ont longuement abordé ce point ; je n'y
reviendrai donc pas.
En matière de discipline des magistrats - c'est toute l'histoire du Conseil
supérieur de la magistrature depuis qu'il existe - il y a, d'un côté, la
tentation corporatiste, toujours présente dans tout corps constitué, et, de
l'autre côté, la tentation d'influence du pouvoir politique. Dans notre
République, nous avons toujours oscillé entre les deux.
Compte tenu de la composition envisagée, que se passera-t-il ? On se mettra
d'accord sur les nominations, comme cela se fait aujourd'hui : « Je te propose
quelqu'un. Il ne te plaît pas ? Alors, je vais te proposer quelqu'un d'autre
qui va te plaire. »
Si l'on suit le système italien, c'est encore mieux ! On fait en sorte qu'il y
ait des représentants de toutes les tendances. Mais ce n'est peut-être pas la
meilleure formule pour faire évoluer le statut de la magistrature !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est déjà mieux !
M. Jean-Jacques Hyest.
Acceptons-en l'augure ! Si M. Dreyfus-Schmidt dit que c'est mieux, je suis
prêt à voter la réforme telle qu'elle est proposée !
En revanche, j'estime qu'il faut augmenter les garanties disciplinaires des
magistrats du parquet, et notamment faire en sorte que les sanctions
disciplinaires soient prises par la section du Conseil supérieur affectée au
parquet sous la présidence du procureur général. Cela me paraît aller dans le
sens des garanties disciplinaires accordées aux magistrats et, d'une manière
générale, à tous les fonctionnaires.
Je rappelle au passage que les conseils de discipline des fonctionnaires
territoriaux sont présidés par un magistrat. Cela prouve bien que l'on a voulu
introduire un élément d'indépendance par rapport au pouvoir de nomination.
M. Michel Charasse.
C'est horrible !
M. Jean-Jacques Hyest.
Je le pense aussi, mais je voulais donner un contre-exemple.
M. Michel Charasse.
Aucun sens de l'Etat !
M. Jean-Jacques Hyest.
Reste le problème très important de la formation des magistrats.
Voilà quelques années, j'ai commis un rapport sur la formation des magistrats
et des avocats. J'y préconisais une ouverture plus grande pour les uns comme
pour les autres et je suggérais d'obliger les magistrats à aller se frotter
vraiment - pas seulement pendant un stage d'un mois ! - à la fonction de
défenseur. Je pense, compte tenu de ce que nous avons connu naguère, que cela
leur serait fort utile, comme il serait utile aux avocats de se mettre de temps
en temps dans la peau des juges.
M. Pierre Fauchon.
Très juste !
M. Jean-Jacques Hyest.
Toutes ces remarques doivent vous faire comprendre, madame le garde des
sceaux, que, pour ma part, je suis indécis. Pour ce qui est de mon groupe, la
quasi-totalité de ses membres votera dans son ensemble la révision
constitutionnelle assortie des amendements de la commission des lois.
En ce qui me concerne, je crains que, par-delà cette réforme et à cause de
quelques affaires, on ne bouleverse complètement notre ordre judiciaire. Or, je
ne suis pas persuadé que c'est de cela qu'il a besoin avant tout. Il a, me
semble-t-il, plus besoin de sérénité, de moyens et d'une révision de la carte
judiciaire que de réformes de structures, qui, selon moi, ne sont pas
fondamentales pour la justice ordinaire qu'attendent nos concitoyens.
M. Paul Masson.
Bien sûr !
M. Jean-Jacques Hyest.
Certes, toute réforme vise la perfection, tend à l'idéal. Cependant, je me
demande parfois si, s'agissant de l'angélisme ou de la naïveté sur la nature
des hommes quels qu'ils soient, magistrats ou non, nous ne devrions pas
réfléchir aussi à ce que disait Pascal.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le
projet de loi constitutionnelle réformant l'article 65 de la Constitution est
la première étape, le premier volet en quelque sorte, de la réforme de
l'institution judiciaire qui doit traduire nettement dans notre loi
fondamentale, et pour la première fois depuis la Révolution et la suppression
des horribles parlements de l'Ancien Régime, la conception du parquet qui est
celle du Gouvernement.
Le parquet doit être, selon vous, totalement indépendant du pouvoir exécutif,
et le texte qui nous est soumis vous prive donc désormais du droit de
nomination et du droit disciplinaire, si bien que l'on se demande si le
principe, fondamental en démocratie, de la séparation de la poursuite - qui
relève pour l'instant de la souveraineté nationale et de ses délégués - et du
jugement a encore un sens.
Je vous rassure, madame le garde des sceaux, je ne reprendrai pas ce que je
vous ai dit à ce sujet, sur un ton pas très aimable, paraît-il, lors du débat
d'orientation : je persiste à penser que l'indépendance de l'autorité de
poursuites, qui agit au nom de la politique pénale et des lois de l'Etat,
définies et votées par les seuls pouvoirs élus - exécutif et législatif - est
la négation et même l'amputation de la République et le retour plus de deux
cents ans en arrière, c'est-à-dire à l'époque des « tribunaux de barbares »
dont parlait Voltaire.
Je ne vous ai pas convaincue, et pas plus le Gouvernement et, semble-t-il, le
Président de la République. J'en resterai donc là sur ce point, en attendant
que le Conseil constitutionnel, saisi des lois organiques et ordinaires qui
viendront plus tard, se prononce au regard des dispositions non modifiées de la
Constitution et dise clairement si une autorité non élue peut exercer en France
une partie des prérogatives du pouvoir exécutif, à savoir celles qui sont
prévues par l'article 21 de la Constitution selon lequel c'est le Premier
ministre qui « assure l'exécution des lois » avec les ministres qui peuvent
seuls agir en son nom par délégation. La Constitution ne prévoit personne
d'autre pour remplir cette mission et je ne vois pas comment le juge
constitutionnel pourrait accepter qu'une autorité non élue, n'appartenant pas
au pouvoir exécutif, et n'étant donc pas responsable devant le Parlement,
reçoive d'une autre loi que la Constitution le droit de dépouiller les délégués
de la souveraineté nationale.
En attendant, non sans espoir, que nous soyons départagés sur cette question,
je me contenterai de reprendre à mon compte, en revanche, vos propos très
clairs, très nets, très fermes même, de l'hiver dernier sur la contrepartie de
cette funeste indépendance, contrepartie dont vous nous avez dit qu'elle était
l'élément clé de votre dispositif et que sans elle il serait dangereusement
déséquilibré : un vrai régime de responsabilité des magistrats.
Vous aviez, madame le garde des sceaux, lors du débat d'orientation, ouvert un
certain nombre de pistes : on ne les retrouve pas dans ce projet de loi
constitutionnelle, limité à l'article 65. Au contraire même, on s'en éloigne :
les parquetiers relèveront non plus d'un délégué du suffrage universel - le
garde des sceaux - pour les sanctions disciplinaires, mais du nouveau Conseil
supérieur de la magistrature.
J'ai aussi du mal à retrouver vos propositions de l'hiver dans les autres
projets de loi récemment déposés par ailleurs, car au fil des semaines et comme
dans une sorte de partie de « poker menteur » elles sont tellement passées au
crible impitoyable des factions qui font aujourd'hui la loi quelquefois à notre
place et parfois à la vôtre - je veux parler des corporations syndicales de
magistrats et de quelques salles de rédaction - et leur chantage et leurs
pressions ont été tels qu'ils les ont fait disparaître presque complètement :
plus de sanctions disciplinaires pour les parquetiers qui refuseront
d'appliquer vos instructions générales - or, initialement, vous aviez parlé de
sanctions - plus de vraies commissions départementales chargées d'apprécier les
classements sans suite, « vraies », c'est-à-dire auxquelles on peut s'adresser
sans craindre la partialité de l'esprit de corps ni l'amende. Et j'en passe.
Les parquetiers agiront donc à leur guise et selon leurs convictions
personnelles, voire politiques : pour ou contre l'immigration, pour ou contre
l'extrême-droite, pour ou contre l'avortement, pour ou contre les riches ou les
pauvres, les syndicats ouvriers, l'ordre public, etc.
Aussi, au moment où vous nous demandez d'être un peu complices de cette
reculade de l'Etat sans contreparties, c'est-à-dire celles dont vous aviez
parlé - la responsabilité et la sanction - notre assemblée doit être pleinement
consciente, me semble-t-il, de ce qu'on l'incite à faire et doit tenter de
sauver encore ce qui peut l'être pour que la République ne sorte pas de ce
combat défaite faute de s'être battue.
Je proposerai donc au Sénat, dans le cours du débat, trois amendements
fondamentaux pour que cette réforme ne soit pas déséquilibrée et finalement un
peu assassine pour la République.
Le premier concerne l'action disciplinaire contre les magistrats. Compte tenu
de la pratique et de la dramatique faiblesse, pour ne pas dire complicité, de
la Chancellerie depuis de très nombreuses années - et là, madame le garde des
sceaux, vous n'êtes pas plus coupable que d'autres - c'est-à-dire, en fait,
depuis que quelques magistrats se sont érigés en pouvoir et se permettent tout
et n'importe quoi en méconnaissance provocatrice des devoirs de leur charge,
les poursuites disciplinaires sont de plus en plus rares, exceptionnelles et
concernent plutôt les comportements extérieurs à la fonction que les fautes de
service. Je pense à l'incroyable situation du procureur Davenas, à votre refus
de sévir, en agissant auprès du Conseil supérieur de la magistrature par la
porte de service plutôt que par l'entrée principale...
M. Charles de Cuttoli.
Très bien !
M. Michel Charasse.
... votre immobilité constituant bien d'ailleurs dans ce cas, à mon avis, une
forme d'intervention politique que l'on condamne tant par ailleurs ! Je pense
aussi à l'extrême mansuétude à l'égard du procureur de Strasbourg à la suite
des incidents de la Saint-Sylvestre ; je n'y reviens pas.
Que dire du comportement de ces juges d'instruction qui, tous les jours,
violent sciemment, et au vu et au su de tous, le secret de l'instruction, au
point que leurs procès-verbaux n'arrivent dans les dossiers qu'après être
passés par les salles de rédaction ? Aucune procédure n'est jamais ouverte par
les parquets au pénal, et le disciplinaire n'est jamais saisi. Je ne peux pas
croire qu'on n'ait pas lu, à la Chancellerie et au parquet de Paris, ce livre
paru récemment et dans lequel Jean Daniel, du
Nouvel Observateur
- que
vous connaissez comme moi - raconte en réunion de rédaction comment le juge
Joly l'a appelé au téléphone puis rencontré pour tout lui raconter sur un
dossier qu'elle instruit ! Là encore, pas de pénal, pas de disciplinaire,
silence de la Chancellerie qui vaut intervention politique - mais, à l'époque,
ce n'était pas vous qui étiez garde des sceaux - puisque des politiques sont
concernés. Et je n'oublie pas l'incompétence professionnelle notoire révélée
par l'enquête ratée du juge Lambert dans l'affaire de la Vologne.
Puisque le garde des sceaux se refuse désormais à agir, qu'au moins le citoyen
victime d'une faute professionnelle d'un magistrat puisse agir au
disciplinaire,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Michel Charasse.
... la loi organique comportant naturellement les systèmes de filtrage
nécessaire pour éviter les saisines fantaisistes.
L'autre point concerne les magistrats face à la justice, c'est-à-dire les
magistrats en tant que justiciables.
En principe, ils sont, sur ce point, des citoyens ordinaires, soumis comme
tout le monde à la loi et à sa rigueur pour ce qui concerne, au civil comme au
pénal, leur situation, leurs intérêts et leurs comportements personnels.
Mais ce principe n'est, hélas ! qu'un principe, car, dans les faits, l'égalité
des citoyens, magistrats ou non, devant la justice reste à établir.
Dans certaines entreprises publiques, le personnel a droit à quelques petites
faveurs, notamment des tarifs réduits ; je pense à la SNCF et à EDF. Dans la
magistrature, c'est la même chose, sauf que là c'est pratiquement la gratuité
totale pour ce qui est des produits de la maison, au point que l'on en vient à
se demander si la France ne comporterait pas soixante millions de suspects ou
de malhonnêtes, sauf les quelques milliers qui forment le corps des magistrats
!
Voilà un corps extraordinairement merveilleux, sorti de cette petite couveuse
de Bordeaux, qui ne comporte ni ivrogne, ni chauffard en excès de vitesse ou en
état d'ivresse, ni coupable d'abandon de famille ou de violence à conjoint, ou
d'oubli de payer la pension alimentaire, ni de coupable de vol, ni de
faussaire, et j'en passe. Bref, seulement des petits saints !
L'écrasante majorité des petits et grands délits qui expédient chaque jour les
citoyens ordinaires dans les geôles de la République n'apparaît jamais au grand
jour lorsqu'il s'agit des magistrats, s'arrange comme par enchantement, le
classement sans suite étant la règle et la poursuite l'exception !
Et lorsqu'il y a poursuites, pour un jugement sévère - il faut bien donner
parfois le sentiment que l'on est exemplaire - combien de jugements de
complaisance - le procureur Weisbush absous à Dijon, alors que la faute reste
grave, et je ne parle pas de ce magistrat faussaire de Rouen que l'on promène
depuis des années de tribunal en tribunal pour ne pas avoir à le juger -
combien d'instructions feutrées et discrètes comme celles du pédophile
président de la chambre d'accusation de Chambéry, dont on n'a plus de nouvelles
alors que si c'était un maire d'une commune de cent cinquante habitants il y a
longtemps qu'il aurait été mis en prison et démissionné, ou de ses nombreux
collègues impliqués dans l'affaire des cassettes pédophiles qui ont fait
l'objet d'un traitement d'instruction à part, si bien que l'on se demande si
ces affaires ne finiront pas par mourir de prescription comme par enchantement,
les magistrats qui instruisent étant sans doute tellement débordés qu'ils
laisseront passer les délais ?
Puisque l'autorité judiciaire nous demande les moyens d'appliquer la loi de la
même manière à tout le monde, je dis « chiche » mais pour tout le monde, y
compris les membres de la « famille ».
Mais si nous ne prenons pas les précautions nécessaires en inscrivant
clairement ce principe d'égalité dans la Constitution, nous savons bien qu'il
en sera toujours de même demain comme aujourd'hui : plein tarif pour tout le
monde, gratuité ou tarif réduit pour les gens de la maison.
Je vous proposerai donc que la loi organique mette en place une juridiction
particulière où les formations d'instruction, de jugement et de cassation
compétentes pour les magistrats seront composées en majorité de citoyens non
magistrats dont la présence rendra sans doute plus difficiles les classements
feutrés et les jugements de complaisance.
Seule la Constitution, mes chers collègues, peut en effet poser ce principe
car la loi organique sans délégation constitutionnelle ne peut violer le
principe d'égalité des citoyens devant la justice pour la catégorie
particulière des citoyens-magistrats. C'est, me semble-t-il, le seul moyen de
mettre un terme à une anomalie de plus en plus insupportable pour les citoyens
ordinaires, celle selon laquelle, contrairement à toutes les autres catégories,
les magistrats jugent tout le monde mais se jugent entre eux. Ni les tribunaux
administratifs ni les juridictions financières n'ont le pouvoir de juger leurs
membres, pas plus que les parlementaires, les élus locaux, les fonctionnaires,
et j'en passe. La seule exception que l'on connaisse, ce sont les tribunaux des
associations privées, voire des sociétés secrètes genre « mafias », où, comme
chez les magistrats, la « famille » juge la « famille ». Cela doit cesser au
moins chez les magistrats.
(Exclamations sur plusieurs travées socialistes.)
M. Guy Allouche.
C'est inadmissible !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est parfait, au contraire ! On peut dire la vérité tout en étant socialiste
!
M. Michel Charasse.
Je parle en mon nom ! Je ne veux « mouiller » aucun membre de mon groupe,
aucun de mes amis !
M. Guy Allouche.
C'est honteux !
M. Jean Chérioux.
Il est courageux !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Et nous allons l'être !
M. le président.
Je vous en prie, mes chers collègues !
M. Michel Charasse.
Ai-je dit quelque chose de faux ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il est toujours mauvais de généraliser !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il n'a rien dit de faux !
M. Charles de Cuttoli.
C'est le privilège des élus de parler librement !
M. le président.
Laissez M. Charasse terminer son propos !
M. Michel Charasse.
Je ne généralise pas. Tout le monde sait que j'ai toujours considéré que le
corps des magistrats était, dans son immense majorité, composé de gens très
bien qui font leur travail avec application et conscience.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voilà !
M. Michel Charasse.
Je le dis et le répète, et je regrette d'ailleurs qu'ils soient victimes eux
aussi de comportements anormaux de la part d'une minorité de leurs
collègues.
Reste, enfin, un dernier point : les pratiques et les habitudes d'indépendance
ne peuvent pas être les mêmes au siège et au parquet, et il faut se méfier des
parquetiers qui seront tentés d'apprécier les affaires avec les mêmes critères
que le siège : au parquet, on est indépendant mais pour poursuivre au nom de la
loi et de la politique judiciaire et pénale dont la nation s'est dotée ; au
siège, on se prononce certes au nom de la loi, mais aussi au nom de la
justice.
C'est pourquoi il devrait être entendu, et je vous le proposerai, que
désormais aucun magistrat ne pourra plus passer alternativement du siège au
parquet et inversement.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Je m'en tiens donc finalement, madame le garde des sceaux, et fidèlement à ce
que vous nous avez dit au mois de janvier dernier. Tout en condamnant la
disparition de l'Etat et de la souveraineté nationale dans le processus
judiciaire, j'aurais tendance à l'indulgence si votre réforme est complétée par
une vraie possibilité de mettre en cause la responsabilité des
citoyens-magistrats, comme c'est le cas pour tous les citoyens et notamment
pour ceux qui exercent une fonction publique.
Sinon, ce sera le retour aux parlements de l'Ancien Régime. L'Etat sera
peut-être tenté de réagir par d'autres réformes, à moins que le peuple,
impatient et outré, ne lui en laisse pas le temps et procède d'office comme en
1789.
Oui, comme vous l'avez laissé entendre en janvier en proposant la
responsabilité comme contrepartie à l'indépendance, je pense que la réelle
possibilité de rappeler les juges à leur devoir est le seul vrai rempart pour
protéger la mission indispensable et irremplaçable de l'autorité judiciaire.
(Applaudissements sur les travées du RPR. - M. Baylet applaudit
également.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre maintenant nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-deux
heures cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par
l'Assemblée nationale, relatif au Conseil supérieur de la magistrature.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je ne peux laisser le Sénat reprendre ses travaux sans faire une
mise au point solennelle sur les propos tenus par M. Charasse avant la
suspension de séance.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il a pourtant été grandiose !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'ai entendu des insultes comparant les tribunaux de la
République à des tribunaux mafieux au motif que les magistrats se jugeraient
entre eux. Mais, monsieur le sénateur, mieux vaut, à mon avis, faire confiance
aux tribunaux de droit commun. Je ne crois en effet pas aux vertus des
juridictions d'exception, lesquelles sont toujours mauvaises pour la
République.
J'ai entendu des insinuations sur de prétendues indulgences de la Chancellerie
à l'égard de fautes ou de délits non santionnés. Mais, entre la faute et le
délit, il y a l'instruction et la preuve qui doit être apportée avant le
prononcé d'une sanction. Cela s'appelle - vous le savez aussi bien que moi,
monsieur le sénateur - le respect dû à la présomption d'innocence.
S'agissant des affaires individuelles que vous avez évoquées dans cette
enceinte, j'ai déjà eu l'occasion de vous répondre à plusieurs reprises. Je
citerai ainsi la réponse que j'avais faite à votre question écrite n° 4970 sur
les procédures judiciaires relatives aux magistrats : « Entre 1994 et 1996,
vingt-quatre magistrats ont fait l'objet de procédures judiciaires, cinq
procédures ont donné lieu à des décisions de condamnation, sept à des décisions
de non-lieu, irrecevabilité ou relaxe et douze sont encore en cours. » En 1997
et pour cette seule année, huit nouvelles procédures judiciaires ont été
engagées.
L'image d'une immunité judiciaire dont bénéficieraient les juges est donc
grossièrement erronée.
Quant à votre question écrite n° 1484 relative à un magistrat mis un examen
pour pédophilie, j'ai également eu l'occasion d'y répondre en juillet 1997. Je
vous ai alors dit que la procédure judiciaire était en cours et que le Conseil
supérieur de la magistrature, sur saisine du garde des sceaux, avait bien
entendu prononcé une interdiction de fonction.
Je précise au Sénat que, entre 1991 et 1997, quarante-trois procédures
disciplinaires ont été engagées contre des magistrats. Je ferai d'ailleurs
remarquer que, en novembre 1997, un magistrat a été révoqué pour une raison de
confusion d'intérêts.
Comme vous le voyez, l'impunité n'existe pas, et votre propos excessif et
outrancier m'aura au moins donné l'occasion d'apporter ces précisions à la
représentation nationale.
J'ai entendu des amalgames mêlant artificiellement des critiques contre la
pratique d'un jeune juge dans une affaire très ancienne et une appréciation
toute personnelle sur un arrêt de relaxe de cour d'appel, ou encore une
prétendue absence de sanctions disciplinaires.
Enfin, la présentation que vous avez faite des projets du Gouvernement ne
correspond aucunement à la réalité. Il en est notamment ainsi du principe de
responsabilité appliquée aux magistrats que j'entends rappeler : contrairement
à ce que vous affirmez, les textes comprennent bien un recours des citoyens
contre les classements sans suite, ainsi que des réclamations des citoyens
contre les dysfonctionnements de la justice. Bien sûr, mes projets ont évolué
dans le temps. J'ai mené une vaste concertation, avec des parlementaires, dont
nombre de sénateurs ici présents, mais aussi avec d'autres partenaires.
Les magistrats, qui assument des tâches difficiles avec conscience, avec
compétence et avec dévouement, souvent dans des conditions matérielles
précaires, qui sont naturellement exposés aux critiques, ont à mon avis le
droit d'être protégés, conformément à l'article 11 de leur statut. Et c'est ce
que j'entends faire ici, ce soir, par rapport aux propos que vous avez
tenus.
Je m'attacherai à ce devoir d'Etat à la Chancellerie, dans les juridictions
et, s'il le faut, au Parlement, notamment au Sénat.
(M. Allouche applaudit.)
M. le président.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Peyrefitte.
(M. Ceccaldi-Raynaud applaudit.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je suis le seul à applaudir M. Peyrefitte, comme M. Allouche a été le seul à
applaudir Mme Guigou !
M. Alain Peyrefitte.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la
réforme du Conseil supérieur de la magistrature est beaucoup plus importante
qu'elle n'en a l'air. Parlant à titre personnel, j'estime qu'elle remet en
cause l'équilibre même de l'appareil judiciaire. Elle présente certains dangers
pour l'exercice de la mission de la magistrature. Elle commande les choix
ultérieurs, notamment en matière de politique pénale. Elle menace l'autorité et
la responsabilité de l'Etat.
Sur ces questions, les esprits ont subi une curieuse évolution. Le Projet
socialiste pour la France des années 80 préconisait « le remplacement du
système hiérarchique actuel par une large autogestion » et la « rupture du
cordon ombilical » entre le Gouvernement et la magistrature, qu'elle fût assise
ou debout, en confiant « la gestion des carrières à un Conseil supérieur de la
magistrature réellement indépendant ».
C'était, et c'est toujours, la thèse du Syndicat de la magistrature, si
influent dans la magistrature bien qu'il ne représente que moins de 20 % des
magistrats. Mais cette minorité agissante a entraîné le syndicat majoritaire
dans ce que l'on peut appeler « une solidarité corporatiste ».
Le paradoxe, l'étrange paradoxe, c'est que la gauche, pendant les deux
septennats de François Mitterrand, a pris soin de ne pas faire ce qu'elle
proclamait comme sa doctrine. Aucun des gardes des sceaux de gauche, depuis
1981, à commencer par notre collègue Robert Badinter dont nous apprécions
toujours l'éloquence, n'a abordé cette réforme. Le président Mitterrand ne
faisait pas mystère de s'y opposer, pour ne pas porter atteinte à l'autorité de
l'Etat.
M. Michel Charasse.
Exact !
M. Alain Peyrefitte.
Or, curieusement, le gouvernement de M. Balladur en a réalisé la première
partie en modifiant la Constitution, pour « parfaire l'indépendance du Conseil
supérieur », malgré les mises en garde de François Mitterrand lui-même. Et nous
voici devant une deuxième partie beaucoup plus décisive en réalité que la
première.
Que s'est-il donc passé ? Entre-temps, les dossiers de corruption s'étaient
multipliés : les mises en examen ou en prison de nombreux dignitaires de la
République avaient fait des ravages dans l'opinion. D'ailleurs, la gauche et la
droite peuvent à cet égard se tenir la main.
Les juges, face à une telle situation, doivent être non pas seulement
irréprochables - la quasi-totalité le sont, et je vous en donne acte, madame le
garde des sceaux - mais également insoupçonnables. Or, aucun ne l'est, car ils
sont tous atteints par un soupçon collectif. Voilà pourquoi on a vu grossir le
nombre des adeptes de la doctrine du Syndicat de la magistrature, même à
droite. Pour effacer la suspicion générale de soumission de la justice aux
impulsions du pouvoir politique, il fallait frapper un grand coup en donnant
satisfaction même à des adversaires.
L'indépendance des magistrats du siège, pourtant reconnue par la Constitution
et garantie par l'inamovibilité - alors que le Conseil d'Etat s'en passe bien
sans pourtant être jamais critiqué pour ses décisions au contentieux - ne
suffisait plus à rassurer une opinion profondément troublée par les
affaires.
Pourtant, l'autodiscipline, légalisée par Pierre Méhaignerie, a déjà interdit
à la Chancellerie, en 1993, de transmettre aux procureurs des instructions
orales sur des affaires particulières et a prescrit que les instructions
écrites soient versées au dossier, et par conséquent connues par toutes les
parties.
Cependant, pour apaiser entièrement le public, on a voulu aller plus loin
encore, on a voulu couper le cordon ombilical existant entre le ministre de la
justice et les magistrats du parquet, ou plus exactement les deux cordons
ombilicaux : d'une part, celui du fonctionnement quotidien de la hiérarchie,
déjà bien entamé par la pratique Méhaignerie, et, d'autre part, celui du choix
des hommes et de la gestion de leur carrière.
Au cours de l'hiver, madame le garde des sceaux, vous aviez refusé crânement
de prendre à votre compte certaines propositions de la commission Truche. Nous
avions été quelques-uns à vous en exprimer notre satisfaction ! Vous vous étiez
aperçue que couper le cordon ombilical ouvrait la voie au gouvernement des
juges, ou plus exactement au gouvernement de la magistrature unifiée. Vous
étiez opposée à ce que la justice soit un pouvoir, comme l'aurait voulu
Montesquieu, si souvent invoqué à tort ainsi que notre collègue M. Badinter l'a
brillamment rappelé tout à l'heure. Il faut d'ailleurs rappeler que Montesquieu
était un magistrat !
Vous étiez même allée jusqu'à rappeler aux magistrats qu'ils ne disposent
d'aucune légitimité. Quelle audace !
Mais voilà, hélas ! que notre satisfaction se dissipe et que les raisons de
vous féliciter s'évanouissent. Bien sûr, on comprend les raisons de l'évolution
générale des esprits : la progression rapide des affaires a accrédité l'idée
que le Gouvernement devait être privé du moyen d'agir sur la justice.
Le problème de la corruption est grave - elle porte atteinte à la confiance
sans laquelle une démocratie ne peut pas fonctionner - mais il est limité et
représente moins d'un millième des dossiers dont la justice est saisie. Il
requiert des remèdes spécifiques : des remèdes en amont - une surveillance
sévère des marchés publics, avec la présence obligatoire d'un magistrat de la
chambre régionale des comptes dans les commissions d'attribution des marchés -
et des remèdes en aval, les poursuites pouvant être diligentées par un collège
de magistrats ne recevant aucune instruction de la Chancellerie et qui pourrait
même être rattaché à la Cour de justice de la République pour les élus. Notre
commission des lois avait formulé, à cet égard, des propositions fort
judicieuses.
Mais, pour ce qui a trait à l'ordre public, à la criminalité accompagnée de
violences, à la drogue, au terrorisme, à l'espionnage, à la subversion, aux
atteintes aux intérêts économiques et autres problèmes de société, il serait
irresponsable de vouloir empêcher le pouvoir exécutif, seul légitime, de mettre
en oeuvre une politique pénale cohérente.
Si chaque parquet conduit sa politique pénale en complète liberté, s'il
établit lui-même ses priorités - car le temps compte beaucoup - s'il n'a de
comptes à rendre qu'à lui-même, s'il donne ses instructions à la police
judicaire - car c'est lui qui donne des instructions à la police - en totale
autonomie, c'est tout un pan, et un pan essentiel de la responsabilité
gouvernementale qui tombe entre les mains d'une corporation autogérée et qui
est retiré au régime de la responsabilité démocratique, de la responsabilité
républicaine.
Que se passerait-il si tel parquet décidait de poursuivre les paysans qui
entravent la liberté d'aller et venir avec leurs tracteurs et si tel parquet
voisin décidait de n'en rien faire ? Que se passerait-il si tel procureur
faisait interpeller les meneurs d'une grève illégale au moment où le
Gouvernement s'apprête à négocier avec eux ?
Imaginez-vous qu'à l'époque de l'OAS nous serions venus à bout de cette
subversion si les procureurs avaient été libres de poursuivre ou de ne pas
poursuivre, de soutenir les poursuites ou de ne pas les soutenir ?
Aujourd'hui, faut-il poursuivre ou ne pas poursuivre les chômeurs qui occupent
des bâtiments publics, les adolescents qui brûlent des véhicules, les
camionneurs qui bloquent un dépôt d'essence ? Il n'est pas un jour qui passe
dans un parquet sans que se pose la question de l'opportunité des poursuites ;
celle-ci appelle une réponse homogène au niveau national !
Aucun système judiciaire ne peut se passer d'une politique de l'action
publique cohérente, donc prescrite par une hiérarchie. La seule question est de
savoir qui la mène !
Qui pourrait soutenir que cette politique devrait être définie au niveau de
chaque magistrat du parquet n'obéissant qu'à sa propre idée personnelle des
droits de la société, que le parquet est réputé représenter ? Cette anarchie
aboutirait à l'irresponsabilité ou bien, par un retournement inévitable, à des
mises en cause personnelles de tel ou tel magistrat par les justiciables !
Le danger est si clair que votre texte, madame le garde des sceaux, admet la
notion de hiérarchie, les coupeurs de cordon ombilical se rabattant sur une
définition collective ou collégiale ; on en revient donc à une conception
hiérarchique.
Mais alors, où arrêter la chaîne hiérarchique ? Au niveau de chaque
juridiction, ou au niveau des cours d'appel ? Vous ne le dites pas dans votre
texte, et cette contradiction est difficile à justifier : on admettrait qu'il
est nécessaire d'imprimer une cohérence à un ensemble de magistrats, mais on
refuserait d'appliquer cette cohérence au niveau national ?
Madame le garde des sceaux, nous nous étions réjouis de voir que vous
revendiquiez crânement votre responsabilité, donc celle du Gouvernement sous le
contrôle du Parlement.
La chaîne de l'autorité de l'Etat - Gouvernement, préfets, police, parquets -
ne doit pas être rompue et, en fin de parcours, il appartient aux juges de
décider, en toute indépendance, selon ce que leur dictent leur conscience... et
la loi !
Mais le projet que vous nous présentez conduit à une séparation entre l'Etat
et ses représentants judiciaires qui constituent le parquet. Or le parquet ne
peut pas relever seulement de la loi et de la conscience, comme un magistrat du
siège. Il est le représentant de l'intérêt général, il doit veiller à
l'homogénéité de l'application de la loi, ce qui suppose une coordination
stricte au plan national. Il lui incombe de mettre en oeuvre localement les
directives d'action publique, pénale et civile définies par le Gouvernement -
sous le contrôle du Parlement - et, enfin, il lui appartient de se coordonner
avec les autres administrations publiques.
Pour accomplir cette mission, le magistrat ne peut pas, à l'évidence, agir en
toute autonomie. Il tire, au contraire, sa légitimité et son autorité de son
rattachement à l'autorité publique par le biais de son mode de nomination et
par le contrôle hiérarchique auquel il est soumis. Vous n'accroîtrez pas son
autorité en le rendant indépendant, vous la saperez.
Si le magistrat du parquet ne représentait que lui-même, il ne serait soumis à
aucun contrôle véritable, alors que toute la logique républicaine veut que les
politiques publiques procèdent du Gouvernement, qui les fait exécuter par ses
agents et qui en est responsable devant le Parlement.
Le maintien de l'obligation pour le parquet de se conformer à des instructions
de politique générale, obligation que vous avez mise en avant, madame le garde
des sceaux, me paraît largement illusoire. De fil en aiguille, vous avez été
amenée vous-même à substituer à la notion d'instructions, qui paraissait trop
directive à des oreilles corporatistes, celle d'orientations. Mais rien ne
pourra empêcher le parquet de déroger à ces orientations, ou à ces instructions
si vous voulez bien réintroduire ce terme ! Au cas par cas, il sera libre
d'agir à sa guise, ce qui pourra conduire à une obstruction systématique, en
faisant relâcher, par exemple, tous les consommateurs de stupéfiants pour tous
les parquets dont ce sera l'opinion intime, ou tous les étrangers en situation
irrégulière.
Le nouveau mode de nomination, qui donne finalement la décision au Conseil
supérieur de la magistrature, ne pourra que renforcer ce mouvement de
séparation et cet esprit d'autonomie, qui iront en s'amplifiant avec le temps
jusqu'à une nouvelle réforme qui en tirera toutes les conséquences.
Vous mettez le doigt, sinon le bras, dans un engrenage fatal. Soumettre la
nomination des procureurs généraux à l'avis du Conseil supérieur de la
magistrature alors qu'ils étaient jusqu'à maintenant nommés en conseil des
ministres comme les préfets, les ambassadeurs, les généraux, les recteurs,
assujettir la nomination de tous les magistrats du parquet, y compris les
procureurs généraux, à un avis conforme représente donc une dérive grave dans
le domaine de nos institutions.
Cette objection de principe se suffirait à elle-même. Elle est malheureusement
renforcée, si besoin était, par des inconvénients techniques sérieux. Je ne
veux pas entrer dans le détail à cette heure tardive ; laissez-moi cependant
dire que, si le Conseil supérieur de la magistrature, dont le rôle premier et
exclusif devrait être de contrôler les erreurs d'appréciation ou de favoritisme
de l'autorité de nomination, devenait lui-même l'autorité de nomination, de
gestion, il pourrait bloquer toute nomination qui ne lui conviendrait pas.
Une confusion des rôles, qui était déjà en germe dans la réforme de 1993, sera
donc généralisée. Or elle porte atteinte à l'équilibre du système, qui exige
une séparation claire entre la responsabilité de gestion des nominations et la
responsabilité de son contrôle.
C'est d'autant plus grave que le CSM qui, aux termes de la Constitution, doit
exercer un contrôle, deviendrait un gestionnaire de fait. Pourtant, il ne sera,
lui, l'objet d'aucun contrôle !
Ne croyez pas que c'est une garantie supplémentaire que vous donnerez aux
magistrats : ces derniers perdront ainsi une garantie essentielle !
Enfin, ce projet favorise toutes les dérives corporatistes. La prétendue
majorité constituée par les onze personnalités extérieures n'est qu'un leurre
puisque, naturellement, le Président de la République, qui préside le Conseil
supérieur une fois par an, et le garde des sceaux, qui le préside une fois par
mois, se déshonoreraient s'ils votaient avec les autres. Donc, ils ne voteront
pas ! C'est d'autant plus grave que, sur ces vingt et un membres, ce que vous
appelez la minorité de dix magistrats - forcément corporatistes, naturellement
corporatistes - sera une minorité agissante et dominante, suivant un processus
que l'on constate dans les commissions mixtes paritaires. Et l'autorité de
l'Etat, qui n'en a déjà pas beaucoup, va encore s'effriter.
Le vrai problème, c'est de différencier le juge de l'accusateur. Les coupeurs
de cordon se sont trompés de cordon : les procureurs, dont la mission dépend
essentiellement de l'exécutif, doivent être séparés non pas du garde des
sceaux, mais des juges, qui, eux, doivent être totalement et indiscutablement
indépendants.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et s'il n'y a pas de poursuite ?
M. Alain Peyrefitte.
Pour qu'il ait une politique pénale, il faut que cette politique reste placée
sous l'autorité du ministre, politiquement responsable devant le Parlement. Il
n'y a pas d'autre moyen raisonnable de s'en sortir, sauf à faire élire au
suffrage universel, par exemple, les procureurs généraux, auxquels on pourrait
ajouter, dans la foulée, les juges eux-mêmes, comme on le voit aux Etats-Unis,
ce qui serait le meilleur moyen, chez nous, de les politiser davantage
encore.
La pratique Méhaignerie est tout à fait satisfaisante - elle est d'ailleurs
maintenant inscrite dans le code de procédure pénale - quand il s'agit
d'empêcher le ministre de faire obstacle à des poursuites ; s'il tente de
passer outre, le scandale public jettera sur lui un blâme durable.
Mais pourquoi priverait-on la société, dont le parquet et son chef,
c'est-à-dire vous, madame le garde des sceaux, sont les porte-parole, du droit
de demander des poursuites alors que ce droit est reconnu à de simples
particuliers ou à des associations qui se portent partie civile ?
Vous avez donc imaginé, de vous-même, un dispositif qui permettrait de faire
appel des décisions du parquet local et de requérir l'action publique malgré le
parquet. Malheureusement, la seule chose prévue, en cas de désaccord, c'est la
mise en mouvement par le ministre d'une action qui ne sera ensuite soutenue par
personne. Comme si l'action en justice se résumait à son déclenchement ! En
fait, il faut autoriser le garde des sceaux non seulement à déclencher toute
action qu'il jugerait utile, mais encore à faire soutenir les actions
déclenchées par lui et, surtout, à intervenir dans toute action déclenchée par
le ministère public ou dans toute action où il est partie jointe, notamment
dans les affaires civiles, commerciales ou sociales qui présentent un intérêt
général, mais qui supposent nécessairement des instructions particulières.
Par exemple, dans le cas de l'affaire de Vilvorde, voyez-vous le Gouvernement
et la Chancellerie rester muets et s'interdire toute instruction particulière,
alors qu'il ne peut évidemment pas s'agir d'instructions générales, et encore
moins d'orientations générales ?
Est-il tellement souhaitable d'imiter l'Italie, dont M. Badinter nous
démontrait de façon tout à fait convaincante que le système a, de loin, le taux
d'impopularité le plus élevé chez les nationaux ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ah non !
M. Alain Peyrefitte.
Ne voit-on pas à quels excès a conduit l'indépendance des juges et des
procureurs en Italie ? Ignore-t-on le rôle majeur qu'a joué la Mafia - quand je
prononce ces mots, je marche sur des oeufs, mais, enfin, je parle de la Mafia
italienne ! - dans cette évolution, qui échappe aujourd'hui à tout le monde
?
Chez nous, des juges, des parquetiers même, soumis jusqu'à aujourd'hui à votre
autorité hiérarchique, n'ont-ils pas annoncé qu'ils n'appliqueraient pas telle
ou telle loi si elle était promulguée, c'est-à-dire votée par le Parlement et
avalisée par le Conseil constitutionnel ? Ne l'ont-ils pas dit ? Et, à ma
connaissance, madame le garde des sceaux - je serais heureux que vous puissiez
me démentir - ils n'ont pas été sanctionnés.
Dans aucun autre pays démocratique, l'Italie mise à part, les juges et les
procureurs ne sauraient se confondre. Partout, ils prennent grand soin de se
distinguer. Alors que, en France, ils entrent simultanément à l'audience, dans
les pays de pratique anglo-saxonne, ils suivent un cheminement différent pour
ne pas risquer de se rencontrer. Chez nous, l'avocat de la Cour de cassation
participe, et même activement, aux délibérés de la chambre dont il suit
l'activité.
Indépendants, certes, les procureurs le sont en ce qu'ils possèdent une
conscience, une déontologie, en ce qu'ils peuvent refuser de tenir des propos
qu'ils désapprouvent, en ce qu'ils disposent d'un haut degré d'autonomie. C'est
de longue date : ils sont libres de leur parole, seule la plume est serve.
Justement, dans cette affaire de Vilvorde dont je parlais à l'instant, il se
trouve que le procureur, qui parlait au nom du parquet - peut-être était-ce
l'avocat général, que sais-je ? - a commencé par lire les instructions qu'il
avait reçues, comme l'exigeait jusqu'à maintenant la loi : il obéissait aux
instructions qui lui étaient données par écrit en les lisant à l'audience.
Ensuite, à titre personnel, il a pris la parole pour dire qu'il était d'un avis
contraire, et il a développé une thèse diamétralement opposée, ce qui est
parfaitement son droit et ce qui est d'ores et déjà irréprochable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Héroïque !
M. Alain Peyrefitte.
Mais nous irons beaucoup plus loin que cela.
Alors, indépendance d'esprit, oui ! Mais ils l'ont déjà. On ne peut pas
demander au parquetier, qui est l'avocat de la société, d'avoir pour règle ce
qui est la règle des juges, c'est-à-dire l'indépendance de neutralité, cette
indépendance de neutralité qui impose à un juge d'examiner à fond une affaire à
charge et à décharge jusqu'au bout et de ne pas laisser pencher la balance d'un
côté ou de l'autre jusqu'à ce qu'il ait pu apprécier tous les éléments du
jugement et qu'il se soit formé une conviction impartiale.
Ne demandez pas aux parquetiers d'être impartiaux puisque c'est leur métier de
ne pas l'être ! Ce n'est pas entre le parquet et la Chancellerie, je le répète,
qu'il faut couper le cordon, c'est entre les magistrats du siège et les
magistrats du parquet.
Madame le garde des sceaux, ce projet de loi constitutionnelle sur le CSM va
beaucoup plus loin que le CSM. Il fait partie d'un ensemble dont nous ne
connaissons pas encore les autres éléments, mais ce premier élément me paraît
illustrer une logique de renoncement ; je m'abstiens d'utiliser le mot
d'abdication, devant lequel tel de nos collègues ne reculerait pas !
Le Gouvernement me semble céder à la pression du politiquement correct exercée
par certains syndicats, qui, sous couvert de promouvoir l'indépendance de la
justice agissent, en réalité, dans le sens du renforcement de leur propre
influence, en fonction de raisons soit purement corporatistes pour l'un, soit
plus politiques pour l'autre.
Madame le garde des sceaux, pour la première fois dans l'histoire de la
magistrature, les trente-cinq premiers présidents des cours d'appel de France
et d'outre-mer se sont opposés à l'unanimité à ce projet le mois dernier, après
un séminaire qu'ils venaient de lui consacrer. A la fin de ce séminaire, ils
vous ont expliqué leur position, qui était exactement celle que j'ai eu
l'honneur de définir : rompre la relation de dépendance non pas entre le garde
des sceaux et les parquetiers, mais entre les juges et les parquetiers.
Mes chers collègues, la commission des lois a été bien inspirée en voulant
maintenir, comme dans la réforme constitutionnelle de 1993, deux formations
différentes du CSM pour le siège et pour le parquet. Mais ce n'est pas
suffisant.
Vous avez aboli cette distinction, madame le garde des sceaux, dans votre
désir d'abolir toute différence entre ce qu'il vous arrive d'appeler les «
juges du siège », ce qui est un pléonasme,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est dans la Constitution !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
La Constitution peut comporter des pléonasmes !
M. Alain Peyrefitte.
... et les « juges du parquet », ce qui est et doit rester une étrange
impropriété.
Les trente-cinq premiers présidents n'ont pas voulu prendre position
publiquement pour ne pas pas donner l'impression de peser sur le débat
politique. Mais comment garder, dans une société où l'on prône la transparence,
un secret partagé par tant de personnes ? Le secret est vite devenu celui de
Polichinelle, et la position des trente-cinq premiers présidents est, peu à
peu, reprise par l'ensemble des avocats de France, à mesure qu'ils en
délibèrent.
Voilà les raisons qui m'interdisent, en conscience, de voter ce projet de loi
constitutionnelle.
Les sénateurs peuvent-ils raisonnablement réformer la Constitution dans un tel
contexte de divisions et d'incertitudes, tant qu'ils ne connaissent pas les
lois qui doivent suivre cette réforme et pour lesquelles ils n'auront pas le
dernier mot - c'est l'Assemblée nationale qui l'aura - alors qu'en matière
constitutionnelle ils ont leur mot à dire ?
Ce projet ne règle nullement le problème de la corruption, qui est à l'origine
de cette initiative malheureuse. Il déstabilise fortement le mode de
fonctionnement républicain de l'institution judiciaire. Il présente, au
surplus, de graves inconvénients techniques pour la gestion du corps. Il me
paraît donc à la fois inutile et nuisible.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je
n'avais pas l'intention d'intervenir dans ce débat. En effet, ce que j'avais
dit en 1993, je pourrais le répéter le plus souvent mot à mot. D'ailleurs, vous
avez bien voulu me citer, madame le garde des sceaux, sur un point, celui de la
nécessité que les magistrats ne soient pas, en majorité, au Conseil supérieur
de la magistrature ; vous auriez pu le faire sur d'autres.
Au surplus, tout a été dit par mes amis. Je suis parfaitement d'accord sur la
plupart des points qu'a évoqués Robert Badinter. Je ne le suis pas - je l'ai
dit de ma place dans l'hémicycle - avec la généralisation que semblait faire
Michel Charasse jusqu'à ce que, sur mon invitation, il veuille bien préciser
que la très grande majorité des magistrats font parfaitement leur travail. Je
regrette que, défendant des idées souvent justes, il fausse parfois l'audition
que l'on peut avoir de ses arguments. Mais nous aurons l'occasion d'en
reparler, et il sait combien je lui dis cela amicalement !
Par ailleurs, il faudrait que l'on sache - je n'y insisterai pas - si les
membres du parquet sont des magistrats ou non. La majorité du Sénat a tendance
à dire : je suis oiseau, voyez mes ailes ; je suis souris, vive les rats !
Autrement dit, tantôt elle affirme que magistrats du siège et parquetiers sont
tous des magistrats, tantôt elle insiste sur la différence de leurs
fonctions.
Elle en arrive ainsi à proposer deux formations, y compris en matière
disciplinaire, alors que si l'on pouvait, là, évidemment, envisager une
formation réduite, la discipline doit, en tout état de cause, être la même pour
un membre du parquet et pour un magistrat du siège qui manquent à leur
devoir.
Il est vrai que l'on peut discuter de nombreux aspects de ce projet, en
particulier des dispositions concernant l'élection des magistrats et le triple
collège envisagé. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de l'examen des
amendements et du projet de loi organique si nous en sommes saisis.
En cet instant, je veux seulement dire le plaisir que j'ai eu à vous
retrouver, après dix-sept ans, monsieur Peyrefitte, à cette tribune, traitant
des problèmes de la justice. Cela nous rajeunit l'un et l'autre, n'est-il pas
vrai ?
(Sourires.)
Vous ne changez vraiment pas. Je me souviens vous avoir lu, à l'époque, dans
un ouvrage qui s'appelait
Quand la rose se fanera
. Apparemment, vous
n'aviez pas prévu qu'elle pourrait refleurir !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ça va, ça vient !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Dans ce livre, vous expliquez - veuillez m'excuser de parler de moi - que, si
j'étais sénateur, c'était grâce à vous, parce que vous aviez refusé, comme vous
le demandaient les magistrats appartenant au syndicat de la magistrature
présents à la Chancellerie de faire en sorte que la cour d'assises de la
Haute-Saône et du territoire de Belfort soit scindée en deux afin que l'un des
leurs, procureur à Vesoul, soit à coup sûr éligible aux sénatoriales à
Belfort.
En réalité, c'est
a posteriori
que vous avez eu cette vue des choses
mais ce qui est vrai, c'est que déjà, à l'époque, vous dénonciez le
syndicalisme de la magistrature, qui est pourtant un fait absolument entré dans
les moeurs...
M. Michel Caldaguès.
Dans les vôtres !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et sur lequel on ne reviendra pas.
La syndicalisation de beaucoup de magistrats me paraît bien préférable à ce
qui prévalait à une époque où l'ensemble des magistrats prétendait ne pas faire
de politique alors que, chacun le sait bien, celui qui dit ne pas faire de
politique est de droite.
Aujourd'hui, au moins, on sait à quoi s'en tenir, et cela me semble constituer
un progrès.
En outre, les magistrats qui ne sont pas syndiqués ont parfaitement le droit,
eux aussi, de faire entendre leur voix.
Je ne sais pas, monsieur Peyrefitte, si, en bon gardien du temple, vous
regrettez l'époque où tous les membres du Conseil supérieur de la magistrature
étaient nommés par le Président de la République. Nous n'en sommes plus là.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Hélas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez cité, monsieur Peyrefitte, le programme du parti socialiste, selon
lequel, en effet, il fallait, en somme, « couper le cordon ombilical » - drôle
d'expression ! » - entre le Gouvernement et le parquet. L'hypothèse d'une telle
réforme avait déjà été faite par le Président de la République.
Comment nier que ce qui a permis en grande partie que la rose refleurisse,
c'est que l'opinion publique n'admette pas que des affaires soient étouffées,
même si elles sont en nombre restreint, par des membres du parquet, sur ordre
du Gouvernement.
Je n'ai pas besoin de rappeler l'affaire de l'hélicoptère de l'Himalaya, qui a
joué, vous le savez, un très grand rôle.
M. Charles Pasqua.
Il y en a eu d'autres...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ne dis pas qu'il n'y en a pas eu d'autres.
Je me souviens même parfaitement d'une époque lointaine où, l'opposition du
moment voulant voir le dossier d'un ancien ministre qui avait été maire de
Belfort - paix à son âme - et que ses amis avaient amené à démissionner de ses
fonctions, le parquet a été obligé d'avouer que ce dossier avait été adressé,
sur sa demande, à la Chancellerie, d'où il n'est jamais revenu !
Ce n'est pas nouveau, ce n'est pas une affaire isolée - vous avez raison de le
dire, monsieur Pasqua - mais ce sont précisément de tels procédés dont
l'opinion ne veut plus.
Il fallait réagir ! Mais comment ? Il y a eu débat. Certains ont fait
remarquer que donner au parquet des instructions générales est indispensable,
ce qui est exact, et c'est parce qu'il a été tenu compte des arguments de
chacun qu'il y a eu un compromis - mais je sais bien que ce n'est pas pour vous
convaincre, monsieur Peyrefitte - entre le Président de la République et le
Gouvernement.
Lorsque l'on modifie la Constitution, il est évident qu'il faut un accord non
seulement entre le Président de la République et le Gouvernement en temps de
cohabitation, mais aussi entre la majorité et la minorité et entre les deux
assemblées, et je suis sûr que la plupart des sénateurs sont, comme l'ont été
les membres de la minorité à l'Assemblée nationale, parfaitement décidés à
voter ce projet de loi.
M. Peyrefitte a feint de s'adresser à Mme le garde des sceaux. Mais en bon
membre de l'Académie française, il connaît, bien sûr, ce mot de Molière : «
C'est à vous que je parle, ma soeur. » De même, en vérité, c'est au Président
de la République que son discours s'adressait, ce qui, là encore, me rappelle
de vieux souvenirs !
La vérité, c'est que le projet de loi prévoit que le Gouvernement pourra
continuer à donner des instructions générales aux membres du parquet, qu'il y
aura des recours contre les classements sans suite, que le Gouvernement pourra
intenter des actions et, surtout, qu'un pouvoir disciplinaire s'exercera à
l'encontre des parquetiers qui prétendraient étouffer certaines affaires. En
effet, une telle attitude devrait alors être considérée comme une faute
professionnelle devant être sanctionnée.
Un amendement tendant à ce que les justiciables puissent, en matière
disciplinaire des magistrats, saisir le Conseil supérieur de la magistrature
sera proposé. Mais c'est probablement du ressort de la loi organique et sans
doute faudra-t-il prévoir un filtre, comme pour la Cour de justice de la
République. A mon sens, ce serait effectivement une nécessité.
Mais j'en viens au mérite essentiel de ce projet de loi : il progresse dans la
voie qui est la bonne.
Il aurait pu stipuler qu'il n'y avait plus besoin ni de proposition de
l'exécutif, ni d'avis conforme du CSM pour les magistrats du siège que le CSM
devrait nommer lui-même directement. Mais il dispose - c'est là le progrès qui
explique pourquoi nous voterons sans hésiter le projet de loi qui nous est
soumis par le Gouvernement - que, pour nommer un magistrat du parquet, l'avis
conforme du Conseil supérieur de la magistrature est nécessaire.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est un progrès socialiste !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, toutes vos
interventions démontrent en vérité le rôle éminent, le rôle important que joue
la magistrature dans un Etat démocratique.
De nombreuses interventions mettent en évidence la difficulté de trouver les
réponses qui fassent échapper la magistrature aux risques qui la guettent :
corporatisme et gouvernement des juges d'un côté ; dépendance et sujétion à
l'exécutif de l'autre.
Je vais brièvement examiner quelques-unes des questions qui se sont fait jour
dans ce débat.
Tout d'abord, l'indépendance et/ou le gouvernement des juges.
L'indépendance proclamée à l'article 64 de la Constitution est la qualité
inhérente à toute magistrature.
Comme l'a rappelé M. Badinter, cette indépendance est faite non pas pour le
juge, mais pour les citoyens. Voilà une vérité qui devait être, en effet,
rappelée. Et c'est parce que cette indépendance est faite pour les citoyens
qu'elle doit être garantie.
Cela ne veut pas dire non plus que les garanties offertes aux magistrats ne le
sont que pour eux. Il ne peut être question d'un gouvernement des juges dans la
réforme que je propose et je voudrais, à cet égard, dire à M. Peyrefitte qu'il
faut qu'il se rassure.
Je reviendrai plus longuement tout à l'heure sur d'autres propos relatifs aux
liens entre le parquet et la Chancellerie, qui ne font pas l'objet de ce texte,
je le rappelle pour ceux qui me paraissaient l'avoir oublié. Si l'on raisonne
sur l'indépendance et sur la responsabilité des juges, il est aussi nécessaire
de rappeler que, dès lors que leur indépendance est garantie, les magistrats
doivent exercer leur fonction dans la sérénité. L'immense majorité d'entre eux
savent d'ailleurs bien que c'est ainsi qu'il faut travailler et que la justice
« spectacle » n'est pas bonne pour la justice.
M. Michel Charasse.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
L'unité du corps judiciaire existe, je l'ai
constaté.
J'ignore si la séparation du siège et du parquet évoquée notamment par MM.
Badinter et Fauchon est la voie de l'avenir mais l'unité du corps judiciaire,
au sens de l'ordonnance organique, est importante.
Comme M. Pagès l'a relevé, l'unité est porteuse de garanties d'abord pour les
libertés individuelles. C'est pourquoi le Gouvernement propose un rapprochement
des modes de nomination de tous les magistrats et un alignement des procédures
disciplinaires.
Mais, pour moi, en tout cas, l'unité ne signifie pas la confusion. Ce n'est
pas parce qu'il y a unité de la magistrature qu'il y a confusion des rôles
entre le siège et le parquet.
M. Haenel a rappelé la reconnaissance du parquet dans la loi constitutionnelle
du 27 juillet 1993.
M. Hyest, quant à lui, a souligné la différence entre procureur et juge, qu'il
n'est pas question, bien entendu, de nier. Je ne me souviens pas d'ailleurs,
pour ma part, d'avoir qualifié les parquetiers de juges ; je les ai, en
revanche, sûrement dénommés « magistrats ».
En ce qui concerne l'autorité et le devoir d'Etat, que vous avez évoqués et
appelés, à juste titre, de vos voeux, monsieur le président de la commission,
je propose de les assumer pleinement. Il convient d'assurer l'autorité de
l'Etat parce que, d'une part, l'acte de poursuite doit être égal pour tous et
parce que, d'autre part, les décisions de justice doivent être réellement
exécutées. Le devoir d'Etat, quant à lui, doit être respecté, pour que chacun
remplisse son rôle en pleine responsabilité.
C'est bien autour de ces deux notions que s'articule le nouveau système et
c'est le projet de loi relatif aux rapports entre la Chancellerie et le parquet
qui apportera des précisions à ce sujet. Mais j'ai déjà largement parlé de ses
dispositions non seulement à l'occasion du débat d'orientation mais encore,
dernièrement, devant la commission des lois. De plus, avant même le débat qui
aura lieu dans cette enceinte, vous pourrez prendre connaissance du texte,
puisqu'il est déposé à l'Assemblée nationale.
Si l'on veut bien lire ce projet de loi, certaines craintes seront
apaisées.
M. Peyrefitte, qui nous fait l'honneur de sa présence aujourd'hui, sera
certainement intéressé par le débat qui se déroulera à propos de la
Chancellerie et du parquet, comme certainement il aurait été intéressé par les
précisions que j'ai pu apporter à de multiples reprises devant le Sénat sur les
dispositions que le Gouvernement a prises à la suite de la communication du 29
octobre.
Lorsque M. Peyrefitte aura pris connaissance de ce texte, il verra que
celui-ci traduit exactement les orientations que j'ai présentées le 29 octobre
devant le conseil des ministres et dont il a été débattu au Sénat dans un débat
d'orientation qui avait eu l'heur de plaire à M. Peyrefitte.
Je propose une plus grande responsabilité de l'ensemble du parquet, bien sûr
selon des modalités différentes de celles qui existaient jusqu'à l'année
dernière, puisque ces modalités, hélas, nous ont conduits à la situation dans
laquelle nous nous trouvions l'an dernier.
Par conséquent, autant je réaffirme dans ces textes la nécessité pour le
Gouvernement d'avoir une politique pénale et j'en donne au Gouvernement les
instruments, autant je dis que les modalités et la nature de ces instruments
doivent être changées parce que nous ne pouvons plus continuer avec des
instruments qui ont fait l'objet de soupçons et qui ont été dénaturés au point
que la crise de confiance dans la justice n'a pas pu être complètement résolue
par une alternance politique.
Pour ma part, je n'ai pas changé ; les projets de textes traduisent les
orientations du débat d'ouverture et je dirai aussi bien à M. Hyest qu'à M.
Peyrefitte qu'il faut en effet tenir compte de l'expérience.
D'abord, il faut s'efforcer de mettre un terme à des pratiques qui ont suscité
la méfiance du public à l'égard de la justice pénale. Par ailleurs, je n'ai
jamais utilisé la métaphore « couper le cordon ombilical ». Le parquet reste
hiérarchisé autour des procureurs généraux. Le garde des sceaux donne des
orientations générales, nécessaires à l'égalité devant la loi.
Tenir compte de l'expérience, c'est aussi constater qu'après plus d'un an de
nouvelles pratiques, celles que j'ai instaurées, car, avant de proposer de les
faire figurer dans la loi, je les ai mises en application depuis que je suis
garde des sceaux, nous avons affronté sans problème des conflits sociaux, les
routiers, les agriculteurs. Par ailleurs, nous avons remis l'action publique
sur le bon chemin en Corse. Cela n'a pas toujours été le cas, c'est le moins
qu'on puisse dire, ces dernières années, malgré les proclamations de toutes
sortes que nous avons pu entendre. Nous avons également affirmé l'action
antiterroriste internationale.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
On l'a vu avec la mort du préfet Erignac en Corse !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
La justice exerce ses missions. L'Etat fixe les
orientations et les juges jugent.
J'en viens à la responsabilité éthique et à la discipline.
MM. Badinter, Bataille et Fauchon ont évoqué l'éthique du juge, qui doit
effectivement permettre d'éviter les actions disciplinaires, les magistrats
effectuant leur office en toute responsabilité.
Cela passe par une formation d'excellence, qu'elle soit initiale ou continue.
Sur ce sujet, j'aurai encore l'occasion de saisir la représentation nationale
de propositions plus précises. C'est tout au long de leur carrière que les
magistrats doivent s'interroger sur la façon dont ils exercent leurs missions
!
Plusieurs orateurs, dont MM. Larché, MM. Fauchon, Baylet et Haenel, ont appelé
de leurs voeux une approche globale prenant en compte les autres projets.
Dès ma communication du 29 octobre 1997, j'ai voulu marquer les trois axes de
la réforme générale et je les ai rappelés depuis, à chaque occasion. Il s'agit,
premièrement, de la justice de proximité, deuxièmement, des libertés et de la
présomption d'innocence et, troisièmement, de la structure et des garanties de
l'indépendance.
Ces orientations sont indissociables d'un renforcement des moyens. Sur ce
thème, je ne me suis pas contentée de paroles ! Le projet de loi de finances
pour 1998 a commencé à l'inscrire dans les faits et cela sera poursuivi avec le
projet de loi de finances pour 1999.
Sept projets sont en cours. Chaque texte viendra à son heure. Mais il fallait,
bien entendu, commencer par le projet de loi constitutionnelle. Les contraintes
du droit nous amènent, comme en 1993, à attendre le vote de cette réforme
constitutionnelle avant d'examiner les deux projets de loi organique qui
préciseront cette dernière.
J'en viens à quelques-unes des questions très précises qui ont été posées par
M. Haenel, et qui relèvent justement des futures lois organiques.
S'agissant de l'ordre du jour du Conseil supérieur de la magistrature, je peux
d'ores et déjà dire à M. Haenel qu'il n'est pas prévu de modifier les articles
13 de la loi organique et 35 du décret du 9 mars 1994, aux termes duquel «
l'ordre du jour des séances est arrêté par le Président de la République sur
avis du garde des sceaux ».
Sur l'installation du Conseil supérieur de la magistrature, un éventuel
déménagement sera envisagé après la réforme qui vous est soumise, en
collaboration, bien entendu, avec l'Elysée et la Chancellerie.
S'agissant de la gestion, le budget du Conseil supérieur de la magistrature,
selon l'article 12 de la loi organique, est déjà individualisé au sein du
budget de la Chancellerie.
Pour ce qui est de la nomination future des procureurs généraux, le Président
de la République, le président du Conseil supérieur de la magistrature et le
garde des sceaux, vice-président, assumeront chacun demain, comme aujourd'hui,
la présidence des réunions du Conseil supérieur de la magistrature selon des
modalités qu'il leur appartient seuls de fixer.
En conclusion, je voudrais dire que la discussion a fait ressortir un accord
sur trois points - conformément à ce qu'a proposé le rapporteur de la
commission des lois - qui constituent le coeur de la réforme : l'avis conforme
du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination de tous les membres
du parquet, y compris des procureurs généraux ; l'alignement de la procédure
disciplinaire sur le siège, du siège et du parquet ; enfin une majorité de
non-magistrats au Conseil supérieur de la magistrature. Mise à part la question
du Conseil économique et social, les modalités de nomination des non-magistrats
ne m'ont pas paru faire l'objet de dissensions entre nous.
Les points d'accord l'emportent donc largement sur les points de désaccord. Ce
constat laisse augurer une discussion utile qui devrait éviter la navette
permanente évoquée par certains orateurs.
En effet, et ce sera mon dernier mot, si la justice au quotidien doit être le
premier souci du Parlement comme du Gouvernement, comment justifier que ces
deux pouvoirs consacrent autant d'énergie et de temps à débattre d'un texte sur
lequel les points d'accord sont prédominants et les désaccords marginaux, en
tout cas sans commune mesure avec les problèmes qu'affrontent tous les jours
les justiciables ?
Voilà pourquoi j'espère que notre discussion de ce soir et celle de demain
nous permettront de trouver, dans le respect des droits et des prérogatives du
Parlement naturellement, la voie de la nécessaire réforme, et cela en temps
utile pour que l'ensemble de la réforme soit mise en oeuvre et que les
justiciables voient ainsi rapidement la différence sur le terrain.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Je demande la parole.
M. le président.
la parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Monsieur le président, je demande une brève
suspension de séance.
M. le président.
Le Sénat va, bien entendu, accéder à votre demande, monsieur le président.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinq, est reprise à vingt-trois
heures trente.)
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif au
Conseil supérieur de la magistrature.
Nous passons à la discussion des articles.
Articles additionnels avant l'article 1er
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 2, M. Jolibois, au nom de la commission, propose d'insérer,
avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans l'article 19 de la Constitution, les mots : "et 61" sont remplacés par
les mots : ", 61 et 65". »
Par amendement n° 5, M. Charasse propose d'insérer, avant l'article 1er, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Dans l'article 19 de la Constitution, les mots : "et 61" sont remplacés par
les mots : ", 61 et 65 (deuxième alinéa)". »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement tend à réparer une omission dans la rédaction
de l'article 19 de la Constitution en ajoutant la mention de l'article 65
relatif au Conseil supérieur de la magistrature parmi l'énumération des
articles visant les actes du Président de la République ne faisant pas l'objet
d'un contreseing, de façon à faire apparaître explicitement que la désignation
de membres du Conseil supérieur de la magistrature constitue un pouvoir propre
du Président de la République exercé sans contreseing.
M. le président.
La parole est à M. Charasse, pour présenter l'amendement n° 5.
M. Michel Charasse.
Cet amendement est satisfait par celui de la commission des lois. Je le retire
donc au profit de ce dernier.
M. le président.
L'amendement n° 5 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 2 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
Il est en effet logique que la désignation par le Président de la République
de membres du Conseil supérieur de la magistrature ne fasse pas l'objet d'un
contreseing, à l'instar de ce qui a lieu pour la désignation, par le Président
de la République, de trois membres du Conseil constitutionnel.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 6 rectifié, M. Charasse, Mme Durrieu, MM. Autain, Biarnès,
Chabroux, Hesling, Percheron et Debarge proposent d'ajouter, avant l'article
1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le troisième alinéa de l'article 64 de la Constitution est complété par les
trois phrases suivantes :
« Cette loi organique détermine les règles particulières applicables aux
procédures civiles et pénales, y compris en matière de poursuites, engagées
contre les magistrats de l'ordre judiciaire lorsque leur reponsabilité civile
est mise en cause à raison de l'exercice de leurs fonctions ou lorsque leur
responsabilité pénale est engagée pour des faits qualifiés crimes ou délits
commis pendant qu'ils sont en position statutaire d'activité. Elle fixe
également la nature et la composition des juridictions dont relèvent ces
magistrats pour les procédures précitées. Ces juridictions, tant en ce qui
concerne les poursuites que le jugement et la cassation, sont constituées de
formations collégiales dont la majorité des membres ne peut avoir la qualité de
magistrat, professionnel ou non. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il s'agit de compléter l'article 64 de la Constitution par un nouvel alinéa
qui fixe les conditions de poursuites et de jugement des affaires qui
intéressent les magistrats de l'ordre judiciaire, afin que le corps ne procède
pas lui-même au jugement de ses propres membres.
Je me suis longuement expliqué cet après-midi sur ce point, et je n'ai rien à
ajouter.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission n'a pas estimé souhaitable de créer une
juridiction spéciale pour examiner le problème de la responsabilité des
magistrats.
Il a d'ailleurs été rappelé, dans le cours du débat, que figurait, dans le
code de procédure pénale, la procédure de suspicion légitime pour les cas où il
serait nécessaire de délocaliser un jugement concernant un magistrat.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Les magistrats de l'ordre judiciaire ne bénéficient d'aucune immunité. Que ce
soit en matière de responsabilité civile ou pénale, il sont jugés par des
juridictions de droit commun et cela ne présente aucune difficulté.
Je crois en outre que cet amendement en dit à la fois trop et pas assez.
Il en dit trop parce qu'il crée un nouvel ordre de juridiction qui va contre
l'universalité du juge pénal et civil. Rien à mes yeux n'impose la création
d'une juridiction spéciale. Dès aujourd'hui, la délocalisation du jugement peut
faire échapper le magistrat au jugement de ses collègues qui seraient trop
proches de lui.
En revanche, si on allait dans son sens, ce texte n'en dirait pas assez
puisqu'il ne précise pas quelle judiridiction jugerait les juges.
La Cour de justice de la République, elle, est définie dans la Constitution.
L'institution de formations collégiales constituées en majorité de
non-magistrats n'apporte pas, en tout état de cause, les garanties
constitutionnelles indispensables pour juger les juges.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6 rectifié.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je dirais presque qu'il va de soi que je ne voterai pas l'amendement de notre
collègue Michel Charasse, et cela pour trois raisons.
Premièrement, derrière cet amendement se profile en filigrane un non-dit
tellement évident qu'il saute aux yeux : l'accusation de partialité portée à
l'encontre de magistrats jugeant d'autres magistrats, ce qui constitue l'une
des offenses les plus graves que l'on puisse faire à la conscience d'un
magistrat. Deuxièmement, cette accusation étant portée, je considère comme
blessante à l'égard du corps des magistrats la proposition formulée.
M. Michel Charasse a justement rappelé à la fin de ses explications que cette
accusation de partialité ne valait pas pour la grande majorité des
magistrats.
Dans ma vie, au cours d'une longue période d'activité judiciaire, j'ai connu
beaucoup de magistrats ; j'en ai d'ailleur affronté certains lors du
déroulement de grands drames judiciaires. Or je les ai toujours trouvé loyaux
et, contrairement à ce que beaucoup pensent, extrêmement humains. J'ai ensuite
eu à la Chancellerie des collaborateurs magistrats ; ils sont tous restés mes
amis. Ce sont des femmes et des hommes de grande qualité, et je ne crois pas
qu'à l'instant où il s'agit de restaurer la confiance du public dans la justice
française, cet amendement serve notre projet commun.
La troisième raison est purement technique.
C'est très bien de dire que les juges ne doivent pas juger les juges. Mais moi
je pose une question précise : qui jugera ?
La justice pénale et la justice civile, en France, sont rendues par des
magistrats au niveau correctionnel, et par des jurés au niveau de la cour
d'assises. Par conséquent, en ce qui concerne les crimes que commettraient les
magistrats, la question est déjà réglée.
S'agissant maintenant des juridictions correctionnelles, par qui
remplacerait-on les magistrats ? Par des membres du Conseil d'Etat, des membres
de la Cour des comptes, des membres des tribunaux administratifs, des
inspecteurs des douanes, que sais-je ? Là, on se tait ! Seraient-ce des jurés
populaires qui jugeraient des magistrats ? Vous vous imaginez ce que cela
signifie implicitement !
Voilà la réalité. Il ne suffit pas de lancer une idée ; encore faut-il
examiner la façon dont on peut la mettre en oeuvre.
Par ailleurs, je ne vois pas comment il pourrait y avoir une formation
collégiale qui, si je comprends bien, assumerait les poursuites autant que le
jugement. Quelles seraient ces formations singulières ? Un corps d'inspecteurs
particulier serait-il chargé de conduire les poursuites contre les magistrats
?
Non, tout cela n'est pas sérieux et - je le dis à Michel Charasse, avec
lequel, depuis des années, j'entretiens des liens d'amitié - tout cela est mal
venu.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On nous a dit ce matin que cet amendement tend à mettre en place des
juridictions d'exception, ce à quoi j'ai répondu que le tribunal de commerce,
le conseil des prud'hommes, la Cour de justice de la République sont également
des juridictions d'exception et que n'est donc pas là un argument contre.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas tout à fait pareil !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vais m'expliquer si vous le voulez bien.
A la vérité, le fondement de cette réforme est d'éviter que le Gouvernement
puisse être soupçonné de vouloir étouffer des affaires, même si ces affaires
sont peu nombreuses.
Je dois à la vérité de dire que des juges non plus ne doivent pas pouvoir être
soupçonnés - je n'ai pas dit « les » juges. J'observe aussi qu'un médecin ne
soigne pas sa famille !
Certains ont tendance à généraliser. J'avoue qu'une telle attitude me hérisse
car, pour en avoir rencontré beaucoup au cours de ma carrière professionnelle,
je sais que la plupart des magistrats sont absolument au-dessus de tout
soupçon.
D'autres généralisent dans l'autre sens. S'il est de bonne guerre pour un
ministre de défendre ceux qui dépendent de lui et qui, d'ailleurs ne devraient
pas en dépendre s'agissant des magistrats, il ne me paraît pas anormal qu'un
garde des sceaux, ancien ou nouveau fasse, systématiquement l'éloge de tous les
magistrats. Ils ne sont pas tous dignes d'un tel éloge. Toutefois, aucun ne
devrait pouvoir être soupçonné.
Telles sont les raisons pour lesquelles le fond de cet amendement ne m'a pas
paru sans intérêt. Mais - car il y a un « mais » - il est certain que le
contexte dans lequel il a été présenté conduirait l'ensemble des magistrats à
considérer cette disposition comme un outrage inadmissible, outrage auquel je
ne veux pas m'associer.
Vous demandiez, monsieur le rapporteur, de quelle juridiction il s'agirait.
Evidemment, c'est la loi organique qui devrait le préciser.
Nous avons estimé normal que les ministres ne soient pas jugés par la même
juridiction que les autres, et vous avez même décidé qu'une majorité de
parlementaires, c'est-à-dire de politiques, devaient juger les ministres, qui
sont des politiques. Ce problème peut être débattu mais, je le répète, une
telle disposition serait incomprise dans le contexte actuel. C'est pourquoi, et
à mon très grand regret, je voterai contre cet amendement.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, je ne suis pas certain qu'il faille faire un drame
majeur autour de cette affaire qui, dans mon esprit, est très simple. Certains
diront peut-être simpliste...
Je persiste à penser que, même si, comme l'a dit M. Dreyfus-Schmidt, un tout
petit nombre de magistrats est concerné directement ou indirectement, il n'est
pas sain que le corps règle lui-même les affaires judiciaires concernant ses
propres membres. Si l'on ne veut pas résoudre le problème aujourd'hui, il
faudra bien, cependant, le faire un jour.
Sur le plan technique - j'ai bien écouté ce qu'a dit mon ami Robert Badinter -
je propose de poser un principe et de renvoyer, pour le détail de son
application, à une loi organique. Si nous ne posons pas ce principe dans la
Constitution elle-même - de ce point de vue, Robert Badinter a raison - la loi
organique ne permettra pas de déroger au principe d'égalité qui fait que,
aujourd'hui, les magistrats sont traités de la même manière que les autres
citoyens, par les mêmes juridictions, selon les mêmes procédures. Seule la
Constitution peut prévoir d'y déroger.
Quels juges siègeront ? La loi organique le dira ! Pourquoi pas des citoyens
sélectionnés d'une certaine manière ? On choisit bien des citoyens pour siéger
dans les cours d'assises ! Je ne vois pas pourquoi l'on n'arriverait pas à en
choisir pour siéger dans des formations spécialisées de poursuite et de
jugement. Car, en l'espèce, il me semble qu'il ne faut pas laisser la poursuite
aux seuls magistrats, même si, je le répète, je ne mêle pas les uns et les
autres dans mes critiques, tant s'en faut. Est-ce une juridiction d'exception ?
Pas du tout ! C'est une juridiction spécialisée, et Michel Dreyfus-Schmidt a eu
raison de dire, comme la Cour de justice de la République. La Cour de justice
de la République a en outre une raison d'être supplémentaire : c'est le
principe de la séparation des pouvoirs en vertu duquel le juge de droit commun
ne peut pas juger des faits accomplis par des ministres dans l'exercice de
leurs fonctions, surtout depuis que la Cour de cassation a limité l'exercice
des fonctions aux faits commis effectivement pendant l'exercice des fonctions,
à l'occasion de l'exercice des fonctions et à propos de décisions qui ont été
prises en fonctions.
Voilà, monsieur le président, mes chers collègues, les motivations de cet
amendement. On peut le trouver imparfait. On peut estimer qu'il pose un vrai
problème mais qu'il ne le résout pas. Quoi qu'il en soit, tout ce qui a été dit
cet après-midi et ce soir ne m'a pas particulièrement convaincu que cette
mesure n'était pas indispensable, même si je veux bien rendre à mes amis des
armes sur l'imperfection de la rédaction.
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Je ne saurais, moi non plus, voter un tel amendement.
Monsieur Charasse, il s'agit bien d'abord d'une juridiction d'exception et non
pas d'une juridiction spécialisée. Par sa construction même, elle serait une
juridiction d'exception. On ne peut invoquer l'exemple de la Cour de justice de
la République, pour laquelle le problème est d'éviter, comme vous l'avez dit
vous-même, un éventuel contrôle du pouvoir judiciaire sur le pouvoir exécutif,
contrôle qui serait tout à fait contraire à tous les principes.
En réalité, il n'y a pas d'équivalent. La justice pénale, pour des raisons
assez évidentes qui n'ont pas besoin d'être rappelées, doit être unique et
homogène. On ne peut pas diversifier la justice pénale. En matière civile, on a
pu estimer souhaitable, pour des raisons techniques, une certaine
diversification des juridictions. Mais cela ne peut pas jouer en matière
pénale, car c'est profondément contraire aux principes essentiels du droit.
Au demeurant, il n'y a aucune raison de suspecter les juges du fond de faire
montre d'une indulgence particulière envers leurs collègues. On peut aussi bien
soutenir qu'ils seront encore plus sévères à l'égard des erreurs commises par
des collègues. Là encore, ce sera une question de conscience et d'appréciation
chez chaque juge.
Ce que l'on pourrait éventuellement suspecter, et que vous avez paru suspecter
en des termes que, moi aussi, je déplore, après beaucoup d'autres encore plus
autorisés que moi, c'est que la poursuite ne soit pas ce qu'elle devrait être.
Cela nous ramène à l'idée selon laquelle il est important de conserver à la
structure du parquet un système hiérarchisé qui permette au Gouvernement de
prendre des initiatives et de veiller à ce que les poursuites se développent
dans des conditions normales et parfaitement égales pour tous.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié, repoussé par la commission et par
le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 7, M. Charasse propose d'ajouter, avant l'article 1er, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Le troisième alinéa de l'article 64 de la Constitution est complété par les
mots suivants : "qui sont répartis entre deux corps, celui du siège et celui du
parquet, sans qu'il soit possible de passer de l'un à l'autre". »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il s'agit d'affirmer, à l'article 64 de la Constitution, que, compte tenu du
nouveau statut qui va être le leur, magistrats du siège et magistrats du
parquet formeront deux corps totalement distincts et qu'il ne sera plus
possible de passer de l'un à l'autre.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission est défavorable à cet amendement.
Nous avons réalisé un équilibre entre l'unité du corps des magistrats,
représentée par le Conseil supérieur de la magistrature en formation plénière,
et la dualité de leurs fonctions, représentée, au sein de ce même conseil, par
la formation compétente à l'égard du siège d'un côté et la formation compétente
à l'égard du parquet d'un autre côté. La commission souhaite s'en tenir à ce
dispositif, qu'elle vous propose d'adopter.
De plus, M. Charasse propose qu'il soit impossible de passer du siège au
parquet ou inversement, et c'est là une question qui me paraît relever de la
loi organique, mais certainement pas, en l'état de nos réflexions, de la
Constitution.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
En effet, comme je l'ai rappelé dans mon discours introductif, le choix du
Gouvernement est celui de l'affirmation de l'unité du corps judiciaire. C'est
pourquoi les magistrats du parquet comme ceux du siège bénéficieront désormais
de garanties similaires en matière de nomination et en matière
disciplinaire.
L'amendement proposé mêle deux idées.
S'agissant tout d'abord de la séparation de la magistrature en deux corps, le
Gouvernement est contre. Isolé du reste de la magistrature, le parquet
dériverait vite vers une fonctionnarisation.
L'unité de la fonction judiciaire est essentielle au regard des libertés
publiques. Les magistrats du parquet, comme ceux du siège, participent au
contrôle du respect des libertés individuelles et des droits de l'homme. Ils
ont, en outre, à apprécier l'opportunité des poursuites et à diriger l'action
de la police judiciaire, missions qui ne peuvent être confiées qu'à un
magistrat.
La deuxième idée de M. Charasse est de rendre impossible le passage entre
siège et parquet.
Le Gouvernement ne peut accepter une séparation totale, mais il réfléchit,
dans la ligne de la commission Truche, à l'instauration de limites de temps et
de lieu quant aux passages entre siège et parquet.
Cette orientation sera examinée dans le cadre du projet de loi organique
relatif au statut de la magistrature.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'argument de Mme le garde des sceaux selon lequel il faut bien que les
représentants du parquet soient des magistrats compte tenu de ce que sont leurs
prérogatives ne me convainc pas.
Il est évident que, si les membres du parquet devenaient des fonctionnaires
révocables
ad nutum
et soumis à l'autorité du garde des sceaux, il
faudrait que leurs prérogatives soient différentes de ce qu'elles sont
actuellement et que la plupart de leurs anciennes prérogatives soient exercées
par des magistrats, c'est-à-dire par des juges.
Il n'est pas indispensable, en vérité, que l'amendement indique que les
magistrats sont répartis en deux corps. Il pourrait se contenter de constater
qu'il existe ceux du siège et ceux du parquet puisque tout le monde est
d'accord pour admettre que leurs fonctions sont différentes.
Quant à la question de la possibilité ou non du passage du siège au parquet et
inversement, ou des conditions de cet éventuel passage, elle se pose à
l'évidence à chacun d'entre nous.
Vous dites, madame le garde des sceaux, que nous pourrons examiner cette
question lors de la discussion du projet de loi organique, et j'en suis
d'accord. Cela étant, l'amendement a le mérite de rappeler que ce problème se
pose, et cela précisément parce que les fonctions sont différentes.
C'était encore plus vrai, je dois le dire, avant la proposition qui nous est
faite de modifier la Constitution. Il n'était théoriquement pas pensable - et
pourtant, c'est la situation actuelle - pour un magistrat du parquet, après
avoir été nommé par le Gouvernement, d'intégrer la magistrature assise, puis,
pour obtenir de l'avancement, de profiter de la présence de ses amis au pouvoir
et de retourner au parquet. Cette situation est très choquante !
Dans la mesure où les fonctions du siège et du parquet sont différentes, il
est imaginable de demander à un jeune magistrat de faire des stages au parquet
- et à tous les magistrats de faire des stages au barreau, comme jadis - puis
d'opter une fois pour toutes, pour le siège ou pour le parquet. Cela pourrait
ne pas valoir à la Cour de cassation puisque les magistrats du parquet de la
Cour de cassation n'ont pas du tout le même rôle que le ministère public auprès
des autres juridictions.
Quoi qu'il en soit, ces problèmes relèvent effectivement de la loi organique.
C'est pourquoi, si mon ami Michel Charasse ne retire pas son amendement,
j'aurai le grand regret de voter contre.
M. le président.
Monsieur Charasse, votre amendement est-il maintenu ?
M. Michel Charasse.
En l'occurrence, du point de vue de la procédure et du point de vue juridique,
le problème posé est différent de celui que je souhaitais résoudre avec mon
précédent amendement. Dans ce dernier, il fallait une délégation
constitutionnelle pour pouvoir agir par la loi organique.
On me dit de tous côtés que la présente question peut être réglée par la loi
organique. Effectivement, il n'est pas question de corps unique dans la
Constitution. Dès lors, celle-ci ne fait pas obstacle à ce que la question soit
réglée par la loi organique.
Dans ces conditions, je retire mon amendement.
M. le président.
L'amendement n° 7 est retiré.
Monsieur le président de la commission, souhaitez-vous que nous abordions
maintenant l'examen de l'article 1er ou bien désirez-vous que la suite du débat
soit d'ores et déjà renvoyée à la prochaine séance ?
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Je suis prêt à commencer la discussion de
l'article 1er, si cela convient à Mme le garde des sceaux.
(Mme le garde des sceaux fait un signe d'assentiment.)
M. Charles de Cuttoli.
On pourrait consulter le Sénat !
M. le président.
Nous allons donc aborder l'examen de l'article 1er.
(Protestations.)
Mes chers collègues, cela ne signifie pas que nous allons achever ce soir
l'examen de cet article ! Nous pouvons au moins entendre M. le rapporteur
présenter l'amendement n° 3.
M. Guy Allouche.
Mais c'est l'amendement principal !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est un amendement qui couvre l'ensemble des problèmes soulevés !
M. Charles de Cuttoli.
Il est impossible de scinder la discussion de cet article !
M. le président.
M. le président de la commission et Mme le garde des sceaux se sont consultés
et sont tombés d'accord pour continuer à travailler quelque temps.
M. Charles de Cuttoli.
Le Sénat est au-dessus !
M. le président.
Je ne suis pas obligé de consulter le Sénat sur cette question. J'ai demandé
par courtoisie l'avis de M. le président de la commission qui, lui-même, a
demandé par courtoisie l'avis de Mme le garde des sceaux.
Je n'ai pas obligation de faire voter le Sénat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Par courtoisie, vous pouvez le faire !
M. Charles de Cuttoli.
Sinon, la courtoisie est à sens unique !
M. Charles Pasqua.
Jusqu'à quelle heure allons-nous travailler ?
M. le président.
Je vous propose de poursuivre nos travaux jusqu'à zéro heure trente. C'est le
souhait que j'ai cru recueillir auprès de M. le président de la commission et
de Mme le garde des sceaux.
Rappel au règlement
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, pour une fois que M. le président de la commission des
lois est d'accord pour travailler le soir, et en particulier après minuit, je
comprends que vous y prêtiez attention un instant.
Pour le reste, il est vrai que, lorsqu'une priorité est demandée, elle est de
droit aux termes de notre règlement dès lors qu'il y a accord entre le
Gouvernement et la commission. Mais cela ne vaut pas pour l'organisation de nos
travaux.
Dans la mesure où l'amendement n° 3 recouvre l'ensemble des problèmes posés
par la modification proposée du rôle et de la composition du CSM, je pense,
d'une part, que nous ne pouvons pas en interrompre la discussion une fois
qu'elle sera commencée et, d'autre part, que nous ne pouvons pas non plus
l'achever avant zéro heure trente.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le président, de bien vouloir
consulter le Sénat ainsi éclairé par la position de la commission, par celle du
Gouvernement et, je l'espère, par les propos que je viens de tenir.
M. Charles de Cuttoli.
Très bien !
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous connaissez bien le règlement et vous savez que
je n'ai pas l'obligation de consulter le Sénat. Toutefois, puisque vous me le
demandez, comme d'habitude, avec beaucoup de gentillesse et de courtoisie, je
vais le faire.
Je consulte donc le Sénat sur la proposition acceptée par la commission et par
le Gouvernement, de poursuivre nos travaux jusqu'à zéro heure trente.
(La proposition n'est pas adoptée.)
M. le président.
Par conséquent, nous allons interrompre maintenant nos travaux.
La suite de la discussion est donc renvoyée à la prochaine séance.
10
COMMUNICATION DE L'ADOPTION
DE PROPOSITIONS D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication,
en date du 22 juin 1998, l'informant que :
- la proposition d'acte communautaire E 335 « proposition de décision du
Conseil et de la Commission relative à la conclusion de l'accord de partenariat
et de coopération entre les Communautés européennes et leurs Etats membres,
d'une part, et la République de Moldavie, d'autre part » a été adoptée
définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 28
mai 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 730 « proposition de décision du
Conseil relative à la ratification par la CE de l'accord aux fins de
l'application des dispositions de la convention des Nations unies sur le droit
de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des
stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur
qu'au-delà des zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks
de poissons grands migrateurs (10349/96 L Pêche 371) » a été adoptée
définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 9
juin 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 914 « proposition de règlement (CE) du
Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des
régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non
salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la
Communauté, et le règlement (CEE) n° 574/72 fixant les modalités d'application
du règlement (CEE) n° 1408/71 » a été adoptée définitivement par les instances
communautaires par décision du Conseil du 4 juin 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 920 « communication de la Commission
au Conseil relative à l'accord entre les Communautés européennes et le
Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique concernant la mise en oeuvre des
principes de courtoisie active dans l'application de leur droit de la
concurrence. Proposition de décision du Conseil et de la Commission relative à
la conclusion de l'accord entre les Communautés européennes et le Gouvernement
des Etats-Unis d'Amérique concernant la mise en oeuvre des principes de
courtoisie active dans l'application de leurs règles de concurrence » a été
adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil
du 29 mai 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 931 « proposition de décision du
Conseil relative à une contribution de la Communauté à la Banque européenne
pour la reconstruction et le développement en faveur du fonds pour la
réalisation d'un massif de protection à Tchernobyl » a été adoptée
définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 5
juin 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 1008 « proposition de décision du
Conseil relative à la conclusion du protocole d'adaptation des aspects
commerciaux de l'accord européen établissant une association entre les
Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République
d'Estonie, d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion de la République
d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à l'Union
européenne et des résultats des négociations agricoles de l'
Uruguay Round
y inclus les améliorations du régime préférentiel existant » a été adoptée
définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 18
mai 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 1013 « proposition de décision du
Conseil relative à la conclusion du protocole d'adaptation des aspects
commerciaux de l'accord européen établissant une association entre les
Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République de
Lituanie, d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion de la République
d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à l'Union
européenne et des résultats des négociations agricoles de l'
Uruguay Round
y inclus les améliorations du régime préférentiel existant » a été adoptée
définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 18
mai 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 1014 « proposition de décision du
Conseil relative à la conclusion du protocole d'adaptation des aspects
commerciaux de l'accord européen établissant une association entre les
Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République de
Lettonie, d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion de la République
d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à l'Union
européenne et des résultats des négociations agricoles de l'
Uruguay Round
y inclus les améliorations du régime préférentiel existant » a été adoptée
définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 18
mai 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 1047 « proposition de décision du
Conseil concernant la conclusion d'un mémorandum d'accord entre la Communauté
européenne et la République arabe d'Egypte sur le commerce des produits
textiles » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par
décision du Conseil du 18 mai 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 1060 « proposition de règlement (CE)
du Conseil modifiant les annexes II et III du règlement (CE) n° 519/94 relatif
au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers » a été
adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil
du 25 mai 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 1082 « proposition de décision du
Conseil portant approbation de la conclusion, par la Commission, de protocoles
additionnels :
a)
à l'accord entre les Etats non dotés d'armes
nucléaires ;
b)
à l'accord entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d'Irlande du Nord ;
c)
à l'accord entre la France, la Communauté
européenne de l'énergie atomique et l'Agence internationale de l'énergie
atomique relatif à l'application de garanties en France » a été adoptée
définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 8
juin 1998.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication,
en date du 22 juin 1998, l'informant que la partie de la proposition d'acte
communautaire E 1034 concernant la « proposition de décision du Conseil
relative aux données statistiques devant servir à déterminer la clé de
répartition pour la souscription au capital de la Banque centrale européenne.
Proposition de règlement (CE, EURATOM, CECA) du Conseil modifiant le règlement
(CEE, EURATOM, CECA) n° 260/68 portant fixation des conditions et de la
procédure d'application de l'impôt établi au profit des Communautés
européennes. Proposition de règlement (EURATOM, CECA, CE) du Conseil modifiant
le règlement (EURATOM, CECA, CEE) n° 549/69 déterminant les catégories des
fonctionnaires et agents des Communautés européennes auxquelles s'appliquent
les dispositions des articles 12, 13, deuxième alinéa, et 14 du protocole sur
les privilèges et immunités des Communautés » a été adoptée définitivement par
les instances communautaires par décision du Conseil du 5 juin 1998.
11
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, relatif aux enquêtes techniques sur les accidents et les
incidents dans l'aviation civile.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 516, distribué et renvoyé à la
commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
12
DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. José Balarello une proposition de loi tendant à renforcer la
protection des mineurs face aux nouvelles technologies de l'information.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 515, distribuée et renvoyée à
la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
J'ai reçu de M. Serge Mathieu une propositon de loi créant un ordre national
des infirmières et des infirmiers.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 518, distribuée et renvoyée à
la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle
d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
13
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. Yann Gaillard une proposition de résolution, présentée en
application de l'article 73
bis
du règlement, sur la proposition d'acte
communautaire relative à la réforme des Fonds structurels (n° E-1061).
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 517, distribuée et
renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de
la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le règlement.
14
DÉPÔT DE PROPOSITIONS
D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil et de la Commission portant conclusion de
l'accord entre les communautés européennes et le Gouvernement du Canada
concernant l'application de leur droit de la concurrence.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le n° E-1104 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Conseil visant à garantir un minimum
d'imposition effective des revenus de l'épargne sous forme d'intérêts à
l'intérieur de la Communauté.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le n° E-1105 et
distribuée.
15
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Alain Pluchet un rapport, fait au nom de la commission des
affaires économiques et du Plan, sur le projet de loi, modifié par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, relatif à la partie législative du livre VI
(nouveau) du code rural (n° 498, 1997-1998).
Le rapport sera imprimé sous le n° 519 et distribué.
16
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de M. Jacques Oudin un rapport d'information fait, au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale et de la commission des finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, par le groupe de
travail sur les chambres régionales des comptes.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 520 et distribué.
17
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 24 juin 1998, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 476, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif au Conseil supérieur de la
magistrature.
Rapport (n° 511, 1997-1998) de M. Charles Jolibois, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Aucun amendement à ce projet de loi constitutionnelle n'est plus recevable.
Scrutin public à la tribune sur l'ensemble.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
- Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
nouvelle lecture, instituant une commission consultative du secret de la
défense nationale (n° 487, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 24 juin 1998, à dix-sept
heures.
- Débat consécutif à une déclaration du Gouvernement, d'orientation budgétaire
:
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 24 juin
1998, à dix-sept heures.
- Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 500, 1997-1998) sur
la proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires (n°
372 rectifié, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à onze
heures.
- Conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi
tendant à accorder la retraite anticipée pour les anciens combattants chômeurs
en fin de droits, justifiant de quarante années de cotisations diminuées du
temps passé en Afrique du Nord (n° 390, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à onze
heures.
- Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 503, 1997-1998)
sur la proposition de loi relative à la mise en oeuvre du réseau écologique
européen, dénommé Natura 2000 (n° 194, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à onze
heures.
- Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 504, 1997-1998)
sur la proposition de loi relative à l'obligation de scolarité (n° 391,
1996-1997) et la proposition de loi tendant à renforcer le contrôle de
l'obligation scolaire (n° 260, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à onze
heures.
- Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à
la Nouvelle-Calédonie (n° 497, 1997-1998) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 29 juin 1998, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à dix-sept
heures. Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES DU SÉNAT
établi par le Sénat dans sa séance du mardi 23 juin 1998
à la suite des conclusions de la conférence des présidents
Mercredi 24 juin 1998 :
Ordre du jour prioritaire
A
15 heures :
Suite du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale,
relatif au Conseil supérieur de la magistrature (n° 476, 1997-1998).
(La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à un scrutin
public à la tribune lors du vote sur l'ensemble du projet de loi
constitutionnelle.)
Jeudi 25 juin 1998 :
A
9 h 30 :
Ordre du jour prioritaire
1° Nouvelle lecture du projet de loi, adopté avec modifications par
l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, instituant une commission
consultative du secret de la défense nationale (n° 487, 1997-1998).
(La conférence des présidents a fixé au mercredi 24 juin 1998, à 17
heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de
loi.)
2° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, d'orientation
budgétaire.
(La conférence des présidents a fixé :
- à soixante minutes, le temps réservé au président et au rapporteur général
de la commission des finances ;
- à dix minutes, le temps réservé à chacun des présidents des autres
commissions permanentes intéressées ;
- à quatre heures, la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat,
les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun
groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront
être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 24 juin
1998.)
A
15 heures
et, éventuellement, le soir :
3° Allocution du président du Sénat.
Ordre du jour prioritaire
4° Suite de l'ordre du jour du matin.
5° Troisième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relatif à la partie Législative du livre VI (nouveau) du code
rural (n° 498, 1997-1998).
Lundi 29 juin 1998 :
Ordre du jour établi en application de l'article 48, alinéa 3, de la
Constitution ;
A
15 heures
et le soir :
1° Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 500, 1997-1998) sur
la proposition de loi de MM. Christian Poncelet, Jean-Pierre Fourcade, Josselin
de Rohan, Maurice Blin et Henri de Raincourt tendant à alléger les charges sur
les bas salaires (n° 372 rectifié, 1997-1998).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 29 juin 1998, à 11 heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements.)
2° Eventuellement, conclusions de la commission des affaires sociales sur la
proposition de loi de MM. Robert Pagès, Guy Fischer, Mme Marie-Claude Beaudeau,
M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Jean Derian,
Michel Duffour, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis
Minetti, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade tendant à accorder la
retraite anticipée pour les anciens combattants chômeurs en fin de droit,
justifiant de quarante années de cotisations diminuées du temps passé en
Afrique du Nord (n° 390, 1997-1998).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 29 juin 1998, à 11 heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements.)
3° Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 503, 1997-1998)
sur la proposition de loi de M. Jean-François Le Grand, Mme Janine Bardou, MM.
Michel Doublet, Michel Souplet et Louis Minetti relative à la mise en oeuvre du
réseau écologique européen, dénommé Natura 2000 (n° 194, 1997-1998).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 29 juin 1998, à 11 heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements.)
4° Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 504, 1997-1998)
sur :
- la proposition de loi de M. Serge Mathieu relative à l'obligation de
scolarité (n° 391, 1996-1997) ;
- la proposition de loi de M. Nicolas About tendant à renforcer le contrôle de
l'obligation scolaire (n° 260, 1997-1998).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 29 juin 1998, à 11 heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements.)
Mardi 30 juin 1998 :
Ordre du jour prioritaire
A
10 heures,
à
16 heures
et, éventuellement, le soir :
Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à
la Nouvelle-Calédonie (n° 497, 1997-1998).
(La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 29 juin 1998, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des
amendements à ce projet de loi constitutionnelle ;
- à trois heures, la durée globale du temps dont disposeront, dans la
discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la
liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront
être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 29 juin
1998.)
(La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à un scrutin
public à la tribune lors du vote sur l'ensemble du projet de loi
constitutionnelle.)
NOMINATIONS DE MEMBRES
DE COMMISSIONS PERMANENTES
Dans sa séance du mardi 23 juin 1998, le Sénat a nommé :
M. Jean-Patrick Courtois, membre de la commission des affaires sociales, en
remplacement de M. Simon Loueckhote, démissionnaire ;
M. Simon Loueckhote, membre de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
en remplacement de M. Jean-Patrick Courtois, démissionnaire.
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DU PLAN
M. Jean-François Le Grand a été nommé rapporteur du projet de loi n° 516
(1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux enquêtes techniques
sur les accidents et les incidents dans l'aviation civile.
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGES UNIVERSEL,
DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Jean-Marie Girault a été nommé rapporteur du projet de loi
constitutionnelle n° 497 (1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif
à la Nouvelle-Calédonie.
M. Pierre Fauchon a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 485
(1997-1998) de M. Paul Loridant et de plusieurs de ses collègues pour
l'extension de la qualification d'officier de police judiciaire au corps de
maîtrise et d'application de la police nationale.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Taux de dioxine et santé publique
303.
- 19 juin 1998. -
M. Jean Bizet
attire l'attention de
Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement
sur la divulgation des informations relatives aux taux de dioxine observés dans
les produits laitiers ou la viande et leur conséquence sur la santé publique.
Il souligne de plus son étonnement quant à la publication de teneurs en dioxine
dans le lait maternel de deux jeunes femmes de la Manche alors qu'il n'existe
dans ce département aucune usine d'incinération ! Au discrédit porté hier à
l'image de ce département au travers de diverses informations sur la filière
nucléaire s'ajoute aujourd'hui une suspicion sur la teneur en dioxine du lait
maternel et par conséquent sur la qualité de l'environnement alors même que ce
département a su depuis longtemps conjuguer environnement et modernité.
S'interrogeant sur le manque de cohérence et de rigueur scientifique dans
l'interprétation de ces diverses informations, il lui demande pourquoi des
normes officielles tant en ce qui concerne les niveaux d'émission, de
concentration dans l'alimentation ou de dose d'exposition ne sont toujours pas
fixées. Il lui demande également pourquoi n'oblige-t-on pas la mise aux normes
des usines d'incinération au lieu de porter un discrédit systématique sur une
méthode de traitement qui s'avère en l'état actuel de nos connaissances la
moins mauvaise des solutions de traitement des ordures ménagères.
Stockage et destruction des engins résiduels de guerre
304. - 23 juin 1998. - M. Marcel Deneux interroge M. le ministre de l'intérieur sur le stockage et la destruction des engins résiduels de guerre. De nombreuses régions continuent de subir le lourd préjudice de la première et de la seconde guerre mondiale en découvrant quasi quotidiennement des obus dans leur sous-sol. Les maires sont les premiers à être sollicités pour déplacer, stocker en lieu sûr, et contacter les services compétents pour assurer la destruction de ces obus. Ainsi, il nous est permis d'observer de nombreux tas d'obus sur le bas-côté de la route dans les communes. Des maires s'engagent également à stocker, y compris dans la cour de leur habitation, ces obus afin d'assurer la sécurité sur la voie publique. Cette situation est la conséquence de l'absence de centre de stockage et de destruction, notamment, dans le département de la Somme. Les 11 et 12 juillet 1916, un million cinq cent mille obus ont été tirés en 36 heures dans la Somme. 10 % n'ont pas explosé ! Aujourd'hui, la seule solution qui est proposée aux maires est la destruction de ces obus sur le territoire de leurs communes, tout en convenant que la commune prenne en charge la dépense afférente. Cette situation appelle des réponses sur les dispositifs de stockage et de destruction de ces obus ainsi que sur la responsabilité des maires.