M. le président. « Art. 12. - Les dispositions de la présente loi organique sont applicables dans les territoires d'outre-mer et la collectivité territoriale de Mayotte. »
La parole est à M. Millaud.
M. Daniel Millaud. Je veux d'abord remercier notre collègue M. Fauchon et la commission des lois, qui l'a suivi dans ses conclusions. Ainsi, la position du Sénat en première lecture est rétablie : le présent projet de loi organique ne peut être étendu aux territoires d'outre-mer.
Il faut en effet rappeler, une fois encore, que les territoires d'outre-mer sont associés à l'Union européenne dans les conditions fixées par la quatrième partie du traité, lequel détermine limitativement les dispositions qui s'y appliquent et qui sont adaptées par les différentes décisions d'association.
Alors que nous ratifions les accords d'association entre l'Union européenne d'une part, les pays baltes et la Slovénie d'autre part, nous avons eu connaissance d'une note annexée à ces traités. Cette note précise que la quatrième partie du traité de l'Union européenne, intitulée « association des pays et territoires d'outre-mer », articles 131 à 136, définit limitativement les dispositions qui s'appliquent aux territoires d'outre-mer.
Toutefois, une déclaration unilatérale du Gouvernement français spécifiant que l'accord européen avec chacun des pays concernés ne s'applique pas aux pays et territoires d'outre-mer associés à l'Union européenne a été incluse dans l'acte final de ces accords d'association.
C'est bien le signe que le Gouvernement de la République française est en train de prendre en compte les particularités du traité de Rome-Maastricht-Amsterdam et de la quatrième partie de ce triple traité.
Il faut également rappeler que le paragraphe I de l'article 1er de la directive 94/80/CE - dont le présent projet de loi organique se doit d'être la stricte application - est ainsi rédigé : « La présente directive fixe les modalités selon lesquelles les citoyens de l'Union qui résident dans un Etat membre sans en avoir la nationalité peuvent y exercer le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales. »
Ce texte est suffisamment explicite et ne concerne donc que les quinze Etats membres qui constituent l'Union européenne. A celle-ci sont associés un certain nombre de pays et territoires d'outre-mer, assimilés du reste, monsieur le ministre, au nom de l'égalité de la nationalité, de tout ce que vous pouvez dire dans cette enceinte, aux pays ACP, les Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, dans les différentes décisions d'association.
Voilà comment on traite, quand on applique le traité, les citoyens français et les citoyens « européens » que, paraît-il, nous sommes ! Ils ne sont donc pas partie intégrante des Etats membres avec lesquels ils entretiennent des relations privilégiées.
Il faut également rappeler que « pour des raisons de principe qui tiennent à la primauté du droit communautaire, un Etat ne saurait exciper de dispositions de son ordre interne, même constitutionnelles, pour justifier le non-respect de ses obligations communautaires ». Cette citation est tirée de l'édition de 1994 de l'ouvrage de M. Guy Isaac, Droit communautaire général , paru chez Masson.
Au fait, monsieur le ministre, quelle est la disposition de la Constitution qui définit la notion de « loi de souveraineté » ? J'ai cherché, je n'ai pas trouvé. D'autant que le Conseil constitutionnel a rendu obligatoire la consultation de l'assemblée territoriale quand est concerné le régime électoral des conseils municipaux ; il s'agit de la décision n° 82-151 DC du 12 janvier 1983.
En outre, il faut prendre en compte la polyinsularité de mon territoire sur une surface grande comme l'Europe ! Monsieur le ministre, avez-vous eu la curiosité d'aller en Polynésie française et d'étudier cette carte (L'orateur brandit un document) qui montre bien que mon territoire est éparpillé sur plus de cinq millions de kilomètres carrés ? Mais ce n'est pas une raison suffisante pour nous intégrer à l'Union européenne !
Compte tenu de cette polyinsularité, comment appliquer ce texte avec les sections de communes, les maires délégués, qui imposent des adaptations particulières ? Je rappelle, de surcroît, que le code général des collectivités territoriales n'est pas applicable en Polynésie française, où il n'existe pas non plus de conseillers d'arrondissement.
Savez-vous, monsieur le ministre, que l'assemblée de Polynésie française, dans sa résolution du 18 février 1997, a rappelé que seules les dispositions du titre IV du traité étaient applicables aux territoires d'outre-mer et avait souhaité sortir de l'association si celle-ci devait se transformer en intégration plus ou moins déguisée ? C'est le cas, et je dirai même qu'il s'agit d'une annexion.
Monsieur le ministre, il faut, sans passion, revoir les conditions de cette association, comme l'ont déjà fait tous les partenaires de la France, et reconnaître que nos partenaires traitent de ce problème avec objectivité. Ainsi, j'ai appris que ni les Pays-Bas, ni le Royaume-Uni, ni le Danemark - qui sont des royaumes - n'étendent cette directive à leurs territoires d'outre-mer associés à l'Union européenne. Loi de souveraineté, monsieur le ministre ? Alors que l'on a coupé la tête de nos rois, on veut toujours appliquer l'ordonnance royale de 1766. Dans ces conditions, nous devrions vous appeler non pas M. le ministre mais majesté lorsque nous intervenons.
C'est absolument incohérent ! C'est pourquoi, je vous demande, mes chers collègues, de voter l'amendement qui vise à supprimer l'application de ce projet de loi organique dans les territoires d'outre-mer. Soyons objectifs !
Pour conclure, je rappelle, et M. le ministre le sait, que les fonctionnaires métropolitains en service en Polynésie sont considérés comme des fonctionnaires expatriés, ce qui leur permet de gagner deux fois plus que les fonctionnaires locaux. Voilà ce qu'est la République laïque !
M. le président. Par amendement n° 10, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, dans l'article 12, de supprimer les mots : « les territoires d'outre-mer et ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Après ce magnifique plaidoyer de notre collègue M. Daniel Millaud, qui mérite d'être appelé sinon souverain, du moins Excellence (Sourires) , je n'ai rien à ajouter. En effet, j'ai indiqué, dans la discussion générale, les raisons - juridiques, défaut de consultation - pour lesquelles la commission des lois ne croit pas devoir modifier sa position, et vous demande donc, mes chers collègues, de voter cet amendement aux termes duquel la loi organique ne sera pas rendue applicable aux territoires d'outre-mer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. La position du Gouvernement est simple. Nous allons d'autant moins refaire le procès de Louis XVI que la Polynésie, à l'époque, ignorait encore ce qui se passait sur le territoire de la République.
M. Daniel Millaud. Du royaume !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'était au début de 1793 et, si mes souvernirs sont exacts, monsieur le sénateur, la République avait quatre mois ; je vous accorde que c'est l'âge d'un enfant qui ne balbutie pas encore. Le capitaine Cook était déjà mort. La Polynésie française n'existait pas encore. Je la connais pour l'avoir déjà visitée et j'en apprécie beaucoup le charme.
Le Gouvernement note que vous proposez la suppression des primes versées aux fonctionnaires métropolitains. Je pense que ce qui vaudrait pour la Polynésie française devrait valoir pour d'autres départements et territoires d'outre-mer. Il s'agit là d'une suggestion à laquelle nous allons réfléchir.
Sur le fond, je vais être très clair. Où est la souveraineté, avez-vous dit, monsieur le sénateur ? Dans la Constitution, tout simplement ! La Constitution dispose en effet que la République est une et indivisible. Cela n'empêche pas qu'il puisse y avoir des statuts particuliers.
Par ailleurs, le statut de territoire associé à l'Union européenne a un sens du point de vue économique. Il a des conséquences sur le plan économique et social, mais il n'en a pas sur le plan politique, notamment sur le droit de vote et d'éligibilité.
Par conséquent, je me réfère à l'article 88-3 de la Constitution, qui donne mission au législateur organique de fixer les modalités d'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales - je cite notre constitution fraîchement révisée - pour « les citoyens de l'Union résidant en France ». La Polynésie française fait partie de la République ; tel est donc le cas des étrangers communautaires établis dans les territoires d'outre-mer, que ce soit en Polynésie française, où ils sont certainement plus nombreux, ou à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il faut que la loi s'applique partout. C'est un principe républicain qui, si je vous suivais, pourrait être quelque peu mis à mal. J'en appelle à la sagesse de la Haute Assemblée. Au moment où il y a une certaine crise de l'identité nationale, mais qui doit beaucoup à l'impéritie, au maniement superficiel de certains concepts, il convient de revenir aux sources, d'affirmer clairement quelques principes simples. En effet, c'est ainsi que nous donnerons confiance à nos concitoyens et que nous leur permettrons d'aborder l'avenir avec le sentiment qu'ils vivent non pas dans une espèce de société d'Ancien Régime sans principes - encore que l'Ancien Régime était fondé sur le droit divin, ce qui justifiait tout - mais dans une société républicaine où, en définitive, la souveraineté nationale est le fondement de tout pouvoir.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 10.
M. Guy Allouche. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur Millaud, comme vous nous manquerez le jour où vous ne serez plus là ! En effet, vous venez de faire un brillant plaidoyer. Hélas ! Nous le savons tous, les plus brillants plaidoyers n'obtiennent pas toujours gain de cause devant les juridictions, que ce soit en première instance, en appel ou en cassation.
Puisque vous avez évoqué la situation des fonctionnaires expatriés qui exercent en Polynésie française, permettez à un fonctionnaire rapatrié de s'exprimer. A notre connaissance, la Polynésie française a participé au référendum sur la ratification du traité de Maastricht : elle n'en a pas été écartée, elle y a participé normalement, démocratiquement, et, en votant pour ce traité, elle a approuvé la disposition concernée, en fait et en droit.
M. Daniel Millaud. C'est pour cela qu'il faut appliquer strictement le traité !
M. Guy Allouche. Si la Polynésie française n'était pas concernée par le référendum, elle n'aurait pas dû y participer car, dans ce cas, elle a faussé le résultat.
J'ajoute - M. le ministre l'a dit de façon diplomatique, mais je le serai bien moins - qu'il ne saurait y avoir d'Union européenne à géométrie variable. En effet, on ne peut frapper à la porte de l'Europe quand on y trouve son intérêt et la refermer dans le cas contraire.
Je veux être très clair. Je vous l'ai déjà indiqué et je le répéterai aussi souvent que cela sera nécessaire : je pense qu'il n'y a rien à craindre de cette disposition.
Mes chers collègues, nous délibérons aujourd'hui en présence de M. le ministre de l'intérieur, qui est aussi ministre des cultes. Tout à l'heure, lorsque vous avez évoqué le double vote, monsieur le rapporteur, vous m'avez remercié de la remarque que j'avais faite selon laquelle le juge constitutionnel tranchera. Vous parliez d'or.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Comme toujours !
M. Guy Allouche. Si je n'étais pas un laïc convaincu, je vous dirai : « Monsieur Fauchon, je vous bénis. »
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Allez toujours ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Acceptez donc ma bénédiction, monsieur Fauchon.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela n'a que plus de valeur !
M. Guy Allouche. S'agissant des territoires d'outre-mer, nous ne parvenons pas à nous départager. Le Gouvernement, l'Assemblée nationale, mes amis socialistes et moi-même considérons que cette disposition s'applique à la Polynésie française. La majorité sénatoriale, avec le brillant avocat qu'est notre collègue de la Polynésie française, M. Daniel Millaud, pense le contraire. Laissons, pour cette disposition aussi, le Conseil constitutionnel trancher. Aussi, il faut que cela figure dans la loi.
Or vous proposez que tel ne soit pas le cas. Si cela figure, le Conseil constitutionnel se prononcera et s'il déclare inconstitutionnelle cette disposition, M. Millaud aura eu raison et nous nous inclinerons.
Devrions-nous examiner un nouveau projet de loi organique qui viserait uniquement la Polynésie française ?
Mes chers collègues, je lance un appel à la raison : puisque nous ne parvenons pas à nous départager, remettons-nous-en au juge constitutionnel, qui dira effectivement si cette disposition s'applique à la Polynésie française.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Allouche, je ne suis pas sûr que votre démarche soit la mieux fondée en ce qui concerne l'intervention du Conseil constitutionnel : si le texte conserve la mention des territoires d'outre-mer, le Conseil constitutionnel pourra considérer qu'il n'a pas lieu de s'en saisir.
M. Philippe Richert. Evidemment !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. En effet, à supposer qu'il y ait un doute, nous l'aurions tranché de manière positive, ce qui relève du pur droit interne français, et le Conseil constitutionnel n'aurait donc pas à s'en mêler.
M. Philippe Richert. Tout à fait !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Si, au contraire, me semble-t-il, nous ne mentionnons pas les territoires d'outre-mer, le Conseil constitutionnel pourra soit considérer que les choses sont bien ainsi, soit émettre une réserve d'interprétation - il en a le droit - en déclarant que, de toute façon, le texte est applicable et qu'il n'était donc pas nécessaire de mentionner les territoires d'outre-mer.
Mais, ayant connaissance de nos délibérations, je suis sûr, surtout quand il nous lira l'un et l'autre, que le Conseil constitutionnel, devant l'absence de la mention des territoires d'outre-mer, tranchera le doute et dira s'il considère que, comme le pensent un certain nombre de juristes, le texte s'applique d'office ou, au contraire, qu'il ne s'applique pas. C'est à mon avis dans ce seul cas que le Conseil constitutionnel risque d'avoir à se prononcer sur la question.
Voilà peut-être une raison supplémentaire - mais il y en a déjà beaucoup d'autres - de voter cet amendement.
M. Philippe Richert. Tout à fait !
M. Daniel Millaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Millaud.
M. Daniel Millaud. Je souhaite d'abord indiquer à M. le ministre, au cas où il n'aurait pas lu le texte complet du traité, qu'un seul Etat membre, la Finlande, a précisé que cette directive s'appliquait aux îles Aland. Or ces dernières ne sont pas des territoires associés à l'Union européenne. Elles jouissent d'une situation tout à fait particulière, comme les îles Féroé, qui dépendent du Royaume du Danemark et où il n'y aura pas d'élections municipales.
Je vous rappelle également, monsieur le ministre, qu'un traité international s'applique dès qu'il a été ratifié, quelles que soient les dispositions constitutionnelles du droit interne. A cet égard, lisez donc le livre paru chez Masson !
Monsieur Allouche, s'agissant de l'application du traité de Rome aux territoires d'outre-mer, plusieurs arguments peuvent être avancés : le mensonge, l'incohérence, la mauvaise foi, la désinvolture, l'ignorance. Mais j'en évoquerai un autre pour parler de l'argent que nous donne l'Union européenne : l'escroquerie ! En effet, les droits de douane que nous perdons sont cinq fois plus élevés que l'inscription du Fonds européen de développement que nous devrions toucher, et que nous ne percevons pas même en totalité.
M. Philippe Richert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. J'avoue avoir été tout à fait convaincu par le plaidoyer de notre excellent collègue M. Daniel Millaud, auquel je veux rendre un hommage appuyé pour sa persévérance et pour sa très grande écoute, s'agissant de tous les dossiers concernant les territoires d'outre-mer. Nul ne connaît aussi bien que lui tous les dossiers et toutes les juridictions. Je lui fais donc confiance a priori.
Au-delà, je dirai à notre collègue M. Guy Allouche que la meilleure façon de donner au Conseil constitutionnel l'occasion de se prononcer sur le dossier, c'est de voter la disposition.
M. Guy Allouche me paraît donc pris à son propre jeu !
M. Guy Allouche. Pas du tout !
M. Philippe Richert. Il nous invite à donner l'occasion au Conseil constitutionnel de se prononcer. Donnons-la lui en adoptant cet amendement !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12, ainsi modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Intitulé du projet de loi organique