Séance du 11 juin 1998







M. le président. La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
M. Alain Gournac. Ah !
M. Paul Masson. Monsieur le ministre, vous vous êtes attaché, depuis un an, à régulariser les étrangers clandestins. C'est une longue marche, une marche plus longue que prévu !
Les dossiers devaient arriver au mois de novembre et, en mars, tout devait être terminé. Puis vous avez dit que ce serait en avril, voire à la fin du mois de mai. Et maintenant, monsieur le ministre, vous parlez, je crois, de la fin de l'été.
Un sénateur du RPR. Indien ! (Rires sur les travées du RPR.)
Un sénateur socialiste. Tout ce qui est humain nous intéresse !
M. Paul Masson. Cette procédure prend, il faut bien le reconnaître, des allures inattendues.
Vos services évaluaient à environ 30 000 le nombre des demandes de régularisation qui seraient déposées dans les préfectures. Il en vint six fois plus ! Et ce sont 180 000 dossiers qui ont été recensés dans les préfectures au mois de novembre.
Un sénateur du RPR. En fait, leur nombre augmente tous les jours !
M. Paul Masson. C'était, je crois, un appel d'air significatif.
Que sont devenus ces 180 000 dossiers ?
La commission d'enquête sénatoriale que j'ai eu l'honneur de présider a analysé ces données en détail. Et je crois que les conclusions auxquelles elle a abouti mardi ne sont contestables ni dans les chiffres, qui sont les vôtres, monsieur le ministre, ni dans les faits.
Mme Joëlle Dusseau. Mais si, monsieur Masson !
M. Paul Masson. 30 000 dossiers se sont évaporés !
Un sénateur du RPR. Comme par hasard !
M. Paul Masson. Leurs auteurs ne se sont jamais signalés et n'ont jamais répondu aux convocations des préfectures.
M. René-Pierre Signé. La question ?
M. Paul Masson. Environ 75 000 étrangers seront régularisés - c'est du moins ce que vous nous dites - parce qu'ils répondent aux critères que vous avez fixés.
Il en reste 70 000 qui ne seront pas régularisés parce qu'ils n'y ont pas droit. Il n'y ont pas droit du fait de votre loi, monsieur le ministre.
M. Marcel Debarge. Et avant !
M. Paul Masson. Ils ont cependant été tous reçus dans les préfectures. On connaît leur domicile, vrai ou faux. On connaît leurs titres, vrais, ou faux. Ils sont inscrits au fichier des étrangers. Bref, ils sont officiellement reconnus comme des clandestins. (Rires sur les travées du RPR.)
M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur Masson.
M. Paul Masson. C'est la première fois que les préfectures se livraient à ce travail.
M. Paul Raoult. C'est bien !
M. Claude Estier. Vous préfériez les vrais clandestins !
M. Paul Masson. Ma question, monsieur le ministre, est simple : qu'allez-vous faire de ces 70 000 irréguliers réguliers ?
Ceux-là, ils ne veulent pas de l'aide au retour, tout au moins pas, celle que vous leur proposez.
Ils n'ont aucun droit à rester en France. La seule voie légale qu'il vous appartient de mettre en oeuvre, c'est la reconduite à la frontière.
M. Jean Peyrafitte. C'est le préfet qui parle !
Un sénateur socialiste. La question ?
M. Paul Masson. Ma question est simple : allez-vous les refouler, monsieur le ministre ? Si oui, quand et comment ?
Allez-vous les garder, monsieur le ministre ?
M. Jean Peyrafitte. Et vous, qu'avez-vous fait ?
M. André Vezinhet. C'est Giscard d'Estaing qui les a fait venir par charters !
M. Paul Masson. A quel titre allez vous les garder ?
Ne faudrait-il pas, pour eux - c'est une suggestion que je vous livre - inventer un nouveau statut, celui de clandestins officiels ? (Applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. Paul Raoult. Dire des choses pareilles, c'est une honte !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous êtes un parlementaire averti.
M. René-Pierre Signé. Et un ancien préfet !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Comme président de la commission d'enquête sénatoriale, par ailleurs, vous avez reconnu que cette opération de régularisation - sur critères, je le rappelle - a été menée avec efficacité et dynamisme par l'ensemble des services concernés, avec dévouement et souci de bien faire dans les préfectures.
Vous devriez dès lors résister à la pente qui vous porte à la polémique et suivre le conseil d'André Gide : « Il faut toujours suivre sa pente, mais en la remontant. » (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Peyrafitte. Messieurs, écoutez au lieu d'invectiver ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je vais apporter quelques arguments et répondre aux questions.
Tout d'abord, je rappelle que les régularisations ont été opérées sur la base des critères posés par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Ainsi, 18 566 parents d'enfants nés en France, qui étaient, dans la législation précédente, irrégularisables et inexpulsables ont été régularisés. Il fallait le faire. (Vives exclamations sur les travées du RPR - Applaudissements sur les travées socialistes.)
Il y avait 14 317 étrangers en situation régulière et conjoints de Français - je pense toujours à eux par priorité - ou conjoints de réfugiés statutaires - ils étaient en petit nombre. Il n'était pas envisageable de les reconduire à la frontière. Il fallait les régulariser. C'est ce que nous avons fait.
Il y avait aussi plus de 10 000 jeunes étrangers et enfants mineurs nés en France ou ayant bénéficié du regroupement familial sur place. Il fallait les régulariser. (M. Alain Gournac proteste.)
Au total, 57 000 régularisations ont été opérées, 12 000 récépissés délivrés, 52 000 rejets prononcés et 19 000 dossiers qui n'ont pas été traités.
Il n'est pas exact, monsieur Masson, que la date fixée pour la fin des opérations était le mois de mars. La date fixée était le 30 avril. Mais j'ai en effet estimé qu'on pouvait se donner jusqu'au mois de mai compte tenu du retard dans la publication de la loi et de la non-parution de tous les décrets, du fait que le mois de mai comprend de nombreux jours fériés et que j'ai donné la consigne de recevoir personnellement chacun des demandeurs.
M. Dominique Braye. Répondez à la question !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je vais répondre, monsieur le sénateur.
J'ai envoyé hier une lettre de rappel à tous les préfets pour que les problèmes soient résolus.
Ensuite, les recours seront examinés et traités dans le courant de l'été.
Tout sera fait scrupuleusement afin que chaque cas puisse être traité individuellement. J'y tiens beaucoup.
Monsieur le sénateur, 30 000 dossiers se sont évaporés, dites-vous. Non !
En étudiant les 177 000 dossiers qui ont été déposés au 31 octobre, date limite pour formuler une demande, on s'est aperçu qu'il y avait de nombreuses doubles demandes. Et beaucoup n'ont pas répondu aux convocations.
De plus, près de 40 000 demandes ont été formulées dans les dernières semaines, souvent par des associations qui travaillaient à la chaîne et parfois pour des demandeurs habitant encore dans leur pays d'origine. Et ces personnes ne se sont pas présentées à la convocation.
M. Jean Chérioux. C'étaient de futurs clandestins !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Une deuxième convocation leur a été adressée à laquelle elles ne se sont pas non plus présentées. Elles ne figurent plus dans les registres. C'est tout à fait normal.
M. Dominique Braye. Et les 70 000 rejetés !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Permettez-moi de vous dire, monsieur Masson, qu'il n'y a pas de « clandestins officiels ». Cette expression est excessivement polémique et vous devriez la retirer.
Nous avons donc recensé non pas 177 000 mais 144 500 demandeurs qui sont l'héritage du gouvernement précédent. (Ah ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
Nous avons traité humainement ce problème sans pour autant nous départir de la fermeté qui convient pour l'application du droit au séjour.
J'ajoute...
M. le président. Brièvement, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je veux pouvoir répondre, monsieur le président !
J'ajoute que le Gouvernement précédent, dans l'application informatique relative aux étrangers en France, dite AGEDREF, connaissait déjà l'existence de plus de 50 000 étrangers...
M. Paul Masson. Ce n'est pas la question !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... qui se sont prévalus de la circulaire du 24 juin.
Donc ces fameux « clandestins officiels », ils existaient déjà au temps de MM. Charles Pasqua et Jean-Louis Debré. (Vives protestations sur les travées du RPR.) Il faut dire les choses telles qu'elles sont !
M. Dominique Braye. Que vont devenir les 70 000 étrangers dont les dossiers ont été rejetés !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Maintenant j'en viens à cette dernière question : que vont-ils devenir ? Ils ont vocation à être reconduits.
Ils reçoivent une première lettre les invitant à quitter le territoire. Un mois après, un arrêté leur est notifié par voie postale. On sait qu'ils y répondent très rarement, ce qui n'est pas nouveau. Ensuite, ils s'exposent non pas à des perquisitions à domicile qui ne peuvent se faire, comme vous le savez, que sur réquisition d'un juge, mais à être contrôlés sur la voie publique.
Il n'y a pas de raison d'établir différentes catégories. Tous ceux qui sont en situation irrégulière peuvent être contrôlés et reconduits.
Je peux cependant ajouter que 75 % des personnes qui sont contrôlées de cette manière repartent d'elles-mêmes. Les autres, qui font obstacle à leur reconduite, sont escortés et ramenées. (Vives exclamations sur les travées du RPR.)
Tout ce qui a pu être raconté est contraire à la réalité.
M. le président. Monsieur le ministre, veuillez conclure.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je ne veux pas évoquer toutes les allégations mensongères qui ont été propagées.
M. le président. Il y a six minutes que vous parlez, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je conclus, monsieur le président.
En même temps, d'autres procédures sont en cours d'élaboration, notamment à l'instigation de la délégation interministérielle au codéveloppement, pour qu'à l'occasion de stages de formation d'une durée limitée, d'aides au projet, un certain nombre de personnes soient incitées à retourner volontairement dans leur pays d'origine.
Les chiffres que vous avez cités concernant l'Office des migrations internationales ne sont pas exacts car, actuellement, cinq cents personnes ont demandé à bénéficier des dispositions de cet office.
Monsieur le sénateur, je souhaiterais que, sur ce sujet, vous vous exprimiez avec plus de modération ! (Protestations sur les travées du RPR.) En effet, ces polémiques sont nuisibles...
M. Jean Chérioux. Ce ne sont pas des polémiques !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... aussi bien aux étrangers qui vivent en France et qui sont quatre millions, beaucoup plus que les cinquante mille que vous évoquez et qui ne représentent que 1 % de ceux auxquels je pense.
M. Dominique Braye. Votez une loi et appliquez-la !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Ce sont ceux-là qu'il faut intégrer !
Ces polémiques sont également nuisibles à l'image de la France dans le monde tout comme le spectacle que nous donnons. Je pense que nous avons intérêt à conserver, avec les pays d'origine, des relations fondées sur l'amitié et l'estime réciproques. (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

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