Séance du 28 mai 1998
LUTTE CONTRE LE DOPAGE
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi (n° 416, 1997-1998) relatif à la
protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage. [Rapport n°
442 (1997-1998).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi que nous examinons aujourd'hui suscite trois interrogations essentielles
sur la forme et sur le fond : la première porte sur la nécessité de légiférer à
nouveau en matière de dopage ; la deuxième touche à la nature des dispositions
du projet de loi qui nous est présenté ; la troisième, enfin, concerne la
portée d'un tel texte dans un milieu aussi particulier que le sport, notamment
le sport de haut niveau.
La première loi tendant à lutter contre l'usage de stimulants à l'occasion des
compétitions sportives date de 1965. Elle a été peu appliquée, d'une part,
parce que le dopage avait été défini de manière trop restrictive et d'autre
part, parce que la procédure était uniquement judiciaire.
La lutte contre le dopage est actuellement régie par les dispositions de la
loi du 28 juin 1989 relative à la prévention et à la répression de l'usage de
produits dopants à l'occasion des compétitions et manifestations sportives.
Malgré certains progrès réels, elle rencontre elle aussi des difficultés
d'application liées à la lourdeur des procédures et à une répartition imprécise
des compétences entre l'administration et les fédérations sportives.
Ces deux exemples illustrent, à mon sens, le principal problème, qui est non
pas la loi en elle-même, mais son application sur un terrain mouvant où
cohabitent des intérêts éthiques, sportifs et financiers.
Certains spécialistes s'interrogent même sur la nécessité de légiférer sur le
dopage. Une loi peut-elle, à elle seule, contenir une dérive qui est à la fois
sportive, sociale, culturelle et financière ?
A mon sens, évidemment non. Mais elle peut constituer un premier pas, un
signal fort qui atteste de la prise en compte de ce fléau du sport moderne
qu'est le dopage.
Le dopage concerne en effet un nombre croissant de disciplines. Il touche
désormais tous les niveaux de pratique sportive et, malheureusement, des
sportifs de plus en plus jeunes. Il conduit surtout à l'usage de produits de
plus en plus dangereux qui menacent directement la santé publique.
Le législateur ne peut rester inactif face à un tel fléau, et je me réjouis,
madame le ministre, que vous ayez poursuivi l'action initiée par votre
prédécesseur.
Abordons maintenant les dispositions du projet de loi.
Je ne reviendrai pas sur la présentation faite par notre rapporteur, dont je
tiens à saluer l'excellent travail.
Il a très bien distingué, d'une part, les dispositions relatives à la santé
des sportifs et à la prévention du dopage, qui procèdent essentiellement d'un «
exercice de réécriture » de la loi de 1989 et, d'autre part, les aspects
véritablement innovants, comme la création du conseil de prévention et de lutte
contre le dopage et le renforcement des moyens de lutte contre les pourvoyeurs
de produits dopants.
Il s'est enfin interrogé, et je le comprends ! sur le sort réservé à la loi de
1989, qui est maintenue « à titre résiduel » pour le seul dopage des animaux
participant aux compétitions sportives. Notre pays souffre d'une telle
inflation législative que nous pouvons nous demander s'il ne vaudrait pas mieux
supprimer purement et simplement cette loi.
Je souhaiterais surtout insister sur la nécessité d'un texte clair, ferme et
sans ambiguïté, que ce soit à l'égard des fédérations ou des sportifs
eux-mêmes, dans l'intérêt de ces derniers comme dans l'intérêt général de la
société.
Certains sportifs qu'il faut bien qualifier de tricheurs, certains entraîneurs
peu scrupuleux, voire certaines fédérations jouent sur les mots, en marge des
règlements et de la loi.
Nous devons donc faire preuve de fermeté et de clarté afin d'éviter que la loi
ne soit, une fois de plus, contournée.
Laisser subsister le doute, c'est ouvrir une brèche. Rester vague, c'est
encourager le dopage. C'est pourquoi j'ai particulièrement insisté en
commission pour que le texte et les amendements que nous vous soumettons soient
clairs, sans ambiguïté.
Cela est particulièrement valable pour le conseil de prévention et de lutte
contre le dopage, qui doit adresser des recommandations aux fédérations
sportives et utiliser ses pouvoirs de sanction et non pas seulement « pouvoir »
le faire éventuellement.
De même, la commission a adopté plusieurs amendements qui vont dans le bon
sens, c'est-à-dire celui d'une plus grande fermeté.
Je citerai, par exemple, la définition des modalités du suivi médical des
sportifs de haut niveau, qui ne doit pas être confiée aux seules fédérations
sportives, ou encore l'extension des compétences et des pouvoirs de sanction du
conseil de prévention et de lutte contre le dopage.
Mes chers collègues, après avoir amélioré et adopté ce projet de loi, en
aurons-nous fini avec le dopage, aurons-nous définitivement garanti la santé
des sportifs ? Rien n'est moins sûr.
Permettez-moi de formuler six réflexions qui sont autant de mises en
perspective.
La première concerne la surveillance médicale des sportifs. Le projet de loi
limite le livret de santé individuel aux seuls sportifs de haut niveau. Je me
demande sincèrement si nous ne devrions pas l'étendre à tous les licenciés,
notamment aux enfants, dès qu'ils adhèrent à une discipline sportive impliquant
une licence et une appartenance à une fédération. Le dopage et, plus
généralement, les complications médicales touchent désormais tous les sportifs,
quel que soit leur niveau, quel que soit leur âge.
Ma deuxième réflexion porte sur les controverses relatives à la fiabilité des
contrôles et à la définition des produits interdits. Madame le ministre, nous
avons déjà eu l'occasion d'en parler lors de votre audition devant la
commission ; permettez-moi d'insister encore. Je considère, en effet, que
l'Etat ne doit pas éluder le problème, qu'il s'agisse de la nandralone ou du
cannabis, en se défaussant sur le conseil de prévention et de lutte contre le
dopage.
A cet égard, je me félicite que la commission ait décidé de réintroduire dans
le projet de loi la définition des substances et procédés dopants, afin que
celle-ci ne se réfère pas uniquement à la liste du Comité international
olympique.
Je m'interroge, en troisième lieu, sur le télescopage de plus en plus fréquent
entre la justice sportive et celle qui est rendue par l'ensemble des
juridictions.
Les sportifs sanctionnés pour dopage par leur fédération ont maintenant pris
l'habitude de multiplier les procédures d'appel.
Ce phénomène, qui rappelle ce qui s'est passé dans un autre domaine avec
l'arrêt Bosman, ne touche pas seulement la France. En Grande-Bretagne, une
athlète vient ainsi de saisir la Chambre des lords, plus haute juridiction
d'appel du pays.
La lutte antidopage menace de sombrer dans les méandres du juridisme, au
risque de perdre sa clarté, donc son efficacité. On peut alors se demander si
le sport doit encore bénéficier d'une sorte de « justice d'exception ».
Cette réflexion en amène immédiatement une autre sur le pouvoir laissé aux
fédérations sportives en matière de lutte contre le dopage. Ce qui se passe
actuellement ne fait que renforcer mon scepticisme, voire mon inquiétude. En
effet, pour les mêmes faits, les sanctions varient d'une fédération à l'autre.
Les contrôles sont plus ou moins fréquents, plus ou moins rigoureux.
Je comprends la volonté de laisser les fédérations sportives agir librement.
Mais ne devient-il pas nécessaire de donner à l'Etat ou au conseil de
prévention et de lutte contre le dopage, des pouvoirs qui aillent au-delà des
simples recommandations et touchent directement à l'organisation des contrôles
et aux sanctions, partout, quelle que soit la fédération ou la compétition ?
Au nom d'une certaine idée de la justice, on pourrait alors envisager une
véritable politique judiciaire en matière sportive et mettre fin à ce que je me
permettrai d'appeler des privilèges de fédération.
Ma cinquième réflexion concerne la portée d'un projet de loi qui n'aborde pas
tous les aspects de la lutte contre le dopage. Madame le ministre, vous avez
fait le choix de dissocier ce projet de loi de la grande réforme que vous nous
annoncez pour l'automne. Je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne idée,
tant les deux sont liés. Ce n'est pas pour autant que je conteste l'urgence des
mesures à prendre, bien au contraire.
Cependant, la lutte contre le dopage passe par une réforme de l'organisation
même du sport. Lutter sérieusement contre ce fléau suppose par exemple d'en
finir avec les calendriers sportifs surchargés, qui entraînent des
récupérations difficiles, la course au cachet, la recherche de la victoire à
tout prix et la relative faiblesse de l'encadrement et de la médecine sportive,
autant de facteurs qui font le lit du dopage, sans oublier l'argent, dont il
faut bien parler.
La lutte contre le dopage révèle les contradictions d'un monde sportif où
dominent aujourd'hui des fédérations et des sponsors surpuissants, ainsi qu'une
logique économique qui tend parfois à supplanter l'éthique sportive.
Ma dernière réflexion porte sur la nécessité de dépasser le simple cadre
national.
Il est indispensable d'engager - vous avez déjà commencé, madame le ministre ;
vous l'avez annoncé ce matin - des négociations avec nos partenaires européens
afin d'harmoniser les dispositions en matière de lutte contre le dopage. A
défaut, nous risquerions de défavoriser nos athlètes, toutes disciplines
confondues, face à des concurrents étrangers qui ne seraient pas soumis aux
mêmes contraintes.
Madame le ministre, mes chers collègues, nous ne pourrons pas faire l'économie
de ce débat essentiel.
Nous abordons pour l'heure l'un des aspects du problème. Ce n'est pas le seul
; il s'agit néanmoins d'un pas important sur la longue route qui mène à
l'éradication totale du dopage.
Dans ces conditions, le groupe des Républicains et Indépendants votera le
projet de loi tel qu'il résultera des travaux de notre assemblée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Madame le ministre, comme vous l'avez dit ce matin, nous sommes tous animés de
la volonté de protéger la santé des sportifs et de voir évoluer ceux-ci dans
les meilleures conditions sanitaires possibles.
Le projet de loi que vous nous soumettez met en place un dispositif de
prévention et de lutte plus complet et plus efficace afin de répondre au double
problème de santé et de tricherie que pose le dopage.
Votre intention, bien évidemment, est plus que louable. En effet, les
dernières affaires de dopage n'ont pas manqué de mettre en évidence bien des
insuffisances dans la législation. Elles ont aussi souligné les défauts de
compétences des uns et des autres en matière d'administration et de vie
sportive.
La nécessité de réformer la loi de 1989 relative à la prévention et, à la
répression de l'usage des produits dopants à l'occasion des compétitions et des
manifestations sportives s'impose.
Ce matin, vous avez développé trois objectifs et à propos des deux premiers,
relatifs à la santé publique et à la nécessité de s'attaquer aux pourvoyeurs de
drogue, à tout cet environnement néfaste du sport qu'il soit local ou de haut
niveau, je m'attacherai à la procédure administrative.
Cette procédure administrative repose aujourd'hui essentiellement sur la
création du conseil de prévention et de lutte contre le dopage, autorité
administrative indispensable, qui doit être indépendante et qui constitue une
grande avancée par rapport à la commission, dont vous avez dénoncé les
insuffisances dans votre propos liminaire, en parlant d'imprécisions quant aux
compétences, de prérogatives limitées, etc.
Pour ma part, devant tous les problèmes qui se posent et qui ont été révélés
par les dernières affaires, je crois indispensable de redonner une crédibilité
et une fiabilité au système. Nous y parviendrons grâce à la création d'une
autorité administrative indépendante, certes, mais aussi et surtout
responsable.
Aujourd'hui, c'est au ministère que revient l'initiative et la conduite de
toutes les opérations de contrôle et d'examens.
Dans le cadre de leur mission de service public, les fédérations sont chargées
de la promotion du sport, de la formation, de la prévention, mais la plus
grande ambiguïté demeure en ce qui concerne l'exercice de leur pouvoir
disciplinaire.
En effet, leur dimension de service public a été acquise dans les années
passées, quand le problème du dopage n'était pas aussi prégnant qu'aujourd'hui.
Les fédérations organisaient la pratique du sport, du sport associatif, du
sport à l'école ou de la compétition, que celle-ci soit de niveau départemental
ou de haut niveau. Exercer ces prérogatives était à la portée des fédérations,
on l'a vu ces dernières années, qu'il s'agisse d'établir les calendriers,
d'éviter la surcharge des compétitions ou de prendre des mesures disciplinaires
d'ordre sportif. Cela ne posait pas de problème.
En revanche, on sent bien aujourd'hui qu'elles n'ont ni les moyens ni les
compétences nécessaires pour prendre des sanctions en matière de dopage.
Et pourtant, madame le ministre, vous cantonnez l'action du conseil de
prévention et de lutte contre le dopage à des missions de recommandation, de
consultation et de proposition. Je reprendrai quelques verbes par lesquels
votre texte définit les prérogatives de ce conseil : il « dispose », il «
veille », il « peut prononcer », il « est consulté », il « propose ».
Je crois que nous retombons dans les errements qui marquèrent l'action de la
précédente commission. Pour que le nouveau conseil trouve sa crédibilité, il
est indispensable, je le disais tout à l'heure, qu'il soit responsable de toute
la procédure : de son déclenchement, du prélèvement et de l'instruction du
dossier. Il faut également - c'est sur ce point-là que je voudrais insister -
qu'il soit compétent en matière de sanctions, car, son indépendance et sa
compétence l'autorisent à assumer cette responsabilité.
En effet, pour assurer cette indépendance et cette compétence, le projet de
loi fait appel à trois composantes : une composante médicale, une composante
sportive et une composante administrative. A la condition que celles-ci soient,
et je n'en doute pas, incarnées par des hommes compétents, responsables,
disponibles, nous pourrons considérer qu'il s'agit d'une avancée méritoire.
Je reste cependant sceptique car pour être crédible, il faut être efficace,
rapide et sûr, ce qui implique une méthode irréfutable ne laissant aucune place
aux contestations telles que celles qui s'élèvent aujourd'hui.
Sur ce point, le conseil que vous prévoyez de mettre en place peut donner des
garanties que les fédérations n'ont pas la possibilité d'assurer.
J'ai écouté les réserves émises par l'orateur qui m'a précédé quant à la
possibilité pour les fédérations d'harmoniser, de graduer les sanctions en
fonction de l'importance des fautes. Je ne crois pas non plus qu'elles puissent
le faire.
Le conseil, en revanche, pour les raisons que j'ai déjà données, en aurait,
lui, les moyens, ce qui permettrait d'assurer une véritable justice en termes
de sanctions.
Les fédérations, vous le savez comme moi, sont représentatives de la grande
diversité du mouvement sportif : certaines sont très importantes, regroupant
beaucoup plus de pratiquants que d'autres.
Or, il faut aussi songer à éviter la grave injustice qui pourrait résulter
d'une incapacité pour les sportifs à faire valoir leur point de vue ; c'est
toute la question des procédures et de la méthodologie. A cet égard, la
situation n'est évidemment pas la même d'une discipline à une autre, car les
moyens des fédérations sont très disparates.
Peut-on imaginer que toutes les fédérations, tous les clubs auront les moyens
de mobiliser les centaines de milliers de francs nécessaires pour permettre à
un athlète de se défendre dans le cadre d'une procédure ?
Si, Dieu soit loué, certains athlètes ont pu se défendre, c'est parce qu'ils
avaient un club puissant derrière eux.
Ces injustices, la réforme que vous voulez mettre en oeuvre, madame le
ministre, ne saurait les laisser perdurer.
Au regard de la méthodologie, la possibilité, pour le conseil de prévention et
de lutte contre le dopage, de consulter, en amont, un conseil scientifique est
intéressante. Mais cela suppose que ce conseil scientifique mène un important
travail de recherche, ce qui coûte cher. Car il faut avoir une connaissance
exhaustive des produits dopants, et il en apparaît sans cesse de nouveaux. Il
en existera demain dont on ne soupçonne même pas l'existence aujourd'hui ! En
aval, c'est le problème des laboratoires d'analyses.
La multiplication des prélèvements et des contrôles ainsi que la
sophistication des moyens techniques mis en oeuvre ont permis de découvrir des
cas positifs en plus grand nombre. Or cette sophistication coûte, elle aussi,
très cher.
On peut supposer que, grâce à un effort financier, à l'occasion de la Coupe du
monde de football, le laboratoire qui avait été relancé lors des jeux
Olympiques d'Albertville pourra de nouveaux être modernisé. C'est la condition
de sa fiabilité. Cela passe par une amélioration de ses équipements, par
l'actualisation des connaissances de ses personnels, ainsi que par une pratique
quotidienne soutenue.
A cet égard, il faut se féliciter que la Coupe du monde fournisse l'occasion
de pratiquer 200 ou 300 prélèvements supplémentaires. Mais, ce nombre reste
dérisoire au regard de l'importance d'un tel équipement. J'espère qu'il y aura
d'autres opportunités pour qu'il puisse acquérir une crédibilité supplémentaire
en la matière.
Par ailleurs, pour préserver le droit à la défense d'un sportif,
l'appréciation de la présence d'une substance interdite doit pouvoir faire
l'objet d'un recours. Dès lors, un seul laboratoire me semble insuffisant. Vous
le savez bien, l'étalonnage pratiqué sera toujours contesté par les défenseurs
du sportif incriminé ; c'est dans la logique des choses.
De grâce, donnons-nous les moyens, notamment financiers, de proposer une
méthodoligie irréfutable ! C'est à cette condition que pourra être réalisée une
avancée dans la lutte contre le dopage.
Le nouveau conseil peut être le chef d'orchestre de cette méthodoligie, mais
les délais d'exécution doivent être impératifs. Dès l'instant que la positivité
aura été constatée, une commission juridique devra intervenir et un
représentant de la fédération concernée devra s'expliquer devant elle. En
effet, contrairement à ce qui a été dit ce matin, il n'est pas pensable
d'exclure le mouvement sportif de la procédure telle que je l'imagine. La
réussite n'est envisageable que si, à côté de ce conseil de prévention
indépendant et responsable, le mouvement sportif et le ministère sont
associés.
Grâce au Minitel, j'ai pu prendre connaissance de ce qui se faisait dans
d'autres pays. Ainsi, le Canada, un pays traumatisé - souvenez-vous des jeux
Olympiques de Séoul - par le cas d'un athlète qui était une véritable figure
emblématique, a mis en place un organisme national à but non lucratif qui se
consacre à la réalisation d'un système sportif juste et moral, par la promotion
d'un sport sans drogue, de l'équité de l'esprit sportif, de la sécurité et de
la non-violence.
Mais le plus intéressant au regard de ce qui nous occupe aujourd'hui, c'est
que ce centre canadien gère tous les aspects du contrôle du dopage chez les
athlètes, depuis le prélèvement des échantillons jusqu'à la protection des
droits des athlètes, tout en collaborant étroitement avec les organismes
sportifs, les athlètes et les entraîneurs, afin de promouvoir et de renforcer
la valeurs positives et les expériences enrichissantes du sport.
Voilà donc un organisme qui gère le problème de A à Z. C'est la voie que je
vous propose de suivre, madame le ministre, étant entendu qu'il faut laisser à
chaque athlète la possibilité de se défendre et d'avoir un recours, tant sur le
plan scientifique que sur le plan juridique.
Le conseil pourrait être ce premier recours en cas de positivité ou de
suspicion. Il pourrait, dans les délais prévus, s'adjoindre alors un
représentant de la fédération de l'athlète concerné.
Le deuxième recours, c'est la Cour de cassation et le Conseil d'Etat.
Voilà, madame le ministre, un système qui serait plus cohérent et qui,
surtout, serait à l'abri des dérives que vous avez vous-même dénoncées. Il faut
que le conseil soit pourvu d'une autorité indiscutable, liée à sa
responsabilité, auprès du milieu sportif.
Le titre Ier du projet de loi, relatif à la surveillance médicale des
sportifs, consiste, pour une large part, en une réécriture de la loi de 1989.
La grande nouveauté, c'est l'examen de santé plus poussé avant l'obtention
d'une première licence sportive.
Nous avons créé le carnet de santé, et je suis tout à fait d'accord pour qu'y
soient consignées toutes les observations médicales liées à la vie de
l'athlète, qu'il s'agisse d'un sportif de haut niveau ou simple pratiquant de
club.
A l'article 4, je lis : « Les fédérations sportives veillent à la santé des
licenciés ». C'est louable, mais c'est un voeu pieux. Il est déjà bien
difficile, vous le savez, de veiller à la bonne santé des Français, malgré tous
les moyens mis en oeuvre !
Autrement dit, la mission assignée est disproportionnée par rapport aux moyens
dont disposent les fédérations.
Madame le ministre, je suis convaincu que ce texte marque une forte avancée,
mais on en perçoit déjà aujourd'hui toutes les limites. Le mal qui affecte le
monde sportif - compétition à outrance, dérives financières - frappe en vérité
toute la société actuelle.
Je ne veux pas croire, néanmoins, que ce nouveau conseil est voué à l'échec.
J'espère même le contraire. Mais il ne faut surtout pas que ce projet de loi ne
soit qu'un nouveau texte transitoire.
Par ailleurs, toutes les recherches qui doivent être menées, ainsi que les
moyens très sophistiqués qu'il faut mettre en oeuvre, supposent que beaucoup
d'argent soit mobilisé. Etes-vous décidée, madame le ministre, à faire en sorte
que votre engagement financier soit à la hauteur de votre engagement politique
? Je l'espère, car la réussite en dépend.
Du fait des affaires, les fédérations, qui sont composées de beaucoup de
bénévoles, risquent d'éclater. Demain, elles seront désavouées par le conseil
que vous nous proposez de créer. Avec l'intention louable d'harmoniser la
gradation des sanctions, vous risquez de provoquer l'éclatement de ce monde
fédéral dont nous avons besoin.
Notre voeu commun est de voir évoluer un monde sportif en bonne santé, qui
reste un exemple pour notre pays et pour notre jeunesse. Car, ce que nous
voulons, c'est une jeunesse qui gagne !
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Egu.
M. André Egu.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, chaque époque
a façonné ses athlètes selon ses besoins. Aux jeux Olympiques de la première
moitié du XXe siècle, des sportifs fluets, encore amateurs, mais plein
d'enthousiasme, s'échauffaient et couraient sur les pistes. Les champions
d'Atlanta n'ont plus rien en commun avec eux.
Comment, en effet, comparer un Jesse Owens avec un Linford Christie ?
L'évolution morphologique de ces nouveaux dieux du stade est surtout le
résultat d'une action volontaire sur le corps, notamment par le surentraînement
et le dopage.
Le besoin de se surpasser n'est pas innocent. Le corps sportif, outil
d'idéologies qui ont fait énormément de mal dans le passé, est le miroir d'une
époque, d'un contexte social. Si la morphologie des athlètes n'est pas la même
aujourd'hui qu'en 1930 ou en 1970, ce n'est pas un hasard.
L'histoire de l'olympisme le montre et, en ce domaine, l'hypocrisie domine.
Les appels à l'esprit sportif lancés par le CIO, les campagnes de prévention
contre le dopage, les contrôles ont toujours eu une olympiade de retard sur les
tricheurs.
Anabolisants et amphétamines sont aujourd'hui remplacés, dans la pharmacie des
champions, par de nouveaux produits, souvent indétectables. On a rarement vu,
parmi les sprinters, autant de mâchoires étrangement proéminentes, séquelle
classique de l'absorption d'hormones de croissance. Et, jusqu'à preuve du
contraire, la musculation ne transforme pas les maxillaires !
L'hypocrisie règne en maître dans un domaine où seuls les records attirent les
sponsors, le public et la télévision.
Au début de l'année, après une série de contrôles effectués sur de nombreux
athlètes français, la rédaction de
L'Equipe
, dans un billet au vitriol,
faisait part de son écoeurement face au fléau du dopage, qui pervertit
gravement l'esprit du sport et, pire, met la vie de milliers d'athlètes en
danger. Elle résumait l'opinion d'un grand nombre de nos compatriotes : « Notre
motif d'écoeurement est dans ces records bidons, ces bilans tronqués et ces
exploits de pharmacie. »
Cet écoeurement ne date pas d'hier. On se souvient de la démission du
professeur Jean-Paul Escande, patron de la lutte antidopage, clamant haut et
fort que « les contrôles ne servent à rien » et que « tous les dopés savent
comment ne pas se faire prendre ». Aujourd'hui, sept substances restent
totalement indétectables, dont deux sont particulièrement prisées par les
champions : l'EPO, une hormone qui améliore l'endurance, et l'hormone de
croissance, véritable engrais à muscles. Produites par le corps, leur taux
varie de 1 à 1 000 selon les individus et il est impossible d'établir un seuil
à partir duquel on peut parler d'apport extérieur. Alors pourquoi les athlètes
s'en priveraients-ils ?
Dans cette lutte contre le dopage, le Comité international olympique, le CIO,
ne s'est pas donné les moyens - mais les a-t-il ? - de ses ambitions. Le cas
Johnson fait figure d'alibi. En réalité, si Ben Johnson n'avait pas commis
l'erreur de prendre du stannozolol vingt-quatre heures avant l'épreuve, il
serait encore sur les pistes. Avant les jeux Olympiques de Séoul, il avait subi
plus de vingt contrôles, tous négatifs. D'ailleurs, si le CIO était allé
jusqu'au bout de sa logique, il aurait disqualifié d'autres athlètes, chez qui
des traces d'éphédrine avaient été décelées.
Venons-en au projet de loi que vous nous proposez, madame le ministre, qui
tend à renforcer la lutte contre le dopage. Incontestablement, il va plus loin
que le texte de 1989. Nous en approuvons les principales orientations.
J'estime que la prévention est l'un des éléments indispensables du combat
contre un fléau qui détruit petit à petit et l'esprit du sport et les
athlètes.
Les sanctions prévues à l'encontre des consommateurs de produits dopants comme
à l'encontre des pourvoyeurs vont dans le bon sens. Enfin, il me paraît
nécessaire de développer encore les contrôles inopinés.
Pour autant, je partage la position de M. le rapporteur. La prévention du
dopage comme l'organisation de la surveillance médicale n'exigent pas
l'intervention de nouvelles mesures législatives.
Pour lutter efficacement contre le dopage, il faut d'abord des moyens
financiers permettant de développer les actions de prévention, notamment auprès
des jeunes. Il faut aussi renforcer les contrôles et encourager la recherche
dans le domaine de la médecine du sport.
La lutte contre le dopage, c'est vrai, exige de la souplesse. La plupart du
temps, elle bute sur la disparité des lois et règlements en vigueur dans le
monde et sur les limites des contrôles, du fait de l'évolution très rapide des
substances et du manque d'éthique de l'environnement sportif, attaché aux
résultats.
La charte européenne adoptée par le Conseil des ministres en septembre 1984
était un premier pas dans l'organisation commune aux Etats membres de la lutte
contre le dopage. Aujourd'hui, le sport a besoin d'une charte
internationale.
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
C'est sûr !
M. André Egu.
En 1960, aux jeux Olympiques de Rome, un cycliste a succombé, victime des
suites de l'absorption d'amphétamines. Cette date a marqué le début d'une prise
de conscience, le CIO décidant de prendre fermement position contre une
tendance qui se répandait partout dans le monde : gagner à tout prix. Or,
depuis, si la mort d'un sportif indigne encore, elle ne surprend plus, ce qui
est grave. En quarante ans, on a laissé les drogues gangrener le sport.
L'argent et la notoriété ont été les meilleurs alliés du dopage.
Il est grand temps, mes chers collègues, de retrouver le véritable esprit du
sport, celui que défendait le baron Pierre de Coubertin. Si j'approuve votre
initiative, qui va dans le bon sens, madame le ministre, je partage également
les réserves de notre rapporteur et celles des orateurs qui se sont exprimés
avant moi. C'est pourquoi mes collègues du groupe de l'Union centriste et
moi-même voterons ce projet de loi tel qu'il aura été amendé par la commission
des affaires culturelles.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, durant
plusieurs semaines, la France va être le siège de deux événements considérables
mettant en scène les deux sports les plus populaires de la planète, le football
et le tennis. Le tournoi de Roland-Garros a en quelque sort ouvert le bal,
lundi dernier, et, dans la foulée, le 10 juin, au Stade de France, seront
frappés les trois coups de la plus grande fête sportive de cette fin de siècle,
attendue sur les cinq continents.
Triomphe de la planète multicolore, spectacle incomparable, source
d'enthousiasme, d'investissement humain, de communication universelle, un
phénomène unique de société va, à partir de Saint-Denis, Paris, Marseille,
Lens, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lyon et Saint-Etienne, embraser
la Terre jusqu'au 12 juillet.
La passion, on le sait, ne se décrète pas, elle se vit. Et le football plus
que tout autre événement nourrit les passions comme il unit les êtres humains.
« Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations
des hommes, c'est au football que je le dois. » Même teintée d'un certain
angélisme d'auteur, cette formule d'Albert Camus ne conserve-t-elle pas sa part
de vérité, surtout quand nous agissons pour empêcher le dévoiement de ce grand
dessein, évoqué par l'écrivain ?
J'en suis convaincue, nous mesurons tous dans cet hémicycle la responsabilité
de la France, de ses habitants et de ses autorités ; nous mesurons l'engagement
qui est le vôtre, madame la ministre, avec le Gouvernement tout entier pour que
réussisse cette grande aventure qui fera vibrer en direct de notre pays des
milliards de téléspectateurs du monde entier - cinquante-trois milliards,
excusez du peu !
Il ne s'agit pas pour moi de succomber à une vision idyllique et irréaliste,
car, nous le savons, les postes de télévision illumineront aussi des quotidiens
parfois insupportables.
De même, cette grande fête recèle des aspects commerciaux et médiatiques que
l'on peut trouver exaspérants et des dimensions contradictoires. Certaines
s'avèrent d'ailleurs être à l'origine de fléaux et de maux comme le dopage que
nous nous devons de combattre, ce à quoi nous invite le texte de loi que vous
nous présentez aujourd'hui, madame la ministre.
En même temps qu'il est fidèle à une grande tradition d'organisateur de
compétitions de haut niveau, avec le concours et l'engagement enthousiaste du
mouvement sportif et de nombreux jeunes qui nous démontrent chaque fois leur
esprit de solidarité et leur soif de s'investir, notre pays est riche aussi de
la dynamique engendrée par des millions de sportifs qui irriguent le vaste
champ du sport.
Chaque fin de semaine, sportives et sportifs, qu'ils soient de haut niveau ou
qu'ils appartiennent au plus modeste club de la commune, qu'ils soient de
simples anonymes pratiquant un sport pour leur plaisir, leur bien-être, leur
hygiène de vie, leur santé ou par goût de la convivialité, qu'ils soient
dirigeants et animateurs bénévoles de dizaine de milliers de clubs ou
associations, dont le rôle est irremplaçable, tous se consacrent à cette grande
activité d'émancipation humaine qu'est le sport.
Avec désintéressement, dévouement, persévérance, dans une forme d'engagement
citoyen, ils participent dans un même élan à leur épanouissement personnel
comme au développement social et culturel de la société.
Avec la réussite scolaire, n'est-ce pas aussi le meilleur moyen de lutter
contre la violence, elle qui nous préoccupe tant aujourd'hui ? Oui, le sport
est un tout. Le sport, ce sont les champions d'exception, ce sont les équipes
phares qui font la une des médias, ce sont ces centaines de milliers de femmes
et d'hommes qui participent à un marathon une fois par an. Le sport, ce sont
aussi les millions de femmes, d'hommes et d'enfants qui tous se rassemblent
pour devenir les acteurs de la cohésion, de la solidarité, de l'abnégation, du
dépassement de soi, du respect de l'autre, de la construction de liens sociaux,
de la coopération, de la paix. C'est dire, et le cas est rare pour une activité
humaine, si le sport atteint à l'universalité et constitue un langage
indispensable en même temps qu'un vecteur essentiel des valeurs humaines les
plus fondamentales et donc vitales.
C'est parce que le sport est tout à la fois symbole de pureté, de santé,
d'équité que toute entorse, tricherie ou transgression à ses règles est
ressentie avec une acuité toute particulière. Le sport, par essence, ne saurait
être entaché de la moindre trahison. Et l'on comprend cette émotion et cette
déception légitimes que nous ressentons tous, avec nos concitoyens, devant des
cas de dopage, car nous avons tous au coeur l'exigence d'un sport propre. Vous
l'avez rappelé dans votre propos liminaire, madame la ministre, 96 % des
Français préféreraient que nos sportifs nationaux aient de moins bons
résultats, moins de médailles, si la victoire sur le dopage en dépendait, ce
qui ne veut pas dire que les Français n'attachent pas une grande importance aux
performances.
C'est pourquoi aussi il faudra oeuvrer à une harmonisation entre tous les
pays.
Cette volonté, vous l'avez, madame la ministre, votre action depuis votre
entrée en fonction le prouve. Aujourd'hui, il s'agit de traduire en actes de
prévention, d'éducation, de protection mais aussi en prise de sanctions fermes
dans le strict respect des droits des sportifs, la nécessaire évolution
législative qu'appelle l'aggravation insupportable du phénomène et les
atteintes corrélatives qu'il permet à la santé des hommes et à l'éthique du
sport.
Le dopage, s'il n'est pas éliminé le plus rapidement possible, s'étendra
toujours plus. Loin de moi l'idée de céder au catastrophisme. Je veux
simplement traduire l'inquiétude des sénateurs du groupe communiste républicain
et citoyen et celle de nombreux élus locaux qui, maires ou conseillers
généraux, font beaucoup pour que vivent les clubs sportifs. Le Sénat, Grand
conseil des communes de France, le sait bien. Pour prendre l'exemple d'un
département qui m'est cher, chaque année, plus de 100 000 jeunes participent
aux jeux du Val-de-Marne, des jeunes des collèges, des écoles primaires et même
des écoles maternelles, et d'autres encore.
Sur le terrain, nous entendons de plus en plus évoquer des cas de recours à
des produits pour obtenir coûte que coûte, et donc artificiellement, une
performance ou un résultat, ce qui bafoue la dimension naturelle et première du
sport, met en cause la santé des sportifs et s'inscrit dans une démarche de
déloyauté manifeste.
J'ai invité tous les responsables sportifs et les élus de ma commune pour les
consulter sur ce texte, comme je le fais régulièrement. Je peux vous dire
qu'ils y sont particulièrement sensibles, à l'instar de tout le mouvement
sportif du Comité national olympique et sportif français, car ils refusent que
l'image du sport puisse être ternie par toutes ces affaires de dopage et
estiment que, effectivement, il faut agir vite et fort.
Bien entendu, si fondées et justifiées soient-elles, les dispositions
législatives nouvelles qu'il nous faut introduire sans attendre ne sauraient à
elles seules régler le problème du dopage. Les sportifs de Choisy-le-Roi
partagent ce point de vue : plus il y aura d'actions d'éducation et de
prévention, moins il y aura besoin de recourir à des sanctions.
Si ce texte ne constitue aujourd'hui qu'une condition nécessaire, il deviendra
suffisant demain, dès lors qu'une action concomitante portant sur les causes
profondes du phénomène du dopage aura été menée. Telle est d'ailleurs votre
approche, madame la ministre, et vous l'avez rappelé dans votre intervention
liminaire, puisque vous avez engagé une concertation étroite et approfondie
avec tous les partenaires, parmi lesquels les députés et les sénateurs, en vue
d'aboutir prochainement à la présentation d'un projet de loi sur le sport
tendant à réviser la loi de 1984 et à définir et à mieux affirmer la
responsabilité publique dans ce domaine.
Ce texte, qui devra prendre en compte les évolutions sociales, économiques,
technologiques et juridiques structurant l'environnement du sport, aura
vocation à compléter les dispositions que nous adopterons aujourd'hui. C'est
donc dans cette optique qu'il convient d'aborder notre discussion.
Comme je l'ai dit au début de mon propos, le sport est un véritable miroir des
contradictions qui traversent notre société. Le sport n'est pas intrinsèquement
porteur de vertus, il est soumis à des boulervesements considérables qui
peuvent faire plier les valeurs humanistes et citoyennes dont il est porteur.
Cela peut pousser l'athlète à une véritable rupture physiologique le plaçant
rapidement en situation d'insécurité et de danger.
Le bouleversement principal tient à la « mercantilisation » radicale du projet
sportif, à son pilotage par l'argent qu'accompagne et stimule l'intérêt sans
précédent des médias. Dès lors qu'il devient, avant toute autre approche - et
c'est, selon moi, une vision qui le rétrécit, qui le déprécie - un enjeu
strictement économique, un moyen de conquête de marchés et de profits
financiers, le sport devient à haut risque pour l'athlète et pourrait se
dénaturer progressivement.
C'est alors l'explosion des pressions liées à la succession effrenée des
compétitions, la recherche du résultat à tout prix, les sollicitations
incessantes des médias et des sponsors qui risquent de prendre le pas sur ce
qui optimise les talents et les qualités personnelles de l'athlète, sur son
équilibre, la régularité de son entraînement, le respect des délais de
récupérations physiques et psychiques, la préservation des rythmes de sa vie
personnelle, comme celle de son club d'ailleurs.
C'est alors qu'intervient le risque de dysfonctionnement et d'abondon de la
règle pour l'athlète, risque qui, le cas échéant, est accru par la présence
d'un entourage douteux et toujours prompt à s'emparer d'une nouvelle molécule
dopante pour la diffuser chez ceux qui ne sont plus considérés que comme des
produits sources de gains élevés, en lieu et place de compétiteurs loyaux.
Il est donc bel et bien urgent et nécessaire de fixer, comme vous le proposez,
madame la ministre, strictement la règle du jeu que veut aujourd'hui notre
société en la matière, car il y a bien une spécificité dans le sport, le dopage
n'existant pas en dehors de celui-ci. Bien entendu, tout cela demande des
moyens : les crédits envisagés seront-ils suffisants ? Nous souhaitons que
ceux-ci soient inscrits dans un prochain budget de la jeunesse et du sport qui
traduise véritablement la politique ambitieuse que, avec vous, madame la
ministre, nous voulons voir menée par notre pays et qui doit être marquée par
un accroissement enfin significatif des moyens budgétaires.
Vos propositions sont empreintes de préoccupations fondées sur l'éducation et
la prévention, la santé du sportif, le respect de ses droits fondamentaux, en
matière de présomption d'innocence, de recours, de sanction. Elles sont aussi
fondées sur la responsabilité des fédérations sportives, point sur lequel nous
insistons, et sur l'arbitrage et la régulation par une autorité indépendante.
La résultante de ces principes forme un ensemble équilibré qui protège le
sportif et s'écarte d'une démarche qui en ferait un bouc émissaire ou un fautif
en puissance.
Madame la ministre, nous proposerons d'enrichir ce texte en présentant un
certain nombre d'amendements, notamment au niveau de la prévention, de la
surveillance médicale, de l'éducation des jeunes, qui doivent être sensibilisés
dans tous les lieux où ils s'adonnent aux activités physiques et sportives,
c'est-à-dire à l'école, dans les centres de loisirs, les clubs. Une véritable
éducation civique doit être construite dans ce domaine. Il faut également
instituer une réelle recherche médicale et scientifique tant sur les produits
que sur les conditions de l'entraînement des sportifs, leur accompagnement
physiologique, l'optimisation de leurs capacités, car l'exploit n'est pas le
corollaire du dopage.
Avec ce texte, vous permettez à la France de prendre l'initiative et d'être en
pointe dans la lutte contre ce fléau. Je sais que plusieurs pays suivent avec
une grande attention notre approche et ce sur quoi nous légiférons en ce
moment.
C'est important, car il serait bon d'harmoniser les règles en la matière et de
mener des coopérations européennes et internationales sur la prévention, la
médecine sportive et la recherche, ne serait-ce que par respect du principe
majeur selon lequel la compétition entre pays doit être fondée sur l'équité,
mais aussi pour la recherche de meilleures performances, ce à quoi rêve chaque
sportif, et c'est bien normal.
Puisse donc, au moment où de nombreux projecteurs vont se tourner vers la
France, pays d'accueil du dernier grand événement sportif de ce millénaire,
s'ajouter ce regard et cet intérêt supplémentaire sur une avancée pour les
sportifs dont notre pays, grâce à votre texte, sera l'initiateur. Il faut
lutter pour le fragile épanouissement de la vie. Et, dans cette lutte-là, nous
ne céderons jamais !
Je voudrais souligner, après M. le rapporteur et d'autres intervenants, le
caractère passionné de la discussion que nous avons eue en commission, y
compris lors de l'examen des amendements, mais cela est tout à fait normal.
Nous parviendrons, je le crois, à une synthèse qui profitera aux sportifs.
(Applaudissements.)
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Je voudrais d'abord remercier M.
le rapporteur et l'ensemble des intervenants, car ils souhaitent apporter une
réponse constructive au fléau que constitue le dopage.
Je ne reviendrai pas en cet instant sur l'ensemble des questions qui ont été
évoquées car la plupart d'entre elles seront traitées lors de l'examen des
amendements.
Je souhaiterais simplement intervenir sur deux grandes questions qui m'ont
paru très présentes dans les interventions.
De façon un peu caricaturale, on peut les résumer ainsi : cela vaut-il encore
la peine de légiférer ? Est-il encore possible d'empêcher ce fléau de
s'étendre, de le faire reculer, ou sommes-nous aujourd'hui dépassés par la
place de l'argent dans le sport, par la déréglementation, par les recherches,
par les filières concernant les produits dopants ?
Ce combat mérite d'être mené, parce que c'est l'éthique du sport qui est en
jeu, parce qu'il concerne le sort d'hommes et de femmes que l'on appelle
sportifs et sportives. Il est encore temps de le mener à bien.
D'abord, le projet de loi que nous examinons donnera à l'Etat et au mouvement
sportif des outils pour mener ce combat.
Ensuite, il y a les causes profondes qui conduisent des hommes et des femmes à
se doper et auxquelles il est nécessaire de s'attaquer. Il s'agit du rapport
entre le sport et l'argent, entre le sport et les médias. Il s'agit aussi de
tout ce qui est à l'origine du surentraînement, de la surcompétition et du
non-suivi des sportifs. Nous traiterons cet aspect dans le projet de loi
d'orientation.
Enfin, il y a la prévention, dont il est beaucoup question dans le présent
projet de loi. Comme vous l'avez dit, monsieur Sérusclat, elle doit être
accrue. Il ne s'agit pas seulement d'indiquer que tels produits sont interdits
; il faut expliquer en quoi ils sont dangereux pour celui ou celle qui les
prend et pour quelles raisons ils mettent en cause le sport lui-même.
Il convient aussi d'intensifier la recherche.
Je n'ai pas tranché le débat sur l'existence d'un ou de deux laboratoires. Si
cela peut apporter des garanties supplémentaires, il faut obtenir du CIO un
second laboratoire accrédité. Je sais que tout le monde ne partage pas cette
opinion, mais le débat est ouvert et il se poursuivra après l'adoption de ce
texte.
Bien sûr, il faut aussi des moyens. Je l'ai dit tout à l'heure : nous avons
doublé en 1998 ceux qui sont affectés au suivi médical et à la lutte contre le
dopage ; depuis plusieurs années, ils étaient en constante diminution. Dans la
loi de finances pour 1999, nous inscrirons les sommes nécessaires au
fonctionnement du conseil de prévention et de lutte contre le dopage. Si nous
voulons qu'il soit indépendant, il doit être doté de moyens propres de
fonctionnement et nécessaires à la prévention et au suivi médical qui relèvent
de la responsabilité de mon ministère.
Et puis, il y a le plan international. Je souscris totalement aux propos qui
ont été tenus par plusieurs intervenants. Il ne sera pas possible d'être
efficace dans cette lutte s'il n'y a pas d'avancées sur le plan européen et sur
le plan international. Mais si chacun reste dans son coin en attendant qu'un
autre pays prenne l'initiative, nous allons prendre beaucoup de retard dans la
lutte contre le dopage. Or nous percevons un désir d'agir.
J'ai rencontré plusieurs de mes collègues européens. Nous avons reçu un
accueil formidable au Conseil de l'Europe qui s'est tenu à Chypre. Nous nous
sommes rendus hier en délégation à Bruxelles et nous avons de nouveau débattu
de ces questions à l'échelon européen. Les autres pays attendent que nous
prenions des mesures qui pourraient servir d'exemple pour eux. Nous devons
assumer cette responsabilité et faire en sorte que les mesures que nous
prendrons puissent s'étendre à l'échelon international.
J'en arrive à ma seconde remarque.
Le mouvement sportif français a connu certes des dérives, sur les causes
desquelles je ne reviendrai pas. Mais nous avons un mouvement sportif fort et
structuré, à la tête duquel se trouvent des personnes qualifiées. Il est à cet
égard étonnant d'entendre certains affirmer que le mouvement sportif ne serait
pas capable d'assumer ses responsabilités, en ce qui concerne tant
l'organisation des compétitions et les règles sportives que l'état de santé des
sportifs et le respect de l'éthique du sport.
Au contraire, nous avons besoin de donner plus de responsabilités au mouvement
sportif français, à travers les fédérations. Ce sera le meilleur moyen de
résister aux pressions actuelles, qui visent à transformer le sport amateur et
le sport professionnel en sport spectacle.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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