BAUX RURAUX
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 314,
1995-1996) de M. Jean-Paul Delevoye, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi (n° 239, 1995-1996) de MM.
Serge Vinçon, Michel Alloncle, Louis Althapé, Jean Bernard, Roger Besse, Paul
Blanc, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Robert Calméjane, Jean-Pierre Camoin,
Auguste Cazalet, Jacques Chaumont, Jean-Patrick Courtois, Désiré Dabavelaere,
Philippe de Gaulle, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Michel
Doublet, Alain Dufaut, Patrice Gélard, Alain Gérard, Daniel Goulet, Georges
Gruillot, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, Alain
Joyandet, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Pierre
Martin, Mme Nelly Olin, MM. Charles Pasqua, Alain Pluchet, Victor Reux, Roger
Rigaudière, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Maurice Schumann, Louis Souvet
et Jacques Valade tendant à autoriser les élus des communes comptant 3 500
habitants au plus à conclure avec leur collectivité des baux ruraux.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de
vous soumettre les conclusions de la commission des lois sur la proposition de
loi proposée par Serge Vinçon.
Ce problème suscite un intérêt non négligeable de la part des élus puisqu'une
enquête de l'Association des maires de France montre qu'environ 1 000
collectivités locales de moins de 3 500 habitants sont concernées.
Il convient d'affirmer en préalable que nous tenons à ce que les affaires
publiques soient empreintes d'une très grande éthique, d'une très grande
moralisation, d'une très grande transparence, et qu'il ne s'agit en aucun cas
de confondre intérêt privé et intérêt public. Mais il convient aussi de ne pas
pénaliser celles et ceux qui acceptent de se concacrer à la vie publique. La
démocratie a besoin d'eux.
L'article 432-12 du nouveau code pénal dispose : « Le fait, par une personne
dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public
ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir
ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une
entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou
partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation
ou le paiement - même quand l'opération est positive pour la commune et même si
la personne ne retire aucun bénéfice de l'opération prohibée - est puni... »
Les choses sont donc très claires ; une lacune apparaît cependant. Dès 1967,
le législateur a prévu des dérogations au délit d'ingérence, devenu, en 1994,
le délit de prise illégale d'intérêts, et l'article 432-12 du code pénal
prévoit trois séries d'assouplissement.
Tout d'abord, les maires, les adjoints et les conseillers municipaux peuvent
traiter avec leurs communes pour le transfert de biens ou la fourniture de
services dans la limite de 100 000 francs.
Ils peuvent aussi, sur autorisation du conseil municipal, acquérir une
parcelle d'un lotissement communal pour y construire leur habitation
personnelle.
Ils peuvent également, toujours sur autorisation du conseil municipal,
acquérir un bien qui appartient à la commune pour y créer ou y développer une
activité à caractère professionnel.
Bien évidemment, dans tous ces cas, l'élu intéressé ne doit pas participer à
la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à
l'approbation du contrat.
Notre collègue Serge Vinçon a souligné l'impossibilité, pour certains élus
locaux, de conclure des baux ruraux avec leur commune et a mis l'accent sur une
situation paradoxale. En effet, le code pénal reconnaît aux élus la faculté de
conclure avec leur collectivité des actes
a priori
plus lourds, portant
sur le patrimoine de la commune, mais leur refuse la possibilité de conclure
des baux ruraux.
Selon nous, qui peut le plus peut le moins, à condition bien évidemment de
prendre un certain nombre de précautions.
Quels sont les objectifs visés par la proposition de loi qui est soumise à
votre approbation par la commission des lois ?
A l'évidence, il s'agit de préserver l'intérêt de la commune et, dans cet
esprit, de s'assurer que l'élu ne puisse pas se prévaloir de son autorité pour
en tirer un quelconque avantage, ne puisse pas commettre, ce que j'appellerai
un délit d'initié, et que les baux soient conclus à un prix tout à fait
normal.
C'est la raison pour laquelle il vous est proposé d'ajouter au code pénal la
possibilité de louer des terrains, mais d'encadrer strictement cette faculté
comme celles qui sont d'ores et déjà reconnues par le code pénal. Ainsi, cette
dérogation posée par la proposition de loi ne concerne que les baux ruraux de
droit commun régis par le titre Ier du livre IV du code rural.
Cette précision apporte une garantie sur le prix du bail, puisque celui-ci
doit être compris dans la fourchette fixée par le préfet ; ce qui constitue une
garantie absolue et permet à la commune de résilier le bail à tout moment
lorsque les biens loués sont nécessaires à la réalisation d'un projet d'utilité
publique.
Nous proposons en outre de limiter à neuf ans la durée du bail ainsi conclu.
Nous n'avons pas souhaité autoriser une durée inférieure à neuf ans pour ne pas
apporter de dérogation supplémentaire. Nous n'avons pas non plus souhaité une
durée supérieure, de façon à éviter toute rente de situation.
Enfin, nous prévoyons la publication de l'estimation du service des Domaines,
ce qui donne la garantie de la transparence de l'information, et ce d'autant
plus que le contrat ne pourra en aucun cas être signé moins de deux mois après
cette publication. Il n'y aura donc aucun risque de « délit d'initié ».
Il nous semble donc que cette proposition de loi permet de combler une lacune,
de garantir la transparence dans la gestion des affaires publiques, de
préserver les intérêts de la commune et de ne pas fausser le libre jeu de la
concurrence.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les dispositions qui sont
soumises à votre approbation.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de
l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou.
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd'hui, par
application des dispositions de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, une
proposition de loi amendée par votre commission des lois et tendant à apporter
une nouvelle dérogation au délit de prise illégale d'intérêts, ou délit
d'ingérence.
Cette dérogation tend à permettre aux élus des communes de moins de 3 500
habitants de conclure avec leur collectivité locale des baux ruraux, ainsi que
vient de l'expliquer votre rapporteur, M. Delevoye.
De prime abord, cette proposition paraît réaliste. La loi ne permet-elle pas
déjà à ces élus d'acquérir sous certaines conditions des biens de leur commune
ou de lui louer un logement ?
Ne faut-il pas par ailleurs permettre aux agriculteurs de nos petites communes
rurales, comme il est indiqué dans l'exposé des motifs de la proposition de
loi, de continuer à participer activement à la vie publique locale ?
Les choses ne sont toutefois pas aussi simples, même si le Gouvernement
partage à l'évidence pleinement le souci qui anime les auteurs de la
proposition de loi de permettre à des élus des petites communes de poursuivre
leur activité professionnelle.
Cette proposition ne peut donc recevoir l'accord du Gouvernement, pour des
raisons de principe que je vais vous exposer et dont j'espère vous
convaincre.
A titre préliminaire, un bref rappel s'avère indispensable.
L'ancien article 175 du code pénal ne connaissait qu'une dérogation en matière
d'ingérence : dans les communes de moins de 1 500 habitants, les élus concernés
pouvaient traiter avec la commune pour l'exécution de menus travaux ou la
livraison de fournitures courantes, dans la limite de 75 000 francs par an.
L'actuel article 432-12, entré en vigueur avec le nouveau code pénal le 1er
mars 1994, a introduit d'autres dérogations : le seuil d'habitants des communes
susvisées a été porté à 3 500 ; le montant annuel autorisé a été porté à 100
000 francs et peut s'appliquer à tous types d'opérations, y compris
immobilières ; les élus peuvent désormais acquérir une parcelle d'un
lotissement communal pour se loger ; ils peuvent aussi acquérir un bien
appartenant à la commune pour créer ou développer une activité
professionnelle.
Les trois premières dérogations figuraient dans le projet de loi initial du
Gouvernement de l'époque, la dernière résultant d'un amendement parlementaire,
combattu en son temps par le Gouvernement pour des raisons liées à la
nécessaire impartialité de la puissance publique.
La proposition de loi vise à élargir cette dernière dérogation, en permettant
non plus seulement l'acquisition, mais aussi la location d'un bien appartenant
à la commune pour créer ou développer une activité professionnelle, agricole en
l'espèce.
Elle encourt des critiques du même ordre que celles qui avaient été formulées
à l'époque.
Le délit de prise illégale d'intérêt ou d'ingérence est un délit « préventif
», un délit obstacle. Son rôle dans notre droit pénal est symbolique : il est
de proclamer de la manière la plus solennelle que tout conflit entre un intérêt
privé et l'intérêt général est prohibé.
Cette affirmation est essentielle au plan de l'impartialité de la puissance
publique. Non seulement ceux qui représentent celle-ci ne doivent pas « faire
des affaires » - comme l'on dit habituellement - ce qui va de soi, mais surtout
ils ne doivent pas pouvoir être soupçonnés d'en faire avec elle.
L'élu titulaire d'un mandat électif public ne doit pas prêter le flanc à des
critiques, même injustes ; pour ce faire, il doit s'abstenir, aussi exigeant
que cela puisse paraître, de se placer dans des situations à risque. Le statut
comporte, en effet, ses servitudes.
Par ailleurs, l'élu pourra toujours être soupçonné de disposer, de par ses
fonctions, d'informations qui rompent l'égalité entre lui et ses concitoyens
s'il traite avec sa commune ; il est, d'une certaine façon, initié, juge et
partie.
Il est tout autant question ici d'apparence et de perception de la vie
publique que de réalité de la fraude.
Le maire dispose potentiellement de tous les éléments pour fausser la
concurrence entre lui et ses administrés. Cela ne signifie pas qu'il le fera,
mais il peut être soupçonné de le faire. En effet, il connaît les règlements
d'occupation du sol et leur évolution à long terme, il est informé des travaux
de viabilisation ou d'adduction d'eau et des projets en cours, il a les moyens
d'influer sur leur évolution, enfin, il connaît la situation personnelle de ses
administrés.
C'est aussi et surtout afin d'éviter le soupçon que le délit de prise illégale
d'intérêts a été conçu dans des termes aussi larges. Il a pour objet non pas de
nuire aux élus en les empêchant d'exercer leur activité professionnelle, mais,
bien au contraire, de les protéger dans l'exercice impartial de la puissance
publique.
Il s'agit en réalité d'un texte de protection de l'élu et non d'un texte
dirigé contre l'élu.
Dans cet esprit, seules des dérogations pour des cas parfaitement transparents
et incontestables peuvent être envisagées.
Tel est le cas de l'actuelle dérogation destinée à permettre à l'élu de se
loger dans un lotissement communal ou dans un logement appartenant à la
commune. Il est évident que le maire doit se loger dans sa commune. Or cette
opération ne peut guère donner lieu à des abus dans les communes de moins de 3
500 habitants, qui sont rarement propriétaires d'un parc important de bâtiments
d'habitation.
Il en va tout autrement lorsqu'il s'agit d'une activité professionnelle,
notamment de son développement. L'activité professionnelle est en effet un
intérêt exclusivement privé et lucratif, qui doit être dissocié de l'activité
publique.
C'est pour cette raison que le Gouvernement s'était opposé à l'époque à la
dérogation que j'évoquais tout à l'heure, tendant à permettre aux élus
d'acquérir un bien appartenant à la commune pour créer ou développer une
activité professionnelle.
Il avait été soutenu, lors des débats relatifs au nouveau code pénal, que la
dérogation souhaitée se justifiait parce qu'il était impossible de créer ou de
développer une activité industrielle ou artisanale en dehors des zones prévues
à cet effet, zones dont la création et l'organisation dépendent de la
commune.
Cette particularité ne se retrouve pas pour les terres agricoles.
Par ailleurs, la dérogation introduite par le nouveau code pénal est en
pratique d'une portée limitée, puisqu'il s'agit d'un achat qui, à la différence
d'une location, engage l'acheteur dans une dépense importante. Les situations
de location sont potentiellement plus nombreuses et peuvent porter sur des
surfaces importantes, les petites communes étant fréquemment propriétaires de
grandes surfaces de terre.
Enfin et surtout, permettre au maire de louer un bien communal ancre une
situation de conflit d'intérêts dans le temps.
A ce stade de mon propos, je voudrais aborder les garanties que les auteurs de
la proposition de loi, puis la commission des lois, ont prévues pour encadrer
le texte.
Ces garanties sont les suivantes. Tout d'abord, il doit s'agir d'un bail rural
au sens du code rural, ce qui rend applicables les dispositions de ce code en
matière de fixation du prix et de résiliation par la puissance publique pour
cause d'utilité publique. Ce bail doit ensuite faire l'objet d'une estimation
préalable par le service des Domaines. Enfin, ce bail ne peut être conclu avant
l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la publication de cette
évaluation.
Ces précisions sont, bien entendu, très utiles, et je rends hommage à leurs
auteurs. Mais, à mes yeux, elles ne constituent pas des garanties à la mesure
des inconvénients présentés par le texte.
Il convient ici de rappeler que la durée d'un bail rural est de neuf années,
renouvelable. Le conflit d'intérêts ne peut donc que s'installer dans le long
terme.
Par ailleurs, quelle peut être l'effectivité de la faculté de résiliation pour
cause d'utilité publique ? Qui instruit en effet les dossiers d'utilité
publique ? Si l'équipe municipale ne change pas, elle n'aura aucune raison de
résilier le bail. Et si elle change et qu'elle le résilie, la situation sera
critiquable, car il pourrait s'agir d'un règlement de comptes politiques.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
La mesure de publicité ne constitue pas davantage une
garantie importante. Qui est en mesure, dans une petite commune rurale, de
concourir avec le maire ?
Quelles seront les chances réelles de bénéficier du contrat dans la mesure où
c'est précisément le maire qui va choisir le contractant de la commune ?
Quant à la question du montant du loyer, elle est sans intérêt : l'ingérence
ne suppose en effet nullement un préjudice pour la commune.
J'espère que vous comprenez bien la position que je développe ici. Je ne crois
pas que les élus feraient un mauvais usage de ce texte car, comme je l'ai déjà
dit, les élus locaux de notre pays sont honnêtes dans leur immense majorité.
Mais il suffit que l'on puisse soupçonner qu'il n'en soit pas ainsi pour que
l'image de l'ensemble des élus soit atteinte.
Pour conclure, je voudrais appeler votre attention sur des considérations plus
générales.
Le professeur Emile Garçon écrivait, dans son code pénal annoté de 1901, que
l'article 175 du code pénal trouvait son origine dans des dispositions du droit
romain et de nombreuses ordonnances des rois de France.
Force est de constater que l'interdiction pour un maire de conclure des baux
ruraux avec sa commune est plus que séculaire et que la France est un pays de
tradition agricole très ancienne. Pourquoi alors ne pas avoir soulevé plus tôt
la difficulté ?
La réponse paraît contenue dans l'exposé des motifs de la présente proposition
de loi : les élus redoutent des poursuites pénales. Vous conviendrez avec moi
qu'il ne faut pas modifier la loi pénale pour des cas particuliers.
Enfin, d'autres catégories socioprofessionnelles également dignes d'intérêt
pourraient légitimement former des demandes de même nature, qu'il s'agisse des
chercheurs, pour la valorisation de la recherche publique, des membres des
chambres de commerce et d'industrie ou des membres des chambres de métiers.
Je crois que la loi pénale doit être, autant qu'il est possible, la même pour
tous et qu'il ne faut y déroger qu'avec la plus grande circonspection.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne peut que s'opposer à l'adoption de
la présente proposition de loi.
Pour autant, le Gouvernement est bien évidemment sensible aux difficultés
rencontrées par les élus concernés, dont le Sénat se fait légitimement
l'écho.
Comme vous le savez, la question évoquée aujourd'hui a fait l'objet à la
Chancellerie d'un groupe de travail qui a réuni, au-delà de toute sensibilité
ou, plutôt, en rassemblant toutes les sensibilités des membres du Sénat, des
membre de la Chancellerie et des représentants de l'Assemblée permanente des
chambres d'agriculture.
Ce groupe de travail a fait, dans son rapport, une analyse juridique détaillée
de la question et a conclu, en substance, qu'une appréciation stricte de la loi
pénale permettait de considérer que le délit n'avait pas un champ d'application
aussi étendu que celui qui lui est souvent donné.
Ce document technique général n'a évidemment pas vocation à régler toutes les
difficultés rencontrées, que vous avez soulignées, et encore moins à conférer
aux personnes concernées une immunité. Les interprétations des textes qui y
sont données le sont, comme il est d'usage, sous la réserve de l'appréciation
souveraine des juridictions.
Toutefois, sa diffusion pour information aux parquets, aux préfets, voire aux
chambres régionales des comptes, leur permettrait de disposer d'une
documentation technique leur permettant d'exercer leurs missions de la manière
la plus avisée.
Si votre rapporteur, qui a participé à ces travaux, en est d'accord, la
Chancellerie est disposée à diffuser ce travail et à procéder, le moment venu,
à une nouvelle évaluation de la situation. Telle est la proposition que vous
fait le Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les activités
agricole et forestière constituent le socle irremplaçable de toute politique
cohérente de développement rural. En effet, ces activités sont les seules
capables d'entretenir 85 % de notre territoire.
Cette fonction d'entretien est, vous me permettrez de le rappeler,
indispensable à la survie du monde rural. Chacun d'entre nous, dans cette
enceinte, a certainement en mémoire, pour les avoir parfois vécues dans son
département, les conséquences néfastes de l'abandon de ces activités :
enfrichement, réapparition de risques écologiques, tels que les incendies, les
avalanches ou les inondations, et perte totale d'attrait d'un milieu rural non
entretenu.
Face à ces risques, nous sommes confrontés à une insuffisante adéquation de la
législation aux réalités sociologiques propres aux communes rurales, et plus
particulièrement aux plus petites d'entre elles.
En effet, les exploitants agricoles constituent le poumon de nos communes
rurales non seulement par l'importance qu'ils représentent pour celles-ci sur
le plan économique, mais également par le fait que nombre d'entre eux siègent
au sein des conseils municipaux et participent activement à la vie locale.
Or en vertu de notre législation, et plus précisément de l'article 432-12 du
code pénal, sont considérés comme coupables de prise illégale d'intérêts, et
donc passibles de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende, les
élus locaux qui concluent des baux ruraux avec leur collectivité.
Cet article du nouveau code pénal vise ainsi à réprimer le délit d'ingérence,
afin d'éviter toute confusion entre les intérêts personnels de certains agents
publics et ceux des collectivités qu'ils administrent.
Toutefois, les alinéas 2, 3 et 4 du même article prévoient des dérogations
applicables aux élus des communes comptant 3 500 habitants au plus.
Ainsi, ces derniers peuvent-ils traiter avec les communes dont ils ont la
charge pour le transfert des biens mobiliers ou immobiliers, ou la fourniture
de services dans la limite d'un montant annuel de 100 000 francs.
Ceux-ci peuvent encore acquérir une parcelle d'un lotissement communal pour y
édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la
commune pour leur propre logement, voire acquérir un bien appartenant à la
commune pour la création ou le développement de leur activité
professionnelle.
Cependant, l'actuelle rédaction de l'article 432-12 du code pénal passe sous
silence la conclusion des baux ruraux. L'élu d'une commune de 3 500 habitants
au plus peut donc acquérir, mais non louer, un terrain appartenant à la
collectivité locale.
N'est-ce pas, ici, une lacune du code pénal, quand on sait que les communes
comptant au plus 3 500 habitants sont majoritairement rurales et représentent
plus de 90 % des 36 000 communes que compte notre pays ?
N'est-ce pas aussi quelque peu paradoxal quand on sait que ces communes
possèdent, dans leur domaine privé, des terrains qu'elles louent à des
exploitants agricoles et que, de surcroît, un grand nombre d'exploitants
agricoles sont depuis toujours les élus de ces communes ?
L'élu se trouve donc placé face à l'alternative suivante : soit abandonner son
mandat, soit renoncer à son activité professionnelle. Dans les deux cas, c'est
la commune qui est perdante. En effet, c'est soit la démocratie locale, soit la
vie économique du village qui est atteinte par ce choix.
On ne peut donc que regretter que les agriculteurs soient empêchés,
aujourd'hui, de conclure de tels baux ruraux avec la collectivité qu'ils
administrent.
J'insiste également sur le fait que les services de l'Etat chargés du contrôle
de légalité des actes des collectivités locales qualifient en effet d'illégales
sur le fond, et non sur la forme, puisque l'article L. 121-35 du code des
communes est respecté, des délibérations de conseils municipaux accordant la
location de terrains communaux au maire ou à un conseiller municipal.
L'enquête réalisée en 1997 par l'Association des maires de France, que préside
notre rapporteur et collègue Jean-Paul Delevoye, permet d'affirmer que plus de
1 000 maires ou maires adjoints sont directement concernés et pourraient être à
tout moment mis en examen. Ne pas agir reviendrait à laisser se dégrader une
situation qui pose un véritable problème de fonctionnement de la démocratie
locale, je le répète, notamment dans les plus petites communes.
Les dernières élections municipales de juin 1995 ont montré le peu
d'empressement dont les Français font preuve pour être candidats à un mandat
électoral dans les petites communes et, paradoxalement, l'article 432-12 du
nouveau code pénal fait aujourd'hui peser la menace de démissions collectives
des élus exploitants agricoles pour lesquels l'activité professionnelle est
mise en péril. Cela s'est déjà produit depuis 1995.
Loin de remettre en cause le principe louable qui est d'éviter tout risque
d'amalgame entre les affaires de la collectivité et les affaires de l'élu, je
souhaite ardemment que la législation prenne en compte les spécificités de nos
communes rurales.
Madame le ministre, je tiens à vous citer l'exemple d'une commune de mon
département, qui compte vingt-six habitants, dont trois agriculteurs, qui tous
exploitent des terrains appartenant à la commune et sont élus. Nous voyons bien
qu'il n'y a là aucun risque de prise illégale d'intérêt et que nous sommes loin
des grandes affaires qui, quelquefois, secouent l'actualité.
Dans cet exemple, soit il n'existe plus de conseil municipal, soit il faut
supprimer la commune, puisqu'il n'y aura plus personne pour l'administrer. Il
faut faire preuve de pragmatisme et de réalisme dans des cas de figure aussi
patents que celui-là. Les propositions de notre rapporteur vont dans le sens
que je souhaitais, puisque, d'une part, il autorise les élus à conclure
certains baux ruraux avec leur collectivité, et que, d'autre part, il assure
une parfaite transparence de la procédure.
Je voterai donc, avec mes collègues du groupe du RPR, les conclusions de la
commission des lois, en remerciant M. Delevoye et l'Association des maires de
France d'avoir étudié cette délicate question depuis maintenant 1995.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, moins de
quatre ans après l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, le 1er mars 1994,
la majorité sénatoriale, sur proposition de plusieurs de nos collègues, dont
Serge Vinçon est le premier signataire, et sur la base d'un rapport de notre
collègue Jean-Paul Delevoye, nous invite à modifier, pour en atténuer la
portée, l'article 432-12 du code pénal qui incrimine la prise illégale
d'intérêts par une personne dépositaire de l'autorité publique.
En l'occurrence, la majorité sénatoriale veut autoriser certains élus locaux -
les maires et les adjoints des communes de moins de 3 500 habitants - à
conclure, avec la collectivité locale dont ils ont la charge, des baux ruraux,
et ce en totale contradiction avec l'esprit qui a présidé à la rédaction et à
l'adoption de cet article du code pénal.
On peut comprendre la motivation des auteurs de cette proposition de loi :
peut-être entendent-ils apporter réponse et solution à un problème posé...
MM. Serge Vinçon et André Jourdain.
Oui, c'est cela !
M. Guy Allouche.
Ce serait légitime, encore qu'il aurait été utile de connaître le nombre de
cas portés à leur connaissance. Nous aurions aimé être en possession d'une
statistique portant sur l'ensemble du territoire national, statistique annexée
au rapport et comprenant une analyse détaillée par département. Je pense que
l'Association des maires de France que vous présidez, monsieur le rapporteur,
aurait pu fournir à temps une telle étude. Mais ce n'est pas le cas !
Au-delà de cette interrogation, cette demande d'atténuation de la portée de
l'article 432-12 du code pénal est-elle opportune ? Assurément, non.
Pour ses auteurs, la présente proposition de loi est justifiée par des
considérations d'intérêt général. Mais justement, chers collègues, en cette
période où tout le personnel politique, à tous niveaux, est injustement mis en
cause au motif qu'une poignée d'élus a fait preuve d'indélicatesse, il n'est ni
opportun ni judicieux de vouloir confondre intérêt général, dévouement à la
chose publique et intérêts économiques et privés personnels.
Cette proposition va à l'encontre de la moralisation de la vie politique tant
réclamée par l'opinion publique.
Ceux qui défendent un tel dispositif ont-ils pleinement mesuré son impact, ses
effets et ses conséquences ? Michel Dreyfus-Schmidt a coutume de dire que « le
mieux est parfois l'ennemi du bien ». Cette formule n'a jamais été autant
appropriée qu'à l'égard de cette proposition de loi. Tous les élus doivent
constamment avoir à l'esprit qu'ils sont là pour « servir et non pas se servir
» !
La tradition républicaine a consisté à mettre en place, par des dispositions
légales, par une forme de contrainte sociale, un grand nombre de précautions
destinées à prémunir les élus contre les tentations. Un élu, et plus
particulièrement le maire, ne peut pas faire comme tout le monde. Il faut
préserver cet état d'esprit ; mieux, il faut lui redonner un second souffle.
Que celui qui brigue un mandat majoral sache que la contrepartie de son
élection comporte un certain nombre de limitations à sa liberté d'action, en
particulier dans le domaine économique.
Oui, mes chers collègues, la fonction élective a ses honneurs, mais elle a
aussi ses contraintes et ses devoirs. N'est-ce pas d'ailleurs son titre de
noblesse et sa force d'abnégation ?
Précisément, le problème soulevé n'est pas nouveau. La prise illégale
d'intérêts a fait l'objet d'un long et riche débat à l'occasion de la réforme
du code pénal. Lors de son examen, l'autorisation pour les élus d'acquérir une
parcelle appartenant à la commune pour le développement de leur activité
commerciale ou artisanale n'avait pas été retenue au motif essentiel qu'il ne
doit pas exister de confusion possible entre l'exercice d'une fonction publique
et les intérêts privés de la personne exerçant une telle fonction. J'ajoute que
l'extension de la dérogation pour les baux ruraux proposée aujourd'hui n'avait
pas, alors, été formulée. Pourtant, la commission mixte paritaire avait abouti
à un accord statisfaisant.
Nous pouvons affirmer que la solution retenue en 1992 tient compte de la
réalité de ce problème et lui apporte une réponse grâce à de nombreuses
dérogations. Rappelons que le seuil de population a été relevé, puisqu'il est
passé de 1 500 habitants à 3 500 habitants, que le plafond annuel de la
transaction est désormais de 100 000 francs, alors qu'il était fixé à 75 000
francs, et que les élus de ces communes peuvent acquérir une parcelle communale
pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation
pour leur propre logement. Ainsi le législateur a fait preuve de réalisme pour
plus de rigueur.
On peut concevoir et justifier une dérogation lorsqu'il s'agit de se loger.
Mais il existe une grande différence entre ce que j'appellerai le « droit à un
toit », pour loger sa famille, et le droit d'acheter un terrain pour développer
son activité professionnelle. Dans un cas, on répond à un besoin fondamental de
la personne humaine, dans l'autre, on favorise une situation. C'est là que le
bât blesse.
Le débat parlementaire de 1992 s'était fait l'écho de cette nécessaire
distinction. Accepter d'y déroger aujourd'hui, c'est ouvrir la voie à de
nombreux abus. Ce serait source de confusions de toute nature, d'autant que la
location ici proposée, contrairement à l'acquisition qui revêt un caractère
ponctuel, se poursuit dans le temps, et par là même pérennise une situation de
confusion.
Il est cependant exact que, depuis plusieurs années, se manifeste chez les
élus une prise de conscience plus aiguë du risque pénal encouru. Mes chers
collègues, sans aller jusqu'à considérer que cette proposition de loi porte en
elle des dispositions amnistiantes, je ne peux m'empêcher de penser que son
auteur et ceux qui approuvent sa démarche ont sûrement connaissance de
situations actuellement illicites !
Je note au passage que ce texte, qui a été déposé en 1996, est inscrit à
l'ordre du jour du Sénat en 1998, comme par hasard année de renouvellement
sénatorial. Certes, il faut être de mauvaise foi pour relever cette
coïncidence,...
M. Serge Vinçon.
Je crois !
M. Guy Allouche.
... mais comment pourrais-je m'en dispenser ?
M. Serge Vinçon.
Il ne faut tout de même pas exagérer !
M. Guy Allouche.
A cet égard, le rapporteur de la commission des lois a restreint le dispositif
initial en le limitant à l'intitulé exact de la proposition de loi et en
proposant des mesures destinées à assurer la transparence et l'égalité entre
les citoyens.
Néanmoins, ces garanties -
a minima
- sont quelque peu illusoires, car
elles n'empêchent pas les élus concernés d'être en situation privilégiée par
rapport aux autres citoyens. Il y a même un « parfum de délit d'initié » dans
cette opération puisque c'est le maire qui est le maître d'oeuvre de la
procédure. Il est détenteur de toutes les informations, bien avant ses
administrés, sans oublier qu'il se trouve déjà dans une position de force
puisqu'il est informé de ce qui se passe dans sa commune, comme chez chacun de
ses administrés.
Dès lors qu'il est maître de l'action, l'estimation du service des Domaines,
la publication par voie d'affichage en mairie et la limitation de la durée du
bail ne changent rien ni quant au fond ni quant à l'opportunité. Au contraire,
une telle mesure est de nature, quoi qu'il en soit, à faire peser le soupçon
sur les élus et à porter atteinte à leur fonction.
Mes chers collègues, sur un plan plus général, il convient de rappeler que la
définition d'un délit de prise illégale d'intérêts a pour finalité essentielle
d'éviter tout conflit entre l'intérêt général et l'intérêt privé. Il ne nous
paraît pas opportun d'affaiblir ce principe d'impartialité de la puissance
publique en accordant une dérogation supplémentaire au profit d'une catégorie
d'élus, aussi estimable soit-elle.
Il ne s'agit pas pour moi de méconnaître la réalité, parfois l'acuité, de
certaines situations, mais je considère que l'article 432-12 du code pénal, qui
prévoit déjà des dérogations, constitue un cadre raisonnable dans la mesure où
il protège les élus et préserve leur image d'honnêteté et d'intégrité.
L'opinion publique, aujourd'hui plus qu'hier, ne comprendrait pas qu'un maire
puisse profiter - c'est bien le terme qui convient - de sa fonction pour
développer son activité économique ou, ce qui paraît encore plus excessif, pour
la créer.
Certes, les dispositions de l'article 432-12 du code pénal sont sévères. Lors
de son adoption, le Parlement a considéré que cette sévérité était nécessaire
pour assurer la moralisation de la vie publique et protéger les élus. C'est
encore vrai aujourd'hui.
Par ailleurs, alors que le code pénal vient juste d'être mis en oeuvre, il
n'est pas sage de vouloir déjà modifier les règles relatives au délit
d'ingérence - domaine sensible s'il est est - dans un sens plus libéral pour
les élus, et ce en contradiction avec ce que nous avons adopté en 1992.
Cette proposition de loi n'emportant pas leur approbation, loin s'en faut,
tant elle va à l'encontre de l'objectif visé, les sénateurs du groupe
socialiste ne l'adopteront pas.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Je souhaite faire quelques commentaires sur l'analyse que
vient de présenter M. Allouche.
Je note tout d'abord, mon cher collègue, que tout votre propos relève en
quelque sorte de l'air du soupçon. Ainsi vous dites que ce débat se nourrit
d'arrière-pensées, de calculs électoraux. De deux choses l'une : soit vous avez
un profond respect pour le débat parlementaire, soit vous estimez que c'est le
calcul électoral qui prédomine dans ce débat, mais alors vous manifestez un
certain mépris pour le Parlement.
Par ailleurs, vous semblez avoir une curieuse conception de l'exercice du
mandat de maire. Lorsque vous participez à des cérémonies de remise de
médailles, par exemple, ne saluez-vous pas l'engagement des 500 000 élus locaux
- et de leurs proches - et des millions de bénévoles qui se trouvent au coeur
des plus belles réussites économiques et qui sont confrontés aux plus grandes
détresses sociales ? Ne soulignez-vous pas à quel point le sacrifice qu'ils
consentent, au détriment de leur vie professionnelle, de leur vie personnelle
et au profit de la collectivité publique est un gage de la bonne respiration
républicaine ?
Monsieur Allouche, puisque vous souhaitiez des indications chiffrées,
permettez-moi de vous indiquer que, sur 1 398 communes propriétaires de terres
agricoles, 400, soit 28,5 %, ont loué des terrains leur appartenant à des élus
après leur élection et 604 en ont loué à des élus avant leur élection.
Il paraît un peu surprenant, ainsi que Mme le garde des sceaux l'a
parfaitement souligné, qu'un maire qui exerce par ailleurs la profession
d'agriculteur et qui a conclu un bail avec sa commune avant son élection soit
accusé de prise illégale d'intérêts lors du renouvellement de ce bail. Voilà en
effet une personne dont la commune estimait, sans doute à juste raison, qu'en
sa qualité d'agriculteur elle devait entretenir le terrain communal, mais qui,
sous prétexte qu'elle a décidé de s'engager au service de sa commune en se
présentant au suffrage de ses concitoyens, est désormais considérée comme se
trouvant en opposition avec l'intérêt de sa commune ! Il y a tout de même là
quelque chose de tout à fait étonnant.
Enfin, monsieur Allouche, vous faites aux élus, en quelque sorte, un procès en
« opacité ». Vous parlez même de « délit d'initié ». Vos propos ont dû dépasser
votre pensée !
Selon le texte actuellement en vigueur, lorsqu'un maire achète une maison ou
contracte un bail avec sa commune, il n'y a pas publicité du prix. Or la
disposition que nous proposons vise précisément à injecter de la transparence
en instituant la publicité de l'estimation du bien par le service des Domaines,
assortie d'un délai qui permet à chacun de savoir que la commune est sur le
point de louer un de ses biens à un élu. C'est une disposition qui concerne
toutes les hypothèses, y compris celles qui sont d'ores et déjà prévues par le
code pénal, et non la seule location de terrains agricoles.
Monsieur Allouche, il faut également tenir compte des réalités de la vie de
tous les jours dans une petite commune. Vous savez aussi bien que moi ce que
peut apporter le monde agricole dans la gestion de la commune. Le maire d'une
commune de vingt-six habitants n'est pas seulement maire : il est aussi un peu
cantonnier, c'est l'homme à tout faire. Souvent, les habitants sont bien
contents de trouver un agriculteur qui prête son tracteur, sa remorque, ses
bras, ses collaborateurs pour apporter bénévolement une amélioration à
l'environnement, à la voirie et, parfois, pour les mettre au service de la
sécurité.
Monsieur Allouche, votre accusation - car vos propos étaient singulièrement
dépourvus de délicatesse - quant à l'opacité des procédures et aux
arrière-pensées des uns et des autres ne pouvait rester sans réponse.
J'ai préféré de beaucoup l'analyse plus mesurée de Mme le garde des sceaux.
Celle-ci a d'ailleurs souligné que d'autres catégories professionnelles
pourraient « légitimement » revendiquer le bénéfice de mesures de même nature.
Le terme « légitimement » est révélateur. Il montre à quel point la situation
dans laquelle nous sommes actuellement n'est pas satisfaisante.
Je suis favorable à ce que la note du groupe de travail soit diffusée. Cela
étant, je relève que, comme le souligne cette note, la Cour de cassation
assimile le renouvellement du bail à la conclusion d'un bail entièrement
nouveau. Par conséquent, le renouvellement du bail pose le problème de la prise
illégale d'intérêts. D'ailleurs, le code rural est très clair à cet égard : « A
défaut de congé, le bail est renouvelé pour une durée de neuf ans. Sauf
conventions contraires, les clauses et conditions du nouveau bail sont celles
du bail précédent. » Le code rural qualifie donc expressément le bail renouvelé
de « nouveau bail ».
C'est pourquoi, si je suis tout à fait favorable à la diffusion de cette note,
je considère que le problème demeure et qu'une proposition de loi doit donc
être adoptée.
Monsieur Allouche, au regard de la bonne respiration démocratique, de la
préservation des intérêts des citoyens et des communes, vous n'avez pas abordé
le débat sous un bon angle. Il ne s'agit pas de protéger les élus contre
eux-mêmes ou contre de quelconques dérapages : il s'agit avant tout de poser
les conditions d'une bonne gestion publique, de garantir l'intérêt de la
commune au regard de son patrimoine et d'assurer une bonne pratique
républicaine.
C'est parce que cette proposition de loi apporte de la transparence,
permettant aux citoyens d'être mieux informés de la gestion des affaires
communales, et parce qu'elle donne aux maires ruraux les moyens de faire vivre
pleinement cette ruralité dont chacun est si fier dans les discours qu'elle
doit être votée.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Serge Vinçon.
Belle connaissance du terroir !
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
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