CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE
Discussion des conclusions du rapport
d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 413,
1996-1997) de MM. Claude Huriet, fait au nom de la commission des affaires
sociales sur la proposition de loi (n° 329, 1996-1997) de M. Charles Descours,
Claude Huriet, Maurice Blin, Guy Cabanel, Henri de Raincourt, Josselin de
Rohan, Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer,
Dominique Leclerc, Bernard Seillier et Jean-Pierre Fourcade relative au
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des
produits destinés à l'homme. [Avis n° 418 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant de vous
présenter le contenu de la proposition de loi que nous avons déposée, je
souhaite évoquer le constat qui nous a conduits à en prendre l'initiative. Ce
constat résulte des travaux de la mission d'information de la commission des
affaires sociales consacrée à la sécurité et à la veille sanitaires, qui ont
montré que les conditions de la veille et de la sécurité sanitaires, n'étaient
pas, aujourd'hui, garanties.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, les
présidents des groupes de la majorité sénatoriale et les sénateurs qui avaient
participé aux travaux de la mission d'information ont en effet estimé que le
rapport de la mission ne devait pas rester lettre morte et qu'il convenait de
transcrire en droit ses conclusions.
La santé des Français constitue, à nos yeux, une priorité et l'on ne pouvait
tarder à entreprendre une réforme, sauf à prendre le risque de voir se
reproduire des drames qui ont fortement marqué notre pays.
Cette proposition de loi aurait dû être discutée voici plusieurs mois, dans la
mesure où nous avions recueilli l'accord du précédent gouvernement sur toutes
les dispositions de la réforme de la sécurité sanitaire qu'elle visait à mettre
en oeuvre.
La dissolution de l'Assemblée nationale a interrompu nos travaux, et c'est
donc aujourd'hui seulement que nous sommes appelés à travailler sur cette
importante réforme.
Les circonstances ont changé, mais notre conviction reste aussi forte : une
réforme est urgente. Les dispositions de la proposition de loi sont les plus
adaptées, et mettent en place le système le plus efficace et le plus
lisible.
Votre présence, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, marque l'accord du
Gouvernement avec la philosophie qui inspire cette proposition. Parti d'une
option différente, le nouveau gouvernement a en effet, lui aussi, rejoint les
thèses sénatoriales. Je ne puis que m'en féliciter, car cet accord est gage de
la traduction prochaine de cette réforme dans notre droit positif.
Cet accord nous satisfait d'autant plus que notre proposition de loi vise à
organiser l'Etat en matière de sécurité sanitaire. L'exécutif étant au premier
chef concerné par la réforme, il importait donc particulièrement au
parlementaire que je suis qu'il en approuve l'architecture générale.
J'en viens maintenant à la présentation du constat établi par la commission
des affaires sociales et du contenu de la proposition de loi.
Le point de départ de notre réflexion a été la longue liste des drames
sanitaires qui ont affecté notre pays et le risque de voir cette liste
s'allonger encore dans les années qui viennent, si rien n'est fait.
Nous vivons dans un monde où, même si l'on se nourrit mieux que par le passé,
même si l'on se soigne mieux aussi, les risques technologiques sont importants
et peuvent très rapidement donner naissance à des accidents dont la diffusion
est très large, à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières.
Aussi, nous avons cherché à savoir si l'Etat disposait des moyens de prévenir
ces risques et de prendre les bonnes décisions, au bon moment, en cas
d'incident ou d'accident. La réponse a malheureusement été négative.
La sévérité du constat établi par le rapport de la commission des affaires
sociales ne doit pas masquer les importants efforts menés au cours des
dernières années, notamment avec la création des agences pour le médicament, le
sang et les greffes à laquelle le Sénat, avec vous, monsieur le secrétaire
d'Etat, a largement contribué, ni le fait que certains risques sont aujourd'hui
bien maîtrisés.
Mais trop de carences subsistent dans le dispositif pour que l'on puisse s'en
satisfaire.
Ainsi, en ce qui concerne les produits de santé, le système de contrôle
reposant sur plusieurs agences est un système vertical, qui fait peu de cas des
produits frontières et qui laisse à l'écart de nombreux biens de santé.
En outre, la législation applicable à certains biens de santé est
insuffisamment stricte : je pense en particulier à celle qui s'applique aux
dispositifs médicaux, plus précisément à ce que l'on appelle les biomatériaux,
qui ne prévoit pas de véritable évaluation de leur rapport bénéfices-risques.
Des dispositifs peuvent être mis sur le marché et implantés, aujourd'hui, sans
que l'on sache si le patient ne court pas des risques disproportionnés par
rapport au bénéfice attendu pour sa santé.
En outre, la séparation des fonctions de production et de contrôle n'est pas
toujours bien assurée, ce qui n'est pas satisfaisant en termes de sécurité
sanitaire.
En ce qui concerne les produits alimentaires, nous avons ainsi estimé que la
législation était perfectible, notamment pour qu'elle place la santé de l'homme
en tête de ses préoccupations.
En effet, à la différence des biens de santé où l'on peut accepter un certain
risque lorsque cette acceptation est indispensable au traitement, le risque
zéro doit être recherché pour les produits alimentaires, et il nous faut
adapter la législation afin qu'elle repose sur ce principe. L'Etat doit faire
en sorte que l'opinion publique n'ait pas à redouter des conflits de
préoccupations au sein des administrations chargées des contrôles. Enfin, notre
rapport d'information a examiné les conditions dans lesquelles était assurée la
fonction de veille sanitaire.
La veille sanitaire, c'est l'observation permanente de l'état de santé de la
population, la détection de tout événement qui l'altère et l'analyse rapide des
causes de cet événement.
La veille sanitaire, c'est aussi l'alerte donnée aux pouvoirs publics,
assortie de recommandations afin qu'ils puissent prendre les décisions
appropriées dans les meilleurs délais.
Cette fonction de veille sanitaire est donc indispensable pour se prémunir
contre de nouveaux drames, quelle qu'en soit l'origine. Convenablement assurée,
elle aurait permis d'éviter, par exemple, celui de l'amiante.
Dans notre pays, de multiples organismes, publics ou privés, assument à un
titre ou à un autre une fonction de veille. La création du réseau national de
santé publique, dans les années quatre-vingt-dix, a constitué un progrès ; mais
il est doté de moyens insuffisants et n'est effectivement chargé que de
l'épidémiologie. Or le champ de la veille dépasse largement celui de
l'épidémiologie.
Ainsi, le constat que nous avons dressé est sévère : ni la fonction de veille
sanitaire ni le contrôle des produits ne sont suffisamment bien assurés.
Nous n'avons pas voulu en rester là ; c'est pourquoi a été déposée la
proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Le texte de cette proposition de loi est ambitieux : il place la sécurité
sanitaire des Français au premier rang des préoccupations de l'Etat et il
couvre l'ensemble du champ de la sécurité sanitaire, du contrôle des produits à
la veille sanitaire. La réforme que ce texte tend à mettre en place est d'une
aussi grande ampleur que celle qui a conduit l'Etat, dans les années vingt, à
se doter d'un ministère chargé de la santé à partir du ministère de
l'intérieur, qui était chargé jusque-là de la police sanitaire.
Compte tenu des risques pour la santé humaine qu'induisent les bouleversements
technologiques, la production de masse et l'accroissement des échanges
internationaux, l'Etat doit se préoccuper de police sanitaire. Il doit aussi
s'organiser pour placer au premier plan une priorité nouvelle : la prévention
des risques sanitaires, quelle qu'en soit l'origine et quel qu'en soit le point
d'impact.
La sécurité sanitaire peut être mise en cause dans trois circonstances.
Premier cas, lorsqu'on a affaire à un mauvais produit ou à un produit
défectueux, il faut que l'Etat soit en mesure de détecter le risque inhérent à
ce produit afin, soit de refuser sa mise sur le marché si le produit est soumis
à autorisation - je pense, par exemple, aux biens de santé - soit d'en
interdire la commercialisation et l'usage.
Deuxième circonstance dans laquelle la sécurité sanitaire peut être mise en
jeu : on a affaire à un bon produit, mais qui est mal utilisé. C'est le rôle de
l'évaluation et de l'accréditation, avec la place que nous réservons dans notre
dispositif à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé,
l'ANAES.
Enfin, troisième cas : malgré la qualité d'un bon produit bien utilisé, un
incident ou un accident « non expliqué » survient, par exemple après la prise
d'un médicament ou l'implantation d'un dispositif médical dans des conditions
d'utiliation considérées comme normales. Pour rassembler l'information
concernant la survenue de ces incidents, l'Etat doit mettre en place des
systèmes de veille et de vigilance afin de pouvoir, en temps réel, adapter les
spécifications des autorisations de mise sur le marché.
La réforme que nous proposons vise à garantir la sécurité sanitaire dans ces
trois circonstances. Pour ce faire, l'Etat devra être capable d'assumer trois
missions : le contrôle des produits, l'évaluation des pratiques et la veille
sanitaire. La proposition de loi ne traite pas de l'évaluation des actes, qui
vient de faire l'objet d'une réforme avec l'institution de l'ANAES. A ce
propos, compte tenu de l'importance de l'accréditation, je souhaite, monsieur
le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement mette tout en oeuvre pour que l'ANAES
puisse bien fonctionner dans des délais rapides.
Le titre Ier de la proposition de loi crée l'Institut français de veille
sanitaire. Nous avions dénoncé, lors des travaux de la mission d'information,
les carences de la veille sanitaire. En effet, les travaux des multiples
organismes qui, à un titre ou à un autre, sont chargés de cette mission, ne
sont pas coordonnés. Dès lors, non seulement tout événement nouveau concernant
la santé de la population n'est pas systématiquement détecté, mais les pouvoirs
publics ne sont pas toujours alertés et ne disposent pas toujours des
recommandations appropriées pour intervenir de façon opportune. Cette carence
est grave, et seul un système de veille sanitaire performant peut aider l'Etat
à protéger la santé de nos concitoyens pour tous les produits non soumis à
autorisation de mise sur le marché.
L'Institut de veille sanitaire prévu par la proposition de loi sera un
établissement public placé sous la tutelle du ministre de la santé. Il devra
assumer une mission générale de veille, c'est-à-dire une mission beaucoup plus
large que celle qui est confiée aujourd'hui au RNSP, le réseau national de
santé publique. Grâce à un réseau de correspondants et au concours des services
de l'Etat, il devra détecter tout risque nouveau d'origine naturelle, iatrogène
ou technologique, alerter les pouvoirs publics et formuler des recommandations
afin qu'ils puissent prendre les bonnes mesures au bon moment.
Le titre II de la proposition de loi institue l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé. Depuis les années quatre-vingt-dix, des
agences spécialisées chargées du contrôle de certains produits de santé ont été
mises en place - je les évoquais voilà un instant - mais tous les produits de
santé ne sont pas couverts, et il est impératif de remédier aux inconvénients
d'un système trop cloisonné et aux méthodes de contrôle non unifiées. Aussi,
l'établissement public institué par la proposition de loi aura-t-il compétence
pour assurer le contrôle de tous les biens de santé ou qui revendiquent une
finalité sanitaire, ainsi que celui des produits cosmétiques.
La création de l'Agence des produits de santé aura, bien entendu, des
conséquences sur les institutions existantes qui seront fédérées en son sein :
je pense ici aux instances de contrôle des produits sanguins, qui agiront
désormais au nom de l'agence. Un Etablissement français du sang, pour sa part,
continuera à veiller à la stisfaction des besoins, à la bonne organisation de
la transfusion sanguine et à la qualité du service rendu.
Ce point est très important : si les produits sanguins doivent faire l'objet
d'un contrôle externe par le biais de l'Agence de sécurité sanitaire des
produits, il importe que la transfusion sanguine elle-même s'assure, en amont,
de la qualité de ses produits. De la même manière, les établisssements
pharmaceutiques ont un service qualité qui ne remplace pas, loin s'en faut,
l'inspection de l'Agence du médicament. L'Etablissement français des greffes a,
quant à lui, pour mission de s'assurer de la qualité des transplants et des
conditions de prélèvements.
En matière de produits de santé, nous ne nous intéressons pas seulement aux
institutions de contrôle ; ainsi, dans le titre consacré aux dispositions
diverses, nous adaptons les règles applicables à certains produits, tels que
les dispositifs médicaux, dont nous estimons qu'ils ne sont pas soumis à une
législation assez stricte.
Je voudrais maintenant aborder le titre III de la proposition de loi, qui
traite de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. Je l'ai déjà dit à
plusieurs reprises : la création de cette Agence ne correspond en aucune
manière à un acte de défiance à l'égard des services de contrôle de l'Etat,
qu'il s'agisse de ceux du ministère de l'agriculture ou de ceux du ministère de
l'économie et des finances. Ces services continueront d'ailleurs à assumer la
mission qui leur a été confiée.
L'Agence, pour sa part, aura pour mission de s'assurer de la qualité et de
l'indépendance des contrôles. Elle sera également chargée d'évaluer les risques
sanitaires des aliments sur toute la chaîne qui va de la production à la
consommation.
Elle s'intéressera aussi aux conditions d'utilisation des médicaments
vétérinaires, des antiparasitaires et des fertisisants, ou encore aux
conditionnements qui entrent en contact avec les aliments.
L'Agence pourra se saisir de toute question entrant dans ce champ de
compétences, faire procéder à toute analyse et formuler des recommandentations
publiques.
Enfin, le titre V de la proposition de loi institue un Conseil national de
sécurité sanitaire présidé par le Premier ministre. Il préparera les décisions
gouvernementrales en matière de prévention des risques sanitaires dans tous les
domaines. Il sera également investi d'une mission de gestion des crises.
Clef de voûte de la réforme, ce Conseil réunira les directeurs des
établissements publics de contrôle et de veille sanitaire ainsi que le ministre
de la santé et les ministres intéressés par le sujet traité : environnement,
industrie, etc.
Si la création de ce Conseil répond à un souci d'efficacité, elle est
également très symbolique de notre volonté de placer la sécurité sanitaire au
premier rang des préoccupations de l'Etat, en toutes ses décisions et dans tous
les domaines.
J'en viens maintenant à l'exposé des principales orientations de la commission
des affaires sociales et des quelques ajustements qu'elle propose. Nous avons
en effet estimé que la proposition de loi était bonne et que seuls quelques
ajustements de forme étaient nécessaires.
La commission a souhaité aller jusqu'au bout des orientations de la
proposition de loi en les développant sur deux ou trois sujets que j'aborderai
maintenant.
Concernant l'Institut de veille sanitaire, qui fait l'objet du titre Ier de la
proposition de loi, la commission n'a adopté aucune modification de fond dans
ses conclusions.
Dans le titre II, qui met en place l'Agence de sécurité sanitaire des produits
de santé, la commission a procédé à plusieurs aménagements purement techniques,
avec seulement deux modifications de fond, dont la première réside dans les
pouvoirs de police sanitaire. Les conclusions de la commission confient en
effet ces pouvoirs à l'Agence pour tous les produits entrant dans son champ de
compétence : l'Agence doit pouvoir suspendre ou interdire, dans l'intérêt de la
santé publique, la fabrication, l'importation ou la distribution de tout
produit susceptible d'être dangereux. Cette disposition nouvelle était
implicite dans le texte initial de la proposition de loi, l'Agence ayant le
pouvoir d'accorder toutes les autorisations concernant les produits de santé,
mais elle gagnera à être explicitée dans le texte.
La seconde modification de fond appelle des commentaires du même ordre. Par
rapport au texte initial de la proposition de loi, nous avons renforcé les
dispositions tendant à mieux garantir l'indépendance et la transparence des
travaux de l'Agence par rapport à l'industrie, en reprenant d'ailleurs un
système de déclarations d'intérêt qui s'applique déjà à l'Agence du médicament,
ce dont, personnellement, je me suis d'ailleurs réjoui.
Le titre III de la proposition de loi crée une Agence de sécurité sanitaire
des aliments, chargée d'évaluer les risques sanitaires des aliments et, donc,
de contribuer à garantir leur sécurité sanitaire. Si la proposition de loi n'a
pas doté cette Agence d'une inspection - il en existe déjà une au sein du
ministère de l'agriculture et une autre à la direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et elles font
bien leur travail - elle permet à l'Agence de diligenter les services de
l'agriculture et de la DGCCRF, d'être informée des résultats des enquêtes, de
veiller à la bonne organisation des contrôles et à leur qualité et, si cela
devient nécessaire, de rendre publiques ses recommandations.
La commission n'a pas souhaité modifier ces dispositions du texte initial.
Elle a seulement précisé que cette Agence participerait à l'application de la
législation concernant les allégations santé des aliments. Elle a aussi voulu
aller au bout de la logique définie par la proposition de loi en matière de
médicament vétérinaire.
En effet, la proposition de loi prévoit que l'Agence de sécurité sanitaire des
aliments sera chargée d'évaluer les risques que comportent les médicaments
vétérinaires pour l'alimentation humaine. C'est pourquoi elle a estimé qu'il
serait déraisonnable d'opter en faveur du
statu quo
, c'est-à-dire de
maintenir le système actuel fondé sur une Agence du médicament vétérinaire
instituée comme un service du Centre national d'études vétérinaires et
alimentaires, le CNEVA, celui-ci ayant de surcroît des missions identiques à
une partie des missions de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. La
commission a affirmé - c'est une position de principe qui sous-tend l'ensemble
de la proposition de loi - qu'il faut mettre un terme à la dispersion des
moyens, cesser de confier à de multiples organismes le soin d'accomplir des
tâches souvent identiques nécessitant de recourir à des procédures de
coordination complexe. C'est pourquoi elle vous propose que l'Agence de
sécurité des aliments soit également chargée du médicament vétérinaire, et elle
soutiendra l'amendement de MM. Vasselle et Descours tendant à transférer les
missions et les moyens du CNEVA à l'Agence de sécurité sanitaire des
aliments.
Concernant le Conseil national de sécurité sanitaire créé par le titre IV de
la proposition de loi, qui doit préparer le travail intergouvernemental en
matière de politique sanitaire, la commission n'a apporté au texte initial
aucune modification autre que rédactionnelle.
Dans le titre V consacré à des dispositions diverses, notamment sur
l'organisation de la transfusion sanguine et des greffes, la commission
suggère, conformément à la logique tracée par la proposition de loi, de séparer
l'activité de planification, de promotion du don et de gestion confiée à un
Etablissement français du sang et à l'Etablissement français des greffes de
l'activité de contrôle et de police sanitaire, telle que je l'ai évoquée
précédemment. Cela nous a conduits à simplifier le régime d'autorisation prévu
par la proposition de loi. Parmi les dispositions diverses, elle propose en
outre d'unifier, comme nous l'avions déjà souhaité au Sénat, les procédures
d'autorisation en matière de thérapies génique et cellulaire en regroupant les
quelques compétences qui demeuraient au sein du ministère de la santé dans
l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé.
Le Gouvernement, vous le savez, a retenu l'architecture générale de la
proposition de loi déposée par la majorité sénatoriale. Mais il souhaite
également amender très sensiblement le texte des conclusions de la commission
qui traite de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. Nous ne pourrons
retenir ces amendements, qui tendent à faire de l'Agence de sécurité sanitaire
des aliments une coquille vide, un simple club d'experts. Nous ne pourrons
accepter de cautionner une réforme en trompe-l'oeil qui ferait croire aux
Français que tout a changé en matière de sécurité des aliments, alors que rien
n'aurait changé.
Nous devons nous préoccuper exclusivement de l'intérêt de la santé de nos
concitoyens.
Dans l'intérêt de la protection de leur santé, les Français attendent de nous
que nous mettions en place un système cohérent, efficace, transparent, en un
mot moderne, qui garantisse mieux la sécurité sanitaire de tous les produits
qu'ils consomment dans leur vie quotidienne.
Je suis confiant dans l'issue du débat ; même si notre combat n'est pas encore
gagné, l'idée de la nécessité de la réforme que nous proposons est maintenant
dans tous les esprits. C'est un mouvement que nul ne peut arrêter désormais.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées socialistes et du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Gérard César,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les conclusions adoptées par la commission des affaires sociales
portent sur la proposition de loi n° 329 relative au renforcement de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à
l'homme. Cette proposition de loi, présentée par MM. Charles Descours, Claude
Huriet et plusieurs de nos collègues, a pour objet de donner un prolongement
législatif aux conclusions de la mission d'information de la commission des
affaires sociales.
La commission des affaires économiques a souhaité se saisir pour avis non pas
de l'ensemble de ce texte, dans lequel la plupart des mesures ont trait à la
santé et ont fait l'objet d'une minutieuse analyse par la commission des
affaires sociales, mais uniquement des dispositions relatives à la création
d'une Agence de sécurité sanitaire des aliments. En effet, la mise en place de
cet établissement public, en raison de ses compétences en matière alimentaire,
concerne directement l'agriculture et l'industrie agroalimentaire.
L'état des lieux réalisé par la mission d'information de la commission des
affaires sociales a montré que « la multiplication des structures, la confusion
des missions de contrôle et de gestion, la complexité de l'organisation,
l'insuffisance de la réglementation et la dispersion des travaux nuisent à
l'efficacité de l'organisation de sécurité et de veille sanitaire en France
».
Au terme de ce constat, la commission des affaires sociales a formulé des
propositions destinées à réformer l'action de l'Etat en matière sanitaire.
Cette réforme qui, selon votre rapporteur, présente un caractère d'urgence, a
pour ambition d'améliorer les structures administratives chargées du contrôle
des produits et de la veille sanitaire et de leur donner les moyens législatifs
d'assumer pleinement leur mission afin que la sécurité sanitaire soit mieux
garantie.
Je tiens tout d'abord à saluer la qualité du travail accompli par la
commission des affaires sociales dans son ensemble, et par la mission
d'information en particulier.
Madame, monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez, l'attente des
consommateurs en matière de sécurité alimentaire est renforcée dans un contexte
de mondialisation des échanges agricoles. On constate sur ce point, comme le
soulignait notre collègue M. Marcel Deneux dans son excellent rapport sur le
projet de loi relatif à la qualité sanitaire des denrées, un besoin de
bénéficier, en France et en Europe, d'un système alternatif rénové et d'un
dispositif de contrôle efficace.
Je souhaite que ce texte, dont le rapporteur est M. Deneux, puisse être
examiné par le Sénat dans les prochaines semaines, car il complétera utilement
ce dispositif et permettra de mieux comprendre les débats que nous aurons plus
tard.
Rappelons qu'aujourd'hui le contrôle des produits alimentaires par l'Etat est
assuré par plusieurs services : directions départementales de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de l'économie,
des finances et de l'industrie, directions départementales des affaires
sanitaires et sociales du ministère du travail, de l'emploi et de la
solidarité, services vétérinaires des directions départementales de
l'agriculture du ministère de l'agriculture et de la pêche.
Je profite de cette occasion pour souligner la qualité, la multiplicité et la
difficulté des missions de contrôle effectuées par le ministère de
l'agriculture et de la pêche. Il suffit pour cela de rappeler le bilan de
l'action des services vétérinaires du ministère de l'agriculture durant l'été
1997, qui figure dans mon rapport.
Répondant à un souci d'exhaustivité en matière de sécurité sanitaire, et je
m'en félicite, la réforme proposée ne vise pas à faire table rase de
l'existant, mais utilise les compétences et les structures actuelles des
administrations sanitaires et se fonde sur la législation en vigueur afin d'en
accroître les performances. Je considère que la création d'un système de
contrôle identique pour le médicament et pour les produits alimentaires aurait
conduit à un inévitable échec : l'histoire différente de ce deux catégories de
produits, leur spécificité tant dans leur finalité que dans leur production et
les techniques de contrôle rendent nécessaire la distinction entre produits de
santé et produits alimentaires.
Le texte de la commission des affaires sociales prévoit la création de quatre
organismes : un Institut de veille sanitaire, une Agence de sécurité sanitaire
des produits de santé, un Conseil national de sécurité sanitaire et une Agence
de sécurité sanitaire des aliments.
Créée par le titre III, l'Agence de sécurité sanitaire des aliments sera un
établissement public de l'Etat placé sous la tutelle des ministres chargés de
la santé, de l'agriculture et de la consommation. Elle aura pour mission
d'évaluer les risques sanitaires des produits alimentaires, depuis la
production des matières premières jusqu'à leur distribution au consommateur
final.
C'est sur ces dispositons que je vous propose de rendre un avis.
La commission des affaires économiques n'a pas fait porter son avis sur les
dispositions des titres Ier, II, IV et V de ce texte, qui relèvent du domaine
de la santé et que la commission des affaires sociales a longuement analysées.
Elle a, en revanche, examiné les dispositions du titre III, relatif à l'Agence
de sécurité sanitaire des aliments.
La commission des affaires économiques se félicite de la solution retenue par
la commission des affaires sociales. En effet, si la création d'une Agence
unique contrôlant à la fois les produits de santé et les produits alimentaires
pouvait apparaître comme une solution intellectuellement séduisante, celle-ci
serait source de nombreuses difficultés en raison de la spécificité des deux
types de produits.
En ce qui concerne les produits alimentaires, il n'est donc pas question
d'introduire des autorisations de mise sur le marché. Consciente que notre
législation semble paradoxalement plus orientée vers la protection de l'animal
que vers celle de la santé de l'homme, et que l'évaluation des risques et la
veille sanitaire sont insuffisantes, la commission des affaires économiques
approuve sans réserve la création d'une Agence de sécurité sanitaire des
aliments.
La commission des affaires économiques estime opportun de ne pas confier à cet
organisme les missions de contrôle « au lieu et place » des services du
ministère de l'agriculture et des autres ministères.
Ainsi, chaque ministère conserve son autorité de police. Cette solution est
d'autant plus justifiée qu'au sein du ministère de l'agriculture deux réformes
importantes ont été enteprises au cours des derniers mois : d'une part, la
séparation nette entre les activités de production et les activités de contrôle
; d'autre part, « la mise sous assurance qualité » de la direction générale de
l'alimentation.
Je souhaite cependant demander à nos collègues de la commission des affaires
sociales et au Gouvernement de préciser la signification du 8e alinéa de
l'article L. 794-2, qui précise que l'Agence « veille à la bonne organisation
et à la qualité des études et des contrôles sanitaires effectués par les
services compétents de l'Etat ».
Il ne faudrait pas que cette mesure contribue à accroître certaines lourdeurs
administratives préjudiciables tant en matière de santé publique que sur le
plan économique. Toutefois, la commission des affaires économiques ne vous
proposera pas d'amender cette mesure afin d'éviter d'ouvrir à nouveau un débat
qui est aujourd'hui tranché : celui du maintien des prérogatives des services
vétérinaires, qui remplissent parfaitement leur mission.
Par ailleurs, tout en ayant conscience des avancées importantes qu'apporte ce
texte en matière de sécurité sanitaire et des modifications retenues par la
commission des affaires sociales, je m'interroge néanmoins sur l'opportunité de
faire de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments l'autorité compétente en
matière de médicament vétérinaire. La commission des affaires sociales a
souhaité, dans un souci de simplification administrative, réunir plusieurs
fonctions au sein de cette nouvelle entité.
La commission des affaires économiques vous propose, au contraire, de
maintenir en l'état l'Agence nationale du médicament vétérinaire, et ce pour
quatre raisons que je vous développerai lors de l'examen des amendements. Je
souhaite néanmoins dès à présent vous les indiquer brièvement.
Tout d'abord, la spécificité du médicament vétérinaire nécessite le maintien
d'un établissement adapté, et ce d'autant plus que la législation en la matière
est surtout communautaire.
Ensuite, l'intégration de l'Agence nationale du médicament vétérinaire dans un
nouvel organisme risque d'accroître les délais de mise sur le marché des
produits vétérinaires, alors que ce délai est actuellement en Europe quatre
fois supérieur à celui des Etats-Unis.
Par ailleurs, intégrer dans l'Agence de sécurité sanitaire des aliments la
seule Agence nationale du médicament vétérinaire en invoquant le problème des
résidus est une démarche soit incomplète, soit inopportune. En effet, le risque
posé par les résidus concerne un grand nombre de produits, par exemple les
phytosanitaires... Pourquoi, dès lors, se limiter aux seuls médicaments
vétérinaires et ne pas intégrer dans la nouvelle Agence l'ensemble des
prérogatives concernant tous ces produits ?
Enfin, les animaux de compagnie représentent près d'un tiers du marché du
médicament vétérinaire. Ce pourcentage est d'ailleurs en constante progression.
Placer les produits destinés à ces animaux dans une logique de sécurité
alimentaire conduirait à des contresens préjudiciables à l'économie générale de
la réforme.
Sous réserve des amendements que nous allons examiner, je vous propose de
donner un avis favorable sur le texte adopté par la commission des affaires
sociales.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé, auprès du ministre de l'emploi et de la
solidarité.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, « risque » est un mot superbe ! Il n'y a et il n'y
aura jamais de risque zéro, sauf dans la mort. Et ce n'est sans doute pas
souhaitable. Mais nous parlons ici d'autre chose : nous parlons de la vie, nous
parlons du soin, nous parlons de la santé.
Qui aurait dit en cette soirée du 16 décembre 1992 qu'il nous serait donné,
cinq ans plus tard, d'aborder à nouveau ensemble les difficiles récifs de la
sécurité sanitaire ? Nous étions, vous vous en souvenez, sous le choc du drame
du sang contaminé ; le Gouvernement proposait à la représentation nationale de
réorganiser l'Etat dans ses fonctions de contrôle de la transfusion
sanguine.
Votre assemblée contribua de manière décisive à ce que le texte qui devait
devenir la première loi de sécurité sanitaire embrasse non seulement le secteur
de la transfusion sanguine, mais également celui du médicament. Je me souviens
des débats qui se tinrent dans cette enceinte, graves et mesurés, expression
d'une représentation nationale hantée par le sort des hémophiles et des
transfusés. Pour que cela ne soit plus jamais possible. Cette détermination
unissait l'ensemble d'entre vous.
Cinq ans plus tard, il nous appartient de compléter l'édifice de 1992, de
franchir une nouvelle étape pour la prise en charge du risque sanitaire dans
notre pays.
Il faut s'interroger sur les motifs et les conséquences de l'éclosion de la
notion de sécurité sanitaire en cette fin de XXe siècle. Le risque sanitaire
n'est pas nouveau, l'accident thérapeutique est aussi ancien que la médecine,
le
primum non nocere
que le serment d'Hippocrate. Notre société, qui a
récemment appris à vivre sans guerre, forme son cortège de victimes à la vie
courante : 60 000 morts par le tabac chaque année, 12 000 suicides, 8 000
victimes d'accidents de la route, 1 200 décès par homicide, sans oublier les
victimes du sport ou des accidents domestiques.
Le secteur de la santé n'échappe pas à la prise de risque, tout au contraire.
D'une médecine essentiellement palliative reposant sur des connaissances
éparses et disposant de moyens thérapeutiques modestes, mais peu susceptibles
d'entraîner d'effets iatrogènes graves, nous sommes en quelques décennies
passées à une science capable des investigations diagnostiques les plus fines,
en particulier grâce aux progrès de l'imagerie médicale et aux procédés de
numérisation.
Mais elle est aussi capable de traiter plus vite, avec plus de confort et plus
complètement des affections toujours plus nombreuses ou d'en prévenir
l'éclosion.
L'activité médicale est plus que jamais une activité à risques. Sa légitimité
et son honneur tiennent à ce que les risques qu'elle fait supporter le soient à
bon escient, sur un fondement rationnel et parce que les bénéfices qui en sont
attendus le justifient.
Exigence éthique, impératif moral, certes, et pourtant : combien d'infections
nosocomiales pourraient encore être évitées, combien d'effets indésirables de
produits thérapeutiques, d'accidents chirurgicaux - l'actualité nous le
rappelle - combien d'erreurs médicales pourraient être évités ? Telle est
fondamentalement la question qui nous réunit aujourd'hui. Tel est l'objectif de
ce débat, la motivation de cette proposition de loi : réduire le risque
sanitaire.
Il n'est, chacun le sait, pas de vie sans risque. Il n'existe pas plus de
société sans risque. Elle serait fade, elle serait vide. Mais le risque que nos
sociétés recèle, nous devons l'appréciser à l'aune de notre liberté.
Aux risques sportifs, routiers ou tabagiques - acceptés sinon revendiqués
comme un choix de vie et qu'il convient sans doute de comprendre et de
respecter dès lors qu'ils mettent en péril non pas la vie d'autrui, mais la
sienne propre - répondent les risques inacceptables subis à l'école, au travail
ou à l'hôpital.
Le risque sanitaire est certainement le moins bien accepté, le plus
difficilement admis.
Ce n'est pas parce que le risque est inacceptable - chacun sait, encore une
fois, que le risque zéro est illusoire en médecine - mais parce que nuire en
matière médicale, c'est manquer à ses engagements, faillir à sa mission.
L'insécurité sanitaire sape les fondements de l'art médical et dénature le
système de santé.
Le drame de la transfusion sanguine fait planer une suspicion de faute sur
tous les dysfonctionnements de la société médicale. Certes, les méthodes de
gestion, de fonctionnement et d'organisation de la transfusion sanguine dans
les années qui ont précédé le drame de la contamination du sang par le virus du
sida montrent bien à quelles aberrations un système perverti et sans contrôle
de l'Etat peut mener un pan entier du système de santé.
Mais incriminer le « système de santé » comme forme d'organisation
impersonnelle et anonyme ne doit pas faire oublier la responsabilité proprement
médicale dans cette affaire : elle fut, inutile de l'omettre, déterminante.
Dans une telle tragédie, « l'éthique de responsabilité » devait avoir droit de
cité. Plus récemment, les drames de l'hormone de croissance, de l'amiante -
oui, monsieur le rapporteur - et de la vache folle ont accru encore la défiance
dans les systèmes de santé publique et, partant, les exigences envers
l'Etat.
Des risques, il y en aura d'autres, mesdames, messieurs les sénateurs, que
nous ne connaissons pas, même si nous les pressentons. Ces risques, nous
souhaitons les réduire.
L'évolution de la science et des procédés thérapeutiques a, parallèlement et
paradoxalement, redoublé les craintes que pouvait nourrir l'opinion publique.
Le risque médical n'est plus un risque isolé, fruit du colloque singulier entre
le médecin et le malade. Le recours à des technologies de plus en plus
sophistiquées, la diffusion de produits thérapeutiques de masse, l'intégration
de la prise en charge du patient dans une véritable chaîne médico-technique ont
fait apparaître des risques nouveaux que les experts qualifient du mot
technocratique de « sériels » ; cela veut dire qu'ils agissent par séries. Une
valve cardiaque mal conçue peut, on l'a vu - vous vous souvenez de cette
affaire récente - affecter des milliers de malades, une recommandation
thérapeutique erronée aussi.
Pensons à la mort subite du nourrisson. Notre intervention au début de l'année
1993 a permis de réduire de plus de 50 % la mortalité des nourrissons,
mortalité due à des recommandations thérapeutiqes erronées. Qui sait d'ailleurs
si les recommandations thérapeutiques qui leur succèdent ne sont pas, elles
aussi, discutables ? C'est comme cela !
Dans le même temps sont apparus les risques nouveaux induits par l'évolution
des techniques ou des pratiques - encore une fois d'actualité, hélas ! -
manipulations génétiques, résistances aux antibiotiques ou aux trithérapies. Le
risque se dissimule, se transforme, se renouvelle et paraît prêt à surprendre
en permanence notre vigilance.
Le renforcement des dispositifs de surveillance épidémiologique comme
l'amélioration des connaissances biologiques, toxicologiques ou génétiques vont
bouleverser dans les années à venir notre perception de nombreuses activités en
révélant des risques préexistants, mais jusqu'alors indétectables. Je pense en
particulier aux effets des faibles doses, aux risques lents ou à l'évaluation
des risques que permettra la médecine prédictive.
Dans le domaine alimentaire, la lecture du rapport de la mission d'information
de l'Assemblée nationale - de la « vache folle » à la « vache émissaire » - a
regretté un certain manque d'anticipation en matière d'évaluation et de suivi
des risques.
Le rapport de la mission d'information de la commission des affaires sociales
du Sénat - intitulé : « Renforcer la sécurité sanitaire en France » - a
souligné notre connaissance imparfaite des risques liés à l'alimentation et le
cadre réglementaire trop lâche en matière de sécurité alimentaire.
Avec l'encéphalopathie spongiforme bovine, nous entrons dans un nouveau champ
de l'épidémiologie infectieuse. Nous ne disposons d'aucun cadre de référence
nous permettant d'évaluer le risque. La gestion du risque en santé publique en
est rendue d'autant plus malaisée. Elle doit d'autant plus reposer sur le
principe de précaution, sur lequel je reviendrai.
M. Charles Descours.
Très bien !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Dans l'affaire de la vache folle, si le risque de
transmission de l'encéphalopathie spongiforme bovine apparaît à ce jour très
faible pour la population française - je rappelle qu'il n'existe qu'un seul cas
authentifié sur la sol national - il ne semble pas niable que la prise en
considération du risque, son évaluation et les premières décisions correctrices
auraient pu, en Europe, être réalisées avec plus de rapidité encore, pour peu
qu'une organisation adaptée ait existé.
Comment notre société confrontée à cette évolution réagira-t-elle ? L'homme,
face au risque, choisit entre trois attitudes.
Il peut le magnifier. C'est le ressort des sociétés guerrières, c'est le
fondement des activités qui se veulent extrêmes : sport, tourisme, conduite
automobile conçus comme des défis permanents. Le risque est considéré comme
preuve de la vie, de son intensité, parfois sans souci du lendemain ou des
autres, risque qu'il faut saluer quand il est pris au service des autres et
d'un idéal.
L'homme peut le refuser. C'est la tentation de déserter et de se réfugier dans
un inaccessible cocon. C'est, en matière médicale, le formulaire de décharge
systématiquement proposé aux patients, le refus de tenter une opération
difficile ou de mettre à disposition un médicament prometteur mais aux effets
indésirables importants. Et l'on touche là à la noblesse de ce métier :
l'éternelle balance des bénéfices et des risques.
L'homme peut enfin prendre en charge le risque, c'est-à-dire admettre son
existence et tenter de le réduire, de l'endiguer autant qu'il est possible.
Tel est le principe qui sous-tend la proposition de loi sénatoriale, tel est
le choix du Gouvernement. La sécurité sanitaire est l'affaire de tous ; elle
repose fondamentalement sur l'information et l'action des patients, des
professionnels de santé et des pouvoirs publics. Elle est le fruit d'une
organisation collective et d'une méthode exigeante.
Les travaux que vous avez conduits dans le cadre de la mission parlementaire
sur la sécurité sanitaire, comme l'a fait l'Assemblée nationale sur la sécurité
alimentaire, permettent de disposer d'une analyse approfondie, précise et
constructive des failles qui existent encore dans notre système de santé
publique et des efforts à faire pour les combler.
C'est pourquoi le Gouvernement se réjouit qu'une proposition de loi puisse
donner naissance, dans le cadre d'un travail confiant et nourri entre le
Parlement et le pouvoir exécutif, à une étape nouvelle pour notre système de
protection de la santé publique. Elle permettra de définir le cadre
institutionnel chargé d'assurer la fonction régalienne de la sécurité sanitaire
et de préciser le contenu de l'obligation de moyens qui pèse sur l'Etat.
Il existe en effet, depuis quelques années, une évolution considérable des
esprits sur la place que doit occuper l'Etat dans le règlement des problèmes
touchant à la sécurité des actes et des produits de santé, qu'ils soient mis en
oeuvre dans un but préventif, thérapeutique ou diagnostic.
Une plus grande intervention de l'Etat est demandée par nos concitoyens, la
liberté traditionnelle de la pratique médicale dût-elle en souffrir
légèrement.
Notre pays a besoin, après la loi du 4 janvier 1993, d'une seconde grande loi
de sécurité sanitaire.
Quels sont les objectifs de la présente loi ?
Du talc Morhange à la vache folle, du distilbène à l'amiante, de la
thalidomide à la transfusion sanguine, des infections par le xénopi à la
listériose, l'histoire comme l'actualité sanitaires de notre pays nous
apprennent que le risque est multiforme, que l'ingéniosité du prochain virus ou
les révélations à venir de la biologie moléculaire pourront toujours nous
surprendre. Elles nous apprennent aussi qu'entre le drame et l'inaccessible
risque zéro dont je parlais, il y a place pour une politique déterminée et
rigoureuse de réduction des risques sanitaires : il y a place pour la sécurité
sanitaire. Il s'agit d'une politique dont les quatre points cardinaux sont la
compétence, la précaution, la transparence et l'indépendance.
Considérons la compétence tout d'abord.
La sécurité sanitaire commence par une méthode de surveillance, d'analyse de
risque et d'intervention.
Il incombe aux pouvoirs publics de s'organiser pour que la collectivité
bénéficie de la vigilance et des compétences de tous : professionnels de santé,
experts, patients. Aux pouvoirs publics de définir les règles, de mettre en
oeuvre les systèmes d'information, de mettre en place les services publics
nécessaires à la politique de sécurité sanitaire. La réforme de 1993 nous a
fait franchir cette première étape.
A des administrations sinistrées, mal organisées et poursuivant des objectifs
divergents ont été substituées des structures de police sanitaire
cohérentes.
Les systèmes d'évaluation, de vigilance et de contrôle ont été restructurés ou
mis en place en matière de médicaments, de réactifs de laboratoires, de
produits sanguins et de greffes.
Mieux, le système établi en 1993 a montré qu'une autorité de police compétente
pour l'ensemble de la chaîne médico-technique des produits et bénéficiant du
concours de la communauté médicale et scientifique française peut se hisser au
premier rang européen, voire mondial, comme l'a prouvé l'actualité récente. Je
pense aux anorexigènes, à notre réaction précoce dénuée de toute autre
considération que celle de la protection des patients.
C'est sur la base de cette expérience que doit être élaboré le nouveau
dispositif prévu par la proposition de loi, comme l'a d'ailleurs proposé votre
commission.
Quant à l'esprit de précaution, pour reprendre les termes que j'avais utilisés
devant vous en 1992, il doit permettre de concilier la plus haute compétence et
la rapidité d'intervention.
Les techniques nouvelles foisonnent, les nouveaux produits ou procédés se
multiplient, les virus mutent, les bactéries et microbes développent de
nouvelles caractéristiques.
Face aux risques changeants, mal connus ou inconnus, l'attitude à adopter ne
peut être que la précaution. Mais cette précaution ne peut conduire à
l'abstention. La sécurité sanitaire doit concilier l'accès précoce aux
thérapeutiques nouvelles et la réduction des risques. L'équilibre est difficile
à assurer entre la volonté de faire bénéficier les malades de pratiques
chirurgicales innovantes, par exemple des thérapies géniques ou des
trithérapies, et la nécessité de disposer des connaissances nécessaires pour
garantir leur sécurité.
L'esprit de précaution doit conduire à interdire une activité ou un produit
lorsque le rapport entre les bénéfices et les risques n'est pas favorable, et
non à s'abstenir parce qu'il y a risque. L'anesthésie comporte toujours un
risque résiduel, la vaccination des effets indésirables et l'hospitalisation
une probabilité d'infection nosocomiale. On ne doit pas pour autant les
interdire.
L'objectif difficile de la sécurité sanitaire est d'intervenir chaque fois que
le rapport bénéfices-risques est défavorable ou le devient.
La notion de rapport bénéfices-risques est elle-même profondément évolutive ;
une technique ou un produit nouveau, la conclusion d'une étude scientifique
inédite peuvent, du jour au lendemain, inverser ce rapport.
Pour ce qui est de la transparence, le secret est le pire ennemi de la
sécurité sanitaire. Le drame de la transfusion sanguine s'est joué dans le
monde fermé du Centre national de transfusion sanguine. La crise de la vache
folle dans le huis clos des abattoirs et des cercles spécialisés
britanniques.
Le débat contradictoire, la confrontation des expertises et la transparence
des procédures sont autant de chances d'identifier le risque, de l'analyser
rationnellement et de réagir sans délais.
Ce souci anime les dispositions de la proposition prévoyant l'organisation
d'une expertise interne au service public d'évaluation et sa confrontation avec
l'expertise externe de la communauté médicale et scientifique. Les dispositions
garantissant la publicité des conclusions des travaux des autorités sanitaires
et des décisions prises vont dans le même sens.
L'insertion du dispositif de sécurité sanitaire français dans une Europe de la
santé à venir que nous appelons de nos voeux, comme dans les systèmes
internationaux d'alerte sanitaire, ne peut que renforcer son efficacité et
favoriser la confrontation des expériences, des inquiétudes et des
propositions.
Enfin, j'en viens à l'indépendance.
La rigueur déontologique est une condition
sine qua non
de l'efficacité
et de la crédibilité des autorités sanitaires. Elle s'impose, mais elle ne va
pas de soi. L'autorité de police sanitaire remet en cause par son action des
habitudes, des intérêts, des pouvoirs, et cela en permanence.
Souvenons-nous des réticences suscitées par l'instauration de règles de
protection des personnes dans les recherches biomédicales. La loi
Huriet-Sérusclat inquiétait, quand elle se bornait à poser les bases d'un
contrôle éthique et sanitaire des essais sur l'homme.
Comment ne pas évoquer aussi le bruit et la fureur qui ont entouré la
naissance de l'Agence du médicament ? Comme si la naissance d'une autorité de
police sanitaire forte dérangeait ! Comme si d'ailleurs la vente de notre
production nationale en général n'était pas renforcée par la sécurité !
Cette indépendance doit se concrétiser par l'existence d'un service public
totalement dégagé des intérêts économiques du secteur et reposant sur des
départements composés de fonctionnaires et de contractuels consacrant
l'intégralité de leur activité à leurs missions d'Etat. J'en profite pour
saluer les personnels du ministère de la santé et des agences - et je n'opère
pas de distinction entre eux, les agences dépendant du ministère de la santé -
qui ont, en l'espace de quelques années, transformé le paysage sanitaire
français et construit, dans les domaines qui leur ont été confiés, un
dispositif remarquable et reconnu.
Deuxième élément de cette indépendance : la définition de règles strictes pour
les experts, externes à l'administration, qui collaborent à ses travaux.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui généralise, comme l'a
souligné votre rapporteur, le système déontologique élaboré par le directeur
général de l'Agence du médicament et appliqué par l'établissement depuis sa
création. J'ajoute que cet établissement vient de mettre en place une cellule
de veille déontologique dirigée par un magistrat afin de renforcer encore
l'efficacité de ces mesures.
Troisième condition de l'indépendance : la séparation des fonctions de police
et de développement dans tous les secteurs.
Le texte qui nous occupe pose avec fermeté ce principe et corrige en même
temps certaines imperfections de la loi de 1993, qui, par exemple, avait confié
à l'Agence française du sang des missions de développement de la transfusion
sanguine elle-même, à savoir la planification, la restructuration, le
financement, et des compétences de police des produits.
Pour légitimes et importantes que soient ces fonctions d'encouragement et de
promotion d'un secteur, qu'elles soient exercées par l'Etat ou par un organisme
public, il est essentiel que l'autorité chargée du contrôle, surtout dans le
domaine sanitaire, ne soit pas encline à des compromis pour favoriser son
développement.
Le mélange des genres a trop souvent été à l'origine des drames sanitaires
qu'a connus notre pays.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
J'en viens au dispositif législatif.
Le Gouvernement souhaite parvenir à un dispositif complet et cohérent en
matière de sécurité sanitaire en prenant comme base la proposition de loi
émanant de la commission des affaires sociales et qui vient de nous être
résumée excellemment par M. le rapporteur.
Il s'agit tout d'abord de disposer d'une institution de veille sanitaire
capable d'effectuer une surveillance de l'état de santé de la population afin
de détecter, dans les meilleurs délais - bien sûr, il sera toujours trop tard,
même si cette institution se trouve être, et je n'en doute pas, tout à fait
performante ! - l'apparition de menaces pour la santé humaine, puis, après
avoir procédé aux investigations indispensables, de proposer les mesures
nécessaires pour y répondre.
Le réseau national de la santé publique, créé en 1992, a été un précurseur. Il
a prouvé tout l'intérêt, pour la santé publique, de mettre en pratique les
techniques d'épidémiologie interventionnelle, tout particulièrement en matière
de maladies infectieuses transmissibles.
Il faut aujourd'hui aller plus loin et étendre ses champs d'intervention.
C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à la création d'un véritable
Institut de veille sanitaire. Au-delà de la surveillance des maladies
infectieuses, l'Institut de veille sanitaire sera capable de surveiller et de
mieux évaluer les risques sanitaires d'origine environnementale dus, en
particulier, aux nuisances physiques ou aux pollutions par les déchets
industriels et ménagers. Tous les jours nous en apportent des exemples. Il
devra également être en mesure de mieux surveiller et prévenir la morbidité et
la mortalité « non transmissibles », le cancer et les maladies
cardio-vasculaires étant deux domaines prioritaires.
Il aura également compétence pour le suivi des risques sanitaires d'origine
professionnelle, notamment par la mise en place des réseaux de surveillance
spécifiques, et je pense, bien sûr, monsieur le rapporteur, aux victimes de
l'amiante. Je suis persuadé que celles-ci auraient été beaucoup moins touchées
si le dispositif que nous allons mettre en oeuvre avait existé.
La population scolaire bénéficiera aussi d'une meilleure surveillance de son
état de santé : de la détection de carences nutritionnelles à celle des
maladies du dos, il y a tant à faire...
L'Institut de veille sanitaire constituera, en quelque sorte, le dispositif
miroir de celui qui est consacré à la vigilance sur les risques des produits
dont seront chargées les agences de sécurité sanitaire des produits.
Deuxième temps fort du projet : la mise en place d'une autorité de police des
produits de santé, cohérente et responsable de la sécurité des produits sur
l'ensemble de la chaîne médico-technique.
Elle disposera, à l'instar de l'Agence du médicament, qui en constituera le
socle, des compétences d'évaluation, d'inspection, de contrôle et de
vigilance.
Afin de garantir la rapidité des décisions de sécurité sanitaire, l'Agence
sera investie d'un pouvoir de suspension ou d'interdiction de toute activité de
fabrication et de distribution du produit ainsi que d'un pouvoir de retrait du
produit lui-même, en cas de danger pour la santé humaine.
Quant à l'Agence chargée de la sécurité sanitaire des produits alimentaires,
elle assurera l'évaluation des risques alimentaires pour l'homme, les missions
d'inspection et de contrôle ainsi que la gestion des décisions politiques
prises en la matière restant sous la responsabilité des ministères compétents.
Les problèmes soulevés par les produits alimentaires sont, en effet, d'un autre
ordre que ceux que posent les produits sanitaires.
L'institution d'une agence à forte capacité d'expertise, indépendante de toute
influence et hautement spécialisée, loin de constituer une réforme en
trompe-l'oeil - comme le craint le rapporteur de la commission des affaires
sociales de la Haute Assemblée - marquera une étape décisive pour la sécurité
alimentaire.
Le regroupement et le renforcement des moyens de veille et d'alerte dans le
domaine alimentaire, comme la transmission systématique des informations sur
les risques alimentaires, feront de cette nouvelle agence sanitaire un pôle
d'évaluation des risques et d'alerte sans précédent. L'ensemble nous placera
d'ailleurs en très bonne, voire en première position en Europe. Les avis et
recommandations de cette agence seront d'ailleurs rendus publics.
Au-delà des réformes structurelles, certaines dispositions revêtent à mes yeux
une importance particulière.
Ainsi, devraient se voir soumis à une procédure d'autorisation ou de
déclaration de nouveaux produits de santé non ou mal réglementés, tels que les
dispositifs médicaux à risques particuliers, les produits thérapeutiques
annexes et les produits de nutrition clinique.
Dans cet esprit, pour renforcer la sécurité des patients et des utilisateurs
de certains dispositifs - dispositifs implantables, dispositifs médicaux
incorporant des substances d'origine biologique -, un contrôle plus rigoureux
sera imposé avant leur mise sur le marché.
Un régime déclaratoire pourrait permettre d'atteindre nos objectifs de
sécurité sanitaire sans mettre la France en contradiction avec la
réglementation européenne qui prévoit la libre circulation des dispositifs
certifiés.
Les produits thérapeutiques annexes devraient être soumis à un régime
d'évaluation et de contrôle par l'Agence. Ces produits, tels les milieux de
culture ou de conservation, ne sont actuellement soumis à aucune règle
sanitaire obligatoire.
La vigilance en matière de produits de santé doit être affirmée clairement
comme l'une des missions de base des établissements de santé.
Leur participation pleine et entière à l'organisation et au fonctionnement du
système de vigilance - pharmacovigilance, hémovigilance, biovigilance,
réactovigilance - est indispensable, comme l'est leur mission dans la lutte
contre les infections nosocomiales.
A l'occasion de cette discussion, le Gouvernement proposera un amendement
donnant compétence aux établissements de santé pour conférer une base légale à
l'exercice de ces deux missions et garantir leur prise en compte au niveau
qu'appelle l'exigence de sécurité sanitaire, dans le cadre des procédures
budgétaires.
Le Gouvernement vous proposera également d'instaurer l'obligation de recueil
et de signalement des infections contractées à l'hôpital ; c'est là un
instrument indispensable au renforcement de la lutte contre les maladies
nosocomiales. Il y a, là aussi, trop de morts évitables. Je mettrai rapidement
en place un groupe de travail qui sera chargé de proposer les modalités
garantissant l'efficacité d'un dispositif donc chacun mesure l'importance. Je
demanderai également qu'on étudie sans tarder son extension à toutes les
catégories d'accidents médicaux. La sécurité sanitaire concerne non seulement
les produits, mais également toutes les activités médicales ; il convient que
ce texte les prenne en compte.
A l'issue de ce débat, la France disposera, j'en suis sûr, d'un système
complet de sécurité sanitaire. Le dispositif encadrera l'ensemble des risques
sanitaires et alimentaires : les produits avec les agences de sécurité
sanitaire et alimentaire, les activités et les structures au travers du système
de médicovigilance que le Gouvernement vous propose et l'intervention des ARH
et de l'ANAES comme des services de contrôle du ministère de la santé ; je
pense tout particulièrement aux DDASS et aux DRASS. Enfin, l'Institut de veille
sanitaire parachèvera le dispositif en assurant la surveillance des
maladies.
La loi permettra enfin à la France d'être le premier pays à donner un statut
aux produits thérapeutiques annexes, aux produits de nutrition clinique et à
disposer d'un statut complet pour les thérapies génique et cellulaire comme
pour les organes, tissus et cellules issus du corps humain.
La France pourra ainsi faire figure de référence, notamment dans le cadre de
l'Union européenne.
Cette approche globale était indispensable. Les années 1992 et 1997 marquent
l'histoire du système de santé publique de notre pays. Elles signent, à n'en
pas douter - et ce grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs - la
reconnaissance de la sécurité sanitaire comme axe essentiel de toute politique
de santé.
Telle est l'oeuvre de pionnier de la santé publique qui nous est proposée
aujourd'hui. Je ne doute pas que le Sénat y apportera, comme par le passé,
toute son imagination et toute sa détermination.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui constitue
l'aboutissement d'un travail collectif engagé par la commission des affaires
sociales voilà quelques années. Vous siégiez alors déjà, monsieur le secrétaire
d'Etat, au banc du Gouvernement, tandis que MM. Fourcade, Huriet et moi-même
siégions sur celui de la commission.
Vous nous aviez proposé d'adopter une réforme qui visait à une profonde
réorganisation de la transfusion sanguine, à la suite des drames qu'avait
connus notre pays. Cette réforme, bien qu'incomplète, avait permis d'améliorer
la sécurité transfusionnelle. Elle avait aussi permis à notre rapporteur, M.
Huriet, de faire adopter un amendement instituant l'Agence du médicament, dont
personne ne conteste aujourd'hui l'utilité ni ne remet en cause la qualité et
l'efficacité du travail qu'elle accomplit.
Depuis lors, la commission des affaires sociales a poursuivi son travail
d'amélioration de la sécurité sanitaire dans un domaine nouveau : les thérapies
génique et cellulaire. Grâce à elle, les produits issus de ces thérapies sont
désormais dotés d'un statut novateur, protecteur pour les patients, et qui ne
pénalise pas la recherche.
A la suite de ces travaux, M. Fourcade a souhaité que nous entreprenions un
travail d'ensemble tendant à examiner les conditions du renforcement de la
sécurité et de la veille sanitaires. Il a souhaité constituer une mission
d'information, que j'ai présidée.
Je ne voudrais pas, après l'intervention du rapporteur, rappeler le constat
que nous avons établi et exposer les principaux points de la réforme que nous
proposons aujourd'hui. Je vais simplement aborder quelques aspects qui me
paraissent essentiels dans la compréhension de la portée de cette réforme.
J'évoquerai successivement trois points : le risque sanitaire dans notre
société, l'administration et la réforme, l'avenir de l'Agence de sécurité
sanitaire des aliments.
La proposition de loi que nous examinons tend à créer un Institut de veille
sanitaire chargé d'un triple rôle de détection, d'alerte et de
recommandation.
Il nous est en effet apparu nécessaire de fédérer le travail de tous les
organismes qui font de la veille sanitaire, afin que, pour tout événement
susceptible d'affecter la santé de l'homme, les pouvoirs publics soient alertés
en temps utile et puissent prendre le plus rapidement possible les mesures qui
s'imposent.
Au cours des travaux de la mission, nous nous étions aperçus que de très
nombreux organismes travaillaient bien, qu'ils regroupaient des personnes de
grande qualité, mais que chacun ignorait - et ignore toujours - ce que faisait
l'autre. Les événements de l'été nous ont montré que des travaux entrepris par
le ministère de l'agriculture étaient transmis au ministère de l'environnement
mais pas forcément à celui de la santé et que, parallèlement, le réseau
national de santé publique allait entreprendre les mêmes travaux.
Dans un tel système, aucun de ces organismes n'avait véritablement intérêt à
partager ou à échanger l'information.
Cette absence de coordination organisée a favorisé l'émergence de situations
dans lesquelles chacun, peu ou prou, travaille sur les mêmes sujets, alors que
d'autres, pourtant essentiels, sont délaissés.
Je citerai à cet égard l'exemple très révélateur de l'encéphalopathie
spongiforme bovine. Je me permets de vous rappeler, monsieur le secrétaire
d'Etat, que seul le CEA, le Commissariat à l'énergie atomique, a financé les
recherches du professeur Dormont, jusqu'à ce que l'affaire soit révélée au
grand jour.
Lors des travaux de la mission, nous avons tenté une expérience - mais,
monsieur le secrétaire d'Etat, si nous la tentions de nouveau aujourd'hui, nous
obtiendrions, je le crains, le même résultat - et avons demandé aux différents
ministères concernés de bien vouloir dresser la liste de tous les organismes
placés auprès d'eux qui concouraient à la veille sanitaire. Malheureusement,
comme nous nous y attendions, la plupart des ministères - quand ils nous ont
répondu ! - n'ont pas été en mesure de nous fournir une liste exhaustive.
C'est pourquoi j'invite dès aujourd'hui le Gouvernement à procéder à un
indispensable travail de recensement, afin que la mise en place d'une tête de
réseau, l'Institut de veille sanitaire, se fasse dans les meilleures
conditions.
La création de l'Institut de veille sanitaire appelle une réflexion d'ensemble
sur la manière dont nos sociétés perçoivent et gèrent le risque ; monsieur le
secrétaire d'Etat, vous avez d'ailleurs beaucoup insisté sur ce point dans
votre intervention. L'Institut devrait en effet permettre d'améliorer les
performances des modes d'action sociale par rapport à la prise de risque.
Lorsque la science approche de ses limites et qu'elle ne peut plus prévoir,
l'anticipation sociale du risque doit alors prendre le relais. Le principe de
précaution est une nouvelle ressource juridique pour penser et traiter le
risque incertain.
En l'absence de certitudes scientifiques, il permet non pas de s'abstenir,
mais au contraire d'agir de façon responsable et prudente, dans le cadre d'une
politique d'anticipation des événements et, en même temps, de restauration de
la confiance de notre société, désormais très vulnérable au risque
sanitaire.
L'inquiétude parfois excessive de nos concitoyens conduit aujourd'hui à la
tentation d'une interprétation radicale du principe de précaution. Or
l'anticipation de la menace doit servir de boussole.
Alors que Claude Allègre n'était pas encore membre du Gouvernement - mais il
avait déjà la verdeur de langage qu'on lui connaît -, il s'exprimait ainsi dans
l'hebdomadaire
Le Point
: « Si l'on vit dans l'optique du risque zéro, on va multiplier
les peurs collectives. Une société qui n'assume pas les risques est une société
vouée à la mort, car seule la mort est sans risque. »
Le but ultime de la précaution est de parvenir à une acceptabilité sociale
sur la nature et le niveau des risques que notre société est capable de tolérer
pour garantir son développement durable.
Il faut que la réforme que nous nous apprêtons à adopter soit l'occasion de
faire comprendre à l'opinion que, face à l'incertitude scientifique, il y a,
ainsi que vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, deux attitudes : ou
omettre de choisir et préférer l'inaction - je souhaite que ce ne soit le cas
de personne - ou choisir l'action qui se traduit par une prise de risque
responsable, prudente et acceptée.
Vous nous avez longuement parlé, monsieur le secrétaire d'Etat, du problème
des maladies nosocomiales et des infections iatrogènes. Un amendement du
Gouvernement en traite : nous le soutiendrons, mais encore faudrait-il
connaître exactement l'ampleur du mal. Vous êtes médecin, M. le rapporteur est
médecin, je suis médecin, et nous savons qu'il importe de poser un diagnostic
avant de définir une thérapeutique. Les chiffres considérables qui circulent à
propos de ces affections sont-ils exacts ? Je pense, monsieur le secrétaire
d'Etat, que ni vous, ni moi ne pouvons le dire de façon formelle.
Je voudrais maintenant évoquer un autre thème de réflexion suggéré par la
proposition de loi, à savoir l'administration et les réformes.
L'élaboration de la proposition de loi et les réactions qu'elle a suscitées et
qu'elle continue de susciter ont en effet été source de nombreux enseignements.
Il faut dire, à cet égard, que ce texte comprend des dispositions d'une grande
portée, puisqu'il vise à réformer l'ensemble de l'administration sanitaire.
Dans la mesure où la proposition de loi traite non seulement des produits de
santé, mais de tous les produits destinés à l'homme, de nombreux ministères,
dont certains très puissants, sont concernés. Dès lors, les réflexes de défense
sont exacerbés.
Tout d'abord, les administrations ne comprennent pas qu'une proposition de
loi, c'est-à-dire un texte émanant du Parlement, se mêle de vouloir réformer
leur fonctionnement et leur organisation. Les réformes, c'est bien connu,
doivent venir de l'exécutif, et le seul fait que des parlementaires prennent
l'initiative en la matière pourrait presque être considéré comme suspect.
Il y a là un profond malentendu : il appartient en effet à la représentation
nationale de déterminer dans quelles conditions la mission de police sanitaire
de l'Etat doit être assumée.
En outre, le fait de vouloir réformer des organisations, des règles et des
méthodes ne procède pas, de notre part, d'une volonté de nuire ou du sentiment
que les administrations ne feraient pas bien leur travail actuellement : je
tiens à l'affirmer à nouveau, après M. Claude Huriet, au nom de tous les
membres de la mission sénatoriale que j'ai eu l'honneur de présider. Nous
voulons certes renforcer l'indépendance des structures de l'Etat chargées du
contrôle, mais l'indépendance des agents concernés n'est absolument pas en
cause.
A cet égard, je voudrais rendre ici un hommage sincère à la manière dont les
agents de l'Etat assument leur mission, dans des conditions souvent difficiles.
Il faut que cela soit dit : nous voulons réformer, car tel est notre rôle et
parce que l'administration doit évoluer avec la société ; cependant, cette
volonté de réforme ne doit pas être comprise comme une critique de l'action des
fonctionnaires, qui ont toujours fait leur travail, et le font même de mieux en
mieux.
Je dirai même que le Parlement, outre qu'il dispose, selon les termes de la
Constitution, du pouvoir d'initiative législative, est le mieux placé pour
susciter une réforme. En vérité, quand autant d'administrations et de
ministères différents sont concernés, il faut bien qu'une autorité extérieure
ose proposer et arbitrer. Nous pensons que l'élaboration par le Sénat de cette
réforme a été plus rapide que si elle avait résulté d'un dialogue
interministériel.
Je voudrais dire encore quelques mots sur les suites de la réforme. On nous
objectera que nous créons trois organismes, l'Institut de veille sanitaire,
l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé et l'Agence de sécurité
sanitaire des aliments, mais, que ce faisant, nous tombons dans le travers de
toutes les réformes qui créent toujours de nouveaux organismes sans jamais en
supprimer.
A cette critique, j'apporterai deux réponses.
Tout d'abord, la teneur de la proposition de loi ne se résume pas à la
création de nouveaux organismes, car elle définit de nombreuses règles de
sécurité sanitaire pour des produits qui, aujourd'hui, sont insuffisamment
contrôlés.
Ensuite, les organismes dont la suppression doit être envisagée ont été créés
par voie réglementaire, et il n'appartient pas au Parlement d'abroger des
décrets ou des arrêtés.
Cette réforme ne serait donc pas complète si, dès son adoption, le
Gouvernement ne procédait pas à un réexamen de la nécessité de maintenir
certains organismes dont la mission sera désormais exercée par l'une ou l'autre
des agences de sécurité sanitaire. Après M. le rapporteur, je voudrais dire au
Gouvernement que nous serons vigilants : nous défendrons cette réforme jusqu'au
bout, et ce travail ne cessera ni avec le vote final du texte, ni le jour où
seront publiés les décrets de nomination des directeurs généraux des agences
nouvellement créées.
Je voudrais enfin évoquer l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. Le
nouveau gouvernement, comme le précédent, s'est en effet rallié à la solution
retenue par la commission des affaires sociales et par les signataires de la
proposition de loi, qui suggère la création d'une Agence de sécurité sanitaire
des aliments distincte de celle des produits de santé.
Je le dis solennellement à l'attention de M. le secrétaire d'Etat et de mes
collègues sénateurs, et aussi dans la perspective de la navette : nous nous
opposerons sans nuance, comme l'a dit M. Claude Huriet, à toute initiative
tendant à annuler la création de cette agence alimentaire.
En effet, nous ne donnerons pas prise aux rumeurs selon lesquelles, en créant
deux agences, nous avons voulu créer une agence alimentaire qui serait une
coquille vide. Nous serons extrêmement attentifs sur ce point.
Je sais que beaucoup voudraient voir dans cette agence un simple centre
d'expertise, chargé uniquement de répondre aux sollicitations des pouvoirs
publics.
Or telle n'est pas notre conception des choses : s'il faut que l'Agence de
sécurité sanitaire des aliments soit un centre d'expertise indépendant, il faut
aussi qu'elle soit, en quelque sorte, « branchée » sur l'administration, et
qu'elle puisse ainsi contribuer à garantir la sécurité alimentaire.
Mais il faut essentiellement qu'elle acquière, auprès de l'opinion, une
crédibilité qui ne pourra lui être assurée que par son indépendance par rapport
au pouvoir politique et au pouvoir économique.
Cette crédibilité, nous l'obtiendrons non pas, comme vous l'avez dit, monsieur
le secrétaire d'Etat, par une intervention plus appuyée de l'Etat, mais par
l'indépendance et la qualité de nos chercheurs et de nos experts, et par la
pertinence de leurs avis.
Lors de votre intervention, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez parlé de
l'amiante. Quand je préparais le concours de l'internat, en 1960, tout le monde
connaissait le mésothéliome dû à l'amiante. Or il a fallu attendre 1995 - je
parle sous le contrôle de M. Cabanel - pour qu'elle soit interdite, et il ne
s'agissait pas d'une méconnaissance de ses dangers, puisque tout le monde
savait que les mésothéliomes de la plèvre étaient dus à l'amiante. On peut
gloser sur ces trente-cinq années d'attente, mais cette sorte de dérive doit
être condamnée.
Ce n'est donc pas mettre en question la qualité des contrôles effectués par
l'Etat que de prendre les mesures nécessaires pour garantir leur indépendance ;
ce n'est pas mettre en question le rôle de l'Etat que de confier à un
établissement public, qui représente aussi l'Etat, une mission importante en
matière d'administration sanitaire.
Je crois que le jeu en vaut la chandelle : cette proposition de loi, au terme
d'une navette parlementaire que j'espère aussi brève que possible, sera en
effet de nature à améliorer considérablement la sécurité sanitaire dans notre
pays. C'est pourquoi j'espère qu'elle fera l'objet d'un consensus, dans
l'intérêt de la santé publique.
Le philosophe Alain disait : « Le doute ou l'erreur est le premier état de
toute connaissance. On est toujours coupable d'une erreur, mais on l'est
beaucoup plus si on ne la corrige pas. »
J'espère que ce texte permettra de corriger, avec l'accord de tous, un grand
nombre de nos erreurs passées.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
débat que nous engageons aujourd'hui mérite à plus d'un titre de retenir
l'attention.
Il en est ainsi d'abord en raison de la place qu'il réserve à l'initiative
parlementaire, et le cas n'est pas si fréquent pour que nous le soulignions
pas. Le texte que nous examinons est issu de la volonté de notre assemblée,
plus particulièrement de celle de nos collègues MM. Claude Huriet et Charles
Descours, constamment soutenus dans leur entreprise par le président de la
commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade. Cette volonté a été
partagée, malgré les différences d'appréciation, sur toutes les travées du
Sénat. La proposition de loi est née ainsi de notre réflexion commune,
développée au sein d'une mission d'information dont la qualité des travaux a
été unanimement reconnue.
L'initiative parlementaire, quelle qu'en soit la qualité, quel qu'en soit
l'objet, resterait stérile si elle n'était soutenue par un dialogue fructueux
avec l'exécutif. Ce dialogue s'est noué, sur le thème qui nous occupe
aujourd'hui, avec le précédent gouvernement, et il s'est poursuivi avec celui
auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'Etat. Je ne doute pas que ce
débat ne s'achève sur une avancée significative en matière d'amélioration de la
sécurité sanitaire de nos concitoyens.
Ce débat mérite également l'attention en ce qu'il démontre la continuité de
l'action publique.
Plusieurs scandales de santé publique, je n'y reviendrai pas, nous ont
conduits à la fois à réformer notre système de sécurité sanitaire et à
introduire partout, dans le domaine de la santé, le principe de précaution.
Cette démarche législative a reflété certaines hésitations et a dû bien sûr
être conduite par étapes. C'est ainsi que, suite à l'affaire dite du sang
contaminé, a été créée en 1992 l'Agence du sang. Cette même année, sur
l'initiative du Sénat, l'Agence du médicament a été mise en place, et le Réseau
national de santé publique a été développé. C'est enfin en 1994 qu'a été
institué l'Etablissement français des greffes, et en 1996 que, voulant doter
les thérapies génique et cellulaire d'un statut propre à garantir la sécurité
sanitaire, le Sénat a fait apparaître la nécessité de mettre un peu d'ordre
dans toutes ces réformes et de leur donner leur pleine cohérence.
Tel est l'objectif que nous poursuivons aujourd'hui ensemble, même si, comme
nous le verrons, beaucoup reste encore à faire.
Je ferai une dernière remarque préalable, monsieur le secrétaire d'Etat :
votre modestie dût-elle en souffrir, j'observe que vous siégiez au banc du
Gouvernement au moment de l'adoption de la loi instituant l'Agence du sang, de
même que lors de la création de l'Agence du médicament ou du Réseau national de
santé publique.
C'est encore vous qui reprenez le dossier que nous examinons aujourd'hui, et
ce n'est pas un hasard : j'y vois au contraire la marque du souci constant qui
vous anime de placer au coeur de la politique sanitaire de notre pays les
problèmes de sécurité. Monsieur le secrétaire d'Etat, soyez-en remercié. Je ne
saurais oublier non plus le rôle joué par votre prédécesseur, qu'une
dissolution impromptue a privé de la satisfaction de contribuer à l'achèvement
d'un travail auquel il avait pourtant pris une part active.
(Sourires.)
Mais, rassurons-nous, il participera au débat sur ce texte en tant que
député, le suffrage universel lui ayant été particulièrement clément !
Ces préalables étant posés, je ne reviendrai pas sur l'objet de la proposition
de loi ou sur ses motivations, qui ont été parfaitement exposées par notre
rapporteur.
Je pense comme lui qu'un système cohérent de sécurité sanitaire doit être
fondé sur trois pôles, à savoir la veille, le contrôle des produits et
l'évaluation médicale.
J'examinerai successivement, si vous le voulez bien, la construction retenue
pour chacun de ces trois pôles.
Je commencerai par l'évaluation médicale. Si elle n'est certes pas le
véritable sujet de notre discussion d'aujourd'hui, elle me conduira toutefois,
monsieur le secrétaire d'Etat, à vous poser quelques questions qui, à mon sens,
sont particulièrement d'actualité.
Si nous n'avons pas à débattre aujourd'hui de l'évaluation médicale, c'est que
l'agence nationale chargée de cette mission a été créée par le gouvernement
précédent à l'occasion de la prise des ordonnances réformant notre système de
sécurité sociale.
Quand j'ai rédigé cette intervention, je n'avais pas encore lu, monsieur le
secrétaire d'Etat, le texte de l'entretien que vous avez accordé au
Monde.
(Sourires.)
Permettez-moi néanmoins de poursuivre, car je voudrais être sûr
que l'ANAES, puisqu'il s'agit d'elle, a bien pour mission d'évaluer l'ensemble
des activités médicales, diagnostiques et thérapeutiques non médicamenteuses,
et disposera des moyens de le faire. Je voudrais aussi être certain que cette
évaluation ne s'inscrira pas seulement dans la réforme des structures de notre
système de santé et de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, mais
contribuera également - oserai-je dire d'abord ? - à améliorer la qualité et
l'efficacité des actes, ainsi qu'à mieux garantir la sécurité des patients.
En effet, il est bon de renforcer la sécurité des produits, comme nous nous y
attachons aujourd'hui, mais encore faudrait-il, dans le même temps, se donner
les moyens d'assurer la sécurité dans les établissements hospitaliers publics
et privés. Or, à ce sujet, il y a lieu d'être inquiets, et vous avez sans
doute, mes chers collègues, lu les conclusions, qui viennent d'être rendues
publiques, d'une enquête qui montre que notre système hospitalier n'est pas
exempt de critiques - c'est le moins que l'on puisse dire - et que des mesures
appropriées doivent être prises d'urgence.
Je sais que vous y travaillez, monsieur le secrétaire d'Etat, et que vous
allez mettre en oeuvre les décisions qui avaient été prises. Nous ne pouvons
que nous en réjouir, tout en déplorant le retard accumulé et le temps perdu.
J'en viens maintenant au coeur de notre discussion d'aujourd'hui, avec
l'examen du deuxième pôle, à savoir la veille sanitaire.
Le modèle américain, que nous avons découvert ensemble, monsieur le
rapporteur, lors d'une mission récente aux Etats-Unis, doit nous montrer le
chemin. De la même manière que les
centers for disease control
sont nés
des disciplines épidémiologiques, l'Institut de veille sanitaire s'organisera
autour du noyau dur que constitue aujourd'hui le Réseau national de santé
publique. Il reste, comme vous l'avez fort bien dit, monsieur le rapporteur,
que la veille sanitaire va bien au-delà de la seule épidémiologie.
Le directeur général de la santé, ici présent, rappelait devant notre mission
d'information que la veille sanitaire s'organise autour de trois objectifs :
observer, surveiller et alerter. Ces trois objectifs s'appliquent en outre à un
champ bien plus vaste que celui de la maladie. L'un de nos amendements, qui
vise à élargir au service de la promotion de la santé en faveur des élèves et à
la médecine du travail le champ de la surveillance de l'institut, traduit cette
volonté. Je veux croire, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous accepterez de
le retenir.
Mais surtout - c'est là un thème que j'avais déjà eu l'occasion de développer
devant la commission - la veille sanitaire n'est pas née ce matin. Il existe en
France une multitude d'organismes, de droit public ou de droit privé qui
participent à cette mission, sous des tutelles diverses et nombreuses. Ce
foisonnement, en même temps qu'il reflète la complexité de la mission,
contribue peut-être aussi à en embrouiller les contours et à en atténuer
l'efficacité. Il entraîne en tout cas nombre de redondances.
L'Institut de veille sanitaire doit, après qu'on les aura répertoriés, mettre
en réseau cette multitude d'organismes. Il devra intégrer ou associer tous ceux
qui sont de statut public afin d'éviter une sédimentation institutionnelle
aussi coûteuse qu'inefficace. Telle est la raison pour laquelle notre groupe a
déposé un amendement visant à obliger le Gouvernement à établir, dans le délai
d'un an, un rapport propre à permettre d'atteindre cet objectif.
L'Institut de veille sanitaire doit enfin, comme les deux autres pôles de
notre système de sécurité sanitaire, contribuer, par ses travaux, à éclairer le
ministre chargé de la santé, à qui seul appartient le soin de définir notre
politique de santé publique et d'en coordonner les moyens d'action. Je
reviendrai sur ce point fondamental. Là encore, notre groupe propose, par un
amendement, de préciser cette obligation en ce qui concerne l'Institut de
veille sanitaire.
Troisième pôle de la sécurité sanitaire, à la fois le plus important et le
plus difficile à construire sur le plan institutionnel : le contrôle des
produits.
J'étais et je reste favorable, je le dis sans ambages, au principe d'une
agence unique. Si je vous ai bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne
serai pas le seul de cet avis dans cette enceinte. J'estime, en effet, que les
raisons invoquées pour retenir une autre solution sont malheureusement, le plus
souvent, de mauvaises raisons.
Je le dis d'autant plus franchement que je comprends, malgré tout, les motifs
qui ont conduit la commission, puis le Gouvernement - l'actuel comme le
précédent - à retenir une autre solution. Je veux croire que nous franchissons
aujourd'hui seulement une étape et que, à terme, l'unicité apparaîtra à tous
comme le meilleur choix.
Un argument, à lui seul, aurait dû suffire, dès aujourd'hui, à nous convaincre
tous. Deux intervenants pour un même métier, c'est, au mieux, le risque de
l'intersection des compétences, c'est, au pire, laisser certaines catégories de
produits à l'écart de tout contrôle ; je crains que ce ne soit ce qui se
passera en réalité. C'est très précisément ce qui nous conduit aujourd'hui à
substituer, pour l'exercice de la mission de contrôle des produits de santé,
une seule agence aux trois agences qui existent à l'heure actuelle. La sécurité
sanitaire aurait exigé, selon moi, que l'aliment n'échappât pas à cette
logique.
Telle est la raison pour laquelle notre groupe a déposé un amendement visant à
donner à la loi qui résultera de nos travaux une durée d'application de trois
ans, à l'issue de laquelle le Parlement sera appelé de nouveau à se prononcer
sur la base d'un rapport d'évaluation établi par le Gouvernement. Nous
considérons que, dans ce délai, les mentalités, même administratives, peuvent
évoluer.
Mais revenons donc sur l'examen des raisons qui vous sont, monsieur le
secrétaire d'Etat et monsieur le rapporteur, devenues communes.
On me dit d'abord que le contrôle des produits de santé et celui des produits
alimentaires n'ont pas le même objet. Dans un cas, celui des produits de santé,
l'évaluation reposerait sur le rapport bénéfices-risques, tandis que dans
l'autre, celui des produits alimentaires, le risque zéro doit être recherché.
Je vois bien une différence de niveau d'exigence, je vois moins en quoi il
s'agirait de deux métiers différents. On ajoute, à ce point de la
démonstration, que le produit de santé est unique et son fabricant singulier
tandis que le produit alimentaire s'inscrit dans une chaîne complexe. L'unicité
du produit de santé est vraie pour ce qui concerne le médicament traditionnel.
En revanche, que penser, par exemple, des thérapies cellulaires ? Or, nous
sommes tous d'accord pour considérer que, quelle que soit la diversité des
produits et de leur conception, la méthode de leur évaluation doit être unique
et fondée sur les mêmes principes de rigueur.
On nous dit ensuite que la construction d'un outil administratif unique
pourrait aboutir à la naissance d'un « mammouth » sanitaire, pour reprendre un
mot qui est devenu très courant. Encore une fois, la future agence des produits
de santé supposera, pour bien prendre en compte la diversité des produits, une
départementalisation de son action. Le principe de départementalisation aurait
pu être appliqué sans dommage à l'aliment et permettre, par une meilleure
concentration de l'expertise, une plus grande synergie de l'action. Je suis
convaincu que l'avenir me donnera raison. Je suis sûr qu'au fond d'eux-mêmes M.
le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur pensent comme moi.
Mais ce qui donne raison à la prudence de leur démarche à laquelle, bon gré
mal gré, je veux bien adhérer, c'est leur dernier motif, qui est pourtant,
selon moi, le plus mauvais. C'est ce que M. le rapporteur appelle la complexité
et la difficulté de mettre en oeuvre une réforme instituant une seule agence.
Pour faire court, c'est ce que j'appellerai les résistances des
administrations.
M. Charles Descours.
Très bien !
M. François Autain.
Je vous remercie, monsieur Descours.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nombre de vos amendements - je regrette de vous
le dire, mais on peut être franc entre nous - en portent, hélas ! la marque. A
chaque fois que nous le craindrons, nous vous le dirons lors de l'examen des
articles. Mais, de grâce, monsieur le secrétaire d'Etat, comme l'a dit
excellemment M. le rapporteur, aidez-nous à mettre fin à ces querelles de
boutiques. Je suis sûr que si le Parlement ne s'était pas emparé de ce sujet,
le Gouvernement, quel qu'il soit, ne serait pas parvenu à le traiter.
(M. Descours applaudit.)
N'est-il pas regrettable que le Parlement
finisse par s'occuper de ce qui ne le regarde pas et par définir, à la place de
l'exécutif, les modes d'exercice de la puissance publique ?
Puisqu'il faut parler encore de conflits d'administrations, tout cela est
aussi, il faut bien le dire, un méchant problème de tutelle. L'agence unique,
c'est, pour moi, une tutelle unique : celle du ministère de la santé, bien
entendu. Imaginer aujourd'hui un tel modèle, c'est sans nul doute se bercer
d'illusions. Tant pis pour les illusions ! Je n'en avais déjà pas beaucoup,
mais en voilà une autre qui s'envole !
(Sourires.)
Voilà pour l'agence unique. Puisqu'il y a finalement deux agences,
parlons de chacune d'entre elles.
J'examinerai tout d'abord l'Agence de sécurité sanitaire des produits de
santé.
Disons-le clairement : si le texte doit rester dans l'état où la commission le
présente, complété par les amendements qu'elle accepte, y compris les nôtres !
Les objectifs que poursuivent les auteurs de la proposition de loi seront
parfaitement atteints.
Nous aurons enfin en France une instance unique d'évaluation de tous les
produits de santé, disposant des prérogatives de police sanitaire propres à
garantir au mieux la sécurité de nos concitoyens.
Nous aurons mis un terme au défaut majeur des réformes entreprises depuis
1992, qui ont contribué à la fois à confondre mission de planification
sanitaire et contrôle des produits et à disperser cette mission de contrôle
entre de trop nombreux acteurs - Agence du sang, Etablissement français des
greffes, Agence du médicament - et à laisser hors de tout contrôle, trop
longtemps, de trop nombreux produits.
S'agissant des dispositifs médicaux - je sais que je vais gratter là où cela
fait un peu mal - je ne comprends pas bien les motifs de votre amendement,
monsieur le secrétaire d'Etat. L'Union européenne n'a aucune compétence en
matière sanitaire. Je ne vois pas, dans le contexte actuel, ce qui pourrait
empêcher un gouvernement national de renforcer les exigences industrielles
communautaires pour des raisons de santé publique. Le traité d'Amsterdam ne dit
d'ailleurs pas autre chose en ce qui concerne le secteur alimentaire.
Je suis donc personnellement attaché - je ne vous le cache pas - au maintien
du dispositif qui est proposé par la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. François Autain.
Tout au plus - mais là, je fais appel à votre puissance de conviction,
monsieur le secrétaire d'Etat - me laisserais-je convaincre par un régime
déclaratif qui donnerait à l'Agence un droit d'intervention effectif et
immédiat à chaque fois qu'il apparaîtrait nécessaire. En l'état, vos
suggestions ne m'ont pas convaincu, je veux croire que la navette nous
permettra de définir une solution commune.
Pour notre part, nous proposerons, en ce qui concerne l'Agence de sécurité
sanitaire des produits de santé, plusieurs amendements. Trois d'entre eux, qui
sont, à mes yeux, les plus importants, tendent à définir plus précisément dans
la loi les conditions de l'exercice du pouvoir de police sanitaire confié à
l'Agence. Je veux croire que le dispositif complexe mais complet que nous
suggérons sera retenu par la commission comme par le Gouvernement.
Un autre amendement vise à confier l'homologation des médicaments vétérinaires
à l'Agence des produits de santé. Le médicament vétérinaire, c'est d'abord un
médicament. Il reste que nous comprenons les motifs qui ont conduit M. le
rapporteur à confier cette compétence d'homologation à l'agence alimentaire.
C'est en fonction du débat sur cette Agence que nous nous déterminerons
définitivement.
Enfin, un dernier amendement a pour objet de préciser les compétences des
corps d'inspection de l'agence.
Sous ces réserves, qui, j'en suis sûr, sont partagées par la commission, le
texte qui nous est proposé, monsieur le rapporteur, est pleinement
satisfaisant. Nous aurons ainsi achevé, en ce qui concerne les produits de
santé, une entreprise commencée en 1992. Je voudrais saluer ici ceux qui, tous
les jours, assurent le fonctionnement de cette agence et contribuent chaque
jour davantage à consolider sa réputation nationale et internationale. Mes
compliments s'adressent à tout le personnel et en tout premier lieu au
directeur général de l'agence. Ils vont aussi au personnel de l'Agence du sang
et à celui de l'Etablissement français des greffes comme à leurs dirigeants. Il
appartiendra à ces deux établissements, dont les missions sont redéfinies, de
poursuivre la tâche exaltante qu'ils ont engagée depuis plusieurs années.
J'en viens maintenant à l'Agence de sécurité sanitaire des produits
alimentaires. La preuve, monsieur le rapporteur, que le modèle de l'agence
unique était meilleur bien que, aujourd'hui, nous craignions, comme vous, que
la structure bicéphale ne conduise à remettre en cause purement et simplement
la création d'un pôle de contrôle des produits alimentaires.
Au fond, le vrai débat n'est pas seulement de savoir s'il faut une ou deux
agences. Il est aussi, puisqu'il y en a deux, de garantir, pour l'une comme
pour l'autre, leurs moyens d'action.
MM. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales,
et Claude Huriet,
rapporteur.
Très bien !
M. François Autain.
Or, en aucun cas, les prérogatives de police sanitaire de l'une et de l'autre
de ces deux structures ne seront comparables. Que pour le moins les choix, que
certains jugeront timides mais que je reconnais pragmatiques, faits par la
commission ne soient surtout pas remis en cause.
Si, comme je l'espère, tel était le cas, nous aurions alors franchi, dans le
domaine alimentaire, une première étape, qui devra être vite suivie par
d'autres si nous voulons réaliser pleinement nos objectifs, monsieur le
rapporteur. Vous pouvez compter sur mon soutien dans un avenir que je souhaite
le plus proche possible.
Là encore, l'actualité nous démontre l'urgence de notre démarche. Les
conséquences dramatiques de la lystériose, mais aussi les rumeurs qui courent
dans une certaine presse, je veux parler de
La Lettre de l'Expansion,
sur de nouveaux cas de fraudes concernant la viande de boeuf, devraient faire
tomber, au plus vite, les murs de nos bastilles administratives.
Pour sa part, le groupe socialiste proposera un seul amendement, qui reprend
une préoccupation déjà exprimée tout à l'heure en ce qui concerne la veille
sanitaire : éviter la sédimentation institutionnelle. Notre collègue Charles
Descours a déposé un amendement voisin ayant le même objet. M. le rapporteur
nous dira vers lequel son choix l'a porté.
J'en viens, rapidement, puisque j'évoquerai de nouveau ce sujet lors de la
discussion des articles, au Conseil national de sécurité sanitaire institué par
l'article 7. Notre groupe n'a pas proposé de le supprimer. Je reste toutefois
convaincu, à titre personnel, qu'il ne revient pas au législateur de créer des
comités interministériels et qu'il lui revient encore moins d'en désigner les
participants. Je crains, toujours à titre personnel, qu'en ayant insuffisamment
précisé sa mission de coordination on ne porte ainsi préjudice à la
coordination elle-même. J'y reviendrai plus longuement lorsque nous examinerons
l'article 7. Sachez seulement, monsieur le secrétaire d'Etat, que, pour moi,
sans aucun doute, cette mission de coordination, c'est à vous qu'elle incombe,
à vous seul. En tout cas, l'histoire récente a prouvé que c'est à vous que
seront demandés des comptes. Alors, comme de toute façon vous assumez des
responsabilités, autant les exercer.
J'en arrive, pour finir, aux dispositions diverses. J'ai déjà exposé les
remarques qu'appelaient les dispositions relatives aux dispositifs médicaux et
à la réorganisation de la transfusion sanguine.
Notre groupe proposera sur les autres articles plusieurs amendements d'inégale
portée. C'est ainsi que, à l'article 10, nous vous suggérerons de favoriser une
plus grande continuité d'action de l'Etablissement français des greffes.
C'est ainsi qu'à l'article 11 nous vous suggérerons, pour répondre au voeu de
la commission, de préciser le statut des produits thérapeutiques annexes. C'est
ainsi également que, après l'article 11, et pour répondre là encore au voeu de
la commission, nous proposerons un statut des produits de nutrition
clinique.
Ces deux dernières dispositions contribueront, je l'espère, à parfaire encore
la définition du champ d'intervention de l'Agence de sécurité sanitaire des
produits de santé.
Pour conclure, mes chers collègues, si le texte issu de nos travaux répond aux
conditions que j'ai posées, qu'aurons-nous fait exactement ?
Nous aurons d'abord établi définitivement l'architecture générale de notre
système de sécurité sanitaire. Nous aurons ensuite achevé la construction de
l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé. Nous aurons également
jeté les bases d'un réseau serré de veille sanitaire. Nous aurons enfin
esquissé les contours d'une Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Rien de plus, mais rien de moins. En tout cas, c'est beaucoup pour une seule
proposition de loi que nous devons à l'action de M. le rapporteur et au soutien
constant dont il a bénéficié de la part tant du président que de l'ensemble des
membres de la commission des affaires sociales.
Je ne saurais omettre enfin le rôle du Gouvernement, qui a manifesté sa
volonté politique dès la première heure : le Premier ministre, Lionel Jospin, a
en effet indiqué dans la déclaration de politique générale du Gouvernement tout
l'intérêt qu'il portait à la sécurité sanitaire.
Vous avez bien compris, mes chers collègues, que le problème est de savoir non
pas s'il y aura une ou deux agences, mais si ces dernières disposeront des
moyens pour fonctionner.
Telles sont toutes les raisons qui conduiront le groupe socialiste à voter
cette proposition de loi.
(Applaudissements.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. Jean Faure au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui entend
répondre aux inquiétudes de nos concitoyens qui ont vu se succéder depuis
quelques années des événements largement cités ici aux conséquences parfois
dramatiques dans le domaine de la sécurité sanitaire et alimentaire.
D'ailleurs, M. Claude Huriet n'ouvrait-il pas son rapport de mission en
indiquant que « l'histoire nous enseigne très souvent que la législation
progresse réellement à la faveur des crises » et en rappelant, comme il l'a
fait tout à l'heure, que la création du ministère de la santé fut décidée en
France en 1920, après l'épidémie de grippe espagnole qui fit de 20 à 40
millions de morts dans le monde ?
Ainsi, après ce qui a été, hélas ! appelé les affaires du sang contaminé, ont
été engagées des réformes, notamment la création de trois établissements, sous
forme d'établissement public : l'Agence du médicament, l'Agence française du
sang, puis, plus tard, l'Etablissement français des greffes.
Depuis, d'autres événements sont intervenus : l'affaire des hormones de
croissance, l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'amiante entre autres ont
encore frappé l'opinion et motivé la création de la mission sénatoriale à
laquelle fait suite la proposition de loi dont nous parlons aujourd'hui.
C'est mon amie Jacqueline Fraysse-Cazalis, élue depuis à l'Assemblée
nationale, qui a participé, pour le groupe communiste républicain et citoyen,
aux travaux de cette commission, dont la qualité est évidente et n'est mise en
cause par personne.
Le très important et intéressant rapport publié à l'issue de cette mission a
dressé le constat de l'insuffisance des règles de contrôle destinées à garantir
la sécurité sanitaire des produits à finalité sanitaire, hors médicaments et
produits sanguins : ce peut être, par exemple, les compléments nutritionnels,
les lentilles de contact colorées, les produits en cosmétologie, les
xéno-greffes. Il a fait un constat similaire sur les produits alimentaires.
Dans le droit-fil des conclusions de cette mission, les auteurs de la
proposition de loi se sont fixé l'objectif de mettre en place un système plus
large et plus cohérent visant à se doter « d'une action de l'Etat en matière
sanitaire adaptée à l'évolution des techniques et à celles des mentalités ».
Nous ne pouvons que souscrire à de tels objectifs.
J'ai lu, comme d'autres ici sans doute, le livre-enquête d'Aquilino Morelle
sur les différentes affaires du sang contaminé. J'y ai trouvé quelques éléments
de réflexion : ainsi, les grandes crises sanitaires sont dues non pas au manque
d'information mais à la faiblesse de la santé publique - Aquilino Morelle parle
de « faillite de la santé publique » - laquelle tient à l'insuffisance criante
des effectifs, des moyens matériels, de la capacité d'expertise, de la
légitimité même de l'administration de la santé.
Je souscris donc évidemment à vos propos, monsieur le secrétaire d'Etat, quand
vous dites que les drames récents ont révélé un besoin d'intervention croissant
de l'Etat pour assurer la protection sanitaire de la population.
A mon sens, ces considérations auraient mérité un large débat sur les missions
de santé publique de l'Etat qui vont bien au-delà des questions de sécurité
sanitaire et alimentaire dont nous traitons aujourd'hui.
Nous espérons d'ailleurs que les états généraux de la santé envisagés par le
Gouvernement ne viseront pas seulement les dépenses de santé et auront
l'ambition d'un réel débat national sur l'ensemble des questions de santé.
Ces considérations auraient mérité également la mise à plat des
dysfonctionnements des différents services de l'administration, des besoins de
coordination, etc.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez vous-même proposé à la conférence de
la santé, au mois de juillet, de « chercher à simplifier les structures du
ministère de la santé ». La création des institutions qui nous est proposée
aujourd'hui va obliger à ce travail d'« expertise » qu'il aurait été préférable
d'effectuer auparavant.
Evidemment - j'en conviens - la proposition de loi vise à mettre en place un
système plus large et plus cohérent que le système actuel.
Elle prévoit, pour garantir le contrôle des produits, la création de deux
institutions : d'une part, l'Agence de sécurité sanitaire des produits de
santé, chargée du contrôle de la sécurité de ces biens et constituée à partir
de l'actuelle Agence du médicament ; d'autre part, l'Agence de sécurité
sanitaire des aliments, qui veillera au domaine alimentaire.
Il nous est en outre proposé la mise en place de l'Institut de veille
sanitaire chargé d'effectuer la surveillance de l'état de santé de la
population et d'alerter les pouvoirs publics.
Je tiens à vous faire part de quelques préoccupations : ces propositions
s'inscrivent dans la continuité des mesures prises depuis le début des années
quatre-vingt-dix - tout le monde s'accorde à le dire - avec notamment la
création de l'Agence française du sang puis celle de l'Agence du médicament.
Avec l'Agence du médicament, chargée du contrôle des médicaments et des
autorisations de mise sur le marché, il s'agissait de créer une structure
autonome par rapport à l'autorité politique, se déterminant en fonction de
critères exclusivement sanitaires. Cette agence constituait, pour une part, une
réponse à certains des problèmes mis en évidence lors de la crise du sang
contaminé, en particulier la confusion entre impératif politique, impératif
économique et impératif sanitaire.
Pour ce faire, l'Agence se voyait confier des missions jusqu'ici attribuées
aux services du ministère de la santé. Par son statut, elle pouvait faire appel
à des non-fonctionnaires afin de bénéficier des meilleurs experts dans chaque
domaine.
Pour son fonctionnement, elle bénéficiait, outre de subventions publiques, de
ressources affectées, taxes et redevances.
Le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat n'avait pas, en son
temps, approuvé la création de ces agences.
Nous craignions alors un poids plus grand des intérêts privés, notamment
pharmaceutiques, au sein de la nouvelle structure.
Nous estimons que les missions de l'agence sont d'abord de la compétence de
l'Etat et doivent donc rester pour l'essentiel au sein du ministère de la
santé, ce qui, bien entendu, renvoie aux moyens dont ce dernier dispose.
Or, les insuffisances des moyens étaient essentiellement dues à des choix
gouvernementaux, réduisant les budgets en matière de santé et de prévention,
remettant en cause des missions de service public.
Les dérives que l'on a connues sont, à notre avis, liées au trop grand poids
des intérêts privés et des forces économiques qui imposent leurs règles,
quelles qu'en soient les incidences éthiques. Or, il nous semblait que la
création d'agences n'écartait pas ces risques.
Ainsi, le directeur de l'Agence du médicament prend bien ses décisions au nom
de l'Etat ; mais comment ne pas voir qu'il y a une implication plus forte des
industriels dans la décision puisque plusieurs personnes liées à l'industrie
pharmaceutique siègent en tant que personnalités qualifiées au sein du conseil
d'administration ?
N'y a-t-il pas un risque dans la baisse toujours plus importante des
subventions d'Etat dans le budget de l'agence, laquelle est de plus en plus
dépendante des taxes et redevances perçues sur l'activité de l'industrie
pharmaceutique ?
Bien sûr, nous devons reconnaître que, à la lumière de l'expérience, nos
craintes ne se sont pas confirmées. Il semble qu'aucune critique n'ait été
émise sur les décisions prises depuis 1993 par le directeur de l'agence.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Ah ! Voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Bien !
Mme Nicole Borvo.
Il est vrai également que la création de l'Agence du médicament a permis
d'accroître les moyens destinés à la sécurité sanitaire dans son domaine : ses
effectifs sont ainsi passés de 200 personnes dans les directions concernées de
l'administration à 500 aujourd'hui, mais - je tiens à le souligner - avec
seulement 10 % de fonctionnaires.
Pourtant, vous le savez, le statut de la fonction publique, qu'il est de bon
ton de décrier, reste le meilleur atout de l'indépendance des agents, même par
rapport aux pouvoirs politiques.
Rien n'indique en outre que l'administration n'aurait pu améliorer son action.
Avec une telle augmentation de moyens - ils ont été multipliés par plus de deux
- il n'est d'ailleurs pas prouvé qu'en matière d'efficience, c'est-à-dire de
rapport coût-efficacité, on obtienne réellement de meilleurs résultats avec les
agences.
Plus largement, nous sommes réservés sur les principes mêmes que les auteurs
de la proposition de loi ont fixés pour la politique de santé et qui justifient
la création des agences : concentrer « les missions du ministère de la santé
autour de la définition de la politique de santé et de la préparation de la
réglementation », peut-on lire dans le rapport de la mission d'information.
Cette évolution nous inquiète, car elle se place parfaitement dans le cadre de
la réforme de l'Etat que les gouvernements précédents souhaitaient mettre en
oeuvre en vue de passer de notre système spécifique de fonction publique et de
droit administratif à un système inspiré particulièrement du modèle américain.
Certes, une modernisation de l'intervention de l'Etat est nécessaire, mais
celui-ci doit garder ses missions de contrôle propres à notre système de droit
français.
En tout état de cause, l'organisation de la surveillance sanitaire doit
disposer d'une réelle légitimité scientifique et d'une autorité de contrôle
totalement indépendante et experte. Nous souscrivons totalement à ces
principes. Il ne peut y avoir de confusion de genre entre la garantie de la
sécurité et la coordination de l'activité des producteurs, des distributeurs,
des consommateurs.
A ce sujet, le rapport de Claude Huriet avait indiqué que tel n'était pas le
cas de l'Agence française du sang, qui était chargée à la fois de garantir la
sécurité sanitaire et de coordonner l'activité des établissements de
transfusion sanguine. Le texte actuel semble remédier à ces problèmes.
En ce qui concerne les produits alimentaires, la création de l'Agence de
sécurité sanitaire des aliments serait rendue indispensable d'abord pour
coordonner les moyens des trois ministères concernés que sont le ministère de
la santé, le ministère de l'agriculture et le ministère de l'économie et des
finances.
Si cette agence permet effectivement de pallier les insuffisances de
coordination entre les ministères, elle peut constituer une avancée notable.
Mais est-il vraiment nécessaire de créer une nouvelle structure pour cela ?
Un autre argument a été avancé en faveur de l'Agence de sécurité sanitaire des
aliments, à savoir le souci que ce soit non pas « le risque encouru par
l'animal qui devrait seul être pris en compte, mais celui que prend l'homme en
consommant un produit d'origine animale ». Nous partageons ce souci.
Je suis moins convaincue par un autre argument de M. le rapporteur selon
lequel la création de l'agence permettrait de résoudre le problème de
l'insuffisance d'indépendance des contrôles. J'ai expliqué pourquoi à propos de
la première agence.
En outre, je ne suis pas sûre, pour prendre l'exemple de la crise de la «
vache folle », qu'il y ait eu réellement défaillance du service public et des
services du ministère de l'agriculture. S'agit-il en effet d'abord d'un défaut
d'expertise ou bien plutôt, comme je le pense, d'un conflit entre l'intérêt
économique et l'intérêt de la population ?
En ce sens, je pense que nous pouvons apprécier, dans la proposition de loi
concernant l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, que les agents
contractuels non seulement soient tenus au secret, mais aussi et surtout qu'ils
ne puissent pas « eux-mêmes ou par personnes interposées avoir dans les
établissements en relation avec l'agence aucun intérêt de nature à compromettre
leur indépendance ». Ce dispositif pourrait utilement être applicable aux
personnalités qualifiées siégeant au conseil d'administration de l'Agence.
Enfin, en ce qui concerne la troisième structure préconisée par la présente
proposition de loi, l'Institut de veille sanitaire, nous ne pouvons, là encore,
que partager les objectifs affichés.
Mais est-il vraiment nécessaire de créer un organisme de plus avant de
chercher une meilleure utilisation de ce qui existe déjà ?
En termes de santé publique, l'observation est capitale. Or, en 1993, a été
créé le haut comité de santé publique, dont le premier rapport, souligné de
façon très positive, a été présenté en 1994. En 1996, on a créé une instance
nouvelle, la conférence nationale de santé. N'y a-t-il pas déjà juxtaposition
d'instances ?
Vous avez souhaité, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'institut proposé
aujourd'hui soit chargé de veille épidémiologique. Pourtant, ses missions sont
d'emblée plus larges et recoupent celles de nombreux organismes existants :
l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, les
observatoires régionaux de la santé, qui se sont coordonnés nationalement, le
Centre d'études supérieures industrielles, le CESI, et d'autres encore...
Quelle autorité et quelle légitimité aura l'institut par rapport à ces
organismes ?
Vous le voyez, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'Etat, notre
groupe se pose de nombreuses questions et, même s'il partage les objectifs du
texte qui nous est soumis, il ne peut se dispenser de faire quelques réserves.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, il y a parfois, dans la vie parlementaire, des sujets d'intérêt
général qui dépassent les clivages politiques et qui permettent de rassembler
de bons esprits autour de dossiers longuement étudiés, pour des motifs qui sont
essentiels au fonctionnement de la société dans laquelle nous vivons.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui nous donne l'occasion de
l'un de ces rares moments où nous pouvons, d'un bord à l'autre de cet
hémicycle, nous déclarer d'accord sur les objectifs, quitte à discuter sur
certains moyens, et nous efforcer de travailler ensemble avec le Gouvernement
pour transformer, réformer et améliorer le fonctionnement de notre politique de
santé.
J'interviens à cette tribune au nom du groupe des Républicains et des
Indépendants, mais, en ma qualité de président de la commission des affaires
sociales du Sénat, je tiens à remercier le Gouvernement d'avoir inscrit la
discussion de cette proposition de loi dans le calendrier de la session
extraordinaire. C'est là une novation : il est en effet très rare de discuter
d'une proposition d'origine parlementaire au cours d'une session
extraordinaire. Ce geste marque, à mes yeux, tout l'intérêt que le secrétaire
d'Etat à la santé vient de renouveler à l'égard de cette proposition de loi sur
la réforme de l'organisation sanitaire.
Voilà cinq ans, en effet, M. Kouchner l'a rappelé, que nous travaillons sur ce
sujet. Au cours de ces années, nous avons élaboré un certain nombre de
propositions et de textes et nous avons entendu, à cette occasion, s'exprimer
beaucoup de réserves. Nous avons vu se dessiner quelques sourires de-ci, de-là.
Mais cela ne nous a pas découragés et nous avons poursuivi notre travail, sûrs
que nous étions que la concertation très large à laquelle nous nous sommes
livrés permettrait de parvenir à de bons résultats.
Les drames sanitaires que chacun a rappelés, les difficultés dues à
l'imbrication des structures, mais aussi les conséquences financières pour le
budget de l'Etat de l'absence de prévision et de coordination - difficultés
considérables : songez à l'indemnisation des hémophiles transfusés - nous ont
poussés à proposer une réforme d'ensemble du mécanisme, après nous êtes rendus
à l'étranger pour y étudier les systèmes en place.
Nous nous sommes également inspirés des recherches conduites de manière très
efficace par nos excellents collègues Charles Descours et Claude Huriet, qui
viennent de présenter le texte de la proposition de loi.
Quel est le défaut majeur de nos structures nationales ? Il n'a pas changé
depuis Vercingétorix : c'est le cloisonnement. Chacun, dans son petit pré, fait
son petit boulot. S'il s'en acquitte en général d'ailleurs bien, la
transmission des renseignements d'un pré à l'autre et la coordination
d'ensemble n'existent pas.
L'addition de ces activivités cloisonnées donne évidemment des totaux
prestigieux, sauf que l'efficacité n'est pas à la mesure du chiffre final.
Pour tenter de répondre à ce problème de cloisonnement, la proposition de loi
présentée par M. Huriet suggère un système composé d'un institut de veille
sanitaire, de deux agences et d'un comité interministériel.
J'ai naturellement entendu les propos tenus tout à l'heure par MM. Autain et
Kouchner. J'avais auparavant suivi, monsieur le secrétaire d'Etat, les débats
qui ont été menés au sein du Gouvernement. Pour un esprit cartésien, il était
clair qu'une agence était préférable à deux et qu'une grande agence chargée du
contrôle non seulement des produits de santé, mais également des produits
alimentaires, aurait constitué la meilleure solution.
Mais nous avons constaté nous-mêmes aux Etats-Unis que la fameuse agence
unique n'existait pas et qu'il y avait même des secteurs importants pour
lesquels un tel système ne fonctionnait pas. Il est vrai que cela est peu connu
de l'administration française !
Comme nous sommes au Sénat et que nous sommes sages, nous n'avons pas voulu
bouleverser le paysage ni déplaire aux nombreux chefs de bureau qui protègent
leurs attributions. Et Dieu sait si nous en avons dans notre pays : nous en
avons même beaucoup plus que la moyenne européenne ! C'est la raison pour
laquelle nous avons été conduits à opter pour deux agences.
J'ai cependant noté un phénomène très particulier, spécifique à la France et
que nous n'avons trouvé ni aux Etats-Unis, ni en Allemagne, ni en
Grande-Bretagne, ni aux Pays-Bas, ni au Danemark, ni nulle part hors de chez
nous : c'est le fait que les administrations centrales s'estiment dépossédées
si l'on confie des pouvoirs importants à des agences, bien que ce soient des
établissements publics placés sous leur tutelle. Ainsi, quand on regarde vivre
l'administration française, on a l'impression que le problème de la tutelle de
l'administration centrale sur l'agence est plus important que celui de
l'observation et de la surveillance de ce qui se passe sur le terrain, dans le
pays, avec les producteurs, avec les distributeurs, avec les transformateurs,
avec tous ceux qui s'occupent de médicaments, de produits agricoles, de
produits alimentaires, etc.
Mais le problème ne se pose qu'en France : aux Etats-Unis, l'administration de
la santé, qui ne dispose - M. le secrétaire d'Etat le sait - que de très peu de
personnel, a compétence sur des agences très puissantes. Mais jamais le
secrétaire à la santé n'a considéré qu'il était dépossédé parce que des agences
puissantes avaient, par délégation d'un membre du Gouvernement, un certain
nombre de pouvoirs !
Les agences dont nous proposons la création seront des établissements publics
de l'Etat, placés sous tutelle ministérielle. Ce ne seront pas des autorités
administratives extérieures ou des académies indépendantes ou inamovibles :
elles seront responsables et exerceront les pouvoirs de police qui, nous le
pensons, peuvent leur être délégués.
Monsieur le secrétaire d'Etat, souvenez-vous : lorsque nous avons créé
ensemble - déjà complices ! - l'Agence du médicament, un grand débat s'est
instauré pour savoir s'il était concevable, dans notre pays, au XXe siècle,
qu'un ministre puisse déléguer à un directeur d'agence une autorisation de mise
sur le marché d'un médicament. Comme si un ministre réputé omniscient était
qualifié pour délivrer l'ensemble des autorisations, comme si un maire
également omniscient devait délivrer lui-même toutes les licences, tous les
papiers concernant l'ensemble des pouvoirs qu'il peut exercer !
Je crois - Mme Borvo vient de le dire, et j'ai noté ses propos avec intérêt -
que les décisions de l'Agence du médicament n'ont pas suscité de grandes
difficultés depuis cinq ans. La réforme que nous proposons poursuit en ce sens
: elle fédère, elle coordonne, elle donne des moyens.
Il est clair que ces moyens qui devront être donnés aux agences - moyens
humains, moyens en matière de qualité, en matière d'expertise - devront être
renforcés pour que le système fonctionne.
Toutefois, les agences doivent être dotées d'un pouvoir de décision car je
pense que, de cette manière, nous parviendrons à préserver leur indépendance et
à les faire fonctionner dans de bonnes conditions.
Il me reste un dernier mot à dire : si nous avons opté pour deux agences, ce
n'est pas en pensant que l'une fonctionnerait bien et que l'autre serait un
faux semblant. Par conséquent, lorsque nous proposerons deux agences avec des
spécificités différentes - tout à l'heure, lors de l'examen des articles, des
amendements tendront à préciser les pouvoirs et les modalités de fonctionnement
de chacune de ces agences - il ne s'agira pas d'inventer une structure dénommée
« Agence des produits alimentaires » qui n'aurait aucune utilité et qui serait
complètement inadéquate par rapport aux objectifs de contrôle que nous voulons
mettre en oeuvre.
Nous sommes favorables à la mise en place de deux vraies agences ! C'es la
raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai le regret de vous
dire que, bien entendu, nous soutiendrons la commission des affaires sociales
lorsqu'elle s'opposera à un certain nombre d'amendements du Gouvernement, au
travers desquels nous sentons poindre la tendance que nous avons déjà vu
poindre il y a cinq ans déjà et qui consiste à dire : « Attention à ne pas
dessaisir tel ou tel chef de service, tel ou tel directeur en conférant leurs
pouvoirs à une agence. » Non ! mes chers collègues, tout cela est dépassé. Il
faut, me semble-t-il, nous mettre au diapason de l'Union européenne, de la
mondialisation de notre économie, de la protection des citoyens.
J'ai noté avec intérêt que, m'exprimant au nom de mon groupe, je suis parvenu
à peu près aux mêmes conclusions que M. Autain tout à l'heure : il est
nécessaire de mettre en place deux vraies agences, avec de vrais pouvoirs. Cela
nous vaudra sans doute quelques discussions tout à l'heure, monsieur le
secrétaire d'Etat, lorsque nous aborderons la discussion des articles !
Bien entendu, je partage votre thèse sur l'inexistence du risque zéro. Nous
aurons sans doute à nous pencher ensemble - je sais que MM. Huriet et Descours
y réfléchissent de leur côté - sur le problème de l'aléa thérapeutique,
problème très complexe. Mais, là, nous aurons une opposition - et un conflit
certainement difficile - non pas entre les administrations centrales et les
agences, mais entre le milieu des assurances et les défenseurs des deniers
publics.
Il est clair - la presse vient d'ailleurs de diffuser des articles à ce sujet
- que les risques qu'encourent nos concitoyens devant un certain nombre de
dysfonctionnements dans certains établissements hospitaliers mal dotés en
moyens et en personnels vont nous obliger à réfléchir rapidement au problème de
la couverture de l'aléa thérapeutique.
Mais cela fait partie d'une longue évolution ! Nous avons déjà commencé sous
la pression de l'affaire du sang contaminé, qui a été une sorte de bombe dans
l'organisation administrative et politique de notre pays. Nous avons continué
en essayant d'étendre une réglementation rigoureuse à tous les produits de
santé, et nous sommes déjà bien au-delà du domaine du médicament. La compétence
de la première agence que nous proposons va d'ailleurs très au-delà des simples
problèmes de médicaments !
Nous essayons de créer aujourd'hui une structure pour le contrôle des produits
alimentaires. Mais nous serons bien obligés de régler le problème de la
protection des aléas thérapeutiques ! C'est une longue évolution, qui tient
compte des mutations considérables que connaît notre société.
Le Parlement doit être le catalyseur de ces préoccupations et, dans un
dialogue constructif avec le Gouvernement et ses administrations, il doit
essayer constamment de faire le point de cette catalyse et de cette recherche
afin d'améliorer la société dans laquelle nous vivons.
La proposition de loi qu'a excellemment défendue M. Claude Huriet va dans ce
sens. C'est la raison pour laquelle mes collègues du groupe des Républicains et
Indépendants l'appuieront et la voteront.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, la proposition de loi aujourd'hui soumise à notre examen est un
texte dont l'importance mérite d'être soulignée.
Cette proposition de loi est en effet le prolongement législatif du rapport
élaboré par notre collègue Claude Huriet dans le cadre de la mission
d'information sur la veille sanitaire, présidée par M. Charles Descours,
mission à laquelle j'ai participé avec beaucoup d'intérêt.
Les conclusions de ce rapport, excellemment documenté et écrit, nous ont
montré combien la sécurité sanitaire des biens de santé et des produits
alimentaires n'était pas garantie et la veille sanitaire pas assurée.
Il était donc urgent de réagir rapidement et de prendre les mesures
nécessaires.
Le texte que nous examinons marque un réel progrès puisqu'il tend à améliorer
notre dispositif de sécurité sanitaire, jusqu'alors inadapté. C'est la raison
pour laquelle j'ai été heureux d'en être l'un des cosignataires.
En effet, il existe aujourd'hui un indéniable danger, et le sentiment
d'insécurité que ressentent nos concitoyens ne cesse de s'accroître.
En dépit des réformes effectuées depuis 1992 - création de l'Agence du
médicament, de l'Agence du sang et de l'Etablissement français des greffes - la
veille sanitaire est mal coordonnée et les procédures d'alerte sont
insuffisantes.
De trop nombreux drames sont malheureusement là pour nous rappeler les
multiples lacunes de notre système.
Il est évident que ces drames ne doivent pas se reproduire à l'avenir. Il est
de notre devoir et de notre responsabilité de mettre fin à cette situation que
je qualifierai d'intolérable.
Qu'il s'agisse de l'amiante, de l'encéphalopathie spongiforme bovine ou, plus
récemment, de l'épidémie de listériose provoquée par la consommation de
certains fromages, les Français sont trop souvent victimes de l'insuffisance de
la protection sanitaire.
A ce propos, je souhaite vous faire part de mon indignation : il me paraît
aujourd'hui inacceptable qu'une personne puisse être malade ou mourir parce
qu'elle a consommé un aliment.
Malheureusement, l'actualité vient récemment de nous en donner une nouvelle
illustration. L'épidémie de listériose provoquée par des fromages normands a
fait plusieurs victimes avant d'être circonscrite, alors qu'elle avait été
détectée au mois d'avril dernier.
La situation est également inquiétante pour ce qui concerne les biomatériaux.
En effet, des études ont démontré que beaucoup de matériaux implantés dans le
corps humain subissaient des dégradations prématurées, et ce en raison
d'erreurs dans le choix de la conception ou de la mauvaise qualité des
matériaux.
J'insiste donc sur l'impérieuse nécessité d'entreprendre sans plus tarder la
mise en place des nouvelles structures qui nous est proposée dans ce texte,
c'est à dire un Institut de veille sanitaire, une Agence de sécurité sanitaire
des produits de santé, une Agence de sécurité sanitaire des aliments et un
Conseil national de la sécurité sanitaire.
Parce qu'elle tend à améliorer la cohérence et l'efficacité du système, cette
proposition de loi nous tient tous - je l'espère - particulièrement à coeur.
En février dernier, alors que nous débattions déjà de ce sujet, le secrétaire
d'Etat chargé de la santé et de la sécurité sociale de l'époque avait exprimé
l'accord du Gouvernement pour réformer l'administration sanitaire.
Aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis très heureux de constater
que vous nous assurez également de votre soutien. Le Sénat peut en être
fier.
C'est, j'en suis sûr, au travers de cette ambitieuse réforme que nous pourrons
donner à l'Etat les moyens de garantir la sécurité sanitaire en France.
Comment, dès lors, ne pas y souscrire par un vote favorable ? Notre excellent
rapporteur, notre collègue Claude Huriet, nous y incite.
C'est cette voie que suivront, dans leur grande majorité, les membres du
groupe du Rassemblement démocratique et social européen en votant cette
proposition de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui constitue, en
matière de veille et de sécurité sanitaires, une réforme ambitieuse et
nécessaire qui correspond à l'attente de l'ensemble des acteurs de la
prévention des risques menaçant la santé humaine.
Le texte qui nous est soumis est issu des travaux de la mission d'information
chargée de déterminer les conditions du renforcement de la veille et de la
sécurité sanitaires, dont la mise en place a été souhaitée par la commission
des affaires sociales du Sénat. Le rapport de cette mission, présidée par notre
excellent collègue Charles Descours, a été adopté par la commission des
affaires sociales le 29 janvier 1997.
Un large consensus étant apparu sur les conclusions de ce rapport, les
présidents de tous les groupes de la majorité sénatoriale, le président de la
commission des affaires sociales, les sénateurs de la majorité sénatoriale
membres de la mission d'information, MM. Charles Descours et Claude Huriet ont
donc souhaité que soit rapidement proposée une réforme les mettant en
oeuvre.
A cet effet, la présente proposition de loi a été déposée le 22 avril 1997 par
MM. Descours, Huriet et onze de nos collègues de la majorité sénatoriale.
Je souhaite rendre hommage aux auteurs de ce texte non seulement pour leur
souci de renforcement de la prévention des risques sanitaires, mais aussi pour
le caractère global, cohérent et rationnel de la réforme des structures de
l'administration sanitaire qu'ils proposent.
Les travaux de la commission des affaires sociales ont encore contribué à
l'amélioration d'un texte déjà remarquable et novateur, et il convient, à ce
propos, de souligner la qualité des conclusions de son rapporteur, notre
éminent collègue Claude Huriet.
Le texte soumis pour avis à la commission des affaires économiques et du Plan,
dont je suis membre, a ainsi recueilli en son sein un large assentiment, ce
dont je me suis félicité non seulement comme sénateur, mais aussi comme
vétérinaire. Praticien libéral mais aussi ancien vétérinaire-inspecteur des
abattoirs, j'ai en effet été sensibilisé à l'attente d'une telle réforme dans
laquelle on retrouverait tous les acteurs de la filière animale de
l'alimentation humaine : pouvoirs publics, administration sanitaire, éleveurs,
vétérinaires et consommateurs.
Sans mésestimer, loin s'en faut, les aspects de la présente proposition de loi
concernant la création d'un Institut de veille sanitaire et l'institution d'une
Agence de sécurité sanitaire des produits de santé ou d'un Conseil national de
sécurité sanitaire, je souhaite revenir plus particulièrement sur la création
de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, sur laquelle notre commission
des affaires économiques a été saisie.
Tout d'abord, la création de cette Agence de sécurité sanitaire des aliments
me semble parfaitement s'inscrire, en raison du domaine spécifique qu'elle
vise, dans l'architecture générale du dispositif de réforme de l'administration
sanitaire proposé.
Ce dispositif présente l'avantage de la clarté, de la lisibilité, et la
répartition des champs de compétence entre les différentes institutions créées
introduit un système cohérent, global, qui permettra plus efficacement la
détection et la prévention des risques sanitaires connus ou encore inconnus
pour l'ensemble de nos concitoyens.
Concernant donc plus particulièrement le contrôle de la sécurité sanitaire des
aliments, la création d'une agence
ad hoc
et la définition de ses
missions, telles qu'elles ressortent de la présente proposition de loi, me
semblent très largement satisfaisantes.
L'Agence de sécurité sanitaire des aliments, établissement public de l'Etat
placé sous la tutelle des ministres en charge de la santé, de l'agriculture et
de la consommation, aura un rôle essentiel et clairement défini qui contribuera
à assurer la sécurité sanitaire en matière alimentaire pour garantir au mieux
la santé humaine.
Dotée d'un pouvoir d'autosaisine, capable de formuler des recommandations aux
pouvoirs publics, son expertise technique sera à la disposition des services de
l'Etat, qui aura en cette agence un auxiliaire précieux et compétent.
L'ensemble de ses missions couvrira le domaine de l'alimentation et elle
exercera notamment un rôle de coordination de la coopération scientifique
européenne et internationale, un rôle d'élaboration et de mise en oeuvre de la
législation relative à la sécurité sanitaire des aliments, un rôle de
définition des systèmes de vigilance en matière d'aliments, un rôle de
surveillance des contrôles réalisés par les services compétents mais aussi un
rôle consultatif sur certains projets de textes réglementaires concernant les
denrées alimentaires.
Pour assurer toutes ces missions, je crois qu'il serait grandement souhaitable
et sage de s'en tenir à un principe élémentaire, qui devrait garantir le bon
fonctionnement du nouveau système qui nous est proposé, à savoir la mise en
adéquation des compétences des agents avec les nouvelles tâches qu'ils devront
assumer.
Ainsi, de la même façon que, pour l'exercice des contrôles exigeant une
compétence pharmaceutique, les inspecteurs de l'agence devront être titulaires
du diplôme de pharmacien ou que, pour les recherches biomédicales, la qualité
de médecin sera requise, il me semble logique que le contrôle du médicament
vétérinaire relève de la compétence de ceux qui ont reçu une formation
spécialisée dans ce domaine particulier, à savoir les docteurs vétérinaires
eux-mêmes.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
C'est évident !
M. Dominique Braye.
C'est ce souci d'adéquation des compétences avec les nouvelles missions à
assumer, pour assurer la meilleure protection des consommateurs, qui a guidé et
motivé tous les amendements que j'ai déposés avec certains de mes collègues.
Ainsi, la proposition de loi prévoit de confier à l'Agence de sécurité
sanitaire des aliments la délivrance des autorisations de mise sur le marché en
matière de médicaments vétérinaires, compétence propre, jusqu'à présent, de
l'Agence nationale du médicament vétérinaire, l'ANMV, au sein du Centre
national d'études vétérinaires et alimentaires, le CNEVA.
Concernant ce transfert de compétence, est apparu, je dois le reconnaître, un
point de désaccord entre la commission des affaires sociales et la commission
des affaires économiques, saisie pour avis.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques et du
Plan présente deux amendements visant à refuser l'intégration de l'Agence
nationale du médicament vétérinaire au sein de la nouvelle Agence de sécurité
sanitaire des aliments, comme elle refusera avec détermination l'intégration du
CNEVA.
J'ai en effet pensé, avec le rapporteur de notre commission, M. Gérard César,
dont je salue la qualité du travail et la pertinence des conclusions, mais
aussi avec la totalité des membres de la commission des affaires économiques,
que les avantages du maintien du système actuel l'emportaient très nettement
sur les prétendus avantages que l'on pourrait espérer d'un transfert de cette
compétence vers l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
En effet, le dispositif actuel, chacun le reconnaît, donne toute satisfaction
quant aux conditions de fonctionnement de la délivrance des autorisations de
mise sur le marché des médicaments vétérinaires : l'ANMV apporte toutes les
garanties souhaitables de compétence et d'efficacité dans l'évaluation des
dossiers de médicaments vétérinaires qui lui sont soumis.
Certes, il peut sembler logique, de prime abord, de considérer que ce qui
relève du champ de la médecine vétérinaire peut relever du domaine de
l'alimentation humaine en ce qui concerne les animaux d'élevage, en ce sens
que, de la santé de l'animal dépend celle de l'homme qui le consomme. Personne,
je le crois, ne pourrait s'opposer raisonnablement à un tel argument ; mais
celui-ci, s'il était avancé, serait fallacieux, et nous verrons, lors de la
discussion des amendements, que le problème est beaucoup plus complexe et
soulève bien d'autres questions.
L'ANMV, comme ses homologues européennes, doit rester l'institution compétente
en matière d'évaluation des dossiers de nouveaux médicaments vétérinaires. Elle
dispose à cet effet, au sein du CNEVA, de toutes les compétences et
technologies mises à la disposition des chercheurs et experts, par une synergie
évidente entre elle et le CNEVA.
Cette efficacité pourrait être gravement compromise si l'ANMV ou le CNEVA
étaient intégrés à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. De plus, cela
alongerait notablement le temps de délivrance des autorisations de mise sur le
marché des médicaments, dont je vous rappelle qu'il est aujourd'hui de deux ans
et demi dans notre pays contre six mois aux Etats-Unis, ce qui pénalise déjà
suffisamment nos industries pharmaceutiques pour que l'on n'en rajoute pas. En
outre, cette lourdeur ne signifierait pas pour autant une meilleure sécurité,
bien au contraire.
Il s'agirait en effet tout simplement d'ajouter une troisième tutelle, celle
du ministère de la consommation, à celles du ministère de l'agriculture et du
ministère de la santé. Il ne me semble pas souhaitable d'alourdir un système
qui s'avère par ailleurs être cohérent, efficace et sûr, personne ne songeant à
nier l'excellence de l'expertise acquise par l'ANMV.
Je crois donc, non seulement avec la totalité de mes collègues de la
commission des affaires économiques mais aussi avec tous les professionnels
concernés, que le maintien du
statu quo
est pleinement justifié en ce
qui concerne l'ANMV tout comme en ce qui concerne le CNEVA.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, connaître votre avis sur ce point
important.
Depuis le début de mon propos, vous me voyez insister sur la nécessaire
adéquation entre les compétences des professionnels et les missions qui leur
sont confiées.
Cela me paraît indispensable au bon fonctionnement de cette nouvelle Agence de
sécurité sanitaire des produits alimentaires.
C'est pourquoi je proposerai à notre Haute Assemblée des amendements au texte
qui nous est soumis aujourd'hui, amendements qui participent tous à cette
logique inattaquable de la meilleure concordance possible entre compétences et
missions.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
suis persuadé que nous adopterons la présente proposition de loi, que je
voterai, pour ma part, volontiers, en espérant que nos différents amendements,
dont le seul objet est d'assurer une meilleure efficacité de cette nouvelle
Agence de sécurité sanitaire des aliments, soient retenus par notre Haute
Assemblée. Nous aurons, alors, grâce à nos excellents collègues rédacteurs du
présent texte, un outil législatif parfaitement adapté à la prévention des
risques sanitaires tant récurrents qu'encore insoupçonnés.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une
part importante des travaux entrepris depuis plusieurs années par la commission
des affaires sociales a été guidée par une préoccupation incessante : comment
améliorer la sécurité sanitaire de l'ensemble des produits destinés à l'homme
?
Notre discussion aujourd'hui en constitue une étape importante.
Volontairement, je ne parlerai pas d'aboutissement.
Après avoir initié les lois « bioéthiques », le Sénat a contribué à définir un
statut juridique des thérapies génique et cellulaire dont le formidable essor
se réalisait dans un flou juridique considéré comme dangereux par les
chercheurs eux-mêmes.
Nous espérons que cette intervention suffisamment « en amont » du législateur
a permis de définir des normes assurant prioritairement la sécurité pour les
bénéficiaires de ces thérapies et des garanties pour notre société tant les
questions auxquelles nous renvoient ces nouvelles thérapies bouleversent
certains fondements de notre éthique.
Malheureusement, c'est souvent au travers de crises graves que nous mesurons
l'ampleur des carences de notre système de sécurité sanitaire. Il est alors
reproché aux pouvoirs publics de ne pas être intervenus suffisamment tôt ou
d'avoir sous-évalué la gravité d'une infection, voire, et c'est plus grave,
d'avoir plié sous la pression d'autres intérêts que ceux de la sécurité de la
population, à commencer par des intérêts d'ordre économique.
La sécurité sanitaire pour tous repose sur un impératif, nous en sommes tous
convaincus, à savoir la forte implication de l'Etat, afin qu'il garantisse la
protection des usagers. Dois-je rappeler que c'est au moment où le gouvernement
de Mme Thatcher se désengageait de certains contrôles que l'épidémie d'ESB
s'est développée considérablement ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, et cela a été rappelé à plusieurs reprises,
vous avez été vous-même à l'origine de la création des établissements publics
que sont l'Agence française du sang et l'Agence du médicament, projet également
porté par notre assemblée.
Nous pensons qu'il convient désormais d'aller plus loin et de tirer les leçons
des premières années de fonctionnement de ces établissements.
L'architecture globale du dispositif que nous examinons aujourd'hui a évolué
au fil des mois. Nous estimons qu'il devrait répondre à trois exigences, à
savoir la rationalisation et la restructuration de notre système de veille,
éclaté aujourd'hui en de multiples structures, ce qui a également été rappelé à
plusieurs occasions, l'extension des contrôles à l'ensemble des produits
destinés à l'homme et, enfin, la séparation entre les fonctions de contrôle et
celles de production.
C'est donc sûrement à l'unanimité, puisque je suis le dernier orateur à
intervenir dans cette discussion générale, que nous saluerons la création d'un
Institut de veille qui va accorder au jeune Réseau national de santé publique
une dimension renforcée et devenir un instrument essentiel de l'élaboration, de
l'évaluation, et donc de la conduite de notre politique de santé publique.
Son terrain d'investigation est particulièrement vaste puisqu'il évalue un
maximum de risques, dont ceux - et c'est nouveau - d'origine naturelle et
technologique. C'est particulièrement important alors que commencent à être
recensées dans notre pays les conséquences sur la santé de phénomènes tels que
la pollution de l'air ou de l'eau. Les conclusions du rapport de l'Agence de
l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, à cet égard sont
édifiantes.
Afin d'assurer son rôle d'alerte, cet Institut de veille s'appuiera bien
entendu sur les structures déjà existantes. La mission sénatoriale a souligné à
la fois la multiplicité des organismes investis d'une mission de veille, tels
que les observatoires régionaux de la santé, et leur éclatement en raison de
leur rattachement à des tutelles ministérielles différentes, qu'il s'agisse du
ministère de la santé, bien sûr, de ceux de l'agriculture, de l'environnement
ou de l'économie et des finances, en raison également de la diversité de leur
statut juridique.
La mission a bien tenté d'en dresser une liste exhaustive, mais cette tâche
s'est révélée particulièrement difficile. C'est pourquoi le groupe socialiste
souhaite qu'un tel « inventaire » puisse être fait puisque l'Institut de veille
sanitaire a vocation à devenir la tête de ce réseau aussi dense que confus. Il
est bien évident que s'imposeront ensuite un certain nombre de
réaménagements.
Afin de compléter les informations transmises par l'Etat, les collectivités,
les organismes de sécurité sociale et tout ce réseau institutionnel, nous
souhaitons également - nous déposerons un amendement en ce sens - que les
réflexions de l'Institut de veille sanitaire soient enrichies par les données
procurées par la médecine scolaire - pour laquelle il est urgent de débloquer
des moyens supplémentaires - et la médecine du travail. Celles-ci sont souvent
les premières à constater l'apparition de certaines pathologies : nous pensons
tous aux maladies provoquées par l'amiante par exemple. Elles évaluent
également les conséquences de l'évolution des comportements d'hygiène de vie,
notamment chez les enfants et les adolescents.
Les orientations concernant cette veille sanitaire contenues dans cette
proposition de loi sénatoriale ne suscitent donc pas de réserves fondamentales
de notre part.
J'en viens maintenant à l'économie générale du système de sécurité sanitaire
des produits destinés à l'homme.
Je ne m'attarderai pas - mon collègue François Autain l'ayant déjà fait - sur
l'important débat de fond - désormais tranché - qui consiste à savoir s'il
convient de confier la responsabilité de la sécurité sanitaire à une agence
unique.
Je tiens simplement à rappeler que nous avons forgé notre conviction au regard
de la suspicion qui peut parfois planer sur les contrôles exercées sur les
aliments.
Vous avez d'ailleurs vous-même indiqué, monsieur le rapporteur, que «
l'indépendance des contrôles ne peut être garantie, au moins totalement
crédible, eu égard à leur rattachement à une administration également chargée
de défendre des intérêts économiques ».
Il ne s'agissait donc en aucun cas pour nous de ménager une quelconque «
esthétique administrative ».
Je vous rappelle que c'est en vertu du principe de la séparation entre le
contrôle et la production que la proposition de loi réorganise les compétences
de l'Agence française du sang et de l'Etablissement français des greffes.
Toutefois, l'urgence est là : la population attend légitimement que nous
intervenions. Nous allons donc greffer, si vous me permettez cette expression,
deux nouvelles agences aux dispositifs et procédures déjà existants.
Le champ d'intervention de la nouvelle Agence de sécurité sanitaire des
produits de santé intègre désormais un large éventail de produits à vocation
thérapeutique, d'origine humaine notamment, les produits thérapeutiques
annexes, de nutrition clinique, les dispositifs médicaux pour lesquels nos
auditions ont révélé des carences plus qu'inquiétantes, mais également les
cosmétiques et les lentilles oculaires.
Bien sûr, les procédures diffèrent selon que nous avons affaire à des produits
soumis à un simple régime déclaration ou à une autorisation de mise sur le
marché, mais il s'agit ici de s'imprégner de « la culture » de l'Agence du
médicament, dont la qualité de l'expertise scientifique et la rigueur sont
naturellement appelées à s'appliquer bien au-delà des seuls médicaments.
Sur ce point, en ce qui concerne le rattachement des médicaments vétérinaires,
sujet évoqué par l'intervenant précédent, nous nous interrogeons sur la
pertinence et l'efficacité du choix effectué par la majorité de la commission
des affaires sociales et à plus forte raison sur la position adoptée à
l'unanimité - vous venez de le rappeller, mon cher collègue - par la commission
des affaires économiques. Nous estimons effectivement que, bien qu'intervenant
dans la chaîne alimentaire, ils répondent aux mêmes impératifs que des
médicaments à usage humain, la santé des consommateurs pouvant être affectée
par des résidus issus de ces médicaments. Il s'agit donc là d'un même
métier.
On nous objectera que, compte tenu du caractère spécifique des médicaments
concernés, cela aboutirait à une simplification abusive susceptible de nuire à
la compétitivité des laboratoires, et que, de plus, un tiers de ces médicaments
est consommé par des animaux domestiques.
Pouvez-vous alors nous expliquer pourquoi la légitimité de l'intégration des
médicaments vétérinaires dans le champ de compétence de l'Agence européenne du
médicament n'a jamais été remise en cause ?
L'extension des compétences que vise à apporter la proposition de loi à cette
agence ne se limite pas à sa seule dimension matérielle ; en effet, les
pouvoirs de police du directeur général lui permettront désormais d'ordonner
une mesure de retrait du marché dès qu'un risque sera identifié. Il s'agit là
d'une amélioration essentielle par rapport au régime actuellement en vigueur à
l'Agence du médicament.
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que c'est l'Agence de
sécurité sanitaire des aliments qui suscite nos plus grandes réserves.
Certes, nous notons que le ministre de la santé devient une des autorités de
co-tutelle, au même titre que le ministre de l'agriculture et que celui qui est
chargé de la consommation.
Il s'agirait d'une garantie supplémentaire nous assurant que les intérêts de
santé publique seront pris en compte dans l'évaluation des risques sanitaires
que comporte chaque étape de la chaîne de l'alimentation, le principe de
précaution devant guider les interventions de cette agence.
Toutefois, nous regrettons vivement que les exigences posées pour l'Agence des
produits de santé, en termes d'autonomie, d'indépendance des corps
d'inspection, et surtout de pouvoirs de police, exigences qui contribuent à
asseoir sa crédibilité et son efficacité, n'aient pas été retenues par l'Agence
de sécurité sanitaire des aliments.
Alors que la première constitue, en quelque sorte, le « bras armé » de l'Etat,
la seconde se cantonne principalement dans des missions d'évaluation des
risques, d'expertise, de conseil du Gouvernement.
Certes, elle pourra recourir aux services départementaux vétérinaires et à la
DGCCRF, mais nous pensons que ce démembrement pourra nuire à la cohérence des
stratégies menées par cette nouvelle agence.
Par ailleurs, la publication des recommandations formulées par le directeur
général constituerait alors, en elle-même, une garantie significative qui
devrait permettre d'assurer la cohérence entre les conclusions de l'agence et
les décisions ministérielles.
Si l'on peut se réjouir de ce souci de transparence à l'égard de la population
- nous savons que cette question vous est chère, monsieur le secrétaire d'Etat
- on peut s'interroger cependant sur ce que cette faculté peut induire en
termes de relations, voire parfois de rapport de force, entre l'Agence et son
ministre de tutelle.
Nous pensons par ailleurs que le nouveau Conseil national de la sécurité
sanitaire pourrait devenir l'enceinte où les différences d'appréciation entre
les divers ministères pourraient être tranchées, que cela concerne des
politiques globales ou se produise à l'occasion de crises graves.
En conclusion, nous estimons que cette nouvelle législation constitue malgré
tout un progrès significatif par rapport au schéma actuel de sécurité
sanitaire. Elle met en place un véritable système de veille et d'alerte, elle
renforce le contrôle de l'ensemble des produits de santé, elle améliore enfin
la surveillance des denrées alimentaires en faisant du ministre de la santé un
acteur de cette politique.
Le groupe socialiste souhaite toutefois que le fonctionnement de ces trois
établissements et leur coopération soient évalués trois ans après l'entrée en
vigueur de cette nouvelle législation.
En effet, il nous paraît important d'apprécier leur impact sur la conduite de
notre politique de santé, mais également de mesurer l'efficacité de la
coopération interministérielle dans le domaine de la sécurité sanitaire des
aliments sur laquelle repose, selon nous, la fiabilité du système finalement
retenu. C'est en ce sens que nous avons déposé un amendement.
C'est en raison des progrès incontestables qu'apporte cette proposition de loi
que le groupe socialiste se prononcera pour son adoption.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les questions, les
commentaires sont nombreux à propos de cette proposition de loi. Je note quand
même que celle-ci recueille l'unanimité et quant à son fondement et quant à ses
grandes lignes, même si quelques réserves sont émises et quelques remarques
sont faites.
Tout d'abord, M. Descours constate la multiplicité des organismes chargés de
la veille et il propose à juste titre, parce que cela relève du bon sens et
parce que cela va de soi, que l'on recense, que l'on mette en perspective tous
les organismes qui sont chargés, sans le faire d'ailleurs, de contrôler les
dispositifs.
Cette initiative me semble parfaitement légitime. Je vais d'ailleurs tenter de
la mettre en oeuvre dans le domaine qui m'est imparti, celui de la santé. En
effet, là aussi, il existe une myriade de dispositifs dont je ne comprends pas
toujours moi-même le bien-fondé.
M. Descours dit ensuite que la précaution ne doit pas conduire au refus
d'agir. Nous sommes bien évidemment tout à fait d'accord sur ce point.
J'ai noté récemment, particulièrement aujourd'hui, combien ce sujet est
difficile. En effet, ce fameux rapport « bénéfice-risque » dont nous parlons
constamment et qui doit être à l'origine de chaque décision - il y va
d'ailleurs de l'honneur non seulement de la profession médicale, mais aussi de
l'administration, qui y a sa part - s'éclaire d'un jour différent, sinon à la
seconde ou à la minute, du moins en fonction des changements dans nos
connaissances. Il est ainsi très difficile de peser entre le bénéfice et le
risque dans les nouveaux domaines qui ont déclenché l'alerte ces derniers
temps.
Ne pas agir serait coupable. Mais agir sans être éclairé est parfois sans
doute coupable.
J'ai parlé de cet amendement à propos des infections nosocomiales et plus
largement peut-être des dysfonctionnements des hôpitaux, pour retenir une
expression ayant une connotation neutre. Mais comment peut-on rester neutre
devant ce qui se produit aujourd'hui ?
J'espère que vous accepterez - je fais allusion à la remarque de M. Descours -
cet amendement qui permettrait non seulement de mettre en perspective, mais
également et tout d'abord, de noter, de recenser systématiquement ces incidents
hospitaliers.
Je crois avoir répondu aux questions relatives à la création de trois
institutions, non accompagnée de suppression, et à la demande de réexamen de
l'utilité des organismes. J'ai également évoqué d'une façon générale, dans mon
propos liminaire, l'Institut de veille sanitaire, l'Agence de sécurité
sanitaire, l'Agence de sécurité alimentaire. Il n'est plus temps, je crois, de
se poser des questions à ce propos ou de manifester des états d'âme.
Je partage l'analyse qui a été faite par le groupe socialiste sur le rôle
désormais dévolu au ministère de la santé. Mais je représente ici non pas
seulement le ministère de la santé - ce qui serait peut-être plus facile - mais
également le Gouvernement. Dans ces conditions, je constate que le fait que le
ministère de la santé ait mis le pied dans la porte et que son attitude soit
aujourd'hui institutionnalisée représente un progrès en matière de sécurité
alimentaire et de sécurité sanitaire.
Un orateur a parlé de vider l'Agence alimentaire de sa substance. Je n'ai pas
à répondre à cette question, car je n'ai pas entendu ou je n'ai pas compris qui
souhaitait vider l'Agence de sa substance. Il n'en est pas question. J'en veux
pour preuve la dernière aventure de la listériose, qui a été rappelée plusieurs
fois à cette tribune, et la recherche du « fromage coupable ».
On peut s'interroger, bien sûr, sur les délais qui ont présidé à cette
recherche. On peut dire qu'après tout quelques semaines, peut-être même un mois
ou deux auraient été gagnés si le dispositif proposé - et le Gouvernement le
soutient - avait été déjà en place.
Nous aurions, en effet, gagné du temps, j'en suis persuadé.
Il s'agit non de vider cette Agence de sa substance mais, au contraire, de lui
donner du poids, de la doter de dispositifs réglementaires.
Si l'Agence de sécurité sanitaire des aliments avait existé, nous aurions
probablement été en mesure de donner l'alerte avant les vacances. Et ce n'est
pas le directeur du réseau de la santé publique, ici présent, qui me
démentira.
Le renforcement de ce Réseau national de santé publique et sa transformation
en Institut de veille sanitaire va aussi nous permettre de donner l'alerte.
Toutefois, je le disais tout à l'heure, lorsque l'alerte est donnée, il est
souvent trop tard, la prévention n'a pas été faite. Or, ce dispositif, du moins
je l'espère, permettra, imposera la prévention.
Je répondrai maintenant à quelques-uns des arguments développés par M. Autain.
L'évaluation médicale est une question très précise. Vous avez demandé,
monsieur le sénateur, si l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en
santé serait dotée des moyens et des compétences nécessaires. Ce sera fait le
14 octobre. Le ministre de la santé ou, plutôt, le secrétaire d'Etat à la santé
que je suis - ce lapsus va m'être reproché ! - dispose en effet d'un droit de
proposition. Sachez cependant qu'il revient aux assemblées de l'établissement
de décider quels seront les responsables des postes de direction de l'ANAES.
L'ANAES est l'Agence nationale d'accréditation « et » d'évaluation non
seulement des établissements, mais aussi des structures hospitalières.
Face à l'article publié dans une revue parue aujourd'hui, nous devons dire
ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, que lorsqu'on condamne, que l'on
pointe du doigt une structure hospitalière, bien souvent seuls un ou deux de
ses services sont en cause et non pas l'ensemble.
Lorsque l'on publie à l'emporte-pièce une carte de France où les points noirs
de la chirurgie sont répertoriés, on a l'impression qu'il faut supprimer
l'hôpital. Il ne faut pas le supprimer, il faut s'interroger sur la chirurgie,
prendre des mesures. En effet, l'hôpital, ce n'est pas seulement la chirurgie,
c'est aussi la prise en charge, dans ses services de médecine, des enfants, des
adultes, des personnes âgées, ce qui, en général, est très bien fait.
Pardonnez-moi de m'écarter un peu du sujet, mais il faut bien que je le dise :
s'interroger sur la mortalité à l'hôpital relève d'une grande naïveté. En
effet, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le savent tous les médecins qui
siègent dans cet hémicycle ; malheureusement, on ne va pas seulement à
l'hôpital pour guérir, on y va aussi pour mourir. C'est aujourd'hui un constat,
et il ne faut pas s'en étonner. La conclusion qu'il faudrait en tirer, c'est
plutôt que l'hôpital ne doit pas être l'endroit choisi pour aller mourir. Il
faudrait peut-être que l'on aborde différemment la mort, qu'on l'envisage dans
un cadre plus familial, que les malades soient pris en charge autrement.
Cependant, je ne veux pas minimiser l'intérêt d'une telle publication. Au
contraire, chacun d'entre nous devrait saisir cette occasion pour faire son
examen de conscience par rapport à son hôpital de proximité ou à ses
responsabilités.
Profitons de l'opportunité qui nous est offerte, ne rejetons pas cette
enquête, tout en ne prenant pas pour argent comptant tout ce qui est écrit dans
cette publication où il y a à boire et à manger, si j'ose dire.
Lorsqu'il est indiqué dans cette revue qu'un service n'est pas compétent,
examinons celui-ci. Jamais vous ne me ferez dire, alors que je suis en charge
de la santé, que je sacrifierai la proximité à la sécurité.
C'est le travail d'une vie, c'est aussi le travail du personnel et son
dévouement. Il est un peu facile, sous prétexte de sensationnel et de scoops
réitérés tous les ans ou tous les deux ans, de considérer que ce serait si
simple. Si tel était le cas, des mesures auraient été prises depuis
longtemps.
Mais chaque fois qu'on va dans un endroit précis, chez vous, mesdames,
messieurs, pour attirer l'attention sur tel service de proximité, on se heurte
évidemment aux populations et à vous, les élus. En effet, il ne faut pas
l'oublier, l'hôpital ce n'est pas seulement le soin. C'est bien sûr le soin, la
sécurité du soin, mais c'est aussi un élément de la vie. Lorsqu'on le fait
disparaître, après l'école ou après l'emploi, c'est une partie très symbolique
et très forte de la vie quotidienne que l'on met en question.
Pardon d'avoir fait cette petite digression, monsieur Autain, et j'en reviens
à vos remarques.
Pour ce qui concerne la veille, il s'agit, dites-vous, de réduire la
multiplicité des structures. Je suis mille fois d'accord avec vous sur ce
point, et, comme je vous l'ai dit, je tenterai de m'y employer.
Pour ce qui est du contrôle, vous proposez un réexamen dans trois ans. Bravo !
Je ne peux qu'approuver. Nous allons donc compléter en ce sens cette loi.
Dans une loi relative à la bioéthique, vous le savez, on avait prévu un
réexamen tous les cinq ans. Je ne sais si trois ans c'est bien, mais cela me
semble tout à fait raisonnable.
J'en viens aux dispositifs médicaux. Avec ceux-ci, nous avons voulu prévoir
non pas une mise sur le marché conditionnée, mais une possibilité d'examen
préalable qui soit compatible avec la directive européenne. Si, comme je le
souhaite, ce dispositif administratif est accepté, nous demanderons à Bruxelles
le réexamen plus complet de la directive européenne. Nous ne pourrons pas faire
autrement ! Ce sera long et difficile, mais je crois qu'il sera tout à fait
utile de le faire. En tout cas, je m'y engage.
Pour ce qui est des médicaments vétérinaires dans l'Agence de sécurité
sanitaire des produits de santé, franchement, je ne savais pas que vous
poseriez cette question, monsieur le rapporteur. Si j'ai bien compris, il
s'agirait de placer l'ensemble du CNEVA, le Centre national d'études
vétérinaires et alimentaires, à l'intérieur de l'Agence.
Personnellement, je pense que ce sujet mérite qu'on y réfléchisse et que vous
soyez sage à ce propos. Je ferai simplement remarquer, sans faire preuve de
dogmatisme, que le médicament vétérinaire est déjà dans l'Agence européenne du
médicament, ce qui va plutôt dans le sens de l'intégration et du renforcement
de telles structures.
Je ne sais pas si l'on peut aller plus loin et mettre l'Agence du médicament
vétérinaire dans l'Agence de sécurité sanitaire. Pour ma part, je ne le
souhaite pas, mais je relève ce qui est déjà fait à l'échelon de l'Europe et
qui, apparemment, ne fonctionne pas si mal.
Le sujet mérite en tout cas qu'on y réfléchisse, mais je n'apporte pas de
réponse dès maintenant.
Quoi qu'il en soit, ce dispositif devra être en permanence confronté à la
situation européenne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si un tel dispositif a été mis en oeuvre en
Europe, c'est d'abord parce que l'Agence européenne du médicament est rattachée
à la direction responsable de l'industrie. C'est discutable, mais c'est
ainsi.
Pourquoi un tel dispositif ? Pourquoi est-ce Mme Emma Bonino, le commissaire
responsable de la consommation, qui est chargée du dossier ? Parce qu'il
n'existe pas d'Europe de la santé ! Si vous négligez ces éléments, vous ne
comprendrez rien au film !
Il n'existe pas d'Europe de la santé, disais-je. Le traité de Maastricht ne
traite pratiquement pas de la santé, et son article 129 vient seulement d'être
légèrement retouché.
Quoi qu'il en soit, je suis persuadé - j'en prends avec vous le pari - en tout
cas c'est mon souhait, qu'il y aura bientôt une Europe de la santé et une
direction européenne responsable de la santé. Si tel est le cas, nous nous
reverrons.
Le dispositif européen me paraît tout à fait temporaire. En tout cas, je
propose, aussi bien pour les dispositifs médicaux et la directive que pour le
médicament vétérinaire, non pas de nous ajuster sur Bruxelles - nous n'avons
pas à le faire ! - mais de mettre en perspective notre dispositif, qui sera
extrêmement performant, du moins si vous le votez ! Ce sera un modèle pour
l'Europe. Dans ces conditions, ce sera plutôt à l'Europe de s'adapter.
Madame Borvo, j'ai noté avec beaucoup d'intérêt que, sans prendre la forme
d'une autocritique, vous avez signalé que tout ce que vous craigniez par
rapport à l'Agence du médicament, à propos des taxes et des redevances, de
l'indépendance de son conseil d'administration et du respect des règles
déontologiques, vous est finalement apparu comme un souci dépassé au vu du
fonctionnement de cet organisme. Je vous en remercie d'autant plus, madame
Borvo, que vous me donnez l'occasion de rappeller, comme MM. Descours et Huriet
s'en souviennent, que le reproche avait été émis selon lequel l'Agence du
médicament fonctionnerait avec des redevances versées par la profession.
Sachez qu'il s'agit de 18 000 redevances, correspondant à 18 000 dossiers
déposés. Comment voulez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'avec une
telle multitude de redevances un laboratoire ou un autre puisse exercer une
influence particulière ? Chacun d'entre eux est complètement noyé dans la
masse.
Qui plus est, vous avez vu avec quelle pugnacité, avec quelle indépendance
dans ses décisions, avec quelle avance sur le reste du monde l'Agence du
médicament marquait son indépendance par rapport à la puissance financière de
l'industrie pharmaceutique.
On a constaté récemment, concernant les anorexigènes, combien la décision qui
avait été prise voilà deux ans dans notre pays était un modèle puisque les
Américains en ont tenu compte. Si vous lisez la presse américaine, le
Wall
Street Journal
notamment, vous verrez que les Américains, à propos de la
Food and Drug Administration,
s'interrogent sur le fonctionnement de
notre Agence du médicament. Véritablement, ils auraient pu gagner deux ans eux
aussi, et certains incidents dommageables pour la santé des Américains auraient
pu être évités. Voilà ce qui motive l'Agence du médicament : la protection de
la santé et non pas le combat contre l'industrie pharmaceutique. Il n'y a pas
de combat contre l'industrie pharmaceutique !
A cet égard, je répéterai ce que j'ai dit tout à l'heure à la tribune et qui,
hier, a fait je crois l'unanimité parmi les cadres de l'industrie
pharmaceutique devant lesquels je m'exprimais : la sécurité est un facteur
d'exportation supplémentaire - sécurité d'abord de nos médicaments, bien
entendu, mais sécurité des produits en général. C'est cela que nous visons, non
seulement pour l'exportation, mais aussi, bien sûr, pour la sécurité de nos
concitoyens.
J'ajoute, madame Borvo, que les règles déontologiques sont très strictes et
ont été instituées par l'Agence avant toute autre administration. On a demandé
aux experts qui travaillent avec l'Agence du médicament quels étaient leurs
liens avec l'industrie pharmaceutique afin que chacun sache si tel expert avait
travaillé pour tel ou tel laboratoire. Je crois que cette manière de faire est
devenue un modèle.
Vous avez dit, madame le sénateur, que le personnel de l'Agence, au 31
décembre 1996, représentait 10 % de fonctionnaires. C'est beaucoup plus que
cela ! Ils sont 232, soit 40 %, les 291 autres personnes étant des contractuels
de droit public. Telle est la réalité.
Il y a, certes, des experts extérieurs - mais c'est là notre façon de faire -
qui combinent leurs travaux avec ceux des experts internes. Mais,
véritablement, ce sont des fonctionnaires et des agents publics.
Vous dites, madame Borvo, que c'est une garantie supplémentaire. Alors, soyez
satisfaite !
L'Agence n'a aucune compétence de développement dans le secteur. Il n'y a
aucun intérêt financier dans l'Agence du médicament, puisque c'est le Comité
économique du médicament, complètement séparé de l'Agence, qui détermine les
prix des médicaments.
En revanche, l'Agence délivre les autorisations de mise sur le marché, qui
permettent un contrôle tout au long de la chaîne. Encore une fois, l'Agence n'a
rien à voir avec la finance, ni avec l'économie ni avec le prix du
médicament.
Sa raison d'être est de s'assurer qu'un produit n'est pas potentiellement
dangereux, et donc de maintenir un rôle majeur de l'Etat, celui de la
sécurité.
Vous parlez de transparence. Il existe un serveur sur Minitel pour toute
décision de rappel des lots, rappel qui est déterminé par le directeur de
l'Agence, sans consultation du ministre, et qui se fait en toute transparence
avec correspondance immédiate de pharmacovigilance.
J'en viens aux questions posées par M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Il m'a prié de vous présenter ses excuses, monsieur le
secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
S'agissant du décloisonnement des structures, je suis
entièrement d'accord avec lui. Je suis favorable à la délégation du pouvoir de
police ainsi qu'au statut d'établissement public de l'Etat, bien entendu. Tant
que ce sera de ma responsabilité - il n'en sera que d'un tiers de la
responsabilité -, je dis et je répète à l'intention de la représentante du
ministère de l'agriculture que je serai contre la conception visant à faire de
l'Agence de sécurité sanitaire des aliments une coquille vide ! Ce n'est
nullement dans notre intérêt, ni dans celui de la santé.
Vous pouvez me prêter des arrière-pensées de jalousie : « Ah, si j'avais eu
une seule agence ! » Non, pas du tout ! C'est au contraire un progrès essentiel
- je l'ai dit à M. Autain - de faire en sorte que le ministère de la santé soit
partie prenante dans le contrôle, l'alerte et les décisions de santé publique
qui concernent l'aliment. C'est ce que nous vous proposons aujourd'hui.
La question de l'aléa thérapeutique, M. Fourcade a raison, est plus difficile.
Nous nous heurtons à des présupposés et non à la réalité.
J'ai été l'auteur, lors du dernier conseil des ministres du gouvernement de
Pierre Bérégovoy, d'une communication sur le risque thérapeutique qui n'a pas
suffit. Il nous faut reprendre ce sujet pour compléter le travail que vous
faites aujourd'hui ; mais nous n'en sommes pas là. Pour l'instant nous
cherchons à accroître la sécurité sanitaire.
Quant à la réparation des accidents médicaux, la responsabilisation, il faudra
aussi nous en charger un jour pour faire en sorte que les procès n'abondent pas
trop dans notre pays entre les professionnels d'un côté et les consommateurs de
l'autre. C'est une réflexion urgente, selon M. Fourcade. Nous la mènerons.
Monsieur Bimbenet, l'examen de ce texte constitue - vous êtes gentil de
l'avoir rappelé - une démonstration de la continuité de l'action
gouvernementale. De gouvernement en gouvernement, cette continuité a été
préservée sans que la politique partisane ait grand-chose à voir. Sur cette
proposition de loi, les intérêts économiques, administratifs et ministériels
peuvent en effet ne pas être les mêmes, mais il n'y a pas d'intérêts politiques
en jeu ! Franchement, à mon avis - c'est pourquoi j'espère, dans ces rangs,
l'unanimité - il n'y a, dans la recherche de la sécurité sanitaire pour nos
concitoyens, qu'à y gagner. En ce domaine, aucun drapeau partisan ne serait
brandi à bon escient.
Monsieur Braye, vous êtes favorable à la création de l'Agence de sécurité
sanitaire des aliments, mais vous estimez qu'il existe des domaines
spécifiques. Personnellement, je me rends à l'évidence - je suis, contrairement
à ma réputation, un membre du Gouvernement discipliné - mais je ne partage pas
complètement votre sentiment. Je ne le dis pas pour défendre une autre thèse.
Je le répète, cette deuxième proposition de loi de sécurité sanitaire me semble
un acquis important. Mais je ne vois pas en quoi la diversité des produits
devrait entraîner celle des esprits. Si nous adhérons sans hésitation à la
préoccupation essentielle du Sénat, à savoir la protection des citoyens, nous
serons toujours d'accord, car une telle protection - vous le savez très bien,
monsieur Braye, ainsi que tous vos confrères - passe par la prévention.
Il ne s'agit pas seulement de constater l'existence d'une infection ou d'un
microbe ; il est parfois trop tard lorsque nous en avons connaissance. Il
s'agit surtout de la prévention, une préoccupation qui nous est commune, quels
que soient les produits, et qui permettra à ceux-ci - j'en suis infiniment
partisan - de se vendre bien mieux sur nos marchés comme sur les marchés
étrangers. Il n'y a donc pas de divergence entre nous sur ce point.
Vous souhaitez par ailleurs que la compétence vétérinaire - et je le comprends
de votre part - reste spécifique. Vous refusez donc, pour ce motif, avec
beaucoup de force, l'intégration du Centre national d'études vétérinaires et
alimentaires dans l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Personnellement, je ne suis pas aussi formel. Il faut que je réfléchisse avec
les intéressés à cette proposition.
Pour le moment, j'écouterai avec intérêt les arguments échangés. Je vous fais
remarquer, une fois de plus, que les produits vétérinaires sont traités par
l'Agence européenne du médicament. Apparemment, les délais proposés pour
obtenir l'autorisation de mise sur le marché ne sont pas excessifs. Mais
j'attendrai la discussion des textes pour en reparler.
Madame Dieulangard, vous tirez les leçons de cinq ans de fonctionnement de
l'Agence française du sang et de l'Agence du médicament. Je partage cette
vision. « L'éclatement des structures, l'extension des contrôles à tous les
produits, la séparation entre la fonction de développement d'un secteur
économique et de contrôle » de la police sont notre credo, surtout le dernier
point, bien entendu.
Pour bâtir la sécurité alimentaire, il faut absolument que l'économie soit
séparée du contrôle. Nous l'avons dit à propos de l'Agence française du sang et
nous le rappelons en soutenant cette proposition de loi tendant à inclure le
contrôle des produits du sang dans l'Agence de sécurité sanitaire.
En ce qui concerne le soutien au renforcement de la médecine scolaire et le
rapprochement de l'Institut de veille sanitaire et de la médecine du travail,
vous avez entièrement raison, madame. Nous sommes d'accord et nous nous
efforcerons d'agir en ce sens.
Vous savez - on en a parlé ces temps-ci entre le ministère de l'éducation et
celui de la santé - combien il est difficile d'élargir le cercle des médecins
scolaires et de renforcer la médecine du travail. Il nous faut trouver à la
fois des volontaires et des structures plus souples. Nous nous y attachons. Je
vous remercie d'aller dans ce sens.
Etendre aux autres produits la rigueur et l'expertise de l'Agence du
médicament, je ne peux qu'y souscrire.
Vous émettez des réserves sur l'Agence de sécurité sanitaire des aliments,
même si le ministre de la santé y trouve sa place. Madame, je ne répondrai pas
à cela ; j'y trouve ma place et une bonne place. Nous veillerons à ce que son
rôle dans la santé publique soit plein et entier.
Lorsque vous dites que le Conseil national de sécurité sanitaire est
l'enceinte des expressions de la résolution des accords, vous avez parfaitement
raison ; c'est un recours dont on n'a peut-être pas assez parlé au cours du
débat, mais c'est le recours ultime. En cas de divergence, c'est le Conseil
national de sécurité sanitaire qui devra trancher.
Pour ceux qui ont encore des réserves sur l'Agence de sécurité sanitaire des
aliments, ils trouvent là une garantie supplémentaire. S'il y a de réelles
divergences entre les ministres - cela peut arriver - c'est le Premier ministre
qui tranchera, comme dans tout bon fonctionnement républicain.
Voilà, je crois avoir fait très rapidement, monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, le tour des questions et je vous remercie d'avoir été
positifs, y compris dans vos critiques.
(Applaudissements.)
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Sans préjuger le déroulement de nos débats lors de la
discussion des articles, je voulais exprimer un sentiment de satisfaction. Je
ne méconnais pas les difficultés qui sont devant nous, mais je constate sans en
être surpris que, au-delà d'une simple convergence, se dessine un accord sur
l'objectif que nous devons nous efforcer d'atteindre et sur le point de départ
de notre travail parlementaire.
Nous sommes partis du constat que, malgré la diversité, la multiplicité et la
compétence des structures existantes qui concourent à la sécurité sanitaire,
cette dernière n'était pas parfaitement assurée. Tel est bien le point de
départ sur lequel, je crois pouvoir l'affirmer, nous sommes tous d'accord.
Il reste à voir comment on peut faire mieux en s'inspirant des quelques pistes
qui ont été évoquées dans les différentes interventions et qui concernent la
recherche d'un décloisonnement - le terme a été utilisé plusieurs fois - la
recherche d'une meilleure cohérence dans l'organisation générale du dispositif
dans notre pays, ainsi que le souci de voir respectées grâce aux agences, trois
conditions qui nous paraissent impératives : la compétence, la transparence et
l'indépendance, cette troisième condition semblant prêter à des interprétations
diverses selon les intervenants - nous y reviendrons sans doute.
Au terme de cette discussion générale, je voudrais attirer votre attention,
mes chers collègues, sur le caractère contradictoire des amendements dont la
commission des affaires sociales a été saisie ce matin.
En effet, si certains de ces amendements visent à conforter, à renforcer les
moyens affectés à l'une des agences, l'Agence de sécurité sanitaire des
produits de santé, d'autres amendements, déposés parfois d'ailleurs par les
mêmes auteurs, par le Gouvernement en particulier, visent à réduire de plus en
plus la consistance et les missions de l'autre agence, à savoir l'Agence de
sécurité des produits alimentaires.
Cette situation découle, me semble-t-il, d'une appréhension un peu globale et
simpliste du problème. Au cours de la discussion qui va maintenant s'ouvrir,
nous allons être confrontés à cette contradiction.
Si l'on croit à l'efficacité des agences - je pense notamment à l'Agence du
médicament dont il a été largement question cet après-midi, et ce n'est pas
fortuit car elle nous fournit un exemple concret - on doit adopter une démarche
cohérente à l'égard de chacune d'elles. Si nous considérons, comme le président
Fourcade l'a parfaitement évoqué, que ces agences portent en elles-mêmes un
affaiblissement de l'administration, voire, dans certains cas, un
affaiblissement du rôle de l'exécutif, nous devons en tirer les conséquences
avec cohérence. On ne peut pas défendre deux systèmes en se fondant sur des
argumentations contradictoires.
Voilà ce que je tenais à dire avant de remercier M. le secrétaire d'Etat de
l'intérêt qu'il porte, au nom du Gouvernement, à la démarche parlementaire.
Je remercie également mes collègues qui, dès la discussion générale, ont
manifesté l'importance qu'ils attachent à ce texte. Cela me laisse à penser
qu'au terme des quelques heures qui viennent, nous aurons progressé dans la
recherche de la sécurité sanitaire, à laquelle aspirent naturellement nos
concitoyens.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants ainsi que sur les travées socialistes et celles du
RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, le Gouvernement souhaite que
le Sénat interrompe ses travaux pendant quelques instants.
M. le président.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le Sénat va, bien entendu, accéder à votre
demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures
quarante, sous la présidence de M. Jean Faure.)