STATUT DE LA BANQUE DE FRANCE
DISCUSSION D'UN PROJET DE LOI
DÉCLARÉ D'URGENCE
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 383, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant le
statut de la Banque de France en vue de sa participation au Système européen de
banques centrales. [Rapport n° 388 (1997-1998).]
Mes chers collègues, je vous informe que M. le ministre m'a indiqué qu'il nous
quittera tout à l'heure pour se rendre à l'Assemblée nationale. Il sera alors
remplacé par M. Sautter. Mais il reviendra dès que possible.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mesdames,
messieurs les sénateurs, comme vous l'a indiqué M. le président, compte tenu de
la concomitance de ce débat avec celui qui se tient à l'Assemblée nationale,
conformément à l'article 88-4 de la Constitution, sur la résolution
recommandant le passage à l'euro, je serai obligé de m'absenter tout à l'heure
et vous prie de bien vouloir m'excuser. M. Christian Sautter me remplacera
alors ; je reviendrai dès que possible, mais je n'ai malheureusement pas pu
trouver d'autre solution.
Le contexte dans lequel s'inscrit ce projet de loi, qui vise à adapter les
statuts de la Banque de France au Système européen de banques centrales, est
bien connu. Je rappellerai simplement certains faits que nul d'entre vous
n'ignore.
En 1992, le peuple français a ratifié par référendum le traité de Maastricht,
qui prévoit notamment, et sans doute est-ce la pièce maîtresse, l'entrée en
vigueur au 1er janvier 1999 de la monnaie unique pour un certain nombre de pays
remplissant des conditions prédéfinies. Comme vous le savez, ces conditions
sont de nature à la fois économique et juridique ; les techniciens, dans leur
jargon, parlent, eux, de « convergence économique » et de « convergence
juridique ».
La « convergence économique » est censée être mesurée - je dis bien « est
censée », car le débat sur ce point est ancien et peut se poursuivre, même si
le sujet est devenu quelque peu obsolète - par différents éléments : le taux
d'inflation ne doit pas dépasser de 1,5 point la moyenne des trois meilleures
performances des Quinze ; le taux d'intérêt à long terme ne doit pas excéder de
plus de deux points ceux qui sont pratiqués par les trois Etats où les taux
sont les plus bas ; le déficit budgétaire doit être inférieur à 3 % du produit
intérieur brut et la dette nationale à 60 % de ce même produit intérieur brut.
Enfin, ne pourront participer à la monnaie unique que les Etats ayant été
membres du système monétaire européen pendant au moins deux ans avant la date
du passage à l'euro.
Le 25 mars dernier, l'Institut monétaire européen et la Commission ont remis
chacun un rapport. Ces deux rapports, qui sont d'ailleurs fort proches,
dressent, l'un et l'autre, la liste des pays susceptibles d'entrer dans la
monnaie unique et répondant donc aux critères posés par le traité. Onze pays se
trouvent dans ce cas, dont la France. Je pense que nous devons tous nous
réjouir, quelle qu'ait été la position que nous avons défendue au regard du
traité de Maastricht, de constater que ces critères aient bien été remplis. Il
était d'ailleurs de notre devoir, comme de celui des gouvernements qui se sont
succédé, de faire en sorte qu'ils le soient.
Je dirai même, sans ironie mais avec un sourire, que la France fait partie des
trois seuls pays remplissant strictement l'ensemble des critères. Tel n'a pas
été le cas de tous les pays. Je pense en particulier à nos amis allemands, qui
sont si prompts parfois à donner des leçons de bonne gestion. En effet, comme
vous le savez, leur déficit budgétaire par rapport au produit intérieur brut
est quelque peu supérieur au taux requis.
Certes, nous savons que cette situation est due à la réunification de
l'Allemagne et aux conditions économiques particulières des
Länder
de
l'Est, mais il n'en demeure pas moins que, sur le plan formel, seuls trois pays
remplissaient au sens le plus strict les conditions requises, même si celles-ci
pouvaient être interprétées - le traité lui-même le prévoit - de façon plus
large. Ainsi, onze pays ont pu être retenus.
Outre les critères de convergence économique, le traité a prévu un critère dit
de convergence juridique. Il s'agit de la mise en conformité du statut des
banques centrales des différents pays potentiellement admis à la monnaie unique
avec le futur statut de la Banque centrale européenne.
Le traité prévoit qu'une banque centrale européenne chapeautera et coordonnera
un Système européen de banques centrales, chaque banque centrale des pays
membres demeurant. Ainsi, la Banque de France continuera, bien sûr, d'exister
et remplira des fonctions spécifiques.
Mais, pour que la coordination soit possible, encore faut-il que les statuts
de ces banques centrales soient homogènes et que ces dernières remplissent
notamment les conditions d'indépendance par rapport aux autorités politiques,
qui sont l'un des fondements du traité.
La monnaie unique ne devant entrer en vigueur qu'au 1er janvier 1999, certains
pouvaient penser que nous avions tout le temps pour adapter les statuts de la
Banque de France. La réalité est différente, car le traité - et les fins
connaisseurs que vous en êtes le savent - prévoit que le Système européen de
banques centrales commencera à fonctionner le 1er juillet 1998 et que le second
semestre de cette année devra être consacré à la préparation de l'entrée en
vigueur de l'euro.
Le Système européen de banques centrales doit donc être mis en place avant le
1er juillet prochain. En conséquence, les statuts de la Banque de France
doivent avoir été adaptés. Qui plus est, cette adaptation doit être plus
rapprochée, car, comme je le disais en préambule, il s'agit là d'un critère de
convergence juridique. La conformité des statuts de la Banque de France doit
pouvoir être vérifiée par le sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement qui se
réunira le 2 mai à Bruxelles. Il fallait donc que ces statuts aient été
adaptés.
Tel a été le cas dans tous les pays qui, bien que cela ne fût pas évident,
considéraient qu'ils participeraient à la monnaie unique, c'est-à-dire les onze
pays qui le souhaitaient et qui le pouvaient. Au cours de l'année qui vient de
s'écouler ou, pour certains, au cours de ces derniers mois, voire de ces
dernières semaines, ces Etats ont adapté les statuts de leur banque
centrale.
Cette adaptation consiste principalement à transférer les derniers liens
qu'une autorité politique pouvaient exercer sur la Banque de France à
l'institution qui gérera la monnaie, à savoir la Banque centrale européenne. Je
pense notamment à la politique de change.
Il fallait donc, au prix de quelques petits aménagements - c'est pourquoi le
projet de loi qui vous est soumis comprend si peu d'articles - que les statuts
de la Banque de France permettent ce transfert tel qu'il est prévu par le
traité. Encore fallait-il procéder à sa mise en oeuvre en droit interne.
Tel est donc, mesdames, messieurs les sénateurs, l'objet du projet de loi qui
vous est présenté.
J'ai pu constater que le Sénat n'avait pas souhaité présenter de nombreux
amendements, tant il est vrai d'ailleurs que ce texte est surtout de nature
technique, même si l'environnement dans lequel il s'insère est éminemment
politique. Or, il est plus question de l'environnement que du texte lui-même.
Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'y revenir plus longuement et plus au fond
lors de l'examen de la résolution de la commission des finances sur la
recommandation de la Commission européenne relative au passage à la monnaie
unique, dont ce texte ne constitue qu'un élément.
Certains ont, à juste raison, fait observer qu'il eût été sans doute plus
logique de commencer par débattre du passage à l'euro pour, ensuite, en tirer
simplement un certain nombre de conséquences en termes de mise en oeuvre.
Certes ! Mais les calendriers un peu complexes de l'Assemblée nationale et du
Sénat n'ont pas permis de suivre cet ordre logique et nous nous trouvons donc
dans une situation un peu particulière puisqu'il nous faudra revenir sur un
débat plus général après avoir examiné des éléments plus techniques concernant
la Banque de France.
A vrai dire, le débat a déjà eu lieu puisque le projet de loi portant diverses
dispositions d'ordre économique et financier déjà prévoyant certaines
dispositions relatives à la comptabilité des entreprises afin de leur
permettre, dès le 1er janvier 1999, de tenir, si elles le souhaitent, leur
comptabilité ou d'établir leur déclaration fiscale en euro.
L'autre élément du contexte, bien sûr, c'est que nous avons là l'occasion d'un
débat sur le rôle de la Banque centrale européenne et sur la façon dont sera
conduite la politique monétaire après le passage à l'euros.
De ce point de vue, je veux souligner que, depuis un peu moins d'un an, la
situation a, selon nous, beaucoup évalué. Le Gouvernement, lorsqu'il est entré
en fonction, a, dès les premiers jours, insisté, vous vous en souvenez
certainement, pour qu'existe un pendant au pacte de croissance et de stabilité
qui avait été discuté à Dublin et pour que ce pendant se traduise à la fois par
la volonté de s'engager de façon plus manifeste dans la lutte contre le chômage
et par la mise en place d'un organe de coordination des politiques économiques
qui serait en quelque sorte le contrepoids de la banque centrale. En effet,
dans les pays où il existe une banque centrale indépendante, aussi indépendante
soit-elle, celle-ci a en face d'elle un gouvernement qui, d'une manière ou
d'une autre, lui donne des orientations de politique économique et dialogue
avec elle.
Or, dans le traité, rien de tel n'est prévu. On peut penser que les rédacteurs
du traité avaient présent à l'esprit que tous les pays de l'Union passeraient à
la monnaie unique et donc que le conseil ECOFIN, qui réunit, comme vous le
savez, les ministres de l'économie et des finances des différents pays, serait
précisément ce contrepoids politique de la banque centrale indépendante.
En réalité, tous les pays ne passeront pas à la monnaie unique. En effet,
quatre pays, soit qu'ils ne l'aient pas voulu, soit qu'ils n'aient pas pu,
resteront, au moins pour un temps, à l'extérieur de la monnaie unique. Dès
lors, il convenait de savoir dans quel cénacle la discussion de coordination
des politiques économiques, l'organisation de la discussion avec la Banque
centrale européenne allait se tenir.
La France a beaucoup insisté pour que soit créé ce qui a pris le nom de «
Conseil de l'euro » - on l'a appelé aussi l'« euro x », le x figurant le nombre
de pays ; aujourd'hui, nous savons qu'il s'agira de l'« euro 11 ». Ce sera le
lieu d'une coordination des politiques budgétaires particulièrement approfondie
entre les pays qui partagent la même monnaie, les mêmes taux d'intérêt, le même
taux de change et qui ont donc besoin, en matière de politique budgétaire, de
savoir très précisément ce que les uns ou les autres peuvent faire.
Le Conseil de Luxembourg, au mois de décembre, dans une résolution des chefs
d'Etat et de gouvernement, a mis en place ce Conseil de l'euro. S'y ajoutent le
sommet qui s'est tenu sur l'emploi et, surtout, la répétition désormais
acquise, tous les ans, d'un sommet sur l'emploi, sans oublier les plans
nationaux pour l'emploi qui vont être soumis à Cardiff, au même sommet des
chefs d'Etat et de gouvernement, dans quelques semaines. Tout cela, qui fait de
l'emploi une priorité beaucoup plus forte que par le passé, rééquilibre, selon
le Gouvernement, l'aspect strictement budgétaire que le pacte de stabilité et
de croissance avait mis en place.
Dans ces conditions, le débat qui, pendant longtemps, a porté sur la manière
dont nous allions passer à l'euro, sur le nombre de pays qui l'adopteraient et
sur la satisfaction ou non des critères de convergence est, semble-t-il, un peu
derrière nous. En effet, le véritable débat est désormais de savoir comment
faire fonctionner cette monnaie unique. De ce point de vue, l'apport de la
France a été décisif.
Nous allons en débattre. A partir de là, nous prendrons éventuellement en
compte les amendements que la commission des finances du Sénat a bien voulu
retenir ou que certains d'entre vous ont déposés.
Bien que je souhaite être concis, je ne saurais passer sous silence un
événement qui concerne un autre aspect de l'activité de la Banque de France
n'ayant pas de rapport avec le projet de loi visant à modifier le statut de cet
établissement. Cependant, comme il se passe un peu en même temps, il
interférera inévitablement avec la présente discussion. Je veux parler de la
décision de gestion de la direction de la Banque de France de réduire un
certain nombre de services de caisse dans ses succursales.
Nombre d'élus au Sénat et à l'Assemblée nationale, de maires, de présidents de
conseil général, se sont émus de cette réorganisation de la Banque de France.
Aussi, je souhaiterais, en quelques mots, vous donner la position du
Gouvernement à cet égard. Je le répète : ce point n'a pas de rapport avec le
présent projet de loi, mais il ne serait pas normal que l'on n'en discute pas à
cette occasion.
La Banque de France a donc souhaité réduire un certain nombre de services de
caisse dans plusieurs succursales. Il est vrai que certains de ces services
sont ouverts très peu de temps dans la journée, ce qui ne justifie pas
obligatoirement leur maintien.
Un plan m'a été proposé par la direction de la Banque de France. J'ai
immédiatement indiqué - c'était en décembre, ou au début du mois de janvier -
que ce plan ne saurait recueillir l'accord du Gouvernement s'il ne faisait pas
l'objet d'une discussion avec les salariés et leurs organisations
représentatives. J'ai donc demandé qu'une concertation étroite ait lieu, à
partir de quelques principes.
D'abord, si on peut réduire certains services de caisse, aucune succursale ne
doit être fermée. D'ailleurs, le projet de loi contre les exclusions, qui
comporte un titre relatif au surendettement, va donner à certaines de ces
succursales un regain d'activité.
Ensuite, aucun licenciement ne doit intervenir.
C'est sur cette base et à partir d'une concertation réelle, qui doit avoir
lieu avec les personnels, que nous pourrions envisager, avais-je dit, comment
cette institution pourrait être amenée à évoluer. Il est normal que, comme
toute autre structure, elle ne soit pas figée et puisse évoluer.
Depuis, la concertation a commencé. Je considère qu'elle n'est pas encore
allée assez loin. Nombre d'entre vous, comme les syndicats de la Banque de
France, ont souhaité qu'une négociation plus étroite s'engage avec la banque.
Cette question mérite débat, si vous voulez la soulever. Je précise simplement
que le Gouvernement est prêt à répondre, pour ce qui le concerne.
Je souligne que le rapprochement entre ces deux questions, qui, aux yeux de
certains, peut sembler malicieux, est purement fortuit. Le passage à l'euro n'a
évidemment aucune conséquence sur l'activité des services de caisse de la
banque centrale.
Tels sont les éléments du contexte macro-économique, internationaux ou plus
nationaux et sociaux, dans lequel se situe le texte que le Gouvernement a
l'honneur de vous présenter aujourd'hui. Je souhaite que nous ayons un débat
aussi approfondi que vous le voudrez, étant entendu, encore une fois, que nous
aurons à revenir sur de nombreux éléments du passage à l'euro en général à
l'occasion du débat de demain. Je vous prie de m'excuser si je suis aujourd'hui
amené à dire des choses que je répéterai demain. Mais sans doute pensez-vous
comme moi que abondance de biens ne nuit pas et que le passage à l'euro est,
pour notre pays, suffisamment important pour que nous n'hésitions pas à
l'évoquer à plusieurs reprises si cela s'avère nécessaire.
(Applaudissements
sur les travées socialistes. - MM. Cabanel, Lesbros et Ginton applaudissent
également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le Sénat doit examiner le projet de loi visant à
modifier le statut de la Banque de France pour lui permettre de participer au
Système européen de banques centrales, le SEBC.
Ce texte marque la volonté constante - M. le ministre l'a rappelé - de
gouvernements successifs d'inscrire la France dans la construction européenne,
oeuvre de paix, de stabilité et de prospérité.
En effet, pour la deuxième fois en cinq ans, le législateur est amené à
modifier les statuts de la banque centrale, afin de les rendre compatibles avec
les dispositions du traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7
février 1992.
La loi du 4 août 1993, beaucoup d'entre vous s'en souviennent, mes chers
collègues, avait accordé son indépendance au conseil de la politique monétaire
de la Banque de France, qui définissait la politique monétaire française. Je
précise que cette indépendance ne vaut que pour la politique monétaire, la
Banque de France exerçant beaucoup d'autres activités, soumises au contrôle du
Gouvernement. Il s'agissait, à l'époque, de permettre à la France d'entrer dans
la deuxième phase de l'Union économique et monétaire, qui a débuté le 1er
janvier 1994 et qui se terminera le 31 décembre 1998.
Ces cinq années auront permis aux Etats membres de réaliser une forte
convergence de leurs économies, qui est soulignée à la fois dans le rapport de
la Commission européenne et dans celui de l'Institut monétaire européen du 25
mars dernier.
Mais si la convergence est économique - ce sont les fameux critères de
Maastricht - elle comporte également des exigences en termes juridiques, que M.
le ministre a rappelées, à savoir la compatibilité des législations nationales
avec le traité et le Système européen de banques centrales, qui conditionne le
passage à la monnaie unique : en effet, la convergence juridique est une
condition nécessaire mais non suffisante pour participer à l'euro.
Le 2 mai prochain, à Bruxelles, le Conseil européen arrêtera la liste des
Etats participants à l'UEM, qui devraient être au nombre de onze. Nous en
reparlerons à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution.
La préparation de la troisième phase commencera dès cette date, avec la mise
en place des institutions monétaires européennes, c'est-à-dire la Banque
centrale européenne et la nomination des six membres de son directoire, qui
siégeront au conseil des gouverneurs aux côtés des gouverneurs des banques
centrales nationales.
Or, les statuts actuels de la Banque de France ne permettent pas encore à son
gouverneur de participer au conseil des gouverneurs de la Banque centrale
européenne.
L'objet du présent projet de loi est justement d'apporter les modifications
nécessaires au statut de la Banque de France pour tenir compte de la mise en
place du SEBC et assurer ainsi son intégration dans ce dernier. Sur ce dossier,
le législateur a, comme en 1993, une compétence en grande partie liée : il
s'agit à nouveau de tirer les conséquences du traité de Maastricht, approuvé
par référendum, et non de légiférer
ex nihilo.
J'en viens aux principales dispositions du projet de loi.
Je précise que la commission des finances a considéré qu'il s'agissait d'un
texte technique. Sans doute, risque-t-il de susciter, une nouvelle fois,
certaines prises de position hostiles à la monnaie unique européenne.
Permettez-moi d'exprimer le souhait qu'il n'en soit pas ainsi, dès lors que le
peuple souverain s'est prononcé par référendum, le 20 septembre 1992. Veillons
donc à garder au débat son caractère technique, afin que notre texte soit aussi
conforme que possible aux exigences posées par le traité.
L'examen de ce texte serait en quelque sorte détourné de sa vocation s'il
visait à remettre en question le choix fait par les Français voilà six ans ou à
rouvrir une question aujourd'hui tranchée.
Les modifications apportées à la loi du 4 août 1993 par le présent projet de
loi portent essentiellement sur deux points.
Selon l'article 1er, la définition de la politique monétaire interne relèvera
désormais du SEBC, et non plus du conseil de la politique monétaire de la
Banque de France. Le SEBC est un organe qui, je le rappelle, est composé de la
Banque centrale européenne et des banques centrales nationales : le conseil des
gouverneurs de la Banque centrale européenne sera chargé de définir la
politique monétaire, dont l'objectif principal est la stabilité des prix, et
les banques centrales nationales seront compétentes pour en assurer la mise en
oeuvre, en liaison avec le directoire de la BCE.
L'article 2 prend acte du fait que la détermination du régime de change et des
orientations générales de la politique de change relèveront du Conseil de
l'Union européenne pour ce qui concerne sa définition - c'est l'article 109 du
traité - et du SEBC pour sa mise en oeuvre - c'est l'article 105 - et non plus
des gouvernements nationaux.
Les autres dispositions du présent projet de loi tirent les conséquences de la
participation au SEBC sur d'autres domaines : les compétences du conseil
général seront désormais délimitées par celles du SEBC puisque, au sein du
conseil général, siège un représentant de l'Etat avec droit de veto.
Pour compléter le texte sur ce point, la commission des finances proposera,
monsieur le ministre, un amendement visant à préciser les compétences de la
Banque de France en matière de systèmes de paiement, dont la promotion du bon
fonctionnement est expressément définie par le traité de Maastricht comme une
mission fondamentale du SEBC. De même, le conseil de la politique monétaire, le
CPM, ne pourra en aucun cas adresser de mandat au gouverneur lorsque ce dernier
prendra part au Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne ; le
gouverneur est en effet soumis à des règles de confidentialité.
Cela m'amène, mes chers collègues, à vous exposer mon point de vue sur la
réforme des missions du conseil de la politique monétaire.
Vous avez bien sûr tous compris que le CPM perdra l'essentiel de ses
compétences, c'est-à-dire la définition de la politique monétaire interne.
L'article 4 du présent projet de loi lui assigne néanmoins deux missions
importantes. Il s'agit, d'une part, de l'examen des évolutions monétaires et de
l'analyse des implications de la politique monétaire élaborée dans le cadre du
SEBC. Il s'agit, d'autre part, de la mise en oeuvre des instruments nationaux
de la politique monétaire dans le cadre des orientations et des instructions de
la Banque centrale européenne.
Le CPM devra donc étudier la politique monétaire européenne et en tenir
informés les agents économiques nationaux et l'opinion publique française en
général. Sa tâche sera donc à la fois technique et pédagogique.
Important pas ses conséquences sur les missions du CPM, le traité de
Maastricht n'influe pas, en principe, sur ses structures. La commission des
finances est cependant d'avis qu'un accroissement de la légitimité démocratique
du CPM permettrait de renforcer son rôle et sa crébilité : le CPM devrait
devenir, en effet, l'interlocuteur permanent de la représentation nationale.
C'est pourquoi l'examen du présent projet de loi nous a semblé constituer une
bonne occasion de modifier les modalités de désignation des membres du CPM. En
effet, le système actuel est non seulement complexe, de par la distinction
qu'il opère entre proposition et nomination, mais également opaque, à cause du
jeu confus et parfois ambigu des listes de présentation.
Je vous proposerai donc, au nom de la commission des finances, un dispositif
inspiré de la proposition de loi de nos collègues Philippe Marini, Hubert
Haenel et Roland du Luart, dont je rappellerai brièvement les principales
dispositions.
Les neuf membres du CPM seraient désignés, par tiers, par le Président de la
République, par le président du Sénat et par le président de l'Assemblée
nationale, le Président de la République nommant le gouverneur, les présidents
de l'Assemblée nationale et du Sénat nommant chacun un sous-gouverneur. Le
mandat de tous les membres du Conseil serait de neuf ans ; il ne serait ni
révocable ni renouvelable. Le Conseil se renouvellerait par tiers tous les
trois ans.
Le CPM serait ainsi comparable, dans son mode de désignation, au Conseil
constitutionnel ou au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
La commission des finances estime également que le CPM, puisqu'il ne définira
plus la politique monétaire interne, devra voir son rôle d'information accru :
c'est pourquoi elle propose un amendement lui permettant d'être auditionné par
les commissions des finances du Parlement.
Enfin, je voudrais aborder un dernier point qui peut paraître à certains un
peu léger mais qui me semble très important, relatif à la qualité
rédactionnelle du présent projet de loi.
Le Conseil d'Etat avait déploré voilà quelques années, d'une part, la
détérioration de la règle juridique, en dénonçant l'absence de portée normative
d'un nombre croissant de dispositions - c'est ce qu'il appelait le droit «
gazeux » - et, d'autre part, l'illisibilité de certaines règles.
Quelques dispositions du présent projet de loi peuvent appeler une telle
critique.
En effet, certains alinéas procèdent par référence à des articles du traité,
sans en préciser l'objet, ce qui en rend difficile voire impossible la lecture
et vaine l'affirmation selon laquelle « nul n'est censé ignorer la loi ».
Il vous sera donc proposé que le Sénat reste le gardien de la lisibilité des
textes et, à cette fin, que chaque article de ce projet de loi soit une
disposition juridique accessible à chaque citoyen français.
Dans le même souci de ne pas multiplier les normes inutiles, la commission
vous demandera de bien vouloir supprimer ou modifier certains articles
introduits par l'Assemblée nationale, qui ont pour objet de réaffirmer
certaines missions de la Banque de France et de conforter le rôle des
succursales.
Ni ces missions ni ce rôle ne sont remis en cause par le projet de loi. En
revanche, les adjonctions proposées par l'Assemblée nationale ne les
garantissent pas ; elles pourraient même, parfois, les limiter.
M. Gérard Delfau.
Mais non !
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Le débat qui a eu lieu en commission des finances montre que
celle-ci partage pleinement les préoccupations de l'Assemblée nationale. Mais
elle ne peut souscrire à l'introduction dans la loi de dispositions relevant du
domaine réglementaire...
M. Gérard Delfau.
Mais non !
M. Alain Lambert
rapporteur.
...voire du règlement intérieur de la Banque de France, et
dont la portée est, de toute façon, extrêmement réduite.
Des engagements clairs du Gouvernement sur ces sujets - M. le ministre en a
déjà pris tout à l'heure mais il pourra en prendre d'autres lors de la
discussion des articles - auraient une portée sans doute plus significative.
Sous ces réserves, qui ne sont pas fondamentales, la commission des finances
vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le présent projet de
loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, le projet de loi soumis aujourd'hui à notre examen ne laisse
pas une grande place - c'est évident - à l'initiative parlementaire. Il vise à
transcrire dans notre droit interne les prescriptions du traité sur l'Union
européenne relatives à la troisième phase de l'union économique et monétaire,
traité qui, je le rappelle, a été ratifié par référendum le 20 septembre
1992.
M. Emmanuel Hamel.
Ce n'était pas Valmy !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Par ailleurs, la Commission de Bruxelles a
déjà estimé que le projet de loi, « sous la forme actuelle », assurait la
compatibilité de la législation française avec les exigences du traité et des
statuts du système européen de banques centrales, le SEBC.
Il n'en demeure pas moins vrai, comme vient de le démontrer brillamment M. le
rapporteur général, que des points doivent être éclaircis, que certains
amendements votés par l'Assemblée nationale ne sont pas, de notre point de vue,
juridiquement nécessaires et - j'insiste tout particulièrement sur ce point -
que l'association des parlements nationaux à la construction monétaire de
l'Europe doit être précisée et renforcée.
M. Paul Loridant.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Nous voulons être informés. Nous voulons
dialoguer. Nous devons pouvoir faire connaître nos points de vue, dans un
esprit constructif, au service de l'intérêt général européen et français.
(M. Maurice Lombard applaudit.)
En préambule de mon intervention et dans ma fonction de président de la
commission des finances du Sénat, je voudrais souligner la qualité de la
relation que nous avons nouée depuis 1993, année au cours de laquelle a été
votée l'indépendance de la Banque de France, avec celle-ci et avec son
gouverneur. Qu'il s'agisse des relations constantes entre les services, du rôle
du comité de suivi de la politique monétaire animé par nos collègues Alain
Lambert, Philippe Marini et Paul Loridant, ou des nombreuses auditions
organisées par la commission des finances, je m'autorise à dire à cette tribune
que nous avons bien accompli notre mission et démontré que l'indépendance d'une
banque centrale pouvait et devait se concilier avec les exigences légitimes du
dialogue permanent et de la transparence démocratique.
Je souhaite ardemment que cette collaboration se poursuive, qu'elle
s'approfondisse même et qu'elle trouve à s'appliquer au niveau supérieur, celui
de la Banque centrale européenne. Les amendements qui seront défendus par M. le
rapporteur général, au nom de la commission des finances, y contribueront
utilement, j'en suis convaincu.
Le Sénat, qui n'est pas une « anomalie » (
sourires
), démontrera ainsi,
si besoin était, la constance de son engagement résolu mais raisonné en faveur
de la construction européenne : une constance - je tiens à le souligner -
indépendante des fluctuations qui traversent le pays à intervalles réguliers ;
une constance dont ne peuvent que se féliciter les gouvernements successifs,
qui savent pouvoir compter, dès l'instant où leurs projets sont raisonnables et
participent de l'intérêt général du pays, sur son soutien actif ; une
constance, enfin, qui souligne bien la sagesse - il est nécessaire de le
rappeler aujourd'hui - et la compétence de la Haute Assemblée, sagesse et
compétence qui ne sont pas de vains mots et qui ont d'ailleurs été soulignées à
cette tribune par tous les gouvernements successifs.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est de l'autosatisfaction !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ce n'est pas une « anomalie » !
(Rires.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Je n'apporterai qu'un dernier élément en
faveur de la compatilité entre l'indépendance et la transparence, celui du
rapport spécifique sur la convergence que j'ai demandé à la Banque de France
d'établir, bien sûr avec l'accord unanime de la commission de finances.
En effet, pour la première fois, le Conseil de la politique monétaire a rédigé
à l'attention du Parlement un document fort intéressant qui - je tiens à le
préciser - n'est pas le rapport annuel distribué par la Banque de France, que
nous connaissons bien. Ce document prend acte des progrès intervenus en Europe
sur la voie de la convergence économique, mais il souligne également - je vous
y rends attentifs, mes chers collègues - les faiblesses de notre redressement
budgétaire. Confirmant ainsi le jugement constant porté par le Sénat - ce
jugement a d'ailleurs encore été exprimé à l'occasion de la discussion du
projet de loi des finances pour 1998 - le Conseil de la politique monétaire
considère que l'aggravation de la pression fiscale « constitue le facteur
principal du redressement des comptes publics. Mais les prélèvements
obligatoires ayant atteint un niveau sans précédent, la poursuite de la
consolidation budgétaire devrait à l'avenir » - et ce rapport s'adresse à nous
- « passer par la réduction de la dépense publique. » (
Exclamations sur les
travées socialistes.)
Je n'insiste pas plus longtemps sur ce point sur lequel nous reviendrons plus
en détails, j'en suis convaincu, dès demain, lors du débat sur l'euro.
Toutefois, je me devais de mentionner l'existence de ce rapport, qui nous
permet de réfléchir à une transposition au niveau européen. En effet, rien ne
devrait s'opposer à ce que, selon des modalités à déterminer, les parlements
nationaux puissent demander des rapports à la Banque centrale européenne.
Comme souvent en France, nous donnons l'impression, qui n'est pas toujours
juste, d'entrer dans l'avenir à reculons. Plutôt que d'expertiser les voies et
moyens d'une politique monétaire européenne mise au service de la croissance et
- j'insiste sur ce point - de l'emploi, le débat s'est jusqu'à présent
peut-être trop étroitement concentré sur les structures et les missions non
monétaires de la Banque de France. Je ne suis pas convaincu que ce débat
franco-français sera bien compris par nos partenaires européens.
Qu'il y ait un débat pour ou contre l'euro, je peux le comprendre ; mais si le
débat devait se réduire à des considérations locales ou professionnelles, voilà
qui s'écarterait de la vraie question qui nous préoccupe aujourd'hui.
Que l'on ne s'y méprenne pas : la commission des finances n'a pas cherché à
esquiver la confrontation des points de vue, bien au contraire, puisqu'elle a
auditionné les représentants de l'intersyndicale des personnels de la Banque de
France, personnels dont elle reconnaît la grande compétence professionnelle et
l'attachement à l'institution qu'ils servent consciencieusement.
La commission des finances ne saurait non plus demeurer insensible aux
considérations liées à l'aménagement harmonieux du territoire, point qui a été
soulevé à l'occasion de questions orales par de nombreux membres de la Haute
Assemblée. A ce titre, la préservation du réseau des succursales de la Banque
de France lui paraît devoir mériter un examen approfondi.
M. Charles Pasqua.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Pour donner à notre discussion d'aujourd'hui
toute la solidité qu'un tel débat mérite, je me demande toutefois, monsieur le
ministre, si le Gouvernement ne pourrait pas prendre l'engagement d'organiser
devant le Parlement, dans des délais convenables et dans des formes à préciser,
dans le cadre d'un dialogue Gouvernement-Sénat, un débat spécifique sur
l'avenir du réseau et des missions non monétaires de la Banque de France.
J'attends des engagements clairs et précis du Gouvernement sur cette
proposition.
M. Gérard Delfau.
C'est une bonne idée !
M. Charles Pasqua.
M. Delfau approuve ?...
(Sourires.)
M. Gérard Delfau.
Tout à fait !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Je vous remercie, monsieur Delfau !
(Nouveaux sourires.)
M. Gérard Delfau.
De rien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Le projet de loi soumis à notre examen nous
fournit enfin l'occasion d'approfondir des sujets difficiles sur lesquels des
incertitudes ne peuvent que subsister, car c'est le propre de toute aventure
collective, au sens noble du terme, que de ne pas se laisser enfermer dans des
schémas écrits à l'avance, et peut-être ailleurs.
M. Charles Pasqua.
Ah !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Je n'en mentionnerai que quelques-uns,
monsieur le ministre. Quel sera le pouvoir réel du Conseil de l'euro ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Zéro !
M. Philippe Marini.
Bonne question !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Comment seront choisis les membres du
directoire de la Banque centrale européenne ?
M. Philippe Marini.
Bonne question !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Comment évoluera l'harmonisation du contrôle
prudentiel commun ?
Comment seront répartis les bénéfices de la Banque centrale européenne, cette
institution devant réaliser des bénéfices, à l'exemple de certaines banques
centrales nationales ?
Comment sera conduite dans les faits - c'est important - la politique de
change de l'euro, cette politique appartenant concurremment à la Banque
centrale européenne et au Conseil économique et financier ?
M. Charles Pasqua.
Cela doit être précisé !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
S'il y a divergence, qui tranchera ?
Quelle sera la conception européenne de la stabilité des prix, celle-ci
n'ayant pas la même signification dans tous les pays membres ?
Voilà tout un ensemble d'interrogations que les élus, légitimement, soulèvent,
et je m'efforce, à cette tribune, d'être leur interprète.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il faut en tirer les conséquences !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Monsieur le ministre, vous avez déjà commencé
à répondre à certaines questions et je ne doute pas que nos échanges nous
permettront d'aller plus loin encore dans l'approfondissement nécessaire de la
réflexion que nous menons ensemble.
A toutes ces interrogations, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous
apportiez des réponses précises au Sénat. A l'avance, je vous en remercie, car
il faut éclairer le débat, afin que cesse le scepticisme.
Dans un second temps, il nous appartiendra de centrer nos travaux sur les
implications nationales du passage à la troisième phase de l'Union économique
européenne. En effet, nous ne pourrons pas faire l'économie d'un travail
prospectif sur la place de l'épargne administrée dans notre masse monétaire,
sur la modernisation de notre droit financier, voire sur le financement
privilégié de l'économie des départements d'outre-mer, dans la mesure où le
recours à l'escompte par l'Institut d'émission des départements d'outre-mer va
prochainement disparaître.
L'examen du titre II du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier permettra, j'en suis certain, d'évoquer certaines de
ces questions, mais le sujet ne sera pas épuisé. D'autres rendez-vous avec le
Gouvernement nous attendent, mes chers collègues. La commission des finances y
a déjà beaucoup travaillé et a proposé de nombreuses pistes de réforme.
En conclusion, la commission des finances vous propose, mes chers collègues,
d'adopter le projet de loi modifiant le statut de la Banque de France, sous
réserve des quelques amendements qu'elle a adoptés et que M. le rapporteur
général a parfaitement analysés en les présentant à cette tribune il y a un
instant.
Pour ma part, une conviction m'animera tout au long de ce débat : celle de la
nécessité d'associer le Sénat en général, et sa commission des finances en
particulier, aux mécanismes nouveaux qui se mettent en place. Concilier
indépendance, dialogue et transparence, telle me semble être la mission que
nous devons nous assigner, pour l'Europe et pour la France.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
Parlement est appelé, pour la seconde fois en quelques années, à modifier les
statuts de la Banque de France afin de les mettre en conformité avec le traité
sur l'Union européenne au plus tard à la date de mise en place du Système
européen des banques centrales, c'est-à-dire lors du sommet extraordinaire de
Bruxelles, du 1er au 3 mai prochain.
On peut se demander pourquoi cette seconde modification, alors que la
précédente révision, voilà moins de cinq ans, avait normalement pour objectif
de mettre les statuts de la Banque de France en conformité avec les règles et
principes du traité de Maastricht.
En réalité, en 1993, le projet de loi proposé par le gouvernement de M.
Balladur était plus destiné à répondre à l'idéologie monétariste et libérale
qu'à appliquer le traité de Maastricht. Cela était clairement établi par la
précipitation du gouvernement d'alors à faire voter l'autonomie de la Banque de
France, alors même que le traité n'était pas ratifié par tous les pays
signataires.
M. Alphandéry l'avait d'ailleurs reconnu ici même. Faisant référence au traité
de Maastricht, il avait déclaré : « Le projet de loi s'inspire d'une autre
volonté, plus ancienne, qui puise sa source dans la plate-forme que nous avions
présentée aux électeurs en 1986. »
C'est pourquoi le groupe socialiste du Sénat s'était opposé, à l'époque, à ce
texte, d'autant que celui-ci ne sauvegardait pas clairement les autres missions
de service public de la Banque de France, essentielles à nos yeux.
Toutefois, ne se situant pas dans l'application du traité, le projet se devait
de respecter l'article 20 de la Constitution, selon lequel : « le Gouvernement
détermine et conduit la politique de la nation ». Il ne pouvait donc pas donner
une réelle indépendance à la Banque de France, puisque le pouvoir monétaire ne
peut pas être délégué, sauf à une instance supranationale et en application
d'un traité international. Or, le traité de Maastricht n'étant pas ratifié à la
date de la loi, il ne pouvait en être autrement et le Conseil constitutionnel
l'avait rappelé en censurant l'article 1er de la loi, sur saisine du groupe
socialiste du Sénat.
Le gouvernement de l'époque avait donc dû réaliser un texte incomplet, et
c'est pourquoi nous devons, aujourd'hui, réviser une nouvelle fois les statuts
de la Banque de France.
Ce projet de loi n'est donc qu'un ajustement de forme rendu nécessaire par la
précipitation du gouvernement en 1993. Il n'aborde aucunement les questions qui
se posent autour de l'intérêt de la monnaie unique ; ce débat est d'ailleurs
dépassé : l'euro sera la monnaie de la France le 1er janvier 1999, et la
monnaie des Français en 2002. Ce qui fut longtemps un projet, un espoir ou une
peur, est maintenant une réalité. Les débats sur l'intérêt de la monnaie
unique, sur la date de réalisation, voire sur les virgules, sont dépassés et
doivent être maintenant clos.
En revanche, commencent de nouveaux débats sur la manière de vivre ensemble
avec la monnaie unique européenne.
Je voudrais malgré tout, devant la dernière offensive des anti-maastrichtiens,
rappeler les avantages que nous allons en retirer.
En premier lieu, il faut constater que la monnaie unique a constitué le seul
véritable projet européen faisant avancer l'idée européenne. S'il y avait eu
échec, on aurait pu craindre que cette dernière ne soit enterrée pour
longtemps. Il faut également rappeler que la monnaie a été le moyen d'ancrer
l'Allemagne dans l'Union européenne. L'abandon du mark, pour les Allemands, est
une concession très importante à leurs yeux.
En deuxième lieu, l'euro est le corollaire du marché unique, et c'est un
élément positif pour la croissance. Il permettra une comparaison rapide et
aisée des prix, ce qui va accentuer la concurrence et permettre une allocation
optimale des facteurs de production. Il engendrera des gains importants sur les
coûts de transaction et sur les frais de couverture inhérents aux opérations de
change des entreprises.
Plus fondamentalement, il simplifiera les relations commerciales et améliorera
le climat en réduisant l'incertitude. Ce sera un élément psychologique
important pour l'activité économique, l'investissement et l'emploi.
Enfin, après l'effondrement du système monétaire international en 1971 et
l'absence de coopération entre les pays européens, qui avaient entraîné une
dérive de l'inflation, un ralentissement de la croissance et l'augmentation du
chômage, le SME, puis la perspective de la monnaie unique, ont permis une
désinflation réussie, une stabilisation des taux de change, une décrue des
déficits publics, une baisse des taux d'intérêt, éléments fondamentaux pour la
croissance et l'emploi. La monnaie unique et le pacte de stabilité et de
croissance assureront la pérennité de ces résultats.
En troisième lieu, la monnaie unique permettra une stabilité monétaire forte
et durable, en supprimant les turbulences monétaires. L'instabilité des taux de
change maintenait l'incertitude, entretenait la possibilité de mouvements
spéculatifs déstablilisants, permettait la manipulation.
En quatrième lieu, l'euro apportera une autonomie supplémentaire à la
politique monétaire.
L'Europe était devenue
de facto
une zone mark. Du fait des
imperfections du système des changes, de la mondialisation financière, du poids
de l'économie allemande et, surtout, de l'existence du mark comme monnaie
internationale, les pays membres de l'Europe étaient obligés de suivre la
gestion monétaire allemande. Nous n'avions plus, en pratique, de souveraineté
monétaire. Dans un monde de parfaite mobilité des capitaux, il n'était plus
possible de conserver des taux de change fixes et notre souveraineté
monétaire.
Du fait de l'existence d'une politique monétaire européenne, nous regagnons,
au contraire, une autonomie, partagée certes mais réelle, puisque les décisions
seront communautaires. De plus, libéré de la contrainte de mener une politique
monétaire axée essentiellement sur la stabilité du taux de change, l'Europe va
pouvoir utiliser la politique monétaire pour des objectifs internes, notamment
pour la croissance et pour l'inflation. La politique monétaire retrouve ainsi
son efficacité, en particulier en direction de l'emploi.
Enfin, la monnaie unique permettra de nous affranchir de la dictature du
dollar et d'inscrire totalement l'Europe en tant que puissance.
Si celle-ci est le premier pôle économique et commercial au monde, elle joue
un rôle extrêmement modeste sur la scène monétaire. Plus de vingt-cinq ans
après la fin du système de Bretton Woods, le dollar demeure la devise clé du
système monétaire international et représente 80 % des transactions sur les
marchés des changes, 64 % des réserves mondiales, 50 % de la facturation du
commerce international. Cela apporte d'énormes avantages aux Etats-Unis, les
Américains en sont bien conscients : « Le dollar est notre monnaie, mais c'est
votre problème », avait déclaré M. Connolly, ancien secrétaire d'Etat au
Trésor.
L'euro pourrait et devrait devenir le socle d'un nouveau système monétaire
international multipolaire équilibré. En effet, il devrait représenter une
alternative crédible au dollar dans les échanges internationaux, puisqu'il
représentera immédiatement 25 % de la facturation mondiale et qu'il devrait
pouvoir atteindre 50 %. L'euro devrait également rapidement devenir l'une des
principales monnaies de réserve mondiales.
Les gains économiques seront importants : du fait de la baisse mécanique de
notre degré d'ouverture international de 30 % à 10 % - soit une ouverture
équivalente à celle des Etats-Unis - et de la détention d'une monnaie
d'importance mondiale, le risque d'inflation importée diminuera fortement et
l'Europe sera moins sensible à la valeur externe de sa monnaie, et donc plus à
l'abri des fluctuations monétaires.
Les gains politiques ne seront pas non plus négligeables : une monnaie
d'importance mondiale apportera à l'Europe un atout considérable dans les
négociations internationales. On devrait assister au développement de trois
pôles économiques majeurs : l'Amérique, l'Asie et l'Europe. Mais un de ces
pôles qui n'aurait pas de monnaie d'importance mondiale deviendrait rapidement
le jouet des autres.
Cependant, comme je l'ai dit, ce débat est dépassé. Il nous faut aujourd'hui
regarder plus avant et débattre de la gestion de l'euro, même si ce projet de
loi n'aborde pas ces questions.
La première interrogation concerne l'objectif assigné au Système européen de
banques centrales, le SEBC. Selon l'article 105 du traité, l'objectif principal
du SEBC est la stabilité des prix. Toutefois, sans préjudice de l'objectif de
stabilité des prix, le SEBC apportera son soutien aux politiques économiques
générales dans la Communauté en vue de contribuer à la réalisation des
objectifs de la Communauté, tels que définis à l'article 2.
Ces objectifs sont : « promouvoir un développement équilibré et harmonieux des
activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une croissance durable
et non inflationniste respectant l'environnement, un haut degré de convergence
des performances économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale
élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion
économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres ».
Mais cela appelle une clarification. Il y a un risque de confusion entre les
objectifs intermédiaires ou spécifiques et les objectifs généraux. En effet, on
peut comprendre de cet article que les objectifs généraux de l'Union sont
subordonnés à l'objectif principal de stabilité des prix, dans une optique
monétariste de l'économie. Mais il faut, me semble-t-il, plutôt comprendre que
la stabilité des prix est l'objectif spécifique - et donc principal pour la
Banque centrale européenne - de la conduite de la politique monétaire, mais
dans le respect des objectifs généraux de l'Union, qui sont ceux que j'ai
rappelés.
La stabilité des prix, comme la stabilité budgétaire, d'ailleurs, sont des
objectifs intermédiaires, spécifiques à la politique monétaire et à la
politique budgétaire, non des finalités de la politique économique.
En effet, dans une optique monétariste, en cas de difficultés conjoncturelles,
comment les Etats pourraient-ils répondre par une politique économique
appropriée si l'objectif est la stabilité ?
Plus généralement, en économie, il n'est pas certain que la gestion de « bon
père de famille » soit nécessairement la meilleure. Il suffit de se rappeler
les erreurs commises par la Grande-Bretagne entre les deux guerres, où la
défense à tout prix de la parité de la livre sterling s'était révélée
désastreuse. Le couplage d'une politique monétaire rivée uniquement sur la
stabilité des prix et d'une politique budgétaire rigoureuse risque d'être
néfaste pour la croissance et « contra-cyclique » en cas de difficultés
conjoncturelles.
Ce risque est immédiatement devant nous, car l'on peut penser que la BCE
adoptera une politique monétaire plus restrictive que ne l'exigera la situation
économique du moment afin d'asseoir sa crédibilité sur les marchés financiers
internationaux, et ce au moment où la plupart des pays européens seront
contraints de mener une politique budgétaire rigoureuse s'ils veulent revenir
rapidement à l'équilibre.
Il est donc nécessaire que soit levée cette ambiguïté et, pour cela, que l'on
avance résolument dans la voie d'une plus grande coopération, tout en mettant
l'accent sur la croissance et l'emploi comme objectifs primordiaux de la
construction européenne. La création du Conseil de l'euro et le Conseil
européen sur l'emploi de Luxembourg sont un premier pas dans cette
clarification nécessaire de l'Union économique et monétaire - M. le secrétaire
d'Etat nous le rappelait tout à l'heure.
J'ajoute que l'article 1er de ce projet participe, malheureusement, à cette
ambiguïté. Il prévoit que la Banque de France fait partie intégrante du SEBC et
participe à l'accomplissement de ses missions et de ses objectifs.
Le deuxième alinéa prévoit toutefois que la Banque de France apporte son
soutien à la politique économique générale du Gouvernement. Cette précision
est, bien sûr, fondamentale. Mais il n'apparaît pas nécessaire de rappeler que
ce soutien s'effectue « sans préjudice de l'objectif principal de stabilité des
prix » puisque cela est sous-entendu clairement dans le premier alinéa et
entraîne l'ambiguïté que j'ai exposée.
Une autre question se pose, d'ailleurs, en annexe à ce que je viens d'indiquer
: la BCE va-t-elle élaborer un objectif intermédiaire pour la croissance de la
masse ou non ? C'est un choix important, car il montrera si la BCE souhaite
conduire la politique monétaire en considération des besoins de l'économie
européenne, de manière pragmatique, ou dans une stricte application de la
doctrine monétariste.
Ma seconde interrogation porte sur la conduite de la politique monétaire
extérieure.
Celle-ci sera désormais assurée par le Conseil de l'Union européenne pour ce
qui concerne sa définition et par le SEBC pour ce qui concerne sa mise en
oeuvre, selon les dispositions des articles 105 à 109 du traité.
Sont donc supprimées dans le projet de loi les dispositions qui permettaient
au Gouvernement de déterminer « le régime des changes et la parité du franc »,
et à la Banque de France d'exécuter les opérations de change dans le cadre des
orientations générales du Gouvernement. Seules subsistent la détention et la
gestion par la Banque de France des réserves de change, mais dans les
conditions fixées par le SEBC et selon les modalités précisées dans une
convention entre l'Etat et la Banque de France.
Toutefois, le partage de responsabilité entre le Conseil et la BCE n'apparaît
pas réellement clarifié. Dans les faits, il y a fort à parier que c'est la BCE
qui réalisera la politique de change de l'euro, le politique conservant la
primauté pour les grandes décisions, selon l'exemple allemand, où la Bundesbank
a dû s'incliner pour la création du SME, par exemple.
Mais, en cas de désaccord - par exemple si le Conseil entend définir une
politique de change qui remet en cause l'objectif de stabilité des prix - qui
aura autorité ?
Il faudrait donc clarifier ces relations en insistant sur le respect de la
primauté de l'organe politique, le Conseil, sur la BCE dans la politique de
change.
Le problème va se poser dès le départ. Il est nécessaire que le taux de change
de l'euro soit fixé convenablement : une sous-évaluation ne lui permettrait pas
de devenir une véritable monnaie internationale ; une surévaluation aurait de
graves conséquences pour nos exportations.
Or, dans la phase initiale, il devrait y avoir une pression à la surévaluation
du fait de la volonté de la BCE de faire de l'euro une monnaie forte, et cela
s'ajouterait aux pressions nées des réaménagements de portefeuille qui
entraîneront des déplacements de capitaux vers l'euro.
Se pose, enfin, le problème des relations entre la monnaie unique et les
monnaies des Etats membres de l'Union européenne qui n'y participent pas, que
ce soient les membres actuels - Royaume-Uni, Danemark, Suède, Grèce - ou les
futurs membres.
Deux risques existent, à ce sujet.
Le premier est la réussite par ces monnaies de dévaluations compétitives.
N'oublions pas les dévaluations de la livre, de la lire et de la peseta de 1992
à 1995, qui ont été positives pour ces pays. En effet, non seulement ceux-ci
n'ont pas enregistré de surcroît d'inflation, mais encore ils ont profité des
importants gains de compétitivité réalisés.
Le second risque est l'enfermement de ces monnaies dans un cercle vicieux de
dévaluation.
Le traité de Maastricht n'ayant rien prévu, un système de SME
bis
a été
préparé, mais il est peu strict. D'abord, il n'est pas obligatoire. Ensuite, il
prévoit de larges marges de fluctuation, fixées par une décision collective.
Enfin, les mécanismes d'intervention destinés à neutraliser la pression
spéculative ne seront pas obligatoires, sauf si cela va à l'encontre de
l'objectif fixé au SEBC, qui est d'assurer la stabilité des prix. Il est donc
indispensable que ce SME
bis
soit renforcé.
Ma troisième interrogation a trait au contrôle démocratique de la monnaie
unique.
Sur la politique monétaire et de change, le traité de Maastricht a cherché à
réaliser un équilibre ente l'autorité politique, le Conseil Ecofin, et
l'autorité monétaire, la BCE.
Des procédures de consultation sont prévues pour le pouvoir politique : le
président du Conseil et un membre de la Commission peuvent participer, sans
voix délibérative, aux réunions du conseil des gouverneurs de la BCE ; le
président du Conseil peut soumettre une motion au conseil des gouverneurs ; la
BCE rédige un rapport annuel destiné au Conseil, à la Commission et au
Parlement européen ; le Parlement européen peut tenir un débat général à partir
de ce rapport et ses commissions peuvent entendre le président de la BCE ou les
membres du directoire.
Mais, en fait, la BCE est bel et bien totalement indépendante et n'a en face
d'elle que des pouvoirs faibles ou divisés. Elle est, en réalité, beaucoup plus
indépendante que les banques centrales allemande ou américaine,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Oui !
M. Michel Sergent.
... où un certain contrôle du pouvoir politique s'exerce en dernier
ressort.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Très juste !
M. Michel Sergent.
On en est donc réduit à espérer que le président de la BCE et son directoire
jouent le jeu du dialogue et d'une certaine transparence, comme M. le président
de la commission des finances l'a utilement rappelé tout à l'heure.
Il est donc indispensable qu'il y ait un réel pôle économique et politique à
côté de la BCE. De plus, il faut que le contrôle parlementaire soit renforcé et
que la transparence soit accrue, afin que les orientations et les décisions de
la BCE soient soumises en permanence au contrôle de l'opinion publique.
Le Parlement européen a adopté une résolution demandant une audition
trimestrielle, la participation du président de la BCE au débat général sur les
évolutions monétaires et économiques, une explication dans le rapport annuel de
la BCE sur la façon dont la politique monétaire apporte son soutien aux
politiques économiques générales et l'approbation par lui, Parlement européen,
des nominations au directoire de la BCE. Ces demandes paraissent totalement
fondées.
En outre, il serait souhaitable que les parlements nationaux puissent
auditionner le président de la BCE au moins une fois par an, qu'ils soient
saisis systématiquement de toutes les décisions de la BCE et de tous les
comptes rendus du « Conseil de l'euro ». Le Premier ministre s'est engagé à
faire cette demande. C'est un point très positif.
Enfin, je voudrais parler de la Banque de France spécifiquement. Dans le
système européen des banques centrales, les banques centrales nationales
conservent malgré tout un rôle important.
Premièrement, elles participent aux décisions stratégiques concernant les
objectifs monétaires et les taux directeurs puisque leurs gouverneurs
appartiennent au conseil des gouverneurs.
Deuxièmement, elles mettent en oeuvre les mesures arrêtées par la BCE : dans
le cadre d'intervention défini par le directoire, elles satisferont les besoins
de liquidités de leur zone et participeront à la fabrication et à la mise en
circulation de la monnaie fiduciaire.
Troisièmement, du fait du principe de subsidiarité, ne sera centralisé que ce
qui est strictement et incontestablement nécessaire. La Banque de France
poursuivra donc la plupart de ses activités correspondant à des missions de
services publics ou d'intérêts collectifs.
Mais, comme la loi de 1993 avait introduit un doute sur la pérennité de nombre
de missions de service public accomplies par la Banque de France, l'Assemblée
nationale a adopté plusieurs amendements qui indiquent clairement que ces
missions seront poursuivies.
Le groupe socialiste se félicite de l'adoption de ces amendements,...
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Michel Sergent.
... qui sont la reprise des amendements du groupe socialiste du Sénat lors de
l'examen de la loi de 1993.
La commission des finances a souhaité la suppression des articles ainsi créés.
Nous ne comprendrions pas que la majorité du Sénat adopte ces suppressions,
alors même que ses membres ont engagé avec nous des opérations pour faire
reculer le gouverneur de la Banque de France dans sa volonté de supprimer des
caisses, premier élément d'une remise en cause du réseau de succursales que
nous considérons indispensables pour le développement économique de nos
régions.
M. Gérard Delfau.
Il y a des absences sur certaines travées !
M. Michel Sergent.
Je n'insiste pas puisque mon ami Gérard Delfau s'attardera sur cet aspect
important pour l'aménagement du territoire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes
à quelques jours d'une étape probablement historique pour l'Union européenne.
Le week-end du 1er Mai - plus précisément le 2 mai - sera, en effet, une date
importante. Les remises en cause, les réticences ne sont plus de mise. L'avenir
appartient à ceux qui vont de l'avant ; c'est ce que le groupe socialiste vous
invite à faire en adoptant ces nouveaux statuts de la Banque de France.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
compter du 1er janvier 1999, la France et dix autres pays de l'Union européenne
commenceront à utiliser une monnaie commune, l'euro, si telle est bien la
décision du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, réuni le 2
mai prochain.
Cette dernière et troisième phase du traité de l'Union économique et
monétaire, avec le passage à la monnaie unique, est, comme chacun sait,
l'aboutissement d'une volonté collective d'adhérer à une politique monétaire
commune. Cette démarche, destinée à renforcer les liens économiques avec les
autres Etats membres, est susceptible de placer l'Europe dans une position plus
favorable de concurrence face aux puissances économiques américaine et
japonaise et à leur expression monétaire, le dollar et le yen.
La principale conséquence de la mise en place de l'euro touche à la
souveraineté de l'Etat national.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Tout à fait !
M. Guy Cabanel.
Certains objectent que la République française ne maîtrisera plus librement la
fabrication et l'émission de sa monnaie.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Parfaitement !
M. Guy Cabanel.
Cela est vrai,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ah !
M. Guy Cabanel.
... mais, en contrepartie, la France se trouvera à l'abri de toute
manipulation monétaire, en particulier de dévaluations compétitives du fait de
certains de nos partenaires, dévaluations que l'on avait si bruyamment
déplorées sur nombre de travées ici même.
(Eh oui ! sur les travées socialistes.)
Pour atteindre l'objectif de l'euro, il faut auparavant mettre en oeuvre
un certain nombre de réformes, passages obligés vers l'Union monétaire
européenne.
Ces réformes nous sont, pour la plupart, imposées par le traité de Maastricht,
signé le 7 février 1992 et approuvé par le peuple français par voie de
référendum le 20 septembre de la même année. Elles impliquent des changements
incontournables qui favoriseront cette mutation et pourront - je l'espère -
accélérer l'ensemble de la construction européenne.
C'est pourquoi, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui confrontés à un
débat sans précédent dans notre histoire parlementaire. Pour la première fois,
nous allons, en modifiant son statut, dessaisir la Banque de France de la
responsabilité monétaire, élément le plus symbolique et le plus tangible de la
souveraineté nationale.
L'objet de ce débat est d'inscrire dans la loi les dispositions nécessaires
pour tenir compte de la mise en place du système européen de banques centrales,
le SEBC, et pour assurer ainsi son intégration dans celui-ci. Ces
transformations traduisent une volonté sans arrière-pensée d'adaptation au
nouvel ordre monétaire européen.
La souveraineté nationale - je ne veux pas cacher les choses - cède le pas à
une souveraineté collective dans les domaines économique et financier.
Ayant pesé les avantages et les inconvénients, les membres du groupe du
Rassemblement démocratique et social européen se prononcent unanimement pour
l'adaptation de notre législation aux impératifs de la politique monétaire
européenne et au statut du système européen de banques centrales.
Le texte qui nous est proposé modifie le rôle de la Banque de France sur trois
points principaux.
En premier lieu, il transfère la détermination de la politique monétaire au
système européen de banques centrales de façon déterminante, quelle que soit la
nature des structures de concertation politique envisagées par les instances de
l'Union européenne, sur lesquelles il n'y a pas lieu de s'étendre ici.
En deuxième lieu, le texte confie la responsabilité des opérations de change à
ce même système, responsabilité qui sera partagée dans l'exécution par la
Banque de France.
Enfin, il prévoit, par le système européen de banque centrales, la
surveillance du bon fonctionnement des systèmes de paiement ; naturellement, la
Banque de France aura sa part de responsabilité au titre d'échelon
déconcentré.
De telles attributions, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
m'inspirent quatre réflexions.
Concernant l'instauration du système européen de banques centrales, rappelons
que la Communauté européenne a toujours espéré définir et mettre en oeuvre une
politique monétaire commune. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler les étapes :
le serpent, les sorties du serpent... tous les systèmes que l'on a pu
imaginer.
Aujourd'hui, avec le traité de Maastricht, c'est un système cohérent qui
apparaît comme une structure de compétence communautaire de nature à favoriser
l'évolution des politiques d'harmonisation européenne longtemps, trop longtemps
attendues.
Certains reprochent à cette démarche d'ouvrir la voie à un système fédéral.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Tout à fait !
M. Guy Cabanel.
Il est difficile de répondre à cette objection ; il est difficile d'écrire
l'histoire à l'avance, très difficile.
Il est vrai que l'on ne peut nier la capacité d'entraînement de ce système
vers une harmonisation des législations fiscale et sociale, et, s'il en était
ainsi, qui pourrait franchement le regretter ? Certainement pas moi.
MM. Charles Ceccaldi-Raynaud et Paul d'Ornano.
Moi !
(M. Philippe de Gaulle lève également la main.)
M. Philippe Marini.
Il fallait en décider avant !
M. Gérard Delfau.
Le débat est interne !
M. le président.
Je vous en prie, nous n'en sommes pas au vote !
(Rires.)
M. Guy Cabanel.
Messieurs, je poursuis dans la sérénité.
Dès lors, le système européen de banques centrales va être l'instrument
privilégié, d'une part, pour gérer collectivement l'émission de l'euro, d'autre
part, pour réguler le régime des changes pour les pays membres de l'Union
européenne. Il devrait permettre aux Etats adhérents à l'euro de promouvoir un
développement harmonieux et équilibré de leurs activités économiques sans
supprimer la concurrence commerciale entre eux, mais en éliminant les
difficultés et les frais induits par les multiples monnaies européennes du
passé et en interdisant les effets pervers des dévaluations compétitives, que
l'on a déjà évoqués.
Désormais, solidarité entre Etats et convergence des objectifs économiques
seront indissociables. Seule une structure supranationale indépendante et
constituant un pôle de décision monétaire est capable de définir de tels
objectifs, sans pour autant subir une pression constante des gouvernements,
tentés de défendre des intérêts nationaux, certes légitimes mais pas toujours
convergents.
En souscrivant au principe de l'indépendance du système européen de banques
centrales et en soutenant celui de la collégialité qui le caractérise, on doit
accepter que, pour l'avenir, la Banque de France opère dans un souci
d'exécution respectueuse des orientations prises par le système européen des
banques centrales.
En outre, en ce qui concerne la Banque de France elle-même, le projet de loi a
pour objet de la rendre compatible avec la structure collégiale et indépendante
qu'est le système européen de banques centrales.
Aussi prévoit-il de nouvelles compétences pour le conseil de la politique
monétaire et pour le conseil général de la Banque de France.
De tels changements sont nécessaires pour adapter à la situation nouvelle la
loi du 4 août 1993, que l'on ne peut pas considérer comme un texte imparfait.
En effet, au moment où elle a été votée, on ne disposait peut-être pas d'une
connaissance complète de tous les éléments dont il faut aujourd'hui tenir
compte dans les dispositions d'adaptation.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Le traité de Maastricht était déjà voté !
M. Guy Cabanel.
Cette loi du 4 août 1993 confiait, comme principale attribution à la Banque de
France, la mise en oeuvre de la politique monétaire décidée par le
Gouvernement. Désormais, la Banque de France se bornera à appliquer des
décisions prises par des structures européennes - certains ironiseront sur le
fait qu'elle ne pourra que proposer de mettre fin au cours légal des francs
français. Mais peut-on pour autant arrêter l'histoire pour une simple blessure
d'amour-propre ?
Organe de décision autonome, la Banque de France deviendra organe d'exécution
déconcentrée à partir du 1er janvier 1999 et, surtout, au 1er janvier 2002,
date de la mise en circulation de l'euro.
Ses missions futures trouveront leur source au coeur d'une structure
européenne centralisée, responsable des orientations, et leur justification
dans l'application sincère des dispositions du traité sur l'Union économique et
monétaire. Ce traité a été ratifié ; il s'impose à l'ensemble des citoyens
français.
Le projet de loi soumis au Parlement est donc d'une portée historique, ne
l'oublions pas.
Faut-il aujourd'hui, comme le souhaite la commission des finances du Sénat,
présidée avec beaucoup de talent par notre collègue et ami M. Christian
Poncelet, et toujours ardente, grâce à son rapporteur général, à exercer sa
vigilance sur tous les textes à incidence financière...
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Merci !
M. Guy Cabanel.
... faut-il donc pour autant, comme le souhaite la commission des finances, à
laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, en ce qui concerne l'organisation du
Conseil de la politique monétaire, apporter un certain nombre de modifications
? Cette volonté de réformer le mode de désignation de ce conseil est
envisageable. Elle devrait donner lieu à un débat clair.
M. Michel Sergent.
Tout à fait !
M. Guy Cabanel.
Je pense que nous l'aurons tout à l'heure.
De son côté, l'Assemblée nationale a jugé utile d'octroyer à la Banque de
France un certain nombre de missions complémentaires fondées sur l'intérêt
général. Une telle disposition l'autorise à accomplir des prestations à la
demande de l'Etat ou pour le compte de tiers.
Cette mention, pour intéressante qu'elle soit, a-t-elle sa place dans un texte
aussi fondamental que celui que nous allons voter ? N'est-ce pas une pétition
de principe ? Là aussi, la discussion mérite d'être ouverte. Il est vrai qu'il
n'est pas possible de passer sous silence les inquiétudes soulevées par la
modification profonde de la mission de la Banque de France et de certaines
restructurations envisagées.
Après les éléments historiques, il me faut bien passer aux éléments locaux.
Vous me pardonnerez, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je me permets
d'attirer de nouveau votre attention sur le problème posé par l'annonce de la
fermeture éventuelle de certaines succursales dans des villes de province.
C'est un sujet dont on reparlera également tout à l'heure.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Eh oui !
M. Guy Cabanel.
Cette politique s'inscrirait dans le cadre d'une réforme structurelle tendant
à réorganiser les réseaux de caisse.
Mon collègue André Vallet a déjà interrogé le Gouvernement sur ce sujet par le
biais d'une question d'actualité. J'ai l'impression que c'est une question que
l'on soulèvera encore souvent !
M. Strauss-Kahn a déjà apporté un élément de réponse. Sachez quand même,
monsieur le secrétaire d'Etat, que c'est un sujet de grande inquiétude pour les
élus locaux et, au moment où nous franchissons un pas aussi décisif que celui
de l'adoption du système de l'euro - car c'est le système de l'euro que nous
adoptons par ces dispositions - n'ajoutons pas aux inquiétudes existentielles
des inquiétudes de détail. J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous
pourrez nous rassurer sur ce point.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
On ne peut pas tout avoir !
M. Guy Cabanel.
Le beurre et l'argent du beurre !
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la France s'est engagée
depuis longtemps sur la voie de la construction européenne. Une telle politique
exige de notre part des efforts et quelques sacrifices.
Les efforts, ce sont ceux que nous imposera le respect des critères de
convergence européenne et qui nous ont conduits à rationnaliser la gestion de
nos finances publiques.
Eh bien ! même si le traité de Maastricht n'avait pas existé nous ne pourrions
que nous féliciter d'avoir rationnalisé la gestion de nos finances publiques
!
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Sans traité, nous aurions eu plus de temps !
M. Guy Cabanel.
Les sacrifices sont évidents et je reconnais qu'ils peuvent être douloureux.
Aujourd'hui, il s'agit de transférer un élément de notre souveraineté au profit
d'une entité commune qui aura à charge le soin de réguler les échanges
financiers au bénéfice de millions d'Européens.
L'aventure est devant nous et elle est pleine d'espérances. J'ai l'intime
conviction que les modifications du statut de notre banque centrale contenues
dans le projet de loi nous seront profitables. Elles sont le prix à payer pour
participer à la construction d'un système monétaire européen grâce auquel
l'Europe renforcera sa puissance économique et peut-être son unité politique.
En se joignant aux autres banques centrales européennes, la Banque de France
confortera la position de notre pays au sein de l'Union économique et
monétaire.
A l'aube du troisième millénaire, il nous faut donner à la France, sans
frilosité, les meilleures chances de compétitivité et de solidarité avec nos
partenaires européens.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe
du Rassemblement démocratique et social européen sera unanime pour voter le
texte du projet de loi, dans le respect des engagements de notre pays, en
application du traité sur l'Union économique et monétaire.
(Applaudissements
sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
1er janvier prochain, la France aura perdu son droit de frapper et distribuer
monnaie. Le traité de Maastricht prévoit que l'émission de la monnaie, la
politique monétaire, la régularisation du crédit, les taux d'intérêt ne
relèveront plus de la Banque de France, mais d'une banque centrale européenne
installée hors de France, à Francfort.
M. le Président de la République estime qu'un tel transfert de souveraineté ne
vaut pas un référendum.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Le Premier ministre aussi !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les Français jugeront, car il ne s'agit pas d'une mince affaire. Laisser une
banque étrangère décider de notre politique monétaire, même si on la qualifie
de « centrale et d'européenne », c'est remettre en cause tout le système de
financement de l'économie nationale. On voit bien ce que pense le Fonds
monétaire international du progrès social avec le passage aux trente-cinq
heures.
La politique de la France se fera-t-elle désormais à la « corbeille étrangère
» ? Dans tous les pays d'Europe, les salariés, dont la catégorie des ouvriers,
travaillent moins qu'en France. Nous sommes lanterne rouge avec la Grèce. MM.
Jacques Chirac, Ernest-Antoine Sellière et Alain Madelin rejettent les 35
heures.
La Banque centrale, en imposant un nouveau marché de financement de
l'économie, permettra-t-elle à la France de réduire le temps de travail des
salariés ? Ceux-ci devront-ils continuer à travailler 1 771 heures par an
contre 1 736 heures pour les Italiens, 1 573 heures pour les Danois et les
Allemands ?
La France a besoin de moyens spécifique en la matière. La Banque centrale lui
permettra-t-elle de réduire le temps de travail des salariés français et de
créer des emplois ? Les déclarations qui se succèdent au niveau européen
permettent d'en douter.
La Banque centrale européenne disposera-t-elle des réserves de la Banque de
France ? Influencera-t-elle la politique monétaire, le coût, la distribution du
crédit bancaire aux entreprises et aux particuliers ? Que deviendront nos 300
milliards de francs de réserves d'or ? En décidera-t-elle ?
Je vous rappelle que, dans l'histoire de la Banque de France, jamais un
Gouvernement n'a osé toucher à ces réserves.
M. Paul Loridant.
Même pas la Commune !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Une seule exception, il faut le reconnaître : le général de Gaulle comprenant
bien les liens entre banque nationale et progrès social a touché aux réserves
d'or lorsqu'il fallut, en 1968, augmenter le SMIC de 30 %. C'est un point
d'histoire !
Pour faire reculer le chômage en France, il faut relancer les investissements
créateurs d'emplois, renforcer l'efficacité de l'économie, ce qui, dans
l'économie française, signifie, d'une part, faire reculer le poids des charges
financières, la pression des marchés, des spéculateurs et, d'autre part,
développer la consommation.
M. Robert Pagès.
Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Une Banque de France, valorisée, disposant de moyens nouveaux, ne
pourrait-elle pas, en coopération avec les autres banques européennes, agir en
faveur d'une expansion monétaire commune en faveur de l'emploi, en faveur d'une
croissance réelle en Europe, au lieu de se faire étrangler par les marchés
financiers ?
La place de la Banque de France intéresse tous ceux qui veulent lutter contre
la pauvreté, l'exclusion, le chômage, en mettant l'argent au service des hommes
et en réorientant profondément la construction européenne.
Cette question intéresse tous les Français. M. Chirac s'oppose à un référendum
ainsi que M. le Premier ministre.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Le Sénat doit leur faire savoir qu'une consultation de tous les Français est
nécessaire et que les choix faits en juin dernier par ces derniers doivent être
respectés. Les Français ne se sont jamais prononcés pour la disparition de
notre franc.
Si cette question intéresse tous les Français, elle intéresse aussi et au
premier chef les salariés, les agents de la Banque de France : 827 emplois, 92
caisses ne sont-ils pas menacés de disparition ? Mais ce ne sont pas seulement
des emplois directs existant dans tous les départements qui sont concernés ; ce
sont surtout l'aide à l'emploi au niveau des régions, le conseil, l'analyse de
la situation économique et les remèdes possibles. Est aussi et directement
concerné au niveau des villes tout le réseau bancaire dont la succursale se
montre l'animatrice. La situation et le devenir des 12 000 convoyeurs de fonds,
salariés de sociétés privées, actuellement sans statut, sont également en
jeu.
Toucher à cette richesse que constituent ces 827 agents et ces 92 caisses, les
limiter à un simple rôle d'instructeurs des dossiers de surendettement est
irresponsable, même s'il est temps de donner des moyens matériels et humains
pour que les demandes des personnes surendettées soient traitées sans délai.
La France profonde des investissements, du rôle des banques, des potentialités
de toutes les régions est en jeu.
Je n'oublie pas non plus l'existence de la loi de décentralisation, qui
commande un effort de décentralisation et non de disparition des caisses.
Bien que M. Trichet affirme que les craintes des personnels de la Banque de
France ne sont pas fondées, nous pensons que des menaces sévères existent et
que des succursales sont menacées. C'est ce que sont venus dire les
représentants de l'intersyndicale, reçus à ma demande et avec l'accord de M. le
président Poncelet par la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
C'est exact !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oui, le plan de restructuration existe bel et bien ! C'est la raison pour
laquelle nous soutenons l'action des syndicats de la Banque de France qui,
monsieur le secrétaire d'Etat, demandent une fois de plus au Gouvernement
d'utiliser son droit de veto.
Le gouverneur de la Banque de France a un plan de liquidation de l'institution
nationale. A-t-il l'espoir de devenir directeur de la Banque centrale
européenne en échange ?
Quoi qu'il en soit, les motivations liquidatrices n'ont aucun fondement. C'est
ce qu'ont indiqué les élus - maires, sénateurs, députés - toutes nuances de
pensée confondues, lors de leurs rencontres avec M. Trichet. Des arguments
avancés par ce dernier, aucun ne tient.
Le principe de subsidiarité permet aux banques centrales nationales d'exercer
les activités de leur choix.
Les bénéfices de la Banque de France s'élèveront à plusieurs milliards de
francs en 1997. Ce capital doit être valorisé et non bradé.
La sécurité des fonds, des personnels de la Banque de France, des convoyeurs
de fonds, doit être préservée. La fermeture de certaines caisses allongera,
multipliera les circuits, donc les risques.
M. Trichet affirme que les succursales ne seront pas fermées et qu'aucun
licenciement n'interviendra. Nous en doutons. La fermeture des caisses, le
transfert de l'émission à la Banque centrale européenne auront des
répercussions telles qu'elles mettront en cause le travail et les
responsabilités des structures et des personnels de la Banque de France.
Ce projet de loi est la première pierre sur laquelle vous fondez
l'architecture de la monnaie unique. Nous demandons à nouveau que soient
organisés un grand débat public et un référendum avant que l'édifice ne se
bâtisse.
Refuser, c'est ne pas tenir compte des choix du mois de juin 1997 relatifs à
la nécessité d'une politique nouvelle de progrès social à laquelle doit se
plier et que doit servir toute construction européenne.
Dans son état actuel, nous ne pouvons que rejeter le projet de loi qui nous
est soumis.
Exprimer notre volonté politique, c'est affirmer la nécessité de la
construction d'une Europe sociale, d'une Europe des peuples et du progrès
social, c'est-à-dire d'une Europe défendant les intérêts de la France.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen. - M. Ceccaldi-Raynaud applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
avec la discussion du projet de loi relatif à la Banque de France, de la
résolution de la commission des finances portant sur le passage à l'euro et du
projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier,
nous entrons dans un cycle tendant à faciliter le respect des engagements pris
par notre pays en vue de la réalisation de l'Union économique et monétaire.
Ainsi, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui procède à différentes
adaptations techniques pour que la France se mette en conformité avec le traité
de Maastricht.
Mais ces adaptations techniques sont-elles l'essentiel ? Certes, nous allons y
consacrer la discussion générale et, monsieur le secrétaire d'Etat, par
différents amendements, nous allons tâcher d'améliorer le texte, comme il se
doit, même dans cette assemblée qui a été qualifiée d'« anomalie », de jouer
notre rôle normal dans un système bicaméral, de rendre ce texte aussi cohérent,
clair et précis que possible. Néanmoins, je ne crois pas que ce soit
l'essentiel de notre débat d'aujourd'hui et des débats qui vont le suivre.
Je tiens d'emblée à préciser, mes chers collègues, que, concernant la
politique monétaire, je n'ai aucune religion. Je suis sensible à ce qui est
efficace, à ce qui permet de mieux ménager l'avenir et de développer
l'activité, l'investissement et l'emploi. C'est par rapport à ces derniers
critères que j'apprécie les évolutions de la politique internationale de la
France au sein de la construction européenne.
Je m'efforce donc de regarder ce qui est aujourd'hui devant nous. Je pense
ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat - je voudrais tâcher de le démonter en
quelques instants - que nous sommes confrontés à une ambiguïté tout à fait
fondamentale et que nous sommes en train de vendre des illusions et à notre
peuple et à nos partenaires européens, ce qui est extrêmement préoccupant.
De quoi s'agit-il ? La monnaie, est-ce l'essentiel ? Pour ma part, au risque
de vous surprendre, je dirai que je ne le crois pas. Ce qui est essentiel,
c'est la politique économique.
Or, telle qu'elle peut être conçue et mise en oeuvre dans une zone économique
intégrée, dans une zone monétaire intégrée, c'est une politique qui obéit à des
règles du jeu substantiellement différentes de celles que l'on pouvait
appliquer avant d'entrer dans ladite zone monétaire intégrée.
Chacun sait que les économies des différents pays européens ont des caractères
qui leur sont propres, que ces économies ne se comportent pas toujours de la
même façon selon les circonstances. Les cycles économiques, le rythme de
l'activité ne sont pas naturellement en concordance de part et d'autre du Rhin
et,
a fortiori,
de part et d'autre de la Manche et de part et d'autre
des Pyrénées ou des Alpes.
Il faut donc trouver des moyens d'ajustement pour permettre à cette zone
économique intégrée de se réaliser progressivement, avec le temps. Quels sont
les instruments d'ajustement ?
Par définition, puisqu'il s'agit d'une zone monétaire intégrée, les jeux sur
les taux de change sont annihilés. Il y a une devise commune - et c'est bien
l'un des intérêts de l'opération - et il n'y a plus de régulation par le taux
de change.
Par ailleurs, puisque le Système européen de banques centrales se réfère à des
objectifs bien précis en matière de contrôle de la liquidité globale de cette
économie intégrée, cette zone va se doter d'une échelle unique de taux
d'intérêt et, ces derniers étant unifiés, de manière complexe certes, il faudra
bien que chaque Etat s'inscrive dans ce cadre unique.
Enfin, le troisième instrument de régulation possible découle de la gestion
des finances publiques, plus précisément du solde des finances publiques.
Nous savons que, dans une zone monétaire intégrée, les normes qui ont été
fixées et qui ont été précisées par le pacte de stabilité offrent peu de marge
de manoeuvre. Nous savons aussi - et c'est là sans doute un élément essentiel
de l'opération - qu'il nous importe de réduire la part du déficit public par
rapport à la richesse nationale, non seulement comme nous aurions dû le faire
de toute façon pour retrouver notre autonomie internationale et réduire le
poids de l'endettement, mais aussi et surtout dans les mêmes proportions que
nos partenaires sur un chemin de convergence.
Sur quels éléments sera-t-il possible de jouer pour opérer ces ajustements
entre les différentes économies ? C'est clair, il restera la variation des
niveaux d'activité réelle d'un pays à un autre. En d'autres termes, les
économies s'ajusteront par des variations de l'activité, par des variations de
l'emploi et par la mobilité des facteurs de production. Si les facteurs de
production - s'agissant en particulier de la main-d'oeuvre - sont
insuffisamment mobiles ou si les systèmes de formation et de protection sociale
sont de nature différente, il s'ensuivra tout naturellement des déséquilibres
persistants, des poches de pauvreté et d'assistance dans cette Europe qui ne
progressera que sporadiquement sur le chemin de l'unification économique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est bien là l'essentiel du débat. L'euro ne
mérite, à mon avis, ni trop d'honneur ni trop d'indignité. En soi, l'euro est
uniquement un symbole qui ne fait que traduire la décision prise par un certain
nombre de pays de se placer un jour sur la même ligne de départ.
En d'autres termes, l'euro est un simple révélateur, un révélateur de nos
forces et de nos faiblesses. C'est aussi une discipline que nous nous imposons,
qui, au-delà de ses effets probablement favorables, intéressants, engendre
également des effets d'une très grande dureté et qu'il faudrait être en mesure
de bien expliquer à l'opinion publique pour éviter que, demain, cet euro et,
surtout, la construction européenne ne deviennent les boucs émissaires, les
responsables de tout ce qui n'ira pas, de tous les frottements, de toutes les
inadaptions que connaîtra inéluctablement notre société dans les années qui
viennent.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'euro c'est, en définitive, le témoignage
d'une construction européenne très progressive, très instrumentale, comme on
l'a souvent dit. C'est le témoignage d'une construction institutionnelle de
l'Europe que, pour ma part, je continue à considérer comme fondamentalement
déséquilibrée, car on a placé la technique avant les principes, notamment avant
les principes politiques.
Or, nous savons bien que, dans ce Système européen de banques centrales, les
différents Etats membres ne seront pas en mesure, parce que cela n'est pas
prévu dans les institutions européennes, d'exercer le contrepoids politique
indispensable par rapport à la structure technique. Cela a souvent été dit par
les uns et par les autres ; c'est en effet une incontournable réalité.
Le Conseil de l'euro n'est qu'une instance informelle, sans pouvoirs
institutionnels. Il n'est pas, quoi que l'on veuille faire croire à l'opinion,
le directoire politique de la zone euro.
S'il en était ainsi, nous serions dans le fédéralisme politique après être
passés, insidieusement, par le fédéralisme monétaire, économique et fiscal. Sur
ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, je rejoins mes collègues qui
soulignent que cette évolution est tellement fondamentale qu'il faudrait en
décider en toute clarté et que l'on ne peut pas faire confiance à une approche
purement instrumentale, purement technique, alors qu'il s'agit bien de
construire une Europe, intéressante certainement, mais une Europe qui se dote
d'une citoyenneté et d'une légitimité politique propres, en d'autres termes une
Europe fédérale, ce dont les Françaises et les Français, à ma connaissance,
n'ont pas encore décidé.
Monsieur le secrétaire d'Etat, compte tenu de tout ce que je vous ai dit et
des quelques précisions que je vous ai apportées au cours de ce propos, vous
comprendrez que je ne sois pas en mesure de voter ce texte et que je m'apprête
à m'abstenir. Cette position est évidemment personnelle et n'engage que celui
qui vous parle.
En effet, sur un sujet aussi fondamental, il est essentiel, mes chers
collègues, que chacun réagisse en toute authenticité par rapport à ce qu'il
est, par rapport à ses convictions et par rapport à tout ce qui fait son
engagement politique.
M. Emmanuel Hamel.
Allez plus loin que l'abstention, votez contre !
M. Philippe Marini.
Mon cher collègue, à chacun sa liberté de conscience. Je ne prétends pas me
substituer à la vôtre. J'ai exposé quel était mon cheminement. Il est cela,
mais il n'est que cela !
Enfin, j'insisterai sur cette très grande ambiguïté.
S'agissant du contrepoids politique, M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie a d'abord déclaré devant la commission des finances
de l'Assemblée nationale, au mois de novembre dernier, que la Banque centrale
européenne n'aurait pas de rôle direct en matière de croissance et d'emploi.
Plus récemment, à l'occasion de l'examen du présent projet de loi à
l'Assemblée nationale, il a déclaré : « La Banque centrale européenne doit non
seulement respecter la stabilité des prix, mais aussi concourir à mettre en
oeuvre la politique de l'Union européenne définie à l'article 102-A, qui
précise que cette politique, c'est l'emploi et la croissance. »
Comme toujours, le propos est d'une très grande habileté, mais lorsqu'on
essaie de balayer un peu la paille des mots, y a-t-il une cohérence de pensée,
une ligne politique ? Il faudrait que M. le ministre puisse, le cas échéant,
nous expliquer comment concilier ces approches, surtout quand on sait que le
commissaire européen en charge des questions économiques et monétaires ne cesse
de rappeler que le seul critère qui s'impose à la Banque centrale européenne
dans la gestion de la politique économique est bien celui de la stabilité des
prix, critère d'ailleurs repris tout à fait logiquement à l'alinéa 2 de
l'article 1er du présent projet de loi.
Sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, soyons clairs : que l'on dise de
quoi il s'agit et que l'on ne se berce pas d'illusions !
S'agissant toujours de la coordination des politiques à mettre en place, que
l'on nous dise en quoi consistera l'harmonisation, l'harmonisation fiscale et
l'harmonisation de la protection sociale, tout ce qui conditionnera la
compétitivité des différents facteurs de production.
Que l'on nous explique la façon dont nous serons conduits sur ce chemin de
l'harmonisation et que l'on évite, pour faire plaisir à une partie de la
majorité plurielle, d'appuyer sur une touche et, pour faire plaisir à une autre
partie de la même majorité, d'appuyer sur une autre touche. Que l'on soit clair
et net et que l'on dise la vérité au pays !
Je terminerai par une citation du Président de la République.
Il me semble avoir dit, le 16 avril dernier, des choses très justes,...
M. Paul Loridant.
Référendum ?
M. Philippe Marini.
... en particulier : « La France ne peut pas faire, dans le domaine économique
et social, cavalier seul. Elle doit s'inspirer de ce que font les pays qui
réussissent le mieux dans la lutte pour l'emploi. Nous devons réduire
résolument les charges pesant sur l'emploi peu qualifié, promouvoir des formes
nouvelles d'organisation du travail librement négociées, ramener
progressivement la part de l'emploi public dans la moyenne européenne. »
Eh bien, tout cela, c'est le contraire de ce que fait votre gouvernement,
monsieur le ministre ; je pense aux emplois-jeunes et à leur surcoût
budgétaire, aux trente-cinq heures obligatoires pour tous, comme un couperet à
une certaine date, à la politique budgétaire qui va conduire inévitablement à
obérer encore plus nos marges de manoeuvre, alors que la croissance devrait au
contraire nous permettre de bénéficier de marges de manoeuvre plus importantes
en vue de mieux assurer l'indépendance économique de notre pays, la prospérité
de ses entreprises et de ses citoyens.
Mes chers collègues, je vous remercie de votre attention et je vous prie de
bien vouloir m'accorder votre indulgence pour cet exposé de conviction toute
personnelle, qui, je le répète, n'exprime que mon point de vue, et non pas le
point de vue de mon groupe, au sein duquel différentes sensibilités existent
sur ce grave sujet.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Paul Loridant.
Plusieurs sensibilités, est-ce possible ?
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet dont nous sommes saisis s'inscrit dans le processus de l'unification
monétaire européenne, que ma famille politique a toujours soutenu avec
conviction et persévérance, et aussi avec la vigilance et la rigueur qui
s'imposent sur une question aussi importante.
Ce processus a été long et difficile, mais les Etats concernés et, parmi eux,
bien entendu, la France et l'Allemagne, ont pu progressivement vaincre leurs
réticences en dépit de tous les aléas économiques ou politiques.
La construction européenne, mes chers collègues, ne doit pas avancer masquée.
Il est heureux que nous puissions aujourd'hui traiter très clairement et
ouvertement de la politique monétaire européenne. Cette politique est devenue
en effet un moteur essentiel de l'évolution de notre continent. Nous sommes
d'ailleurs de fait, et avant l'heure, déjà dans l'euro. C'est pourquoi il est
urgent d'aller au bout de la démarche institutionnelle pour que toutes les
conditions juridiques soient également réunies afin que l'union monétaire soit
le succès que nous souhaitons tous pour les Français.
L'union monétaire ne faisait pas partie, à l'origine, en 1957, des domaines de
compétence majeurs dont devait se doter la Communauté. C'est par une politique
des petits pas, du sommet de La Haye en 1969 jusqu'au traité de Maastricht, que
le projet de monnaie européenne va prendre corps, sous l'impulsion conjointe et
essentielle de Paris et de Bonn.
Je rappellerai trois étapes majeures de ce processus.
Il s'agit en premier lieu de la décision de principe de créer une union
économique et monétaire, prise dès 1969 sur la base d'un rapport de Raymond
Barre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela ne nous impressionne pas !
M. Denis Badré.
Puis, en avril 1978, près de dix ans plus tard, au sommet de Brême, est
décidée la mise en place du système monétaire européen, avec la création d'une
nouvelle monnaie, l'écu.
Enfin, c'est le Conseil européen d'Anvers, en mai 1988, qui débouchera sur le
traité de Maastricht en 1992.
Nous sommes ici dans un domaine où le pragmatisme s'est imposé et où le temps
de la réflexion a été pris. C'est ainsi que l'on peut progresser de manière
sûre, en traitant solidement et correctement les vrais problèmes.
Puisque nous parlons souvent d'approfondissement de la construction
européenne, voilà un approfondissement à mon sens réussi et exemplaire. Il y
avait, en effet, un objectif et une démarche, et au service de cet objectif et
de cette démarche un engagement politique fort des chefs de tous les Etats qui
intégreront l'Union monétaire dès l'origine.
J'ajoute que notre vigilance et celle de nos collègues de tous les parlements
nationaux des autres Etats membres de l'Union auront été telles que nous
arriverons à servir les intérêts des Européens et des Français, de même que
ceux des citoyens de l'ensemble des autres Etats concernés, notamment au niveau
de l'emploi.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ça se voit !
M. Denis Badré.
Le projet de loi que le Sénat est amené à examiner a pour objet de traduire
dans les statuts de la Banque de France le passage à la monnaie unique, qui
paraît donc désormais acquis, ce dont je me réjouis ; j'aurai le plaisir de le
dire de nouveau demain, à l'occasion du débat que nous aurons sur la mise en
place de l'euro.
Ce texte représente donc un élément naturel du processus engagé depuis de
nombreuses années. Je rappelle que huit Etats membres de l'Union ont déjà pris
les mesures nécessaires à l'intégration de leur banque centrale dans le système
européen. C'est en particulier le cas de l'Allemagne, qui l'a fait pratiquement
la première dès décembre dernier ; l'Autriche et l'Espagne, dernières à monter
en ligne avec la France, le font ces jours-ci, pratiquement en même temps que
nous.
Il faut noter que, pour ce qui nous concerne, une grande partie de l'effort
d'adaptation des statuts de la Banque de France a déjà été accomplie. C'était
l'objet de la loi du 4 août 1993, qui avait été adoptée à la suite d'une
initiative du gouvernement d'Edouard Balladur.
L'idée de l'indépendance de la Banque de France avait alors suscité une
réaction très hostile des adversaires du traité de Maastricht, et également, ce
qui est plus surprenant, de l'opposition socialiste de l'époque.
Ces prises de position sont aujourd'hui assez largement dépassées, me
semble-t-il - et je m'en réjouis -, puisque c'est un gouvernement représentant
la gauche plurielle qui nous présente ce projet de loi transférant la
responsabilité de la politique monétaire au système européen de banques
centrales.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Avec des réticences que vous n'avez pas !
M. Denis Badré.
Cinq ans après, on peut constater que l'indépendance de la Banque de France,
qui apparaissait comme une révolution dans un pays de tradition plutôt jacobine
et interventionniste comme la France,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'était le bon temps !
M. Denis Badré.
... n'a manifestement pas entraîné de catastrophe, en tout cas pas celle
qu'avaient annoncée les opposants à ce projet.
Cette indépendance de la Banque de France correspond à une évolution générale
dans le monde, puisque nous la retrouvons aussi bien dans la Grande-Bretagne
travailliste qu'au Japon ou aux Etats-Unis. En arrivant au pouvoir, l'une des
premières décisions de Tony Blair n'a-t-elle d'ailleurs pas été d'accroître les
prérogatives de la banque d'Angleterre ?
(M. Jean-Luc Mélenchon
proteste.)
La France est engagée dans un processus irréversible vers l'euro, et il
convient maintenant de transférer la responsabilité de mener la politique
monétaire et la politique de change au Conseil européen, qui travaille avec le
Système de banques centrales et la Banque centrale européenne, chacun ayant ses
compétences propres.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il ne faut pas rêver !
M. Denis Badré.
Si mon groupe parlementaire et moi-même sommes en phase avec le Gouvernement
sur ce point, je rappelle que nous divergeons toujours sur le contenu de la
politique économique, sociale et fiscale - cela ne vous surprend pas, monsieur
le secrétaire d'Etat, car nous vous l'avons déjà dit -...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Nous, cela nous surprend !
M. Denis Badré. ...
la plus apte à préparer la France et les Français à relever les défis de la
monnaie unique.
Adapter les statuts de la Banque de France est chose relativement simple -
nous nous attachons à le faire, ici et maintenant - préparer la France pour que
l'union économique et monétaire soit un succès, pour elle et pour l'Europe, est
un tout autre défi. Si l'euro n'est pas appelé à résoudre tous nos problèmes
économiques et sociaux, il représente cependant une chance que notre pays doit
saisir sans arrière-pensées ni réticences et en se donnant tous les moyens pour
le faire.
Il imposera également une discipline aux collectivités publiques, qui seront
tenues de gérer sainement leurs budgets et ne pourront plus utiliser le déficit
budgétaire pour financer des politiques économiques à courte vue.
En outre, la France sera tenue de modérer sa pression fiscale.
Ces deux exigences me paraissent particulièrement bienvenues. Elles valent,
bien sûr, pour tous les Etats qui vont entrer dans l'union monétaire, mais
elles valent aussi et d'abord pour la France !
Il est d'autres avantages du passage à l'euro que je rappellerai très
rapidement, car nous aurons, je pense, largement l'occasion d'en parler
demain.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Discours unique, comme la monnaie !
M. Denis Badré.
D'abord, des taux d'intérêt plus bas profiteront aux investisseurs, aux
consommateurs et aux entreprises, donc à l'emploi. Ensuite, la monnaie unique
supprimera les risques de change, ce qui sera particulièrement bénéfique pour
nos entreprises. Enfin, les échanges seront facilités, ce qui ouvrira de
nouveaux marchés et de nouveaux débouchés à notre économie.
Cela dit, les entreprises de notre pays sont toujours pénalisées par des
prélèvements particulièrement élevés, trop élevés. Or il n'est pas prévu à
l'heure actuelle d'abaisser les charges sociales. Rien n'est envisagé, monsieur
le secrétaire d'Etat, sauf erreur de ma part, pour que la France puisse drainer
les capitaux nécessaires à son développement et à l'emploi.
En outre, la place de Paris est encore handicapée par l'étroitesse du marché
en actions, par l'hypertrophie du marché obligataire ainsi que par l'absence,
qui malheureusement, monsieur le secrétaire d'Etat, se prolonge, de fonds de
pension.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ce n'est pas le sujet !
M. Denis Badré.
Si, c'est le sujet, mon cher collègue !
Un rééquilibrage de la fiscalité en faveur de l'investissement et la mise en
place effective des fonds de pension constituent, à nos yeux, des priorités
incontournables pour que l'entrée de la France dans la monnaie unique soit
réussie.
Il faut que les capitaux restent en France et nourrissent le secteur
productif. Si notre fiscalité n'est pas allégée et modernisée, les
délocalisations se multiplieront, et ce malgré d'éventuels codes de bonne
conduite entre partenaires européens, qui ne suffiront pas à remonter le
courant.
Dans une zone à monnaie unique, tout se compare plus vite : le niveau de vie,
les coûts de production, les prélèvements obligatoires. Il sera très facile de
connaître le pays le plus compétitif au sein de l'Union, donc de connaître le
pays dans lequel on aura intérêt à aller s'installer !
Afin de garantir le succès de l'euro, plus que jamais l'indépendance des
banques centrales s'imposera. L'indépendance de la Banque centrale européenne
est de même - évidemment - indispensable car, dans un système monétaire à onze,
il n'est pas imaginable de soumettre la Banque centrale à un système de
négociations permanentes entre Etats.
Cette indépendance n'interdit pas, bien au contraire, un dialogue entre la
Banque centrale européenne et les parlements, le Parlement européen mais aussi
et surtout les parlements nationaux.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
On peut rêver !
M. Denis Badré.
La transparence sera, en effet, une clé de la réussite de la politique
monétaire commune.
Dans la situation actuelle, le gouverneur de la Banque de France vient
informer le Parlement des décisions que prend la banque. Demain, dans le cadre
du Système européen de banques centrales, ce sont les représentants des banques
centrales agissant ensemble qui devront, selon moi, se substituer à la Banque
de France devant le Parlement.
De mon point de vue, il faudra donc que les responsables de la Banque centrale
européenne représentant l'ensemble du Système européen de banques centrales
puissent venir dialoguer avec nous.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
On peut rêver !
M. Denis Badré.
Il s'agit d'une simple continuité de la pratique qui a cours aujourd'hui et
qui nous permettra de cantonner le Système européen de banques centrales à son
rôle monétaire, ce que nous souhaitons tous.
Je pense que notre capacité à nous adapter doit aller jusque-là.
Des questions de principe touchant à la construction européenne fondent mon
observation. Nous aurons, je le pense, l'occasion d'y revenir demain ; je le
ferai en tout cas dans mon intervention.
Je met permets simplement d'aborder plus largement ce sujet dans le cadre du
présent débat pour asseoir plus solidement la position qui est la nôtre sur le
texte qui nous est soumis aujourd'hui.
Je me contente donc de le souligner ici : je rejoins assez largement les
propositions récemment émises par le conseil d'analyse économique en faveur
d'une transparence de la BCE, sur le modèle de la réserve fédérale des
Etats-Unis. La banque centrale devra donc rendre des comptes aux parlements aux
niveaux national et européen, et tenir compte des réactions de l'opinion
plublique afin d'asseoir sa légitimité.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
C'est très important !
M. Denis Badré.
Le groupe de l'Union centriste, favorable au présent projet, ne souhaite pas,
en revanche, que la loi du 4 août 1993, soumise au Parlement par le
gouvernement Balladur et, modifiant le statut de la Banque de France, soit
remise en cause, en dehors des dispositions nécessaires à la mise en place du
Système européen de banques centrales. Il s'agit de l'adapter et non de revenir
sur le fond de ce texte.
Je crois que, sur ce point, deux soucis majeurs doivent motiver la
représentation sénatoriale : il faut, bien évidemment, veiller à la
préservation de l'indépendance de la Banque de France et des prérogatives de
son gouverneur, sans oublier les contraintes de rentabilité qui pèsent sur la
véritable entreprise qu'est devenue la Banque de France, à l'instar des autres
banques centrales. Il serait donc particulièrement inopportun de toucher à
l'économie même du texte de 1993, qui nous paraît toujours parfaitement
équilibré.
J'indique cependant que je dérogerai à ce principe sur un point. J'ai en effet
déposé un amendement visant à consacrer l'existence des succursales de la
Banque de France. Il s'agit à mon sens non pas d'une remise en cause du texte
de 1993 mais d'une précision utile. Nous devions profiter de l'occasion qui
nous est donnée pour apporter cette précision.
Mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste votera le projet de loi
tel qu'amendé par la commission des finances. Nous souscrivons en effet
totalement aux amendements déposés par M. le rapporteur. Je désire notamment
souligner l'importance qui s'attache à l'amendement tendant à donner aux
présidents des deux assemblées le droit de désigner directement une partie des
membres du Conseil de politique monétaire. M. Alain Lambert s'est exprimé
longuement sur ce sujet tout à l'heure, je n'y reviens donc pas, sinon pour
dire que c'est une proposition déjà relativement ancienne du président Monory
et de la commission des finances. Nous la voterons évidemment, en nous
réjouissant qu'ainsi le rôle que notre Haute Assemblée entend jouer dans ce
domaine puisse être effectivement consacré.
Au moment de conclure, je voudrais simplement féliciter de nouveau le
président de la commission des finances, M. Christian Poncelet, ainsi que le
rapporteur, M. Alain Lambert, qui, comme toujours, ont su nous guider afin que
notre travail soit utile et de qualité et pour que nous puissions progresser
sur ce sujet, difficile, je le répète, avec toute la passion nécessaire, mais
aussi avec tout le sérieux requis.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi que nous examinons aujourd'hui peut être qualifié de technique en
ce qu'il ne fait que procéder à l'adaptation du statut de la Banque de France
dans le cadre de la mise en oeuvre de la troisième phase de la construction de
l'Union économique et monétaire. Il ne ménage aucune surprise en somme !
J'exprimerai cependant un regret : la logique aurait voulu que ce texte fût
examiné après le débat sur l'euro qui se tiendra, heureusement, dès demain au
Sénat, mais qui aurait été mieux venu avant.
Pour autant, il ne s'agit pas de refaire maintenant le débat sur le passage ou
non à l'euro. En 1992, les Français, consultés par référendum, ont très
clairement exprimé leur adhésion à l'évolution vers la monnaie unique.
M. Emmanuel Hamel.
Inconscients et totalement abusés.
M. Joël Bourdin.
Ils savaient alors que ce choix impliquerait nécessairement, à terme, une
politique monétaire unique pour l'ensemble de l'Union, définie et mise en
oeuvre par un Système européen de banques centrales, le SEBC, indépendant,
composé de la Banque centrale européenne, la BCE, et des banques centrales
nationales.
Alors, bannissons tout discours frileux et négatif six ans plus tard. Onze
pays sont retenus aujourd'hui pour le passage à l'euro. Il serait vain de
regarder en arrière.
C'est certainement en juillet 1993, lorsque le Parlement a voté l'indépendance
de la Banque de France avec quelques mois d'avance sur le calendrier imposé,
que le plus grand pas a été franchi. C'était le premier sur la voie du
changement dans la conduite de la politique monétaire.
Conformément à l'article 109 E du traité deMaastricht, chaque Etat membre
devait, au cours de la deuxième phase de l'Union économique et monétaire, phase
de convergence des économies, installer cette indépendance des banques
centrales.
Répondant aux inquiétudes de ceux qui ressentaient cette première réforme de
la Banque de France « comme une atteinte à la souveraineté nationale et une
dépossession inadmissible de l'autorité politique élue au profit d'un aréopage
de technocrates irresponsables », le président Poncelet avait souhaité
relativiser le débat.
Il avait souligné qu'une banque centrale indépendante ne pouvait vivre coupée
du monde extérieur, indifférente à la conjoncture économique et sociale et
insensible aux nécessités politiques.
(M. le président de la commission
acquiesce.)
Je retiendrai également de son propos d'alors l'affirmation que la réforme de
notre banque centrale constituait, en quelque sorte, l'acte de reconnaissance
de notre appartenance au cercle des monnaies internationales « à stabilité
reconnue ».
La suite, on la connaît ! La mission assignée à la Banque de France fut
parfaitement remplie. L'inflation, aujourd'hui, ne dépasse pas 1,3 % et, sur
les quatre dernières années écoulées, elle a été en moyenne de 2,1 % par an. La
décrue des taux d'intérêt à long terme, qui profite à tout le monde, a été
remarquable, passant de 7,2 % en 1994 à 5,5 % au début 1998, ce qui,
d'ailleurs, a conduit le MATIF à modifier son contrat à terme sur le notionnel.
Ce contrat, qui était de 10 %, est passé voilà très peu de temps à 5,5 %.
Une crédibilité indiscutable s'est installée. La politique ne pouvait plus
interférer sur le message de l'institution. La continuité des décisions en
matière de lutte contre l'inflation fut respectée.
Depuis, aucune catastrophe ne s'est abattue sur notre politique monétaire.
La gauche n'avait cependant pas de mots assez durs, en tout cas au Sénat, en
1993, pour fustiger les carences du dogme conduisant la droite à croire que la
stabilité des prix irait nécessairement de pair avec l'indépendance de la
banque centrale.
Maintenant, ce discours politicien est en partie oublié, heureusement !...
M. Gérard Delfau.
Il a de beaux restes à droite !
M. Joël Bourdin.
... et l'ancien dogme de la droite est devenu la bible de la gauche. Je m'en
réjouis. Une conversion s'est opérée. Des miracles se produisent. Il faut en
être ravi !
M. Philippe Marini.
Cela fait partie de l'ambiguïté !
M. Joël Bourdin.
L'adaptation du statut de notre banque centrale à laquelle nous procédons
aujourd'hui est déjà réalisée dans sept des pays candidats à l'euro. Elle le
sera dans trois autres avant la fin du mois : en Autriche, en Espagne et au
Luxembourg.
Cette anticipation sur le calendrier - le Système européen de banques
centrales ne va gérer effectivement la politique monétaire européenne qu'au 1er
janvier 1999 - est utile car de nombreuses décisions sont à prendre en amont
pour faire fonctionner le système.
Nul ne peut ignorer que le pouvoir monétaire national, est, dans les faits,
devenu de plus en plus limité et sous contrainte. La proximité et
l'interdépendance des économies, l'ouverture quasi complète des marchés
financiers font que les décisions prises au niveau national ne peuvent
s'écarter de celles des autres pays. Mieux vaut, dans ces conditions, une prise
de décision collégiale !
Hors de la pression des gouvernements, le SEBC n'en aura pas moins des
obligations d'information du Conseil, de la Commission et du Parlement européen
sur son fonctionnement, obéissant ainsi à l'impératif démocratique.
Les parlements nationaux pourront aussi - vous l'avez souligné, monsieur le
rapporteur - procéder à des auditions des membres de la BCE. Comme ce fut le
cas lors du débat que nous avons eu à propos de l'indépendance de la Banque de
France, écartons les visions inquiètes d'une BCE vrai gouvernement de
l'euro.
Malgré le transfert des compétences vers le SEBC, la Banque de France conserve
ses structures : le conseil de la politique monétaire, le conseil général et le
comité de réglementation bancaire.
Je soutiens votre initiative, monsieur le rapporteur, de renforcer la
légitimité démocratique du conseil de la politique monétaire en modifiant le
mode de désignation de ses membres. Plus d'indépendance pour plus de légitimité
démocratique est un impératif.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Très bien !
M. Joël Bourdin.
Un pas important a été franchi avec la création d'une banque centrale
européenne et avec l'émergence de l'euro. Une même politique monétaire, une
même politique des taux d'intérêt, une même politique du crédit, une même
politique des taux de change, sera désormais décidée et appliquée dans onze
pays. C'est une innovation sans aucun précédent historique, sans aucun
précédent international, sauf, peut-être, la zone franc que nos anciens ont
créée et qui fonctionne toujours dans le même esprit, avec de très nombreux
pays, et qui, bien évidemment, va devenir
ipso facto
une zone euro.
En me réjouissant de cet aboutissement, je mesure aussi ce que cela impose aux
gouvernements actuel et à venir.
Nous sommes nombreux à avoir fait nos premiers pas en analyse économique et en
politique économique dans un contexte quasi keynesien et nous avons tous fait
des gammes sur les mérites de la politique budgétaire, de la politique
monétaire sur un registre mêlant avec bonheur, ou en tout cas combinant, l'une
et l'autre. Suivant les contraintes du moment et la conjoncture, les
gouvernements, jusqu'à une époque récente, privilégiaient ou bien la politique
monétaire ou bien la politique budgétaire, ou encore jouaient sur les deux
claviers.
On a même connu des périodes où la politique monétaire venait au secours d'une
mauvaise politique budgétaire par le biais de variations des taux d'intérêt ou
de manipulations des taux de change. Lorsque, à la suite d'une politique
hasardeuse en matière budgétaire ou salariale, les prix s'enflammaient, on
corrigeait la situation en modifiant les taux d'intérêt et les taux de change.
La politique monétaire était alors une sorte de filet de protection contre les
aléas, ou les mauvaises applications d'une politique budgétaire.
C'en est fini de ces combinaisons plus ou moins heureuses entre ces formes de
politique. Pour les gouvernements français, le seul moyen pour agir sur
l'économie qui subsiste désormais, c'est la politique budgétaire ou les
politiques adjacentes, politique sociale ou politique fiscale, qui sont
d'ailleurs plus ou moins intégrées dans la politique budgétaire.
M. Paul Loridant.
Il ne reste pas grand-chose !
M. Joël Bourdin.
Dans une économie où la régulation de la masse monétaire, l'adaptation des
taux d'intérêt, la politique du crédit et de change sont des données exogènes,
la marge de manoeuvre gouvernementale se trouve réduite.
M. Paul Loridant.
C'est vrai !
M. Joël Bourdin.
C'est ainsi que, à la suite de variations soudaines de charges salariales, il
ne faudra plus compter sur une dévaluation pour établir un équilibre.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Comme en 1968 !
M. Joël Bourdin.
Que ce soit en 1968 ou en quelque autre année !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Quand les gens sont dans la rue, cela change la donne !
M. Joël Bourdin.
Désormais, dans l'espace européen, toute variation ou augmentation singulière
des charges affectera les prix et donc favorisera la concurrence externe, la
variable des prix réels ne pouvant plus jouer. Ce sont effectivement l'emploi
ou l'activité économique qui en pâtiront.
M. Paul Loridant.
C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est bien ! Développez cette idée !
M. Joël Bourdin.
Cela signifie, monsieur le secrétaire d'Etat, et vous le savez, que désormais
la France ne peut plus guère se distinguer de ses partenaires en matière
économique !
Le transfert à une banque centrale européenne des outils de la politique
monétaire sonne le glas de toute politique singulière,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
De toute souveraineté !
M. Joël Bourdin.
... et nous conduit à la convergence...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Tout à fait !
M. Joël Bourdin.
... pas simplement à la convergence de certains indicateurs bien connus, mais
aussi à la convergence des conditions financières et réglementaires de la
production.
Et quand nos partenaires s'engagent dans des programmes de diminution des
impôts et des charges salariales, sauf à organiser le transfert d'activités
productrices chez eux, nous devons diminuer nos impôts et nos charges
salariales.
M. Philippe Marini.
C'est bien évident !
M. Paul Loridant.
Et donc peser sur les salaires !
M. Joël Bourdin.
J'ai parlé des charges salariales, pas des salaires !
M. Charles Pasqua.
Cela va de soi !
M. Joël Bourdin.
Le choix que nous avons effectué ensemble est d'une logique rigoureuse : quand
nous avons choisi d'unifier la politique monétaire, qui devra désormais être
mise en oeuvre par une banque centrale européenne, nous avons choisi en
corollaire de mettre en harmonie les conditions de la production et nos
politiques économiques.
M. Philippe Marini.
Et sociales.
M. Joël Bourdin.
Bien conscient de ne rien vous apprendre sur ce sujet, monsieur le secrétaire
d'Etat, je vous demande simplement de convaincre vos collègues de la majorité
plurielle du caractère incontournable de cette logique.
Dans l'ensemble européen réuni autour d'une banque centrale, le Gouvernement
français ne peut pas mener une politique singulière. Il faudra désormais en
tenir compte : lorsque nos voisins, amis et partenaires réduiront leurs
déficits ou ajusteront les conditions de la production, nous devrons nous
mettre en harmonie avec eux, faute de quoi notre économie souffrira.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Et voilà !
M. Joël Bourdin.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera ce texte.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon
collègue et ami Michel Sergent ayant exposé la position du groupe socialiste
sur le projet de loi et évoqué, plus généralement, le contexte dans lequel il
s'inscrit, je voudrais centrer mon propos sur le rôle éminent, mais peu connu,
que joue la Banque de France en dehors de la politique monétaire.
A côté et en appui de sa fonction de banque centrale, la Banque de France
exerce, en effet, plusieurs missions de service public, qui sont d'ailleurs
largement territorialisées ; c'est sur ces missions que portera mon
intervention.
En application du texte qui nous est soumis, la Banque de France s'intégrera
au Système européen de banques centrales sans que ses fonctions soient remises
en cause.
S'il y a incertitude, c'est que la loi de 1993 - un peu bâclée,
reconnaissons-le - a instillé un doute sur la légitimité de ces ativités. Il
importe donc que le nouveau cadre législatif réaffirme solennellement et
précise ces missions, qui sont aujourd'hui irremplaçables.
Dans la loi de 1993, deux missions fondamentales sont clairement définies. La
première consiste dans l'émission et l'entretien de la monnaie. La Banque de
France est seule habilitée à émettre les billets. Elle veille à la bonne
qualité de la circulation fiduciaire.
La nouvelle appartenance de la Banque de France au système européen des
banques centrales ne modifie pas ce rôle, et c'est heureux. La Banque de France
conserve le monopole de l'émission des billets sur le territoire, même si
désormais cette mission s'effectue pour le compte de la Banque centrale
européenne, seule habilitée à autoriser l'émission de billets de banque dans la
Communauté.
Cependant, cette mission ne se réduit pas à l'émission des billets. Par
l'intermédiaire de son réseau de comptoirs, la Banque de France entretient la
circulation des billets et les trie ; elle en surveille la qualité et lutte
contre la fausse monnaie.
C'est sur ce dernier point que le groupe socialiste est particulièrement
vigilant, en raison des tendances ultra-libérales de certains de nos collègues
de la Haute Assemblée. Ce pan de l'activité de la Banque de France ne doit pas
passer au secteur privé.
La deuxième mission de la Banque de France concerne le contrôle du système des
paiements : « La Banque de France veille au bon fonctionnement et à la sécurité
des systèmes de paiement. »
L'équilibre établi par la loi bancaire de 1984, qui n'avait pas été modifié
par la loi de 1993, est maintenu.
La loi mentionne d'autres missions, qui ne sont pas considérées comme
fondamentales et qui ne sont pas non plus remises en cause par le présent
projet.
Ainsi, elle peut fournir des prestations pour le compte de l'Etat ou pour le
compte de tiers. Elle est notamment le banquier de l'Etat : elle gère
gratuitement le compte courant du Trésor public - centralisation des opérations
effectuées par les comptables publics, etc. -, fait au Trésor l'avance de la
valeur des monnaies métalliques qu'elle met en circulation pour son compte,
contribue au service de la dette par la tenue des comptes courants de valeurs
du Trésor.
Elle établit par ailleurs la balance des paiements et la position extérieure
de la France.
Je ne cite que pour mémoire sa gestion de clientèle puisque les activités
afférentes ont été gelées par la loi de 1993 et qu'elles sont, par conséquent,
vouées à une mort lente.
M. Paul Loridant.
Hélas !
M. Gérard Delfau.
Enfin, la Banque de France assume d'autres missions d'intérêt général,
intéressant la vie quotidienne de nos concitoyens, mais qui ne sont pas
explicitement prévues par la loi de 1993 : le texte se bornait, dans son
article 15, à énoncer qu'elle pouvait continuer à exercer celles de ses
activités qui ne relèvent pas de la politique monétaire.
Je rappellerai brièvement quelles sont ces activités.
La Banque de France dresse, en plus de la balance des paiements, les
statistiques monétaires et financières. Issues des informations reçues des
établissements de crédit à l'occasion de la surveillance bancaire, cette
connaissance est indispensable à la conception et au suivi de la politique
monétaire. C'est le rôle d'arbitre et de garant qui lui est dévolu depuis si
longtemps.
Plus récemment, elle s'est investie dans le « métier 10 ». Pour cela, elle
suit la situation financière des entreprises françaises. Elle réalise des
études économiques et des enquêtes de conjoncture, là encore pour étayer les
décisions de politique monétaire. Elle gère plusieurs fichiers indispensables à
sa connaissance économique, mais aussi au fonctionnement des établissements
bancaires et des entreprises.
C'est là une fonction peu connue mais décisive, qu'il convient de développer
et d'étendre aux très petites entreprises, lesquelles ont besoin de l'expertise
et de la neutralité de la Banque de France. Si celle-ci n'accomplit plus cette
tâche, qui le fera ?
Enfin, depuis quelques années, la Banque de France assure le secrétariat des
commissions de surendettement. C'est même le poste de travail qui grossit le
plus vite dans ses succursales, en raison de la crise sociale.
Je l'ai dit, la loi de 1993 établissait une hiérarchie entre ces différentes
missions et, surtout, introduisait un doute sur la pérennité et la validité de
certaines d'entre elles, qui sont particulièrement chères aux élus locaux.
Aujourd'hui, l'Assemblée nationale a voulu clarifier la situation en adoptant
plusieurs amendements, qui ressemblent d'ailleurs comme des frères à ceux que
nous avions défendus ici même en 1993.
Nos collègues députés ont confirmé la mission d'entretien de la monnaie
fiduciaire.
Ils ont indiqué clairement que la Banque de France exerçait des missions
d'intérêt général autres que celles qui découlent de la politique monétaire.
Ils ont précisé les conditions dans lesquelles la Banque de France est tenue
de fournir les prestations qui peuvent lui être demandées dans les domaines
autres que ce qui relève de la politique monétaire.
Enfin, ils ont prévu que la Banque de France pouvait effectuer et diffuser
toutes études, analyses et statistiques utiles à son information et à celle des
pouvoirs publics et que, en outre, elle collectait des données et tenait les
fichiers nécessaires à l'exécution de ses missions.
Ils ont ainsi confirmé le rôle d'expertise et de conseil de la Banque de
France, notamment au service des milieux socio-économiques, et cela doit être à
tout prix préservé.
Aussi, je ne comprends pas la position de notre rapporteur, qui veut supprimer
ces avancées. Son argumentation est d'ailleurs étrange : tout en approuvant les
objectifs arrêtés par l'Assemblée nationale, il considère que ceux-ci sont
mieux atteints par la rédaction de la loi de 1993, alors que celle-ci était
pour le moins ambiguë.
Pas de faux-fuyants, mes chers collègues ! Devant les salariés attentifs,
devant les élus locaux directement concernés, vous devez prendre clairement
position. Voulez-vous une Banque de France peau de chagrin, simple courroie de
transmission du système européen de banques centrales, lestée d'un Conseil de
la politique monétaire dont, je le dis au passage, je n'arrive toujours pas à
concevoir la légitimité ni à comprendre le rôle dans la future configuration ?
Si vous ne voulez pas cela, conformément à la tradition de notre assemblée, ne
touchez pas à ces articles insérés heureusement par nos collègues de
l'Assemblée nationale.
M. Jean Peyrafitte.
Bravo !
M. Gérard Delfau.
J'en viens maintenant à une question qui découle de celle que je viens
d'aborder : l'avenir des succursales de la Banque de France.
L'article 7
ter,
issu d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale, a
introduit une disposition importante, prévoyant que les succursales participent
à l'exercice des missions de la Banque.
Or, depuis 1996, le gouverneur de la Banque de France souhaite réorganiser le
réseau, c'est-à-dire le réduire à une succursale par département. Et ce n'est
là que la première étape, ne vous y trompez pas : ensuite, ce sera la région,
puis la grande région, si nous, parlementaires et élus locaux, laissons
faire.
Jusqu'à présent, du fait de la mobilisation des organisations syndicales et
des élus, ces projets de réorganisation n'ont pu aboutir.
Permettez-moi de rappeler les faits.
Lors de la présentation, le 4 octobre 1996, des orientations sur l'avenir de
la banque centrale à un horizon de six à dix ans, le gouverneur avait déclaré :
« Le chantier de la restructuration du réseau des succursales n'est pas ouvert.
» Et pourtant, il avait en préparation un projet de réduction drastique du
réseau des caisses, qui fut présenté au conseil général de la Banque de France
le 18 décembre 1997. Il entraînerait, s'il était mis en oeuvre, la fermeture de
quatre-vingt-dix caisses et de deux succursales parisiennes, ainsi que la
disparition de plus de 820 emplois.
La réaction fut vive chez les salariés mais aussi chez les élus locaux et chez
les parlementaires - certains de nos collègues se trouvaient aux avant-postes -
bref, chez tous ceux qui sont attachés à ce service public et à sa couverture
de l'ensemble du territoire.
Avec d'autres, j'ai participé à plusieurs rencontres avec le gouverneur de la
Banque de France, M. Trichet. J'ai écouté les arguments, lu avec attention les
notes qui étaient remises. J'en ai gardé un sentiment d'incompréhension, voire
de malaise, tant certains choix paraissaient peu fondés. Parfois même, m'a
effleuré - à tort sans doute - le soupçon d'arbitraire au détriment de certains
départements. Mais, je le répète, c'est sans doute à tort que cette idée m'est
venue à l'esprit.
M. Henri de Raincourt.
Sûrement !
(Sourires.)
M. Gérard Delfau.
Et quand le gouverneur de la Banque de France, pour appuyer sa décision, tire
argument de la restructuration des banques centrales dans les pays voisins, il
ne fait que nous confirmer dans nos craintes ! Au nom de l'Union européenne,
que je juge par ailleurs si nécessaire - mon vote le montrera d'ailleurs tout à
l'heure - faut-il une fois encore accepter un affaiblissement de nos services
publics ? Est-ce la condition préalable ? Est-ce la conséquence inéluctable ?
Voudrait-on insinuer le doute chez ceux qui, comme moi, sont depuis toujours,
et à chaque étape, des Européens convaincus ?
En effet, personne ne doute que la suppression des caisses est le prélude à la
disparition des succursales, progressivement vidées de leur substance.
M. Roland Courteau.
Evidemment !
M. Gérard Delfau.
Ainsi, la Banque de France s'éloignerait de ses missions, déserterait les
villes moyennes et leur environnement au profit, je le disais tout à l'heure,
d'abord de la capitale départementale, puis de la capitale régionale, et
peut-être, après-demain, de la métropole de la grande région.
M. Roland Courteau.
C'est exact !
M. Gérard Delfau.
Or l'activité des succursales est ancrée dans la micro-économie de nos
départements. Au carrefour des administrations et des collectivités locales,
des établissements bancaires et des entreprises, elles exercent un rôle
irremplaçable d'observatoire de l'économie locale, de soutien aux décideurs
locaux, d'aide aux PME-PMI, notamment aux très petites entreprises, si
démunies.
M. Jean Peyrafitte.
Très bien !
M. Gérard Delfau.
Ces succursales s'acquittent en outre d'une autre charge en assurant le
secrétariat des commissions de surendettement.
M. Jean Peyrafitte.
Eh oui !
M. Gérard Delfau.
Elles sont donc indispensables et doivent être présentes au plus près du
terrain local, ce qui justifie le maintien de ce réseau étoffé.
Il faut reconnaître ces fonctions et donner à la Banque de France les moyens
de mieux les assumer, au plus près des citoyens, au moment où la construction
européenne éloigne d'eux les centres de décision.
Nous comprenons la nécessité de la modernisation et d'une réflexion à ce
sujet, mais nous ne sommes pas d'accord pour que les missions indispensables de
la Banque de France soient maintenues dans des conditions telles qu'elles se
trouveraient peu à peu anémiées et que soit ainsi perdue la double exigence du
service public et de l'aménagement du territoire. Et je parle là comme parlent
en général les sénateurs.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, je sais que vous partagez ces convictions.
(M. le secrétaire d'Etat opine.)
Vous l'avez d'ailleurs dit à
l'Assemblée nationale.
Non seulement le groupe socialiste soutiendra bien évidemment toutes les
avancées de nos collègues députés, mais il proposera à l'article 7
ter
de revenir à la procédure d'évolution du réseau qui était prévue dans le
statut de 1973, c'est-à-dire une procédure liée non pas, bien évidemment, à une
décision mais à une consultation des collectivités locales concernées. Et
j'attends...
M. Joël Bourdin.
Avec un fusil ?
M. Gérard Delfau.
... avec intérêt de savoir quels seront ceux de nos collègues qui voteront
contre cette disposition. Je serai très content, mon cher collègue, de voir
leurs noms publiés au
Journal officiel.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Et alors ? Nous avons le courage de nos opinions sur toutes
les travées.
M. Joël Bourdin.
C'est ridicule !
M. Gérard Delfau.
Non, ce n'est pas ridicule ! C'est prendre ses responsabilités devant
l'opinion !
M. Jean Peyrafitte.
Parfaitement !
M. Gérard Delfau.
Voilà une étrange conception du mandat parlementaire ! Ainsi, vous ne voudriez
pas que nos concitoyens connaissent le vote qui a été émis ?
(Protestations
sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Alain Lambert,
rapporteur.
On a dit le contraire !
M. Gérard Delfau.
Je ferme la parenthèse.
M. Henri de Raincourt.
Quelle déviance !
M. Gérard Delfau.
En effet, c'en serait une.
La réaffirmation de l'ancrage de la Banque de France sur l'ensemble du
territoire et l'élargissement de ses missions sont la contrepartie du vote
positif que j'émettrai tout à l'heure.
Plus l'Europe se bâtit, plus nos concitoyens doivent trouver des services
publics modernisés et de proximité. Cela vaut aussi, mes chers collègues, pour
la Banque de France !
(Très bien ! et applaudissements prolongés sur les
travées socialistes.)
(M. Jacques Valade remplace M. Michel Dreyfus-Schmidt au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi relatif à la réforme du statut de la Banque de France vise à
préparer notre pays au basculement dans la troisième phase de l'Union
économique et monétaire.
Avec la mise en place du Système européen de banques centrales, chargé de
définir la politique monétaire interne et de mettre en oeuvre les orientations
générales de la politique de change, notre Banque de France sera reléguée au
rang de simple succursale de la Banque centrale européenne.
Ainsi, la mise en oeuvre de ce système aboutirait au transfert d'un des
attributs essentiels de la souveraineté : le pouvoir monétaire. Ce projet de
loi, qui se conforme à la lettre du traité de Maastricht, notamment à son
article 105, repose sur deux équations discutables, jamais démontrées en
économie : d'une part, une indépendance du système monétaire garantit la
stabilité des prix ; d'autre part, la stabilité des prix stimule la croissance
et l'emploi.
Cette indépendance renforcée va à rebours de notre histoire.
De Napoléon Bonaparte jusqu'au cartel des gauches, toute notre histoire est
marquée par l'affirmation progressive des gouvernants d'organiser puis de
contrôler le pouvoir monétaire.
Ce fut tout l'effort de la démocratie, de Léon Blum à Charles de Gaulle, que
de réintégrer la politique monétaire dans le plein champ de ses compétences et
d'affirmer le primat du politique sur l'économie et la monnaie.
C'est pour défendre cette conquête démocratique que, en 1993, je m'étais
opposé, avec d'autres, au projet de réforme du statut de la Banque de France,
dont l'objectif consistait à transférer à des techniciens le soin de déterminer
et de mettre en oeuvre la politique monétaire de la France, élément essentiel
de toute politique économique.
Conformément à l'article 20 de notre Constitution, j'ai toujours considéré que
seul le Gouvernement devait assumer la responsabilité de la politique
économique et donc de la politique monétaire. La raison en est simple : un
gouvernement dispose de la légitimité que lui confèrent les élections et, à ce
titre, il doit endosser, seul, la responsabilité de l'échec ou de la réussite
de sa politique économique devant les citoyens.
Le présent projet de loi entend consacrer le principe de l'indépendance
absolue des membres du conseil de la politique monétaire et, plus
particulièrement, de son président, le gouverneur, cette indépendance devant
bien entendu s'exercer à l'égard des autorités démocratiques.
Depuis quelques années, une dérive impose sur tous les sujets des
magistratures morales, des hautes autorités qui ne font, à mon sens,
qu'alimenter la crise de la démocratie. La Banque de France n'a malheureusement
pas échappé à ce tropisme en 1993.
Le rappel dans le présent projet de loi du principe d'indépendance établi par
la réforme de 1993 prend avec ce texte une tout autre importance car son champ
d'application est beaucoup plus vaste puisque l'indépendance s'entend « à
l'égard des missions que la Banque de France accomplit à raison de sa
participation au Système européen de banques centrales ».
Le projet de loi introduit, à l'article 5, une innovation en consacrant
l'indépendance du gouverneur de la Banque de France, membre du conseil des
gouverneurs de la Banque centrale européenne, à l'égard du conseil de la
politique monétaire, c'est-à-dire l'indépendance à l'égard d'une structure
indépendante. Le conseil de la politique monétaire est un organisme dont on est
en droit de se demander s'il ne devrait pas être dissous comme le suggérait à
l'instant notre collègue M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
C'est évident !
M. Paul Loridant.
Plus grave encore, l'article 7 vient « limiter » le droit à l'information du
Parlement au strict respect du principe d'indépendance et des règles de
confidentialité édictées par la Banque centrale européenne.
Dès lors, comment ne pas envisager l'hypothèse où la commission des finances
du Sénat ou de l'Assemblée nationale se verrait opposer un refus d'information
sur tel ou tel aspect de la politique monétaire au motif qu'il relève de la
confidentialité ?
Veut-on ajouter au secret-défense la notion de secret-monétaire ? Il est fort
à craindre que l'on n'assiste aux mêmes dérives et aux mêmes abus que pour le
secret-défense.
Au moment où l'on se réjouit sur certains bancs et dans la population de
pouvoir déférer les ministres devant la Cour de justice de la République et
d'enquêter sur les éventuelles responsabilités du gouvernement français dans le
génocide rwandais, le gouverneur de la Banque de France, chargé de mettre en
oeuvre les décisions de la Banque centrale européenne, pourra, en s'appuyant
sur cet article 7, ignorer la représentation nationale. Quel renversement de
situation !
Les ministres et les élus locaux sont, nous le savons tous, responsables
pénalement et les banquiers centraux, eux, bénéficient d'une irresponsabilité
politique.
La légitimité restera-t-elle longtemps encore dans le suffrage universel ?
Nous pouvons nous poser la question.
La question sociale est notre priorité. En 1992, lors de la campagne sur la
ratification du traité de Maastricht, comme en 1993, lors de la discussion du
projet de réforme des statuts de la Banque de France, j'avais dénoncé le
monétarisme rampant dans lequel on tentait de nous enfermer.
L'obsession de la stabilité des prix et de la réduction de la masse monétaire
ont alimenté une grave dépression et un chômage de masse, à moins de
considérer, mes chers collègues, qu'il ne s'agit là que d'une simple
coïncidence.
L'économie rentière qui s'est ainsi constituée au fil des ans a lourdement
pénalisé la production et rendu impossible toute reprise durable de la
croissance. Cette politique monétariste et ouvertement libérale, les Français
l'ont rejetée clairement lors des dernières élections législatives. C'est bien
sur le terrain de la question sociale que la gauche plurielle a retrouvé la
confiance de nos concitoyens.
Mais comment cette détermination, qui ne doit pas faiblir, peut-elle être
compatible avec le carcan monétaire dans lequel l'article 1er de ce projet de
loi nous enferme ? Cet article permettra au gouverneur de la Banque de France
de conditionner son soutien au Gouvernement à la poursuite d'une politique
déflationniste, comme si l'hyper-inflation menaçait à chaque instant notre
économie !
Le gouverneur, et lui seul, pourra apprécier la compatibilité entre la
politique économique du Gouvernement et l'impératif prioritaire de stabilité
des prix.
L'article 1er traduit en fait la croyance dans l'équation : stabilité des prix
= croissance et emplois.
L'évolution économique de ces quinze dernières années semble, hélas ! infirmer
cette thèse. Il s'agit là d'un tropisme bien européen, car même aux Etats-Unis,
mes chers collègues, dans le temple de la toute-puissance des marchés, la
Federal reserve bank
a également pour mission d'assurer le plein emploi,
la stabilité des prix et la modération des taux d'intérêt à long terme.
Cette priorité donnée à la monnaie et le déséquilibre qu'elle a introduit dans
la construction européenne a conduit le gouvernement de la gauche plurielle à
négocier une réorientation de la construction européenne à partir des quatre
conditions que Lionel Jospin avait posées au passage à l'euro, conditions qui
avaient également été avancées par le Mouvement des citoyens, mais aussi à
partir des engagements contenus dans la déclaration commune du parti socialiste
et du parti communiste du 29 avril 1997.
La création d'un gouvernement économique afin de faire contrepoids à la
toute-puissance des banquiers centraux relève de cette volonté de rééquilibrer
l'architecture du Système européen de banques centrales.
Néanmoins, ce gouvernement économique s'est transformé en conseil de l'euro -
est-ce seulement une transformation terminologique ? - dont certains
responsables outre-Rhin affirment déjà qu'il n'a aucune légitimité puisque
toute action de ce dernier sur la Banque centrale européenne porterait atteinte
à son indépendance garantie par ses statuts et le traité de Maastricht.
Ce conseil de l'euro a été vidé de sa substance par les responsables des
banques centrales européennes, car ces derniers seront fortement représentés au
sein de ce qui aurait dû être le contrepoids politique, et ce en dépit des
réserves du Gouvernement français.
Ne soyons pas victimes de l'illusion technocratique ! La monnaie n'est pas un
sujet neutre qu'il conviendrait de laisser à des techniciens. C'est un sujet
politique par excellence. Il ne doit pas échapper à ceux qui ont la charge de
conduire les affaires du pays dans un monde tourmenté, marqué par les
déséquilibres monétaires et économiques.
Quel avenir, donc, pour la Banque de France ? Avec la modification de ses
statuts, c'est aussi l'avenir de la Banque de France, service public et outil
de l'aménagement du territoire et du développement de l'économie, qui est
menacé.
La Banque de France assume, en effet, toute une série de missions telles que
la gestion des moyens de paiement, le service de caisses, la confection des
statistiques monétaires et financières, les études de conjoncture, la
surveillance et le contrôle des banques, y compris la gestion des fichiers des
incidents de paiement des particuliers, le secrétariat des commissions de
surendettement, dont j'ai pu apprécier l'efficacité lorsque j'ai préparé le
rapport sur le surendettement avec mon collègue M. Hyest.
La réforme de ses statuts en 1993, en posant l'objectif essentiel de stabilité
des prix, avait engagé la Banque de France dans une dérive gestionnaire
contraire à ses missions de service public. En réduisant à nouveau son champ
d'action, en transformant la Banque de France en succursale de la Banque
centrale européenne, il est à craindre que, malheureusement, l'on n'accentue
cette tendance gestionnaire.
Le basculement dans l'euro entraînera
de facto
une concurrence entre
les places financières, dont nous avons eu un aperçu avec l'affaire du MATIF.
Les remises en cause, par le gouverneur de la Banque de France, du réseau des
caisses, pilier des missions de service public de notre banque centrale, répond
en fait à un objectif de rendement.
Comment cet objectif de « rationalisation » du réseau pourra-t-il être
compatible avec la volonté de renforcer la lutte contre le surendettement des
ménages ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, membres du parti
communiste français et du Mouvement des citoyens, n'ont jamais approuvé les
changements de statut de la Banque de France. En le rappelant aujourd'hui, ils
soutiennent les efforts entrepris pour corriger la trajectoire tant qu'il en
est encore temps.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes. - MM.
Ceccaldi-Raynaud et Hamel applaudissent également.)
M. Emmanuel Hamel.
La destruction progressive de la France est un grand malheur !
M. le président.
La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi modifiant le statut de la Banque de France que nous soumet le Gouvernement
illustre la confusion entretenue entre le technique et le politique.
Dans la continuité du traité de Maastricht, ce texte ne serait, dit-on, qu'une
adaptation technique à la nouvelle donne, avec une sorte d'automaticité qui
conduit à se poser la question de notre utilité face à un tel déterminisme.
Cette fâcheuse impression est confirmée par le fait que le débat sur l'euro va
suivre notre discussion sur ce projet de loi alors que, en toute logique, il
aurait dû le précéder.
L'inversion chronologique trahit l'inversion des valeurs que nous fait subir
une construction européenne mal conçue, contraire aux intérêts de notre peuple,
sinon de l'Europe.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
Il est aussi significatif de la volonté de tronquer le débat européen. A cette
fin, on utilise l'estompe pour faire oublier qu'un des symboles de notre
souveraineté, fondé en 1800, va cesser d'exister.
M. Emmanuel Hamel.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
Et on utilise la fausse analogie : ce que fait le Gouvernement aujourd'hui ne
serait guère différent de ce qu'avait fait la loi de 1993. La différence est
pourtant considérable. La loi de 1993 ne concernait que la seule politique
monétaire interne et, loin d'en dessaisir le Gouvernement, elle en modifiait
simplement les conditions d'exercice et les confiait à une institution certes
indépendante, mais nationale. Le problème est bien là.
Pour tronquer ce débat européen, on utilise aussi l'argument d'autorité : le
peuple a tranché en 1992. Désormais, qu'il se taise, tout comme ses élus !
Singulière vision de la démocratie que celle qui considère que l'on consulte le
peuple une fois pour toutes et que sa parole donnée vaut pour l'éternité de la
construction européenne. Singulière vision de la démocratie que celle qui
ajoute au contrat codicilles et biffures, ratures et clauses inédites sans
douter de la pérennité de sa validité. Singulière vision de l'esprit et
singulier respect de l'opinion que ceux qui considèrent le pacte de stabilité
comme un amendement anodin à Maastricht. Singulière conception de la démocratie
et de la géographie que de vouloir nous faire croire qu'Amsterdam est un simple
faubourg de Maastricht.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
« Un nouveau référendum ? Il y en a déjà eu un ! » Vous conviendrez que
l'argument est d'une force, d'une logique morale et intellectuelle qu'il
conviendrait de traduire par l'interdiction constitutionnelle d'organiser, à
l'avenir, quelque consultation du peuple que ce soit sur ce sujet de si peu
d'importance qu'est l'Europe !
On utilise enfin l'amalgame et le manichéisme. L'Europe telle qu'elle se fait
aujourd'hui doit être prise en bloc ; le fédéralisme technocratique, ce serait
l'Europe. Autre principe de la nouvelle morale obligatoire : le fédéralisme
technocratique, ce serait la modernité, et sa critique, naturellement, ce
serait l'archaïsme. Le sophisme, en guise de philosophie politique, fait les
beaux jours de la pensée unique.
« Vous vous éloignez du sujet, c'est un texte technique. » Entre le référendum
tabou et la technicité obligatoire, c'est bien le débat politique qui est
interdit.
Les déformations que l'on fait ainsi subir à la réalité ont de puissantes
conséquences sur l'idée européenne elle-même. L'idée européenne est généreuse
et ouverte ; elle devient mesquine et fermée. L'idée européenne est moderne ;
elle devient archaïque en nous renvoyant dans un Etat prédémocratique. L'idée
européenne est culturelle et politique ; elle devient technocratique.
L'idée européenne devrait être populaire ; elle devient l'apanage d'élites
contestées par un peuple qui ne veut pas d'un marché de dupes qui échangerait
ses valeurs contre les faux-semblants d'une Europe sans âme.
L'idée européenne mérite mieux que le traitement qu'on lui fait subir. Les
peuples européens méritent mieux qu'une construction européenne qui ne leur dit
ni la réalité de ses intentions, ni le sens de ses mutations.
Ce projet de loi, c'est, avant tout, la concrétisation de la perte de notre
souveraineté monétaire au profit d'une banque centrale européenne.
M. Emmanuel Hamel.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
On peut légitimement être pour et on peut tout aussi légitimement être contre,
mais évitons les fausses pudeurs et appelons le renoncement à la nation par son
nom. Plus que jamais nos concitoyens ont besoin qu'on leur dise les choses
telles qu'elles sont, et non telles qu'on voudrait qu'elles soient. Plus que
jamais nos concitoyens doutent d'une construction européenne qui utilise les
arguments techniques comme un paravent cachant les outrages faits à la vertu
démocratique.
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
Pour ma part, je refuse la perte de notre souveraineté monétaire. Elle est au
coeur du domaine régalien qui s'est construit par elle et autour d'elle, et les
gaullistes savent, de coeur et de raison, que renoncer au franc, c'est renoncer
à la France
(MM. Ceccaldi-Raynaud et Hamel applaudissent)
et que ce
renoncement là est trop grave, trop lourd pour ne pas être porté par le peuple
tout entier et par lui seul.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
En effet, un tel abandon est possible à deux conditions. La première, c'est la
volonté explicite du peuple français dans la précision et la clarté, qui, on
l'avouera, n'étaient point les vertus cardinales du traité de Maastricht. La
seconde condition, c'est que cet abandon soit justifié par une ambition
nouvelle qui assure la prospérité de la France et donne sens à notre
histoire.
Et c'est bien parce que la construction européenne peut être une ère nouvelle
pour notre pays que je n'exclus par
a priori
que le peuple de France
puisse un jour dire oui à un projet européen digne de ce nom.
Mais je refuse l'abandon de notre souveraineté pour servir un projet vide de
sens politique et plein de risques pour notre économie et notre société.
Il est vide de sens politique car il organise le transfert des pouvoirs à une
banque centrale européenne sans réel contrôle, quoi qu'on nous ait dit, sans
véritable contrepoids, quels que soient les efforts pour en inventer un. Par le
traité de Maastricht, nous lui avons accordé la souveraineté pour la teneur de
la monnaie et, depuis, nous lui avons concédé, de surcroît, au moins le partage
de la souveraineté, si ce n'est la souveraineté tout entière - M. le ministre
d'Etat nous le précisera peut-être tout à l'heure - en matière de change, alors
que le traité de Maastricht l'avait conservée aux gouvernements dans un louable
souci d'équilibre.
Notre souveraineté est ainsi transférée au profit d'un organe indépendant,
souverain, détaché de toute élection et de tout contrôle. Dans un pays aussi
achevé que les Etats-Unis d'Amérique, la banque fédérale a moins de pouvoirs
que n'en aura, dès sa naissance, la banque européenne.
M. Paul Loridant.
C'est vrai !
M. Charles Pasqua.
On se rappelle ainsi que c'est Nixon qui, en 1971, décida de rompre la parité
entre le dollar et l'or, et non le président de la réserve fédérale.
Ici, nous ne sommes pas dans le domaine du risque potentiel, nous sommes dans
celui de la certitude institutionnelle. La Banque centrale européenne sera la
première instance supranationale dotée de la souveraineté.
Force souveraine de la banque supranationale, débilité des Etats nationaux :
qui ne voit l'aveuglante réalité des pouvoirs en Europe ! Que l'on soit pour ou
contre est une autre question, mais force est de reconnaître, à tout analyste
sincère, que ce projet de loi est un projet de loi fédéraliste, donc contraire
à notre culture républicaine.
La Banque centrale européenne n'est pas seulement le cheval de Troie du
fédéralisme, elle est la matrice féconde et déclarée d'une Europe fédérale. Que
ceux qui, à gauche et à droite, depuis la IVe République, ont fait leur ce
combat approuvent ce projet, rien de plus normal. Que ceux qui, à gauche et à
droite, ont toujours préféré l'Europe des nations pour l'avenir européen
combattent ce projet me semble une évidence que je souhaite vous faire
partager.
Quel est donc ce pays qui se prétend encore souverain et qui, d'ici à moins de
cinq ans, aura entièrement confié à d'autres et, nous dit-on, pour toujours ce
qui, jusque-là, relevait de ses ministères des finances, du budget, de
l'intérieur, de la justice, c'est-à-dire l'essentiel de ses pouvoirs dits
précisément régaliens ?
Pour l'euro, il semble que les jeux soient faits. La décision sera prise le 2
mai et, s'il n'est pas atteint d'une maladie infantile, il remplacera de fait
les monnaies nationales le 1er janvier prochain. Il s'ensuivra mécaniquement et
rapidement la montée en puissance d'un super-Etat européen...
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est le contraire !
M. Charles Pasqua.
... au sein duquel le pouvoir de la Banque, puisqu'il sera le seul à n'être
dépendant d'aucun des autres pouvoirs,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Hélas !
M. Charles Pasqua.
... s'imposera inéluctablement au Conseil, à la Commission et au Parlement
européen.
On aura ainsi connu successivement, en Europe, des villes-Etats, des
Etats-nations, pour finir sous la coupe d'un Etat-banque. Et c'est au seul
profit de cet Etat-banque qu'aura été bradée notre souveraineté nationale !
Le transfert du centre de gravité des pouvoirs, en France comme en Europe,
sera alors une implacable vérité contre laquelle aucune digue ne tiendra,
contre laquelle aucun équilibre politique ne pourra s'exercer. Les conséquences
en seront cruelles pour nous. On a vu, cette semaine, comment le passage à
l'euro pousse les transactions vers Francfort et comment le marché parisien est
en train de mourir. La déroute du MATIF à Paris apparaîtra sous peu comme le
symbole des délocalisations que notre angélisme naïf aura favorisées.
Seul un débat clair et sans détour redonnera à l'idée européenne sa popularité
et au discours politique sa crédibilité. Si nous voulions l'esquiver, nous
porterions un coup mortel à l'idée européenne et à la démocratie. L'une et
l'autre ne sont pas dans une telle santé qu'elles puissent supporter l'épreuve
des silences étouffants et des non-dits qui ne trompent personne, et surtout
pas le peuple de ce pays.
Erreur politique, contresens philosophique, faute contre l'idée européenne, ce
projet de loi avalise également une terrible erreur de politique économique. Un
faisceau de causes y aura contribué : une pensée française tétanisée dans son
rapport à l'Allemagne ;...
M. Emmanuel Hamel.
Obsédée !
M. Charles Pasqua.
... un regard sur l'autre qui n'était plus que miroir de la puissance ; la
spécificité française, fondatrice d'une voix forte, originale et influente,
transformée en complexe d'infériorité ; la confusion entre l'avis des experts,
en fait très partagés et souvent critiques à l'égard de la monnaie unique, et
l'unanimisme d'une technostructure en mal de conformisme. Cette carence, pour
l'essentiel morale et politique, nous a conduits à nous rallier à une logique
d'inspiration allemande, dépassée dans le contexte de la mondialisation.
La mondialisation, synonyme de montée des incertitudes et de plasticité forte
des adaptations, implique des facultés remarquables d'évolution et de
pragmatisme. L'Europe répond à ce défi par la rigidité d'une politique
monétaire qui a pour seule mission d'assurer la stabilité des prix. Le taux de
change est subordonné à cette mission : toute réévaluation sera souhaitable par
elle-même, toute dépréciation sera diabolique en elle-même.
Pieds et poings liés au dogme de la monnaie forte, nous nous condamnons à un
ajustement inévitablement et tragiquement limité à la flexibilité des salaires
et de l'emploi.
M. Adrien Gouteyron.
Très juste !
M. Paul Loridant.
C'est vrai !
M. Charles Pasqua.
Ainsi, l'idée européenne qui était synonyme de progrès économique et social
s'identifiera au chômage de masse.
Sait-on que les statuts de la banque fédérale américaine - on l'a rappelé
avant moi - ont comme exigence commune la stabilité des prix, la modération des
taux d'intérêt à long terme et le plein emploi ? La Banque centrale européenne
s'enferme dans le dogme de la stabilité des prix dont la rigueur n'est
atténuée, en apparence, que par des discours relativement vides sur l'Europe
sociale.
D'un côté, des obligations, de l'autre des intentions, des incantations : on
voit bien de quel côté penchera la balance !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Tout ceci était dans mon discours de Brest. Il ne faut pas trop copier,
monsieur Pasqua !
M. Charles Pasqua.
Le ralentissement de la croissance, hors les secours ponctuels des
fluctuations du dollar, qui sont autant de preuves
a contrario
des
absurdités de notre rigidité, et la montée du chômage risquent de sanctionner
cette stratégie.
Cette stratégie suicidaire pour l'Europe est un contresens complet sur
l'adaptation nécessaire à la mondialisation parce qu'elle tourne le dos à la
civilisation européenne : celle-ci n'a de sens que si elle conduit au
progrès.
Au-delà de ces contradictions macro-économiques suscitées par cette rigidité,
cette politique - on l'a dit avant moi - ne tient pas compte des réalités et
des contradictions régionales et nationales, qui resteront puissantes, qu'on le
veuille ou non. Si l'on y ajoute l'évolution contrastée de la démographie de
l'Europe, on voit bien vers où tout cela peut nous conduire. Oubliant les
leçons de l'histoire, nous avons épousé le modèle allemand, profondément passif
à l'égard d'un certain nombre de tendances démographiques nihilistes.
Mes chers collègues, je tiens à souligner, pour les partisans du fédéralisme,
la contradiction forte dont ils sont prisonniers. Ils ont raison de croire que
l'unification monétaire est un puissant instrument d'intégration, mais il ont
tort d'oublier que la logique monétaire qu'ils ont choisie est profondément
malthusienne, donc inapte à contrecarrer les évolutions les plus puissantes qui
jouent en défaveur du rayonnement européen.
Mon collègue Michel Barnier, qui me succédera à cette tribune, ne tiendra pas
les mêmes propos, ...
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
M. Charles Pasqua.
... mais c'est normal : c'est le propre de la démocratie qui existe au sein de
notre groupe.
Je voterai contre le présent projet de loi...
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
... parce que l'idée même de donner les pleins pouvoirs à une autorité
supranationale rappelle des souvenirs par trop douloureux de moments de
l'histoire où la République renonçait à elle-même. Mais je voterai également
contre ce projet de loi car, s'il est un péché contre la France, il est aussi
l'emblème d'une faute contre l'Europe.
Les contraste ne tardera pas à se révéler entre cette technicité annoncée,
prétendue synonyme d'un avenir radieux, et le choc des réalités sociales, qui
risque de nous donner raison. Mais ces fruits amers ne suffiront pas à nous
satisfaire. L'Europe est une idée trop noble, trop généreuse, trop
motivante...
M. René Régnault.
Vous n'y croyez pas !
M. Charles Pasqua.
... pour la France pour la laisser dans l'archaïsme d'une vision d'ores et
déjà dépassée, dans la détresse de l'erreur économique et de la faute
politique.
Hier, dans cette enceinte, nous évoquions, mes chers collègues, la mémoire de
Maurice Schumann. Souvenons-nous de ce que disait, le 30 janvier 1997, celui
qui incarna la France libre : « Selon le gouvernement de la Bundesbank, pour
pouvoir veiller à la stabilité monétaire, il faut pouvoir intervenir dans le
courant des politiques économiques, fiscales, sociales ou budgétaires. Les
banques centrales, et surtout la Banque centrale européenne telle qu'elle sera
créée, auront ce pouvoir et ainsi, ne seront pas soumises aux aléas politiques,
c'est-à-dire aux élections ni aux pressions politiques. Ceci revient à dire
qu'au nom d'une Europe libérale il y aura une confiscation des libertés au
bénéfice d'une "internationale bancaire". Il y a là un danger d'une
extrême gravité. »
Ce danger, mes chers collègues, impose de voter non à ce projet, de voter non
à l'Etat-Banque. Ce « non » n'est pas une fin, c'est le « non » fondateur pour
une autre construction européenne. Ce « non » n'est pas une impasse, il montre
la voie royale de l'Histoire, celle de la volonté des peuples et des nations.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Barnier.
M. Michel Barnier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, est-ce
hasard, ou malice que la parole me soit donnée après Charles Pasqua ? Notre
collègue a indiqué lui-même que je tiendrai sans doute des propos différents
des siens, ce qui n'étonnera personne.
M. René Régnault.
Bravo !
(Sourires.)
M. Michel Barnier.
C'est en tout cas - je le conçois ainsi - un privilège que de conclure cette
série d'interventions de qualité émanant tant de la gauche, de la droite que du
centre de notre hémicycle.
En effet, monsieur le ministre, ce débat fut de qualité, tout comme le débat
sur Maastricht, voilà quelques années. Il vous apportera la preuve, si besoin
était, qu'il existe dans la vie politique française non seulement une gauche
plurielle, mais aussi un RPR pluriel.
(Sourires.)
M. Henri de Raincourt.
C'est singulier !
M. Michel Barnier.
Comme l'ont très bien indiqué M. le président et M. le rapporteur de la
commission des finances, le texte qui est soumis aujourd'hui au Sénat est une
marche supplémentaire dans la progression qui, en quelques mois, conduira
définitivement notre pays à la monnaie unique.
M. Paul Loridant.
Hélas !
M. Michel Barnier.
Certes, ce projet de loi, sans être secondaire, peut nous sembler cependant
d'une importance mineure par rapport aux décisions qui seront prises le 1er et
surtout le 2 mai par le Conseil européen. De surcroît, il parachève le statut
de la Banque de France dont les éléments essentiels avaient été débattus et
fixés en 1993.
Bien sûr, dans le respect de cette filiation, ce projet de loi apporte des
modifications techniques qui ne sont pas toutes négligeables puisqu'elles
intègrent irréversiblement la Banque de France dans le Système européen de
banques centrales. Ainsi, conformément aux engagements souscrits par notre
pays, la politique monétaire et la conduite des opérations de change relèveront
désormais de ce Système européen de banques centrales.
Par conséquent, il est nécessaire de donner une nouvelle cohérence aux
missions et aux règles de fonctionnement de la Banque de France dont le rôle va
se trouver
ipso facto
profondément modifié, et c'est là l'autre objet de
ce projet de loi.
Cependant, mes chers collègues, ne nous y trompons pas : même si le
Gouvernement met une fois encore, un peu par la force des choses - majorité
plurielle oblige - son drapeau européen dans sa poche et décrète
urbi et
orbi
que tout cela n'est qu'une sorte de « nettoyage technique de printemps
», ce texte - je rejoins en cela l'appréciation portée par Charles Pasqua - est
fondamentalement un texte politique.
M. Paul Loridant.
Absolument !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Hélas !
M. Michel Barnier.
Pourquoi ? Si je regarde le passé et les différentes étapes de la construction
européenne, j'en trouve la preuve dans d'autres étapes qui, quelles que soient
les apparences, n'étaient pas des étapes techniques et qui avaient elles aussi,
à leur époque, une charge politique.
Ainsi, nous savons bien que la Communauté européenne du charbon et de l'acier,
la CECA, n'était pas un simple accord de production de charbon et d'acier, que
le Marché unique n'est pas seulement une affaire de normes juridiques et de
libre circulation des biens et des services et que le passage à l'euro n'est
pas non plus un simple changement de monnaie pour solde de tout compte. Par
conséquent, la modification du statut de la Banque de France, élément essentiel
de cette transition devant impérativement intervenir avant le 2 mai, ne doit
pas non plus nous apparaître comme une réforme purement technique, dépourvue de
mobiles politiques. Si elle était présentée ainsi aux Français, comme certains
en ont peut-être la tentation, monsieur le ministre, ce serait alors un
véritable malentendu, bien que planifié et organisé, un malentendu dont la
démocratie ne sortirait pas particulièrement grandie.
J'observe à ce propos que ce texte, dont j'approuve bien évidemment les
éléments principaux, brille essentiellement par ce qu'il ne contient pas,
c'est-à-dire les instruments d'un contrôle politique
a minima
des
activités et des responsables du nouveau système européen des banques
centrales.
Certes, mes chers collègues, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas
demander à ce texte autre chose que les garanties qu'il peut nous donner.
A cet égard, je veux dire mon plein accord avec les propositions de la
commission des finances visant à permettre au Conseil de la politique monétaire
de faire peau neuve tant dans la définition de ses missions que dans la
procédure de désignation de ses membres. Bien sûr, les commissions des finances
de nos assemblées pourront toujours procéder à l'audition du gouverneur de la
Banque de France, disposant ainsi au moins du point de vue de l'un des membres
de la Banque centrale européenne, point de vue dont la richesse et l'intérêt, à
n'en pas douter, seront d'autant plus grands que la rédaction de l'article 7
sera, au final, celle qui est effectivement proposée par M. le rapporteur, au
nom de la commission des finances.
Mais cela - je le dis comme je le pense - ne sera pas suffisant. Mes chers
collègues, en matière européenne, il n'est jamais trop tôt pour dire ce que
l'on pense, car les trains ne passent qu'une fois. Puis-je ainsi exprimer à
cette tribune au représentant du Gouvernement que vous êtes, monsieur le
ministre, l'inquiétude légitime qui est la mienne, et peut-être celle d'autres
membres de la Haute-Assemblée, quant à l'absence d'un dispositif prévoyant
l'audition du président du directoire de la Banque centrale européenne par les
parlements nationaux ?
Puis-je également dire la préoccupation, ou plutôt l'espoir qui est le mien,
de voir vraiment se constituer progressivement, parce que la construction est
toujours faite de pas, petits ou grands, face à une Banque centrale européenne
dont l'indépendance est logique, un véritable gouvernement économique dans le
cadre du Conseil de l'euro, gouvernement économique susceptible, tout aussi
logiquement, de conduire la politique économique du nouvel ensemble européen
?
Sur un autre registre, puisque j'ai promis de parler franchement, puis-je
enfin évoquer devant la Haute Assemblée une certaine tristesse qui m'étreint
quand j'entend porter contre ce texte des armes qui ont déjà servi tant et tant
de fois, à ceci près qu'elles raisonnent cette fois-ci à quelques mois d'une
date cruciale pour notre économie et sa transition vers la nouvelle monnaie
européenne ?
N'est-il pas temps, mes chers collègues, pour la confiance que peuvent placer
les Français dans nos assemblées, de clore pour de bon les représentations
parlementaires de cette fameuse bataille de Maastricht - le peuple, en effet, a
tranché - d'autant que comme nous le voyons bien, il y aurait matière à une
vraie union, à une véritable cohésion entre nous, autour des objectifs de ce
gouvernement économique et du vrai contrôle politique de l'euro ?
C'est, me semble-t-il, sur ces deux sujets que nous pourrions, que nous
devrions ensemble faire davantage porter notre conviction et notre effort.
J'évoque cette perspective avec un peu de véhémence, parce que c'est
maintenant ou jamais que nous devons exprimer notre volonté de contrôle - c'est
notre rôle - avec plus de détermination, au moment même où le Parlement
européen fait part de la sienne. Or, avouons-le, ce parlement européen a su,
jusqu'à aujourd'hui, mieux que nos assemblées, attirer vers lui les
prérogatives de contrôle du pouvoir communautaire. Sur ce point aussi, l'heure
devrait être, entre nous, à l'union.
Enfin, monsieur le ministre, je voudrais inviter le gouvernement, auquel vous
appartenez, dont j'approuve naturellement plus l'intention affichée que la
démarche pour conduire notre pays vers l'union économique et monétaire, à bien
méditer tout ce que signifie l'expression « union économique et monétaire ».
Monsieur le ministre, comme l'a souligné voilà quelques jours avec beaucoup de
vigueur le Président de la République, c'est une chose de faire l'euro, c'en
est une autre, quelque peu différente, de mettre la France et les Français en
position d'en tirer réellement tous les bénéfices.
De ce point de vue, c'est pour moi une sorte d'énigme de voir se conjuguer au
sein du même agenda gouvernemental la volonté que vous affichez, et qui, je
crois, est sincère, du passage à l'euro et, pêle-mêle, l'augmentation de la
fiscalité sur les entreprises, la création massive d'emplois publics et la
réduction autoritaire du temps de travail sans diminution de salaire.
Toutes ces mesures, dans le cadre d'une concurrence européenne accrue,
risquent d'être autant de boulets aux pieds de ceux qui créent des entreprises,
des emplois, et je ne parle même pas du respect des limites budgétaires qui
sont désormais les nôtres en vertu du pacte de stabilité et de croissance, dont
il me semble hasardeux qu'à politique constante et à croissance ralentie nous
puissions faire, vous puissiez faire longtemps la preuve. Monsieur le ministre,
il y aura bien, sur ce sujet, que vous le vouliez ou non, que vous le disiez ou
non aujourd'hui, un moment de vérité et de sincérité nécessaire et obligatoire
pour le gouvernement auquel vous appartenez et sa majorité.
Au-delà de cette réflexion, j'approuve ce texte en tous points conforme à la
priorité européenne définie depuis deux ans par M. le Président de la
République. Je regrette ses lacunes, qui me paraissent graves à court et à
moyen termes dans votre politique, et je vous invite donc à les corriger.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant
l'honneur et le privilège de clore la discussion générale sur ce texte, je
voudrais ajouter à ce propos trois réflexions un peu plus personnelles.
Tout d'abord, je ne me résous pas à ce que l'Union européenne soit une sorte
de supermarché, même parachevé, consolidé avec la monnaie unique, comme ce sera
très bientôt le cas. Pour moi, l'Union européenne, c'est autre chose : ce
devrait être une puissance économique, humaine et culturelle. C'est dans cette
perspective que travaille M. le Président de la République, me semble-t-il, et
je peux en témoigner puisque j'ai eu l'honneur d'être ministre de 1993 à
1995.
Depuis quarante ans, nous avons construit l'Europe pas à pas - je dis « nous »
avec beaucoup de respect à l'égard non seulement des pères fondateurs, mais
aussi d'autres personnes, tel Maurice Schumann, dont Charles Pasqua a parlé à
l'instant - autour de l'idée de marché. En effet, au-delà de la paix
définitivement ancrée entre nous et de la démocratie que nous ont enviée
pendant tant d'années ceux qui vivaient de l'autre côté du mur de Berlin et du
rideau de fer, l'Europe est depuis quarante ans essentiellement un marché. Or
je pense, pour ma part, dans les quarante ans qui viennent - à l'échelle de
l'action politique, ce n'est pas si loin ni si long - c'est d'une Europe
politique, d'une Europe militaire, d'une Europe indépentante, d'une puissance
qu'il doit s'agir. Nous nous trouvons, si je puis dire, en ce moment, peut-être
à mi-chemin de cette construction.
Telle est la première réflexion ou la première assurance que je voudrais
livrer à ceux qui, à droite ou à gauche, s'inquiètent que l'on ne parle que de
critères, de monnaie ou d'argent.
Ma deuxième réflexion tient à ce grave problème qu'est la souveraineté et dont
ont parlé plusieurs intervenants, notamment, voilà quelques instants, Charles
Pasqua.
L'Europe des nations - M. Chirac en a également parlé dans sa conférence de
presse - oui, mais une Europe des nations auxquelles il ne soit pas interdit,
si elles choisissent de le faire de manière réfléchie et par la volonté de
leurs peuples, de fédérer leurs énergies, leurs politiques sur certains sujets,
voire, comme nous l'avons décidé avec Maastricht, leurs monnaies.
Quant à moi, au contraire de Charles Pasqua, je ne dirai pas, parce que je ne
le pense pas, que nous abandonnons notre souveraineté monétaire. Le peuple de
France a choisi clairement, quoi que vous en disiez, mon cher collègue, de
partager cette souveraineté monétaire.
Pourquoi avons-nous décidé de la partager ? Pour ne plus, pour ne pas subir la
souveraineté des autres, notamment celle des Américains et celle du dollar.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Et du mark !
M. Charles Pasqua.
C'est une vision optimiste !
M. Michel Barnier.
Mieux vaut, mes chers collègues, mettre ensemble nos souverainetés dans le
domaine monétaire - et le plus vite possible, parce que le temps presse, sauf
pour les spéculateurs - plutôt que de continuer à subir la souveraineté des
autres, notamment des Américains. Mieux vaut nous donner, ensemble, les moyens
d'une indépendance européenne monétaire plutôt que de nous résigner chacun chez
soi, chacun pour soi, à vivre dans une Europe qui serait durablement dominée
par l'influence culturelle, politique, militaire et monétaire des
Etats-Unis.
Je me souviens - je le dis avec beaucoup d'humilité et je ne suis pas le
premier à citer son nom - de ce que disait le général de Gaulle : « Je ne veux
pas d'une Europe américaine, je veux d'une Europe européenne. » Mes chers
collègues, je pense que c'est exactement de cela qu'il s'agit.
M. Charles Pasqua.
Nous sommes les seuls à le vouloir !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous parlez d'une Europe fédérale ?
M. Michel Barnier.
La monnaie unique, qui sera la deuxième monnaie mondiale à côté de la monnaie
américaine, l'un des moyens de construire une Europe européenne.
M. Paul Loridant.
La monnaie ne crée pas l'identité politique !
M. Michel Barnier.
Voilà pourquoi je ne parviens pas à comprendre les arguments avancés avec tant
de persévérance ici et là.
J'ai entendu Mme Beaudeau et M. Loridant parler exactement - je le dis sans
vouloir les vexer - comme les spéculateurs internationaux qui ne veulent pas de
la monnaie unique. Eh bien, moi, c'est pour cela que j'en veux.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Pour d'autres raisons !
M. Michel Barnier.
Voilà pourquoi, monsieur le président, mes chers collègues, je n'hésite ni
n'hésiterai un instant à approuver, aujourd'hui et demain, les textes et les
étapes, quelles qu'en soient les imperfections, qui nous conduisent de manière
réfléchie à l'indépendance monétaire et, un jour - je l'espère ! - à
l'indépendance politique, culturelle et militaire de l'Europe.
Permettez-moi une toute dernière réflexion, monsieur le ministre, qui
s'adresse précisément à vous : vous le voyez bien, le débat européen crée - et
c'est heureux - des clivages qui agitent la vie politique. Comment, au
demeurant, n'en serait-il pas ainsi, puisque, depuis longtemps, les affaires
européennes ne sont plus des affaires étrangères ? Elles concernent la vie
quotidienne des entreprises, des citoyens et des partis.
Quoi qu'il en soit, je vous invite, monsieur le ministre, à ne pas baisser la
garde s'agissant du débat auquel ont droit les Français. Il n'est ni normal ni
démocratique, dans ce pays, de ne parler de l'Europe que lorsqu'il y a une
crise - je pense à la vache folle -, un référendum - on ne va pas en organiser
un toutes les semaines - ou une guerre, comme en Bosnie. Il faut que l'on parle
de l'Europe plus régulièrement, et je ne dis pas autre chose aujourd'hui, étant
devenu sénateur, que ce que je disais voilà quelques mois dans ce même
hémicycle au nom du Gouvernement, lorsque nous tentions - nous y avons en
partie réussi - d'engager dans toute la France, de manière décentralisée, le
dialogue national pour l'Europe.
Ne négligez pas, monsieur le ministre, quelle que soit la charge de vos
fonctions, le temps auquel les Français ont droit pour débattre dans d'autres
circonstances qu'en présence de crises. Il faut créer et trouver les moments de
débattre de l'Europe. Ce sera le seul moyen d'empêcher la démagogie, sur
laquelle se nourrissent les peurs et les simplifications. Il faut combattre la
démagogie par la démocratie !
S'agissant de l'Europe, c'est une urgence.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il faut un référendum !
M. Michel Barnier.
Bien sûr, madame Beaudeau : je ne suis pas hostile à ce que, un jour ou
l'autre, d'autres étapes de la construction européenne, comme l'organisation
militaire de l'Europe...
M. Paul Loridant.
Eh oui !
M. Michel Barnier.
... ou l'élargissement à tel ou tel des pays que le parti communiste
soviétique a placés sous son joug pendant des décennies et qui aspire à nous
rejoindre, faissent l'objet d'un référendum. Je le souhaite, comme vous. Mais,
en ce qui concerne la monnaie unique, une consultation a eu lieu, et le peuple
a tranché.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Faisons celui-là !
M. Michel Barnier.
Ne soyez pas mauvais joueur en demandant sans cesse que l'on y revienne !
Au-delà du référendum, au-delà de la monnaie unique - permettez-moi, monsieur
le ministre, de le dire avec véhémence - pour la démocratie et pour le débat
auquel les Français ont droit, je vous invite à trouver les moyens, les
énergies. Nous sommes prêts à participer à un débat sur l'Europe qui soit
normal, qui soit quotidien. Cette cause le mérite !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur quelques
travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je voudrais, tout
d'abord, indiquer à nouveau aux orateurs que je n'ai pu entendre combien je
leur dois des excuses. Les contraintes du calendrier, que je n'ai pas choisies,
m'ont empêché d'assister à la totalité de ce débat. Certes, il me sera délicat
de leur répondre ; par conséquent, bien que M. Christian Sautter, qui a bien
voulu représenter le Gouvernement à ce banc, ait pris des notes, je serai peu
disert à leur égard.
J'ai toutefois le sentiment, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale,
que le débat, pour riche qu'il ait été, a parfois été répétitif. C'est bien
normal, d'ailleurs. Ainsi, chacun retrouvera peut-être, dans les commentaires
que je ferai aux orateurs que j'ai entendus, des propos qui s'adressent plus
directement à lui.
Avant de quitter l'Hémicycle, j'ai pu entendre M. Lambert et M. Poncelet.
Au premier, je voudrais dire que je partage assez largement, une fois n'est
pas coutume, ce qu'il a dit, et je le remercie du soutien qu'il apporte au
texte que le Gouvernement présente.
Il y avait, dans son intervention, un certain nombre de questions. Nous aurons
l'occasion d'y revenir lors de la discussion des articles. Chacun des points
qu'il a soulevés mérite en tout cas réflexion. Je ne dis pas que le
Gouvernement acquiesce à chacune de ses propositions, mais les questions qu'il
a posées étaient de vraies questions et méritaient d'être posées.
Je ferai à peu près la même remarque à M. Poncelet, qui, avec sa sagesse
habituelle, a posé fermement la question des succursales de la Banque de France
: j'ai moi-même dit, au début de la discussion générale, que, si elles
n'avaient pas un rapport direct avec le présent projet de loi, on ne pouvait
pas éviter d'en parler.
De ce point de vue, je ne peux que réaffirmer aussi clairement qu'il m'est
possible que le Gouvernement n'a qu'une méthode, la négociation. Celle-ci doit
être menée par la direction de l'entreprise, bien entendu, car la Banque de
France est une entreprise comme une autre, même si elle a un statut un peu
spécial. J'entends en tout cas que cette négociation puisse aboutir et qu'il ne
s'agisse pas simplement d'une information, mais véritablement d'une négociation
avec les partenaires sociaux.
Au-delà de la méthode, il y a une volonté. Je l'ai exprimée, je la réaffirme
devant vous : pas de fermeture de succursales, pas de licenciements, mais aussi
pas d'immobilisme. Au demeurant, les personnels de la Banque de France que j'ai
rencontrés n'ont pas du tout une position immobile, ils conçoivent très bien
eux-mêmes que leur entreprise a besoin d'évoluer.
Dans ce cadre, la direction de la Banque et les organisations syndicales
représentatives du personnel doivent être capables d'aboutir a un résultat
satisfaisant pour l'institution elle-même et pour le personnel. C'est ce qui se
passe, d'ailleurs, dans toutes les entreprises, et je ne vois pas pourquoi ce
qui est possible dans une entreprise donnée ne le serait pas dans une
entreprise comme la Banque de France.
M. Sergent a dit que la France regagnait de la souveraineté. Je le crois
aussi, et j'y reviendrai tout à l'heure en répondant à M. Pasqua.
Je partage aussi avec M. Sergent l'idée que l'« euro x », s'il est important,
n'est qu'un premier pas. Je ne dirai nullement, avec une sorte de satisfaction
béate, que le Conseil de l'euro, ou « euro x » - ou « euro 11 », puisque nous
savons maintenant, c'est un peu un secret de Polichinelle, qu'il y aura onze
pays - résoudra tous les problèmes que nous pouvons nous poser en matière
d'instance politique. Nous avons toutefois fait tout ce qu'il fallait pour
avancer aussi loin que possible et c'est à l'usure, si vous me permettez cette
expression, c'est-à-dire à l'usage, que nous constaterons comment le conseil en
question est capable de répondre aux ambitions que chacun des pays concernés a
finalement, au terme de la négociation, mis en lui.
C'est une instance
sui generis,
nous ne connaissons pas d'exemple, dans
le passé, de structure telle que celle-là. On ne pourra donc être sûr de son
fonctionnement correct que lorsque le conseil aura deux mois d'expérience et
que la pratique, sinon quotidienne, du moins mensuelle de son exercice aura
amélioré la façon dont il fonctionne.
Mme Beaudeau semble avoir développé l'idée qu'une banque étrangère déciderait
de notre politique monétaire et que la politique de la France - je reprends la
belle formule qu'elle a employée - se ferait à une corbeille étrangère. Je
reconnais là, presque mot pour mot, ce que disait Philippe de Villiers hier à
l'Assemblée nationale !
M. Emmanuel Hamel.
Cette convergence est intéressante ! Elle prouve que le peuple se soulève
contre cette domination qu'il n'acceptera pas !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne fais aucun
commentaire sur ce parallélisme...
M. Emmanuel Hamel.
Parallélisme intéressant !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie ! Laissons répondre M. le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur Hamel,
si le parallélisme que j'ai évoqué vous gêne, je le retire bien volontiers !
M. Emmanuel Hamel.
Non, il ne me gêne pas !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je crois
cependant que c'était faux hier, et que cela reste faux aujourd'hui.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
M. Loridant est un spéculateur !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Notre politique
monétaire ne sera pas conduite par une banque étrangère, mais par une banque
communautaire, qui présidera aux destinées de l'euro.
Ou l'on veut de l'euro, ou l'on n'en veut pas. Il est légitime de ne pas en
vouloir ; mais, à partir du moment où l'on en veut, il est absurde de
considérer que la Banque de France puisse, pour tous les autres pays, gérer
l'euro. Quant à la critique de fond qui consiste à dire que l'on ne veut pas
d'une monnaie qui s'applique à plusieurs pays, j'en prends acte, mais ce n'est
pas la peine de la parer des habits de l'étranger !
Vous m'avez demandé, madame le sénateur, ce que deviendront les 300 milliards
de francs de réserve de la Banque de France. Ils resteront à la Banque de
France ! Vous savez que, pour un montant de 50 milliards d'écus, l'autorisation
a été donnée à la Banque centrale européenne d'utiliser, dans des proportions
qui ont été définies par le traité de Maastricht, les réserves des différentes
banques centrales, mais ces banques centrales restent propriétaires de ces
réserves !
Pour parler très clairement des fantasmes qui, parfois, agitent les uns et les
autres, l'or de la Banque de France restera dans les caves de la Banque de
France et demeurera la propriété de la Banque de France.
M. René Régnault.
Donc de la France !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Donc de la
France.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Et les bénéfices des banques centrales ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Aujourd'hui, la
Banque centrale, c'est-à-dire la Banque de France, fait des bénéfices, mais, si
nous avions des taux d'intérêt quelque peu différents ou un dollar un peu plus
faible, elle pourrait assez facilement être en perte, ce qui signifie que la
réorganisation de ses structures n'est pas absolument inutile.
Mais j'en reviens à votre question : le traité prévoit la façon dont le revenu
monétaire sera partagé entre les composantes du système européen de banques
centrales : il s'agira d'une forme de proportionnalité qui sera d'autant moins
simple à mettre en oeuvre que, comme nous le savons, dans la période 1999-2002,
alors que la monnaie sera déjà l'euro, les espèces et les billets en
circulation garderont la réalité physique des monnaies nationales.
Si nous sommes effectivement en train de discuter sur la façon dont la période
de transition va pouvoir être mise en oeuvre, sur la question du principe, il
reste clair qu'une fois en place le régime de croisière, quelles que soient les
modalités de la transition, la répartition des fruits de l'activité de la
Banque centrale européenne se fera dans l'ensemble des pays à proportion d'une
clé qui touchera notamment la population et le produit intérieur brut...
J'ai compris - et cela m'a surpris - que M. Marini avait annoncé qu'il
s'abstiendrait à titre personnel.
(M. Marini opine.)
Au demeurant, je ne
concevais pas qu'il puisse s'abstenir à titre collectif !
(Sourires.)
Quoi qu'il en soit, sa position m'a surpris car M. Marini représente les
élus au Comité national de l'euro, où il fait d'ailleurs des interventions
généralement appréciées et positives. Je comprends donc mal comment il peut
travailler au sein de ce comité avec beaucoup d'autres - des syndicalistes, des
élus, des professionnels - aux problèmes techniques que pose la mise en place
de l'euro tout en annonçant son abstention sur l'opportunité de l'adaptation
des statuts de la Banque de France.
M. Philippe Marini.
Je suis certainement une anomalie... une parmi d'autres !
(Rires sur de
nombreuses travées.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne le crois
pas, monsieur le sénateur ! J'ai eu trop souvent l'occasion de vous côtoyer
dans diverses enceintes pour ignorer que votre vote est toujours réfléchi.
M. Philippe Marini.
Merci !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Simplement, en
l'espèce, votre réflexion dépasse mes capacités d'analyse. Donc, je vous avoue
mon incompréhension. A moins que votre abstention ne signifie que vous ne
voulez plus venir au Comité national de l'euro, ce que, croyez bien, je
regretterais !
M. Philippe Marini.
Pas du tout ! C'est une enceinte très intéressante !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Parfait ! C'est
en tout cas une position intellectuelle intéressante que de débattre au sein
d'une enceinte de la mise en place de l'euro tout en s'abstenant lorsqu'il
s'agit d'y passer vraiment !
M. Badré s'est dit en phase avec le Gouvernement sur l'euro, mais pas sur la
politique économique. C'est clair, il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point. On
peut tout à fait vouloir adapter les statuts de la Banque de France, vouloir
demain, lors du vote sur un aspect politique plus général, être favorable au
passage à l'euro, et pour autant ne pas être d'accord avec la politique du
Gouvernement. Je ne considère pas que cela soit obligatoirement heureux, mais
cela reste tout à fait cohérent.
M. Denis Badré.
C'est tout à fait légitime !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il est clair que
l'approbation que des parlementaires peuvent vouloir donner au passage à l'euro
n'entraîne en aucune manière que, par ailleurs, ils approuvent la politique du
Gouvernement.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Ils peuvent même la censurer !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certains peuvent
même envisager de la censurer, c'est vrai ; nous verrons le résultat qu'ils
obtiendront !
Je m'efforce de ne pas être polémique, vous le savez, monsieur le président de
la commission. Mais, puisque vous m'y incitez, je résiste mal au plaisir de
dire la perplexité dans laquelle me plonge la position du groupe du RPR à
l'Assemblée nationale : hier, il votait non ; aujourd'hui il décide de ne pas
voter.
Cela ne me semble pas totalement cohérent avec la position prise par ce
mouvement lors du référendum de 1992 !
M. Charles Pasqua.
Il n'y avait pas eu de position du mouvement en 1992 !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Disons avec la
position prise par le président du mouvement en 1992, mouvement qui souffrait
en effet une dissidence, dont vous étiez, monsieur Pasqua !
M. Charles Pasqua.
Ce n'était pas une dissidence !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Une pluralité
!
M. Charles Pasqua.
Voilà !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cela ne me semble
pas totalement cohérent non plus avec ce qu'a dit depuis M. Philippe Séguin -
mais il est vrai pas M. Charles Pasqua - a savoir qu'il prenait acte de la
décision populaire et qu'il acceptait le fait de l'euro.
Cela m'a paru quelque peu en contradiction avec le plaidoyer d'Alain Juppé que
j'ai lu, comme vous sans doute, hier, dans
Le Monde !
Enfin, cela m'a franchement paru en contradiction ouverte avec l'engagement du
Président de la République, dont il me semble que, voilà peu de temps,
j'entendais le mouvement auquel vous appartenez, monsieur Pasqua, dire qu'il
était la référence.
Tout cela fait que la politique est une chose compliquée.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Il y a des incohérences aussi dans la
majorité plurielle !
M. Philippe Marini.
Vous êtes en contradiction avec M. Mélenchon, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pas du tout,
monsieur Marini ! Que dans tel ou tel mouvement, dans tel ou tel parti - c'est
la démocratie ! - des gens veuillent faire autrement, c'est leur affaire. Le
problème, c'est celui de l'expression du parti politique lui-même.
Je crois - peut-être M. Pasqua me rejoindra-t-il sur ce point - que la volonté
politique et la clarté politique consistent à dire oui ou à dire non, voire
encore autre chose, mais non à ne pas voter.
M. Philippe Marini.
La caricature est facile !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Oui, mais elle
est efficace !
(Rires sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini.
Vous êtes un spécialiste de la communication !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je veux remercier
M. Bourdin de son soutien.
Quant à M. Delfau, qui s'est beaucoup illustré à la tribune dans la défense
des succursales et dans l'énoncé des missions de la Banque de France hors la
politique monétaire, il me permettra de traiter, bien évidemment, de ces sujets
à l'occasion de la discussion des amendements.
Lorsque je suis revenu dans l'hémicycle, M. Loridant était à la tribune...
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Là, il y a une différence !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... où il
évoquait le « carcan » de l'article 1er, point qui a d'ailleurs été repris par
la suite par M. Pasqua, me semble-t-il,... puisqu'il ne saurait s'agir de M.
Barnier.
On peut dire ce que l'on veut sur le carcan de l'article 1er, c'est-à-dire sur
le fait que la Banque centrale définit la politique monétaire, mais il n'y a
strictement aucune différence entre le carcan que la Banque centrale européenne
impose à l'euro et le carcan que la Banque de France impose au franc.
C'est un peu plus cohérent dans la bouche de M. Loridant que dans celle de M.
Pasqua, qui, lui - il me détrompera si je fais erreur - a voté le statut de
1993, ce que, me semble-t-il, M. Loridant n'a pas fait.
M. Charles Pasqua.
La différence, monsieur le ministre, c'est qu'alors la Banque de France
restait, après coup, dans le giron national. Là, nous sommes dans un autre
contexte !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le giron, le
contexte, c'est bien, mais la politique monétaire était menée de façon
indépendante par la Banque de France. On peut être pour, on peut être contre !
Quant à la politique monétaire de l'euro, elle sera conduite de façon
indépendante par la Banque centrale européenne. Le carcan, s'il existe, est
donc le même ! De ce point de vue - on peut le regretter ou l'approuver - il ne
change pas. S'il change, c'est peut-être - mais, alors, le débat est derrière
nous - par rapport à la situation de la Banque de France d'avant 1993.
Vous avez dit, monsieur Loridant - peut-être ai-je mal compris ! - que le
Conseil de l'euro avait été vidé de son contenu par les banquiers centraux
parce qu'ils y participaient.
M. Paul Loridant.
J'ai dit qu'ils vont y participer !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non, ils n'y
participeront pas, je tiens à vous rassurer sur ce point. Votre information a
été incomplète. Le Conseil de l'euro est composé des ministres de l'économie et
des finances des pays qui participent à l'euro.
Que ce Conseil de l'euro puisse recevoir, s'il le juge bon, le président de la
Banque centrale pour discuter avec lui, de la même manière que vous souhaitez,
vous - on y reviendra tout à l'heure - que les assemblées parlementaires
puissent également le recevoir, c'est vrai, mais le Conseil de l'euro ne
comprend en aucune manière les banquiers centraux. Par conséquent, votre
crainte à cet égard est tout à fait infondée.
Si c'était la présence des banquiers centraux qui vidait le Conseil de l'euro
de sa substance, leur absence doit lui rendre sa substance.
(M. Loridant
sourit.)
Je suis heureux de voir à votre sourire que vous avez retrouvé
confiance dans le Conseil de l'euro.
(Sourires sur les travées
socialistes.)
Monsieur Pasqua, vous me permettrez de m'arrêter un instant sur votre
intervention, qui avait le charme que vous savez toujours donner à vos
discours.
« Le peuple n'a qu'à se taire », « on tronque le débat », avez-vous dit
notamment. Nous n'allons pas revenir trop longuement sur le problème de savoir
si le peuple français a tranché ou non en 1992. Décider qu'il faut, tous les
six ans, qu'un nouveau référendum vienne confirmer celui que l'on a fait six
ans plus tôt nous placerait, me semble-t-il, dans une situation délicate.
M. Charles Pasqua.
Ce n'est pas ce que je demande.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ce n'est pas ce
que vous proposez !
Vous voulez simplement que l'on soit bien sûr que la politique que le
Gouvernement met en oeuvre à un moment donné est bien celle que le peuple
souhaite. De ce point de vue, les élections qui se sont tenues il y a
exactement un an me semblent avoir répondu à la question. En effet, M. Lionel
Jospin, aujourd'hui Premier ministre, avait clairement expliqué pendant la
campagne électorale que, s'il accédait à cette fonction, il entendait faire
l'euro et mettre au bon fonctionnement de ce dernier quatre conditions,
conditions que je considère - j'y reviendrai si vous le souhaitez - aujourd'hui
remplies.
Le peuple s'est donc effectivement exprimé, non pas par référendum mais par
des élections générales.
Je sais que ces élections générales n'ont pas touché le Sénat, ce qui nous
vaut d'ailleurs le plaisir d'être ensemble aujourd'hui, car, si elles l'avaient
touché, peut-être la composition du Sénat en aurait-elle été aussi chamboulée
que l'a été celle de l'Assemblée nationale. Mais ce n'est pas le cas !
M. Charles Pasqua.
C'est un regret ou une espérance ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est un regret,
monsieur le sénateur. Vous savez le plaisir que j'ai à vous voir ici.
(Sourires.)
Il reste que ces élections ont eu lieu et que les choses avaient été dites
clairement. Une composante importante de la majorité, le parti communiste, et
une autre, moins nombreuse, le Mouvement des citoyens avaient dit, depuis le
début, qu'elles soutiendraient la politique du Gouvernement, qu'elles y
participeraient, mais que, pour autant, sur ce point, elles n'étaient pas
d'accord. Tout était clair.
Le fait qu'elles aient dit qu'elles n'étaient pas d'accord montre d'ailleurs
bien que le corps central du Gouvernement, et en premier lieu le Premier
ministre, avait clairement annoncé la couleur : il mettrait en oeuvre
l'euro.
Le peuple s'est donc prononcé sur ce point voilà un peu plus d'un an.
Honnêtement, c'est un mauvais procès que de vouloir y revenir.
Avec beaucoup de talent, monsieur Pasqua, vous avez ensuite illustré ce que
vous considérez être une perte de souveraineté au profit de la Banque centrale,
le renoncement à la nation, etc.
Je crois honnêtement que vous vous trompez. La souveraineté monétaire, notre
pays l'a malheureusement perdue au cours des deux ou trois décennies qui se
sont écoulées parce que, même s'il est la quatrième puissance économique
mondiale, il est, comme le disait M. Giscard d'Estaing, un pays de taille
moyenne, notamment par rapport à la gigantesque puissance que représentent les
Etats-Unis.
La réalité, c'est que, à mesure que les années passaient, ceux qui ont eu
l'honneur, comme moi, d'occuper la charge de ministre des finances se sont
trouvés de plus en plus dépourvus de moyens d'intervention, les yeux rivés sur
les écrans des téléscripteurs pour voir ce qu'il advenait de la monnaie
nationale, conscients de ce que les réserves de la Banque de France, en cas de
tempête - on l'a vu à plusieurs reprises - ne permettaient pas véritablement de
résister à la masse devenue gigantesque des capitaux privés qui, au gré des
taux d'intérêt et de la spéculation, vont d'un marché à un autre.
Si bien que le franc s'est trouvé, petit à petit, soumis à une double pression
; d'une part, la pression des marchés - la soumission aux marchés, vous en
conviendrez avec moi, est tout de même ce qu'il y a de pire, tant pour un
socialiste que pour un gaulliste ! - ...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oui !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... d'autre part,
la pression d'un pays économiquement plus puissant que le nôtre - cela ne
devrait pas durer toujours, mais tel était et tel est encore un peu le cas
aujourd'hui - l'Allemagne, avec une monnaie en tout cas plus puissante que la
nôtre, car reconnue par les opérateurs internationaux comme plus stable, et une
politique monétaire que l'on était obligé de suivre.
M. Charles Pasqua.
Que nous avons décidé de suivre et à laquelle nous nous sommes accrochés !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous avez raison,
mais une politique que chaque gouvernement - de droite comme de gauche,
d'ailleurs - a décidé de suivre parce que, chaque fois qu'on a essayé de s'en
échapper, mal nous en a pris, sauf à accepter que, périodiquement, comme
c'était encore le cas dans les années soixante-dix, on dévalue, l'expérience
ayant montré que ni les salariés ni les consommateurs français ne gagnaient à
ces dévaluations successives.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous en avez fait vous-même !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Donc, la réalité,
monsieur le sénateur - je vous le dis vraiment comme je le pense, mais on peut
ne pas être du même avis - c'est que, dans cette affaire, parce que nous serons
partie prenante d'une monnaie qui deviendra aussi puissante que le dollar, nous
retrouverons une part de souveraineté ; une part seulement, mais je préfère une
souveraineté partagée à l'illusion d'une souveraineté sans partage.
Actuellement - c'est une situation que j'apprécie d'ailleurs depuis plusieurs
mois, car, si l'euro n'est pas encore là, tout se passe comme s'il était déjà
là - la parité du franc et du mark n'est pas mon souci quotidien, c'est le
moins que l'on puisse dire, alors qu'elle l'était pour nombre de mes
prédécesseurs bien plus illustres que je ne le suis.
Ainsi, non seulement nous allons retrouver de la souveraineté au sein de
l'Europe, mais nous allons, nous Européens, retrouver dans le monde un poids
monétaire que nous avons perdu depuis soixante-dix ans, à la conférence de
Gênes, en 1922, quand le flambeau monétaire est passé des mains de
l'Angleterre, qui l'avait eu pendant le XIXe siècle, aux Etats-Unis.
Et tous ceux qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, souhaitent que les
Etats-Unis n'exercent plus cette domination monétaire au cours du XXIe siècle
ne peuvent que se réjouir de ce que l'euro - ce n'est pas gagné d'avance, mais
c'est très probable - devienne une monnaie équivalente - je ne dis pas «
supérieure » - à ce qu'est le dollar aujourd'hui.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Une bonne part de
la prééminence économique, et même de la prééminence en matière de politique
étrangère - ce qui, on le sait, se traduirait aussi par une interférence avec
la politique nationale des pays partout sur la planète - qu'exercent les
Etats-Unis aujourd'hui tient à la puissance du dollar. Qui, ici, dira le
contraire ?
Le jour où nous aurons été capables de faire en sorte que l'euro, après
quelques années - cela prendra un peu de temps, ce n'est pas pour le 1er
janvier 1999 ! - devienne une monnaie de réserve, parce qu'il sera aussi
attractif que le dollar pour un nombre considérable de pays tiers, ce jour-là,
nous aurons rééquilibré le pouvoir monétaire sur la planète et, de ce fait,
nous aurons redonné à ce qui constitue l'Europe - et qui fait de nos pays des
sociétés bien plus proches entre elles, même s'il y a des différences, qu'elles
ne le sont des autres parties du monde - la capacité de s'exprimer et de parler
à l'extérieur.
Voyez-vous, l'euro, c'est l'Europe de retour, et, rien que pour cela, je crois
que cela vaut la peine d'y aller.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes.)
Les grandes orientations de change - vous en avez parlé - restent entre les
mains des responsables politiques, en vertu de l'article 109 du traité.
Lorsqu'il y aura des grandes orientations à prendre, le Conseil de l'euro
s'exprimera sur le change. Il ne le fera pas tous les jours, pas plus que le
ministre des finances que je suis ne s'exprime tous les jours sur le franc, pas
plus que M. Rubin, le secrétaire d'Etat au Trésor américain, ne s'exprime tous
les jours sur le dollar. Au contraire, dans ce domaine, les interventions
doivent toujours, on le sait, être rares et mesurées. Une fois l'an, quand
c'est nécessaire, on s'exprime. Eh bien ! de la même manière, le Conseil de
l'euro aura à s'exprimer sur les grandes orientations de change.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Aura-t-il le dernier mot ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Bien sûr ! Il
donnera les orientations exactement comme, aujourd'hui, un gouvernement est
susceptible, en France, en Allemagne ou en Italie, de donner les grandes
orientations de change.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Le gouvernement allemand a eu le dernier mot
pour l'Allemagne de l'Est !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eh bien alors !
Puisque c'est l'Allemagne qui fait peur et puisqu'en Allemagne le gouvernement
a eu le dernier mot, que pouvez-vous craindre ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Vous confirmez donc que le Conseil aura le
dernier mot !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Absolument ! Le
traité, en son article 109, prévoit que les grandes orientations de change
seront prises par l'instance politique.
Ensuite, il y a eu ce développement admirable - je veux vous en féliciter, M.
Pasqua -, cette grande envolée sur l'« Etat-banque », sorte de nouveau
Léviathan, avec la crainte devant ce qu'est la banque et le mystère de
l'activité financière qui se cache derrière.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ce n'est pas très socialiste, cela !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Moi, je n'ai pas
peur de la banque !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Si !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non, la preuve !
Qui a peur de la banque ? Ceux qui craignent qu'on lui remette le pouvoir !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Gaston Defferre avait dit, lors d'un congrès socialiste : « C'est les
banquiers ou nous ! »
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cette vision est
sans doute un peu ancienne. Il n'y a pas de raison, selon moi, d'avoir peur de
la finance. Un minimum de technicité, que beaucoup d'entre vous maîtrisent,
suffit pour s'apercevoir que la banque n'est pas plus angoissante qu'autre
chose.
Je ne voudrais pas que ceux qui sont hostiles au passage à l'euro, en
l'occurrence hostiles à la transformation du statut de la Banque de France,
expriment par là une sorte d'angoisse, de peur face à l'avenir, de peur face à
l'Allemagne.
Tout à l'heure, j'entendais presque les Walkyries chevaucher quand vous
évoquiez l'Allemagne. Non ! honnêtement, je n'ai pas peur de l'Allemagne et je
n'ai pas peur de la banque.
Le fait que nous ayons une Banque centrale aussi indépendante que l'est
aujourd'hui la Bundesbank ne m'effraie en aucune manière. Moi, je crois au
politique, et parce que j'y crois je n'ai aucune crainte que la technocratie
vienne m'imposer ce que je ne veux pas. C'est, à l'inverse, lorsque l'on pense
que les technocrates sont au pouvoir, que l'on veut empêcher que les banques
centrales soient aussi puissantes que, dites-vous, le sera la Banque centrale
européenne, alors qu'en fait elle ne le sera pas beaucoup plus que l'est
aujourd'hui la Banque de France ou la Bundesbank.
Honnêtement, il n'y aura pas plus d'« Etat-banque» qu'il n'y a aujourd'hui un
« Etat-banque » en Allemagne.
M. Charles Pasqua.
Mais, là-bas, il y a un gouvernement, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Justement, nous y
voilà : il faut qu'il y ait un gouvernement européen ! Voilà, M. Pasqua qui
rejoint les fédéralistes !
(Sourires.)
M. Charles Pasqua.
Encore plus loin dans la destruction !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur Pasqua,
êtes-vous d'accord pour qu'il y ait un gouvernement européen ? Etes-vous
d'accord pour que nous mettions en place une instance politique supranationale
?
Moi, je me réjouis toujours quand je vois les gaullistes apprécier la
supranationalité.
(Rires sur les travées socialistes.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Pas du tout !
M. Emmanuel Hamel.
Ne plaisantez pas sur des choses si graves !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ça, c'est vrai !
M. Charles Pasqua.
Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous en
prie.
M. le président.
La parole est à M. Pasqua, avec l'autorisation de monsieur le ministre.
M. Charles Pasqua.
Monsieur le ministre, vous êtes trop honnête intellectuellement...
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Oh ! ne vous
engagez pas là-dessus.
(Sourires.)
M. Charles Pasqua.
... pour utiliser de pareils subterfuges. Ce n'est vraiment pas convenable
!
Je ne suis pas contre la construction de l'Europe : je sais parfaitement que
cette construction doit se faire.
M. René Régnault.
Ben alors ?...
M. Charles Pasqua.
C'est au ministre que je réponds !
Je sais bien qu'en face de ce système bancaire il faut qu'il y ait un pouvoir
politique. Où nous divergeons, c'est sur la nature de ce pouvoir politique.
Le débat n'a jamais été tranché. Il ne l'a pas été par le traité de
Maastricht, il ne l'a pas davantage été depuis.
Il y a trois possibilités pour l'évolution de l'Europe, vous le savez mieux
que moi. La première vision est celle de la zone de libre-échange, chère aux
Anglo-Saxons. La seconde est la vision fédérale, chère notamment aux Allemands
parce que leur organisation est fédérale, et on le comprend. La troisième,
c'est la coopération interétatique.
Je suis pour la coopération interétatique, même organisée,...
M. Michel Barnier.
Cela va de soi !
M. Charles Pasqua.
... mais je ne suis pas du tout partisan de la fédération, et vous le savez
bien !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous comprends
bien, mais, dans ces conditions, une structure - dont j'ai dit tout à l'heure
que l'on verrait comment elle fonctionnera - comme le Conseil de l'euro répond
parfaitement à ce que vous pouvez souhaiter !
M. Charles Pasqua.
A condition que cette structure soit dotée de pouvoirs...
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Alors, monsieur
Pasqua, venez nous aider !
M. Charles Pasqua.
... et qu'elle ne soit pas seulement le lieu où l'on se livrera à des
réflexions !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Evidemment, et
vous avez absolument raison. Mais que l'ensemble du parti dont vous êtes membre
vienne soutenir le Gouvernement dans le combat qu'il mène pour que ce lieu soit
le plus puissant possible, et la France alors sera plus forte !
(Sourires sur les travées socialistes.)
M. René Régnault.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
Nous verrons !
M. René Régnault.
Il faut voter pour !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'en viens à M.
Barnier selon lequel ce texte est politique et non pas seulement technique.
Nous n'allons pas revenir là-dessus : c'est évident, tout texte technique est
aussi politique.
Dans l'ensemble du débat politique que nous avons, cette partie est technique.
Mais, puisque nous commençons par là, on peut dire qu'on commence par la
politique. Cela ne pose donc pas de problème particulier.
Monsieur le sénateur, vous avez regretté que le texte sur la Banque de France
ne contienne pas - cela revient un peu au débat que nous avons eu - de
contrepoids à la Banque centrale.
Je ne veux pas que le Gouvernement se pare d'une quelconque manière des plumes
du paon. J'ai dit tout à l'heure, dans mon intervention liminaire, que je
considérais que tous les gouvernements avaient peu ou prou - on ne va pas peser
cela au trébuchet - contribué à faire avancer les choses.
Toutefois, honnêtement, en matière de contrepoids, s'il y a eu une avancée
depuis 1992 jusqu'à aujourd'hui, c'est seulement depuis un an.
(M. Barnier proteste.) !
Le fameux Conseil de l'euro, dont on peut penser
qu'il n'est pas suffisant, n'existe que depuis l'an dernier.
Monsieur Barnier, je n'aurais vu aucun inconvénient, entre 1995 et 1997, quand
vous avez exercé les fonctions que vous évoquiez tout à l'heure, à ce que vous
ayez vous-même fait avancer les choses. Mais ce conseil, on ne l'a vu poindre
qu'à partir du mois de juin dernier. Je concède qu'en dix mois on n'ait pas
suffisamment avancé ; mais on aurait pu en faire plus si l'on était parti plus
tôt.
M. Michel Barnier.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous en
prie.
M. le président.
La parole est à M. Barnier, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Michel Barnier.
Certes, le Conseil de l'euro a été créé voilà moins d'un an. Permettez-moi
cependant de vous demander de me donner acte, monsieur le ministre, que l'idée
d'un conseil de stabilité et de croissance - je peux citer les dates et les
lieux, notamment Dublin - avait été avancée et soutenue par M. le Président de
la République sous les gouvernements qui ont précédé celui auquel vous
appartenez, avant donc que vous n'arriviez au pouvoir. C'est de par la volonté
du peuple que nous n'avons pas pu la porter plus loin et plus longtemps.
Je suis heureux que vous l'ayez concrétisée. Je souhaite même - je l'ai dit
tout à l'heure - que vous puissiez aller plus loin.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Puisqu'il faut
que la vérité historique soit totalement rétablie - ce dont je vous donne acte,
monsieur Barnier - je rappellerai que le Conseil de l'euro a été créé par une
résolution du Conseil européen de décembre 1997.
L'idée d'un conseil de stabilité avait, il est vrai, été évoquée dans un
article conjoint de MM. Arthuis et Waigel à la suite du sommet de Dublin, mais
il s'agissait d'un conseil de gestion du pacte de stabilité.
Toute la différence - je saisis l'occasion de m'expliquer mieux sur ce qu'est
le Conseil de l'euro - c'est que le problème n'est pas d'avoir un conseil pour
gérer le pacte de stabilité, mais d'avoir un conseil pour conduire et
coordonner la politique économique.
Or, justement, selon la thèse française - que, je pense, vous partagez,
monsieur le sénateur - la politique économique n'est pas simplement la
stabilité budgétaire mais comporte bien d'autres choses, et, dans ces
conditions, il faut bien un Conseil de l'euro et non pas simplement un conseil
de stabilité qui, au demeurant - vous avez raison - avait été évoqué, mais
n'avait pas été décidé.
Vous avez soulevé, par ailleurs, le problème des auditions des membres de la
BCE par les parlements nationaux. Personnellement, je partage votre sentiment
et celui de plusieurs intervenants, à savoir que, d'une manière ou d'une autre,
les parlements nationaux doivent pouvoir auditionner le président de la BCE. La
difficulté, évidemment, c'est qu'il y en a onze et, si le président de la BCE
est auditionné par chacun d'entre eux, cela va être bien compliqué !
Une idée intéressante a été avancée hier à l'Assemblée nationale par M.
Giscard d'Estaing, qui consiste à créer une sorte de comité parlementaire
réunissant des parlementaires européens et des parlementaires nationaux à une
sorte de proportionnelle afin de créer une structure - je ne sais pas qui
pourrait la présider, mais chacun peut l'imaginer !
(Sourires.)
- un
lieu où serait auditionnée la Banque centrale. Je crois que c'est une bonne
idée.
L'Assemblée nationale a d'ailleurs retenu, à la quasi-unanimité, cet
amendement, qui vous sera soumis demain lorsque nous discuterons de la
proposition de résolution.
Vous avez également dit que l'euro serait un élément de lutte contre la
domination américaine ; je n'y reviens pas, nous partageons le même point de
vue.
En revanche, je ne suis pas d'accord avec vous, vous le comprendrez, lorsque
vous dites qu'il y a contradiction à vouloir l'euro et à mener la politique que
mène le Gouvernement.
Ce n'est pas le débat d'aujourd'hui, mais je crois qu'il n'y a pas de
contradiction. Cela montre, en effet, à ceux qui craignent l'inverse qu'il peut
y avoir une politique nationale ; ce n'est pas parce qu'il y aura l'euro qu'il
n'y aura plus de politique nationale !
La preuve : en nous reprochant de mener une politique nationale qui n'est pas
celle de nos voisins, vous montrez précisément qu'il est possible de mener des
politiques nationales différentes. Cela devrait lever chez certains d'entre
vous la crainte de voir la pensée unique, comme le disait Charles Pasqua tout à
l'heure, s'imposer à tous.
Reconnaissez que les emplois-jeunes, la réduction du temps de travail, ce
n'est pas la pensée unique !
(M. Pasqua acquiesce.)
Vous voyez donc qu'il est possible d'avoir l'euro et de sortir de la
pensée unique : c'est une démonstration dont je vous remercie.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Enfin, il reste un point sur lequel je suis d'accord avec vous et qui
concerne le dialogue avec les Français, l'explication. Là, nous devons encore
beaucoup progresser.
Les sondages que réalise régulièrement le comité national de l'euro, auquel
participe M. Marini, montrent que les choses avancent mais avancent lentement.
Un effort considérable doit être fait, surtout d'ici au 1er janvier 2002,
lorsque les monnaies en euro vont apparaître. Un effort considérable
d'acclimatation, d'explication doit être fait. Il faut mener le débat partout ;
vous l'avez ouvert, monsieur Barnier, lorsque vous étiez ministre délégué aux
affaires européennes. Je le poursuis aujourd'hui. J'ai, par exemple, demandé,
au mois de décembre dernier, à tous les directeurs des services fiscaux dans
les départements et aux trésoriers-payeurs généraux - cela a dû être le cas en
Savoie comme ailleurs - d'organiser des colloques sur ce que l'euro allait
changer. Il faudra recommencer, encore et encore, oeuvrer pour que
l'information la plus fine, d'une part, et, d'autre part, la plus large, en
termes de personnes contactées, soit assurée dans les mois à venir.
C'est un travail que nous devons accomplir tous de concert. Quelle que soit
leur opinion sur le fond, une fois que le choix se sera traduit dans les faits,
les parlementaires, tout particulièrement les sénateurs, devront pouvoir s'y
associer s'ils le souhaitent. En tout cas, moi, je le souhaite, et je serai
toujours à votre disposition pour qu'ensemble nous veillions à une meilleure
information de nos compatriotes sur ce pas décisif que nous allons faire dans
la construction européenne.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Ceccaldi-Raynaud et
Barnier applaudissent également.)
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