CONSÉQUENCES DE L'ACCORD
MULTILATÉRAL SUR L'INVESTISSEMENT
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 2 de
M. Adrien Gouteyron à M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie sur les conséquences de l'Accord multilatéral sur
l'investissement.
M. Adrien Gouteyron attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie sur la constance avec laquelle les instances de
négociations économiques et commerciales internationales s'entêtent à ignorer
la spécificité des biens, des industries ou des investissements culturels, qui
ne sauraient être soumis aux seules lois du marché. Alors que les négociations
du cycle d'Uruguay, qui ont abouti en avril 1994 à la signature des accords de
Marrakech, n'avaient que très tardivement admis ce qu'il est convenu d'appeler
« l'exception culturelle », on doit en effet constater aujourd'hui que le
projet d'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, négocié depuis 1995
dans le cadre de l'OCDE, remet en cause tant les principes du droit de
propriété littéraire et artistique que les politiques nationale et européenne
de soutien à la création, en particulier dans les domaines cinématographique et
audiovisuel.
Il attire également son attention sur le fait qu'une information complète de
la représentation nationale sur les enjeux et le déroulement de telles
négociations constitue sans doute, pour le Gouvernement, le meilleur moyen de
s'assurer de son soutien et de celui de l'opinion dans la défense des intérêts
nationaux, et il lui demande d'informer le Sénat sur la position du
Gouvernement français dans la négociation de l'AMI, ainsi que sur les chances
que cette négociation aboutisse à un accord acceptable par la France et par
tous les pays soucieux de défendre l'avenir de leur langue et de leur culture.
(N° 2.)
La parole est à M. Gouteyron, auteur de la question.
M. Adrien Gouteyron.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous connaissons la place et le rôle de l'investissement international dans nos
économies, et dans l'économie de la France en particulier.
Aucun membre de cette assemblée ne songera donc à nier l'intérêt qu'il y a à
définir, au plan international, des règles susceptibles d'encadrer la
libéralisation des investissements.
Tous les pays ont intérêt à ce que la sécurité des investissements de leurs
ressortissants à l'étranger soit mieux assurée. De même, tous ont intérêt à
proscrire le dumping volontiers pratiqué pour attirer les investissements
étrangers, au prix parfois de discriminations à rebours à l'encontre des
nationaux ou d'entorses discutables aux lois et règlements de l'Etat
d'accueil.
Nous n'avons pas toujours nous-mêmes résisté à de telles tentations. Que l'on
songe aux négociations qui, dans les années 1985, ont précédé l'installation en
France de Disneyland Paris !
Nous n'avons donc,
a priori
, aucune opposition de principe à un accord
multilatéral sur l'investissement, ou AMI. Encore faut-il que le remède ne soit
pas pire que le mal et que cet accord ne comporte pas, pour les Etats parties,
et en particulier pour notre pays, plus d'inconvénients que d'avantages, plus
de risques que de garanties.
Or il semble que les débats - un peu tardifs - de ces dernières semaines aient
fait clairement apparaître, après plus de deux ans de négociations, que l'AMI
est, à cet égard, un assez bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire.
Peut-être aurait-il fallu s'en aviser plus tôt, et peut-être devrions-nous
élargir notre débat d'aujourd'hui aux moyens susceptibles d'améliorer, dans des
cas semblables, la transparence des négociations et l'information sur leurs
enjeux.
On peut juger d'ailleurs assez significatif que ce soient les menaces contre «
l'exception culturelle » qui soient à l'origine de la prise de conscience des
dangers que pourrait comporter l'AMI, et qui concernent, au-delà de notre
politique culturelle, notre « culture politique », nos traditions juridiques et
démocratiques, et même la construction européenne.
Déjà, lors des négociations de l'
Uruguay Round
, ce n'est qu'
in
extremis
, à l'automne 1993 et grâce à la position très ferme de la France,
que l'Union européenne avait demandé et obtenu d'exclure l'audiovisuel et les
services culturels des secteurs sur lesquels elle s'engageait à proposer des
mesures de libéralisation, on s'en souvient, dans le cadre de l'Accord général
sur le commerce des services.
Nous savions que cette « exclusion » était provisoire et qu'elle serait
réexaminée dans le cadre de la renégociation de cet accord, qui doit débuter en
janvier 2000.
L'AMI a largement anticipé cette échéance puisque, par le jeu d'une définition
très large des investissements, par le jeu de l'application aux investissements
culturels du traitement national et de la clause de la nation la plus
favorisée, la négociation menée au sein de l'OCDE pourrait remettre en cause
non seulement les dispositifs d'aide à la création, mais aussi le régime de la
propriété littéraire et artistique.
Lorsque nous l'avons entendue en commission à la fin du mois de janvier
dernier, Mme Catherine Trautmann a énuméré tous les moyens de la politique
culturelle qui pourraient être considérés comme contraires à l'AMI. Je ne
reprendrai pas ici l'ensemble de cette énumération. Je me bornerai à rappeler
que les obligations prévues par l'AMI pourraient priver de sens l'ensemble du
dispositif national et communautaire de soutien à la diffusion et à la création
dans les domaines du cinéma, de la chanson, de l'audiovisuel. Elles
interdiraient aussi la limitation des participations étrangères dans les
entreprises de communication, limitation dont la justification n'est pas
uniquement culturelle, on le comprend bien. Elles ôteraient, enfin, toute
portée aux accords - en particulier les accords de coproduction - passés avec
certains Etats en vue d'aider au développement de leur production
cinématographique et audiovisuelle.
Dans le domaine de la propriété littéraire et artistique - dont les accords de
Marrakech ne remettaient pas en cause les principes - l'assimilation faite par
l'AMI des droits d'auteur et des droits voisins à un investissement soulève
aussi des interrogations. Quelles en seront les conséquences sur notre
conception personnaliste du droit d'auteur, et notamment sur la protection du
droit moral, ignoré par les tenants du
copyright
? Quelles en seront les
conséquences sur l'application des conventions internationales en matière de
droits d'auteur et de droits voisins, qui sont conformes à notre droit et qui
n'imposent ni le traitement national ni le régime de la nation la plus
favorisée ?
Mais - je l'ai déjà dit - cette remise en cause radicale de l'exception
culturelle n'est pas la seule critique que l'on puisse faire au projet et à la
philosophie qui l'inspire.
Au-delà de la politique culturelle, les mécanismes proposés pourraient porter
atteinte aux politiques nationales dans les domaines de l'environnement, du
droit du travail, des services publics, voire de la recherche : c'est ce qu'ont
mis en évidence, en particulier, les travaux sur l'AMI de la commission des
affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes du
Canada, auxquels nous aurions intérêt à nous référer.
Surtout, au-delà des politiques sectorielles, l'AMI pourrait remettre en cause
notre conception du rôle de l'Etat, à travers notamment les procédures de
règlement des conflits, inspirées des clauses de l'accord de libre-échange
nord-américain. Ces procédures permettraient en effet aux investisseurs
étrangers invoquant une violation de l'AMI de traduire les Etats devant une
juridiction arbitrale
ad hoc
. Cette procédure paraît aller plus loin que
l'exigence du « traitement national » et donnerait, en fait, un statut
privilégié aux investisseurs étrangers.
Sans doute cette analyse dépasse-t-elle les précoccupations relatives à
l'exception culturelle dont je voulais aujourd'hui vous faire part, mes chers
collègues. Mais, comme la remise en cause de l'exception culturelle - une «
exception », on le sait, qui ne traduit pourtant que la prise en compte des
inégalités de fait qui fausseraient la « libre » concurrence entre les
producteurs européens et les
majors
américains - elle participe, je
crois, de l'appréciation objective des concessions que l'on nous imposerait et
qui n'auraient pas de contreparties réelles.
En effet, tout porte à croire que les Etats-Unis, par exemple, n'entendent pas
réellement remettre en cause, dans le cadre de l'AMI, les mesures qui protègent
leur marché contre les investissements étrangers directs, ni les lois
extraterritoriales qui peuvent les menacer.
Sans doute allez-vous apaiser nos craintes, monsieur le secrétaire d'Etat, en
nous confirmant que la négociation de l'AMI est actuellement dans l'impasse,
non tant d'ailleurs en raison des positions prises par le Gouvernement français
que parce que les Etats-Unis craignent de ne pas en retirer les avantages
escomptés. C'est sans doute, à tout prendre, une chance pour nous, mais nous
n'aurons peut-être pas toujours de semblables chances.
C'est pourquoi il me semble que nous devrions aujourd'hui réfléchir aux
conditions dans lesquelles nous pourrons, dans cette négociation ou dans
d'autres, faire entendre nos préoccupations et, notamment, pour en revenir à «
l'exception culturelle », notre souci légitime de ne pas assimiler la culture à
des biens ou à des services « comme les autres », ni les droits d'auteur à des
investissements « comme les autres ».
Les occasions ne nous manqueront pas car, si la menace de l'AMI paraît
aujourd'hui s'éloigner, d'autres s'annoncent.
J'ai déjà mentionné l'échéance de la renégociation de l'accord général sur le
commerce des services, à laquelle nous devons dès aujourd'hui nous préparer.
Mais ce n'est pas la seule : tout récemment, la Commission européenne - ou
plutôt l'un des commissaires européens - a remis à l'ordre du jour le projet
d'établissement d'une zone de libre-échange transatlantique. Ce projet avait
déjà été évoqué - et abandonné - en 1995. Je me félicite que le Président de la
République et le Gouvernement l'aient, cette fois encore, écarté. Mais, n'en
doutons pas, il resurgira un jour !
Il faut évoquer aussi - ce débat est une bonne occasion pour le faire - les
nouvelles technologies : l'émergence du multimédia, le droit applicable à
Internet, le commerce électronique, le débat sur la « convergence » doivent
nous inciter à la vigilance et à la défense tant de notre conception de la
protection des droits d'auteur, qui a déjà prouvé sa capacité d'adaptation aux
évolutions techniques, que de « l'exception culturelle ».
Nous connaissons déjà, à cet égard, les enjeux, aussi simples que redoutables,
du débat sur la « convergence », suscité par ceux qui pensent que la «
convergence technologique » des supports de transmission des messages doit
aboutir à la remise en cause de la régulation des contenus. Cette logique est
d'ailleurs surprenante, ou au moins contestable : il n'y a, en effet, aucune
raison pour que l'usage d'une même technologie impose une réglementation
identique. Comme l'a récemment fait remaquer le président du CSA, les centrales
thermiques, les voitures et les lampes tempête utilisent la même énergie ; ce
n'est pas pour cela qu'il faut les soumettre à une réglementation unique !
Dans bien des cas, comme dans celui de l'AMI, l'opinion risque d'être avertie
trop tard des enjeux de ces négociations et de leurs répercussions sur les
choix effectués à l'échelle nationale ou à celle de la Communauté
européenne.
Les travaux du parlement canadien sur l'AMI, auxquels j'ai déjà fait
référence, concluaient à la nécessité d'assurer, en de telles circonstances, la
mise en oeuvre d'un processus de négociation transparent et démocratique, ainsi
que d'une large consultation de l'opinion, voire d'une « étude d'impact »
préalable à la ratification du résultat des négociations.
En des termes moins précis mais plus imagés, une avocate américaine hostile à
l'AMI évoquait le recours à la « stratégie de Dracula » qui, comme chacun sait,
redoute la lumière.
Plus prosaïquement, monsieur le secrétaire d'Etat, je serais tenté de demander
au Gouvernement de réfléchir aux moyens de mieux associer le Parlement aux
négociations qui, comme celle de l'AMI, peuvent avoir des conséquences
importantes sur les politiques menées au niveau national et sur les compétences
du législateur.
A ce propos, monsieur le secrétaire d'Etat, si je me réjouis de votre
présence, permettez-moi de regretter l'absence de votre collègue chargé de la
négociation, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
puisque c'est la direction du Trésor qui a conduit ces négociations. J'aurais
donc aimé qu'il fût présent ! Certes, vous allez nous répondre au nom du
Gouvernement, mais ce que je suis en train de dire me paraît si important que
sa présence m'aurait semblé tout à fait souhaitable.
Nous ne songeons pas, bien évidemment, à remettre en cause la compétence
reconnue au Président de la République pour négocier et ratifier les traités.
Il ne s'agit pas de cela. Nous ne songeons pas non plus à exiger que le
Parlement participe aux négociations ni qu'il puisse, sous quelque forme que ce
soit, donner à l'exécutif un « mandat de négociation ». Ce n'est pas notre
esprit ; ce n'est pas inscrit dans notre Constitution.
Cependant, nous nous demandons si, dans le cas de négociations aussi
importantes et aussi lourdes de conséquences sur la capacité d'action des
pouvoirs publics nationaux, le rôle du Parlement peut se limiter au débat sur
le projet de loi autorisant la ratification d'un accord, alors que les jeux
sont faits et que l'intervention de la représentation nationale se limite à
accepter ou à rejeter en bloc les résultats de la négociation. Il est alors
trop tard !
Dans le cadre européen, les problèmes que posait, à cet égard, le droit dérivé
communautaire ont été résolus par la réforme constitutionnelle de 1992, qui, en
prévoyant l'information préalable du Parlement et le vote de résolutions, a
donné à chaque assemblée les moyens de faire connaître en temps utile son
sentiment à l'exécutif.
Mais nous ne disposons pas du même « droit à l'information » en ce qui
concerne les grandes négociations multilatérales, qu'elles se déroulent dans le
cadre de l'OMC ou dans d'autres enceintes.
Nous nous félicitons qu'en France les professions culturelles aient pu assez
tôt, sur l'initiative de M. Jean Arthuis, disposer de quelques informations sur
l'AMI. Mais est-ce suffisant, et la concertation, certes nécessaire, avec les
milieux concernés peut-elle remplacer le débat parlementaire ? Non !
Et ce débat, lorsqu'il a lieu, comme aujourd'hui et comme ce fut le cas sur
différents aspects des négociations de l'
Uruguay Round,
doit-il toujours
avoir lieu sur l'initiative du Parlement ?
Au-delà des informations que nous attendons de vous sur l'avenir de la
négociation de l'AMI et sur la position de la France, nous souhaiterions,
monsieur le secrétaire d'Etat, pouvoir examiner aujourd'hui avec vous les
conditions dans lesquelles, à l'occasion d'autres négociations - j'ai cité tout
à l'heure des échéances essentielles - le Gouvernement et le Parlement
pourraient unir leurs efforts pour définir et défendre ensemble les intérêts de
la France.
(Applaudissements.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes contemporains de l'avènement d'une société-monde.
Si l'international existe depuis longtemps, le mondial n'est que de notre
temps. Le monde veut s'étendre, l'homme sent en lui des unités plus grandes que
ses ancêtres ; il s'en est donné les moyens techniques, dont le numérique et
Internet sont les figures emblématiques.
En même temps, l'homme est inquiet, il a même souvent peur, au point de se
recroqueviller, surtout s'il est précarisé, exclu comme on dit, sur un
identitarisme qui est contre son identité.
Alors, la question est-elle : être pour le monde ou être pour son chez-soi ?
Je trouve que ce serait un débat myope, comme la polémique entre technophiles
et technophobes.
La vraie question est : comment veut-on que cette société-monde se construise
? La mondialisation sera-t-elle débridée ou maîtrisée ? Se verra-t-elle
disciplinée par l'économie-hégémonie et les marchés généralisés sans rivage, la
concurrence où toujours le plus fort gagne, la déréglementation comme table de
la loi, ou se verra-t-elle animée, dans un monde multipolaire, par une
politique voulue, choisie, du développement humain, du bien commun assurant des
normes de civilisation humaine ?
Aucune nation ne peut ignorer ce débat, ni esquiver l'avènement progressif de
l'institutionnalisation de domaines universels dans lesquels la norme nationale
de décision et de contrôle ne sera plus exclusive.
Et l'Europe, dans ce contexte, son sens, c'est qu'elle participe à l'émergence
de la société-monde en respectant les nations qui la composent. Personne ne
part pour un grand voyage en laissant ses bagages au départ.
Je résume : la nation, creuset symbolique où s'opère la fusion passé -
présent-avenir, la nation - peuple, demeure le lieu principal de politisation,
de souveraineté ; le monde, lui, est opérateur principal de socialisation ;
l'Europe, elle, est l'interface en même temps que l'entrelacement des
solidarités transnationales. C'est sur ce terrain où l'hier, l'aujourd'hui et
le demain des hommes cherchent à s'articuler nouvellement que l'on doit
examiner l'AMI, le NTM,
New Transaltlantic Market,
et la convergence,
qui, chacun à sa manière, vise à organiser la société-monde à la main -
j'ajouterai « à la poche » - des marchés, surtout financiers, des marchés
sacralisés, naturalisés, « comme la gravitation universelle », disait, dans un
colloque au Sénat, un des participants.
Les nouvelles techniques étant, elles aussi, naturalisées, « comme la marée »,
disait un autre participant, on devient contemporain d'un monde où les moteurs
naturels, fatalement fatals, seraient le marché et la technique, inventés par
l'homme, et où l'homme ne serait qu'un élément subsidiaire, un invité de
raccroc. Cela me fait penser à ce que Lucien Sfez appelle la « théologie
Frankenstein », la fascination débouchant sur la dévoration.
Considérons ces trois dossiers.
L'AMI, c'est, trois ans durant, les vingt-neuf pays les plus riches du monde
qui, ayant exclu les autres, mettent au point un nouveau droit universel privé,
celui du marché sans entrave sur toute la société. Oui, les intérêts
commerciaux auraient tous les droits et aucun devoir, et enlaceraient
l'univers, se substituant aux législations publiques, avec certes des réserves,
mais qui ne peuvent être élargies et dont le démantèlement est programmé.
L'AMI, c'est l'autoritarisme doux des marchés financiers sur les gouvernements
et sur les sociétés.
Le NTM, c'est la création d'une zone de libre-échange entre l'Europe et les
Etats-Unis initiée par le commissaire Lord Brittan. C'est un morceau d'AMI,
concernant 60 % des échanges mondiaux, l'Europe y perdant sa plurielle
originalité.
La convergence, c'est, avec l'arrivée du numérique, la possibilité de
transporter sur un même support télécommunications et audiovisuel, et
l'exigence - les télécoms étant dérégulées - que l'audiovisuel le soit
aussi.
Ainsi, sous différents angles est silhouettée comminatoirement une «
république mercantile universelle », sans qu'il y fait face à elle une «
république démocratique universelle ». La société serait surpeuplée
d'impératifs financiers et dépeuplée des droits de l'homme les plus
essentiels.
En culture, l'attaque contre les droits d'auteur, séparant l'auteur de
l'oeuvre, est une tentative de renversement historique et une blessure à
l'avenir.
« La seule faute que le destin ne pardonne pas aux peuple est l'imprudence de
mépriser les rêves », disait Maurice Schumann.
AMI, NTM et convergence - on pourrait y ajouter AIM à l'OMC - sont des
machines contre les rêves sans conscience ni miséricorde. Ils visent à cloner
des pensées aplaties, assagies, aseptisées, atomisées, gommant le
pluralisme.
On comprend que la règle démocratique ait été écartée dans les trois cas.
Pour l'AMI, sans doute telle compétence professionnelle a-t-elle été
sollicitée. Mais la démocratie a une autre taille. Elle a besoin de la
fertilisation croisée des experts et des experts du quotidien associés à leurs
représentants. Rien de tout cela pour l'AMI !
Face aux trois ans de négociations au château de la Muette, à Paris, chacun
conviendra que, si utile, si bienvenu que soit - il faut en féliciter la
commission des affaires culturelles du Sénat - notre débat d'aujourd'hui, ces
deux heures au Sénat - et zéro heure à l'Assemblée nationale ! - ne font pas le
poids.
Je persiste à demander un débat national au Sénat comme à l'Assemblée
nationale. Ce devrait d'ailleurs être une initiative gouvernementale.
Je pense aussi que le Sénat serait bien inspiré de créer une mission
d'information sur les conditions d'élaboration de l'AMI, de NTM et de la
convergence, et sur leur champ d'application.
Le Sénat comme l'Assemblée nationale sont démunis face à l'international. Ils
n'ont pas d'initiative dans ce domaine. Aussi, hier, avec des collègues
parlementaires, à l'Assemblée nationale, au cours d'une réunion qui a réuni
cinq cents personnes sur l'AMI, nous avons décidé de proposer « la création, au
sein de l'Assemblée nationale et du Sénat, d'une délégation permanente aux
organismes et traités multilatéraux, de manière à pouvoir débattre en amont des
implications de tels traités ». La mission d'information en serait une
préfiguration.
Le NTM aussi a bousculé la démocratie. Lord Brittan est allé à Washington sans
mandat entamer des négociations qu'il ose appeler informations.
La convergence aussi a pratiqué la démocratie étriquée, et la conférence de
Birmingham, à laquelle j'ai participé, avait été mitonnée pour la dérégulation,
laissant aux opposants - du moins était-ce espéré ! - le seul courage de
s'accommoder.
Aucun artiste n'avait été convié, alors qu'il s'agissait de définir la
politique audiovisuelle européenne ; très peu de producteurs ; en revanche, des
consultants américains, une majorité outrancière anglo-saxonne et des
diffuseurs ; enfin, comme invité d'honneur, M. Murdoch !
Ainsi, nous avons été en « a-démocratie », en démocratie suspendue, alors que
ces trois projets concernent la vie du monde.
Tout acte politique est « sémaphore » pour les oligopoles internationaux et
leur circonvoisinage. Ils ont cru que « a-démocratie » signifiait : allez-y !
Ils se sont trompés ; il n'y a pas eu d'impuissance démissionnaire. Les
artistes de notre pays - comme ceux d'autres pays - ont réagi, notamment à
l'Odéon, non par corporatisme mais par conscience de la place dans l'histoire
de l'acte créateur, et ont créé un comité de vigilance.
Avec eux, nombre d'organisations liées à nos concitoyens en difficulté,
morceau de Sud dans notre Nord ! Le 28 avril un rassemblement international ira
parler devant La Muette ! Il sera un point d'orgue d'information populaire et
démocratique.
Beaucoup de politiques ont aussi pris position, et je me félicite que le
Gouvernement ait, sur les trois projets, marqué une opposition.
A l'évidence, la France - qui a de l'influence, à condition qu'elle s'en serve
- en refusant de jouer le rôle d'amortisseur, a créé un espace où l'offensive
de la civilisation peut passer et s'épanouir.
Je souhaite, maintenant, esquisser quelques propositions, car non, non et non
aux trois documents que je viens d'évoquer, c'est très bien, mais un projet, en
tout cas son ébauche, c'est nécessaire, d'autant que j'ai quelque souci.
Aucun des trois - AMI, NTM, convergence - n'est totalement battu. On peut
même, en fin d'année, se retrouver à en discuter au sein de l'OMC. En Europe,
on parle de la privatisation d'Eutelsat, ce consortium européen des satellites
qui regroupe trois cents chaînes.
En France, les patrons de l'audiovisuel français, qui n'ont pas dit un mot sur
l'AMI, réunis dans le cadre de la préparation de la loi sur l'audiovisuel, ont
joué à l'AMI avant l'AMI, c'est-à-dire rejeté toute loi.
Il faut considérer qu'il y a une véritable communauté planétaire et qu'aucune
nation ne peut avoir un développement durable s'il y a des déséquilibres
écologiques globaux, si l'aire des conflits s'élargit et si les écarts
grandissent entre Nord et Sud, et, à l'intérieur du Nord, entre riches et
pauvres.
C'est pourquoi, premièrement, la grande tâche d'une régulation globale
démocratique de la société, avec une mobilisation de tous les acteurs, y
compris les parlementaires, consultés en permanence, est une nécessité.
Etant donné l'apparition des nouvelles techniques, des réseaux, il faut,
deuxièmement, prendre conscience - le récent rapport de notre collègue René
Trégouët est riche, de ce point de vue - de leurs potentialités, qui seront
vite incontournables, et articuler ces machines technologiques avec des
agencements collectifs à dimension sociale.
Troisièmement, il est temps de mettre à jour et en oeuvre une responsabilité
publique locale, nationale, européenne et internationale en matière de vie
humaine comme un nouveau contrat social valable pour le secteur public et le
secteur privé, et d'abord pour les sociétés transnationales.
Cette responsabilité devrait, à tous les niveaux, assumer la primauté des
projets sur les institutions, des acteurs sur les structures, des cultures sur
les appareils.
Dans ces conditions, quatrièmement, le Fonds monétaire international, la
Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce seraient remis en
question. Toutes ces structures, nées de Yalta et d'un monde binaire, devraient
être revues d'un point de vue démocratique pour un monde multipolaire où les
capitaux spéculatifs seraient taxés.
Tout cela vise à définir la place de l'homme dans la société du xxie siècle,
notamment les statuts de l'esprit et du vivant. Intégrité humaine, droit à la
différence, droit à la ressemblance, besoins d'échanges, pensées passerelles
sont principes et pratiques à faire avancer.
En culture aussi, ces démarches valent. Elles s'appellent audace de la
création, élan du pluralisme, obligation de production, maîtrise de la
diffusion, atout d'un large public, nécessité de la coopération
internationale.
Cela implique, par exemple, en Europe et dans les nations qui la forment, un
tournant dans le financement de la production des contenus d'oeuvres pour
l'audiovisuel, et j'ajouterai des logiciels. Au financement confetti du plan
Media 2, il faut substituer d'urgence - je dis bien « d'urgence » - un
financement correspondant à 1 % du PIB des Etats européens. Sait-on
suffisamment que le budget de l'audiovisuel - nous avons un déficit de 7
milliards de francs avec les Etats-Unis pour les images - n'est que de 0,06 %
du budget de l'Union européenne ?
Cela implique, notamment en France, que soit reconnue avec toute son ampleur
la nécessité d'une politique des nouvelles technologies.
Avec mon collègue Jacques Isabet, maire de Pantin, nous avons lancé un projet,
le « Métafort », nous sommes bien placés pour savoir que, même si des pas réels
sont faits - et je dis bravo ! - nous ne décollons pas encore au niveau
suffisant.
Enfin, cela implique aussi de ne jamais céder, où que ce soit, sur la
création. Pas plus qu'il ne doit y avoir d'écoles pauvres pour enfants de
pauvres il ne doit y avoir deux cultures. Chacune et chacun a besoin du plus,
du « luxe de l'inaccoutumance ». Les mouvements scolaires de la
Seine-Saint-Denis ont cela comme fondamental. Il faut toujours traiter l'homme
dans le pauvre et non le pauvre dans l'homme. Il y a besoin entre le poète et
les autres d'une tension vibrante.
Je pourrais être plus détaillé, mais je dois conclure.
Oui, les nations, dont la France, mais aussi l'Europe, qui affichent une
ambition de civilisation, devraient d'abord, chez elles et au-delà, initier
l'invention et la construction d'un nouvel espace public de création,
d'expression, de citoyenneté et de travail, un espace où opère sans
discrimination le multiple comme richesse de l'humanité, où s'articulent de
manière nouvelle le local, le national et l'international, où s'exprime une
responsabilité publique en matière de culture, de vie, de développement et
d'environnement.
Jusqu'ici, les opérateurs dominants ont été l'attrait de l'argent et celui du
pouvoir. Les sociétés ont besoin, aussi et d'abord, d'autres combustibles. Cela
implique la recherche patiente et audacieuse d'une recomposition des paysages
nationaux et internationaux. Je rêve d'un droit pluraliste devenu l'affaire de
tous.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen et sur les travées socialistes. - M. Adrien Gouteyron applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Cluzel.
M. Jean Cluzel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
après les propos aussi excellents qu'éloquents de mes deux prédécesseurs, et
avant ceux qui seront, je le sais, aussi excellents qu'éloquents de ceux qui me
succéderont à cette tribune, je voudrais apporter modestement ma contribution à
ce très important débat pour dire d'abord que, si la France fait un effort,
sans doute sans équivalent dans le monde, pour la défense et la promotion de sa
langue et de sa culture, les résultats ne sont pas à la hauteur de nos espoirs
et vraisemblablement de nos besoins.
Hier, c'était le renouvellement de la directive Télévision sans frontières et,
par conséquent, la possibilité pour un opérateur d'émettre librement dans
l'espace audiovisuel européen à la seule condition - j'y insiste - qu'il soit
autorisé dans un pays aussi peu regardant qu'il soit quant à l'application des
obligations résultant de la directive.
Aujourd'hui, il faut faire face au projet d'accord multilatéral sur
l'investissement qui a pour objectif de renforcer la protection des
investisseurs et d'encourager la libéralisation des régimes
d'investissements.
Demain, il nous faudra résister au régime trop libéral inspiré par le Livre
vert sur les convergences de la Commission européenne, applicable aux nouveaux
services. Simultanément, il nous faudra batailler contre les effets pernicieux,
sur le plan culturel, du projet de nouveau marché commun transatlantique, même
si les résultats des assises de l'audiovisuel qui se sont tenues à Birmingham
du 6 au 8 avril sur le thème « défis et opportunités du numérique » paraissent
finalement nous avoir confortés dans notre exception culturelle et dans le
respect de celle-ci.
L'émotion suscitée par l'accord multilatéral sur l'investissement, ou plus
exactement par la négociation en cours, est compréhensible, car les mesures en
discussion pourraient anéantir des années d'efforts en vue d'affirmer et de
préserver notre identité culturelle.
La première remarque que l'on peut faire, c'est que le projet, s'il était
adopté, aurait pour conséquence de ruiner toutes les politiques incitatives
mises en place pour favoriser le développement des industries culturelles.
En effet, du fait de l'application des clauses du traitement national ou de
celles de la nation la plus favorisée, les principales compagnies américaines
auraient directement accès au compte de soutien et à tous les programmes
européens d'aide à la création.
En interdisant à un Etat d'imposer à un investisseur étranger un quelconque
engagement concernant la façon dont il réalise son investissement, on
aboutirait pour le secteur audiovisuel, mes chers collègues, au démantèlement
des quotas de diffusion et des obligations de production.
La deuxième idée qui vient tout de suite à l'esprit est que, pour être
efficace, il faut d'abord être lucide, c'est-à-dire voir les choses telles
qu'elles se présentent.
La culture, nous le savons, c'est l'échange. Il faut donc tirer les
conséquences de cette constatation et accepter que l'autre vienne chez nous,
mais à une condition, qu'il nous accepte chez lui.
En d'autres termes, il faut que nous fassions des efforts pour que notre
culture soit comprise, et d'abord souhaitée par les autres.
A cet égard, il ne suffit pas, au nom d'on ne sait quelle exception trop
facilement invoquée, que la France se retranche, une fois de plus, derrière une
autre ligne Maginot - culturelle en l'occurrence - dont chacun sait que, comme
son modèle, elle serait contournée et par conséquent sans efficacité.
A l'ère de l'audiovisuel, la culture est, heureusement, devenue un produit de
grande consommation. A cela je vois un intérêt : il nous est désormais possible
d'atteindre l'égalité culturelle. Dans le grand marché mondial, le consommateur
est devenu roi. S'il ne lisait, n'entendait, ne voyait pas la différence -
bref, s'il ne faisait pas la distinction entre ce qui est produit chez lui et
ce qui est importé -, l'issue du combat ne ferait guère de doute : la culture
française risquerait bien d'être submergée.
La troisième idée est que l'on ne saurait se contenter des incantations - que
l'on pourrait qualifier d'« habituelles » - que l'on entend parfois en
France.
Alors, que faut-il faire ? Les réponses sont simples mais difficiles à mettre
en oeuvre, car il faut se mobiliser à l'intérieur, car il faut chercher à
l'extérieur des appuis auprès de nos partenaires, qu'ils soient Européens,
Canadiens ou d'Amérique du Sud. Il faut trouver la bonne solution entre une «
bunkérisation » irréaliste et la soumission complaisante au complexe
médiatico-financierinternational.
Face à la déferlante américaine, le maintien de notre culture suppose, à
l'évidence, une réelle mobilisation de nos forces, de toutes nos forces, et,
d'abord, de la lucidité et du courage mis au service de ces forces.
A nous de faire préférer la culture française, pourrait-on dire en plagiant la
formule sans complexe d'une toute récente campagne de publicité.
Ce qui est vrai à l'échelle du monde l'est tout autant sur notre propre sol,
car cette action, il faut d'abord la mener à l'intérieur de nos frontières,
auprès des jeunes ; c'est dès l'école que tout se joue et que peut se créer
cette véritable citoyenneté culturelle.
A nous de faire que les produits importés d'outre-Atlantique, diffusés au
cinéma ou à la télévision, ne constituent pas le commun dénominateur culturel
qui ferait le lien social de la France au xxie siècle.
Certes, on ne peut ignorer les évolutions du monde balayant toutes les digues
que nous croirions avoir construites pour l'éternité. Mais on ne doit pas pour
autant accepter comme un fait presque accompli l'irrésistible montée en
puissance des lois du marché.
Là, nous sommes au coeur du débat, car il est parfaitement possible, à
certaines conditions, d'accepter le jeu du marché sans se plier à la
dérégulation à outrance voulue par les grands groupes américains. Ceux-ci
s'avancent masqués derrière les idéaux de liberté, de créativité, mais pour
imposer leur pouvoir. A nous d'aider nos partenaires à ouvrir les yeux.
En définitive, l'essentiel est que l'Union européenne garde la possibilité de
différencier entreprises européennes et non européennes dans tous les domaines
où il existe des politiques communes, à commencer bien sûr - monsieur le
ministre, vous ne m'en voudrez pas de les nommer - par l'agriculture et la
pêche où les Etats ont, comme en matière culturelle, développé des politiques
spécifiques.
La France et ses partenaires européens ont le droit et le devoir de l'exiger
alors que les Etats-Unis eux-mêmes - M. Gouteyron l'a très bien dit et Jack
Ralite également - ont déposé une liste de réserves dérogatoires, qu'ils
appellent la liste B, aux accords en cours de négociation. Cette liste
permettrait de maintenir des discriminations en faveur de leurs ressortissants,
notamment dans le domaine des subventions des marchés publics et des
communications.
Mais, ce sera le quatrième point, la défense de l'exception culturelle ne doit
pas être transformée en un protectionnisme culturel doublé d'un
antiaméricanisme de mauvais aloi.
Deux aspects, me semble-t-il, doivent être soulignés et je suis heureux de la
présence du président de la commission des affaires étrangères du Sénat pour
insister sur ce point.
Les méthodes américaines, leur évidente efficacité à condition de les adapter
à nos mentalités, seraient de nature à dynamiser la production audiovisuelle
européenne. Le malthusianisme est un risque mortel. L'exemple de la création
des multiplexes et la revitalisation du cinéma qui en est, semble-t-il,
résultée, prouve les effet bénéfiques de la concurrence, à condition qu'elle
soit organisée.
Il faut donc convaincre nos compatriotes des bienfaits du dynamisme et les
inciter à ne pas confondre les intérêts d'un certain microcosme
médiatico-culturel avec ceux de l'économie et de la culture française. Le
président de la commission des affaires culturelles y incite sans arrêt, et je
l'en remercie. Le protectionnisme n'est pas forcément la seule et unique
réponse à apporter à tous les problèmes.
Ne nous trompons donc pas d'enjeu. Les aides au cinéma, les quotas de
production nationale, qu'ils concernent les fictions présentées à la télévision
ou la chanson sur les radios, ne suffiront pas à protéger durablement notre
culture et nos industries culturelles.
En dépit de toutes les aides, le déficit audiovisuel de l'Europe vis-à-vis des
Etats-Unis a pratiquement doublé en cinq ans - cela, mes chers collègues, il
faut bien le savoir - pour atteindre l'an dernier 5,6 milliards de dollars. Ce
déséquilibre n'est pas nouveau, mais il intervient dans un contexte qui en
exacerbe les enjeux : l'audiovisuel et le cinéma représentent aujourd'hui pour
les Etats-Unis le plus gros poste à l'exportation, avant l'aéronautique et la
chimie, tandis que le marché européenn, lui, est en très forte croissance. Par
conséquent, la progression américaine s'étend tout naturellement sur le marché
européen, principale zone de développement.
Tous ces chiffres nous démontrent, une fois de plus, que les batailles
économiques se gagnent non à coups de règlements ou de crédits budgétaires
supplémentaires, mais en rendant plus attractif à l'internationalisation notre
appareil de production, nos programmes, nos films.
Nous devons savoir que, dans le domaine audiovisuel, aujourd'hui global et
mondial, il est impossible d'imposer ses propres règles du jeu aux autres. Il
faut croire que l'on peut y parvenir, sinon c'est exposer à la marginalisation
économique et culturelle, et, tôt ou tard, au dépérissement.
J'en arrive monsieur le secrétaire d'Etat, aux questions que je souhaite vous
poser.
Il ne faudrait pas prendre prétexte de la complexité de la matière pour
évacuer les problèmes politiques, car c'est là où la politique nous rejoint. Il
faut y voir clair et, pour cela, que le Gouvernement et le Parlement dialoguent
: nous le faisons ce matin.
Premièrement, que souhaite faire le Gouvernement ? Les Français - et en tout
premier lieu les milieux de la création - tout comme le Parlement, ont le droit
de savoir ce qui est, pour le Gouvernement, acceptable dans un accord
international sur l'investissement dans le domaine culturel et audiovisuel.
Deuxièmement, quel jeu joue la Commission de Bruxelles, qui apparemment se
montre fort discrète, on l'a dit tout à l'heure, en cette affaire ? Certes, la
matière relève des compétences partagées, nous le savons, mais les convictions
libre-échangistes de la Commission - elle n'en fait pas mystère - pourraient
empêcher notre pays de trouver les alliés dont il a besoin. Sur ce point,
monsieur le secrétaire d'Etat, nous serons heureux, mes collègues et moi-même,
que vous nous disiez quelle est votre conception et quelle est votre analyse
sur la position de la Commission.
Troisièmement, en écho à ce que disait M. Gouteyron tout à l'heure, quel peut
être le souhait du Parlement dans cette affaire ?
Je crois que ce souhait peut se résumer en trois mots : clarté, vigilance et
réalisme.
Clarté, notre débat va y contribuer.
Vigilance, car on a vraiment l'impression que cet accord n'est pas une
tentative isolée pour imposer un ordre économique ultralibéral contraire à nos
traditions comme à nos intérêts. Il nous faut résister à une offensive
d'ensemble des tenants de la déréglementation à tous crins. On l'a vu lors de
la rencontre de Birmingham les 6, 7, et 8 avril derniers, à l'occasion d'une
réunion informelle entre M. Murdoch, les ministres et les autres délégués. Les
souhaits exprimés par M. Murdoch étaient sans ambiguïté.
Réalisme, enfin, car il nous faut aller résolument nous asseoir à la table des
négociations.
Notre intérêt est de nous faire comprendre des Américains et de tenter de les
comprendre. Les occasions ne manquent pas. Ainsi, à la fin du mois de juin, le
Premier ministre, M. Lionel Jospin, accompagné de M. Dominique Strauss-Kahn, si
je suis bien renseigné, doit rencontrer le président Bill Clinton, à
Washington.
Dans le domaine audiovisuel, sous nos yeux, les Etats-Unis passent de la
position de suprématie - ils étaient les meilleurs - à une situation
pratiquement hégémonique. Ils risquent en effet d'être à peu près les seuls à
dominer le marché mondial.
Nous savons, pour le regretter, que le nombre d'Américains qui s'intéressent
vraiment à la France est relativement faible. Nous savons, par ailleurs, que
les résultats économiques, financiers et sociaux actuels des Américains les
confortent dans leur position. Ils sont ainsi convaincus d'avoir trouvé les
bonnes réponses pour lutter contre le chômage, tout en réduisant les problèmes
sociaux dramatiques qu'ils connaissaient il y a encore quelques années.
Ils ne comprennent donc pas notre protectionnisme, ils ne comprennent pas
davantage pourquoi nous sommes opposés à une libéralisation du commerce dans
des secteurs aussi sensibles que l'agriculture, la défense aussi bien que la
culture, le cinéma et l'audiovisuel.
Les Américains risquent naturellement de voir dans cette attitude française
une nouvelle manifestation d'anti-américanisme viscéral. Il est important de
leur faire comprendre que tel n'est pas le cas.
Dans un entretien qui paraîtra prochainement dans un magazine, notre Premier
ministre explique que la France n'a nullement l'intention de renoncer à son
identité culturelle nationale pas plus qu'à sa vision des relations
internationales, et M. Lionel Jospin de conclure : « Si les Français ne sont
pas d'accord avec la façon de penser des Américains, ce n'est pas pour autant
qu'ils soient anti-américains. »
Ce constat doit recueillir l'accord unanime de l'ensemble des groupes
politiques, depuis l'Elysée jusqu'au Sénat, en passant par l'Assemblée
nationale et l'ensemble du Gouvernement.
En fait, les Américains ont besoin d'entendre un discours franc et clair car,
depuis de nombreuses années, les préjugés qui se sont accumulés aux Etats-Unis
concernant la France ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Nous devons
attendre beaucoup de la rencontre entre Lionel Jospin et Bill Clinton, pour
améliorer l'image de la France aux Etats-Unis de telle sorte que, si nous
faisons un effort pour comprendre les Américains, ils en fassent un pour nous
comprendre et afin de leur faire admettre que nous n'accepterons jamais
d'immoler notre culture sur l'autel du libre-échangisme culturel.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur celles du groupe
socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
nom de mon groupe, je tiens d'abord à remercier M. Gouteyron d'avoir pris
l'initiative de susciter ce débat sur les conséquences de l'accord multilatéral
sur l'investissement.
En effet, au cours de ces derniers mois, les sociétés d'auteurs et les
professions du spectacle se sont mobilisées contre ce projet qui, selon elles,
menace notre « exception culturelle ». Elles ont d'ailleurs eu l'occasion de
s'exprimer devant notre commission des affaires culturelles.
Comme elles, les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants
considèrent qu'il est légitime de préserver notre dispositif d'aide à la
création audiovisuelle et ses mécanismes de diffusion.
Cette attitude de fermeté ne doit cependant pas nous conduire à négliger les
autres aspects d'un projet qui, s'il est multilatéral, est aussi
multisectoriel.
L'affaire est en effet beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et nous devons
nous garder d'une vision trop réductrice. Si la France a beaucoup à perdre,
elle a aussi beaucoup à gagner.
Je souhaite donc bien distinguer dans mon propos ce qui relève, d'une part,
des principes et, d'autre part, des modalités.
Sur le plan des principes, la France ne doit pas avoir peur d'un accord
multilatéral sur l'investissement.
En premier lieu, il faut rappeler que notre pays est au troisième rang mondial
pour l'accueil des capitaux d'origine étrangère, qui ont représenté plus de 68
milliards de francs en 1996. On estime de plus que près de 23 000 emplois ont
été sauvés ou créés en 1996 grâce à des investissements étrangers. Au total,
les entreprises étrangères emploient d'ailleurs plus de 30 % des salariés
français.
A l'inverse, la France est au cinquième rang pour les investissements à
l'étranger. Les sociétés françaises investissent en moyenne plus de 50
milliards de francs hors de nos frontières pour acheter des entreprises, créer
des structures de production ou développer leur réseau commercial.
Notre pays se trouve ainsi dans une situation paradoxale. La mobilisation des
intellectuels français en faveur de la défense de « l'exception culturelle » a
tendance à cacher une réalité nationale : la France n'est pas un pays
protectionniste. Elle est au contraire l'un des pays les plus ouverts sur le
monde, pour les investissements comme pour la culture. Elle a donc, plus que
d'autres, intérêt au libre-échange et à la définition de règles multilatérales
et protectrices.
Dans ces conditions, nous ne pouvons qu'approuver l'objectif initial de l'AMI
d'offrir aux investissements internationaux des règles uniformes concernant à
la fois l'accès au marché et la sécurité juridique.
L'élimination des barrières et des distorsions aux flux d'investissements
ainsi qu'une meilleure répartition des ressources peuvent favoriser une plus
forte croissance économique, davantage d'emplois et des niveaux de vie plus
élevés.
Pour protéger ses entreprises, la France a, là encore, beaucoup à gagner d'un
ensemble complet et cohérent de « règles du jeu » gouvernant l'investissement.
L'accord multilatéral sur l'investissement est accusé de viser à transférer la
souveraineté des Etats et des peuples au profit des entreprises
multinationales. Or les études montrent que l'AMI bénéficierait surtout aux
PME, qui ont le plus besoin d'un système multilatéral simplifié garantissant la
protection de leurs investissements à l'étranger. En effet, ces entreprises ne
disposent pas des moyens juridiques et de la puissance financière qui
permettent déjà aux sociétés multinationales d'adapter leurs investissements
selon les pays et de régler leurs différends au plus haut niveau des Etats.
Je souhaite souligner un troisième point qui me semble important : le débat se
concentre essentiellement en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, où il
n'existe guère de problèmes entre investisseurs et pays hôtes.
En réalité, l'intérêt principal d'un accord multilatéral sur l'investissement
semble résider en Asie, continent qui reste une terre imprévisible pour les
investisseurs occidentaux.
Au total, en tant que libéraux et en tant que Français, nous approuvons le
principe d'un tel accord.
Une fois posée la question de principe, reste celle des modalités.
Sur ce point, le groupe des Républicains et Indépendants considère que, en
l'état, l'AMI n'est pas acceptable.
La défense de notre identité culturelle vient au premier rang de nos
préoccupation.
La reconnaissance de l'exception culturelle défendue par la France, le Canada,
la Belgique, l'Italie, l'Espagne et l'Australie découle de la volonté légitime
de protéger le secteur de la création de l'influence grandissante des
multinationales de l'audiovisuel.
Le principe général de non-discrimination de l'accord multilatéral sur
l'investissement peut remettre en cause certaines aides publiques, notamment
dans le cinéma. Il y a quelques semaines, je me suis entretenu par téléphone
avec le grand producteur Anatole Daumann qui est, malheureusement décédé
récemment. Il me disait alors son souci de voir ce texte ne pas venir amputer
la créativité et la potentialité très grandes de la production
cinématographique française actuelle.
Cependant, des exceptions spécifiques prévues par l'AMI fournissent le cadre
d'un compromis qui pourrait prolonger celui qui avait été obtenu lors des
négocations du GIAT, en 1993.
Selon certaines informations, le secteur audiovisuel bénéficierait d'une large
exemption, même si la culture est en principe incluse dans le champ de
l'accord. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous donniez
des précisions sur ce point essentiel.
J'aimerais aussi avoir votre sentiment sur la pertinence de la notion «
d'exception culturelle » que la France souhaite inclure dans l'AMI. Nos amis
canadiens disposent de ce type de clause avec l'ALENA et semblent en avoir
éprouvé les limites, encore que l'ALENA ne soit pas encore totalement mise en
place.
Une notion trop floue peut aisément être contournée et le Gouvernement devrait
certainement défendre une position plus claire.
Au-delà de l'exception culturelle, je voudrais aborder trois autres points de
blocage qu'il convient de ne pas négliger. Le premier concerne l'attitude
américaine, le deuxième porte sur l'Europe et le troisième a trait aux clauses
sociales et environnementales.
Je voudrais là encore souligner la situation paradoxale dans laquelle se
trouve la France. Notre pays, qui défend son identité culturelle, donne
l'impression de vouloir se refermer sur lui-même face à une Amérique qui s'est
faite la championne du libéralisme et de l'ouverture.
Or, contrairement à l'image qu'ils véhiculent, les Etats-Unis montrent des
tentations protectionnistes certaines et, bien qu'à l'origine de la négociation
sur l'AMI en 1995, ils ont déposé plus de 300 pages de réserves et tentent de
préserver les règles discriminatoires en vigueur dans les Etats fédérés.
En réalité, le débat ne se limite pas à une opposition entre l'Europe et
l'Amérique. Partisans et adversaires de l'AMI s'affrontent également aux
Etats-Unis, où le lobby protectionniste est très actif.
A cela s'ajoute le problème des lois américaines d'extra-territorialité qui
autorisent Washington à prendre des sanctions contre les sociétés étrangères
opérant aux Etats-Unis, si elles investissent en Iran, en Libye ou à Cuba.
L'Union européenne refuse par principe que les Etats-Unis puissent prendre de
telles mesures à l'égard de décisions d'investissement prises en dehors de leur
territoire.
En tant que libéraux, nous condamnons, nous aussi, ces lois qui sont
contraires au droit international. Elles peuvent conduire à une rupture
autrement plus sérieuse que sur la question culturelle, qui a déjà fait l'objet
d'un compromis par le passé.
Nous sommes des Européens convaincus et nous nous inquiétons également des
conséquences que pourrait avoir l'AMI sur la construction communautaire.
Notre groupe souhaite que la capacité de l'Union européenne et de ses futurs
adhérents à poursuivre leur intégration soit préservée.
L'Union européenne doit pouvoir garder la possibilité de différencier les
entreprises européennes et les entreprises étrangères. Il s'agit là, pour nous,
d'une condition essentielle et préalable à tout accord sur l'AMI.
Le troisième sujet d'inquiétude concerne les clauses sociales et
environnementales.
De nombreux pays demandent que soit proscrite la concurrence pour attirer les
investissements étrangers par l'abaissement des normes sociales ou des règles
de protection de l'environnement.
Notre groupe approuve l'inclusion de clauses sociales et environnementales
pour empêcher une surenchère à la dérégulation. En revanche, il s'opposera à
toute remise en cause des lois et réglementations existantes. Les entreprises
étrangères doivent respecter les normes sociales et environnementales
fondamentales, sans pouvoir contester des dispositions légales qui s'appliquent
à elles comme aux autres entreprises.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la position du groupe des
Républicains et Indépendants est claire en ce qui concerne l'AMI : oui au
principe d'un accord multilatéral sur l'investissement qui protège nos
entreprises à l'étranger et favorise l'emploi en France, non aux modalités de
l'accord tel qu'il se présente aujourd'hui car elles menacent l'identité
culturelle française, la spécificité européenne et certaines avancées en
matière sociale et environnementale.
A partir de là, plusieurs questions se posent, auxquelles je souhaiterais que
vous puissiez répondre, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ma première question porte sur le principe d'un accord multilatéral sur
l'investissement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre position - ou du moins celle du
Gouvernement - a sensiblement évolué depuis le début de l'année. Vous
considériez alors le projet de l'AMI comme globalement positif, avant de vous
rétracter et d'adopter une attitude qui nous a paru franchement hostile. Je
souhaiterais savoir, sur le fond, si vous êtes ou non favorable au principe
d'un accord qui viserait à protéger et à libéraliser l'investissement en
limitant les discriminations entre investissements étrangers et nationaux.
Ma deuxième question porte sur les modalités d'un tel accord. En 1993, il a
fallu toute la détermination du gouvernement d'Edouard Balladur et de la
majorité UDF et RPR pour que la France obtienne des garanties en matière
culturelle. Quelles assurances le Gouvernement peut-il nous donner pour qu'il
en soit de même aujourd'hui sur les plans culturel, européen, social et
environnemental ?
Je reviens en particulier sur le flou de la notion d'« exception culturelle ».
Ne serait-il pas préférable, plutôt que de brandir cette formule, de consolider
nos positions ?
Ma troisième et dernière question porte sur les perspectives des négociations.
En l'état actuel des choses, l'accord multilatéral sur l'investissement a très
peu de chances, dans l'immédiat, d'être signé, la date du 28 avril étant,
d'après ce que j'ai pu lire voilà quelques jours, d'ores et déjà considérée
comme une simple étape ; trop d'obstacles subsistent encore.
Mais si la menace n'est, semble-t-il, plus aussi proche, elle n'a pas pour
autant disparu. D'autres échéances interviendront à l'échelon européen ou à
celui de l'Organisation mondiale du commerce.
Nous sommes, par exemple, très vigilants s'agissant de la proposition de créer
une zone de libre-échange trans-atlantique formulée par Leon Brittan ou encore
de la récente proposition de directive européenne sur les droits d'auteur.
Dans ces conditions, je souhaiterais savoir si le Gouvernement compte adopter
une position plus claire, plus cohérente et surtout plus constante que celle
qui fut la sienne au cours des six derniers mois. C'est en effet à ce prix, et
à ce prix seulement, que la France pourra être écoutée et entendue en Europe et
dans le monde.
A cet égard, M. Cluzel disait tout à l'heure qu'il nous fallait des alliés. Il
se trouve que je me suis entretenu de ce problème il y a moins de quarante-huit
heures avec le ministre des relations internationales et de la francophonie du
Québec, M. Sylvain Simard.
J'ajoute que l'alliance très forte qu'avait nouée en 1993 notre ministre de la
culture d'alors, M. Jacques Toubon, avec son homologue québécois, Mme Liza
Frulla-Hébert, avait permis, justement, de sauvegarder un certain nombre de
points essentiels pour nous.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
observations qu'au nom de mon groupe j'ai tenu à formuler.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
me réjouis que nous puissions aujourd'hui débattre ensemble de cet « AMI », qui
suscite tant d'inquiétudes et d'incertitudes bien légitimes.
L'accord multilatéral sur l'investissement, il faut le souligner, a au moins
un mérite, celui de soulever une telle mobilisation et tant de réactions
unanimes et solidaires à son encontre.
Les incidences de l'AMI sur les droits des Etats sont extrêmement étendues.
L'accord est ainsi susceptible de porter atteinte à toutes politiques
originales économiques ou sociales, comme la législation du travail ou les
aides aux emplois. J'en ai tout à fait conscience, mais je voudrais devant vous
concentrer mon propos sur ses implications dans le domaine culturel.
Une fois encore, la France s'est conduite en exemple dans la protection de la
culture et de sa richesse. Les milieux artistiques et politiques confondus se
sont unis pour que ne soit pas remise en cause « l'exception culturelle »,
arrachée de haute lutte, déjà, lors des négociations du GATT.
Parce que le champ d'application de l'accord multilatéral sur l'investissement
est large et que les possibilités de dérogation des Etats sont limitées, parce
que tous les secteurs sont inclus, sauf à ce qu'ils soient expressément exclus
de celui-ci, par l'introduction de réserves nationales spécifiques, parce que
toutes les formes d'investissement sont concernées, y compris les biens
incorporels, et donc les oeuvres de l'esprit qui nous tiennent tant à coeur,
parce que, enfin, la définition de l'investissement est extensive et qu'il en
découle que toutes nouvelles formes d'investissements susceptibles d'émerger
dans le futur, telles que les nouvelles technologies, entreront automatiquement
dans le champ de l'AMI, je le soutiens avec netteté : les menaces qui pèsent
sur le secteur culturel et audiovisuel sont bien réelles !
Pire, au travers de la propriété littéraire et artistique, ce ne sont pas
seulement les industries du cinéma et de l'audiovisuel qui sont concernées,
c'est le champ culturel dans son ensemble.
Avec la clause du traitement national et celle de la nation la plus favorisée,
toutes législations, réglementations ou dispositifs d'aide en matière de
spectacle vivant, d'arts plastiques ou de circulation des oeuvres d'art
pourraient voler en éclat ou se vider de leur sens.
Que signifieraient, en effet, les aides du Centre national de la
cinématographie, CNC, si les studios d'Hollywood venaient désormais à en
bénéficier ? Que deviendraient nos quotas d'oeuvres françaises et européennes à
la télévision ou la loi française instaurant 40 % de chanson francophone à la
radio ?
A quoi, enfin, rimerait le projet de loi sur les spectacles vivants, destiné à
rénover l'ordonnance de 1945, qui est à l'ordre du jour au Sénat, si on ne
pouvait l'appliquer ?
C'est la raison pour laquelle, je le confirme, la seule position politique
possible est celle de l'exception culturelle et de l'exclusion de la propriété
intellectuelle des négociations. C'est, du reste, la position de principe
clairement affichée dès le début par le gouvernement français.
Le nouveau gouvernement l'a maintenu et confirmé avec fermeté : « Il n'y aura
pas d'accord si le principe de l'exception culturelle doit être remis en cause
». Vous l'avez dit, monsieur le ministre. Vous avez affirmé que « cette
négociation ne pourra être conclue que si ces résultats représentent des
avantages réels pour les entreprises françaises et leurs salariés », et vous
avez ajouté qu'« il n'y aura pas d'accord si les résultats obtenus dans
d'autres négociations internationales dans le domaine culturel devaient être
remis en cause ».
Mieux, depuis son entrée en fonction, le Gouvernement - notamment Mme
Catherine Trautmann, en sa qualité de ministre - n'a eu de cesse de lutter
concrètement pour défendre cette ligne de conduite auprès des professionnels de
la culture comme de nos partenaires européens, et d'en tenir informés aussi
bien les citoyens que les parlementaires, par plusieurs réunions, colloques et
auditions.
Ce combat permanent, il convient de l'admettre, a jusqu'à ce jour été fort
utile : la France a demandé l'inscription, dans l'accord, d'une exception
culturelle et a su rallier à sa cause le Canada, la Belgique, le Portugal et,
dans une moindre mesure, l'Italie, la Grèce et l'Australie. Contrairement à ce
qu'on a pu comprendre, le Gouvernement a précisé spécifiquement qu'il ne se
contenterait pas d'une clause de réserve, mais qu'il chercherait l'exclusion
générale de la culture du champ de l'accord. Cela a son importance et doit être
souligné, car chacun sait que les réserves sont fragiles et destinées à
disparaître, à terme, du fait des procédures de réexamen prévues.
Nous devons également nous féliciter de l'existence d'une prise de conscience
au niveau européen, avec, pour preuve récente, la résolution adoptée au
Parlement européen et les amendements déposés par la commission de la culture,
soucieuse d'empêcher qu'une adhésion à l'AMI dans le secteur culturel n'entrave
une application correcte de la législation communautaire et ne sape les
diverses initiatives prises dans les secteurs culturel et audiovisuel.
Certes, des incertitudes et des inquiétudes demeurent, et il nous faut donc
rester très attentifs car, si l'AMI apparaît actuellement en grande difficulté,
d'autres négociations peuvent avoir des incidences sur le secteur culturel. Je
citerai notamment le traité transatlantique, le NTM, qui vient d'être présenté
au Conseil de l'Union européenne, soutenu par le commissaire européen sir Leon
Brittan, et qui fait l'objet d'une opposition très ferme de la France. Bien que
la culture soit en principe exclue du champ d'application, les Etats-Unis se
sont déjà déclarés favorables à l'intégration du secteur audiovisuel, et l'on
doit s'attendre à ce que le respect de sir Leon Brittan pour l'exception
culturelle soit tout relatif.
Evoquons également la prochaine négociation del'Organisation mondiale du
commerce, qui devra s'engager au plus tard d'ici à l'an 2000, ou encore le
Livre vert
de la commission européenne sur la convergence, qui
procèdent, tout comme l'AMI, d'une démarche niant la valeur de l'oeuvre
artistique pour la considérer comme un produit de consommation.
En conclusion, je tiens à attirer aussi votre attention, monsieur le
secrétaire d'Etat, sur le fait que, s'il convient de conserver une extrême
vigilance pour sauvegarder l'exception culturelle, il faut prendre également
garde à identifier le champ des activités artistiques et culturelles
susceptibles d'en bénéficier, dans la mesure où les Etats-Unis ont une
conception très vaste du commerce, qui peut englober aussi bien le théâtre
classique que les activités de la compagnie Disney.
Je rejoins donc en cela le projet de résolution du conseil d'administration de
« Villes et cinémas en Europe », réuni à Berlin le 20 février dernier, qui, «
considérant qu'entre les fortes périodes de mobilisation générées par
l'imminence de la signature d'accords commerciaux, il y a relativement peu
d'avancées pour que soit précisée la notion de spécificité culturelle par
rapport à la loi du marché, émet le voeu que le Parlement européen se saisisse
de la question et aboutisse à une définition claire de la notion de
"produit culturel", produit qui doit concourir, non à la croissance
du commerce international, mais au développement de la civilisation ».
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
veux à mon tour intervenir sur ces projets dont on vient de parler si
longuement, mais en m'éloignant totalement du secteur culturel sur lequel tout
a été dit. En citoyen ordinaire, presque un peu néophyte dans ce domaine, je
souhaite formuler quelques réflexions et demander quelques explications sur
tout le reste.
Après avoir eu la réponse de M. le ministre de l'économie à une question posée
par M. Yves Cochet à l'Assemblée nationale, une incertitude m'inquiète.
Le ministre a en effet dit que l'accord en question ne modifiera en rien notre
législation nationale, et je vous remercie de me permettre de le préciser pour
éviter toute confusion. Ce n'est pas un accord de réglementation, c'est un
accord de non-discrimination. C'est une nuance, mais une nuance forte sur
laquelle il serait peut-être bon de faire une analyse sémantique.
Après avoir dit qu'en définitive cet accord ne présentait pas un grand danger,
il a ajouté qu'il n'était pas sûr que le Gouvernement le signerait. « Nous le
signerons s'il est bon ! » a-t-il conclu. Cette position incertaine m'inquiète.
En effet, selon lui, d'un côté, il n'y a pas de risques du fait que c'est un
accord de non-discrimination, mais, de l'autre, il y en a suffisamment pour se
demander s'il faut le signer ! J'aimerais donc avoir quelques éléments de
clarification en ce domaine. C'est le premier point de mon intervention.
J'ai un autre sujet d'inquiétude : c'est la présence de M. Léon Brittan, un
homme d'une qualité intellectuelle certaine, d'une grande capacité
d'organisation, de compréhension, de présentation, mais en même temps d'une
duplicité tout aussi évidente. Il n'arrive pas à cacher son origine politique
fondamentale qui est thatchérienne. Pour lui, la place laissée à l'homme au
travail est tellement minimisée que la flexibilité, qui correspond aujourd'hui
à ce qu'on appelait autrefois « être corvéable à merci », est une réalité !
L'insécurité du travail, la précarité et la faiblesse de la rémunération sont
la règle.
Même si Tony Blair a apporté, ces temps-ci, quelque atténuation à tout cela,
il n'empêche que le travailleur anglais est dans une situation que personne en
fait n'envie, et si, chez nous, certains veulent aller travailler en
Grande-Bretagne, ils s'aperçoivent très vite que ce n'est pas aussi
satisfaisant qu'ils l'avaient imaginé.
En définitive, la « main invisible », qui n'est pas autre chose que le désir,
la décision de produire le plus possible au moindre coût pour assurer profits
et bénéfices au capital, aujourd'hui à ceux qui s'en trouvent bien, les petits
actionnaires, cette main invisible est en fait devenue bien visible !
Ces petits actionnaires qui, aujourd'hui, représentent une masse imposante et
qui, issus, la plupart du temps, de milieux modestes, voient leur situation
améliorée par la progression des actions, sont peut-être les plus grands
défenseurs de cette main invisible qui impose une conception libérale du
capital, celle d'un libéralisme effréné devenu véritablement effronté, que rien
n'inquiète et que rien n'arrête.
Devant cette situation, que j'ai un peu schématisée, sans la caricaturer pour
autant, je souhaite poser quelques questions au Gouvernement pour savoir
comment il va se comporter face à une proposition d'accord, l'AMI, qui a été
élaborée entre vingt-neuf pays riches, peut-être prêts à exploiter les pays
pauvres dans ce domaine, accord qui peut nous mettre dans des situations
difficiles.
Cette proposition a été élaborée en secret : pendant deux ou trois ans,
personne n'en a parlé. Cent quatre-vingt-dix pages ont été écrites. Je n'ai pas
eu le courage de les lire toutes. Je pense que vous en avez fait l'analyse
exhaustive, monsieur le secrétaire d'Etat, aidé par des collaborateurs qui ont
pu mettre en évidence les points les plus importants. En tout cas, cette
proposition marque une étape dans l'avancée du libéralisme qui me paraît
particulièrement importante et inquiétante.
En effet, il est indéniable qu'aujourd'hui les vingt-neuf pays participant à
l'accord accepteraient que les investisseurs viennent s'installer chez eux en
ne respectant que les exigences de leur conception de la façon de produire, au
détriment de celui qui travaille dans la production. Cette conception touche
tous les secteurs de la vie, que je résumerai, sans les énumérer, en quelques
mots : les droits de l'homme au travail.
Je me contente de faire cette référence, sachant que vous connaissez autant
que moi ces droits principaux que les investisseurs mettraient en péril. Il
s'agit surtout de la souveraineté de l'Etat et, au-delà, d'une souveraineté
beaucoup plus importante à mes yeux, celle du citoyen. Effectivement, dans
cette conception, le citoyen en tant que tel est négligé. Il est simplement
considéré comme le travailleur soumis aux exigences.
Peut-on accepter aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, que la légalité
étatique, notre législation dans tous les domaines - social, économique et
politique - soit méprisée à ce point ? Peut-on accepter qu'un investisseur
n'obtenant pas, peut-être de par sa faute, les résultats qu'il escompte,
demande à l'Etat de payer pour lui ?
Non, tout cela nous ne pouvons l'accepter, et il y a des raisons très fortes
de refuser d'entrer dans un tel processus.
Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas discuter. En effet, M. Cluzel a déjà
évoqué l'intérêt et le rôle des investisseurs étrangers chez nous et des
investisseurs français ailleurs ; ils sont effectivement facteurs de
développement. Depuis 1981, la France est bien entrée dans cette évolution,
avec une préférence européenne toutefois, pour aller dans le sens de ce
développement, mais avec des investisseurs respectant ses décisions.
C'est vrai que l'aspect culturel est significatif, mais les autres me
paraissent encore plus dangereux. Et M. Brittan prend en la matière également
de grandes libertés avec sa responsabilité réelle, son poste officiel réel en
se substituant la plupart du temps non seulement à la commission mais même aux
Etats pour favoriser d'autres négociations avec le NTM. Celui-ci d'ailleurs, en
lui-même, m'inquiète presque plus.
En effet, il représente la percée des conceptions américaines dans la vie
habituelle des Français, l'invasion du droit de l'homme américain, d'une
conception américaine qui tend à soumettre à sa façon de vivre, depuis
MacDonald's jusqu'à Coca-Cola, l'ensemble des pays, dont la France. Et cela me
semble presque plus dangereux que l'accord avec les 29 autres pays.
En tant que simple citoyen, je m'inquiète, peut-être exagérément, de ces
évolutions. Il est logique et raisonnable que, peu à peu, le monde entier
s'organise dans une interaction et que cela éloigne au moins les risques de
guerre et de violence que nous avons connus.
L'Europe vient de donner une image extrêmement forte de cette évolution. Mais
il faut aussi qu'elle reste prudente, qu'elle soit en état de se constituer
comme une unité européenne, politique, économique et sociale. Ensuite,
progressivement, elle pourra établir des accords plus importants, en tout cas
plus étendus.
Toutefois, aujourd'hui, au nom de cette Europe à construire et de la place que
la France doit y occuper, nous devons être très vigilants devant cette percée
forte, accompagnée de moyens indiscutablement efficaces, du monde américain,
lequel utilise aussi bien les traités comme celui que nous connaissons que
l'espace : il prend une place telle qu'il finit, là aussi, par dominer. C'est
le problème qui a été soulevé par tous les orateurs qui m'ont précédé à cette
tribune.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Cluzel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, je suis heureux de participer à ce débat relatif à l'accord
multilatéral sur l'investissement, qui a été lancé par M. Gouteyron et qui a
été enrichi par les contributions diverses, fortes, parfois passionnées mais
toujours sages de MM. Ralite, Cluzel, Delaneau, Vidal et Sérusclat.
J'organiserai ma réponse autour de trois thèmes.
En premier lieu, j'examinerai le projet d'accord multilatéral sur
l'investissement dans tous ses aspects.
En deuxième lieu, je répondrai à la demande d'information sur cette
négociation en cours, qui a été exprimée particulièrement par M. Gouteyron.
En troisième lieu, je traiterai des aspects culturels, notamment de
l'exception culturelle sur laquelle vous avez tous insisté avec force.
Enfin, en conclusion, je présenterai quelques remarques sur le libre-échange
transatlantique et sur le rôle de la Commission.
Je commence donc par évoquer la négociation qui a débuté en 1995 au sein de
l'OCDE et à laquelle la France participe, sans avoir
a priori
aucune
objection de principe à formuler, comme l'a dit M. Gouteyron.
Depuis 1948, depuis la mise en place du GATT, des règles organisent le
commerce international, règles qui ont été amplifiées et étoffées en 1994 par
l'accord de Marrakech.
Les investissements directs se développant du fait de l'internationalisation
des économies, il est légitime que les Etats cherchent à définir en la matière
des règles sur une base de réciprocité.
Comme l'a rappelé M. Delaneau, la France est la quatrième puissance économique
mondiale. Nous accueillons heureusement sur notre territoire de nombreuses
entreprises à capitaux étrangers. Elles représentent 30 % des investissements
et 25 % des emplois industriels. Parallèlement, nos entreprises participent
activement au développement de l'économie mondiale. Elles investissent
massivement à l'étranger. Notre pays est donc directement intéressé par une
négociation sur l'investissement international.
En effet, faute de règles et d'un minimum de discipline internationale, nous
serions soumis à la loi pure et simple du marché. Or l'affaire Hoover, dont
certains se souviennent, montre que, même au sein de l'Union européenne, le
déplacement d'investissements manufacturiers peut donner lieu à des
concurrences exacerbées.
En l'absence d'une discipline internationale, des Etats qui se croient plus
forts que les autres pourraient prendre des sanctions unilatérales à portée
extra-territoriale. Nous connaissons tous les tentations américaines de
sanctionner les entreprises qui auraient, par exemple, des relations
commerciales avec Cuba.
Par conséquent, le fait d'instituer un minimum de règles internationales n'est
pas condamnable en soi. Il est important d'avoir un accord, mais certes,
monsieur Sérusclat, cet accord doit être un bon accord, et un bon accord pour
la France doit remplir quatre conditions nécessaires.
Premièrement, pour le Gouvernement français, il n'y aura pas d'accord si
l'exception culturelle et les résultats obtenus dans d'autres négociations
internationales dans le domaine culturel sont remis en cause.
Deuxièmement, l'accord éventuel devra trouver une solution aux problèmes des
législations à portée extra-territoriale ; il s'agit des lois américaines
auxquelles j'ai fait allusion récemment. Ces lois sont contraires au droit
international ; l'accord multilatéral sur l'investissement devrait poser leur
condamnation, et il est clair que les Etats fédérés devraient respecter les
règles souscrites au niveau fédéral.
Troisièmement, il faut que l'Union européenne, avec ses membres actuels et ses
membres futurs, garde la capacité de poursuivre son intégration économique.
Cela signifie clairement que l'Union européenne doit garder la possibilité
d'opérer une différence entre les entreprises européennes, c'est-à-dire celles
qui sont présentes sur son sol, et les entreprises étrangères non européennes,
c'est-à-dire absentes de son sol.
Quatrièmement, la concurrence en vue d'attirer un investisseur ne doit pas
passer par l'abaissement des normes sociales ou par la non-observation des
règles de protection de l'environnement. Cela doit être absolument interdit :
les entreprises devront respecter les normes sociales et environnementales
fondamentales.
Telles sont les quatre conditions que le Gouvernement considère comme
incontournables pour parvenir à un accord. Comme cela a été signalé, la
prochaine réunion des ministres se tiendra les 27 et 28 avril prochains au
siège de l'OCDE.
La France exprimera de nouveau avec force ces quatre conditions et, comme l'a
indiqué M. Vidal, elle n'est pas du tout isolée en la matière. Il est donc
vraisemblable que la réunion des 27 et 28 avril ne pourra permettre, pour
employer un euphémisme, d'aboutir à une conclusion.
En effet, des points de vue très opposés s'affrontent sur les quatre questions
que je viens d'évoquer et, par conséquent, je peux faire le pronostic - mais ce
n'est qu'un pronostic - que cette négociation, qui a été engagée entre les pays
développés membres de l'OCDE, se poursuivra, ce qui paraît normal, au sein de
l'OMC, à laquelle participent les pays en voie de développement.
Certains d'entre vous ont évoqué la difficulté, pour les petites et moyennes
entreprises françaises, d'obtenir un minimum d'assurances juridiques
lorsqu'elles investissent au-delà des limites de l'Union européenne ou, plus
généralement, hors des pays développés, où un certain nombre de règles sont
plus strictement observées. Il est bien évident que les PME ne disposent
généralement pas de services juridiques suffisamment étoffés pour défendre
leurs intérêts.
Dès lors, il est effectivement important que, en matière d'investissements
directs à l'étranger, le champ d'application des règles s'étende aux pays en
voie de développement : il ne s'agit pas seulement de lutter contre le dumping
social que certains sont parfois obligés de pratiquer ; il s'agit aussi
d'imposer aux investisseurs des pays développés intervenant dans les pays en
voie de développement le respect d'un minimum de règles en matière de droits
sociaux, droits sur lesquels M. Sérusclat a, à juste titre, attiré
l'attention.
Sur le premier point, sauf si les quatre conditions françaises étaient
acceptées, ce qui est improbable, il apparaît que la négociation entamée en
1995 ne débouchera pas sur un accord à la fin de ce mois d'avril. La
négociation, qui est utile, se poursuivra donc sans doute dans le cadre de
l'OMC et demandera vraisemblablement encore du temps.
J'en viens maintenant à un deuxième point : l'information des parlementaires,
des professionnels, des créateurs et leur participation à cette négociation.
Reconnaissons tout de même que, depuis 1995, il y a eu un peu plus de
transparence que ce que M. Gouteyron a laissé entendre. En disant cela, je ne
mets d'ailleurs pas spécifiquement en avant le rôle du gouvernement auquel
j'appartiens ; je pense aussi à celui qui l'a précédé.
Sans doute ne suis-je pas le mieux placé pour faire ce rappel mais force m'est
de constater que, lorsque le Gouvernement français a décidé de se lancer dans
la négociation en 1995, il n'a peut-être pas suffisamment consulté le Parlement
et les professionnels. Il y a là un point d'histoire qui reste éventuellement à
éclaircir.
Quoi qu'il en soit, à partir du moment où la négociation a été engagée, des
informations ont été diffusées, des articles de presse ont paru. Sans doute
n'ont-ils pas eu, à l'époque, un écho suffisant. Il reste que les
professionnels de la culture ont, me semble-t-il - l'un d'entre vous l'a dit -
été constamment tenus informés de l'évolution des discussions. De même, les
assemblées parlementaires, par l'intermédiaire des présidents et des
commissions des affaires étrangères, ont reçu, comme il est de règle, les
télégrammes diplomatiques rendant compte de cette évolution.
Mais il faut probablement considérer que, en l'espèce, l'information a été
incomplète ou qu'elle n'a pas fait l'objet d'une diffusion suffisamment
appuyée, ce qui expliquerait la prise de conscience quelque peu tardive.
Aujourd'hui, notre débat de ce matin l'atteste, le sujet est devenu totalement
public ; il est même vibrant ! J'irai jusqu'à dire que la négociation de l'AMI
montre que nous sommes en train de changer de pratique en matière d'association
des assemblées à des négociations d'accords internationaux.
A cet égard, je tiens à indiquer au président Gouteyron comme à M. Ralite que
le Gouvernement est tout à fait partisan d'une information régulière des
commissions parlementaires - j'insiste sur ce pluriel - à la fois en amont des
négociations et pendant leur déroulement. Le Gouvernement espère que, de ce
point de vue, la négociation sur l'AMI pourra être regardée comme un
tournant.
Le Gouvernement manifeste donc une volonté de clarté - pour reprendre un mot
employé par M. Cluzel - afin de permettre aux assemblées d'exercer leur
vigilance. Il existe, me semble-t-il, au moins sur le principe - il conviendra
d'y veiller en pratique - un accord entre le Gouvernement et les assemblées
pour parvenir à une meilleure information et à des échanges réguliers durant
ces grandes négociations internationales qui touchent de près la vie économique
et la vie culturelle de notre pays.
J'en viens maintenant aux aspects spécifiquement culturels.
Vous l'avez constaté, la première condition que le Gouvernement veut imposer
est celle du mainttien de l'exception culturelle. Sur cette notion, il y a en
fait deux débats : un débat technique - qu'est-ce que l'exception culturelle ?
- et un débat plus fondamental, quasiment philosophique.
S'agissant du premier débat, il convient de souligner que l'exception
culturelle n'est pas une notion floue ; elle recouvre deux réalités extrêmement
précises, qui sont, d'une part, le secteur audiovisuel et, d'autre part, la
propriété littéraire et artistique.
Vous vous en souvenez, la préservation de l'exception culturelle avait été
obtenue - arrachée, dirai-je même - à la fin des négociations du cycle de
l'Uruguay. On avait en effet réussi à faire admettre qu'il n'y ait pas
d'engagement de l'Union européenne et de ses Etats membres concernant le
secteur audiovisuel, de façon que ceux-ci puissent garder une totale liberté
d'action dans ce domaine.
Cela nous permet d'aider nos créateurs sans avoir à étendre le bénéfice des
dispositifs de soutien aux industries américaines.
Cependant, ce résultat brillant d'une négociation difficile est exceptionnel,
précisément, dans la mesure où l'exception culturelle n'est pas reconnue en
tant que principe général valant dérogation aux règles multilatérales. Cela
signifie que, au moment où s'engage la négociation sur l'AMI, l'exception
culturelle n'est pas posée au départ : c'est une concession qu'il faut à
nouveau arracher en cours de négociation.
A côté du secteur de l'audiovisuel, dont M. Cluzel a parlé avec la compétence
que chacun lui connaît, il y a la propriété littéraire et artistique. M.
Gouteyron l'a bien expliqué, il existe une conception française du droit
d'auteur et du droit moral qui n'est pas le
copyright
américain. Cette
conception française est protégée par des textes : les conventions de Berne sur
la protection des oeuvres littéraires et artistiques, les conventions de Rome
et de Genève sur la protection des disques et des oeuvres radiodiffusées, ainsi
qu'un accord spécifique de l'Organisation mondiale du commerce, dit « accord
TRIP's », sur la propriété intellectuelle.
Le Gouvernement veut - et, semble-t-il, avec votre soutien entier - que ces
principes qui ont été acquis dans les négociations de l'Organisation mondiale
du commerce soient maintenus dans un futur accord multilatéral sur
l'investissement.
Tel est le champ technique sur lequel nous voulons travailler.
Cependant, comme M. Ralite l'a dit avec lyrisme et profondeur, le débat qui
retentit de l'émotion des créateurs tant français qu'européens n'est pas
seulement technique, et M. Vidal l'a également souligné. C'est un débat
quasiment philosophique, qui postule que la culture n'est pas une marchandise
et que, entre les industries culturelles et les industries manufacturières, il
existe une différence de nature.
Il est clair que ce que M. Ralite a appelé l'« autoritarisme doux des
Etats-Unis » - M. Cluzel évoquant, quant à lui, la « déferlante américaine » -
est un mouvement puissant, animé par une industrie américaine très forte, qui
cherche à imposer, dans le domaine culturel, une logique marchande, alors qu'il
s'agit pour nous d'un univers tout à fait particulier.
A l'évidence, si nous laissions cette « déferlante américaine » balayer notre
territoire, nous verrions certainement, comme dans d'autres secteurs, la
diversité et donc la création en souffrir considérablement.
Fernand Braudel, dans l'
Identité de la France,
a écrit : « France, tu
es diversité. » Je crois que c'est toute l'Europe qui est diversité. Il importe
de perpétuer la diversité de nos cultures, de nos peuples et de nos nations, et
cette exigence revêt une dimension culturelle majeure.
Ainsi que M. Cluzel l'a très bien dit, il s'agit non de dresser une ligne
Maginot culturelle mais, dans une concurrence transatlantique forte, et qui va
aller s'accentuant, d'équilibrer la puissance financière qui se manifeste de
l'autre côté de l'Atlantique par l'engagement résolu des Etats et des peuples
de notre côté.
Je sais que, en la matière, la position du Gouvernement est soutenue très
largement dans ce pays.
Je voudrais enfin répondre à un certain nombre de questions qui ont été
posées, notamment à propos du NTM.
J'ai bien senti, à travers les propos qui ont été tenus à cette tribune, que
nombre d'entre vous, siégeant sur diverses travées, se préoccupaient d'une
sorte de pression libérale parfois excessive. On pourrait dire, en filigrane du
débat de ce matin : chassez le naturel libéral, il revient au galop !
A l'évidence, le commissaire Leon Brittan, dont M. Sérusclat a excellemment
prononcé le nom, fait preuve d'un zèle tout à fait excessif.
La position du Gouvernement en la matière est claire, et elle est d'ailleurs
partagée par le Président de la République : nous ne voulons pas d'un traité de
libre-échange transatlantique ; nous ne voulons pas du projet du commissaire
Leon Brittan, nous l'avons dit, nous l'avons écrit, et ce sera encore rappelé
lundi au Conseil européen des affaires générales.
Il n'est pas question de manifester, vis-à-vis des Etats-Unis, la moindre
défiance mais il nous apparaît que ce type d'accord transatlantique contredit,
d'abord, la liberté du commerce mondial et qu'il est, en outre, esquissé dans
des conditions juridiques et politiques absolument contestables.
Puisque j'ai évoqué le commissaire Leon Brittan, je voudrais répondre à la
question de M. Cluzel sur le rôle de la Commission en ce qui concerne l'accord
multilatéral sur l'investissement.
Sur un sujet qui est non pas de compétence communautaire mais de compétence
nationale, il est normal que, au sein de l'OCDE, ce soient les Etats membres
qui mènent la négociation. Bien entendu, la négociation ne saurait conduire à
établir des discriminations entre Etats européens, et un minimum de
coordination communautaire est requis, mais il est clair que, dans cette
affaire, la solidarité de l'Europe sur ces sujets n'est pas encore acquise,
c'est le moins que l'on puisse dire, et cela rendra particulièrement difficiles
les réunions des 27 et 28 avril.
En ce qui concerne l'accord multilatéral sur l'investissement, la Commission
est donc restée discrète. Elle a cependant insisté sur l'une des quatre
conditions que j'ai citées tout à l'heure, à savoir la capacité pour l'Union
européenne et les Etats membres de distinguer les entreprises selon qu'elles
sont ou non présentes en Europe. Toutefois, lorsque la pression américaine
s'est révélée trop forte, certains membres de la Commission ont pu avoir la
tentation du retrait et du compromis.
Vous aurez compris que la France est, elle, loin d'éprouver une telle
tentation.
Pour conclure, je tiens à souligner que l'attitude que nous avons en France et
même en Europe vis-à-vis des Etats-Unis - sans parler de l'Asie, qui traverse
actuellement une période difficile - n'est ni frileuse ni complexée.
Depuis quelques mois, voire plus longtemps, l'Europe a repris sa marche en
avant. C'est net dans le domaine économique, avec une expansion qui reprend de
la vigueur, entraînée par le mouvement de la consommation et de
l'investissement. L'an prochain, selon toutes probabilités, la croissance
européenne - et particulièrement la croissance française, qui pourrait se
situer en tête - sera supérieure à la croissance américaine. Et je n'oserai pas
établir de comparaison avec la croissance japonaise, qui ne peut être perçue
qu'à l'aide d'une grosse loupe ! Nous redevenons donc un pôle de croissance
dans le monde.
L'euro, dont vous allez débattre, créera une zone de stabilité et de
dynamisme.
Enfin, dans le domaine culturel, l'Europe a été, est et sera un grand foyer de
civilisation. Le Gouvernement, comme, je le pense, tous les sénateurs, tous les
créateurs et l'ensemble du pays, est très attaché à ce que l'Europe reste un
foyer éclatant et durable de création culturelle.
(Applaudissements.)
M. Adrien Gouteyron.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je veux d'abord vous remercier d'avoir accepté
ce débat. Votre réponse comporte des éléments qui complètent notre information
et apportent un éclairage supplémentaire dont nous avions bien besoin.
Permettez-moi de revenir sur quelques points qui, au fond, reprennent les
propos tenus dans ce débat. Vous avez bien compris que le Sénat n'éprouvait pas
d'opposition de principe à un accord multilatéral sur l'investissement, au
contraire. Certains orateurs, tout particulièrement M. Delaneau, ont fait
remarquer l'intérêt de la France et la position qu'elle avait dans les échanges
internationaux.
Nous avons donc le plus grand intérêt à ce que les règles soient clairement
posées et respectées par tous. Vous avez expliqué l'avantage que cela
représenterait pour nos échanges avec certains pays du tiers monde, notamment,
pour être plus précis, certains pays d'Asie. C'est évident, et tout le monde
est d'accord sur le principe.
Vous nous avez également bien expliqué que le Gouvernement serait extrêmement
vigilant, mieux qu'il ferait de l'exception culturelle une condition à un
accord éventuel. Nous nous en réjouissons comme de votre mention de manière
très appuyée, des droits d'auteurs et des droits voisins.
En effet, la conception française est une conception à laquelle non seulement
nos créateurs et nos artistes, mais aussi tous les Français sont
fondamentalement attachés parce qu'elle exprime bien ce qu'est notre souci de
la valeur personnelle de la création.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez pris l'engagement d'associer le
Parlement à ce débat. Il y aurait peut-être à dire sur la manière dont il a été
informé dans le passé, mais je n'y reviendrai pas car cela n'aurait pas
d'intérêt.
Toutefois, je souhaite revenir sur les propos que vous venez de tenir. Vous
avez parlé de l'information des commissions et vous avez, à juste titre,
employé le pluriel. Il faut aller plus loin : c'est l'assemblée tout entière
qui doit être informée. Le débat qui vient d'avoir lieu montre bien l'intérêt
d'une telle information.
Mais encore faudra-t-il trouver le temps nécessaire pour inscrire à l'ordre du
jour des assemblées, notamment du Sénat, un débat de cette nature.
Permettez-moi de vous dire que cela n'a pas été très facile : ceux qui
participent à la conférence des présidents l'ont constaté comme moi.
Par conséquent, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat - ce sera la
conclusion de ce court propos - d'intervenir auprès de toutes les instances
gouvernementales pour que le Parlement puisse débattre de sujets aussi
fondamentaux pour notre pays et qu'une place soit laissée à cet effet dans
l'ordre du jour des deux assemblées.
Vous avez parlé de l'Europe, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous souhaitons
bien entendu qu'elle parle d'une seule voix mais nous savons bien que ce n'est
pas facile notamment dans certains domaines, tels que le domaine culturel.
Dans le passé, le Gouvernement français a réussi à entraîner nos partenaires
de l'Union européenne. Permettez-moi, en terminant ce propos, d'émettre un voeu
: je souhaite vraiment, et de tout coeur, que dans les négociations à venir ce
soit aussi le cas, que la France ait un rôle pilote, un rôle moteur. C'est
elle, on le sait bien, qui peut, d'une certaine façon, donner une âme à
l'Europe, et cela nous le désirons tous.
(Applaudissements.)
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
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